La mort est une fin heureuse

Chapitre 5 : Nouvelle lune

5076 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/02/2024 21:33

Harry, Juin 2020.

 

        Harry se réveilla brusquement au son de son miroir qui vibrait sur sa table de chevet. Il regarda son réveil. Il était trois heures du matin. Il connaissait la raison de cet appel, et cela lui donna la nausée.

        En effet, c’était la dixième fois en six mois qu’Harry recevait ce genre d’appel nocturne. Et tous avaient été pour la même raison : quelqu’un avait été retrouvé mort, quelque part, et les Aurors faisant partie de l’unité spécialement créée pour ces meurtres en série, menée par Owen, ne trouvaient absolument rien, alors ils appelaient Harry.

        Depuis le meurtre de Cranston Dickett au mois de novembre, il y avait eu dix autres cas similaires. À chaque fois, même avec l’intervention de Harry, personne ne trouvait aucune piste. Mis à part l’Avada Kedavra, il n’y avait absolument aucune empreinte magique. Il n’y avait jamais aucun témoin, aucun suspect, aucun mobile. Enfin, presque.

        Le seul lien que Harry avait réussi à établir entre ces victimes, c’était leur relation avec le monde moldu. Sur les onze, cinq étaient nés moldus, comme Cranston Dickett, trois avaient épousé un moldu ou une moldue, deux étaient très proches de leurs amis moldus, et une avait une fille cracmolle.

        Au début, Harry s’était efforcé de prendre cela comme des coïncidences, mais au bout du cinquième meurtre, il avait dû s’y résoudre : quelqu’un voulait du mal aux sorciers proches de moldus. Un sorcier, qui plus est, au vu de l’Avada Kedavra, voire même plusieurs sorciers ou sorcières.

        Harry s’était demandé bien souvent si ce n’était pas une remontée de cette manie du sang pur qui avait motivé de nombreux actes criminels dans les années passées. Il avait même interrogé d’anciens Mangemorts, ceux en liberté et ceux à Azkaban. Mais ceux qui étaient en prison l’étaient à perpétuité, et ce depuis plus de vingt ans, ils ne savaient donc rien du tout. Quant à ceux qui étaient en liberté, ils avaient essayé de se faire remarquer le moins possible, afin de se réinsérer dans la société.

        C’est en tout cas ce que lui avait dit le vieux Lucius Malefoy, lorsqu’Harry était allé l’interroger dans sa petite maison en France. Cette conversation, qui datait du mois d’avril précédent, n’avait pas été des plus agréables.

— On vient tourmenter ses anciens ennemis ? lui avait lancé Lucius, avant même de savoir de quoi il s’agissait.

— Lucius Malefoy, avait répondu Harry avec froideur, la retraite se passe comme vous voulez ?

Narcissa, épouse de Lucius, était arrivée quelques instants après. Elle et Harry avaient échangé un simple regard de salutations polies.

— Qu’est-ce que tu nous veux ? avait demandé Lucius.

— Simplement vous poser des questions. Il y a eu des meurtres en Angleterre, récemment, à l’encontre de sorciers ayant d’étroites relations avec le monde moldu.

— Je vois, avait répondu froidement Lucius. Dès qu’il s’agit de crimes de sang, les anciens Mangemorts sont les premiers suspects. 

— Il n’est pas question de vous suspecter, juste de vous poser des questions sur…

— Tu crois peut-être que nous avons gardé contact avec nos petits amis cagoulés ? Que nous prenons l’apéro tous les dimanches avec les Lestrange ?

— Bien sûr que non, je dis simplement que…

— Nous sommes conscients de la chance que nous avons eue, était intervenue Narcissa. Nous avons perdu notre argent, notre manoir, nos titres et notre réputation. Mais nous avons toujours notre fils, et sa famille. Nous ne sommes pas aussi misérables que tu le penses. Nous avons tourné la page.

