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Chapitre 3 : Que la grande crique nous croque

4218 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/09/2023 19:00

3. Que la grande crique nous croque


- Branle-bas de combat ! s’écria Roselyne. Harpons et sabre d’abordage ! Chargez les canons ! Courage, les enfants !


Ses matelots se précipitèrent à leurs postes. Ces terreurs de la mer allaient devoir dompter leur propre peur, car ils ne connaissaient pas ce qu’ils allaient affronter. Roselyne, elle, le savait. Mais cela arrivait beaucoup trop tôt… elle n’avait pas encore élaboré de plan d’action pour un tel cas de figure…


L’ombre dans l’eau grandit : elle remontait à la surface. En émergeant, elle causa un véritable torrent d’écume, manquant de submerger le Vaisseau fantôme. C’était bien le Mégamorphe Centroïde du Jura. En ce moment, c’était un Antoine Furetière géant : un homme à l’air lunaire avec une abondante chevelure frisée, d’épais sourcils broussailleux par dessus des yeux à demi-clos, et surtout un très gros nez tombant et joufflu. Les pirates brandirent vaillamment leurs armes, malgré la stupéfaction teintée d’effroi qu’on lisait sur leur visage. Même dans leurs rêves les plus alcoolisés, aucun d’entre eux n’aurait jamais imaginé une créature aussi saugrenue. Le monstre marin toisa le Vaisseau fantôme, une expression circonspecte sur son visage mou, et articula d’une voix pompeuse :


- Il arrive beaucoup de choses entre la bouche et le verre !


Les pirates baissèrent légèrement leurs armes, déconcertés de l’entendre parler. Le Mégamorphe agita son corps de la taille d’un gros cachalot couvert d’écailles turquoises, causant de vastes remous ; puis il sortit ses mains griffues de l’eau et les frappa l’une contre l’autre d’un air menaçant. Roselyne fit tourbillonner la barre du vaisseau à tribord et, d’un geste expert, sortit sa baguette magique cachée dans la poignée de son sabre.


- Remplace-moi, Ustache ! s’exclama-t-elle.


Son second accourut et prit la barre. Roselyne sauta et grimpa dans les haubans, sa baguette magique entre les dents. Ses canonniers n’étaient pas encore prêts, il fallait gagner du temps. Une fois à bonne hauteur, elle visa le Mégamorphe qui commençait à s’avancer et lança un sort.


- Stupéfix !


Son éclair rebondit contre le ventre du monstre, mais il lui causa une vive douleur. Le Mégamorphe se mit à gronder, énervé. Roselyne lui lança deux autres éclairs de Stupéfixion, puis, alors qu’il approchait, elle cria à l’intention de Vicky :


- Feu !


- FEU ! répéta la maîtresse-canonnière à ses subordonnés.


Les canons du vaisseau tirèrent une bordée de boulets sur le Mégamorphe. Il fut atteint de plein fouet et se plia en deux de douleur. Il poussa une sorte de grand barrissement, puis il bascula en arrière et replongea. Les pirates poussèrent un grand cri de joie.


- Bouclez-la, tas de crétins ! les coupa Roselyne. Il va revenir !


- Rechargez ! ordonna Vicky à ses subordonnés.


Mais alors, le Antoine Furetière rejaillit juste devant le navire et lui asséna un grand coup de poing latéral tout le long du navire. La coque fut déchiquetée, la moitié des canons de travers balayée, et de braves canonniers tombèrent à la baille. Roselyne jura. Elle aurait dû appliquer un autre sort de protection à sa coque : les coups du Mégamorphe étaient bien plus puissants que des boulets moldus, et il avait raté de peu la ligne de flottaison… Furieuse, elle perdit son calme et voulut tuer la créature :


- Avada Ked…


Mais à ce moment, le Mégamorphe flanqua un grand coup d’épaule dans le vaisseau. Le bâtiment fut secoué si violemment que Roselyne perdit l’équilibre et tomba des haubans. Pleine de réflexes, elle lança un autre sort.


- Arresto Momentum !


