Lettockar, tome 3 : La folie des couvre-chefs

Chapitre 7 : Le parchemin bilieux

4468 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/06/2024 11:19

7. Le parchemin bilieux


Depuis qu’elle avait été rendue collective, la Cuillère de Lalaoud passait de main en main. Deborah l’empruntait le plus souvent : il semblait que c’était une sorte de revanche pour elle, qui avait été évincée de l’opération Curette à cause de Martoni. Oszike, Kwaï, Mercedes et Tarung se la disputaient le reste du temps. John, assez désintéressé, avait fait une seule vague tentative mais n’avait pas réitéré. Le pronostic de Naomi s’était avéré vrai : personne n’avait davantage de dispositions qu’Astrid, et la Cuillère restait pour le moment fermée à tous.


- Je vois pas où est le problème, disait Kelly. Astrid plaidait pour qu’on lui donne plus de temps pour dompter la Cuillère, les autres y ont droit aussi.


- C’est vrai, mais moi, ce que je vois, c’est que le bazar n’avance pas beaucoup, avait un jour rétorqué John.


Kelly reconnaissait que John avait raison sur ce point. Deborah affirmait qu’elle avait réussi une fois à déclencher le pouvoir de la Cuillère, mais son récit sonnait faux car elle s’était contredite à plusieurs reprises. Et de fait, il n’avait pas fallu longtemps pour qu’Astrid se mette à critiquer abondamment ce que l’OASIS faisait désormais de la Relique. Un jour qu’elle se trouvait avec Kelly, Naomi et Tarung, elle se plaignit à ce sujet au bout d’à peine une minute de conversation.


- Évidemment, la Cuillère est tellement empruntée que je ne la vois même plus ! tempêta-t-elle. Pourtant, il n’a jamais été dit que je n’avais plus le droit d’y toucher, si je ne m’abuse ? ajouta-t-elle en plantant son regard acéré dans celui de Kelly.


- Pourquoi tu me regardes comme ça ? se défendit Kelly. C’est pas moi qui l’ai prise !


- En effet, gronda Astrid. D’ailleurs, pourquoi t’as soutenu la fronde de Deborah si c’est pour que tu te serves même pas de la Cuillère ?


- La fronde de Deborah ? répéta Kelly avec un rire incrédule. Non mais, tu crois pas que tu en fais un peu trop, Astrid ?


- Ben je sais pas, comment tu appelles ça ? Tout à coup, elle rallie l’OASIS contre moi pour me prendre la Cuillère de Lalaoud, pour saper ma personne en public. C’est pas une mutinerie, pour toi ? Et tout ça pour que la Cuillère ne vous serve à rien à vous non plus, ça valait bien le coup. Deborah aurait fait ça rien que pour m’humilier que ça ne m’étonnerait pas… voire plus…


Des fils rouges apparurent sur ses cheveux blonds. Kelly, épuisée, n’essaya même pas de discuter et ne répondit que par un détournement de tête et un « pfffff ! » volontairement hautain. De son côté, Naomi se recroquevillait. Alors, Tarung, jusque-là perdu dans la contemplation d’une tapisserie, se tourna vers Astrid et dit d’une voix ferme :


- Astrid. Si tu commences à voir des ennemis parmi tes amis, ça les poussera à le devenir, alors que personne ne le veut.


C’était une des rares fois où Tarung avait l’air sérieux et impliqué ; il paraissait même agacé par le comportement d’Astrid. Il regarda sa cheffe, celle avec qui il passait de nombreuses heures de recherche documentaire, celle qui le houspillait bien volontiers quant à sa désinvolture naturelle, avec un air inflexible qui impressionna Kelly et Naomi. Pendant un moment, il n’y eut que le silence. Déstabilisée, Astrid secoua la tête. Peu à peu, ses traits s’adoucirent. Elle donna une couleur bleue à ses cheveux, et dit d’une voix suave en se grattant la nuque :


- Je suis désolée, j’aurais pas dû dire ça. C’était totalement stupide. C’est juste que… enfin, je vois rouge parce que… j’ai été tellement vexée par ce qui s’est passé pendant la réunion…


- Faut pas l’être, Astrid, dit Naomi. Tarung a raison, et plusieurs personnes te l’ont déjà dit, ce n’était pas contre toi. En vrai… je comprends un peu ce que tu ressens, mais je te prie de nous croire, personne n’a décidé de t’emmerder à l’OASIS.