— Je le sais bien, avait assuré Harry. J’ai eu l’occasion de travailler avec votre fils par le passé. Il a tourné la page. Les Goyle ont tourné la page. Les Crabbe, les Avery, les Nott, toutes les familles des anciens Mangemorts se sont faites discrètes depuis plus de vingt ans. Je ne suis pas là pour vous porter jugement pour vos actes passés, vous savez déjà pertinemment ce que j’en pense. C’est seulement parce que nous n’avons pas de pistes concrètes que nous nous penchons vers d’anciennes sources. Des idées, des doutes, des ébauches de pistes ? Nous en aurions désespérément besoin.

Lucius avait regardé Harry droit dans les yeux pendant quelques instants. Harry y avait vu des regrets, de la colère, et peut-être un peu de satisfaction de le voir patiner ainsi. Puis, Lucius avait répondu, un peu plus docilement.

— Nous avons coupé contact avec absolument toutes nos connaissances, il y a vingt ans. Sans aucune exception. Et nous n’avons fait ami-ami avec personne d’autre depuis. Si votre coupable n’est pas un ancien Mangemort, alors je n’ai aucune autre piste pour toi. Désolé. Alors maintenant file d’ici. Je ne prends aucun plaisir à me confronter avec mes erreurs du passé.

Harry leur avait alors adressé un signe de tête et s’en était allé. Les Malefoy avaient été les derniers qu’il avait interrogés. Et, comme les autres, ils ne lui avaient donné aucune piste.

 

        En plus d’une enquête complètement infructueuse, Harry aussi avait dû s’occuper des conséquences de ces meurtres. Deux semaines après le meurtre de Cranston Dickett, sa sœur moldue Karen avait débarqué au bureau des Aurors pour exiger des explications. Apparemment, elle était déjà venue au ministère la semaine d’avant lorsque qu’on lui avait confié la garde de son neveu Pravin. Elle était effondrée de la mort de son frère, et c’était parfaitement visible sur son visage et son comportement. Elle avait presque effrayé Harry. Mais ce dernier avait dû lui avouer qu’il ne savait rien sur la mort de son frère. Elle était revenue plusieurs fois, toutes les deux semaines, pour s’entendre dire à chaque fois la même chose. Les proches de deux autres victimes se sont mis à faire la même chose, et, inévitablement, ils se sont retrouvés à râler en même temps. Karen Dickett avait explosé, et dénoncé l’incapacité des « flics sorciers » à lui dire qui avait tué son frère, ainsi que leur inaction et leur nonchalance. Harry avait dû appeler la sécurité pour les faire sortir. Il ne les avait pas revus depuis.

        Cela avait quand même fait réfléchir Harry, et il n’avait pas pu s’empêcher de penser qu’elle avait peut-être raison. Inaction ? Non, sûrement pas, lui et ses Aurors avaient exploité toutes les possibilités jusque dans les moindres recoins. Mais incapacité ? Peut-être…

        Néanmoins, il avait pris l’initiative d’alerter la presse, qui avait fait passer le message aux sorciers proches des moldus de faire particulièrement attention à eux.

 

*       *       *

 

         C’est donc angoissé qu’il se réveilla, cette nuit-là, en sachant pertinemment ce qu’il allait découvrir : un nouveau meurtre qu’il n’allait pas réussir à résoudre. Une nouvelle occasion de donner raison à Karen Dickett.

        Harry se leva précipitamment, saisit son miroir et l’emporta hors de la chambre pour ne pas réveiller Ginny. Il l’entendit simplement se retourner dans son sommeil. Arrivé dans la salle de bains, il décrocha, et aperçut le visage d’Augustin Dolohov, qui était de garde au bureau pour la nuit.

        N’attendant même pas d’entendre prononcer les mots qu’il redoutait, Harry prit directement la parole.

— Où ça ?

Pris de cours, Augustin ouvrit la bouche sans rien dire, puis sembla comprendre, et répondit.

— Ah, non, ce n’est pas comme les autres fois.

— Vraiment ? s’écria Harry, rassuré.

— Oui, mais bon il n’y a pas de quoi se réjouir non plus, répliqua Augustin d’un air sombre.

— Raconte-moi.

— C’est bien simple : une jeune fille de neuf ans vient d’être admise à Ste Mangouste. Elle s’est faite mordre par un loup-garou.