Une vague bleuâtre apparut sous elle et amortit sa chute. La capitaine se releva en s’appuyant sur son sabre. C’était heureux, finalement, que son incantation ait été interrompue. Elle ne devait pas tuer le Mégamorphe, juste le stopper…


Tout à coup, le Furetière géant fit un mouvement pour agripper le grand mât et le broyer. CLANG ! Ses griffes heurtèrent un long morceau de métal. Avechul contenait la main écailleuse avec son espadon, opposant admirablement sa force à celle de la gigantesque bestiole. Le colosse fit un bond pour se dégager, et, d’un grand revers, il blessa la créature au bras avec son épée.


- Viens donc, bête immonde ! hurla-t-il en faisant mouliner son arme. Viens affronter le chevalier Avechul !


- Un beau titre est le vrai proxénète d'un livre ! répondit le Furetière.


Mais tous les pirates n’avaient pas le courage et l’opiniâtreté d’Avechul. Les autres résistaient avec l’énergie du désespoir. Les balles des mousquets ne faisaient que ricocher contre la peau de la créature, et c’était à peine si elle se donnait la peine d’esquiver les pointes des harpons. Le Mégamorphe Centroïde du Jura frappait, frappait encore en lâchant inlassablement ses phrases sans queue ni tête. Ustache se cramponnait à la barre, s’épuisant à empêcher le navire d’être renversé. Roselyne ne parvenait pas à réfléchir à une tactique : elle était trop occupée à protéger ses hommes et son navire avec des Charmes du Bouclier lancés à la pelle, et à repousser le Mégamorphe avec son sabre. Plusieurs de ses meilleurs marins étaient déjà morts, et à cette cadence, son bâtiment allait être mis en pièces. Elle grimpa sur le bastingage, donna un coup de sabre sur son gros nez, et essaya à nouveau d’immobiliser l’animal.


- Petrificus Totalus !


Mais la bête était beaucoup trop énorme pour être pétrifié par une seule sorcière. Roselyne était déroutée. Comment Emilia Rachelle-Moïrat avait-elle pu dompter un tel monstre ?


« Mais qu’est-ce qui pourrait bien l’envoyer par le fond, cette saloperie ? » se demanda-t-elle.


Le Mégamorphe, ulcéré par cette sorcière qui le défiait, voulut l’écraser avec sa paume. Roselyne bondit et fit une roulade en avant, évitant de justesse la main turquoise qui percuta avec violence le pont supérieur. Elle jeta alors un coup d’œil à la proue de son navire, et une idée lui vint. Peut-être qu’en manœuvrant habilement, elle pourrait essayer de l’éperonner...


C’est alors qu’on entendit le son d’une corne résonner dans toute la crique. Et, sous le regard stupéfait de tous, le Mégamorphe s’immobilisa aussitôt. Il cessa totalement ses attaques. Les pirates gardèrent leurs armes pointées vers lui, stupéfaits. Le monstre recula lentement, puis s’enfonça avec grâce dans l’eau. On pouvait voir son ombre gigantesque nager au fond. Roselyne et son équipage levèrent la tête. Ce son était venu du haut d’une falaise. Une silhouette était perchée tout en haut, et observait la bataille. Alors, une voix de femme retentit :


- Je suis stupéfaite que vous m’ayez trouvé aussi vite. Je pensais vous attendre ici pendant des mois…


Roselyne frémit. Elle connaissait cette voix. Depuis la falaise, la femme transplana au beau milieu du pont. Drapée dans une robe écarlate, elle était de haute taille, mince, avait de petites lunettes et des cheveux blonds coupés courts avec une grande mèche de côté. Dans son dos, elle portait un objet que Roselyne ne l’avait jamais vu arborer : un long cor courbe en ivoire, avec une sorte de barillet métallique en son centre. La pirate fronça les sourcils. Soudain, le Antoine Furetière refit surface un peu plus loin, juste à l’entrée de la crique. Il bloquait le passage.


- Salutations, capitaine Bachelefeu, dit la femme d’une voix onctueuse. Il y a longtemps que nous ne nous étions pas vues.


- Pas assez à mon goût, professeur Moïrat, répliqua Roselyne avec amertume. Dites-moi, qu’est-ce qui vous est arrivé ? La dernière fois que je vous ai vue, vous étiez une professeure de Lettockar sérieuse et dévouée, et maintenant, je vous retrouve en traîtresse à faire joujou avec cette corne de brume grotesque !


