Lettockar, tome 3 : La folie des couvre-chefs

Chapitre 6 : Astrid, fais tourner

4255 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/05/2024 10:05

6. Astrid, fais tourner

 

Après une longue attente, une nouvelle réunion de l’OASIS se tint un jeudi matin aux aurores. Cette fois, Kelly fut présente. Elle s’efforça même d’arriver la première pour faire bonne figure. Elle entra dans la salle l’esprit légèrement embrumé et les yeux à peine ouverts – c’était inhumain de les faire se lever aussi tôt pour une réunion ! - et salua Astrid et Peter dans un bâillement. Elle mit plusieurs minutes à remarquer un changement dans la Cour des Mirages.

 

- Tiens, qu’est-ce que c’est que ce truc ?

 

Il y avait un nouveau tableau dans la Cour, accroché sous les dessins des Reliques. Très grand, il représentait des fruits - une mangue, un ananas, une framboise et une pêche - en train d’effectuer une sorte de danse devant des tipis. Peter attendit que tout le monde soit arrivé pour expliquer :

 

- J’ai trouvé ce tableau caché derrière une tenture de la Cour il y a quelque jours. Vraisemblablement, il est apparu après que Doubledose ait dressé les défenses de Lettockar, en juin : en fait, c’est un passage secret ! Il permet de sortir du château depuis la Cour des mirages par-delà les remparts !

 

- Ouah ! Alors tu crois que c’est la Cour des mirages elle-même qui l’a fait apparaître ?

 

- C’est plausible, la magie dans cette salle est vraiment unique, dit Astrid en souriant. On vous montrera comment ça marche, à l’occasion. En attendant, je déclare la séance ouverte.

 

Les autres membres, qui avaient tous en tête la catastrophe qu’avait été la précédente réunion, se montèrent extrêmement prudents et ne prirent pas la parole avant les chefs. Ils se disposèrent en cercle et attendirent. Astrid lissa ses cheveux violets et poursuivit :

 

- Les amis, ces derniers temps, certains m’ont demandé si j’avais pu tirer quelque chose des pouvoirs de la Cuillère de Lalaoud. La situation, je le crains, n’a pas bougé par rapport à notre dernière réunion. La Cuillère me tient toujours tête…. j’admets que c’est beaucoup plus difficile que prévu. Donc pour le moment, nous ne pouvons toujours pas utiliser les pouvoirs de la Relique. Je sais que ça vous déçoit sûrement, je vous promets de redoubler d’efforts pour qu’elle m’accepte comme maîtresse. Notre patience… finira bien par être récompensée.

 

Mais tout l’aplomb qu’elle avait mis dans sa voix ne suffit pas à rasséréner l’OASIS. Bien au contraire, on sentait un malaise manifeste de la part des Archéo-sorciers. Kelly trouvait que les paroles d’Astrid sonnaient creuses… savait-elle seulement ce qui la bloquait ? Et si oui, que comptait-elle faire réellement pour débloquer la situation ? Tous ici ne se souvenaient que trop bien ce qui s’était dit lors de la réunion qui avait suivi la récupération de la Cuillère dans le Temple. La dernière fois où Pavel avait présidé l’OASIS…

 

Deborah prit alors la parole :

 

- Et si tu passais la main ?

 

Il y eut un silence dans la Cour des Mirages. Kelly, pour le moins stupéfaite, haussa les sourcils et tourna lentement la tête vers Deborah. Astrid avait un rictus crispé. Elle répéta en détachant chaque syllabe :

 

- Passer la main ? Qu’est-ce que c’est que ça, encore ?

 

- Ben… qu’est-ce que tu ne comprends pas ? s’étonna Deborah. J’te propose juste de laisser ceux qui le veulent essayer de se servir de la Cuillère à leur tour. Y’a pas de mal à faire un break, Astrid, surtout si tu galères autant depuis des mois.

 

- Si Astrid éch… hum… a des difficultés, on les aura aussi, fit remarquer Naomi.

