La mort est une fin heureuse

Chapitre 13 : Le saule pleureur

4836 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/03/2024 10:46

Hugo, Février 2022.

 

— Basile, arrête de faire l’idiot, et reviens ici ! s’écria Alice. La cabane est hantée, faut pas s’en approcher !

— Mais c’est justement ça qui est passionnant, répondit Basile. Vous ne voulez pas vivre une excitante et terrifiante aventure, et découvrir ce qui se trame là-dedans ?

— Non ! s’exclamèrent à l’unisson Alice, Lysander et Evie.

        Le temps était plutôt doux pour un mois de février en Ecosse, et les sept amis en avaient profité pour pique-niquer sur le flanc d’une petite colline, un peu à l’écart de Pré-au-Lard. Ils avaient trouvé un endroit parfait : très belle vue sur le village d’un côté, sur la vallée et le château de l’autre, et assez isolé, ce qui leur permettait d’éviter la foule d’élèves de Poudlard qui arpentaient les rues lors des week-ends de sortie comme celui-ci. L’inconvénient, c’était qu’ils étaient installés très proches de la Cabane hurlante.

En quelques semaines, Hugo avait appris à contenir son étrange capacité à plonger dans les pensées de ceux qui croisaient son regard. Il n’en avait parlé à personne, sachant que ce n’était pas commun du tout. Cependant, la nuit tombée, pendant qu’il dormait, il ne parvenait pas à s’empêcher de s’immiscer dans les rêves des personnes qui partageaient son dortoir. En fait, il avait l’étrange impression de faire les mêmes rêves que Lorcan, son voisin de chambre. Et, évidemment, les rêves de Lorcan étaient particulièrement loufoques, colorés et divertissants, ce qui offrait à Hugo des nuits très agréables. Tout était donc pour le mieux de ce côté-là.

Ainsi, Hugo put en toute sérénité regarder Evie droit dans les yeux d’un air mélodramatique, et affirmer :

— Oh, ne vous en faites pas. La Cabane hurlante n’est pas hantée du tout.

Tous, à l’exception de Lily, se tournèrent en sa direction d’un air surpris.

— Comment ça, pas hantée du tout ? demanda Evie. Et toutes les histoires, alors ? Et les cris ?

— Evie, qu’est-ce que ça veut dire à ton avis, « hantée » ? répondit Lily.

— Euh… qu’il y a des fantômes ? tenta Evie après quelques instants de réflexion.

— Tu veux dire des fantômes comme ceux qui vagabondent déjà dans les couloirs de Poudlard ?

— Ah oui, c’est vrai, tiens, réalisa Evie.

— Ce sont des mauvais esprits ! lança Lorcan d’un air certain.

— Des esprits frappeurs ? Des épouvantards ? Tout comme dans le château ? répondit Hugo.

— Peut-être que ce sont des créatures magiques inconnues, proposa Lysander.

— Ou le Ronflak Cornu ! s’excita Lorcan.

— Là, on est plus proche de la vérité, indiqua Lily à l’adresse de Lysander en ignorant la remarque de Lorcan.

— Comment ça, de la vérité ? demanda Basile. Ne me dites pas que toi et Hugo savez quoi que ce soit de cet endroit ?

— Si ! affirma fièrement Hugo.

— Laissez-moi deviner, soupira Alice, votre famille y est pour quelque chose ?

— Pas exactement, indiqua Lily. D’autant que cette fois-ci, ils ne nous ont rien dit. C’est nous qui avons deviné !

        Un moment de silence donna la parole au vent qui caressait les branches des arbres environnants.

— Et bien racontez-nous, enfin ! s’écria Evie.

        Tout le monde s’installa en cercle autour de Lily et Hugo, et les regardèrent d’un air avide.

— Lily, je pense que tu peux commencer, dit Hugo.

— Très bien. Comme vous le savez, cette année j’ai hérité de la carte du Maraudeur par mon père. Mes frères l’ont eue avant moi. Sur la carte, plusieurs passages secrets permettant de sortir du château sont indiquées, notamment une qui part du parc. Le Saule cogneur est planté sur l’entrée. Al m’a dit que ce passage menait à la Cabane hurlante, mais n’a pas voulu me donner plus de détails.

— Quoi ?! gémit Evie. Alors là, plus jamais je m’approche du Saule cogneur.

— Tu veux dire, encore moins que d’habitude ? ricana Basile.