Le sourire d’Emilia Rachelle-Moïrat s’élargit. Elle cessa de feindre la courtoisie et se mit à tutoyer Roselyne.


- Je vois que tu as compris : c’est grâce à cette corne que je peux donner des ordres au Mégamorphe. Je l’ai créé moi-même, j’y ai passé près de huit ans ! Depuis le jour où on m’a refusé le titre de directrice qui me revenait de droit. Oh, inutile d’essayer de me la voler, elle est immunisée aux sortilèges d’Attraction. Un geste de trop et mon fidèle compagnon vous enverra tous par le fond.


Elle avait vu Roselyne esquisser un mouvement avec sa baguette magique. Au loin, le Mégamorphe Centroïde dardait continuellement ses yeux aux lourdes paupières sur le navire, marmonnant des choses incompréhensibles. Excédée, Roselyne frappa le sol de la pointe de son épée.


- Mais par les balloches de Poséidon, pourquoi tu nous a amenés dans ce traquenard ? interrogea-t-elle avec hargne. Qu’est-ce que tu veux exactement ?


- Pourquoi je vous ai amenés ici ? gloussa Rachelle-Moïrat. Parce que je veux te provoquer personnellement en duel de sorcellerie, Roselyne Bachelefeu. Ce que je veux ? Très simple : je veux ton navire.


Les pirates étouffèrent des exclamations stupéfaites. Ustache posa discrètement la main sur la crosse de son pistolet…


- Mon navire ? répéta Roselyne, incrédule. Qu’est-ce que tu vas en faire, bon dieu ?


- A ton avis ? Je le veux pour conquérir Lettockar. Kebir et toi avez surchargé ce rafiot d’enchantements ! Des canons ensorcelés pour percer même les défenses magiques, une vitesse semblable à nulle autre dans toutes les armadas, j’en passe et des meilleures. Partout dans le monde, on dit qu’il est invincible sur les flots. Avec lui, n’avez-vous pas mis Fort-Dauphin à sac à vous tout seuls ? Avec ton navire et le Mégamorphe, personne à Lettockar ne pourra rien contre moi, pas même Kebir ! Nos idiots de collègues l’ont préféré à moi sous prétexte qu’il était soi-disant plus fort, plus grand ; eh bien, puisque mon lignage ne leur a pas suffi, je vais leur montrer de quoi je suis capable ! Oui, je veux vraiment ton bateau. Ce sera l’enjeu de notre duel.


L’équipage ne pipait mot. La quasi-totalité ne comprenait strictement rien à toute cette histoire. Avechul lâcha même un ostensible « pfffrffffft » profondément ennuyé. Roselyne était bien d’accord avec lui : elle n’en pouvait plus d’entendre cette bouffonne arrogante. Elle pointa son sabre vers elle et lui répliqua avec mépris :


- Bla bla bla, tu causes, tu causes, mais en attendant, dis-moi pourquoi je le ferais, ton duel ? Il me faut une raison valable de l’accepter, ça peut pas aller que dans un sens ! Je dois y gagner quelque chose. Et me réponds pas « je te laisse la vie sauve », ça ne marchera pas !


- Mais tu as tout à fait raison, Roselyne. Si tu gagnes, je te donnerai ma corne qui permet de contrôler le Mégamorphe. Imagine un peu… la plus grande pirate du monde disposant d’une arme supplémentaire, un monstre marin pouvant broyer un navire à lui tout seul… c’est une raison valable, non ? Dans les deux cas, ton vaisseau est gagnant, car le Mégamorphe sera à son service quel que soit le vainqueur.


Une fois encore, Roselyne fut désarçonnée. Le Mégamorphe, sous ses ordres ? Elle balaya son équipage du regard. Les pirates qui venaient de voir la terrible créature à l’œuvre semblaient très enthousiastes à cette perspective. Alors, elle souffla avec force par le nez, rengaina son sabre et déclara :


- Ton marché est convenable. J’accepte le duel.