Les entrailles de Harry se contractèrent. Décidément, tout était bizarre, ces temps-ci. Il soupira.

— J’arrive, répondit-il d’un air grave. Réveille Owen et Seamus. Dis à Seamus de prendre la relève de ta garde, je vous veux toi et Owen avec moi à Ste Mangouste dans dix minutes.

Il vit Augustin acquiescer, puis raccrocha. Il appela ses vêtements d’un sortilège d’attraction tout en descendant dans la cuisine boire rapidement un café. Il sauta dans sa robe, laissa un mot à Ginny sur la table, et fila dans la cheminée.

 

*       *       *

 

        Harry débarqua en trombe dans le hall de l’hôpital Ste Mangouste, et se précipita au premier étage sans adresser la parole à personne. Il entendit des bruits d’agitation qui provenaient de la salle Hippocrate Smethwyck. Il courut vers les bruits, et entra dans la salle.

Une demi-douzaine de guérisseurs entourait un unique lit. Harry ne put pas distinguer la petite fille qui était allongée. Il vit sa nièce Victoire Weasley, qui n’était encore qu’en apprentissage, et qui s’était volontairement écartée pour laisser place aux experts. Il vit aussi un couple qui se tenait à l’écart, mais qui observait la scène avec attention. Les parents. La mère pleurait sur l’épaule de son mari, et ce dernier la serrait dans ses bras tout en essayant de suivre ce que faisaient les guérisseurs.

Harry décida d’attendre l’arrivée d’Owen et d’Augustin avant d’intervenir, mais Victoire le repéra, et se dirigea vers lui, suivie par les deux parents.

— Harry ! s’exclama Victoire. Qu’est-ce que tu fais ici ?

— Ha… Harry Potter ? balbutia le père. Vous venez ici en personne ? Ma fille doit être en grand danger, ajouta-t-il d’un rire jaune, tandis que sa femme laissa échapper un sanglot.

— Bonjour monsieur, madame, salut Victoire, je ne veux absolument pas vous affoler, ne vous en faites pas, ma présence ne reflète pas la gravité de l’état de votre fille…

— Je… je ne comprends pas, dit le père en se tournant vers Victoire, pourquoi avoir appelé le bureau des Aurors pour une affaire de morsure de loup-garou ?

— Je ne sais pas, répondit-elle, ce n’est pas moi qui les ai contactés, je ne comprends pas non plus.

— Notre fille est-elle plus en danger qu’on ne le pense ? s’affola la mère d’un seul coup.

— Non, ne vous inquiétez pas, intervint Harry, laissez-moi vous expliquer. Le seul danger dans lequel est votre fille, c’est sa santé actuelle. Et je suis sûr qu’elle s’en tirera, ces guérisseurs sont des experts. Non, je suis ici pour une autre raison. Voyez-vous, voilà maintenant huit ans que la nouvelle potion Tue-Loup de l’entreprise Malefoy fait des miracles, que non seulement elle empêche dans quatre-vingt-dix-sept pourcents des cas la transformation durant les nuits de pleine lune, mais qu’en plus elle a complètement éradiqué l’aspect contagieux. De plus, elle a été rendue obligatoire par le ministère. Cela fait donc huit ans que la transmission de la lycanthropie est impossible, et huit ans que nous n’avions pas eu de nouveaux loups-garous.

— Mais… cela veut dire qu’elle n’a pas été contaminée ? demanda le père en jetant un coup d’œil au lit de sa fille.

— Si, répondit Harry sans le ménager. Si ce n’était qu’une simple morsure comme celle d’un chien, il n’y aurait pas autant de guérisseurs autour de son lit, et on ne m’aurait pas appelé.

— Mais vous venez de dire que…

— Justement. S’il y a eu contagion, c’est que quelqu’un a omis de prendre sa potion. Or, la lycanthropie est un véritable fléau chez les sorciers, il est donc très probable que cette omission soit délibérée. Votre fille est peut-être une victime préméditée. Cela veut dire qu’il y a un loup-garou tueur en liberté. C’est pour cela qu’on m’a appelé. Il y a six ans, nous avons demandé au personnel de Ste Mangouste de nous contacter directement en cas de contagion.