- Et surtout pas Deborah, renchérit Kelly d’une voix décidée. On la connaît, Mimi et moi. On est des Dragondebronze, et moi je fais du Crève-Ball avec elle : elle est vraiment pas comme ça.


Astrid adressa un sourire un peu coupable à Kelly pour s’excuser. Après une légère hésitation, celle-ci le lui rendit. En ce moment, elle avait besoin de calme, et l’OASIS d’apaisement…


- Tarung, tu comptais aller à la bibliothèque ? lui demanda Astrid.


- Si on se faisait une partie d’échecs façon sorcier, plutôt ? proposa-t-il.


- Oh oui ! Je vais chercher mon jeu, on se retrouve dans le parc ? Les filles, à plus tard.


Kelly et Naomi éprouvèrent une agréable sensation de soulagement en sentant, pour une fois, l’atmosphère se détendre alors que Astrid était toujours présente. Cette dernière fit quelques pas, puis se stoppa brusquement.


- Naomi, Kelly, j’ai failli oublier ! Peter m’a demandé de vous dire qu’il y avait un cadeau pour les Dragondebronze dans votre salle commune. Il n’a pas dit quoi, mais il affirme qu’il y a pas de coup fourré. Pardon, j’aurais dû le dire avant !


Intriguées, Kelly et Naomi prirent le chemin de la tour de Dragondebronze. En chemin, elles aperçurent au loin Martoni embrasser Alexis Petropoulos. Cela semblait être leur principale occupation quand ils étaient ensemble. Juste à côté d’eux, Stephen Borntobewaïld était assis sur un banc, les bras croisés et le regard baissé.


Depuis qu’elle les savait en couple, Kelly n’avait eu de cesse de se demander quand et comment Alexis et Martoni avaient bien pu tomber amoureux. Elle se souvenait que Martoni avait passé la fin de l’année fortement sonnée par son expérience dans le temple d’Imène Lalaoud… peut-être avait-elle trouvé une sorte de réconfort en parlant avec Alexis… Kelly enfonça ses mains dans ses poches, le nez froncé. Elle n’arrivait pas à faire taire la voix au fond d’elle qui se demandait : pourquoi cette conne de Martoni avait un mec et pas elle ?


L’air amer et renfrogné de Kelly n’échappa guère à Naomi.


- Sois pas jalouse, Kelly… lui dit-elle.


- Mais je suis pas jalouse, répliqua Kelly, butée. Pas du tout. J’en ai absolument rien à taper. Jamais je n’envierai quelque chose à Martoni. Syndrome de Capgras, aboya-t-elle à l’intention des Istari.


- Si tu le dis… soupira Naomi. Mais je continue de penser que tu vas t’user les nerfs à rager à chaque fois que tu croises Martoni et son mec dans le château.


Kelly haussa les épaules et franchit le trou du portrait. Dans la salle commune de Dragondebronze, Naomi et elle découvrirent avec surprise dans le salon un carton rempli de boîtes de friandises aux couleurs criardes avec un morceau de parchemin accroché dessus : « de la part de Peter ». Il était rare que l’on trouve des Dragées surprises de Bertie Crochue à Lettockar ; Peter s’était sûrement fourni auprès de Mikhaïl Popovicz, un élève de Lettockar notoirement connu pour son trafic de marchandises en tout genre. Kelly et Naomi prirent un paquet chacune ; sur le canapé juste devant, Huffö Gray en train d’embrasser langoureusement Katerina Van der Praoüt. Il n’avait pas hésité à braver un interdit en l’amenant dans la salle commune de Dragondebronze, vu qu’elle était une Becdeperroquet. Très surprises, Naomi et Kelly montèrent dans le dortoir des filles et se vautrèrent chacune dans leur lit.


- Tu étais au courant, pour Huffö ? demanda Kelly en piochant dans son paquet de dragées.


- Non, il faudrait demander à John, vu qu’il est pote avec Katerina, répondit Naomi.


Elle tourna la tête vers Kelly et sourit d’un air goguenard.


- Et tu essaies de me faire croire que t’es pas jalouse, Kelly ?


- Roh, mais je demandais, c’est tout ! se défendit Kelly. J’ai bien le droit d’être commère, moi aussi, y’a pas que Ludmilla et Gudrun. De toute façon, ce serait stupide de ma part d’être jalouse, vu que je suis amoureuse de personne.


- T’en as de la chance… soupira Naomi.