Ses matelots l’acclamèrent par un rugissement extatique. En réalité, Roselyne se fichait totalement de ce marché. La vraie raison pour laquelle elle acceptait ce combat, c’est qu’elle n’allait certainement pas se dégonfler devant ses boucaniers. De toute façon, Emilia ne leur laissait pas réellement le choix : le Mégamorphe les empêchait de partir. L’ancienne professeur utilisa un sortilège de Transfert pour envoyer sa corne sur le nid-de-pie. Roselyne, elle, confia son sabre à Ustache, ainsi que son chapeau. Elle aurait seulement sa baguette magique et sa cervelle pour ce combat. Alors que les deux belligérantes prenaient position, les pirates encouragèrent leur capitaine avec ferveur :


- Allez-y capitaine, fendez-lui l’crâne !


- Faites vot’ sortilège qui tue, là, et c’est dans la poche !


Roselyne leur sourit avec assurance ; toutefois, elle ne pouvait pas utiliser de Sortilège de la Mort contre Rachelle-Moïrat. Hussein voulait qu’on la ramène à Lettockar. L’équipage se plaça en spectateur des deux côtés du bastingage. Les deux magiciennes se saluèrent, baguette magique à la main, prêtes à jeter toutes leurs forces dans le combat qui éclaterait d’un instant à l’autre.


- Je n’ai pas eu le plaisir de t’avoir comme élève, dit Emilia, mais Kebir m’a tellement rebattu les oreilles de toi ! Si ce que l’on dit sur toi est vrai, tu seras sûrement une adversaire extrêmement coriace, Roselyne. J’en tremblerais presque.


Roselyne réagit par une exclamation méprisante. Elle ne se laisserait pas avoir par ces ironies. Elle n’attendit pas une seconde de plus pour déclencher les hostilités et lança son sortilège favori.


« Confringo ! » pensa-t-elle avec force.


Et une boule de feu jaillit de sa baguette magique. Rachelle-Moïrat sourit. Elle leva tranquillement le bras, et lorsque le projectile incandescent faillit la percuter, elle le fit tournoyer autour de sa baguette comme la boule d’un bilboquet et l’envoya s’éteindre dans l’eau. D’un mouvement d’estoc, elle envoya un éclat de lumière blanche sur son adversaire, mais Roselyne le dévia.


- Serpensortia ! s’écria alors la flibustière.


Sa baguette pétarada et matérialisa un gros serpent vert. Le reptile glissa vers Rachelle Moïrat en sifflant, exhibant ses longs crochets venimeux. L’enseignante de Gestion de bestioles éclata de rire.


- Envoyer un animal non-magique contre moi, Roselyne ? C’est un peu ridicule ! s’exclama-t-elle.


Elle décrivit un cercle avec sa baguette, et le serpent s’interrompit dans sa course. Il s’enroula sur lui-même et se mit à mordre sa propre queue, émettant des bruits de gorge grotesque. Certains spectateurs rigolèrent. Dépitée, Roselyne lança un Maléfice Cuisant, mais elle rata sa cible. Elle reçut alors en pleine joue un rayon noirâtre maléfique lancé par Emilia. Elle sentit le sortilège lui casser deux dents. Elle cracha un filet de sang et, l’oeil brûlant de rage, répliqua aussitôt :


- Incendio !


- Protego ! formula Rachelle-Moïrat.


Les flammes de Roselyne se heurtèrent à un bouclier translucide. Mais malgré la protection de Rachelle qui semblait impénétrable, elle refusa d’interrompre son sortilège. Elle continua de projeter ses flammes en continu, mue par la colère…


- Elle est folle, elle va foutre le feu au bateau ! s’indigna alors Leonardo.


Ces mots la firent se sentir mal à l’aise. Elle éteignit son jet de flammes, et cingla l’air de sa baguette pour projeter un autre éclair de Stupéfixion. Rachelle-Moïrat le para d’un geste désinvolte. Elle souriait toujours. Elle murmura un mot, et quelque chose de bizarre sortit de sa baguette magique, comme une nuée de lucioles… les insectes vinrent voleter juste devant les yeux de Roselyne, pour lui masquer la vision. Agacée, la pirate les métamorphosa en billes de plomb. Elle ne comprenait pas. Qu’est-ce qu’Emilia fichait, avec ses sorts ridicules ?