À ces mots, Victoire fit une moue de dégoût, et les parents, troublés et terrifiés, le visage devenu vert, firent aussitôt volte-face pour voir leur fille. Harry s’en voulut de leur avoir parlé aussi franchement. Il pensa après coup que ce discours n’aurait pas dû être prononcé aux parents de la victime. La diplomatie n’avait jamais été son fort.

        Derrière-lui, Harry vit Owen et Augustin débarquer dans la salle. Harry leur expliqua ce qu’il venait de dire aux parents, puis s’adressa à Victoire.

— Comment ça se fait que tu te sois faite embarquer là-dedans ? demanda-t-il. Je ne pensais pas qu’ils confieraient une affaire aussi rare et périlleuse à une apprentie…

— Ils ne m’ont rien confié, confirma Victoire, j’étais juste en train de passer dans le hall au moment où les parents ont débarqué par la cheminée, en portant leur fille.

— Ah, d’accord. Bon, dit-il à l’adresse d’Owen et Augustin, on va commencer par interroger un des guérisseurs.

Tous les trois se dirigèrent vers le lit de la jeune fille. Les guérisseurs commençaient justement à se disperser dans la salle. Harry en attrapa un au passage.

— Aurors Potter, Harper et Dolohov, monsieur, se présenta-t-il.

— Ah, monsieur Potter, répondit l’intéressé. Je suis le guérisseur Pye, c’est moi qui ai contacté le bureau des Aurors. Je ne pensais pas que vous viendriez en personne, c’est un honneur.

— De même, répondit hâtivement Harry. Comment va-t-elle ?

— Elle est hors de danger, répondit Pye. La morsure était profonde, mais nous avons réussi à réparer ses tissus convenablement. En revanche, elle a bien été contaminée. Il faudra donc qu’elle se mette à prendre de la potion Tue-Loup tous les mois jusqu’à la fin de sa vie. D’ailleurs, on lui en a donné une portion, déjà, puisque la lune de cette nuit n’est pas encore terminée…

Harry grimaça, et entendit ses collègues soupirer derrière lui. Il remercia le guérisseur Pye, et se dirigea vers le lit d’hôpital. En voyant le corps de la jeune fille, le cœur de Harry manqua un battement.

        Elle dormait tranquillement. Elle semblait si gentille, si frêle. Quand Harry vit l’énorme tas de bandages qui recouvrait l’entièreté de son cou et de sa nuque, il lui parut inconcevable qu’un être aussi paisible puisse vivre quelque chose d’aussi cruel.

        Harry s’adressa alors à nouveau aux parents.

— Nous devons à présent faire notre travail, indiqua-t-il. Voici les Aurors Harper et Dolohov. Nous sommes tous désolé pour ce qui vous arrive, mais nous devons vous poser quelques questions.

— Très bien, allez-y, répondit le père.

— Pour commencer, vous pouvez tout simplement vous présenter. Nous ne connaissons pas vos noms.

— Ah, c’est vrai, répondit le père. Je suis Asesa Tekula, voici mon épouse Aleka et notre fille Leliti. Nous tenons tous les deux un petit magasin d’artefacts magiques sur le Chemin de Traverse.

— Très bien. Savez-vous précisément ce qui est arrivé à votre fille ?

— Oui, enfin je crois, répondit Mr Tekula. Nous avions invité notre voisin et ami, Jacob Smythii, à dîner chez nous hier soir. Comme à notre habitude, nous avons ensuite passé la soirée à discuter ensemble. Leliti est montée se coucher à onze heures environ. Jacob avait l’air de plus en plus malade. Puis, vers deux heures trente du matin, je suis allé aux toilettes, et…

— Pendant ce temps, poursuivit Mrs Tekula, je suis allée faire la vaisselle et Jacob mettait ses chaussures pour ensuite rentrer chez lui. Il avait l’air vraiment malade. Et puis, en ouvrant la porte d’entrée, la lumière de la Lune lui a tapé dans l’œil, et d’un seul coup, il s’est transformé. Il m’a sauté dessus, mais j’ai eu le temps de créer un charme du bouclier. Je suis tombé à la renverse à travers la porte de notre chambre. Le bruit a réveillé Leliti, et elle m’a appelée pour savoir ce qui se passait.