— Nous sommes donc partis du principe que le Saule cogneur et la Cabane hurlante étaient liés, reprit Hugo. Or, le Saule cogneur a été planté dans le parc de Poudlard il y a un peu plus de cinquante ans.

— Mais, les histoires sur la Cabane hurlante datent de beaucoup plus de cinquante ans, non ? remarqua Alice.

— Oui et non, répondit Lily. En fait, la Cabane date de plusieurs siècles, et il y a toujours eu des histoires étranges à son propos. Mais avant, on l’appelait juste la Cabane solitaire.

— Seulement, à un moment donné, soudainement, les histoires sur la Cabane sont devenues beaucoup plus terrifiantes. Les villageois entendaient régulièrement des hurlements venant de la cabane. Et même si la Cabane était déjà censée être hantée auparavant, tout le monde s’est mis d’accord pour dire que cela s’est vraiment intensifié à ce moment-là.

— C’est à ce moment-là qu’elle est devenue la Cabane hurlante, enchaîna Lily. Et à votre avis, c’était quand ?

— Il y a cinquante ans ? répondirent dans un murmure Alice, Basile et Evie.

— Précisément. Coïncidence ? plaisanta Hugo.

— Je ne crois pas, s’écria Evie d’une voix faussement complotiste.

— Absolument pas, confirma Lily. J’ai voulu savoir ce qu’il y a eu comme événement particulier dans les années soixante-dix qui a pu déclencher de tels cris. J’ai demandé à mes parents à Noël, et ils m’ont répondu que c’était l’époque où Voldemort prenait de plus en plus de pouvoir.

— Aaah, c’était lié à Voldemort, alors ? demanda Evie.

— Non, répondit Hugo. Ils ont aussi répondu que c’est l’époque où les parents de mon oncle Harry et ses amis ont fréquenté Poudlard. Vous savez, les Maraudeurs. Qui ont créé la carte du Maraudeur.

— Ok, mais quel rapport avec les hurlements ? interrogea Alice.

— Parmi les amis de mon grand-père, il y avait… ? fit Lily.

        Ils leur laissèrent un instant pour réfléchir.

— Le rat ! Le rat qui a rejoint Voldemort après ses études ! s’écria Lysander, tout excité.

— Oui, mais non, répondit Hugo tandis que Lily éclatait de rire. Il y avait le tout premier loup-garou de l’Histoire à avoir été admis à Poudlard. Remus Lupin, le père de Tedd- euh, du professeur Lupin.

        Basile, Lysander et Alice semblèrent comprendre le reste de l’histoire, mais Evie n’avait toujours pas compris. Lorcan, lui, observait une chenille dans l’herbe.

— A l’époque, expliqua Lily, la potion Tue-Loup n’existait pas, et les transformations des loups étaient dangereuses et très bruyantes. Il fallait donc trouver un endroit pour cacher Remus Lupin chaque mois. Les villageois entendaient ses transformations, et ont cru que la Cabane était bel et bien hantée.

— Aaaaah ! comprit Evie.

— Mais attend une seconde, douta Alice, si les hurlements venaient une fois par mois, durant chaque pleine lune, comment se fait-il que personne n’ait fait le rapprochement avec les loups-garous ?

— C’est vrai, j’y avais pas pensé, réalisa Lily. En plus, quand Remus Lupin a quitté l’école, les hurlements on bien dû s’arrêter…

— Oui, je me suis demandé la même chose, confirma Hugo. Je pense que le directeur de l’époque, Dumbledore, a simplement alimenté les rumeurs pour brouiller les pistes. C’était un grand sorcier, il a pu magiquement reproduire certains sons en dehors des pleines lunes, ainsi que perpétuer ces hurlements après le départ de Remus Lupin, rien de compliqué.

        Tous le regardaient d’un air admiratif.

— Enfin, pour cette partie-là, ce ne sont que spéculations, ajouta-t-il en rougissant légèrement.

— Arrête Hugo, ricana Evie, tout le monde sait que quand tu devines quelque chose, tu as souvent tendance à avoir raison !

        Hugo ne répondit pas, mais rougit encore plus et se mit à rire bêtement.

— Enfin bref, la Cabane hurlante n’est pas plus hantée que le placard à balais du deuxième étage, résuma Lily.