Kelly mit quelques secondes à comprendre. Puis elle écarquilla les yeux.


- Naomi, t’es amoureuse ? En ce moment ?


- Amoureuse ? Oh non ! Mais… j’ai le béguin ! Enfin, un peu…


- Mais c’est qui ?


- C’est un secret, dit Naomi en sortant un livre de son sac.


- Oh non, tu fais pas ce coup-là, pas à moi ! protesta Kelly en riant.


Naomi ne répondit pas ; elle ouvrit son livre et se mit à le lire. Kelly lui jeta une dragée au goût d’asperge à la tête.


- Allez Mimi, dis-le moi ! Pour qui t’as le béguin ?


- Kelly, t’ai-je demandé la couleur de ta culotte ? répondit Naomi sans lever les yeux de son livre.


- R… euh, change pas de sujet ! Oh, je sais, c’est Tarung ! Tu m’avais dit l’an dernier que tu le trouvais mignon ou je sais pas quoi…


- Non, c’est pas Tarung, répondit Naomi, imperturbable.


- Vladimir ? Milosz ? Henry Arvock ? Donne-moi son nom, Naomi, je te lâcherai pas !


- D’accord, son nom, c’est… Joker. Ah si, si, j’ai droit à un joker !


- T’es pas cool, Mimi, bouda Kelly. OK, t’as gagné cette fois, mais t’as plus droit de rien me cacher maintenant !


Naomi acquiesça en souriant. Dans les jours qui suivirent, Kelly essaya de surveiller discrètement le comportement de Naomi pour deviner pour qui elle pouvait avoir ce petit béguin. Mais elle ne la vit épier aucun garçon, qu’il soit de leur classe ou non. Et aucune fille non plus – Kelly avait été estomaquée par cette perspective ! Ses investigations restèrent vaines. De toute façon, elle eut très vite d’autres choses à penser. La date de son exposé sur la Grande Guerre des Sorciers approchait à grand pas. Et à ce sujet, le professeur Jar Jar Binns fit une suggestion qui acheva de déprimer Kelly.


- En histoire récente, rien ne vaut un bon témoin. Vous devriez vous adresser au professeur McGonnadie : il vivait en Angleterre lors de la Grande Guerre des Sorciers, il a très bien connu cette période.


Le jour même, Kelly et Ludmilla Suarlov se retrouvèrent à la bibliothèque. Elles cherchaient des livres d’histoire récente pour leur exposé. Il leur avait déjà fallu plus d’une heure pour rassembler une base acceptable de documents pour commencer leur recherche, étant donné que les différences d’épaisseur de papier les avaient envoyées aux quatre coins de la bibliothèque. A présent, elles étaient installées à une table à éplucher leurs ouvrages. Au bout de deux heures de travail, Kelly avait de plus en plus de mal à se concentrer : à un moment, elle s’aperçut qu’elle avait lu cinq fois le même paragraphe sur les Sang-Purs « justes » (ceux qui n’approuvaient pas les idées de Voldemort). Elle n’arrivait pas à penser à autre chose qu’aux amourettes des uns et des autres…


- Ça va, Kelly ? lui demanda soudain Ludmilla. T’as l’air soucieuse.


Kelly faillit lui dire « non, non », ou « c’est rien », mais elle n’aurait trompé personne. Elle leva les yeux de son livre et regarda Ludmilla. Celle-ci lui adressait un sourire engageant. Kelly se gratta la nuque, hésitante, puis se lâcha :


- Ben… je sais pas ce que j’ai, en ce moment je pense à… tous les couples qui se forment autour de moi, tous les gens qui tombent amoureux, à Dragondebronze. Y’a Huffö et Katerina… y’a Martoni et son mec, là… je sais plus qui… marmonna-t-elle en toute mauvaise foi.


- Alexis, dit Ludmilla.


Kelly acquiesça. Elle essaya de rester neutre et ne pas manifester le profond dégoût qu’elle ressentait à savoir Martoni avec quelqu’un.


- Et Naomi aussi a le béguin pour quelqu’un, révéla-t-elle. Enfin, « un peu », qu’elle m’a dit.


- Naaaaaan ! s’exclama Ludmilla, avide de ragots. Pour qui ?


- Elle a pas voulu me le dire ! A moi, sa meilleure pote, tu te rends compte ?


- Han, méchante Naomi ! Elle mérite la fessée ! Je m’en charge, si tu veux, dit Ludmilla en faisant craquer ses jointures.


