Pensées volées

Chapitre 7 : Te rappelles-tu, mon frère

1870 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 22/08/2024 08:03

 

Cette fanfiction participe au jeu d'écriture : Mots-Clés « Frontière et Regrets » du forum fanfictions.fr (juillet/août 2024)



Sirius,

 

Te rappelles-tu, mon frère, nos rires malgré nos chamailleries d’enfants trop gâtés ?

Te rappelles-tu nos discussions endiablées autour de la coupe de Quidditch chaque année ?

Les dîners trop parfaits et l’ennui partagé ? Les vêtements bien repassés, même si tu détestais Kreattur qui s’en occupait ?

 

Te rappelles-tu aussi les fous rires discrets que nous partagions dans le dos de l’oncle Alphard quand il faisait mine de ne pas regarder ? Il n’était pas dupe pourtant. Je crois même qu’il faisait exprès de te donner matière à rire et qu’il était le premier à protester contre les sanctions que ces moqueries t’apportaient. Il était pour toi, le temps de ces soupers, le refuge que tu ne trouvais pas chez nous. J’en étais heureux à l’époque, tu sais.

 

Te rappelles-tu les gâteaux que je te ramenais quand tu étais privé de repas par ces punitions injustifiées ? La complicité qui nous liait quand nous les dévorions, assis sur le plancher de ta chambre, en jetant des regards anxieux vers la porte quand les lattes de l’escalier grinçaient au passage de nos parents ? Les secondes interminables où nous attendions, figés, la bouche pleine, que le danger soit écarté avant de dissimuler nos éclats de rire qui manquaient alors de nous étouffer ?

 

Savais-tu que ces nuits-là, je restais avec toi pour prolonger le plus possible ces moments que je trouvais parfaits ?

 

Les mots que tu m’as dit un de ces soirs m’ont surpris et je suis resté sans voix. Je n’étais même pas certain, sur le moment, d’en comprendre le sens. Chez nous, c’était quelque chose qui ne se disait pas. Malgré tout, ces trois mots-là ont marqué mon cœur et mon destin plus encore que la marque que j’ai sur le bras. T’en doutais-tu alors ?

 

Je suis conscient, tu sais, que tu n’avais pas la position la plus enviable : l’ainé. L’héritier. Celui sur qui l’avenir de la famille reposait. Je comprends maintenant la pression qui en découlait. Mais je te revois sans cesse franchir la porte de notre maison. Sans un regard en arrière, sans un regard pour moi.

 

J’ai réfléchi souvent à ton départ, tu sais, et nombre de fois je me suis demandé pourquoi. Nombre de fois je me suis demandé si ce qu’on avait partagé dans notre enfance avait eu une quelconque importance pour toi. Et dernièrement, je me suis demandé si je n’avais pas occulté une partie de la vérité.

 

Tu étais mon grand frère. Celui que j’adorais et que j’admirais. Plus beau, plus grand, plus intelligent, plus tout. J’étais le cadet, préféré des parents, et j’ai fermé les yeux sur tout ce que tu subissais. Je n’ai pas protesté, je n’ai pas dénoncé. J’ai juste regardé, presque fasciné, ta désinvolture face aux maltraitances que tu endurais.

 

Avec le recul, je me demande comment tu as fait pour résister aussi longtemps. Avec une pointe d’espoir, je me demande si c’était pour moi, pour me protéger et me mettre en garde contre ce chemin que je m’apprêtais à arpenter avec tant de hâte.

 

Ton départ n’était finalement pas si étonnant quand on sait que je n’ai jamais fait de pas vers toi, pour t’encourager, te consoler ou te défendre, malgré le poids que mon avis pouvait avoir auprès de nos parents. Et pourtant, je t’en ai voulu, à l’époque, d’avoir franchi cette porte. Je t’en ai voulu de ne pas regretter ton choix alors que je m’entêtais à te tourner le dos sans cesse depuis que le choixpeau avait scellé ton destin, puis le mien. Depuis qu’il avait décrété que tu irais à la maison Gryffondor, rompant avec la tradition séculaire de la famille qui nous destinait, me destinait, à Serpentard. Depuis que tu l’avais rencontré, Lui.

 

Tu sais, je l’ai jalousé, James Potter, pour t’avoir éloigné de moi. J’ai rejeté la faute sur lui, je l’avoue. Parce qu’il était le frère que tu avais choisi. Parce qu’il avait pris ma place.

 

Comprends-moi, nous n’avions jamais été séparés avant. Tu étais mon repère, bruyant et solaire, et pendant toute cette année où tu étais à Poudlard et moi à la maison, j’attendais ton retour, à chaque vacance, avec impatience. Je voulais t’entendre parler des cours, des professeurs, du château, pas d’un autre avec qui tu développais une complicité égale à celle qui nous unissait… avant.