 

- Et alors ? Ça nous fait pas peur, pas vrai ? dit Deborah en cherchant les autres du regard.

 

Astrid continuait de sourire. Elle semblait persuadée que les camarades allaient tous traiter Deborah de folle, qualifier sa proposition d’absurde et passer très vite à autre chose. Mais bien au contraire, ils hochèrent la tête, voire acquiescèrent ouvertement. Le visage d’Astrid se défigura alors lentement en un affreux masque d’indignation.

 

- Mais vous déconnez ! s’exclama-t-elle d’une voix sifflante. Il est hors de question que je me sépare de la Cuillère ! Vous croyez que vous allez faire mieux que moi en claquant des doigts ? Je reconnais que ça prend plus de temps qu’on le souhaiterait tous ici, mais quand même, il a toujours été convenu que c’était moi qui allais utiliser les pouvoirs de la Cuillère ! Même Pavel pensait que cette Relique devait me revenir !

 

- Astrid, avec tout le respect que je te dois, y’a pas non plus ton nom écrit dessus ! dit John. On n’a jamais décrété que les Reliques n’appartenaient qu’à une seule personne dans l’OASIS, que je sache.

 

- Ce sont elles qui agissent comme ça, John ! dit Astrid. Les Reliques des Fondateurs se reconnaissent un maître ou une maîtresse quand elles sont prises dans leur cachette !

 

- Mais puisque, comme tu le reconnais toi-même, tu n’en es pas officiellement la maîtresse, pourquoi il y aurait que toi dans l’OASIS qui aurait le droit de t’en servir ? objecta Deborah.

 

- Ouais, et on est pas trei… dou… onze dans l’OASIS juste pour faire joli, ajouta Oszike. On est une équipe, non ? On a tous le droit de faire avancer la cause.

 

- J’en reviens pas ! protesta Astrid. J’ai mené l’opération Curette dans le sanctuaire de Lalaoud, je porte la Cuillère jour et nuit pour en devenir la maîtresse, je l’ai emmenée à l’orphelinat pendant tout l’été exprès pour ça, et maintenant vous me dites que je dois la laisser tomber ? Vous croyez quoi, que je me touche avec ? Je passe des heures à la tester, je me démène à déclencher ses pouvoirs, je… pardon, mais je me casse le cul pour l’OASIS ! Pour vous, aussi !

 

Les membres de l’OASIS s’échangèrent un regard gêné. Vladimir Voulanoï se racla la gorge, et dit avec autant de courage que possible :

 

- Astrid je suis désolé de te dire ça, mais… faut se rendre à l’évidence, ça ne marche pas ! Ce n’est sûrement pas de ta faute, personne n’est en train de te critiquer ou de dénigrer tes efforts, mais c’est un fait. Et dans ce genre de cas, c’est vraiment une très mauvaise idée de s’obstiner. Comme l’a dit Oszike, on est dix dans l’OASIS à pouvoir prendre le relai, alors pourquoi ne pas l’exploiter ?

 

Les autres l’approuvèrent vigoureusement. Peter restait en retrait, manifestement troublé. Les lèvres d’Astrid tremblaient. Elle n’arrivait même plus à trouver ses mots.

 

- Mais… mais c’est moi qui détiens la Cuillère, enfin !

 

- On n’est pas en train de te la confisquer, on te demande juste de la prêter ! répliqua Deborah. L’important, c’est que l’OASIS puisse l’utiliser, non ?

 

Elle avait fortement appuyé le mot « OASIS », pour bien faire comprendre à Astrid que leur cause dépassait sa personne.

 

- Et puis, c’est pas incompatible, ajouta Kelly. La preuve, c’est Peter le maître de la Boule de Curcumo, mais je m’en suis servi en j… euh… l’an dernier ! J’arrive à la faire fonctionner un peu. Et ce qui marche avec la Boule marche avec la Cuillère.