- On la coincera un jour, après les cours, plaisanta Kelly. Plus sérieusement y’a aussi toi, Ludmilla… remarque, je te vois plus avec Adam ?


Adam East était un Dragondebronze de quatrième année, qui sortait avec Ludmilla depuis l’an dernier. Du moins était-ce ce que Kelly croyait.


- Adam ? répéta Ludmilla avec un petit rire. T’as du retard Kelly, ça fait une éternité que j’ai rompu avec lui. Après lui, il y a eu Augustus Sombresuif, mais ça a pas duré très longtemps.


- Ah bon ! Excuse-moi, Ludmilla, j’ai pas suivi. Et en ce moment, t’es célibataire ?


- Oui. Y’a bien Teodor Azovic - tu sais, l’Ornithoryx - qui me tourne autour, mais je lui ai rien promis…


Kelly eut un pâle sourire. Ludmilla était vraiment à l’aise avec les garçons… elle aimerait bien avoir son assurance. Au lieu de cela, elle avait l’impression d’être une spectatrice de la vie de couple des autres…


- En général, reprit-elle, je suis pas du genre jalouse, mais… je m’aperçois que j’ai personne dans ma vie. Je suis amoureuse de personne et personne n’est amoureux de moi. Alors qu’ autour de moi, ben… y’a des gens qui se mettent en couple, y’en a qui tombent amoureux, ou qui sont sur quelqu’un, tout ça… j’ai l’impression d’être mauvaise à ça. Je ressens comme une sorte de manque. Je dois te paraître stupide…


- Non, non, je te comprends très bien, la rassura Ludmilla. Mais dis-toi que… enfin, ça va peut-être te paraître banal, mais faut pas te miner pour ça ! C’est pas une course ou un concours, tu sais, y’en a plein d’entre nous qui n’ont personne dans leur vie. T’inquiète pas, Kelly, ça viendra. Et puis, le manque, ça se compense.


- J’en ai conscience, mais justement, je sais pas comment compenser… qu’est-ce que je peux faire, d’après toi ?


- J’sais pas, tu te branles beaucoup ? lui demanda Ludmilla le plus naturellement du monde.


En entendant cela, Kelly vacilla sur sa chaise. Ses joues devinrent rose vif et elle regarda Ludmilla avec des yeux écarquillés.


- Qu… quoi ?


- Roh, bah quoi ? On fait toutes ça, Kelly, pas la peine de le cacher…


- Euh… oui, oui ! Enfin… non, non ! Je veux dire… je le fais de temps en temps, mais pas souvent…


- Faut le faire plus ! dit Ludmilla en souriant. Tu emmerdes personne, personne t’emmerde, et ça fait du bien, non ? Et après, bye bye les pensées tristes… c’est presque mieux que d’avoir un mec.


Kelly hocha maladroitement la tête, et ne put s’empêcher de rougir, les yeux baissés. En vérité, elle ne l’avait jamais fait, elle avait menti compulsivement de peur de passer pour une gamine devant Ludmilla. Dans son esprit, c’étaient les garçons qui faisaient ça ; elle n’avait même jamais songé à s’y essayer. Elle trouvait même ça un peu sale. Était-elle à côté de la plaque, pour ça aussi ?


En face d’elle, Ludmilla pencha la tête pour la dévisager. Kelly devina que son expression déroutée lui donnait un air profondément idiot. Pour la taquiner, Ludmilla renchérit :


- Hé, tu pourrais aller voir Mikhaïl Popovicz, il vend des revues porno pour sorciers.


- Ouais, je sais, John lui en achète de temps en temps, ricana Kelly.


- Oh, y’a pas que lui, crois-moi.


Kelly mit quelques secondes à comprendre. Elle afficha à nouveau un air tout déconfit, qui amusa grandement Ludmilla.


- Mais pourquoi tu tires cette tête ? lui lança-t-elle.


- Pour rien, tu fais ce que tu veux de ton argent ! assura Kelly. Tu fais ça souvent ? Tu lui en as acheté un, récemment… ?


Elle avait essayé de demander ça d’un ton évasif. Le sourire de Ludmilla s’élargit encore. Elle se leva de table pour aller reposer des livres, et chuchota au passage avec malice à Kelly :


- Promis, je te le prêterai.


- Hein ? Mais non, j’ai pas du tout dit ç… !


- Tiens, qu’est-ce que c’est que ça ? dit alors Ludmilla.


