La mort est une fin heureuse

Chapitre 7 : Le fil rouge

5585 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/03/2024 10:35

Teddy, Avril 2021.

 

        Teddy avait l’impression qu’un troll des montagnes tambourinait contre les parois de sa poitrine. Son cœur battait tellement fort qu’il sentait chacune de ses veines se gonfler et se dégonfler au rythme de ses pulsations. Heureusement que sa grand-mère avait lancé un sortilège d’imperméabilité à l’intérieur de ses vêtements, sinon ils auraient été inondés de sueur. Il n’avait jamais eu aussi peur.

        Pourtant, sa vie n’était pas en danger. Il n’était pas sur le point de passer un entretien déterminant pour sa carrière. Il n’allait même pas passer un mauvais moment. Non, justement, aujourd’hui était le plus beau jour de sa vie, ce qui était bien pire. Il avait tellement peur de passer pour un idiot durant le plus beau jour de sa vie.

        Parce qu’aujourd’hui, tous les regards seraient braqués sur lui. S’il faisait quelque chose d’idiot, personne ne le louperait, personne ne l’oublierait, et personne ne le laisserait jamais l’oublier.

        En fait, ce n’était même pas ça le pire. Il était habitué à faire une ou deux bêtises de temps en temps. Il pourrait prendre sur lui. Mais c’était aussi le plus beau jour de la vie de Victoire, et ça, il ne pouvait pas le gâcher. Il fallait que tout se passe bien, parce qu’elle en avait rêvé de ce jour. Lui aussi, bien entendu, mais Victoire s’était montrée particulièrement passionnée dans l’organisation de cette journée. Alors pour elle, Teddy voulait faire en sorte que, pour une fois, tout se passe comme prévu. Que tout soit parfait.

        Parce qu’un mariage, ça n’arrive pas tous les quatre matins.

 

        Il ne se doutait pas, au moment où il avait réalisé qu’il voulait passer le reste de sa vie en compagnie de Victoire, que ce serait la source d’autant d’anxiété. Près de dix mois auparavant, vers la fin du mois de juin, Victoire et lui avaient passé un dimanche fabuleux en Irlande, à transplaner d’un paysage paradisiaque à l’autre. Le midi, ils avaient pique-niqué au sommet de la chaussée des géants. Le soir en revanche, ils avaient dîné dans un petit restaurant miteux dans une ville moldue. La qualité de la nourriture avait été plus que discutable. Mais, en se rendant compte que le moment était tout de même magnifique en compagnie de Victoire, Teddy avait réalisé.

        La semaine suivante, il avait passé l’intégralité de son temps libre à faire toutes les bijouteries magiques possibles pour trouver la bague parfaite. Il s’était même rendu jusqu’à Paris. Dans un petit magasin moldu, il avait trouvé une petite bague, très laide. Elle était en bois d’ébène, et ressemblait plus à un écrou qu’à une alliance. Elle avait même une petite fissure sur un côté.

        C’était parfait. Un fil rouge extrêmement fin faisait le contour de la bague. Ce fil rouge représentait leur couple. Plusieurs années auparavant, quand Victoire était en fin de sixième année à Poudlard, durant les vacances de Pâques, elle s’entraînait très dur pour ses examens. Elle devait obtenir de très bons résultats pour pouvoir accéder à la formation à Ste Mangouste après ses ASPICs. Elle avait demandé de l’aide à Teddy pour préparer l’épreuve de métamorphose. Le but était de faire disparaître une pelote de fil rouge. Mais le fil rouge, apparemment, en avait décidé autrement, et s’était agité à toute vitesse, et s’était emmêlé dans les cheveux de Victoire. C’est le fou rire qui avait suivi qui les avait font tomber amoureux l’un de l’autre.

        Teddy était donc revenu chez eux, le soir, avec l’horrible petite bague noire dans sa poche. Mais au moment où il allait faire sa demande, Victoire s’était levée, et lui avait demandé de l’épouser. Elle lui avait alors présenté une bague absolument identique à celle qu’il avait achetée. En première réaction, Teddy était tellement abasourdi qu’il avait éclaté de rire. Victoire était indignée et profondément vexée. Mais Teddy avait alors sorti la bague qu’il avait achetée de sa poche, et tous les deux avaient continué à rire ensemble en voyant leurs bagues identiques. Puis, d’un coup, ils avaient dit « Oui » à l’unisson, et s’étaient jetés dans les bras de l’autre.

