La mort est une fin heureuse

Chapitre 3 : Le meurtre sans meurtrier

5917 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/02/2024 09:36

Harry, Décembre 2019.

 

Harry ouvrit les yeux. Il était encore allongé dans son grand lit. La chaleur de ses draps était réconfortante. Au plafond, il vit les minuscules petites étoiles qui y étaient accrochées. Il se rappela le temps où sa fille Lily, encore très jeune, avait peur du noir et dormait ici, avec eux. Pour la rassurer, Harry avait placé ces centaines de petites étoiles, invisibles de jour, mais qui luisaient légèrement de nuit. Harry sourit. Le jour où il les avait mises, il ne s’était pas douté que, des années plus tard, elles y seraient toujours, et qu’elles le rassureraient, lui. Ginny était encore endormie, à sa gauche, sur le ventre. Son dos se levait et se baissait au rythme de sa respiration paisible. De l’autre côté, Harry regarda son réveil. Six heures cinquante-neuf. Comme tous les matins, Harry s’était réveillé par lui-même juste avant la sonnerie de son réveil. Il soupira. Il avait l’impression de connaître le terrible sort qui les attendait, Ginny et lui, dans moins d’une minute, et qu’elle n’en savait rien. Mais il ne pouvait pas la sauver, tout ce qu’il pouvait faire, c’était attendre, et redouter. Puis, soudain, ce qui devait arriver arriva. Le réveil sonna.

        Harry frappa un peu trop violement le sommet de son réveil, et s’assit dans le lit en se frottant les yeux. Un son lent et rauque, ressemblant à un mélange entre un mort-vivant qui gémit et une vache qui gronde, sortit de la bouche de Ginny. Harry se leva, et fit lentement le tour du lit. Arrivé de l’autre côté, il embrassa Ginny, qui avait eu le temps de se lever, et se dirigea vers la salle de bains.

        Après une bonne douche chaude, il se sentit un peu plus réveillé. Dans le miroir à moitié recouvert de buée, il vit un homme petit, maigre mais bien sculpté, de trente-neuf ans. Ses cheveux d’un noir de jais, avec cependant quelques-uns qui grisonnaient, étaient, et avaient toujours été, incoiffables. Ils partaient à leur guise dans tous les sens. Harry observa dans son reflet les yeux verts en amande qu’il avait hérités de sa mère. Il se rappela alors que sur ses trois enfants, seul Albus, son second fils, avait reçu ses cheveux noirs ébouriffés et les yeux de Lily Evans. En fait, Albus lui ressemblait comme deux gouttes d’eau, à quelques exceptions près, bien sûr.

        En effet, les différences majeures entre Harry et son fils étaient visibles partout sur son corps : les cicatrices. Le matin, Harry avait pour habitude de scruter toutes les marques corporelles qu’il portait, pour ne jamais oublier. Sur son bras droit, il vit le petit cercle blanchâtre qui rappelait son combat contre un basilic, lorsqu’il avait douze ans. Au moment où il avait tué la bête d’un coup d’épée, cette dernière avait enfoncé son crochet venimeux dans son avant-bras. Il n’avait survécu que grâce à la présence improbable d’un phénix, dont les larmes possèdaient de puissants pouvoirs de guérison.

        Sur le dos de sa main gauche, il vit sa peau blanche et meurtrie, comme s’il l’avait plongée dans de l’eau bouillante. Il se rappela alors sa cinquième année à Poudlard, lorsqu’il avait quinze ans. Une horrible représentante du ministère occupait le poste de Défense contre les Forces du Mal, et niait toutes les mises en garde de Harry sur le retour de Lord Voldemort. En guise de punition, elle lui avait fait écrire durant des heures « Je ne dois pas dire de mensonges » avec son propre sang. Le sang de sa main gauche. Le souvenir de Dolores Ombrage lui donnait encore de terribles frissons dans cette main.

