Pensées volées

James,

J’ai beaucoup trop bu, ce soir encore.

Et dans ces moments-là, j’oscille entre frustration, colère et impuissance. Parfois tout ça en même temps.

Tu me manques, mon frère. J’ai l’impression que depuis ton départ, ma vie entière n’a plus vraiment de sens et tout va de travers. J’ai cru à un moment que j’arriverais à reprendre les choses en main. Et alors, pour la première fois en treize ans, j’ai arrêté de subir et j’ai agi.

Pour toi, pour sauver ton fils, parce que j’avais enfin repéré le traître. Quand je l’ai vu ce jour-là, sur le journal de Fudge, ça m’a donné la force qu’il me manquait pour m’échapper de cette prison, fuir les Détraqueurs. Je ne pensais plus qu’à une seule chose : ma vengeance. Peter était si proche de Harry, dans une position idéale pour frapper et regagner ses grâces auprès de son maître quand le lâche qu’il a toujours été pourrait le faire sans prendre de risque. Je ne pouvais pas le laisser faire. C’était la moindre des choses pour me pardonner - ou du moins, essayer - d’avoir refusé le rôle de Gardien de votre Secret.  

Mais là encore, j’ai échoué.

Oh, j’ai réussi à sortir. J’ai réussi à rejoindre Poudlard, à entrer dans le dortoir. J’ai même réussi à capturer Peter et l’emmener dans la cabane hurlante. Remus m’a rejoint, il avait lui aussi compris à ce moment-là, grâce à notre vieille carte. Mais il y a eu Harry… C’est lui qui m’a retenu.

Oh, James, si tu savais comme il te ressemble. Et pas seulement physiquement, crois-moi. Il ne t’a jamais vraiment connu et il a quand même compris qui tu étais, il se comporte comme tu l’aurais fait. Il déteste même autant Rogue et les Serpentard que toi. Et il a la même grandeur d’âme que toi… Au point que j’ai l’impression de te voir en lui parfois.

Toi aussi, tu aurais retenu ma main ce soir-là.

J’y ai cru, tu sais. Pendant un merveilleux moment, j’y ai cru. Que je pourrais me faire innocenter et que j’aurais pu l’accueillir chez moi et l’élever, comme tu l’aurais souhaité. Harry avait dit oui. Il était même prêt à quitter son oncle et sa tante pour vivre avec moi, t’imagines. Il avait dit oui et j’y ai vraiment cru, mon frère.

Mais encore une fois, Peter a réussi à fuir et encore une fois, c’est ma faute. J’étais tellement heureux d’être libre que je n’ai pas réfléchi. Tu aurais sûrement dit que j’ai laissé une partie de mon intelligence et de ma logique entre les murs d’Azkaban. Tu aurais peut-être eu raison. J’aurais dû savoir, j’aurais dû anticiper qu’il tenterait de fuir sous sa forme animagus, il l’avait déjà fait.

Je m’en veux tellement, James. Pour tout. Et je me sens plus qu’inutile, cloîtré dans cette maison où je m’étais juré ne plus remettre les pieds. Mais c’est la seule chose que j’ai pu faire pour l’Ordre. Depuis, je ne sers strictement à rien, comme se plaît tant à me le rappeler Servilus. Je donnerais tellement pour sortir d’ici et me battre à nouveau. Peut-être alors que je trouverais une façon de me racheter. Une façon d’oublier la lâcheté dont j’ai moi-même fait preuve quand j’ai proposé Peter pour me remplacer auprès de vous.

Mais non, Dumbledore a tranché : je suis recherché de tous les côtés, le ministère de la magie, les Mangemorts, c’est à qui aura ma peau en premier. Alors j’en suis réduit à me cacher et à ressasser devant ma bouteille de Whisky Pur-feu. Depuis le temps, j’ai déjà bien entamé les réserves de mon père et s’il y a bien quelque chose qu’on ne peut pas lui retirer, c’est la qualité de sa cave…  

Je bois trop, mon frère, je ne suis plus que l’ombre de moi-même et ma santé mentale, déjà bien entamée par treize ans aux mains des Détraqueurs, manque de m’abandonner totalement quand j’entends les vociférations du portrait de ma mère ou les grognements séniles de Kreattur.

Je suis seul avec eux le plus souvent. Les autres partent tous en mission. Remus reste bien quelques jours par moment, mais lui aussi a décidé de s’engager dans des missions suicides. Il dit qu’il est le seul à pouvoir le faire, mais moi, je le suspecte surtout de vouloir fuir les avances de Tonks alors qu’il la dévore des yeux quand ils se croisent. J’ai bien essayé de le raisonner, mais il semble lui aussi rattrapé par ses vieux démons. Il est pourtant celui de nous quatre qui pourrait s’en sortir le mieux et être heureux, pour de bon. J’ai essayé de le lui dire, mais je n’ai sans doute pas les bons mots. Je crois surtout que tu étais le seul qui arrivait à faire rentrer quelque chose dans son crâne dur de lycanthrope.

Tu nous manques, James.

Tu me manques.

Notre temps à Poudlard me manque.

Le temps de l’insouciance, des rires. Tu as été un exemple pour moi. Pas toujours un bon, c’est vrai, mais ça aussi, tu t’en fichais. Tu profitais de la vie et tu avais parfaitement raison, c’était le meilleur moment pour le faire après tout et je ne regrette aucun des instants passé là-bas. Je rêve d’une vie où ce temps n’aurait jamais fini.

La nostalgie me guette, je devrais probablement arrêter là. Tu disais toujours qu’il n’est pas bon de se perdre dans le passé, que ça nous retient d’avancer.

Pardonne-moi, mon frère, je ne t’ai pas écouté.