Dollhouse
Je ne savais pas si cela avait été ses mots, leur profondeur terrifiante ou leur douceur indécente, ou si cela avait été la force surprenante avec laquelle elle continuait de croire en la personne qu’elle supposait bonne que j’étais qui m’avait séduit, ou bien encore tout autre chose que j’aurais sûrement pu théoriser dans cet esprit qui ne cessait jamais de ressasser qui m’avait poussé à la toucher, mais c’était fait. Il ne servait plus à grand-chose de m’empoisonner le cerveau avec des raisonnements alambiqués pour comprendre, ou pire, justifier mes actions passées, il ne me restait plus qu’à en assumer les conséquences.
Ce que je savais, c’était que nous faisions désormais alliance, et que si nous étions découverts, le fait que je sois amoureux d’elle serait probablement la moins pire des charges qui seraient retenues contre moi par le Seigneur des Ténèbres. Ce que je savais également, c’était que je la voulais entraînée. Faire alliance avec nous était dangereux, tout autant que la Guerre en elle-même. Si nous étions découverts, il n’y aurait pas que mes amis et moi qui serions punis. Elle le serait aussi. Elle devait pouvoir se défendre. C’était dans cette perspective que j’avais décidé, lorsque cela était possible pour elle, qu’elle vienne s’entraîner avec Theo en qui j’avais une plate confiance en matière de combat.
Finalement, ce que je savais également, c’était qu’autant que les mots de Pansy m’avaient remué, je ne parvenais pas à m’autoriser une continuité dans ma relation avec Granger. Si ce n’était plus tant la peur d’être découvert qui m’empêchait d’agir sur mes sentiments, c’était désormais la peur de ne pas pouvoir me faire confiance à moi-même. Je me sentais plus déterminé que jamais à faire quoi que ce soit que j’aurai à faire pour Theo, mais les blessures qu’avaient laissé mon impuissance dans la Tour d’Astronomie devant elle et celles de ce qui en avait suivi étaient toujours actives en moi. Quand bien même je me savais rationnellement absolument et totalement prêt à faire le pire sous ses yeux à elle désormais, une part de moi plus émotionnelle continuait d’être effrayée à l’idée que je sois à nouveau réduit à cette même impuissance si je m’autorisai à l’aimer sans dresser de barrière entre nous.
C’était là quelque chose de particulier, les traces que pouvaient laisser les expériences négatives sur moi. Quand bien même je savais qu’il s’agissait du passé, quand bien même je me savais désormais absolument inarrêtable pour protéger mon frère, peu importait ce que j’aurai à faire, peu importait à quel point je devrais me tuer de l’intérieur, moi et tout le reste du monde, peu importait à quel point je me l’étais désormais largement prouvé, je continuais d’avoir peur de ne plus en être à ce point capable si je l’autorisai vraiment à entrer dans mon cœur sans restriction. Pansy avait parlé d’excuses et de lâcheté, et si auparavant cela avait pu être le cas, je n’avais pas l’impression que ce l’était encore. C’était simplement une terreur profonde de ne pas pouvoir faire tout ce que j’avais à faire pour m’assurer de la survie de mon frère. C’était les restes de ce qu’il s’était passé ce soir-là. Les traces latentes de la pire souffrance que je n’avais jamais ressentie. Et peu importait à quel point je me savais différent désormais, quelque chose à l’intérieur de moi demeurait bloqué à ce soir-là. A l’impuissance dans laquelle je m’étais retrouvé parce qu’elle avait été là, et toute l’horreur qui en avait découlée. Les nuits, je continuais de revoir Theodore perdre la tête dans cette cathédrale. Je continuais de cauchemarder de sa gorge tranchée alors qu’il me regardait. Je me revoyais frapper son torse inlassablement. Je ressentais encore la douleur physique dans mon corps, et celle, pire encore, émotionnelle de le perdre. Si je fermais les yeux trop longtemps, je ressentais à nouveau le désespoir horrifique qui s’était emparé de moi quand j’avais supplié les Dieux pour sa vie. Ce n’était pas qu’une question de volonté de ma part d’intégrer Granger pleinement à ma vie, c’était un blocage à la fois physique et psychologique de m’autoriser à être en réelle relation avec elle à cause de ce qu’il s’était passé. Certaines personnes appelaient cela un trauma. J’avais tendance à considérer cela comme de l’instinct de survie, afin que ce qu’il s’était passé d’affreux ne puisse jamais plus se reproduire. Et après tout, qu’y avait-il de plus naturel et d’incontrôlable que l’instinct de survie ?
Alors j’avais fermé cette porte dans mon esprit ainsi que dans mon cœur lorsqu’elle était repartie, et j’avais continué d’avancer. Mon frère m’était revenu, et c’était là tout ce qui comptait. Quelques jours plus tard, Maxwell était venu à ma demande nous faire un rapport sur les principales rixes qui avaient eu lieu pendant que nous récupérions de notre côté. Si certaines avaient été plus compliquées à cause de l’Ordre, ou même des armées moldues, nous en étions à un stade où nous allions bientôt passer à la vitesse supérieure. Il serait très bientôt envisageable de s’emparer du Ministère magique, ainsi que de contrôler les frontières du pays et l’armée moldue, ce qui représentait les grosses étapes suivantes pour prendre le contrôle du pays. C’était une bonne chose. Plus je satisferai le Seigneur des Ténèbres, plus je prendrai d’importance, plus j’aurai de poids, plus je pourrai protéger Theo, et moins je serai soupçonné d’œuvrer pour la perte de Voldemort.
Theo et moi étions en train d’échanger à propos du fait que nous étions désormais en état d’aller tester nos capacités sur une rixe programmée lorsque Blaise avait débarqué dans le bureau en faisant voler la porte derrière lui. Il s’était affalé dans la chaise face au bureau où je me tenais, quand bien même il était tourné vers Theo, qui pour sa part se tenait debout à côté de lui. Quelques secondes dans un silence inconfortable passèrent pendant que Blaise fixait Theo avec des yeux ronds, et Theo et moi le fixions en retour, dans l’attente de ce qu’il sous-entendait dans l’intensité inconfortable de son regard.
- Tu t’fous d’ma gueule ? lâcha-t-il alors soudainement.
Les sourcils de Theodore se froncèrent sur son front tandis qu’il ne lâchait pas ses yeux sombres, cherchant probablement dans chaque recoin de son esprit ce qui pouvait bien expliquer que, visiblement, il se foutait de sa gueule.
- T’as refusé d’la baiser ? explicita-t-il alors devant l’incompréhension de mon frère.
Ah. Je pinçais mes lèvres pour me retenir de sourire.
Theodore soupira, ou bien il expira profondément, je n’en étais pas certain. En tout cas, il entre-ouvrit ses lèvres pour lui répondre, mais Blaise le coupa en levant un index menaçant vers lui :
- Donc, attends, att-tt-tt-ends, que j’comprenne bien…, reprit-il encore. Y a la femme de ta vie, dont t’es raide dingue amoureux, genre à un niveau maladif, appuya-t-il vers lui, qui te supplie de la baiser, et toi tu dis non ?
- Mmh, reconnu simplement Theodore tandis que je retenais difficilement le sourire en coin qui menaçait de se frayer un chemin au creux de mes lèvres.
Le visage de Blaise se déconstruisit sous l’incompréhension. Sa bouche s’ouvrit, ses sourcils se froncèrent légèrement, et il pencha le visage sur le côté avant de faire doucement non de la tête.
- Toi et moi on est vraiment pas d’la même race mon frère, constata alors notre ami visiblement dans l’incompréhension la plus totale.
Theodore demeura debout devant lui, soutenant son regard en silence, n’ayant rien à ajouter à cela. Le visage de Blaise continuait de doucement exprimer « non » pour lui. Il cligna des yeux, fixant mon frère comme s’il était un alien parmi nous avant de lui demander, la confusion grandissant dans le ton de sa voix :
- Mais genre… pourquoi ?
Je ne pus retenir un pouffement. Aucun des deux ne détourna le regard de l’autre pour prêter attention à mon amusement.