En rangeant un livre, un vieux morceau de parchemin, d’apparence totalement ordinaire, était tombé de l’étagère. Elle le ramassa et l’examina.


- Y’a rien. C’est… eh, y’a quelque chose qui s’est écrit !


- Quoi ? fit Kelly.


Ludmilla revint s’asseoir à côté d’elle et lui montra le parchemin. Elle lut :


Messieurs Nullard, Queudfer, Couïmol et Cokedrue vous prient de bien vouloir leur dire votre nom.


- Nullard, Queudfer, Couïmol et Cokedrue ? articula Kelly d’une voix rauque. C’est qui, ces cons-là ?


- Jamais entendu parler… murmura Ludmilla.


Kelly retroussa les lèvres. Elle se méfiait un peu d’un morceau de parchemin ensorcelé, surtout quand il demandait des informations sur celle qui l’avait trouvé. Cependant, Ludmilla fut moins soupçonneuse qu’elle.


- Ludmilla Suarlov, répondit-elle au parchemin.


La question écrite disparut alors, comme effacée par une gomme invisible. A la place, une autre ligne s’écrivit toute seule. Par réflexe, Kelly détourna les yeux : lire ce parchemin frappait peut-être d’un sortilège, comme un maléfice d’Aveuglement ou un sort Lacrymogène. Elle entendit alors Ludmilla lâcher un rire incrédule et lire à haute voix :


- « Mr. Nullard salue Mrs. Ludmilla Suarlov et lui souhaite de guérir promptement de ses problèmes d’incontinence. »


- De quoi ? hoqueta Kelly.


Oubliant son appréhension envers le parchemin magique, elle se rapprocha de Ludmilla. Par-dessus son épaule, elle vit qu’un deuxième message s’écrivait en dessous du premier.


Mr. Queudfer tient à dire à Mrs. Ludmilla Suarlov que s’il avait le cul comme elle a la tête, il aurait honte de chier.


Kelly retint son rire, de peur de vexer Ludmilla ; mais en voyant le grand sourire qu’arborait sa camarade, elle sut qu’elle trouvait ça drôle. Deux nouvelles phrases s’affichèrent à la suite :


Mr. Cokedrue avertit Mrs. Ludmilla Suarlov qu’il ne faut pas qu’elle s’étonne si des passants lui donnent spontanément des Mornilles.

Mr. Couïmol voudrait faire savoir à Mrs. Ludmilla Suarlov que le Cirque Arcanus est à la recherche de trolles jongleuses, et qu’elle ferait très bien l’affaire.


Les deux filles éclatèrent de rire, stupéfaites par ces répliques sorties d’où ne sait où. Kelly agrippa la feuille.


- Passe-le moi, pour voir ? Mon nom est Kelly Powder, dit-elle au parchemin.


Aussitôt, les insultes sur le parchemin s’effacèrent pour laisser place à de nouvelles, destinées à Kelly.


Mr. Cokedrue salue Mrs. Kelly Powder et lui prie de bien vouloir se laver les dents au lieu d’emmerder les honnêtes parchemins.

Mr. Nullard voudrait faire part de son ébahissement à l’idée qu’une telle abrutie parvienne à se rappeler de son nom.

Mr. Queudfer suggère à Mrs. Kelly Powder d’aller s’épiler la moule si elle veut cesser de ressembler à un Yéti.

Mr. Couïmol approuve M. Queudfer et voudrait ajouter qu’en comparaison de Mrs. Kelly Powder, ses étrons matinaux font figure d’œuvre d’art.


Kelly éclata encore de rire.


- C’est trop débile, ce truc !


- Faut montrer ça aux autres ! s’exclama Ludmilla avec enthousiasme.


Le soir, dans la salle commune, elles montrèrent le parchemin mystérieux à leurs amis de Dragondebronze. Chacun essaya à son tour le parchemin ensorcelé, qui possédait une imagination débordante.


- « Mr. Queudfer demande à Mr. John Ebay si, pour Halloween, il voudrait bien lui prêter sa tête », ha ha, génial !


- « Mr. Couïmol rappelle à Mrs. Naomi Jane qu’un balai n’est pas fait pour être enfoncé dans un cul ». Charmant…


- « Mr. Cokedrue salue Mrs. Gudrun Emilsdottir et voudrait savoir d’où lui vient cette délicate haleine de chibre ? ».


- « Mr. Nullard signale à Mr. Milosz Wavarum que la sodomie des animaux n’est pas tolérée à Lettockar ». Mais… !