— Quand j’ai entendu les bruits, je me suis dépêché, reprit Mr Tekula. J’ai couru dans le salon, et j’ai eu le temps de voir Jacob qui galopait dans l’escalier en direction du bruit que venait de faire Leliti. Quand je suis arrivé… Il tenait Leliti dans sa gueule par le cou… J’ai pu le faire lâcher avec un Lashlabask, et ensuite j’ai essayé de le stupéfixer. Mais mon sort n’a réussi qu’à le balancer à travers la fenêtre de la chambre. Je l’ai aperçu s’enfuir dans la forêt. Aleka est montée, et nous sommes venus ici.

Mr et Mrs Tekula tremblaient. Ce récit donna la nausée à Harry. Mais un élément important s’en dégageait : ils savaient qui était le loup-garou. Il n’y avait pas un instant à perdre.

— Très bien. Nous allons nous rendre chez votre voisin. L’un de vous peut-il nous indiquer précisément où cela se trouve ?

Mrs Tekula resta au chevet de sa fille, tandis que Mr Tekula accompagna les Aurors dans la cheminée du hall. Arrivés chez lui, il leur indiqua la maison du voisin.

Harry, Owen et Augustin, les baguettes brandies, s’approchèrent lentement de la maison correspondante. Ils pénétrèrent à l’intérieur, l’endroit était vide. Ils fouillèrent pendant près d’une heure, rien ne laissait penser qu’un criminel vivait ici. Owen trouva même une fiole vide, qui semblait avoir été bue quelques heures auparavant, au vu des traces de potion sur les côtés. Harry n’y connaissait rien, et ne savait pas s’il s’agissait ou non de la fameuse potion Tue-Loup.

        Vers cinq heures, quand la nuit se fit de moins en moins sombre, Harry entendit quelqu’un entrer dans la maison. Tous les trois descendirent silencieusement. Ils virent un homme nu dans l’entrée, complètement livide, en train de vomir sur son paillasson. La baguette pointée sur sa tête, Harry s’exclama :

— Pas un geste ! Bureau des Aurors, vous êtes en état d’arrestation !

À ces mots, l’homme sursauta si fort qu’il glissa en arrière et tomba hors de la maison. Les trois Aurors en profitèrent pour sortir à leur tour, et l’encercler. Harry remarqua alors que l’homme était en larmes.

— Je suis désolé ! hurla-t-il. Je suis désolé ! Pardonnez-moi !

Malgré tout ce qu’Harry pouvait dire, il était impossible de le calmer. Harry lui lança donc un Petrificus Totalus afin de le ramener au bureau et l’interroger.

 

*       *       *

 

        Dans la salle d’interrogatoire, Harry s’installa face à l’homme qu’il avait arrêté. Celui-ci semblait s’être calmé, et regardait désormais Harry avec des yeux ronds. Ce dernier prit la parole.

— Vous êtes Jacob Smythii ?

— Oui, répondit-il faiblement.

— Vous avez passé la soirée chez vos voisins, la famille Tekula ?

— Oui.

— Vous vous êtes transformé en loup, cette nuit ?

— Ou… oui.

— Aviez-vous prémédité vos actes ?

— Je… je vous demande pardon ?

— Avez-vous délibérément omis de prendre votre potion Tue-Loup afin de vous attaquer à la famille Tekula ?

— Mais… Bien sûr que non… Comment osez-vous ?

— Ne mentez pas ! La potion Tue-Loup a pour effet d’arrêter la plupart des transformations, et, dans les cas où celles-ci s’effectuent quand même, d’empêcher totalement la transmission de la lycanthropie. Or, vous avez infecté la petite Leliti Tekula cette nuit, cela prouve bien que…

— Leliti ? coupa Smythii. Non, c’est impossible, je…

D’un seul coup, il s’effondra sur la table. Harry, pris de pitié, fût presque tenté de croire que c’était un accident. Mais avant qu’il n’ait pu poser d’autres question, Smythii reprit la parole.