- Elle ne se rappelle pas, lui répondit tout simplement Theodore comme si cela expliquait tout.
C’était ce qu’il m’avait répondu à moi aussi, lorsque nous en avions parlé tous les deux. Moi, j’avais compris tout de suite. Blaise, lui, ouvrit les paumes de ses mains devant lui pour appuyer son incompréhension.
- ET ALORS ?! questionna-t-il encore alors que sa voix montait dans les aigus. Elle te veut quand même !
- Elle et moi, c’est pas que du sexe, argumenta encore mon frère de son calme habituel.
- Non mais d’accord, mais justement ! s’exclama un Blaise dont les mains appuyaient chacun de ses mots. Il se trouve qu’elle t’apprécie, toi t’es fou d’elle, et elle, elle veut ta bite. Qu’est-ce que tu branles ?!
- Bah lui du coup, chuchotai-je avec un sourire pincé que je ne pouvais plus retenir.
Cette fois-ci Theodore m’adressa un regard noir qui me poussa à pincer plus encore mes lèvres. Lorsqu’il retourna les yeux vers notre ami, il explicita plus longuement :
- Je peux pas imaginer une seule seconde la toucher en me rappelant comment c’était quand c’était vraiment elle et moi, et me prendre le contraste en pleine gueule maintenant qu’elle ne m’aime plus. Je ne peux pas…, je ne peux pas me rappeler comment c’était, et être confronté à son désir vide d’amour. Je le supporterai pas, acheva-t-il plus bas, la douleur dans ses mots désormais évidente.
Il n’avait pas la force de se confronter, encore, au fait qu’elle n’était plus amoureuse de lui. Il m’avait expliqué qu’il en était assez témoin au quotidien, depuis assez de temps. Qu’il avait appris à supporter les yeux dénués d’amour qu’elle posait sur lui, la tonalité de sa voix dénuée de tendresse avec laquelle elle lui parlait, la façon dont elle ne le touchait quasiment jamais. Pansy avait toujours été différente avec Theodore, et ce depuis la première année. Elle lui avait toujours parlé avec plus de tendresse, l’avait toujours regardé avec des yeux différents, et avait toujours cherché son contact. Ce n’était soudainement plus le cas, six ans plus tard. Le quotidien était déjà une torture pour Theodore. Chaque interaction qu’il avait avec elle, quand bien même elle lui réchauffait le cœur parce qu’elle lui rappelait qu’elle était toujours vivante, le lui brisait tout autant. Parce que chaque interaction dénuée de l’amour qu’elle avait toujours eu pour lui et qu’il avait toujours pu sentir, palpable, physique et puissant, n’était qu’un constant rappel que malgré tout, il avait perdu sa moitié. Alors faire l’amour avec elle, m’avait-il expliqué, ces instants où l’amour qu’elle ressentait pour lui et qui la consumait de l’intérieur brûlait le plus physiquement en elle, ces instants magiques durant lesquels il pouvait littéralement sentir, toucher et goûter à quel point elle était folle de lui, à quel point elle lui faisait confiance et s’abandonnait à lui, ces instants où il pouvait constater dans la lueur de ses yeux à quel point elle perdait la tête pour lui, les voir réduits à du simple désir, il ne pouvait pas y avoir pire torture que cela. Il ne pouvait y avoir pire torture que les souvenirs parfaits du passé, de la magnificence et de la plénitude qu’elle lui avait permis de ressentir pour la première fois de sa vie alors qu’ils s’unissaient charnellement, et la voir le toucher avec du désir, certes, mais sans cet amour venant faire vibrer jusqu’à ses entrailles comme une décharge électrique délicieuse. Non, cela, il ne pouvait pas.
Tout cela, il me l’avait en parti expliqué en mots, et je l’avais également en parti compris parce que je le connaissais comme si je l’avais fait. Mais du côté de notre ami, la bouche de Blaise ne s’ouvrit que plus grandement d’incrédulité encore lorsqu’il reçut les mots de mon frère.
- Mais frérot, t’es débile ou quoi ?
Theodore leva un unique sourcil circonspect vers lui. Je l’imitai.
- La meuf elle a été abusée, commença Blaise à lister, dans sa tête elle a jamais couché avec personne, elle te supplie limite de la ken et toi tu crois vraiment elle ressent rien pour toi ?
Theodore baissa les yeux quand il répliqua à voix basse :
- On est dans un contexte particulier.
- Eh vas-y, recula Blaise dans son assise en faisant claquer ses mains sur ses cuisses dans un signe las de défaite.
- Et je suis le seul avec qui elle n’a pas une relation platonique, finit-il sa pensée sans se laisser perturber par l’attitude de notre ami.
- Donc tu prends le risque de crever demain, ou elle, renchérit un Blaise plus sérieux, en sachant qu’elle te veut et que toi tu t’y refuses parce que quoi ? T’es trop dans l’déni pour accepter qu’elle a à nouveau des sentiments pour toi ?
Je sentis quelque chose se serrer à l’intérieur de moi. Quelque chose de colérique qui se réveillait et qui n’aimait pas beaucoup ce qu’il entendait là. Je connaissais la souffrance de mon frère. Je ne le laisserai pas l’attaquer à ce sujet.
- Doucement, l’avertis-je alors dans les propos qu’il avançait là.
- Nan mais sérieux, appuya Blaise en relevant les mains en la direction de mon frère. On parle de Pansy, tu crois vraiment qu’elle aurait mis son égo surdimensionné et ses traumas de côté JUSTE parce qu’elle a envie de tirer son coup avec le premier v’nu ? Un peu d’sérieux ! s’exclama-t-il alors.
- J’ai du mal à voir en quoi ça te concerne, le recadra finement Theodore.
Blaise pouffa doucement sans le lâcher des yeux. Il n’avait pas l’air profondément énervé, seulement réellement dépassé, comme s’il ne parvenait vraiment pas à comprendre les tenants et les aboutissants de la décision de mon frère.
- On risque nos vies quasiment tous les jours et dans sa tête elle a jamais connu l’amour consentant, expliqua notre ami avec sérieux. Ça m’concerne de vouloir que le seul souhait qu’elle peut formuler, et espérer se voir réaliser dans ce contexte de merde, lui soit accordé.
- Tu me demandes de me sacrifier et de coucher avec elle par pitié ? lui renvoya alors un Theodore tout aussi mortellement sérieux.
- D’te « sacrifier », appuya Blaise en tournant un visage las vers moi un instant, eh vas-y s’te plaît, arrête.
- Je suis sérieux, maintint fermement Theo.
Blaise le sonda un instant en silence. Il sondait mon frère et son sérieux implacable. Theo le laissa faire sans broncher. Il maintenait sa position haute sur nous autres, assis devant lui. Il maintenait son regard ferme dans les yeux de Blaise, et l’assise de ses mots par l’aura de son corps. Blaise constata de lui-même qu’il était effectivement on ne pouvait plus sérieux, aussi questionna-t-il autrement :
- Genre t’en as pas envie ?
- De ça, comme ça ? Non, trancha encore mon frère.
- D’elle, le corrigea Blaise.
- Bien sûr que j’ai envie d’elle, accorda néanmoins Theodore toujours aussi sereinement.
- Bah alors ?! s’exclama encore notre ami en lui dévoilant les paumes de ses mains en signe d’incompréhension.
- Alors, comme ça, oui ce serait un sacrifice par pitié de ma part. Et elle mérite mieux que ça.
- Ah ouais, et elle peut espérer quoi du coup ? le défia encore Blaise. Tu vas la laisser rencontrer quelqu’un d’autre ? Coucher avec quelqu’un d’autre ?
- Si c’est ce qu’elle veut, mentit gravement Theo.
- Eh arrête tes conneries, pesta notre ami en se laissant définitivement retomber sur la chaise, on s’retrouverait encore avec un nouveau cadavre sur les bras et tu l’sais très bien.
Blaise poussa un soupir qui semblait n’avoir rien d’exagéré quand il tourna le visage vers moi. Il pinça les lèvres en faisant non de la tête lorsqu’il soupira encore :
- Il m’fatigue ton pote.
