La mort est une fin heureuse

Chapitre 12 : La lettre

2688 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/03/2024 20:51

Pravin, Janvier 2022.

 

      Il restait cinq jours avant la rentrée. Dans cinq jours, il allait revoir Frank. Il avait donc cinq jours pour lire sa lettre.

        Les vacances de Noël étaient arrivées beaucoup trop vite à son goût. Non pas que Pravin aimait les cours à Poudlard, évidemment, mais au moins il y était avec Frank. Il aurait adoré passer les vacances de Noël avec lui à Poudlard, mais malheureusement, Frank avait dû rentrer chez ses parents avec sa sœur. Cela avait tout changé. Si Frank n’était pas à Poudlard, le château perdait tout son intérêt. Quitte à ne pas être avec lui, autant retourner chez sa tante et ne pas se coltiner tous les autres élèves.

        La tante Karen n’était pas venue le chercher à la gare de King’s Cross comme les autres parents. En fait, elle n’était même pas au courant de sa venue. Quand Pravin était apparu sur le palier de son vieil appartement à Durham après quatre heures de transports en commun, la première chose qu’elle lui dit fût « Oh non ! J’avais prévu des trucs pour Noël avec mes copines, moi ! ».

        En s’installant dans sa petite chambre, il avait pris soin de dégager les trois vieux chats qui avaient pris l’habitude de s’y endormir. Ce n’était pas si étonnant, étant donné que la tante Karen avait placé leur litière sous son lit.

        Pravin avait donc passé Noël seul dans sa chambre pendant que la tante Karen échangeait des cadeaux avec ses collègues de Sainsbury’s. Il avait eu droit à un cadeau, cependant. Sa tante lui avait offert son magnifique exemplaire de Comment gérer les stocks et mettre en valeurs ses produits, le premier de trois volumes consacrés à la gestion d’un supermarché. Un best-seller.

        Le soir du nouvel an, la tante Karen était partie faire la fête en laissant un steak haché à décongeler dans le micro-ondes pour Pravin. Ce dernier ne s’en était pas plaint. Il avait donné le steak haché aux chats, fouillé dans l’armoire de la tante Karen, et trouvé dans un coin sa cachette. Sous une planche de l’armoire. C’était là qu’elle planquait toutes les choses qu’elle ne voulait pas que Pravin ne voie, et ce depuis qu’ils étaient dans cet appartement. Elle pensait sûrement que ses affaires étaient en sécurité ici, mais Pravin avait trouvé cette cachette au bout de deux semaines. Evidemment, il ne lui avait jamais dit. Ce jour-là du nouvel an, dans la cachette, une liasse de billets était posée sur une pile de vêtements noirs. Il avait piqué un billet, et était sorti s’acheter un bon McDo.

 

*       *       *

 

        Le lendemain du nouvel an, un hibou grand-duc s’était engouffré par la fenêtre de la cuisine – fenêtre que la tante Karen avait juré avoir laissée fermée. Le hibou avait apporté une lettre au nom de Pravin. Mais la tante Karen était tellement indignée par la présence de cette créature dans sa cuisine qu’elle avait pris la lettre, et avait prévenu Pravin « La prochaine vois qu’un oiseau se pointe dans ma cuisine sans y être invité, je le donne à manger à mes chats, est-ce que c’est clair ? ». Elle avait ensuite embarqué avec elle la lettre sans la lui donner. Probablement pour la mettre dans la cachette. Pravin savait qu’elle lui venait de Frank.

        Il n’avait aucun moyen d’accéder à un service de hibou postal lorsqu’il était chez la tante Karen, et il ne connaissait pas l’adresse de Frank – puisque ce dernier ne la connaissait pas non plus – donc pas moyen d’utiliser la poste normale. Ils avaient donc convenu avant de se quitter que Frank lui enverrait une lettre pendant les vacances. Pravin trouvait que Frank avait un peu trop tardé. Sans doute avait-il du mal à se débarrasser de sa stupide famille assez longtemps pour écrire sa lettre.

        Toujours était-il que Pravin devait la lire. Il n’avait aucune envie de retrouver Frank et que ce dernier s’aperçoive qu’il n’avait même pas lu ce qu’il lui avait envoyé. Malheureusement, la tante Karen avait posé des vacances pour les fêtes, et elle ne reprendrait le travail qu’après le départ de Pravin pour Poudlard. Elle passait donc ses journées dans l’appartement, et il était impossible pour Pravin d’aller fouiller la cachette sans se faire prendre.

        Enfin, impossible en temps normal.