— Écoutez, elle ne peut pas être infectée… J’ai pris ma potion Tue-Loup, je vous le jure… Je faisais partie des premiers à profiter de cette nouvelle potion, avant même qu’elle ne soit obligatoire… Demandez à Mr. Malefoy, vous verrez, je suis son plus vieux client…

Harry l’observa. Son interlocuteur était visiblement sous le choc. Harry décida de lui accorder le bénéfice du doute. De toute façon, il ne pouvait rien arriver : le temps qu’Harry aille vérifier ces informations, Smythii resterait dans la salle d’interrogatoire.

— Très bien, dit-il. Vous allez rester ici le temps que j’aille chercher Drago Malefoy.

— M… merci ! bégaya Smythii.

Avant de sortir du ministère, Harry prit soin de demander à Owen de surveiller le loup-garou. Puis, depuis l’aire de transplanage, il arriva devant la petite maison qu’il avait vue plusieurs fois, il y a quelques années, lorsqu’il enquêtait sur une affaire d’incendies criminels.

        Harry sonna au portail, et attendit, conscient qu’il était seulement six heures du matin. Au bout de plusieurs longues minutes, il entendit des bruits de pas dans l’allée, derrière la haie.

— Qui est-ce ? fit une voix féminine.

— C’est Harry Potter, Astoria, répondit Harry, je suis désolé de te déranger à cette heure. Je voudrais parler à Malefoy, si c’est possible.

Le visage familier d’Astoria Malefoy apparût alors à travers la grille, l’air inquiet et fatigué. Elle s’était apparemment vêtue en toute hâte d’une robe de chambre argentée.

— Harry ! s’écria-t-elle. Rien de grave ?

— Non, non, ne t’en fais pas, assura-t-il. Enfin si, il y a eu quelque chose de grave, mais vous n’êtes concernés que de très loin. Je voudrais juste interroger Malefoy au sujet d’un de ses clients de la potion Tue-Loup.

— Ah, d’accord, très bien, répondit-elle, à moitié rassurée. Je vais le chercher. Entre, ajouta-t-elle en ouvrait le portail d’un coup de baguette.

Harry la remercia et la suivit jusque dans la petite entrée de la maison. Astoria grimpa les escaliers à toute vitesse, puis redescendit quelques instants plus tard, suivie par Drago Malefoy.

 

        Harry et Drago n’étaient plus ennemis comme ils l’étaient à Poudlard. Après la défaite de Voldemort, ils ne s’étaient pas vus pendant près de dix ans. Ensuite, quelqu’un avait voulu se venger de tous les anciens Mangemorts et avait brûlé les maisons d’une dizaine de familles, y compris celle des Malefoy. Harry avait donc mené l’enquête chez eux. À la fin de cette enquête chacun avait gagné le respect de l’autre. Ils n’étaient pas amis, loin de là, mais ils avaient enterré la hache de guerre.

        Puis, leurs fils Albus et Scorpius étaient tous les deux entrés à Poudlard en même temps, et avaient été envoyés à Gryffondor. Ils étaient devenus meilleurs amis, et continuaient à se voir chez l’un ou chez l’autre durant les vacances. Quand Albus allait chez les Malefoy, Harry s’arrangeait pour que ce soit Ginny qui l’accompagne. Malefoy faisait visiblement la même chose, puisque quand c’était Scorpius qui venait chez les Potter, il était toujours accompagné d’Astoria.

        Harry et Ginny avaient donc eu plusieurs fois l’occasion de partager des moments avec Astoria Malefoy, une femme très sympathique. Harry trouvait que ces moments étaient d’excellentes opportunités pour prendre des nouvelles de Malefoy sans trop s’approcher de lui.

 

        Mais ce jour-là, c’était inévitable, il fallait le voir en personne. Quand Malefoy croisa le regard de Harry, tous les deux s’échangèrent un signe de tête respectueux en guise de bonjour.