- Laisse-le tranquille, lui souris-je alors. C’est pas sa faute, il a la tête toute retournée depuis qu’elle s’est mise à jouer avec lui, taquinai-je avec un sourire en coin en la direction de l’homme qui nous surplombait tous deux de sa hauteur autant physique que métaphorique.
Je tournais des yeux joueurs vers lui. Je ne récoltais rien d’autre qu’un regard noir qui me fit glousser, bien que baisser les yeux. Quelques instants plus tard, triste de ne pas avoir pu récolter ce qu’il espérait avoir semé, Blaise s’était retiré du bureau, abandonnant finalement, et j’avais souri tendrement à mon frère.
- T’es conscient qu’il marque des points au moins ?
Sa mâchoire se contracta lorsqu’il me répondit avec des yeux baissés :
- Elle n’est pas amoureuse de moi.
Le tendre sourire sur mes lèvres s’élargit un peu plus. Il avait l’air presque timide, en cet instant. Il me rappelait l’enfant qu’il était et que j’avais connu toutes ces années. Cet enfant mal à l’aise qui ne parvenait pas à lever les yeux. Cette peau pale et ses cheveux noirs qui cachaient son regard. Cette impossibilité à croire que l’on puisse l’aimer.
- Peut-être pas encore, non, lui accordai-je chaleureusement, mais elle est peut-être bien en train de retomber amoureuse de toi.
- On a déjà eu cette conversation, tenta-t-il d’abréger en rencontrant mon regard.
Je levai les paumes de mes mains vers lui en signe de retrait sans perdre mon sourire pour autant. Il marcha jusqu’au petit coin salon et se laissa tomber dans le fauteuil central, ses bras s’étalant sur le dossier alors qu’il soupirait profondément.
- On est vraiment nuls avec nos femmes, hein, déclara-t-il à voix basse vers moi.
J’acquiesçai gravement à mon tour.
- Vraiment, lui confirmai-je sur le même ton.
L’abattement que je vis en lui m’atteignit en plein cœur. Ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait me cacher, et ce n’était d’ailleurs pas son intention. Il y avait dans ses yeux une tristesse teintée de nostalgie qui me retournait l’estomac.
- Mais c’est la guerre, ajoutai-je alors en essayant d’éteindre les pensées négatives que je voyais fuser en lui.
Un frêle et faible sourire se dessina sur ses lèvres pulpeuses. Le genre de sourire qui cachait trop d’ombres dissimulées dans la nuit.
- Ouais, ça donne une bonne excuse, chuchota-t-il presque.
L’angoisse de savoir mon frère dans un état d’esprit aussi fragile que désagréable réveilla des sensations angoissantes à l’intérieur de mon propre corps. Je pouvais sentir mon cœur se mettre à battre plus rapidement, prêt à combattre les démons qui tourmentaient son esprit. Je me levai du bureau pour aller prendre place sur le fauteuil à côté du sien dans le petit salon alors que je tentai de le rassurer :
- C’est pas une excuse.
- Mmh, pondéra-t-il sans vraiment me faire confiance.
- Tu vas essayer de me faire croire que tu n’as pas essayé de lui rendre ses souvenirs par égoïsme ? lui renvoyai-je alors que l’intégralité de mon attention était désormais rivée sur lui et son mal-être évident.
- Ces derniers temps j’ai du mal à réfléchir aussi clairement, me répondit-il d’une voix basse qui ne me plaisait pas.
- J’étais là. Tu as fait ça pour elle, appuyai-je avec fermeté.
Il n’y avait pas de larmes dans ses yeux bleus lorsqu’il me répondit, mais je pouvais sentir sa fragilité émotionnelle évidente.
- À quoi ça aura servi, si elle finit par retomber amoureuse de moi ? Tout ce temps à se sentir faible, à avoir la sensation qu’il lui manquait une partie d’elle, à avoir peur, tout ce temps à penser que la seule personne qui l’a jamais touchée c’est son agresseur, les angoisses revenues et l’impossibilité de manger, lista-t-il avec douleur. A quoi ça aura servi de lui refaire traverser tout ça ?
- Tu ne pouvais pas savoir, murmurai-je avec tout l’amour que j’avais pour lui.
- Blaise savait, chuchota-t-il difficilement.
Je sentis une part de moi se serrer à ces mots, et je me surpris à détester Blaise pour cela. Le con n’avait pas pu fermer sa putain de grande gueule.
- Blaise ne sait pas les états dans lesquels tu la trouvais quand ce n’était que vous deux lorsque tu étais censé devenir Grand Intendant, lui rappelai-je doucement.
- Et si c’était juste que j’aimais la souffrance ? me demanda-t-il avec vulnérabilité. Si c’était juste que la souffrance est plus confortable pour moi parce que c’est ce que je connais, et qu’on risque pas de souffrir plus quand on est déjà au fond du gouffre. Si j’avais…, hésita-t-il, si j’avais cru faire ça pour elle, mais qu’inconsciemment c’était pour me protéger, moi ?
Je me rapprochais de lui, mon genou gauche touchant désormais son genou droit. Lorsqu’il releva les yeux vers moi, ils étaient désormais mouillés de larmes. Mon ventre se contorsionna à l’intérieur de moi. Je pouvais sentir le sang bouillonner dans mes veines. Une pulsion animale à l’intérieur de moi me poussait à entrer dans son esprit, et tel un chevalier, à me montrer impitoyable alors que j’éliminerai l’une après l’autre les ombres qui osaient obscurcir son esprit. Je me tiendrai fier dans son âme, ma baguette fumante à la main, et les cadavres de ses démons baignant dans leur sang à mes pieds, à la fin de tout cela. C’était une promesse.
- Si je lui avais fait retraverser tout ça, seule, juste parce que je suis un lâche ? murmura-t-il vers moi.
- Eh, eh, chuchotai-je en posant une main que j’espérais rassurante sur sa cuisse. Theo…, toi, un lâche ?
Je ne pouvais lui cacher le choc que je ressentais à l’écoute de ces mots insensés.
- T’es la personne la plus courageuse et la moins égocentrique que je connaisse, si toi tu es lâche, je ne sais pas quelle définition correspond au reste du monde.
Il pouffa à ces mots, un encore trop faible sourire étirant ses lèvres.
- Tu m’aimes trop, argumenta-t-il alors, une lueur pleine d’amour dans les yeux doux qu’il posait sur moi.
- Ça n’a rien à voir.
- T’es pas objectif, tenta-t-il encore.
- Regarde-moi bien et dis-moi que je suis pas objectif quand je te dis que tu n’es pas un lâche, le défiai-je sans lui retirer mon contact.
Ses yeux sondèrent les miens à la recherche du mensonge dans mes mots. Je savais qu’il ne pouvait pas en trouver la moindre trace. Il était l’heure d’éliminer une de ses ombres, c’était maintenant, je pouvais le sentir en lui.
- Je connais ton cœur, déclarai-je alors sans lui permettre de fuir la détermination dans mes yeux qui brûlait sur lui. Je ne sais pas si quelque part, inconsciemment, il n’y avait pas un peu de déni en toi quand tu as pris cette décision par rapport à Pansy, mais ce que je sais comme absolue certitude c’est que toi, Theodore Nott, tu l’as fait pour elle. Tu as fait ce choix en te rappelant toutes les fois où tu l’avais vue dans un état abominable à cause de la position de Grand Intendant. Et tu sais comment je le sais ? appuyai-je vers lui sans le laisser me fuir. Parce que j’étais dans ton esprit quand cette décision s’est formée en toi. Il n’y avait rien par rapport à toi, pas une seule putain de pensée qui te concernait toi. Il n’y avait aucun raisonnement égoïste. Il n’y avait aucune peur de la perdre à nouveau et de ne pas le supporter. Il n’y avait que les faits de la souffrance qu’elle éprouvait elle de t’aimer dans cette situation. Il n’y avait que les souvenirs de cette souffrance qui défilait devant toi, encore et encore, et cette décision qui s’est imposée à toi naturellement, pour elle. Il n’y avait que ça, rien d’autre, promis-je fermement vers lui. Tu t’es infligé la souffrance infame de la voir devant toi après l’avoir perdue, repris-je plus bas, tu t’es infligé de la voir revivre sans pouvoir la toucher, sans pouvoir lui parler, sans pouvoir la retrouver vraiment, pour elle. Parce que tu pensais sincèrement et réellement que c’était la meilleure décision pour elle. Que ce soit le cas ou pas, ça je n’en sais rien. Et si tu crois à une sorte d’inconscient inaccessible en les êtres humains, ça non plus je ne peux rien t’en dire, haussai-je doucement les épaules. Mais ce que je peux te dire sans l’ombre d’un doute, c’est que la décision que tu as prise, tu l’as prise avec le bonheur de Pansy en tête, et le sien uniquement, au détriment du tiens, déclarai-je avec une sincérité absolue qui ne lui échappait pas. Je comprends que tu doutes maintenant vu comment la situation a évoluée entre vous, mais l’évolution de la situation ne remet pas en question ta décision initiale. Tu as fait ce que tu pensais sincèrement être le mieux pour elle à ce moment-là, et c’est tout ce que tu pouvais faire.