        Depuis son épaule jusqu’au milieu de son bras gauche, sa peau était différente, plus blanche que le reste de son corps. Durant sa première année en tant qu’aspirant Auror, Harry et son mentor, ainsi que deux autres équipes, étaient tombés dans une embuscade lorsqu’ils pourchassaient des trafiquants de poudre de billywigs, un produit hallucinogène. Harry avait vu un des assaillants lancer un mauvais sort à son mentor. Il s’était jeté devant lui pour le protéger, et le sort avait fait exploser le haut de son bras. Il s’était réveillé trois jours plus tard à Ste Mangouste, Ginny à son chevet. Cela tombait plutôt bien, s’était dit Harry, puisque la partie de son bras qui avait explosé contenait une autre cicatrice : celle de la morsure du serpent géant de Lord Voldemort. Un mal pour un bien, donc.

        Sur son torse, le vestige d’une profonde et longue entaille traversait son pectoral gauche et descendait jusqu’à sa hanche droite. Lorsqu’il était un Auror confirmé depuis plusieurs années, il avait enquêté sur les blessures d’un enfant de cinq ans qui avait été envoyé d’urgence à Ste Mangouste. Ses parents disaient qu’il était tombé dans un buisson de griftous. Mais Harry avait aussitôt reconnu le sortilège noir du Sectumsempra, un sortilège qu’il avait lui-même lancé auparavant. Harry s’était donc battu pour retirer cet enfant de la garde de ses parents. Il avait gagné. En guise de vengeance de dernière minute, la mère furieuse lui avait offert cette belle cicatrice. En la voyant, Harry pensait ironiquement à celle, sûrement presque identique, qu’il avait placée sur le torse de Drago Malefoy avec le même sort.

        Enfin, Harry regarda la cicatrice. Celle qui l’avait rendu célèbre. Celle qui prouvait qu’à l’âge de seulement un an, Lord Voldemort lui-même avait échoué à le tuer. Celle qui témoignait de l’amour que lui portait sa mère. Harry aimait cette cicatrice. Il se la représentait comme un hommage envers le sacrifice de ses parents. Durant la période de règne de Lord Voldemort, cette cicatrice sur son front était rouge, cabossée, en forme d’éclair, et souvent très douloureuse. Mais au fil des années après la chute de Celui-Dont-On-Ne-Devait-Pas-Prononcer-Le-Nom, elle était devenue plus fine, plus harmonieuse, blanche, et elle ne lui infligeait plus la moindre douleur.

        Ce petit rituel du matin donnait du courage à Harry pour la journée à venir. Cela lui rappelait que, quoiqu’il arrive, quelles que soient les horreurs qu’il vivrait ce jour-là, il avait connu pire.

 

*       *       *

 

Il rejoignit Ginny à la table de la cuisine cinq minutes plus tard. Contrairement à Harry, elle était toujours à moitié endormie. C’était comme ça que Harry la trouvait la plus belle : au réveil, les cheveux ébouriffés. Ginny lui sourit. Harry lui rendit son sourire, et entama son bol de céréales, tout en contemplant la beauté intemporelle de son épouse. Ils étaient tous les deux très heureux de leur vie.

        Ginny aussi avait son petit rituel du matin à elle. Elle jetait toujours un coup d’œil aux cadres qui décoraient le mur de la cuisine. Ces cadres représentaient diverses coupures de journaux et de magazines, récupérées au fil des années, malgré la réticence de Harry.

        Le tout premier que Ginny avait insisté pour garder, était un court extrait d’un article de la Gazette du Sorcier datant du 2 mai 1998.

 

VOUS-SAVEZ-QUI EST MORT

        « L’information est tombée ce matin même : Harry Potter a terrassé Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom en combat singulier, mettant un terme à une bataille féroce qui s’est déroulée cette nuit au collège Poudlard. Rassurez-vous : la plus grande partie du château avait été évacuée au préalable. De nombreuses rumeurs et spéculations circulent autour de cet affrontement qui entrera sûrement dans la légende. Certains disent même que le Survivant serait revenu d’entre les morts pour en finir avec le Seigneur des Ténèbres. Nous vous prions de faire attention aux fausses informations, nous publierons prochainement un article complet sur les évènements de cette nuit terrible. »

 

        Le second cadre, récupéré peu de temps après, était le passage préféré de Ginny de la biographie de Harry, écrit en trois semaines par Rita Skeeter, Un quart de vérités, trois quarts de mensonges. Skeeter avait choisi son titre pour dénoncer les fausses informations et le piédestal sur lequel on mettait Harry, à tort selon elle. En réalité, cette biographie contenait réellement un quart de vérités et trois quarts de mensonges.