        Le soleil hivernal commençait à se rapprocher dangereusement de l’horizon quand la petite troupe repartit en direction de Poudlard. Devant marchaient Alice et Lorcan, qui discutaient de la magnifique chenille que Lorcan avait trouvée par terre ; au milieu suivaient Basile, Lily et Lysander qui se remémoraient le matin où tous les tableaux du château avaient été retournés face aux murs, sans qu’aucun coupable n’ait pu être désigné. Enfin, à l’arrière, Evie et Hugo discutaient, en suivant machinalement leurs amis.

— J’aime vraiment toutes ces histoires passionnantes que tu as à raconter, lui avoua Evie.

— Oh, ce n’est pas que moi… bégaya-t-il. Lily aussi…

— Oui, je sais, mais ce n’est pas qu’aujourd’hui. Depuis que je suis arrivée dans le monde des sorciers, tu m’as aidée à m’intégrer rapidement, à m’adapter, tout ça…

— C’est normal, répondit-il.

— Et puis, le fait que toi aussi tu aies vu… Enfin tu sais… Et les Sombrals… Enfin…

— Oui, je vois.

— Et bien ça m’aide. Beaucoup. J’en parle pas beaucoup, et quand j’en parle c’est surtout avec Alice, mais… Le fait que tu aies été témoin de… de cette fois-là avec moi, et que maintenant tu sois là pour moi, ben ça aide.

— C’est normal.

— Peut-être… Mais merci quand même.

        Elle sourit et lui prit la main, et ils continuèrent leur chemin en silence. Enfin, pas le silence complet, car Hugo entendait les battements de son cœur aussi nettement que si Peeves était en train de jouer du tam-tam. Il était même étonné qu’Evie ne les entende pas, elle aussi.

        Le coucher de soleil était magnifique. Parfois, la vie était belle, tout de même.

 

*       *       *

 

        Un peu plus d’un mois plus tard, à la fin du mois de mars, Hugo était sûr de lui. Il était amoureux d’Evie, il en était convaincu. Même s’il ne savait pas exactement ce qu’était l’amour, il ressentait une sensation étrange au cœur, qui ressemblait d’ailleurs curieusement à de la douleur, à chaque fois qu’Evie lui parlait, lui souriait, le regardait, ou même était simplement présente. Chaque jour, cette sensation était de plus en plus forte et de plus en plus fréquente. Ça devait bien être de l’amour, non ?

        Mais ce qui rendait Hugo si certain, c’était qu’Evie, elle aussi, semblait ressentir la même chose. Ce dernier mois, elle s’était énormément rapprochée de lui, elle lui parlait davantage à lui, riait plus souvent avec lui. Le lien spécial entre eux, qui avait été présent depuis leur premier jour d’école, s’était intensifié à vitesse exponentielle.

        S’il fallait apporter des preuves supplémentaires de leurs sentiments l’un envers l’autre, leurs amis aussi l’avaient remarqué. Un jour, Hugo avait demandé à Alice comment Evie se portait le soir avant de s’endormir.

— Pas trop mal, avait répondu Alice. Elle a le regard un peu plus vide, je crois qu’elle a davantage tendance à penser à sa mère à ce moment-là.

— Oui, c’est bien ce que je pensais aussi, avait indiqué Hugo avec tristesse.

— Et elle fait assez souvent des cauchemars. Pas toutes les nuits, mais souvent. Elle revoit ces horribles masques rouges et noirs…

— La pauvre…

— Mais ne t’inquiète pas, avait souri Alice, elle me parle autant de toi que toi d’elle.

        Un autre jour, durant le repas du soir à la table de Serdaigle, Evie avait rigolé très fort à une blague qu’avait faite Hugo. Basile s’était penché vers lui avec un sourire narquois, et avait chuchoté :

— Dites, quand est-ce que vous allez en faire quelque chose ? J’ai l’impression que ça devient évident pour tout le monde, là, je pense qu’à ce niveau-là, même Rusard est au courant.

— Oh, la ferme, avait répondu Hugo en rougissant.

        Mais Basile avait de toute évidence raison. Plusieurs fois, des camarades lui faisaient des petits sourires complices quand Evie parlait avec lui, quand elle riait à ce qu’il disait, quand ils marchaient côte-à-côte dans les couloirs. D’un côté, c’était très agaçant, mais d’un autre ça le confortait dans l’idée que c’était réciproque.