Je lui laissai quelques secondes pour digérer mes mots. Quelques secondes pour laisser mon chevalier achever son ombre à l’intérieur de son esprit au travers du regard emplit d’absolue sincérité que je maintenais sur lui. Je pouvais voir dans le bleu transcendant de ses yeux que l’enfant à l’intérieur de lui me faisait confiance, et que l’adulte devant moi m’écoutait, lui aussi. Oui, je pouvais voir dans le regard de mon frère que mes mots étaient suffisants à apaiser ses maux, et il n’y avait rien au monde de plus satisfaisant que cela.
- Ok ? lui adressai-je finalement avec un sourire, déjà conscient que j’avais vaincu.
Il acquiesça doucement, un sourire tout aussi faible, mais cent fois plus franc sur ses lèvres. Je m’avançai sur le bord du fauteuil en lui ouvrant mes bras, et il vint s’y réfugier. Il déposa son visage sur mon épaule tandis que mes bras l’encerclaient, la chaleur de son corps rencontrant la mienne comme elles avaient l’habitude de le faire. Son odeur musquée remplit mes narines, et je me demandais si mon odeur à moi le rassurait comme la sienne apaisait mon âme et chacun de mes maux. Je le serrai contre moi, et chuchotai à son oreille avec une tendresse que je n’avais pas besoin de forcer :
- T’es le moteur de cette maison Theo, depuis plus longtemps que tu ne le sais.
Oui, le moteur de cette maison. Mon moteur à moi. Celui de mes parents. L’âme de cette maison. Oui, je ne m’étais jamais autant senti à la maison que depuis qu’il l’avait bénie de sa présence. Alors je le serrai, et je me laissai me sentir bien au chaud à la maison l’espace de quelques instants.
Le lendemain soir, pour la première fois depuis que Theodore nous était rentré, notre équipe se réuni à nouveau pour effectuer une rixe afin de tester nos capacités concrètes sur le terrain avant de retourner à Poudlard. Lorsque j’avais revêtu mon Masque, il n’y avait rien eu de rituel. Je n’avais pas eu besoin d’adresser un regard à mon frère pour faire taire mes émotions. Je n’avais pas eu besoin de me rappeler pourquoi je le faisais, je le savais. Je n’avais pas eu besoin de laisser le Grand Intendant en moi prendre le dessus sur moi, il était déjà là, constamment, à sa façon. Intégré en moi.
Comme d’ordinaire, Theodore et moi quittions nos amis avec un peu d’avance pour retrouver nos dragons qui nous attendaient dans le jardin. Sekhmet, noire et dissimulée dans la nuit outre ses yeux jaunes qui perçaient sur nous, et Ragnar, moins énorme qu’elle, de sa blancheur qui contrastait magnifiquement avec elle. Côte à côte, nous marchions Masqués vers nos fidèles destriers.
- Ça fait du bien de te revoir en forme, humain capable, salua Theo mon dragon à travers le lien que nous partagions.
L’énorme gueule de Sekhmet se tourna vers mon dragon avec un grondement d’avertissement avant que sa propre voix terrifiante ne perce à travers nos liens :
- Tu as ton propre humain, arrête d’essayer de recruter le mien, blanc-bec.
- Mon humain est fragile, se permit de pester mon ingrat de reptile.
- Eh ! protestai-je en souriant de l’entente de plus en plus amicale entre nos bêtes.
- Comme toi, lui renvoya Sekhmet alors que Theo et mois arrivions à leur niveau.
Ragnar tourna lentement sa gueule vers la dragonne qui se tenait à sa droite, et une vague de vent frappa Theo et moi sous ce geste.
- Tu ne disais pas ça hier soir, ronronna la voix de mon dragon.
- WOW WOW WOW ! M’exclamai-je dans nos esprits. Ça suffit, on vous entend là !
Peut-être trop amicale, l’entente. A côté de moi, Theodore riait doucement, ses épaules sursautant en ce faisant.
- Tu vois ? continua Ragnar. Fragile je t’ai dit.
- J’vais t’en donner du fragile moi, marmonnai-je en grimpant sur la scelle tandis que mon frère m’imitait sur sa propre bête.
- Ça fait plaisir de vous retrouver aussi, roucoula enfin Theo à travers nos liens, un sourire sincère sur ses lèvres.
- Aller, en scelle humain pleurnichard, m’adressa Ragnar dans notre lien qui nous était uniquement réservé à tous les deux. Et cette fois, évite d’avoir besoin que je te sauve le cul.
Je m’installai à la base de sa nuque, mes cuisses largement écartées et mes muscles prêts à serrer quand je lui ordonnai :
- Ferme-là et vole, sale bête insolente.
- Le dernier arrivé domine l’autre ce soir, défia Sekhmet d’un ton joueur.
Ragnar gronda et mes jambes contre son cou tremblèrent sous ce geste de sa part. Theo et moi échangions un regard amusé bien que gêné tandis que nos dragons décollèrent violemment sans considération aucune pour les deux humains plus fragiles qui se tenaient sur eux, mon dos basculant soudainement en arrière alors qu’il s’envolait. Je m’entendis hurler en protestation, mais il n’y avait rien à faire. Ils étaient partis dans leur compétition (trop) amicale tandis que je m’agrippais de toutes mes forces.
Nos dragons se livrèrent une course sans répit, leurs ailes battant inlassablement dans la nuit étoilée, envoyant des bourrasques de vent violentes sur les villages que nous passions à une vitesse surhumaine. Theodore s’amusa comme un enfant, encourageant une Sekhmet qui menait la danse malgré les efforts notables de Ragnar pour la rattraper. Il n’était pas loin, mais elle arriva la première néanmoins. Elle était plus grande, ses ailes plus larges, et sa force d’autant plus impressionnante. Ragnar n’avait pas eu le temps de démontrer son mécontentement face à sa défaite une fois que nous étions arrivés, le reste de notre troupe déjà présente sur les lieux alors que la rixe commençait.
L’intégralité de mon corps vibrait sous les flammes qu’envoyaient Ragnar sur les civils en dessous de nous en une harmonie parfaite avec Sekhmet. Les maisons brûlaient, les gens hurlaient, beaucoup mourraient. Nos partenaires depuis le sol décimaient ceux que les flammes n’atteignaient pas. Je ne ressentais quasiment rien, et il ne me semblait pourtant pas que mes murs d’occlumencie étaient particulièrement érigés, tout du moins pas plus que d’ordinaire. Tout comme lorsque j’avais mis mon Masque plus tôt, je n’avais pas ressenti le besoin de m’enfermer dans mon esprit, et de laisser la place au Grand Intendant. Il n’était plus une personne différente. C’était moi. Quelque chose s’était débloqué dans mon esprit, plus encore dans mon âme, comme une porte qui s’était enfin ouverte, et tout était à sa place. Il n’y avait pas d’angoisse, pas de peur, pas d’émotion débordante, ni positive ni négative. Il n’y avait que ce que j’avais à faire pour garder mon frère à mes côtés, et la froideur avec laquelle je me savais capable de le faire. Plus personne ne pourrait me détruire. Plus personne ne pourrait me le prendre. C’était terminé pour eux. En me le prenant ce soir-là, Voldemort avait tué ce qu’il restait du garçon que j’étais. Il n’y avait plus que l’homme. L’homme probablement fou et cent fois plus puissant qui faisait tout ce qu’il y avait à faire pour son frère. Et tout cela, je l’avais finalement accepté. Je ne me combattais plus moi-même, c’était le reste du monde que je combattais. Ils ne pouvaient plus rien contre moi, parce qu’il ne restait plus que le guerrier, et que je ne feignais plus rien. C’était simplement ce que j’étais, au fond de moi.