 

Astrid lui adressa un regard profondément blessé. Kelly s’était pourtant montrée diplomate, car elle aurait très bien pu souligner le fait qu’Astrid avait beau « détenir la Cuillère », elle n’en était absolument pas la maîtresse, et donc n’était pas du tout au même niveau que Peter. Pas plus que n’importe qui dans l’OASIS. Les autres membres approuvèrent entièrement Kelly. Astrid se tourna alors vers Peter, implorant son soutien du regard. Mais contre toute attente, celui-ci prit parti pour les autres :

 

- Ils ont raison, mon amour… vu qu’il n’y a pas de véritable maître ou maîtresse de la Cuillère parmi nous, c’est légitime que chacun puisse tenter sa chance avec. Les camarades veulent seulement faire avancer la cause, exactement comme toi. Et puis, ça te permettrait de lâcher prise. Avec tout le boulot que tu abats… les recherches, les ASPIC qui arrivent… ça t’enlèverait un poids au milieu de tout le mal que tu te donnes. Et dis-toi que déléguer fait aussi partie du devoir d’un chef : ce n’est pas un signe de faiblesse, mais d’abnégation, et cela, c’est très noble.

 

Kelly trouva qu’il en faisait un peu trop, mais elle n’ajouta rien. Astrid avait le souffle court. Elle semblait à deux doigts de verser des larmes de rage. Tout l’OASIS avait à nouveau les yeux braqués sur elle. Au bout d’un silence long et tendu, elle prit une grande inspiration et dit, la voix légèrement étranglée :

 

- Très bien, je vois que je suis en minorité, alors j’accepte. Mais j’émets une condition : personne ne prend la Cuillère et ne l’emporte hors de la Cour des Mirages sans l’avoir signalé à moi où à Peter.

 

Les membres de l’OASIS acquiescèrent. Astrid s’avança alors lentement vers un piédestal tout près de la Boule de Curcumo et y déposa la Cuillère. Elle n’avait plus aucune expression sur le visage.

 

- Je vous souhaite bon courage, déclara-t-elle d’une voix atone.

 

Et elle regagna sa place dans le cercle. Les camarades restèrent graves et solennels, ne faisant aucun commentaire, mais Kelly savait que plusieurs d’entre eux exultaient intérieurement. Pour sa part, elle laissait volontiers la Cuillère d’Imène Lalaoud à quelqu’un d’autre, mais elle était contente qu’elle quitte un peu la ceinture d’Astrid.

 

- Et sinon ? demanda Kwaï Gun-Djinn.

 

- La dernière fois, on a pas décidé quelle était la prochaine Relique qu’on allait chercher, signala Peter. La Perruque de Scravoiseux ou le Bonnet de Gilluc ?

 

- La Perruque, dirent à l’unisson les dix autres membres de l’OASIS.

 

Tout le monde lâcha un petit rire, sauf Astrid. La réponse unanime n’avait rien d’étonnant : le pouvoir du Bonnet n’était pas le plus intéressant, l’OASIS le cherchait surtout car il complétait le rituel des Reliques pour devenir maître de Lettockar. La Perruque de Scravoiseux, qui donnait une grande puissance magique à son porteur, était bien plus alléchante pour de jeunes sorciers fomentant une révolution.

 

- Bon alors, qu’est-ce qu’on sait sur la Perruque d’Augousto Scravoiseux ? demanda Peter à l’intention de l’équipe de chercheurs.

 

Astrid détourna aussitôt la tête, signifiant qu’elle refusait de faire cet exposé. Elle était encore trop outrée par ce qui s’était passé. Ce furent donc Tarung, Naomi et Oszike qui s’en chargèrent. Ils se relayèrent pour livrer une débauche d’informations historiques sur Augousto Scravoiseux, si assommante que Kelly ne l’écouta très vite que d’un quart d’oreille.

 

- … et on n’a plus jamais revu la Perruque depuis, acheva Naomi.

 

- Concernant son emplacement, nous avons quelques informations, dit Tarung. La Perruque n’a pas été enterrée avec Scravoiseux. Il y a 400 ans, un homme qui faisait la Quête des Reliques exactement comme nous a fouillé son caveau pour le vérifier. Et…

 

Tarung s’interrompit, le nez dans ses notes. Ses camarades restèrent suspendus à ses lèvres, dans l’attente d’une information capitale.