 

        « Toutes les personnes présentes durant la triste Bataille de Poudlard étaient convaincues que Potter était véritablement décédé, et qu’il est revenu à la vie. Les Mangemorts eux-mêmes en étaient persuadés. Ce n’est pas la première fois que des sorciers sont capable de croire en n’importe quoi pour présenter quelqu’un en héros (souvenez vous quand les gens disaient que Albus Dumbledore, depuis son légendaire duel contre Grindelwald, était devenu immortel, sous prétexte qu’il a vécu beaucoup trop longtemps). Rappelez-vous qu’aucune forme de magie ne peut faire revenir les morts. Il s’agit ici d’un terrible concours de circonstances et de malentendus que Potter, bien sûr, ne prend pas la peine confirmer. Il faut croire que les titres de Survivant et d’Élu ne suffisaient plus à son curriculum. »

 

        Le troisième cadre concernait Ginny elle-même, et elle en était particulièrement fière. Il s’agissait d’un article de Balais-Magazine, datant de juillet 1999.

 

UNE NOUVELLE RECRUE CHEZ LES HARPIES

        « Hier soir, Isabel Redbird, directrice du club de Quidditch des Harpies de Holyhead, a annoncé l’arrivée d’une nouvelle recrue. Ginny Weasley, dix-huit ans, vient de terminer sa septième année au collège Poudlard. Étant membre de l’équipe de Quidditch de Gryffondor en tant que poursuiveur, elle s’est faite remarquer par Gwenog Jones, batteur et capitaine des Harpies, lorsque celle-ci était venue assister à un match après l’invitation d’un des professeurs de Poudlard. Weasley a été contactée, et elle a tout de suite accepté un contrat de trois ans. Elle commencera donc lundi prochain, d’abord en tant que joueuse remplaçante. Mais, qui sait, peut-être qu’à l’avenir, elle constituera un atout majeur parmi les joueuses titulaires de l’équipe. »

 

        Près de ce cadre, Ginny avait ajouté une carte de Chocogrenouilles à l’effigie de Harry. Sur la photo, Harry souriait, car il était accroché dans leur maison. Mais, pour les autres sorciers, la carte « Harry Potter » était réputée pour être majoritairement absente de son cadre.

 

        « Surnommé Le Survivant, Harry Potter s’est distingué dès l’âge d’un an en résistant au sort mortel que lui avait lancé le redoutable Lord Voldemort. À 17 ans, il élimina définitivement le Seigneur des Ténèbres en combat singulier au cours de l’affrontement connu sous le nom de Bataille de Poudlard, le propulsant directement dans le bureau des Aurors. Son activité favorite est le Quidditch, qu’il pratique au poste d’attrapeur. »

 

        Les deux cadres suivants avaient été récupérés à deux jours d’intervalle. Le premier, un article issu de La Gazette du Sorcier, parlait de Ginny.

 

VICTOIRE DES FRANÇAIS

« Hier s’est tenu la finale de la 424ème édition de la Coupe de Monde de Quidditch, voyant s’affronter l’Angleterre contre la France. Rappelons-le, la 423ème édition, qui s’était déroulée en Chine durant l’été 1998, était passée assez inaperçue en Angleterre, compte tenu du contexte politique de l’époque. Mais cette année, l’équipe d’Angleterre est revenue en force et s’est hissée jusqu’en finale face au pays hôte de la Coupe. Cette finale s’est malheureusement terminée par une victoire de la France, à 370 contre 190. Ce match était cependant l’un des plus époustouflants depuis plusieurs années, et a offert au public un spectacle inoubliable. Mentions spéciales à Jérémie Dalgie, attrapeur français issu du club des Matraques de Marseille, qui a attrapé le Vif d’Or de toute urgence en écrasant son crâne contre les poteaux adverses ; et à Ginny Weasley, poursuiveur anglaise issue du club des Harpies de Holyhead, qui a marqué un nombre incalculable de buts en un temps record, le tout en démontrant son extrême virtuosité quant à la maîtrise de son balai. »

 

Le second était un article issu de Sorcière-Hebdo.