- Mais pourquoi il nous insulte comme ça, ce parchemin ? se demanda Stephen Borntobewaïld à haute voix.


- Je pense que c’est un mécanisme de défense, pour que le lecteur n’ait pas accès à qu’il contient véritablement, supputa Naomi. Il renferme peut-être de puissantes formules magiques…


- Ou alors des informations secrètes ? suggéra Milosz.


- Un plan du château ? Kelly, Naomi et moi, on a déjà trouvé un truc comme ça en première année, expliqua John en faisant allusion au plan des catacombes de Daniel Glover, trouvé dans un grimoire de la bibliothèque.


- J’suis d’accord avec Milosz, intervint Gudrun, ça doit être un secret caché ou quelque chose du style… y’a peut-être un code dans les vannes qu’il nous balance…


Pendant deux jours, la véritable fonction du mystérieux parchemin fut au cœur des conversations des Dragondebronze. Un matin, ils en discutèrent à nouveau ensemble, sans s’en rendre compte, devant la salle des professeurs…


- Pourquoi ce serait un plan du château ? répliqua Stephen en réponse à l’insistance de John. Y’en a déjà d’autres dans la bibliothèque, ça servirait à rien…


- La bibliothèque… il y a sûrement un rapport avec la bibliothèque, puisque c’est là qu’il se trouvait… dit Naomi en retournant le parchemin entre ses doigts.


- J’suis sûre qu’il ne répond qu’à une personne en particulier… c’est pour ça qu’il demande notre nom, car toutes les autres n’ont pas le droit de le lire ! affirma Kelly.


- Mais alors il est peut-être très dangereux ! dit Maria Talbec. Il faudrait savoir qui sont ces mecs, là, Queudfer et compagnie…


- Dites donc, la volaille ! s’exclama alors quelqu’un. Vous pouvez pas faire moins de bruit ?


Les Dragondebronze sursautèrent. Le professeur Fistwick était sorti de la salle des professeurs et s’avançait vers eux, l’air irrité. En ce moment, il s’habillait d’une redingote noire, d’une longue cape à pèlerine et d’un chapeau haut-de-forme. En voyant les élèves serrés autour de Naomi, qui tenait un curieux parchemin, il fronça les sourcils.


- Qu’est-ce que c’est que ça ? Accio !


Le parchemin s’envola des mains de Naomi et atterrit dans la paume de Fistwick. Lorsqu’il l’examina, ses petits yeux pâles s’arrondirent et son visage s’illumina.


- Ooooh ! se réjouit-il. La Carte des Motherfuckers ! Ou l’avez-vous trouvée ?


- Quoi ? Vous connaissez ce machin ? s’étonna Ludmilla.


- Si je le connais ? gloussa Fistwick. C’est nous quatre qui l’avons créé quand on était élèves !


Il désigna d’un signe de tête la salle des professeurs, où se trouvaient probablement McGonnadie, Grog et Pourrave. Les Dragondebronzes restèrent complètement ébahis.


- Queudfer, c’était Suppurus, révéla Fistwick. Cokedrue c’était moi, Couïmol c’était Poséidon, et Nullard c’était Pepino !


- Ah, ça on aurait dû le deviner, dit Gudrun.


- Et à quoi elle sert, cette Carte des Motherfuckers ? demanda Kelly.


- A rien, c’est une connerie, ça insulte juste quiconque lit ce parchemin. On l’avait perdue quand on était en sixième année, autant vous dire que ça remonte ; je pensais vraiment pas la revoir un jour ! Ah, ma journée est refaite !


Tout content, il leur tourna le dos et retourna vers la salle des professeurs, sa création à la main.


- Hé les gars ! lança-t-il à l’intention de ses collègues, que les élèves ne pouvaient pas voir. Regardez ce que j’ai retrouvé !


- Hey, c’est nous qui l’avons retrouvée, menteur ! lui cria Ludmilla.


- Oh bon sang, la Carte des Motherfuckers ! s’exclama la voix de McGonnadie depuis la salle des professeurs. Elle était où ? Elle marche toujours ?


- Jar Jar, amène-toi, on a besoin de toi pour tester un truc ! dit la voix de Pourrave.


D’un coup de baguette magique, Fistwick referma la porte derrière lui. Les élèves se regardèrent les uns les autres d’un air éloquent. Face au silence, John haussa les sourcils et déclara :


- Mystère résolu.

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