        Ce moment de pur bonheur lui semblait être à des années-lumière. Là, tout seul debout face à tous ces gens, il se demandait bien pourquoi il était nécessaire de passer par la case torture psychologique pour accéder au reste de sa vie commune avec Victoire. Teddy essayait de ne croiser le regard de personne, et pour cela, il ne devait regarder personne, puisque tout le monde le regardait. Il essayait aussi de ne pas entendre ce que les gens disaient de lui, ce qui était plus facile étant donné que le brouhaha global rendait les paroles individuelles indiscernables.

        Cela devait faire deux bonnes minutes que Teddy attendait debout sur cette estrade, tout seul, mais cela lui semblait beaucoup plus. Alors, quand il aperçut enfin Lumy traverser les rangées de sièges en sa direction avec des petits pas précipités, il fût soulagé.

— Tu foutais quoi ?! marmonna Teddy sur un ton de reproche quand son ami arriva à son niveau. Ça fait des heures que j’suis planté ici comme un radis !

— Oh, la ferme, je suis parti il y a à peine deux minutes, répliqua Lumy d’un air moqueur.

— Deux minutes c’est déjà énorme quand t’es tout seul devant plein de gens !

— Eh, t’es prof je te rappelle ! Être debout devant plein de gens, c’est ton boulot !

— Mais ça n’a rien à voir ! À Poudlard, je…

        Il fût interrompu par le bruit des raclements de chaises quand tout le monde dans l’audience se leva et se tourna en direction du chapiteau. Teddy se redressa d’un coup, et fusilla Lumy du regard.

— Tu pouvais pas me prévenir qu’elle arrivait ? chuchota-t-il d’un air paniqué.

— J’ai pas eu le temps, tu m’as directement agressé ! protesta Lumy.

        Teddy afficha un grand sourire en regardant sa grand-mère avancer vers lui en compagnie de sa future belle-mère Fleur, tout en donnant discrètement un coup de coude dans les côtes de Lumy.

        Il reçut à son tour un coup de coude au moment où tout le monde se mit à applaudir. Son futur beau-père Bill venait d’entrer dans le chapiteau, et il tenait à son bras sa magnifique fille aînée. Victoire regarda Teddy dans les yeux, et sourit. Ignorant la douleur dans ses côtes, ce dernier sourit à son tour. Elle était vraiment magnifique. Au fur et à mesure que Victoire approchait, Teddy sentit le sortilège d’imperméabilité de ses vêtements mourir au combat.

        Arrivé à sa hauteur, Bill serra chaleureusement sa main, puis s’écarta pour laisser Victoire se placer devant lui.

        Victoire lui adressa un sourire narquois et un petit haussement de sourcil que Teddy interpréta comme signifiant « Pas mal, ta femme, hein ? », et il éclata de rire tout seul. Victoire rit à son tour, mais il était fort probable que ça soit plus par pitié pour lui que par amusement.

        Teddy sursauta quand le mage qui devait les unir commença à prononcer son discours. Il n’avait même pas remarqué qu’il était arrivé. Mais il n’écouta pas. Il plongea son regard et ses pensées vers sa promise, souriant bêtement pendant l’intégralité de la cérémonie. Il avait probablement l’air idiot, mais cela ne le préoccupait plus. Sans même prêter attention au mage, il répondit « Oui » quand ce fût requis, et observa Victoire répondre « Oui » à son tour. Après quelques paroles inaudibles du mage, ils s’embrassèrent. À ce moment, tout devint encore plus flou. Teddy eut vaguement l’impression d’entendre des applaudissements, mais il n’en était pas certain. Leur baiser passionné semblait avoir arrêté le temps et l’espace. Ils étaient seuls, tous les deux, pendant des heures et des heures. Le monde extérieur avait disparu. Plus rien n’existait à part eux. Peu à peu, Teddy sembla entrer dans un sommeil profond.