 

LA HARPIE ET LE SURVIVANT

        « Pour le plus grand bonheur de tous les sorciers et sorcières friands de ragots dans le monde des célébrités, le couple de la décennie vient de voir le jour. En effet, hier matin, Harry Potter, le Survivant, a demandé la main de Ginny Weasley, poursuiveur au club des Harpies de Holyhead et dans l’équipe d’Angleterre. Elle a accepté. Il semblerait qu’ils soient ensemble depuis leurs études à Poudlard, en tout cas, Potter restant toujours à l’écart de la presse, personne n’aurait pu s’en douter. Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est que leur mariage, prévu pour le mois de décembre prochain, sera un véritable phénomène médiatique. L’équipe entière de Sorcière-Hebdo se joint à moi pour souhaiter une éternité de bonheur à la Harpie et au Survivant. »

 

        En effet, Ginny avait souhaité accomplir ses propres rêves avant d’officialiser sa relation avec Harry. En quatre ans, sans l’influence de la célébrité et de la popularité de Harry, elle était parvenue d’elle-même à conquérir le cœur des sorciers anglais par sa virtuosité sur un balais. Profitant de cet instant de gloire, Harry avait demandé la main de Ginny et, respectant sa promesse, elle avait accepté.

        Le cadre suivant était un article de la Gazette du Sorcier, datant de mars 2005.

 

LA HARPIE REJOINT LA GAZETTE

        « Nous l’avions appris il y a quelques mois déjà, Ginny Potter avait décidé de quitter le club des Harpies de Holyhead pour prendre soin de son enfant à naître. Maintenant, après la naissance de petit James, nous avons offert à Potter un travail à la Gazette en tant que rédactrice dans la rubrique sportive, en tant qu’experte. Bien sûr, ce travail pouvant être accompli depuis sa maison, elle a accepté. Nous avons donc le plaisir d’accueillir la Harpie dans notre rédaction. Vous pourrez découvrir son tout premier article sur le nouveau Nimbus 2007 la semaine prochaine. »

 

        Le cadre suivant était à nouveau un court article de la Gazette du Sorcier, datant de septembre 2008. 

 

UN NOUVEAU DIRECTEUR POUR LES AURORS

        « Hier midi, Dave Faucett, directeur du bureau des Aurors, a annoncé sa mutation dans un autre service. Après l’approbation de la majorité des membres du bureau, il a proposé à Harry Potter de le remplacer. Ce dernier a accepté, et, au vu des exploits passés du Survivant quant à la chasse de mages noirs, la communauté magique ne peut qu’approuver cette décision. »

        

        Enfin, le dernier cadre était la deuxième édition de la carte de Chocogrenouilles de Harry. En effet, suite à sa promotion, la société de production des cartes avait souhaité apporter quelques modifications. La photo, bien que plus récente, était toujours aussi peu présente. Le nouveau texte disait :

 

        « Surnommé Le Survivant, Harry Potter s’est distingué dès l’âge d’un an en résistant au sort mortel que lui avait lancé le redoutable Lord Voldemort. À 17 ans, il élimina définitivement le Seigneur des Ténèbres en combat singulier au cours de l’affrontement connu sous le nom de Bataille de Poudlard. Cela le propulsa dans les rangs du bureau des Aurors, où il monta petit-à-petit les échelons pour en devenir, à l’âge de 28 ans, le plus jeune directeur de l’histoire. Il est le fondateur de la Dard – Défense Associative et Responsable contre les Détraqueurs – qui est parvenue en 2004 à annihiler la totalité des détraqueurs du monde sorcier, par un procédé resté top secret. Son activité favorite est le Quidditch, qu’il pratique au poste d’attrapeur. »

 

        À côté de ces cadres, Ginny avait accroché son Ordre de Merlin, deuxième classe, obtenue pour avoir participé à la Bataille de Poudlard. Harry avait catégoriquement refusé d’accrocher son Ordre de Merlin, première classe, car il ne pensait pas l’avoir méritée. Par ailleurs, elle avait aussi tenté d’accrocher un article de Sorcière-Hebdo datant de 2010 intitulé « Harry Potter remporte pour la douzième année consécutive le prix de la moue la plus dévastatrice selon les lectrices de Sorcière-Hebdo ». Harry n’avait pas du tout apprécié cette plaisanterie.