        La chance sourit à Pravin ce jour-là. Car ce jour-là, la tante Karen invita un homme. Un petit homme assez large, à l’air complètement ahuri. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait. En près de deux ans, la tante Karen l’avait invité une demi-douzaine de fois chez eux. Pravin ne comprenait pas ce qu’il faisait là. En général, il débarquait, il riait comme un idiot avec la tante Karen, puis tous les deux allaient s’enfermer dans la salle de bains et faisaient couler l’eau de la douche pendant plus d’une demi-heure. Pravin les entendait faire des bruits étranges. Puis, l’homme s’en allait et disparaissait pendant des mois. Il n'avait jamais adressé davantage qu’un petit regard gêné à Pravin. La tante Karen le voyait aussi probablement en dehors de l’appartement.

        En tout cas, la présence de l’homme ce jour-là signifiait que la voie serait libre pendant au moins une bonne demi-heure. Dès l’instant où il entendit le verrou de la salle de bains s’enclencher et l’eau de la douche couler, Pravin se précipita dans la chambre de la tante Karen, souleva la planche du fond de l’armoire, et fouilla. Rapidement, il trouva comme prévu l’enveloppe. Elle lui était adressée. Elle était toujours fermée, ce qui signifiait que la tante Karen ne l’avait pas lue. Pravin était soulagé. Non pas que ça le gène que la tante Karen lise sa lettre, mais il était soulagé car cela voulait dire qu’elle ne cherchait pas tous les moyens de l’emmerder, mais qu’elle portait plutôt envers lui l’indifférence la plus totale. Il serait plus tranquille comme ça. Pravin se dépêcha de d’ouvrir son enveloppe. Il sourit en reconnaissant l’écriture de Frank. Il se mit à lire.

 

 

 

 

Cher Pravin,

 

J’espère que tu n’as pas réussi à rentrer chez ta tante Karen. On était d’accord sur le fait que tu dormirais mieux n’importe où ailleurs que chez elle.

 

Effectivement, ils avaient eu cette discussion sur le trajet du retour, dans le Poudlard Express. En toute objectivité, Pravin aurait préféré dormir tranquille sur un banc dehors plutôt que chez la tante Karen. Mais il avait réfléchi, et il aurait eu des ennuis avec la police, qui en plus de cela l’aurait ramené de toute façon chez sa tante. Ça n’aurait pas valu le coup.

 

Je passe des vacances relativement agréables. Mes parents me laissent tranquille. Ils m’ont posé quelques questions sur mon trimestre, et sur toi aussi d’ailleurs, mais je ne suis pas rentré dans les détails. Je passe un peu de temps avec Alice, et c’est cool, mais j’ai hâte de retourner à Poudlard. On s’amuse plus, avec toi. Et avec Peeves.

 

Pravin sourit. En quelques semaines à peine de cours, Frank et lui avaient réussi à faire ce que personne dans l’histoire de Poudlard n’avait jamais réussi à faire : apprivoiser Peeves. En fait, c’était même plutôt simple. Il suffisait de ne pas vouloir le contrôler, mais plutôt de vouloir créer autant de chaos que lui, de participer à l’élaboration de ses plans machiavéliques, voire même de proposer de nouvelles idées.

        Ils avaient commencé plutôt doucement, juste pour attirer l’attention du célèbre esprit frappeur, en cachant des bombabouses, que Frank avait gardées dans sa malle, dans les cuisines pour embêter les elfes qui y travaillaient. Peeves, lors de son escarmouche quotidienne dans les cuisines, n’avait pour une fois fait qu’observer les elfes crier et courir partout à la recherche des bombabouses. Ce devait être un spectacle saisissant.

        Ensuite, ils avaient augmenté d’un cran en retournant tous les tableaux du château face cachée. Cela leur avait pris la nuit entière, mais avec l’aide de Peeves, ils avaient pu terminer avant le lever du Soleil, et surtout avant le réveil des personnes représentées dans les tableaux. Ils n’avaient pas dormi, mais la cacophonie des tableaux qui hurlaient car ils ne voyaient plus que les murs, était une récompense à la hauteur de leurs efforts.

        En prévision d’Halloween, ils avaient caché dans les énormes citrouilles de Hagrid des litres et des litres de mucus de veracrasse. Ainsi, lors du banquet, le mucus coulait depuis les citrouilles qui flottaient au-dessus des tables, et se déversait sur les élèves. Ils avaient dû se sacrifier pour cette blague, et eux aussi recevoir du mucus pour ne pas se faire accuser. Mais qu’est-ce que c’était marrant.

 

D’ailleurs, je pense que mon père se doute de quelque chose. Il fronce toujours les sourcils quand le sujet de ma scolarité vient sur le tapis, et je pense qu’il ne t’apprécie pas trop. Tu dois être déçu, toi qui l’admires tant !