Quand il retrouva connaissance, Teddy était en train d’enlacer Bill. Il avait l’impression d’avoir bu deux litres de Whisky-pur-feu. Il s’était écoulé plusieurs minutes, le mage s’était écarté, et tout le monde s’était levé pour venir les féliciter.

        Encore ivre des évènements, Teddy ne fût pas tellement conscient des personnes qui venaient lui serrer la main ou le prendre dans leurs bras, mais il se promit d’adresser plus tard à chacune de ces personnes un remerciement digne de ce nom. Son sourire résistait encore et toujours, si bien qu’il en avait mal aux joues. Mais il ne se sentait pas idiot, car Victoire souriait tout autant.

 

*       *       *

 

Teddy eut l’impression d’être absent de son propre corps pendant le repas qui suivit la cérémonie. Il avait la sensation d’être en pilotage automatique. À la table d’honneur circulaire, il était évidemment assis à côté de sa tendre Victoire. À sa gauche, il y avait son témoin Lumy.

        Kirlum Swaly, surnommé Lumy, était son meilleur ami depuis son entrée à Poudlard, onze ans plus tôt. Tous les deux avaient été envoyés à Poufsouffle, et ils avaient passé leur scolarité ensemble. Lumy était très énergique, voire presque hyperactif, mais surtout, qu’est-ce qu’il était drôle. Lui et Teddy avaient passé les sept années tous les deux, sans vraiment se préoccuper des autres, ni même des cours. Ils imaginaient des jeux, des activités, des discussions, des projets. Au cours de leur dernière année, ils avaient eu l’idée de lancer une entreprise fabriquant des ustensiles ménagers magiques pouvant aider les personnes ne maîtrisant pas beaucoup les sortilèges de foyer. L’entreprise avait plutôt bien fonctionné, mais même si Teddy adorait travailler avec son ami, l’activité en elle-même ne le comblait pas tant. Quand l’opportunité d’un poste de professeur à Poudlard s’était présentée, il avait donc tenté sa chance, et laissé les rennes de leur entreprise à Lumy. Ce dernier ne l’avait pas mal pris du tout, même s’il avait été peu triste.

        À gauche de Lumy, il y avait Andromeda Tonks, la grand-mère de Teddy, que ce dernier aimait profondément. Mère de sa défunte mère, c’était elle qui l’avait élevé. Enfin, avec l’aide de son parrain Harry Potter, bien entendu.

        Harry était assis en compagnie de sa femme Ginny, et tous les deux discutaient allègrement avec Andromeda. Dès qu’il croisait le regard du grand et célèbre Harry Potter, Lumy se ratatinait sur sa chaise. Cela faisait pourtant au moins cinq ans qu’ils se connaissaient.

        À la gauche de Ginny étaient assis Bill et Fleur, les parents de Victoire. D’après Lumy, les relations avec les beaux-parents étaient souvent tendues, mais Teddy les connaissait depuis sa naissance. Pour lui, ils étaient comme l’oncle et la tante cools, mis à part le fait que Teddy pouvait se permettre de fréquenter leur fille. « C’est encore pire ! » lui avait dit Lumy. « Imagine leur réaction quand ils apprendront que tu sors avec leur fille, que tu as connu depuis qu’elle est bébé, que tu as vu grandir ! ». Influençable, Teddy avait donc supplié Victoire de ne rien dire à ses parents au début de leur relation. Malheureusement, au bout de quelques mois, ils avaient été surpris par leur cousin James, qui avait évidemment tout cafté au reste de la famille. À Noël, Bill était venu leur parler pour le dire que tout le monde était au courant. Et, en voyant que Teddy était sur le point de décéder de honte, il avait ajouté que tout le monde était ravi, lui compris. Même avec ça, Teddy avait eu du mal à regarder Bill dans les yeux pendant quelques semaines. Mais aujourd’hui, tout allait bien.

        Enfin, entre Fleur et Victoire, il y avait l’amie et témoin de la mariée, Déméter. De même que Teddy et Lumy, Victoire et Déméter avaient passé leur scolarité ensemble à Poudlard. Teddy aimait beaucoup Déméter, et Déméter trouvait que Teddy était la meilleure chose qui soit arrivée à Victoire. « T’étais complètement paumée avant Teddy, ma pauvre » disait-elle souvent, ce à quoi Victoire répondait par une torgnole bien placée. En revanche, Déméter et Lumy se détestaient. Ou au moins semblaient se détester. Victoire et Teddy les soupçonnaient d’entretenir secrètement une relation amoureuse.