Ginny aimait bien regarder ces cadres le matin, pour se rappeler de l’évolution de leur petite vie pas si paisible, du chemin qu’ils avaient parcouru. Curieusement, elle n’avait accroché aucun article de presse concernant la naissance de leurs enfants, car elle avait jugé qu’aucun de ces articles ne témoignait du réel bonheur que cela leur avait procuré. Elle avait donc gardé ces dix souvenirs de leur vie.

 

*       *       *

 

Le matin, la cuisine était toujours silencieuse. Leurs trois enfants, James, Albus et Lily, étaient à Poudlard depuis plus de trois mois, et Miffy et Trotty, les deux elfes qu’ils employaient, n’arrivaient qu’après leur départ au travail. La maison était donc d’un silence total.

        Vers sept heures quarante, après s’être habillé, Harry embrassa Ginny qui partit prendre sa douche, puis prit la cheminée pour se rendre à son bureau. Il sortit des cheminées publiques de l’atrium du ministère et se dirigea machinalement vers les ascenseurs. À cette heure-ci, les grands ascenseurs de ferraille n’étaient qu’à moitié pleins. Harry aimait bien arriver un peu plus tôt, car s’il était arrivé à peine cinq minutes après, les ascenseurs auraient été bondés. Harry descendit au deuxième niveau, traversa le couloir aux murs de briques noires et au sol à moquette pourpre, et pénétra dans le vaste bureau des Aurors.

Son second, Stanislas, était déjà arrivé, et triait des notes de service. Harry le salua chaleureusement, et s’installa sur sa chaise. Il soupira en se souvenant qu’il devait relire et compléter le rapport d’une enquête qui venait de s’achever. Cela lui prendra une bonne heure, et il devra ensuite envoyer ce rapport au siège du Département de la justice magique. Il soupira, se balança machinalement sur sa chaise, puis se mit véritablement au travail.

        Une petite demi-heure plus tard, un de ses Aurors et amis, Owen Harper, entra en trombe dans son bureau. Il salua rapidement Stanislas, puis parla directement à Harry.

— Salut, Harry. On vient de recevoir un coup de miroir de la part d’un employé de l’animalerie du Chemin de Traverse. Il y a un cadavre en plein milieu de l’allée.

— Ah, répondit Harry, nonchalant. Bon, ben tu connais la musique. Je te laisse t’en occuper, prends Augustin avec toi.

— Ça marche. On te tient au courant.

Tandis qu’Owen sortit du bureau, Harry le suivit du regard, envieux. Il adorait son travail, mais il ressentait parfois le besoin de revenir aux bonnes vieilles enquêtes de débutant. Harry plaça son miroir sur son bureau, devant lui, afin de ne pas louper d’éventuels appels importants. Ces miroirs servaient à la communauté magique de moyen de communication. Ils étaient inspirés du miroir que son parrain, Sirius Black, avait offert à Harry lors de sa cinquième année à Poudlard. À l’époque, ce miroir était magiquement relié à un miroir identique que possédait Sirius, et il suffisait que l’un prononce le nom de l’autre pour pouvoir lui parler à travers ces miroirs, où qu’ils soient. Des années plus tard, son ami Ron Weasley s’en était inspiré pour proposer à la communauté magique un moyen de communication très efficace. Cette fois, presque tous les sorciers en possédaient un, et il suffisait de prononcer le nom de n’importe qui pour que son miroir se mette à vibrer, et qu’il puisse éventuellement accepter l’appel. En gros, les miroirs étaient les téléphones portables des sorciers.