 

Nos soirées ont changé alors. Je me rappelle encore comme tu chantais ses louanges à chaque fois que tu rentrais et qu’on se retrouvait seuls dans ta chambre ou la mienne. Je t’entends encore te réjouir de le retrouver lui et tes deux autres amis. J’écoutais sans rien dire mais je hurlais à l’intérieur. Je crois que c’est là où, inconsciemment, tu as commencé à tracer cette ligne entre nous. Ces instants, je les aurais souhaités identiques à ceux de notre enfance et l’aiguillon de la jalousie me piquait alors si férocement que je renforçais cette ligne à l’encre indélébile. Les gâteaux qu’on partageait n’avaient plus la même saveur.

 

Je crois que c’est cette année-là, que tu me les as dit pour la dernière fois. Ces trois petits mots que tu me soufflais quand tu pensais encore que rien n’avait changé. Je les entendais mais malgré la sincérité que tu devais éprouver, je n’y croyais plus.

 

J’espérais alors que mon arrivée au collège l’année suivante me permette de reprendre la place qui me revenait de droit. La désillusion fut cruelle.

 

Je me rappelle ton regard plein d’espoir quand je me suis installé sous le choixpeau, puis la déception dans tes prunelles grises quand il a hurlé à travers la Grande Salle que j’irai Serpentard. La rivalité entre les maisons ennemies de Poudlard a enterré notre fraternité et le poison de la jalousie s’est étendu davantage. A chaque fois que je te voyais passer ton bras autour des épaules de Potter, il gagnait du terrain. Quand j’entendais vos rires ricocher sur les murs du château, il enflait dans mes veines.

 

Je vous revois vous pavaner dans les couloirs, comme si le monde vous appartenait. C’était probablement le cas et toi, plus que tout autre, aurais pu l’avoir à tes pieds si seulement tu en avais émis le souhait.

 

Je t’ai détesté pour ça, tu sais. Je t’ai détesté à hauteur de l’affection que je te portais.

 

Alors j’ai fait tout ce que je pouvais pour attirer ton attention. Je me suis mis à fréquenter ces gens que tu détestais tant, Rogue en particulier. Et j’en éprouvais presque de la joie, honteusement, quand tu t’en prenais à lui. C’est très égoïste, je sais, mais je voulais croire que tu cherchais à me protéger encore, malgré nos différends. Tu lui interdisais de partager avec moi sa passion de la magie noire et tu semblais tellement détester cela que, par fierté et pour te défier, je m’y suis moi-même intéressé davantage.

 

Puis j’ai foncé dans l’abyme du fanatisme en suivant les traces de Bellatrix. J’ai adhéré aux idées de nos parents. Je n’ai pas résisté quand on m’a présenté le Seigneur des Ténèbres. Je savais que tu n’approuverais pas. Je voulais que tu t’énerves, que tu me cries dessus, que tu viennes me chercher. Que tu te comportes comme ce frère qui me manquait tant.

 

Je ne réalisais pas alors que c’était la pire façon de faire. Je n’ai fait que t’éloigner davantage, creuser plus encore ce gouffre qui nous séparait et j’ai nourri moi-même mon ressentiment envers toi. Je m’y prenais mal et je laissais ma rancœur et mon orgueil prendre le dessus quand tu faisais exactement ce que j’espérais au point de me plonger totalement dans ce qui nous opposait.

 

J’étais en colère et blessé, alors j’ai voulu marquer notre différence. Et ce ne fut pas si difficile en fin de compte. Parce que j’ai réellement fini par les détester, tous ces Sang-de-bourbe et Sang-mêlés qui nous volaient notre travail, notre magie. Ceux qui me volaient mon frère.

 

Oh oui, je les ai haïs. Et c’était facile, tellement facile. J’ai été aveuglé par cette haine et les discours que le Lord Noir prononçait. Il sait y faire, tu sais. Il sait trouver ce qui va nous toucher le plus, nous agripper, nous accrocher. Il m’a fallu du temps pour m’en sortir et voir la réalité en face. Quand j’ai compris que ses motivations étaient égoïstes, que nous n’étions là que pour assouvir sa soif de pouvoir et qu’il n’avait que faire de nos envies, ma colère, enfouie depuis des années, a semblé exploser, dirigée toute entière contre lui ou contre moi.

 

J’avais honte. Honte d’avoir été tellement aveuglé, de lui avoir laissé tant de place dans ma vie, d’avoir voulu combler ton absence par ses Mangemorts fanatiques, d’en être devenu un moi-même. Honte de voir toutes les erreurs que j’ai commises, tout ce temps gâché. 

 

Tu disais que je me trompais de combat. Je voudrais que tu saches : tu avais raison.

J’espère que tu sauras ce que j’ai fait, qu’Il avait créé des Horcruxes et que j’en ai volé un.

J’espère que tu apprendras mon sacrifice, que tu comprendras mes regrets et que tu me pardonneras.

J’espère que malgré tout, tu pourras à nouveau être fier de moi.

 

Je meurs, mon frère, et cette grotte sinistre me renvoie les échos de mes propres cris. Ton prénom ricoche contre les murs. Te rends-tu compte, Sirius : mes regrets portent ton nom…

 

Te rappelles-tu, mon frère, ces trois petits mots que notre famille avait bannis ?

Te rappelles-tu que je suis la seule personne à qui tu les avais dits ?

 

J’aurais dû te l’avouer plus tôt…

 

Je t’aime aussi.


Laisser un commentaire ?