        Quand le dessert fût annoncé, Teddy s’attendit à ce que Lumy se lève pour faire un discours, comme le voulait la tradition. Mais contre toute attente, ce fût Harry qui se leva. Il attira l’attention de tout le monde en tapant sa cuiller contre son verre.

— Mesdames, messieurs, commença-t-il. Permettez-moi de me présenter, je suis Harry Potter.

        Quelques rires s’élevèrent tandis que Ginny lui lança un regard d’exaspération amusé.

— Vous le savez probablement déjà, mais Edward ici présent est mon filleul. Mon p’tit Teddy.

        Harry regarda Teddy droit dans les yeux.

— Sa mère Nymphadora – enfin, Tonks ! Il ne fallait surtout pas l’appeler Nymphadora – bref, sa mère Tonks et son père Remus se sont rencontrés dans les rangs de l’Ordre du Phénix, au début de la deuxième guerre des sorciers. En fait, leur toute première mission tous les deux a été de me transporter en toute sécurité jusqu’au quartier général de l’Ordre. Je peux donc légitimement dire que j’étais présent lors de leur premier rencard.

        Teddy rit avec les autres. Il connaissait cette histoire, Harry lui avait raconté des dizaines de fois, mais il l’aimait beaucoup.

— Tandis que la guerre faisait rage, poursuivit Harry, que les ténèbres envahissaient notre monde, Remus et Tonks vivaient leur belle histoire d’amour. Pour nous autres, la vie était un enfer. Des proches mourraient, nous vivions dans la peur. Puis, quelque chose d’immense, de magnifique, est venu ponctuer cette noirceur d’une lueur d’espoir. Un bébé. Teddy. Nommé ainsi en honneur à Ted Tonks, son grand-père. Durant ces temps si sombres, un bébé paraissait absurde. Pourtant, ce bébé représentait la génération suivante, celle qui allait succéder au règne des ténèbres. Teddy, tes parents m’ont demandé de devenir ton parrain, et j’ai tout de suite accepté. C’est pour toi que moi et tous les autres nous sommes battus sans répit pour retrouver la paix. Pour toi. Pour toi et les autres bébés à naître. Pour vous.

        Les larmes commençaient à monter dans les yeux de Teddy. C’était probablement le cas de beaucoup de gens, vu le silence complet. Enfin, pas le silence complet : ce bon vieux Hagrid se mouchait en tonnant comme un trombone à coulisse.

— La guerre enfin terminée, la première chose que j’ai faite, c’est te rencontrer. La guerre avait à nouveau laissé un bébé orphelin. Mais cette fois-ci, il ne serait pas seul. Je me suis juré que tu ne grandirais pas à l’écart. Et, évidemment, ça n’a pas été le cas. Ta merveilleuse grand-mère a fait de toi l’incroyable personne que tu es aujourd’hui. Te voir grandir, et participer à ton éducation, a été l’un des plus grands plaisirs, des plus grands honneurs de ma vie, au même titre que mes propres enfants. Tu es le parrain de ma fille, mais en réalité dans nos cœurs, tu es aussi son grand frère, comme tu es le grand frère d’Albus et de James.

        La voix de Harry était un peu trouble. Teddy avait du mal à maintenir son regard, Andromeda pleurait silencieusement.

— Tu le sais déjà, mais à mes yeux tu es aussi mon fils, Teddy. Tu es notre fils, à Ginny et à moi.

        Ginny acquiesça, les larmes à l’œil, et Teddy ne pût se retenir. Il lâcha un sanglot, et se leva pour étreindre son très cher parrain. Quelque part sous le chapiteau, il entendit George siffler et lancer les applaudissements. Quand Teddy fût rassis et le chapiteau silencieux à nouveau, Harry sécha ses yeux d’un revers de manche et termina son discours.