Alors je brûlais, et je tuais. C’était une rixe sur un village moldu, sans but de recruter qui que ce soit. Simplement pour nous tester, et faire propager la terreur. J’étais finalement descendu du dos de Ragnar, et Theo et moi avions rejoint notre équipe sur le sol. Je laissai mes jambes s’élancer vers la vie, et la prendre. Je laissai mes muscles me porter, ma magie vibrer en moi jusqu’à s’écraser sur chacune de mes cibles. Je n’en considérai aucune, ni les hommes, ni les femmes, ni les enfants. Ce n’étaient que des garanties de la survie de mon frère. La chaleur des flammes autour de nous me semblait familière, tout comme l’odeur de la mort. Elle n’était pas agréable, mais elle n’était plus aussi nauséeuse qu’elle avait pu l’être par le passé. Je ne me demandais plus qui étaient les personnes que j’assassinais. Je ne me demandais plus quelle vie ils avaient, ni s’ils laisseraient une famille ou des amis épleurés derrière eux. Je dansais, je progressai à une vitesse que je savais satisfaisante, et je laissai des corps sur mon passage. Je gardai un œil sur Theodore dont je ne m’éloignai jamais trop, et ainsi Pansy se trouvait toujours dans mon champ de vision, elle aussi. Elle ne se sentait pas encore assez à l’aise pour être venue avec sa nouvelle arme, aussi jouait-elle encore avec sa baguette. Je notai que Theo se débrouillait parfaitement bien, il avait définitivement récupéré toutes ses capacités et je trouvais beaucoup de satisfaction dans ce constat. Ils ne pouvaient plus rien contre nous désormais. Nous étions invincibles.
Les forces de police moldues ne tardèrent pas à se joindre à nous, contrairement à l’Ordre. Je supposai que la soudaine rapidité avec laquelle j’avais décidé de cette rixe n’avait pas permis l’anticipation de cette attaque, puisque je ne l’avais pas anticipée moi-même. Ou bien ils étaient occupés ailleurs, peu importait. Cette rixe n’était qu’un test, rien d’autre qu’une formalité, et c’était en tant que telle qu’elle se déroulait. Notre supériorité demeurait évidente, malgré leurs forces armées. Granger nous avait donné assez d’informations pour nous permettre de nous protéger convenablement. Blaise et le grand pote de Maxwell tenaient des boucliers magiques avec une force qui ne faiblissait pas devant nous pendant que Theo, Cyprus, Maximus Feign, Pansy et moi attaquions les policiers de sortilèges dont eux ne pouvaient se protéger. Nous étions coordonnées, renseignés et efficaces. Tout ne se passait pas sans effort ni sans avoir parfois besoin de s’adapter à une situation guère anticipée, mais nous nous adaptions aussi rapidement qu’efficacement. Lorsque le plus gros des forces armées furent décimés, nous nous séparions à nouveau pour conclure notre carnage avec une portée que nous voulions la plus vaste possible. Je ne m’éloignai néanmoins jamais trop de mon frère, quand bien même je savais qu’il n’avait aucunement besoin de ma protection, ni de ma surveillance d’ailleurs, il était sans nul doute bien plus puissant que moi, et pourtant je ne savais ni ne pouvais faire autrement.
De nouvelles forces armées, plus pointues et vêtues d’autres uniformes finirent par rejoindre le champ de bataille, ou plutôt le lieu du carnage. Ils étaient plus dangereux, et il nous fallut redoubler d’efforts tandis que notre capacité à la magie noire commençait doucement à se dissiper, sauf en ce qui concernait Theodore. Ces soldats-là n’avaient pas une tactique aussi frontale que les précédents, ils se cachaient. Ils se cachaient, tiraient en rafale d’on ne savait trop où. Ils étaient beaucoup plus discrets et diablement plus efficaces que les autres que nous pouvions voir venir à des kilomètres à la ronde, nous forçant tous à redoubler de vigilance ainsi que d’agilité. J’entendis des coups de feu une dizaine de mètres derrière-moi, comme une rafale violente d’explosions qui déferlait en un vacarme terrifiant. Je me retournais pour constater que c’était là où se tenait un Ragnar en difficulté, essayant de cracher assez de feu en continu pour parvenir à éliminer la menace qui fonçait sur lui. Je sprintais en sa direction, les muscles de mes cuisses brûlant au passage alors que je leur demandais plus de force que d’ordinaire tandis que j’élançai vers lui un Protego qui puisait une importante quantité de ma magie restante. Un large voile bleuté s’échappa de ma baguette pour se dresser devant lui alors que je sautais avec autant de force que possible vers lui, les balles ennemies étant repoussées par mon bouclier magique à quelques centimètres de la peau dure de mon dragon. Ce dernier se permit de cesser de cracher ses flammes, désormais protégé par ma magie, déployant ses larges ailes blanches sur ses côtés, s’élevant dans les airs pour fuir les attaques.
- Merci, humain capable, complimenta-t-il à travers notre lien alors qu’il dominait finalement le ciel.
Je me sentis sourire sous mon Masque. C’était moi qui lui avais sauvé le cul cette fois-ci, et c’était la première fois qu’il me qualifiait de ‘capable’. Une fierté chaleureuse se répandit en petits picotements dans mon poitrail alors que je me retournais vers la bataille qui continuait de se tenir autour de moi.
Mon estomac se noua aussi soudainement que violemment lorsque Pansy entra dans mon champ de vision. Cela ne dura que l’espace d’une très courte seconde, pourtant la scène se déroulait sous mes yeux comme si elle se passait au ralenti. Son visage traduisait de la pure terreur alors qu’un bruit de balles tirées en rafales vers elle retentissait en des explosions effrayantes. Je n’entendais plus que mon souffle entre-coupé par l’effort, et plus encore par la terreur. A une dizaine de mètres d’elle se tenait un Theodore dont les yeux étaient rivés sur elle alors qu’il entendait la menace arriver droit sur sa moitié. Il me sembla que le temps s’arrêta. J’entendis une dernière expiration s’échapper de mes lèvres tandis que je ne voyais plus qu’eux, ignorant toute autre potentielle menace autour de moi comme s’il n’y avait pas la moindre importance à ce que je sois frappé en cet instant. Quand bien même il se tenait à plusieurs mètres de moi, je pouvais lire la terreur sans pareille dans les yeux que Theodore posait sur elle, et je n’avais pas besoin d’être à l’intérieur de l’esprit de Pansy pour savoir qu’elle était consciente que ce n’était pas bon. Ce n’était pas bon du tout. Elle n’avait pas le temps de se protéger, la menace fonçait trop rapidement sur elle.