 

- Et c’est tout, dit-il tout naturellement.

 

Il sourit béatement à ses amis. Kelly dut faire un grand effort pour ne pas lever les yeux au ciel.

 

- Bon… il y a un moment où les livres ont leurs limites, dit Peter à mi-voix. La Boule de Curcumo devrait nous permettre d’y voir plus clair. Je vais faire un essai.

 

Il s’avança vers la Relique dont il était le maître et retroussa ses manches. Il posa ses mains sur la sphère magique, les yeux fermés. Sans doute pensait-il le plus fort possible « Montre-moi où se trouve la Perruque d’Augousto Scravoiseux ». Les jeunes gens de l’OASIS commençaient à bien connaître ce processus, mais ils étaient ravis de constater que Peter avait fait des progrès avec la Relique. Lors des premières utilisations, il tremblait et suait comme un bœuf et n’obtenait que des visions extrêmement brèves et vagues. Maintenant, il était presque détendu lorsqu’il entrait en communication avec la Boule ; un jour, il n’aurait plus qu’à l’effleurer de l’index pour qu’elle lui montre ce qu’il voulait sans tergiverser, disait-il. Si seulement Astrid avait pu en dire autant, songea Kelly…

 

Au bout de quelques minutes, Peter rouvrit les yeux et enleva ses mains de la Boule de Curcumo. Il contempla l’objet, l’air pensif.

 

- Alors ? demanda Kwaï Gunn-Djinn.

 

- J’ai vu des flammes, répondit Peter. Un boule de flammes qui brûlait dans un endroit très flou, plutôt verdâtre… mais c’était très bizarre, elle n’arrêtait pas de bouger dans tous les sens, comme si elle bondissait.

 

- Une boule de flammes… répéta Astrid, intriguée.

 

- Ne me demandez pas ce que ça signifie, je n’en ai aucune idée, ajouta précipitamment Peter quand il vit que des personnes s’apprêtaient à lui parler. On n’en est qu’au début, c’est déjà pas mal que je voie quelque chose. La Boule me met constamment à l’épreuve, il faut que je lui donne un maximum d’informations sur ce que je cherche. Donc dès que l’un de vous a quelque chose, qu’il vienne m’en faire part…

 

- Souvenez-vous de la Tablette de l’Oujia, dit Astrid qui semblait reprendre quelques couleurs. Il suffit qu’on trouve quelque chose d’équivalent, et on pourra partir dès le lendemain à la recherche de la Perruque de Scravoiseux. Tarung, Naomi, Oszike, je vous recontacte bientôt pour qu’on s’organise pour la suite. Si personne n’a de question, on va lever la séance…

 

- Si, moi, j’ai une question ! s’exclama Deborah, qui regardait distraitement ses propres grafs.

 

- Quoi donc, Deborah ? dit Peter.

 

- Je peux prendre la Cuillère de Lalaoud ?

 

Nouveau silence. Astrid pinça les lèvres et se renfrogna à nouveau. Deborah respectait la règle en demandant la permission, mais de toute évidence Astrid aurait aimé qu’elle attende un peu au lieu de prendre la Cuillère juste sous ses yeux. Cependant, elle ne polémiqua pas et acquiesça d’un signe de tête réticent. Deborah sourit et prit la Relique sur le présentoir.

 

- Merci beaucoup. Je vous tiens au jus !

 

A ces mots, elle sortit du QG d’un pas bondissant, déclarant nonchalamment que la voie était libre. La Cour des Mirages se vida petit à petit, à l’exception de ses deux chefs. Peter allait rester un peu seul avec Astrid. Kelly avait de la compassion pour elle : c’était la deuxième réunion de l’OASIS de l’année, et elle avait été aussi mouvementée que la première. John, Naomi, Mercedes et elle descendirent tous les quatre vers les étages inférieurs ; tout à l’heure, ils auraient cours ensemble.