— Malheureusement, très peu d’entre nous avaient pu assister au mariage de tes parents. Mais ce mariage-ci, cette union de leur famille et de la nôtre, est un hommage. Une preuve que leur sacrifice est loin d’avoir été vain, que leur amour perdurera à tout jamais. À Victoire et Teddy !

— À Victoire et Teddy ! répéta tout le monde en chœur.

— Je laisse à présent la parole au témoin, Lumy, qui je l’espère parviendra à rehausser l’ambiance que j’ai parfaitement plombée. Bonne soirée à tous.

        Sous les applaudissements, Lumy se leva à son tour, blanc comme un linge. Teddy savait pourquoi il était angoissé : il allait prononcer un discours devant plusieurs dizaines de héros de guerre, un discours qui allait suivre celui du grand Harry Potter. Il y avait de quoi être blanc comme un linge. Lumy se racla la gorge.

— Bonsoir, je… je m’appelle Kirlum Swaly, et c’est grâce à moi si vous êtes ici ce soir.

        Devant le regard interloqué de Victoire et Teddy, Lumy reprit.

— Voyez-vous, Teddy m’a dit qu’il avait eu l’idée de demander la main de Victoire lors d’un pique-nique à la chaussée des géants. Déméter ici présente m’a confirmé que Victoire s’était dit la même chose au même moment. Mais si Teddy a eu l’idée d’aller pique-niquer à la chaussée des géants, c’est parce que je lui ai conseillé. En effet, j’y étais allé moi-même, en compagnie de ma copine de l’époque, à peine une semaine plus tôt.

        Teddy avait oublié ce détail, mais c’était quand même tiré par les cheveux. Lumy sembla lire dans ses pensées.

— Mais là, vous vous dites que l’idée leur serait tout de même venue par eux-mêmes plus tard, et vous avez raison. Mais tenez-vous bien : c’est grâce à moi si Teddy et Victoire ont commencé à sortir ensemble.

        Cette fois-ci, Teddy ne voyait pas du tout le rapport. Ils avaient commencé à se fréquenter lors d’un entraînement en métamorphose.

— Je pense que peu d’entre vous le savent, mais Teddy et Victoire sont tombés amoureux l’un de l’autre le 27 avril 2017. Oui, il y a exactement quatre ans, jour pour jour. Et oui, bien avant que vous ne soyez au courant, ajouta-t-il en voyant le regard interrogateur de Bill et Fleur.

        Quand Bill tourna les yeux vers Teddy, ce dernier rougit comme une tomate. Fleur lui adressa un sourire exaspéré.

— Victoire avait demandé à Teddy de l’aider à s’entraîner avant un examen de métamorphose. D’ailleurs, si vous voulez mon avis, je doute qu’il y ait eu beaucoup d’entraînement ce jour-là…

        Quand les rires s’élevèrent de l’audience, ce fût le visage de Victoire qui devint cramoisi, et Teddy s’effondra sur sa table, ce qui fit encore plus rire les autres. Quand il osa enfin relever la tête, il fût soulagé en remarquant que Bill et Fleur riaient avec les autres.

— Bref, la raison pour laquelle Victoire a demandé de l’aide à Teddy, c’est parce qu’elle n’a pas pu demander à Déméter, à qui elle demande habituellement de l’aide. Déméter était à l’infirmerie durant les deux semaines entières avant les vacances de Pâques. Tu te souviens pourquoi, Victoire ?

        Victoire le fusilla du regard.

— Parce que… répondit-elle en évitant le regard de ses parents, parce qu’elle avait bu du l’hydromel périmé…

— Et pourquoi avait-elle bu de l’hydromel ?

— Parce qu’elle et moi avions fait le mur de Poudlard pour aller… heu… faire la fête… à la Tête de Sanglier…

        Teddy éclata de rire en même temps que les autres, notamment en voyant l’air surpris du professeur McGonagall, et le regard choqué de Filius. Déméter riait aussi, mais Victoire avait le visage enfoui dans ses mains.

— Maintenant, peu d’entre vous le savent, mais je gère une entreprise d’ustensiles ménagers magiques. La Tête de Sanglier ayant récemment changé de propriétaire, j’ai fourni le pub en ustensiles divers et variés. Tu te souviens de cette commande, Teddy ?