Pansy le regardait, elle aussi. Comme un dernier regard avec cet homme pour qui elle ne s’expliquait pas ce qu’elle ressentait qu’elle espérait pouvoir emporter avec elle dans un autre monde. Mon cœur manqua un battement, et je savais que celui de Theodore imitait inlassablement le mien dans son poitrail. Lui aussi, il était trop loin d’elle en cet instant pour pouvoir la protéger à temps. Soudain, il ne se tenait plus là où mes yeux l’avaient vu un quart de seconde plus tôt. Mon regard défila nerveusement jusqu’à Pansy pour découvrir que Theo se matérialisa juste devant elle, son propre dos menacé par les balles dont il protégeait Pansy. Il avait transplané jusqu’à elle. Mon cœur cessa brutalement de battre, et je ne m’entendis plus respirer du tout. Je détestais ce à quoi ces sensations me ramenaient. La main gauche de mon frère se logea dans le dos de Pansy, et dans un geste aussi surnaturellement rapide qu’habile, il la fit basculer en arrière tandis qu’il se penchait en s’abaissant sur elle. Les cheveux de Pansy volèrent derrière elle alors que son dos cambré était soutenu par une main ferme d’un Theo perdu dans ses yeux qui la surplombait. Leurs regards semblaient glués l’un à l’autre, la tension électrique entre eux, comme un instant volé qu’ils savaient tous deux qu’il pouvait bien être leur dernier. Je ne me sentis toujours pas inspirer à nouveau, une vague de terreur montant en moi en me rappelant les pires souvenirs de toute mon atroce vie. Une première balle vola juste au-dessus du haut du crâne de mon frère. Elle le frôla, mais ne le toucha pas. Une deuxième suivit la même trajectoire, sans parvenir à le toucher. Il continuait de tenir une Pansy cambrée sur sa main, leurs regards ne pouvant se résoudre à se séparer. Il se baissa plus encore contre elle. Le torse de mon frère était désormais collé à la poitrine de Pansy, leurs lèvres à quelques millimètres à peine, seuls leurs Masques s’érigeant comme ultime barrière entre eux. Une troisième balle vola plus près de son crâne qu’il avait baissé en se penchant plus encore sur Pansy qu’il protégeait de son large dos. Si une balle assez basse passait, ce serait lui qui serait blessé, voire tué. Une quatrième balle vola au-dessus de lui. Aucune ne parvint à l’atteindre, ni lui, ni elle. Mon cœur reprit un rythme indécent. Ils étaient vivants.
Le danger arrivant sur Pansy écarté, Theodore devint le danger. Il la releva en la portant contre lui à la seconde près où Sekhmet, sans nul doute appelée au travers d’un ordre mental de sa part, vola jusqu’à eux et atterrit en un tremblement de terre juste derrière Pansy. Ils échangèrent un dernier regard alors qu’elle reprenait appui sur ses pieds lorsqu’une aile puissante du dragon noir l’encercla en son sein. Elle était protégée, désormais piégée dans l’aile du dragon. Mon cœur se mit à battre la chamade. Je savais ce qui allait suivre, et quelque chose à l’intérieur de moi se rappelait ce qu’il s’était déjà passé dans de telles conditions. Cette fois, Pansy était toujours en vie. Theodore se retourna doucement vers là où était venu la menace. Il ne marcha même pas vers les bâtiments encore debout qui abritaient les soldats que nous ne pouvions voir. Je sentis ma respiration s’accélérer. J’entendais vaguement Pansy protester alors qu’elle était coincée par l’aile du dragon qui l’empêchait de se mêler à la bataille. Je tentais avec toutes les forces mentales dont je disposai de ne pas faire le parallèle avec la façon dont Kira, le serpent de Theo, avait protégé le corps mort de Pansy cette nuit-là. Elle était vivante. Oui, je me le répétai, elle était vivante. Mes yeux analysèrent anxieusement Theo.
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Je pouvais voir le poitrail de mon frère se soulever et s’abaisser avec une violence qui traduisait la rage meurtrière qui le possédait alors qu’il était encore immobile face aux bâtiments qui abritaient les assassins. De nouveaux bruits de balles tirées résonnèrent. Elles ne parvinrent pas à atteindre un Theo désarmé face à eux. Ses bras s’ouvrirent sur ses côtés, se dévoilant parfaitement à eux sans même utiliser sa baguette. Un hurlement enragé s’échappa de ses lèvres, vibrant jusque dans mes entrailles alors qu’il hurlait sa colère qu’ils aient été si près de lui prendre sa Pansy. Soudain, une vague de magie s’échappa de son corps, transpirant de chacun de ses pores, dégoulinant de son cri de guerre grondant de menace. Une vague de magie noire pour laquelle il n’avait pas même eu besoin d’utiliser sa baguette. Mes yeux s’écarquillèrent devant le spectacle qui se déroulait sous mes yeux. C’était une vague épaisse et presque matérielle. Elle s’éleva dans le ciel, grandissant de plus en plus à mesure qu’il hurlait sa rage au ciel avant de s’écraser violemment sur le haut bâtiment qui recelait de soldats ennemis cachés. Je demeurai bouche bée. Les murs de béton s’éclatèrent en mille morceaux sur plusieurs mètres aux alentours. Alors que la vague continuait de s’écraser sur eux, des corps humains volèrent, propulsés dans les airs, retombant dénués de vie. Un vent violent me frappa de plein fouet, faisant voler mes cheveux et me forçant à renforcer mes appuis sur le sol pour ne pas reculer. Je demeurai interdit devant ce spectacle. Il n’avait pas utilisé sa baguette. Il avait été capable d’une telle magie, d’une telle puissance, sans avoir recours à sa baguette. Juste… lui. Lui, et sa rage que l’on s’en soit pris à Pansy. Peu, très peu de sorciers étaient capables de magie sans baguette. Et cela…, cela c’était monstrueux. Il était monstrueux.
La peur en moi céda la place à un instinct protecteur cent fois plus dangereux. Cette fois, je ne resterai pas en retrait. Cette fois, je ne le supplierai pas d’arrêter. Une fois sa vague de magie passée, je courrai en la direction de l’immeuble qui s’effondrait bruyamment. Theodore se mit à courir également, sa baguette en main. Nos pas rapides résonnaient avec les plus grosses pierres qui s’éclataient sur le sol. Ils avaient essayé de me prendre les miens. Ils avaient vraiment essayé de me prendre les miens. La magie vibrait, brûlait en moi. Elle brûlait de trouver un exutoire. Des corps tombèrent sur le sol. Theodore tua et acheva tous ceux qui se trouvaient autour de lui comme une bête sauvage. Je l’imitai. Chaque corps que je rencontrais, je terrassai. J’anéantissais. Je mettais fin aux vies qu’il restait. Je projetais d’épais morceaux de pierre sur des corps qui tombaient encore pour les écraser. Je souriais lorsque j’entendais leurs os craquer. Je jouissais lorsqu’ils prodiguaient leur dernier souffle. Ils avaient essayé de me prendre les miens, et maintenant je les anéantissais, et en prime, j’adorais cela. Les miens ? Ils ne pouvaient pas les toucher. Je dansais sur les roches qui continuaient de tomber telle une neige empoisonnée. Je sautais sur les encombres et faisait pleuvoir les corps. Je m’élançai dans les airs et faisait s’écraser les corps qui s’écroulaient avec le bâtiment lui-même. Enivré, je me délectais de la peur lisible dans leurs pupilles lorsqu’ils me voyaient m’élancer vers eux. Ils avaient essayé de me prendre les miens. Je les anéantissais. Et j’adorais cela.
Les uns après les autres, les moldus ainsi que leurs soldats étaient tombés jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des ruines, des flammes, et des centaines de cadavres. L’intégralité de notre escouade se portait bien. Je reprenais lentement mon souffle au milieu des décombres, et je souriais. Des cadavres étaient dispersés tout autour de moi, et d’autres tout autour de mon frère. Oui, il ne restait plus le moindre doute. Nous étions prêts.
Nous étions rentrés, tous sains et saufs, et avions enfin pu retirer nos Masques pour redevenir ceux que nous étions réellement.
- C’était quoi, ça ? questionna un Blaise dont la nervosité était évidente dans le ton de sa voix.
- Demande à Pansy, répliqua Theodore avec une sécheresse notable.
Mon corps se tendit immédiatement à l’écoute de sa voix ainsi froide. Il n’était pas redescendu. Blaise tourna des yeux pleins d’incompréhension vers sa meilleure amie. De son côté du champ de bataille, il n’avait pas su ce qu’il s’était passé avant que le bâtiment ne s’écroule violemment. Pansy, plus encore sur les nerfs que d’ordinaire depuis que Theo avait rejeté ses avances, afficha un visage profondément colérique. Theodore traversa le hall d’entrée d’un pas pressé pour pénétrer dans le salon tandis que nous étions tous sur ses talons. Derrière-lui, Pansy marchait plus énergiquement que nécessaire.