 

Avant midi, on avait refilé à Harry un deuxième rapport à compléter. C’est donc de mauvaise humeur qu’il arriva au bureau de son amie, Hermione Granger-Weasley, directrice du Département de la justice magique.

— Salut, lui dit-il. Je suis venu déposer deux rapports au service de défense. Tu veux aller manger ?

— Oh oui, pourquoi pas. J’ai la tête en compote ce matin. On va sur le chemin de Traverse ?

— Oui, parfait. Oh non, attend, ajouta-t-il, le chemin de Traverse doit être bouclé à l’heure qu’il est, on a retrouvé un cadavre ce matin.

— Merlin, c’est vrai ? répondit Hermione, horrifiée. Qui est-ce ?

— Je ne sais pas encore. J’ai envoyé Owen sur le coup, je verrai bien son rapport quand il aura trouvé de quoi il s’agit. Ce n’est peut-être rien du tout. Enfin, ça reste un décès, mais c’est peut-être pas un meurtre. Enfin, tu m’as compris… En tout cas, c’est préférable d’aller manger ailleurs. Côté moldu ?

— Si tu veux, répondit doucement Hermione.

Harry eut la forte impression que sa nonchalance avait perturbé son amie. Ils s’installèrent dans une petite cafétéria moldue qu’ils aimaient bien, pas très loin de l’entrée du ministère de la magie.

Environ une fois par semaine, tous les deux allaient manger ensemble, pour décompresser. Parfois, ils étaient rejoints par Ron qui réussissait à se dégager du magasin pour la pause du midi. Et, tous les trois, ils parlaient joyeusement de tout et de rien, en souvenir du bon vieux temps, ou au contraire parlaient boulot, ou pire, politique. Quoi qu’il en soit, Harry aimait beaucoup ces petites pauses au milieu de la journée, qui lui permettaient de voir des visages familiers au milieu des horreurs qu’il voyait dans les rapports des enquêtes en cours.

Cette fois-ci, Ron ne vint pas.

— Ron ne pourra pas venir, aujourd’hui ? demanda Harry.

— Oh non, pas en ce moment, répondit Hermione. La période des fêtes approche, c’est la folie au magasin.

— Ah oui, c’est vrai, se souvint Harry, pour qui le mois de décembre n’annonçait que le retour de ses enfants. Enfin, j’espère que l’enquête sur le chemin de Traverse ne va pas bouleverser ses affaires.

— Oh, t’inquiète pas pour ça, les sorciers s’arrangent toujours pour aller chez Farces pour sorciers facétieux, plaisanta Hermione.

— Sinon, ça va le boulot ? demanda Harry.

— Ne m’en parle pas. J’ai dû passer la matinée entière à essayer de convaincre John Galloway – tu sais, le chef des assistants judiciaires – que les accusés elfes devaient bénéficier du même traitement que les accusés sorciers. Rien à faire. Le pire, c’est que ce n’était même pas de la mauvaise volonté, il n’arrivait juste pas à comprendre. C’est dingue.

— Qu’est-ce que tu veux, les sorciers ont du mal, avec les droits des elfes. Ils ont été élevés autrement.

— Oui, enfin ça fait six ans que l’abolition de l’esclavage a été adoptée, on pourrait penser que maintenant, leur état d’esprit ait changé, non ? s’indigna Hermione en croquant dans un sandwich au saumon.

— Il faut du temps. Petit-à-petit, les elfes se dilueront dans la communauté des sorciers. Je t’assure, dans dix ans maximum, c’est bon !

— Mouais, répondit Hermione, sceptique. J’espère que tu as raison.

Tous les deux finirent leur repas dans la bonne humeur, en prenant soin d’éviter le sujet des elfes. Puis, ils retournèrent ensemble au ministère. De retour dans son bureau, Harry se sentait plus léger, quand il vit Owen qui discutait avec Stanislas.

— Déjà bouclée, j’espère ? plaisanta Harry.

— Si seulement, répondit Owen. Harry, comme je disais à Stan, cette affaire est vraiment bizarre.

— Comment ça, bizarre ? s’étonna Harry.

— Eh bien… on n’a rien trouvé, dit simplement Owen.