        Ce dernier acquiesça.

— Tu te rappelles ce que nous avons fait tous les deux la veille de la livraison ?

        Teddy se creusa les méninges, puis se redressa d’un seul coup en se souvenant. Non, il n’allait tout de même pas raconter cela…

— Aah, il se souvient ! plaisanta Lumy en voyant la réaction de Teddy.

        La chevelure cyan de Teddy devint rouge foncé, presque bordeaux, ce qui fit rire tout le monde.

— Cette commande nous avait pris plusieurs semaines de dur labeur à fabriquer, expliqua Lumy. Quand nous avons enfin fini, et quand nous savions qu’un gros sac de gallions allait rentrer dans la caisse, nous avons décidé de… décompresser un peu ! Pas vrai, Teddy ?

        Teddy lui lança un regard mortel.

— Vas-y, raconte ! Qu’on en finisse…

— Très bien ! Teddy et moi avons organisé une énorme fête dans l’entrepôt, il y avait plein de sorciers et de sorcières, hein Ding ? – Lumy salua Mondigus Fletcher d’un geste de la main – mais aussi des vélanes, quelques gobelins, des elfes de maison, deux centaures, et même une harpie ! Ah, quelle soirée !

        Teddy ressentait chacun des rires comme un coup de couteau dans l’estomac.

— Ce que je ne t’ai jamais dit, Teddy, c’est que pendant que tu étais allé faire une balade à dos de centaure en beuglant du Celestina Moldubec, et bien une des vélanes et moi nous sommes servis du tout nouveau trieur de bouteille… disons… de façon non conventionnelle…

        Teddy croisa le regard de Victoire. Comme lui, elle était à moitié choquée, à moitié amusée. Ils n’osaient même pas imaginer la façon dont ils s’étaient servis du trieur de bouteille.

— Évidemment, on l’a cassé, et évidemment, le lendemain, j’ai oublié de le réparer avant de faire la livraison. Donc ! Si je résume : sans moi, pas de trieur cassé, pas d’hydromel périmé servi par erreur, pas d’infirmerie pendant deux semaines, pas de cours particulier, et donc pas de « cours particuliers » (il mima les guillemets avec les doigts) si vous voyez ce que je veux dire…

        Alors que tout le monde éclata de rire, Teddy lança sa serviette au visage de Lumy.

— Bien ! reprit Lumy. Pour conclure, nous sommes évidemment tous très fiers de voir ces deux nigauds tomber dans les bras de l’autre, mais n’oublions pas de me remercier ! 

        L’audience applaudit à tout rompre. Teddy avait envie de mourir, et d’après le regard que lui lançait Victoire, elle n’était pas à l’aise non plus. Il se força à se lever et à enlacer Lumy, et il lui glissa dans l’oreille « Je vais me venger. Je vais me venger très très fort ». En guise de réponse, Lumy lui donna une grande claque dans le dos et Teddy retomba sur sa chaise.

        Il fût encore plus insoutenable que cette anecdote humiliante soit suivie par le tour des tables pour les remerciements. Teddy et Victoire durent subir les regards moqueurs de chacune des personnes qui s’étaient déplacés pour les voir.

        Ils commencèrent par la table composée de tous les cousins Weasley – ses vrais cousins désormais, se dit Teddy – à savoir Dominique et Louis, la sœur et le frère de Victoire, puis Molly, Lucy, Freddie, Roxanne, James, Albus, Lily – sa filleule – Rose et Hugo.

        La seconde table était formée du reste de la famille Weasley élargie : Molly et Arthur – les grands-parents de Victoire –, Charlie, Percy et Audrey, George et Angelina, Ron et Hermione.

        Autour de la troisième étaient assis les membres de la famille Delacour : Victor et Apolline – les autres grands-parents de Victoire -, Gabrielle et son mari, ainsi que quatre autres membres de la famille éloignée.

        Les trois tables suivantes était consacrée à leurs anciens camarades de Poudlard, et les deux suivantes aux collègues de Victoire à Ste Mangouste.