— Qu’y a-t-il, Potter ? amorça Malefoy d’une voix fatiguée.

— Il y a eu une attaque de loup-garou, cette nuit, répondit Harry en décidant d’aller droit aux faits. Un de tes clients s’est transformé et a mordu une fillette de neuf ans.

— Ça arrive, assura Malefoy avec nonchalance. Aucune potion n’est efficace à cent pourcents contre la lycanthropie. La petite va bien ?

— Justement, non. Elle a été infectée. Elle est désormais loup-garou, elle aussi.

Astoria plaqua ses mains devant sa bouche. Malefoy pâlit un peu et fronça les sourcils.

— C’est impossible. Ma potion n’arrête pas absolument toutes les transformations, mais elle empêche la transmission et autres symptômes liées à la morsure. Le client en question n’a sûrement pas pris sa potion. De qui s’agit-il ?

— Jacob Smythii.

— Jacob ? répéta Malefoy, troublé. C’est mon plus vieux client. Il a absolument horreur de sa condition de loup-garou, et il n’oublie jamais de prendre sa potion, crois-moi sur parole. Quelque chose ne va pas. Tu es sûr que la petite est infectée ?

— Les médicomages sont formels, répondit Harry. Nous avons trouvé ça chez lui, ajouta-t-il en présentant la fiole vide. Tu sais de quoi il s’agit ?

Drago observa la fiole, puis renfila l’intérieur.

 — C’est bien ma potion Tue-Loup. Et c’est bien sa fiole pour ce mois-ci, je me souviens la lui avoir donnée jeudi dernier.

Harry soupira, fatigué et décontenancé.

— Comment est-ce possible ? Ta potion ne fonctionne-t-elle plus ? Ou une erreur dans la confection ?

— Ce n’est pas impossible qu’il y ait eu une erreur, il faudra que j’analyse les restes de la potion sur la fiole. Mais que la potion arrête de fonctionner d’un seul coup, je n’y crois pas. C’est la première fois que cela arrive en huit ans. Je crois que c’est plutôt l’inverse, manifestement.

Harry et Astoria regardèrent Malefoy avec les mêmes yeux d’incompréhension. Malefoy leur expliqua d’un air grave :

— La malédiction a évolué.

 

*       *       *

 

Même avec ces aveux, Harry ne s’était pas résolu à libérer Smythii directement. Il voulait l’avis d’experts. Il répéta aux médicomages ce que venait de lui dire Malefoy, leur donnant ainsi un axe de réflexion. En effet, le soir venu, un guérisseur débarqua au bureau des Aurors pour lui dire que la petite Leliti Tekula était atteinte d’une « forme nouvelle, inconnue, et instable » de lycanthropie.

Quelques heures plus tard, Malefoy lui-même se déplaça au bureau des Aurors pour confirmer à Harry qu’il ne s’était pas trompé dans la confection de la potion Tue-Loup.

Lorsque Harry libéra enfin Smythii, avec ses plus plates excuses, ce dernier était encore plus déconfit que le matin. Harry n’avait pu se résoudre à lui cacher les faits : sa lycanthropie avait évolué, et il avait mordu la jeune fille de ses voisins, lui transmettant ainsi sa malédiction.

La petite Leliti, elle, fût gardée à Ste Mangouste pendant plusieurs jours, sa morsure étant profonde. Harry avait insisté pour être tenu informé de ce qu’il adviendrait d’elle. Un médicomage lui expliqua que la potion Tue-Loup actuelle stopperait probablement la plupart des transformations, mais que la malédiction était à nouveau transmissible. En quelque sorte, Leliti était la « patiente zéro » d’une nouvelle vague de lycanthropie. Harry fût effondré devant la perspective de tous les problèmes inédits qu’allaient subir la famille Tekula, en particulier Leliti.

 

Cinq jours après la morsure, le corps inerte de Jacob Smythii fût découvert dans son salon, avec sur son bureau une fiole de poison à moitié vide et un mot d’excuses envers Leliti Tekula.


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