 

- Avec tout ça, j’ai même pas pris de petit déjeuner ! lança soudainement Kelly. Vous croyez qu’ils servent encore à la Cantina Gr…

 

Elle s’interrompit brusquement. Elle venait de voir Martoni, qui se tenait un peu plus loin, appuyée contre un mur du couloir. Elle était en train d’embrasser un garçon.

 

Kelly s’immobilisa et écarquilla les yeux. Elle ne put détacher son regard du spectacle des deux corps qui lui paraissaient entortillés comme des serpents, et ce, jusqu’à ce que leurs lèvres se séparent. Le garçon que Martoni embrassait était un grand gaillard, replet, à l’air avenant, aux cheveux blond-roux frisés et aux petits yeux noirs. Martoni remarqua que Kelly les observait : un sourire triomphant se dessina alors sur son visage de souris. Kelly détourna immédiatement la tête et repartit, feignant l’indifférence. Et pourtant, sa tête bourdonnait.

 

Avec Naomi, John et Meche, ils parlèrent de ce qu’ils venaient de voir dès qu’ils furent hors de portée d’écoute – avec une grande stupéfaction bien évidemment. Kelly ne connaissait le copain de Martoni que de vue : il s’appelait Alexis Petropoulos et était en troisième année à PatrickSébastos. Un peu plus tard, John mena sa petite enquête. Apparemment, Alexis avait remarqué Martoni en fin de deuxième année, et avait commencé à lui parler au mois de juin. Il lui avait même écrit une lettre pendant les vacances. Ils s’étaient vite trouvé des points communs (Alexis aussi jouait du violon), s’étaient « cherchés » durant le mois de septembre, et depuis quelques jours, étaient en couple. Martoni nageait dans le bonheur. Kelly était verte : comment un garçon normalement constitué avait-il pu tomber amoureux de cette pouffiasse ?

 

Après un bref passage à la Cantina Grande – Kelly fut hélas incapable d’avaler le moindre croissant - ils se rendirent en cours de potions. La leçon d’aujourd’hui portait sur la « Solution Insecticide de Norbert Yoghurtslave ». Ce cours fut particulièrement pénible : en plus de la chaleur étouffante qui régnait dans la pièce, cette potion dégageait une odeur pestilentielle. Les élèves avaient tous les mains poisseuses et couvertes de sang, car ils avaient dû couper des tranches de cou de girafe. John termina parmi les premiers, et avec brio. Il n’était pas franchement un élève de magie surdoué, mais il était vraiment bon en potions. Fier de sa préparation, il interpella Grog qui circulait tout près.

 

- Vous en pensez quoi, monsieur ?

 

Grog tourna à peine la tête vers lui. Il semblait totalement ailleurs.

 

- Mmmmh ? émit-il dans sa moustache. Ah, oui… c’est bien, c’est bien…

 

Et il continua son chemin sans rien dire davantage. John fut un peu déçu de ne pas recevoir davantage de compliments. C’est alors que quelqu’un toqua à la porte et entra dans la pièce. C’était McGonnadie. Les élèves ralentirent leur travail, surpris de le voir ici. En revanche, Grog n’eut pas la moindre réaction.

 

- Rebonjour Suppurus, dit McGonnadie. Navré de te déranger, je viens chercher les extraits de cervelles de paresseux, comme on avait dit. Relaxe-toi, Goncaldès, je ne parle pas de toi.

 

- Réserve, troisième étagère à gauche, dit Grog dans un grognement.

 

McGonnadie eut l’air quelque peu interloqué par ce laconisme. Il haussa un sourcil, puis alla dans la réserve, au fond de la salle. Il en sortit un bref instant plus tard, portant un bac de bocaux remplis de morceaux de cervelle dans du formol. Il s’apprêtait à partir, quand il renifla soudainement les effluves de la pièce.

 

- Dis donc, ça schlingue dans ta salle, vous préparez quoi ? demanda-t-il à Grog.

 

- Insecticide de Yoghurtslave, répondit le maître des potions.