        Les collègues de Teddy à Poudlard étaient répartis sur deux tables. Il y avait le professeur McGonagall, Filius et sa femme, Neville et Hannah, Brendan Lecreuset – professeur de potions – et son mari, Aurora Sinistra, Josef Williamson – professeur de défense contre les forces du mal – et son épouse, la professeur fantôme d’arithmancie Septima Vector, Bathsheba Babbling qui avait obtenu le poste de professeur d’étude de runes la même année que Teddy, Margaret Bell – étude des moldus – et son mari, et bien évidemment ce bon vieux Hagrid, qui était venu avec sa compagne Olympe.

        La main que tendit Teddy au professeur McGonagall était moite. S’il avait su que Lumy ferait un tel discours, il n’aurait jamais invité la directrice de Poudlard. Filius, lui, était tout euphorique, et se jeta dans les bras de Teddy en couinant « Félicitations, mon garçon ! ».

        Quand Teddy et Victoire eurent terminé de se faire écraser les vertèbres par Hagrid, ils se dirigèrent vers les dernières tables composées de connaissances plus lointaines, notamment Mondigus Fletcher.

        Le reste de la soirée fût magique. Le dessert, une énorme pièce montée sur laquelle dansaient un loup en chocolat et une vélane en pâte d’amande, était délicieux. Quand les tables furent écartées pour laisser place à la piste de danse, Teddy n’était plus angoissé. La partie danse, il maîtrisait. Victoire et lui s’étaient entraînés, et ils surprirent tout le monde en exécutant des pas de rock avec grande virtuosité. La première danse ainsi effectuée, tous les autres les rejoignirent sur la piste.

 

*       *       *

Vers deux heures du matin, Teddy, exténué et suant comme un buffle (le sortilège d’imperméabilité était définitivement éteint depuis des lustres), sortit du chapiteau pour prendre un peu l’air. L’odeur du jardin où il avait passé de très nombreux week-ends depuis tout petit remplaça celle de sueur qui empestait sous le chapiteau. Teddy se dirigea vers une petite mare et s’assit sur le sol. Il écoutait les grillons hurler et les grenouilles coasser. Plus loin, la silhouette familière du Terrier se découpait au milieu de la Voie Lactée. C’était paisible. C’était magnifique.

        Au bout de quelques minutes, il entendit des pas derrière lui, et sentit quelqu’un s’asseoir juste à côté de lui. Il ne tourna pas la tête. Il n’en avait pas besoin, il avait reconnu l’odeur de son shampooing à la lavande. Il laissa Victoire poser sa tête sur son épaule. Tous les deux regardèrent en direction de la pleine lune. Puis, Victoire le serra avec son bras droit.

— Alors, comment ça va, mari ? dit-elle doucement.

        Teddy réalisa que tous les deux n’avaient même pas eu le temps d’avoir une conversation correcte depuis la cérémonie. Il plaça son bras gauche autour de la taille de son épouse.

— Je crois que j’ai jamais été aussi heureux, répondit-il en chuchotant.

        Il tourna son regard vers elle et contempla le large sourire qui s’était dessiné sur son visage.

— Je crois que j’ai jamais été aussi fatiguée, plaisanta-t-elle.

        Teddy rit avec elle.

— C’est vrai qu’on a pas arrêté. Mais, en fait, c’est même pas cette soirée en elle-même qui me rend heureux. C’est de me dire qu’à partir de maintenant, c’est toi et moi. Pour toujours.

        En temps normal, quand Teddy sortait ce genre de déclaration niaise et vaseuse, Victoire prenait bien soin de se moquer de lui. Mais cette fois, en guise de réponse elle posa ses lèvres sur les siennes. Ils se séparèrent au bout de quelques minutes, ou quelques siècle, Teddy n’était pas sûr.

— Au fait, t’as même pas remarqué ! s’écria Victoire.

— Hein ? Quoi ?

— Que penses-tu de ma coiffure ? fit-elle d’un air parfaitement innocent.

        Quand Teddy remarqua le fil rouge qui lézardait comme une guirlande dans sa chevelure flamboyante, il eût un pincement au cœur. Elle était vraiment parfaite, Victoire.

— T’es vraiment parfaite, Victoire.

 

        Et la lumière de la lune sembla soudain disparaître derrière le sourire étincelant de sa femme.


Laisser un commentaire ?