Soudain, Roselyne entendit des bruits de craquement provenir de la proue. L’effigie en forme de bouc s’était détachée de la coque et grimpait sur le pont. Le caprin de bois tambourina le plancher de ses sabots et chargea vers Roselyne. Celle-ci ensorcela alors deux pierriers sur le bastingage, et les canons pulvérisèrent la figure de proue. La tête cornue roula jusqu’aux bottes de Roselyne, qui la contempla avec consternation. Devant elle, Rachelle-Moïrat ne cessait d’arborer son sourire, cet insupportable petit sourire supérieur qui donnait envie à Roselyne de lui couper les lèvres et les lui faire manger.


- Utiliser MON navire contre moi, tu vas le payer, salope ! mugit-elle.


Elle leva le bras et tonna une incantation. Sa baguette se prolongea alors pour devenir un long fouet et, d’un coup puissant, elle frappa Rachelle-Moïrat en pleine tête. SHLAC ! Emilia poussa un cri strident et tomba à la renverse tandis qu’une profonde coupure se taillait sur sa joue. Un flot de sang coula sur son visage. Roselyne éclata d’un rire dément et abattit à nouveau son bras. Rachelle-Moïrat se roula sur le côté pour l’esquiver, mais le fouet vint lui lacérer le dos. SHLAC ! Roselyne moulina son bras dans tous les sens, rugissant comme une lionne, avec une seule envie à l’esprit : lui tanner le cuir autant que possible.


Elle entendit alors encore un bruit de craquement, provenant cette fois de ses pieds. Elle n’eut pas le temps de regarder que la planche juste devant elle se souleva et la frappa en pleine figure. Roselyne vit trente-six chandelles. Abrutie par la douleur, elle tituba en arrière. Derrière elle, une autre planche vint lui frapper les fesses. Puis, une poulie se balança au bout d’un filin et lui cogna l’occiput. Et une planche revint lui frapper la figure.


- Mais arrêtez ! s’écria-t-elle stupidement, comme si les objets avaient pu lui répondre. Je vous dis d’arrêter !


Son équipage avait complètement cessé de l’encourager, et beaucoup contemplaient à présent le spectacle avec une incrédulité peu flatteuse. Tandis que Roselyne s’efforçait de repousser un faubert qui essayait de lui casser la mâchoire, une barre du cabestan se délogea et l’atteignit en plein ventre. La pirate lâcha un cri étranglé, la bouche grande ouverte et les yeux exorbités. Fauchée par la douleur, elle tomba à genoux.


- Capitaine !! s’écria Ustache.


La vision de Roselyne se troubla. Mais elle distingua tout de même, avec surprise, une espèce d’étincelle qui remontait tout le long de son fouet, et le consumait entièrement sur son passage. Elle écarquilla son œil valide, mais avant qu’elle ait pu réagir, l’étincelle atteignit l’extrémité de sa baguette. Il y eut un bruit aigu, et son bâton explosa entre ses doigts.


- Incarcerem ! cria Rachelle-Moïrat.


Elle fit apparaître des cordes qui s’enroulèrent autour des bras, des poignets et des chevilles de la pirate, avec tant de force qu’elle en eut la circulation coupée. Le capitaine Roselyne Bachelefeu, fléau des sept mers, légende de la flibuste, ne pouvait plus bouger, n’avait plus de baguette magique… était vaincue.


L’issue du duel de magie laissa les pirates absolument consternés. Avechul en laissa tomber son épée. Roselyne ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Emilia lui avait aussi lancé un sortilège de Mutisme. Son ennemie transplana juste devant elle, la dominant de sa hauteur. L’ancienne professeure était essoufflée, et son visage ensanglanté était agité de tics de douleurs, mais restait dominé par une expression de jubilation totale.


- J’ai gagné, Roselyne Bachelefeu. Ton vaisseau, ton équipage et ton titre de capitaine sont miens.