        Mais l’élément déclencheur fût ce midi-là, un samedi de la fin mars. Le jour de l’anniversaire d’Evie. Cette fois encore, durant le repas dans la Grande Salle.

— Lorcan, tu peux me passer le sel, s’il-te-plaît ? demanda Evie.

        Lorcan leva la tête d’un coup, rougit, et lui fit passer la salière. Puis, il se pencha doucement vers Hugo, et chuchota :

— Euh, Hugo, t’as pas l’impression qu’Evie est amoureuse de moi ?

        Lorcan se perdit alors dans ses pensées tandis qu’Hugo éclatait de rire. Sans vraiment savoir pourquoi, il se dit alors qu’il allait enfin agir. Il attendit la fin du repas, qu’ils soient dans leur salle commune. A un moment donné, Evie se leva de son siège pour aller chercher un plaid. C’était le moment de se lancer. Hugo se leva, et la suivit. Sans savoir pourquoi, il se retourna vers ses amis. Alice lui lança un regard bienveillant et encourageant, Basile un sourire complice et lourdingue, et Lorcan se décrottait le nez. Hugo sourit à son tour, et rattrapa Evie.

— Evie ? fit-il d’une voix timide.

        Elle se retourna et lui sourit.

— Oui ?

        Hugo déglutit. Tout ça lui parut d’un seul coup complètement stupide. Mais il avait répété son discours, et ne se laissa pas abattre.

— Euh, je me disais que, pour ton anniversaire, on pourrait faire une petite virée interdite dans la Cabane hurlante. Je me souviens que tu avais été fascinée par l’histoire, alors…

— Oh oui, super idée ! s’écria Evie. Les autres sont d’accord ?

        Aïe. Elle était partante, mais n’avait pas compris le message.

— En fait, je pensais qu’on pourrait y aller juste tous les deux…

        Le quart de seconde de silence qui suivit réduit la confiance en soi de Hugo à zéro.

— Pourquoi faire ? demanda naïvement Evie.

        Triple aïe. Pourquoi faire ? Non seulement elle n’avait pas compris le message, mais en plus, cette fois-ci elle paraissait moins emballée.

— Euuh… ben… Je… balbutia Hugo en cherchant désespérément une branche à laquelle s’accrocher.

        D’un coup, Evie comprit. Hugo le vit dans son regard.

— Oh, dit-elle d’un ton abattu. Ecoute Hugo…

        Hugo sut déjà que c’était terminé. Son cœur s’arrêta de battre, ses mains devinrent moites, et il sentit tout le poids du monde s’abattre sur ses épaules. Mais il la laissa parler.

— Je sais qu’on s’est beaucoup rapprochés ces temps-ci, mais moi je croyais qu’on était amis, juste amis.

        Il fallut à Hugo toute sa force et toute sa concentration pour répondre.

— Mais, nous sommes amis.

        Ce n’était pas un mensonge, loin de là, mais ce n’était pas ce qu’il attendait.

— Je suis désolée, Hugo…

— Non, ne t’excuse pas… Je suis déjà très content d’être ton ami, répondit sincèrement Hugo.

        Mais Evie ne parut pas convaincue, et lui afficha un regard triste. Un regard rempli de compassion et de pitié que Hugo ne put soutenir plus longtemps.

— Bon du coup, je te laisse aller chercher ton plaid, bredouilla-t-il. Je vais… Je vais rejoindre les autres.

        Il se retourna, et partit sans regarder en arrière. Mais il ne rejoignit pas les autres. Il n’avait aucune envie de leur parler de ce qui venait de se passer. De toute façon, ils avaient de toute évidence vu et deviné. Il sortit donc de la salle commune, et marcha machinalement dans le château, sans but.

        Il était au bord des larmes. Il avait besoin de réfléchir à propos de ce qui s’était passé, mais il savait qu’il n’allait pas pouvoir s’empêcher de pleurer. Il lui fallait un coin tranquille. Vite.

        Alors il courut vers le parc, qui était désert car il pleuvait, puis en direction du Saule cogneur. Il l’immobilisa d’un coup de baguette magique, et s’engouffra dans la cavité entre les racines de l’arbre qu’il avait repérée quelques jours plus tôt dans le but d’y amener Evie.