 

- Oh ? N’en utilise pas trop quand même, sinon Ebay et Ouedraogo n’auront plus rien pour leur goûter.

 

Grog, d’ordinaire prompt à éclater de rire à ce genre de blague, ne réagit que par un vague rictus. Cyprien Ouedraogo, un élève burkinabé de PatrickSébastos, était si dissipé qu’il n’avait même pas entendu que McGonnadie venait de parler de lui. En revanche, John leva les yeux de son chaudron et répliqua :

 

- Ben, vous devriez peut-être vous mettre aux insectes, vous les écossais. Radins et alcoolos comme vous êtes, vous feriez des économies pour pouvoir picoler.

 

Les élèves gloussèrent. Kelly – quoiqu’un peu blessée dans son amour-propre – les accompagna bruyamment. McGonnadie, jusque-là occupé à regarder Grog avec inquiétude, tourna lentement les yeux vers John. Il sourit.

 

- Joli, ça mérite bien 5 points, Ebay. Mais j’ajouterai par pure mesquinerie que si on est radins, c’est parce que nous, au moins, on a de l’argent !

 

A ces mots, il quitta la salle d’un pas altier. Ulcéré, John donna un coup dans un flacon de sang de fourmilier qui alla se casser contre le mur et répandit son contenu par terre.

 

- Putain, Ebay ! râla Grog.

 

- Pardon, professeur, mais c’est l’autre qui m’a énervé…

 

- Un vrai homme, ça contrôle ses émotions ! Pffff… V’là ce qu’on devient en traînant qu’avec des hystériques. Tiens, je retire 10 points à Dragondebronze pour la peine.

 

Peu après, la fin du cours sonna. Kelly et Naomi emmenèrent aussitôt John prendre un grand bol d’air frais dans la cour de l’école. Son visage exprimait un mélange de fatigue et d’exaspération. Naomi tenta gentiment de le réconforter :

 

- T’as très bien répondu à McGonnadie.

 

- Peut-être mais ça change rien, bougonna John. Il me pète les burnes ! Il se croit invincible à cause de ses pouvoirs… s’il était un Moldu, qu’est-ce qu’il aurait fait face à un gros coup de batte de base-ball ?

 

- Oui… c’est vraiment le genre de personnage dont la puissance lui est montée à la tête… dit Kelly à voix basse.

 

Elle-même était furieuse de n’être qu’une petite élève de troisième année, très loin d’être en mesure de se frotter à un type comme Poséidon McGonnadie. Depuis la première journée de cours à Lettockar, elle avait désiré connaître les plus ignobles maléfices jamais inventés pour pouvoir les lui envoyer à la figure et le faire taire… mais le chemin lui paraissait bien long, et il devait paraître encore plus long pour John.

 

- Peut-être que la Cuillère pourrait l’empêcher de faire ça, en influant sur son esprit ? suggéra Naomi. Maintenant qu’Astrid a dû la mettre à disposition de tous, tu peux tout à fait l’utiliser.

 

- Utiliser des pouvoirs mentaux pour que McGonnadie arrête de faire des blagues racistes ? On parle du même ? Ça prendrait trois siècles pour faire changer de mentalité à ce mec ! récusa John. « C’est bon, John, c’est que des blagues », « Tu prends tout au pied de la lettre », gna gna gna, combien de fois il me l’a dit, à votre avis ? Jamais il comprendra qu’il se conduit comme un connard.

 

Il brandit un poing rageur, le regard dirigé vers le ciel.

 

- Si seulement j’avais un moyen de le battre à plate couture ! Il n’y a que comme ça qu’il comprendrait… ça ou sauter sa meuf, sauf qu’il en a pas.

 

Kelly et Naomi éclatèrent de rire. Toutefois, les propos de John les laissèrent songeuses. Un moyen, il y en avait un, mais ils étaient bien loin de mettre la main dessus. Tout dépendait des résultats des efforts de onze adolescents cachés dans une pièce du troisième étage du château de Lettockar. Mais même, qui pouvait dire ce qui les attendait quand viendrait le moment ?


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