Harry regarda silencieusement Owen. Stanislas ne semblait pas savoir quoi dire.

— Comment ça, rien ? demanda-t-il.

— Rien. Pas de témoin, pas de suspect, pas de mobile, pas d’empreintes. Rien, quoi.

— Comment ça, pas d’empreintes ? Même pas d’empreinte magique ?

— Non. Enfin si, juste celle du sortilège qui l’a tué. L’Avada. Mais pas d’autre emprunte, ni celle de la victime, ni celle du tueur.

— Mais c’est… Quoi ? répondit Harry, abasourdi. Je ne… bon écoute, tu vas me briefer et tout me redire depuis le début. Vas-y, installe-toi.

Owen s’assit en face d’Harry, et commença son récit.

— Nous avons rejoint l’homme qui nous a appelé au bout de cinq minutes. Il s’agit de Barry Tinland, il travaille à l’animalerie. Quand nous sommes arrivés, il y avait déjà une foule autour du corps. On les a renvoyés chez eux – tout en ayant conservé leurs noms, bien sûr – et on a bouclé la zone. On a commencé par essayer d’identifier le corps, mais comme je t’ai dit, pas d’emprunte magique. Heureusement, Tinland le connaissait, il nous a dit qui c’était. Cranston Dickett, trente-six ans, employé chez Fleury et Bott. C’est Tinland qui le connaissait, donc c’est lui qui nous a appelé, mais ce n’est pas lui qui a découvert le corps. C’est Hugh Flames, qui sortait les poubelles de chez Ollivander’s, là où il travaille, qui l’a trouvé. On a interrogé Flames, aucun lien avec la victime.

« On a interrogé Tinland, il nous a appris que Dickett a un fils de neuf ans, et aucune autre famille sorcière. Il est né moldu, et a une sœur moldue. Pas de femme. On a interrogé tous les employés de Fleury et Bott, personne ne le connaît beaucoup, personne n’a de problèmes avec lui, et personne ne s’est jamais plaint de son travail. On a interrogé sa sœur, elle était effondrée, mais elle ne lui connaît ni d’amis ni d’ennemis. D’ailleurs, elle voulait absolument suivre l’enquête. Je la réinterrogerai, elle était vraiment flippante. Enfin, c’est une moldue, donc elle n’aurait jamais pu lancer un Avada. Bref. On a interrogé le fils, Pravin. Assez étrange, il ne doit pas voir beaucoup de gens. Mais rien de ce qu’il a dit ne nous a mis sur une quelconque piste. On a fouillé sa maison de fond en comble, à part le fait qu’il soit probablement l’un de tes plus grands fans, aucune trace de ce qui pourrait indiquer une quelconque activité anormale, aucun indice.

« On a réinterrogé Tinland, ils ne sont pas vraiment amis, il était juste de son année à Poudlard. On est allé interroger les professeurs à Poudlard, pour savoir comment il était en tant qu’élève : rien. Discret, pas brillant mais pas mauvais non plus, pas d’amis, pas d’ennemis, aucune punition, aucune retenue, aucuns points en plus ou en moins. Le genre de type qu’on oublie rapidement. On a alors interrogé tous les gens qui travaillent sur le chemin de Traverse, personne n’a rien vu à part le cadavre ce matin. Personne ne sait rien. Il ne fréquentait aucun bar, aucun pub, aucun endroit mal famé dans l’allée des embrumes, et n’avait aucun problème d’argent à Gringotts. Rien. Alors, ça me fait un peu honte de le dire, mais… je ne sais pas quoi faire, maintenant.

Sa tirade fut suivie d’un long silence. Harry ne savait pas quoi dire. Owen avait très bien fait son boulot, il avait suivi la bonne procédure, avait suivi toutes les pistes potentielles, et pourtant, rien.

— Où est Augustin ? demanda-t-il.

— À Ste Mangouste. Il a confié le corps à des analystes bien meilleurs que nous, et il attend les résultats. Mais sincèrement, je n’y crois pas trop.