- Pardon ?! le défia-t-elle de répéter avec une colère évidente.
Rien de tout cela ne sentait bon. Theodore était énervé. Il n’y avait rien de plus dangereux qu’un Theodore énervé. Et il semblait énervé contre elle. Theodore n’était jamais énervé contre elle. Ce n’était que de l’inquiétude au fond, pas de la colère contre elle, seulement sa tension et les souvenirs de cette nuit où il l’avait perdue rendaient flou l’état dans lequel il se trouvait en cet instant. Mon corps était tendu, sur mes gardes, prêt à intervenir au besoin.
- On te tire dessus et tu ne bouges pas ? lui renvoya-t-il en se retournant vers elle avec une froideur qui n’allait pas avec le fait que c’était face à elle qu’il se tenait.
Blaise et moi suivions derrière eux dans le salon, silencieux et intimidés. La sécheresse dans la voix de Theodore, la façon dont elle était basse et à la limite de contrôlée était alarmant. Il avait vraiment été terrorisé de la perdre. Vraiment, vraiment terrorisé de la perdre à nouveau.
Pansy le regardait, sidérée, ses yeux analysant l’homme qu’elle jugeait certainement sacrément culotté devant elle, bouche bée.
- Ils sont sortis de nulle part ! s’écria-t-elle alors avec une rage grandissante qui agitait ses bras.
Theodore ne lui laissa pas la moindre seconde de répit quand il répliqua d’une voix aussi basse que mortellement sérieuse sans la quitter de ses yeux pleins de tension :
- Ils étaient censés t’envoyer leur position pour que tu puisses te défendre ?
Blaise à côté de moi affichait deux gros yeux ronds, mais je n’y prêtais pas attention. Les deux tarés qui se tenaient devant nous et l’énervement qui grandissait entre eux nécessitait l’intégralité de mon attention. Je pouvais sentir que Theodore était sur le point de péter les plombs, et Theodore ne pétait pas les plombs. Les seules fois où cela était arrivé, il y avait eu des morts. Et la seule fois où il n’y avait pas eu de mort, il avait disparu et s’était enfermé dans le sous-sol où il avait été torturé pendant trois jours.
- Va te faire foutre, enfoiré ! cracha une Pansy qui ne se laissait pas intimider par la colère froide qu’elle avait en face d’elle.
Elle aussi, elle était enragée.
- Les balles sont arrivées et quand je les ai vues venir c’était trop tard ! se défendit-elle en élevant encore la voix vers lui.
Theodore fit un pas dangereux vers elle, sa mâchoire tendue et ses yeux désormais noirs rivés dans les siens. Pansy ne recula pas.
- Mais tu restes pas choquée, trancha-t-il d’une voix dangereusement basse qui trahissait la profonde tension en lui. Tu restes pas choquée, tu restes pas immobile, tu te dis pas que c’est trop tard, Pansy. La menace arrive sur toi, et tu la combats, et à aucun moment, à aucun moment, appuya-t-il gravement, tu te dis que c’est trop tard.
Je pouvais entendre dans le timbre bas et vibrant de sa voix qu’il se contrôlait pour ne pas hurler. Je savais qu’il utilisait toute la force de volonté qu’il lui restait pour ne pas se mettre à lui hurler dessus la terreur qu’il avait ressentie de la perdre. Mon corps se tendit plus encore. Pansy ne faisait qu’attiser le feu qui brûlait en lui de la colère qu’elle manifestait en retour.
- J’étais sidérée, ça arrive ! s’emporta-t-elle encore en élevant ses bras dans les airs.
- Non, la coupa-t-il froidement. Ça n’arrive pas.
Il était profondément intimidant, et je savais que cela énervait encore plus Pansy. Il se tenait juste face à elle, l’homme le plus dangereux qu’il soit. Il se tenait grand et droit juste devant elle, son corps intégralement tâché du sang de ceux qui avaient cru pouvoir l’atteindre elle, et il n’y avait pas la moindre trace de douceur sur son visage. Son regard était dur, ses muscles tendus, et l’aura qui se dégageait de lui proprement meurtrière. Je reconnaissais une paire de couilles démesurée à Pansy de ne pas avoir baissé les yeux en cet instant parce qu’il fallait l’avouer, il faisait peur. Je le connaissais au plus profond de son âme, et s’il s’était tenu ainsi devant moi, j’aurai eu peur. Réellement peur.
- Quand on reste sidéré sur le champ de bataille, on meurt, trancha-t-il gravement. Quand on est trop lent pour réagir, on meurt. Quand on se fait surprendre, on meurt. Non, nia-t-il encore d’un ton glacial. Ça n’arrive pas.
Pansy pouffa, un sourire qui n’avait absolument rien d’amical se dessinant furtivement sur son visage avant de disparaître aussitôt. La peur grandit en moi. Elle allait continué de le provoquer.
- T’es sacrément culotté enfoiré, chuchota-t-elle presque tant elle semblait ne pas croire ce qu’elle entendait, t’as besoin que j’te rappelle la dernière fois que tu t’es retrouvé sidéré sur un champ de bataille ? Tu veux aussi que j’te rappelle qui c’est qui est venu sauver ton p’tit cul de merde ou ça y est, les souvenirs te reviennent ? le défia-t-elle ostensiblement, la rage brûlant au fond de ses yeux verts.
- Ça n’a rien à voir, trancha un Theodore visiblement acculé.
- C’est tout ce que tu trouves à dire parce que tu sais très bien que j’ai raison ? poussa encore une Pansy partie à son tour.
La veine sur le front de Theodore pulsa de rage.
- J’en ai rien à foutre du passé ou du danger qui me con…
- … Ouais, tant que tu peux faire le daron de merde avec moi ! le coupa-t-elle en hurlant.
- Si je t’avais pas surveillée, tu serais morte Parkinson, l’assena-t-il froidement d’un dernier coup violent.
Je notais dans la tonalité de sa voix qu’il était déjà un peu redescendu. Mon corps ne se détendit pas encore pour autant. Blaise, à côté de moi, demeurait bouche bée. Pansy, elle, ne s’était pas détendue le moins du monde.
- Et pour ton putain de dragon ensuite, c’est quoi ton excuse de merde ? J’suis quoi, ta putain d’gamine ? pesta-t-elle vers lui. Tu veux que j’t’appelle papa aussi où ça ira ?
Un unique sourcil se dressa sur le front de mon frère alors qu’il accusait les mots colériques de sa moitié. Il n’y avait aucun sourire sur son visage encore tendu lorsqu’il lui renvoya avec un culot qui trahissait son état interne :
- Sois juste une gentille fille et tout ira bien.
Pansy ne rit pas du tout, et le pire était qu’il ne riait pas, lui non plus. Il n’était pas en train de jouer avec elle, il y avait un mélange d’adrénaline de la bataille et de l’activation violente en lui, à la fois physique et émotionnelle d’avoir été à une milliseconde de la perdre à nouveau. Et en plus, Pansy étant Pansy, elle le cherchait dans de telles conditions comme si elle ignorait à quel point cela pouvait se révéler dangereux. Pour autant, je les soupçonnais d’aimer cela, tous les deux, quand bien même je savais Pansy piquée dans son ego qu’il l’ait rejetée. La façon dont elle le regardait, mortellement sérieuse et diablement menaçante, poussa un Blaise à la bouche désormais grande ouverte à quitter le salon alors qu’il se tenait derrière moi dans l’encadrement de la porte :
- Ouais, moi j’me casse, souffla-t-il alors, ces malades vont foutre le feu à la baraque.
Pansy sembla ne même pas avoir entendu son ami, ses yeux choqués demeuraient rivés sur Theo avec un énervement qui ne semblait faire que grandir. Non, il n’y avait décidément pas une seule microscopique once d’amusement en elle.
- Putain, qu’est-ce que tu viens de dire là ? le menaça-t-elle d’expliciter sans le lâcher de son regard brûlant de rage.