        Enfin arrivé dans le tunnel, il explosa. Il se laissa fondre en larmes. Il ne s’arrêta pas de marcher, mais il fit sortir toutes ses émotions sans restriction. Le pire, c’était qu’il ne savait pas vraiment pourquoi il était si triste. En soi, sa relation avec Evie lui convenait telle qu’elle était, et elle n’allait pas changer, alors pourquoi être aussi abattu ? Il ne savait même pas ce qu’il voulait avec elle. Peut-être juste passer du temps avec elle, ce qui allait être le cas de toute façon. Qu’est-ce que cet événement allait changer ? Pourtant, impossible de se calmer. Les larmes coulaient comme une cascade.

        Sans faire attention où il allait, trop préoccupé par ses pensées sombres, il parcourut l’intégralité du tunnel, et remonta à l’intérieur de la cabane hantée. Il repéra un vieux matelas poussiéreux, se jeta dedans, se mit en boule, et continua de pleurer. Tout seul. Tranquille.

— Hugo ?

        Hugo sursauta si violemment qu’il hurla et se précipita contre le mur à l’opposé d’où provenait la voix. Face à lui, dans un coin de la pièce qu’il n’avait pas vu en rentrant, flottait une silhouette argentée, haute et fine, à quelques centimètres du sol. Une silhouette familière.

— Pr… Professeur Vector ? bégaya Hugo.

        Son professeur fantôme d’arithmancie, dont Hugo suivait les cours depuis cette année, affichait un air très sombre. Son corps n’était d’ailleurs pas aussi translucide que d’habitude, observa Hugo.

— Je ne voulais pas te faire peur, dit-elle. Mais tu ne devrais pas être là, ajouta-t-elle d’un air sévère. Tu ne devrais même pas savoir comment venir ici.

— Je suis désolé, répondit Hugo en essuyant ses larmes d’un revers de manche.

        Hugo se dirigeait vers la sortie quand le professeur Vector remarqua ses yeux rougis et gonflés.

— Attends, l’arrêta-t-elle d’une voix beaucoup plus douce. Désolé. Qu’est-ce qui t’arrive ?

        Hugo ne savait pas quoi faire. Il ne savait pas s’il avait envie de parler de ses problèmes personnels à l’une de ses enseignantes. Mais en même temps, il sentait qu’il avait un profond besoin de parler à quelqu’un. Quelqu’un qui ne le jugerait pas.

— Oh, je… rien de grave, juste des problèmes sentimentaux…

— Juste des problèmes sentimentaux ? Tu me rassures, j’ai cru pendant un instant que c’était grave, que tu n’avais eu que dix-neuf sur vingt à un devoir.

        Hugo laissa échapper un petit rire. Le professeur Vector lui sourit.

— C’est Evelyn Erskine, c’est ça ?

— Ah, super, donc vous aussi vous avez remarqué, bougonna Hugo.

— Oh, oui, affirma le professeur Vector. Je crois que tout le monde est au courant. Mais je pensais que c’était dans l’autre sens. J’imagine que tu es là parce que ce n’est pas le cas ?

        Hugo fit « non » de la tête.

— Je suis désolée, Hugo. Ça arrive, malheureusement. Ça se saurait, si l’amour était facile.

        Hugo haussa les épaules.

— J’ai l’impression de m’être fait rentrer dedans par un détraqueur, dit-il. Et j’ai même pas connu les détraqueurs.

— Laisse-moi deviner. Tout se passe merveilleusement bien dans ta vie, tu cartonnes en cours, tu es une star de Quidditch, tu as un groupe d’amis formidables, tu aimes une fille, une fille unique, irremplaçable, le genre de fille que tu ne recroiseras jamais de ta vie, et tu penses qu’elle t’aime aussi. Mais non. Et d’un seul coup, tout le reste semble fade, vide de sens et d’intérêt. Tu as l’impression que tu ne seras plus jamais heureux, que le reste de ton existence ne sera jamais aussi intéressant que les quelques semaines où tu as naïvement eu espoir en un amour réciproque. C’est bien ça ?

        Hugo fut sans voix tant elle avait raison.

— Mais écoute-moi bien, Hugo, reprit le professeur Vector. C’est faux. Je sais que c’est difficile à croire, je sais que c’est inconcevable de l’imaginer pour le moment, mais crois moi. Demain, tu iras mal. La semaine prochaine, encore pire. Mais dans un mois, tu iras mieux. Dans deux mois, beaucoup mieux. Et dans un an, tu seras avec une autre fille, et tu trouveras qu’elle aussi est unique, irremplaçable. Tu comprends ?