A ces mots, elle fit apparaître sa grande corne dans sa main et souffla dedans. Le Mégamorphe s’écarta de la sortie de la crique et plongea. Les pirates du Vaisseau fantôme, parfaitement interdits, se regardèrent les uns les autres. Roselyne ne bougeait plus d’un centimètre, et ce n’était nullement dû aux liens qui la saucissonnaient. Son visage était gelé en une expression tétanisée. Une expression qui n’échappa pas à Rachelle-Moïrat. La renégate posa ses mains sur ses hanches et, sur le ton d’un professeur livrant une appréciation sur un élève, lui dit d’une voix claironnante :


- Tu es devenue paresseuse, Roselyne Bachelefeu. Tu étais très fière de toi, toutes ces années, pas vrai ? Tu te sentais surpuissante à dominer ces pauvres Moldus que tu abordais et qui étaient incapables de riposter face à tes pouvoirs magiques. C’est sûr que face à ce genre d’adversaires, c’est facile. Mais une fois que tu t’es retrouvée face à une vraie sorcière, qu’est-ce qui s’est passé ?


Roselyne baissa les yeux, les joues écarlates. Ces sentences la transperçaient comme des lames chauffées à blanc. Elle qui n’avait jamais perdu aucune bataille en mer, n’avait jamais courbé la nuque devant aucun capitaine, aucun commodore, aucun amiral ennemi… elle mordait son propre pont face à une arriviste endimanchée qui lui avait donné une leçon de sorcellerie en public…


- La terreur des flots, la banshee des mers, tu parles ! renchérit Emilia, impitoyable. Une escroquerie, voilà ce que tu es ! A force d’affronter des Moldus, tu n’as aucun génie, aucune ingéniosité au combat. Tes sorts, tes passes étaient tellement prévisibles ! C’est ce qui différencie une sorcière de talent comme moi d’une sorcière très ordinaire comme toi. Alors, si ça peut te consoler, dis-toi que ton vaisseau est entre d’excellentes mains. Une fois que j’aurais réglé mon petit… différend avec Kebir, j’en prendrai soin. En plus, ton pavillon correspond parfaitement à ma personne, moi la descendante du fondateur de Dragondebronze.


Emilia Rachelle-Moïrat tourna inélégamment le dos à son adversaire agenouillée, puis arracha le chapeau de Roselyne des mains d’Ustache et le posa sur sa tête. Elle s’adressa ensuite à son équipage :


- Ceux qui veulent rester avec votre perdante de capitaine, c’est le moment ou jamais. Après ça, ceux qui voudront s’en aller seront traités comme des déserteurs.


Personne ne dit rien. Aucun matelot ne bougea. D’aucuns auraient pu croire qu’ils resteraient fidèles à celle qui était leur capitaine depuis dix ans et qui les avait rendus riches. Mais c’étaient des pirates. La fidélité n’étaient pas dans leurs mœurs : ils ne connaissaient que la loi du plus fort. Roselyne ne pouvait pas leur en vouloir, elle savait à quoi s’attendre. Sans aucun doute, à leur place, elle aurait fait pareil…


Alors, quelqu’un sortit des rangs et s’avança vers Roselyne. L’ex-capitaine leva la tête. C’était Marcia. Sans dire un mot, elle entreprit de défaire les liens, avec quelques difficultés. Car contrairement à ses collègues sur le navire, la cuisinière n’était pas très douée avec les nœuds. L’un après l’autre, les cordes tombèrent sur le sol. Puis, elle passa ses épaules sous le bras de Roselyne et l’aida à se relever avec douceur.


Roselyne, qui tenait à peine debout, dévisagea Marcia, proprement stupéfaite. La jeune fille lui sourit. Puis, elle se tourna et fit face à Emilia, ses yeux verts ne cillant pas. Celle-ci haussa un sourcil, l’air dédaigneux.


- Personne d’autre ? dit-elle à la cantonade. Très bien. Équipage, toutes voiles dehors ! Sortez-nous de cette baie et mettez une chaloupe à la mer !


L’équipage se mit en branle pour appareiller. Personne n’adressa un regard à Roselyne. Rachelle-Moïrat sortit sa baguette, prête à réparer les dégâts causés au navire en deux temps trois mouvements. Mais avant cela, elle adressa à Roselyne et Marcia un grand sourire mielleux.


- Je vais vous laisser un moyen de transport et des vivres. Il ne sera pas dit qu’Emilia Rachelle-Moïrat aura été une directrice de Lettockar cruelle…

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