— Bon, et bah…

Bah quoi ? Que pouvait-il lui dire de faire, maintenant ? Il n’avait jamais eu affaire à une enquête qui ne donne rien de rien de rien. D’habitude, un corps était toujours couvert d’une empreinte magique, parfois faussée, mais qui dirigeait au moins vers une piste à suivre. En fait, c’était toujours le cas. Le fait que l’emprunte magique du meurtrier soit absente était inquiétant. Tout en réfléchissant, il prit conscience qu’il n’avait pas terminé sa phrase.

— Bah… on va attendre ce qu’il en ressort, on ne sait jamais. En attendant, commence à écrire ton rapport. Décris précisément ce que tu viens de me dire.

— Entendu, répondit Owen d’un air légèrement déçu.

Bouleversé, Harry eut un peu de mal à se replonger dans ses dossiers. Il était en train de préparer l’attaque d’un procès envers Jamie Stalingard, un vieil escroc qui avait importé de Colombie une potion illégale qui permettait aux sorciers qui la prenaient, soi-disant, de voir leur avenir. En réalité, la potion procurait des hallucinations très réalistes. Cette affaire avait donné du fil à retordre aux Aurors, car la potion s’était très vite propagée sur le marché noir. Le procès n’allait pas être évident. Il allait devoir préparer un dossier en béton.

        Harry soupira.

 

*       *       *

 

        Un peu avant seize heures, Owen déboula en toute hâte dans son bureau, suivi de près par son coéquipier, Augustin Dolohov. Ce dernier était le neveu du tristement célèbre Antonin Dolohov, mais heureusement, il n’avait rien à voir avec lui. Avant qu’Harry ne puisse prononcer le moindre mot, Owen prit la parole.

— On a les résultats de Ste Mangouste.

Sans rien répondre, Harry interrogea du regard Augustin, avide d’en savoir plus. Stanislas leva lui aussi le nez de ses papiers pour écouter.

— Ils ont bel et bien identifié un Avada Kedavra sur le corps, répondit aussitôt Augustin. Mais rien d’autre. Comme tu le sais, un Avada Kedavra est un sortilège surpuissant, il aurait dû laisser de grosses traces de la personne qui l’a lancé. Mais là, elles sont carrément absentes. Aucune empreinte magique, ni de la victime, ni du coupable. Donc la seule hypothèse restante est que Dickett était un moldu. Sauf que ses professeurs de Poudlard se souviennent parfaitement lui avoir appris la magie. Donc on est dans une impasse.

— Un moldu qui aurait été métamorphosé pour prendre l’apparence de Dickett ? suggéra Harry.

— On y a pensé, répondit Owen, mais on aurait retrouvé les traces des sortilèges de métamorphose sur le corps.

— Merde, c’est perturbant, rétorqua Harry. Je n’y comprends rien du tout. Le pire, c’est qu’il n’y a pas d’empreinte. C’est ça le plus troublant. Ça n’a aucun sens.

— Oui, c’est aussi ce qu’ils ont dit à Ste Mangouste, affirma Augustin.

— En tout cas, pour l’affaire, essayez de demander quelques informations à Wiggel au sujet de l’emprunte magique, au cas où il a une explication. Sinon, vous bouclez l’affaire.

— Entendu, répondirent les deux Aurors à l’unisson avant de s’éclipser du bureau.

 

*       *       *

 

En se couchant dans son lit le soir-même, Harry était encore plus fatigué que le matin. Ginny était encore dans le salon, en train de rédiger un article sur le nouvel attrapeur du Club de Flaquemare. Une dizaine d’années auparavant, la découverte de l’emprunte magique avait été une véritable révolution pour la résolution des enquêtes. Comme lui avait dit le grand Albus Dumbledore, il y a bien longtemps, la magie laisse des traces. Ils avaient trouvé un bon moyen d’identifier ces traces, afin de pouvoir affirmer de qui elles provenaient. Ces empruntes magiques constituaient la forme la plus basique, la plus pure, de magie qui coulait dans le sang de tous les sorciers. Et si le ou les meurtriers de Dickett avaient réussi à s’en débarrasser, alors cette enquête marquait bien le début de gros ennuis au bureau des Aurors.


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