— Comment est-ce que vous pouvez en être sûre ? bougonna Hugo.

— Je suis prof d’arithmancie, Hugo, je sais déchiffrer l’avenir.

        Hugo éclata de rire, ce qui fit sourire le professeur Vector.

— Plus sérieusement, je le sais car c’est comme ça que ça fonctionne, pour tout le monde. Des hommes uniques et irremplaçables, j’en ai connu trois avant de rencontrer mon mari. Garder espoir n’est pas vain. C’est comme ça que se joue le jeu de l’amour : on souffre, on est heureux, on souffre, on est heureux, on souffre, puis on reste heureux jusqu’à la fin.

— Vous avez souffert, vous aussi ? demanda Hugo sans savoir si c’était trop indiscret.

— Bien sûr. Enormément. Tes parents aussi. Tes grands-parents, tes cousins, tous tes profs ont souffert.

— Et aujourd’hui, vous êtes heureuse ?

        Le sourire du professeur Vector s’estompa. Elle baissa les yeux vers le sol.

— Ah, ça, c’est une autre histoire, répondit-elle.

— Mais vous avez dit que votre mari…

— Mon mari m’a rendu plus heureuse que je n’aurais jamais pu l’espérer. C’est pour lui que je suis restée dans le monde des vivants, après la bataille de Poudlard. Et pour ma fille.

        Hugo ne comprenait pas, mais n’osait pas demander ce qui n’allait pas.

— Mais Sven est mort, maintenant. Il y a quatre ans.

        Hugo baissa à son tour les yeux, et ne répondit pas.

— Il n’est pas revenu pour nous, lui. Il a continué. Je ne lui en veux pas, il s’est battu comme une chimère contre la maladie. Mais il n’est plus là. Alors parfois, je viens ici, pour… pour être tranquille et… réfléchir.

        Hugo savait qu’elle parlait plus pour elle-même que pour lui.

— Je suis désolé, je ne voulais pas vous interrompre.

        Le professeur Vector sembla soudain réaliser qu’elle était en présence de son élève de quatorze ans, et non d’un psychologue.

— Ne t’excuse pas, Hugo. Je suis désolée de t’avoir dit tout cela, je ne voulais pas t’accabler avec mes problèmes. Comme disent les moldus, j’en avais gros sur la patate, comme toi.

        Hugo se sentit alors beaucoup plus inspiré pour la consoler que pour se consoler lui-même.

— Appliquez-vous votre propre conseil, dans ce cas. Souffrez, soyez heureuse, souffre, soyez heureuse, souffrez, puis restez heureuse jusqu’à la fin.

        Le sourire que le professeur Vector lui rendit n’était pas joyeux.

— Et à ton avis, Hugo, dans mon cas, qu’est-ce que c’est, la fin ?

        Hugo ne trouva pas de réponse à cette question.

— Allez viens, on devrait rentrer au château, reprit le professeur Vector. Il se fait un peu tard.

        Hugo acquiesça, et se dirigea vers l’entrée du tunnel.

— Dis, Hugo ? lança le professeur Vector. Je sais que c’est peut-être un peu gros de te demander ça, mais… Veux-tu bien ne pas parler de ce que je t’ai dit ? Je te fais confiance.

— Bien sûr, professeur, assura Hugo en comptant bien tenir cette promesse. Et euh… vous de même ?

— Je crains que, pour ton cas, le château entier ne soit déjà au courant. Mais si certains apprennent d’autres choses, cela ne viendra pas de moi, tu as ma parole.

— Merci, professeur Vector.

— Septima.

        Hugo lui rendit son sourire, et s’engouffra dans le tunnel.

 

*       *       *

 

        Il rejoignit directement la Grande Salle pour le dîner, et s’installa en compagnie de son groupe d’amis. Au moment où il croisa le regard d’Evie, en face de lui, il fût agréablement surpris. Le poignard dans le cœur ne fut pas plus douloureux qu’avant, mais simplement aussi douloureux.

— Hugo ! beugla Basile. Mais où t’étais passé pendant tout ce temps ?

— Je me promenais, répondit simplement ce dernier.

        Ils commencèrent à manger, et à discuter de tout et de rien. Puis, Evie s’adressa discrètement à lui.

— Ça va ? demanda-t-elle.

        Hugo lui sourit.

— Ça ira.

        Et Evie lui rendit son sourire.


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