 

Pravin éclata de rire. Que Londubat l’apprécie ou non lui faisait ni chaud ni froid. Il détestait l’attitude qu’il adoptait envers Frank, toujours à en attendre trop de lui, toujours à le comparer à sa merveilleuse stupide sœur.

        Un matin, durant un cours de botanique, Londubat leur avait rendu une évaluation, et Frank et Pravin avaient tous les deux éclaté de rire en même temps en découvrant qu’ils avaient eu la même mauvaise note, alors que chacun pensait avoir mieux réussi que l’autre. Londubat avait alors lancé un regard plus qu’assassin à Pravin. Comme si c’était de sa faute.

 

J’espère que ta tante va te laisser lire ma lettre, et si elle ne te laisse pas la lire, j’espère que tu vas t’arranger pour le faire quand même. Après tout ce qu’on a fait à l’école, je pense que tu y arriveras.

 

Pravin sourit. Frank le connaissait bien. Il savait qu’il ne raterait cette lettre pour rien au monde.

 

Je n’ai pas écrit grand-chose, parce que je n’ai pas grand-chose à dire. Les vacances sont vides, rien d’intéressant ne se passe, parce que tu n’es pas là. Mais ça fait quand même plaisir de t’écrire.

 

Pravin sourit à nouveau. Il sentit son cœur chauffer, c’était une sensation qu’il n’avait pas ressentie depuis qu’il avait bu une gorgée de thé bouillant, en compagnie de son père. Ce n’était pas désagréable.

 

On se voit très bientôt dans le train ! J’ai préparé une autre surprise pour le trajet, j’espère que ça tombera à nouveau sur Mokrane.

 

Frank.

 

Un sentiment nostalgique s’empara immédiatement de Pravin. Tant de bons souvenirs en compagnie de son ami défilaient dans sa mémoire. Il lui parût tout à coup absurde qu’il ait passé plus de dix ans de sa vie sans lui. Inconcevable.

        Certes, la lettre était plutôt courte, mais elle était infiniment plus appréciée que Comment gérer les stocks et mettre en valeurs ses produits. Stupide tante Karen.

        Bon. Maintenant, il fallait que Pravin remette sa lettre dans sa cachette. Il n’avait pas peur des représailles de la tante Karen, mais il avait juste envie qu’elle lui foute la paix. De plus, il aimait bien le fait que la tante Karen pense qu’il ne connaisse pas l’existence de cette cachette. Il voulait garder cet avantage sur elle.

        Il rouvrit l’armoire, souleva la planche du dessous. Il posa la lettre à l’endroit exact où il l’avait trouvée. Il réalisa alors que, comme il avait ouvert la lettre, la tante Karen s’en rendrait compte. Il entreprit alors de lécher le morceau d’enveloppe qu’il avait décollée, pour ainsi la refermer. Ce n’était pas parfait, mais il était persuadé que la tante Karen n’y prêterait de toute façon aucune attention. Puis, il remarqua un détail qu’il n’avait pas remarqué avant. Un téléphone portable.

        Pas un smartphone comme on pouvait trouver de nos jours, pas le dernier iPhone 13 que la tante Karen utilisait si fréquemment, non, un vieux téléphone portable à clapet. Pourquoi la tante Karen avait-elle un deuxième téléphone ? Pourquoi était-il si vieux ? Et pourquoi voulait-elle le lui cacher ?

        Intrigué, Pravin tendit l’oreille. L’eau de la douche coulait encore, il entendit la tante Karen glousser grossièrement. Il saisit le téléphone, et l’alluma. De toute évidence, ce téléphone ne servait que pour une seule conversation par SMS, à laquelle participaient plusieurs personnes. Le dernier message avait été envoyé par la tante Karen à peine quelques dizaines de minutes plus tôt.

 

4 janvier, pas de signe de la police, RAS.

 

        La tante Karen avait-elle des soucis avec la police ? Pravin remonta toute la conversation. Ce fût très rapide. Le premier message disait :

 

Voici mon nouveau numéro. Veuillez supprimer l’ancien.

 

Un peu plus bas, un numéro inconnu avait envoyé vers la fin juillet :

 

J’ai découvert que Erskine en était. RDV Swansea Dragon Hotel ASAP

 

Ce à quoi la tante Karen avait répondu :

Bien reçu. Masques et tenues prêtes.

Erskine ? Faisaient-ils référence à la mère de cette cruche qui était amie avec la sœur de Frank ? Elle avait été tuée cet été. Pravin avait entendu la sœur de Frank en parler.

        Pour en avoir le cœur net, Pravin souleva la pile de vêtements noir, et trouva, caché en-dessous, un masque de cuir rouge et noir.

        Il éclata de rire tandis qu’une merveilleuse idée lui traversa l’esprit.


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