Theodore demeurait imperturbable, pas le moins du monde impressionné, quand bien même je pouvais voir qu’il était encore un peu plus détendu. Je le savais, il était satisfait. Chaque fois qu’il était confronté à la fougue de sa moitié, il adorait cela. Plus elle mordait fort, mieux il se sentait. C’était une preuve de sa force pour lui, et il en avait plus besoin que jamais en cet instant. Plus elle était mordante, moins elle était fragile. Et Theodore ne pouvait pas supporter l’idée que Pansy puisse être fragile sur un champ de bataille. Alors je le savais, il aimait cela. Je supposai que dans ces moments-là, ces moments où elle le cherchait et où il se permettait de lui répondre, quelque part il trouvait beaucoup de soulagement. Chaque fois qu’elle le mordait au sang, Theodore montait au septième ciel. La satisfaction qu’il trouvait lorsqu’il lui faisait fermer sa bouche, elle, était encore autre chose sur lequel je ne m’épancherai pas.
Il baissa les yeux sur la table basse alors qu’il lui répondait platement, une tension languissante demeurant dans la profondeur de sa voix :
- Tu m’as entendu.
Il s’abaissa vers la table basse où des raisins étaient disposés dans une coupelle centrale. Il en attrapa une grappe, décrocha deux raisins et les envoya avec une agilité qui n’avait plus rien de surprenante dans sa bouche avant de reprendre son contact visuel avec Pansy tandis que ses dents se refermaient sur les fruits sans les écraser pour autant. Avec une paire de couilles qui dépassait sans nul doute la taille de celles d’un putain éléphant, il balança le reste de la grappe de raisin directement sur Pansy. Elle ne broncha pas pour l’attraper, la grappe rebondissant sur sa poitrine avant de s’écraser sur le sol.
- Pour ton goûter, lâcha-t-il alors en faisant finalement éclater les raisins entre ses dents, tout en soutenant le regard vert assassin avec l’ombre d’un sourire en coin au creux de ses lèvres malicieuses.
Je me retenais de laisser ma mâchoire tomber sur le sol. Sans sa colère, il ne se serait jamais permit un tel comportement envers elle. Je ne savais pas, à cet instant précis, lequel des deux représentait la plus grande menace. Theodore passa devant elle en commençant à s’en aller nonchalamment, s’avançant vers moi tandis que Pansy demeurait interdite devant un culot si insolent qui n’était pas d’ordinaire attribuable à Theo. Elle voyait rouge, je pouvais le lire sur son visage et à la façon dont sa respiration s’accélérait violemment en soulevant sa poitrine dans des vagues de plus en plus courtes. Le fait qu’elle était interdite ne dura pas longtemps. Theodore venait de passer devant elle lorsqu’elle s’élança de tout son corps dans les airs pour le frapper. Le visage de Pansy sautant derrière mon frère était tordu par la rage. Elle leva les bras en l’air, prête à lui asséner les coups qu’elle semblait retenir depuis trop longtemps tandis qu’elle sautait dans son dos.
Bien entendu, Theodore l’avait entendue arriver. À l’instant où elle aurait dû s’écraser contre son dos, ses jambes encerclées autour de sa taille, Theodore se retourna face à elle pour la réceptionner. Les jambes de Pansy étaient encerclées autour de la taille de mon frère, mais elle était face à lui. Il n’avait même pas utilisé ses mains pour réceptionner son corps contre lui, il la connaissait assez pour savoir qu’elle allait elle-même s’accrocher à lui. Il fut une nouvelle fois plus rapide qu’elle lorsqu’elle tenta de laisser un poing s’écraser sur son visage. Il lui saisit ses deux poignets et ne tarda pas à les lui coincer dans son dos d’une seule de ses mains à lui. Le visage de Pansy était à quelques millimètres seulement au-dessus de celui de mon frère. Sans lâcher ses poignets qu’il tenait dans son dos, et ainsi sa prise sur elle pour retenir son dos dans sa chute, il plongea dans le canapé sur lequel tomba finalement Pansy. Il se retint de sa main libre sur le canapé du salon de l’écraser de son poids, quand bien même ses genoux repliés auraient largement pu soutenir son poids d’eux-mêmes. L’électricité dans le regard qu’ils échangeaient était palpable, mais je n’étais pas encore certain de quel genre d’électricité il s’agissait, aussi je ne m’autorisai pas encore à quitter la pièce. Eux, par contre, semblaient avoir complètement oublié ma présence. Soudain, la voix prédatrice de Theodore sembla la chercher plus encore quand il murmura à son visage :
- On dirait que le champ de bataille n’était pas ta seule leçon aujourd’hui.
Theodore n’avait pas relâché sa prise sur les poignets du Pansy qui avait toujours ses bras noués derrière elle, ce qui ne faisait que plus ressortir sa poitrine, mais elle n’avait pas non plus dénoué ses jambes de la taille musclée de mon frère. Ni l’un, ni l’autre ne semblait prêt à rompre ce contact, peu importait l’énervement de Pansy. Je connaissais assez mon frère pour savoir que rien de son attitude n’était feint, au contraire, c’était proprement naturel et complètement impulsif. Et puis, il y avait l’adrénaline de la bataille, et celle d’avoir été sur le point de mourir par-dessus tout cela. Peu de personnes pouvaient comprendre ce que cela faisait à un cerveau. Il y avait un court instant lorsque nous rentrions durant lequel nous n’avions pas encore une prise totale sur nous-mêmes, un instant où l’impulsion de la guerre et des hormones en feu continuaient de nous contrôler. Je savais que le manque d’inhibition de mon frère était en partie responsable de son comportement à cet instant. Et lorsque Pansy ne retint rien du geste proprement primal et on ne pouvait plus impulsif qui suivit, je savais que cela pouvait lui être attribuable également.
Restreinte dans ses mouvements physiques, elle ne sembla trouver rien de mieux pour riposter – et visiblement son cortex préfrontal n’était pas assez irrigué pour lui chuchoter que ce n’était pas le genre de chose qui se faisait – que de cracher à la gueule de l’homme qui lui plaisait. Alors elle le fit. Elle lui cracha au visage. Je demeurai figé quand le visage de Theo, tâché d’un crachat empli de salive qui dégoulinait grassement sur ses lèvres, dévoila à sa moitié un large sourire prédateur qui m’incommoda. Seigneur, je n’avais rien à foutre là.
Pansy demeura immobile sous lui, ses jambes gardant toujours le corps de mon frère contre elle tandis qu’il la surplombait lorsque la langue de Theodore sortit de sa bouche sans qu’il ne rompe l’intensité de leur contact visuel quand il lécha onctueusement ce qui semblait être pour lui un cadeau de sa meilleure moitié. Une soudaine moue de dégoût sur le visage, je m’apprêtais à quitter le salon quand la voix suave de Theodore retentit en un grondement murmuré :
- Dans l’humeur de partager ? lui sourit-il encore. Ouvre la bouche, lui ordonna-t-il alors comme si je n’étais pas là.
Bien entendu, Pansy n’en fit rien. Le sourire ne quitta pas les lèvres de Theodore quand il utilisa la main qui soutenait son corps pour venir ouvrir la bouche de Pansy de force en enfonçant deux doigts entre ses lèvres, la force profonde de ses abdos le tenant désormais surélevé au-dessus d’elle. Je savais qu’elle devait mordre ses doigts, mais il la força de l’intérieur à ouvrir la mâchoire en n’ayant pas l’air de ressentir la moindre douleur. Comme s’il s’apprêtait à l’embrasser, Theodore se baissa à un millimètre des lèvres de Pansy. Il ne l’embrassa pas. Il cracha ses raisins prémâchés dans la bouche de sa moitié insolente en effleurant ses lèvres. L’enfoiré était excité comme un putain d’animal. De ses deux doigts pleins de la bave de Pansy, il força sa mâchoire à se refermer en les enfonçant cette fois dans ses joues. Mon amie, sous lui, était étrangement compliante. Elle feignait de se débattre un peu, mais ce n’était pas assez pour être convainquant. Elle aussi, elle aimait cela. La main de Theodore sur la mâchoire de Pansy glissa lentement sur sa gorge, et il observa ses doigts sur la glotte de sa moitié avant que ses yeux électriques ne remontent jusqu’aux siens.
- Avale, ordonna-t-il cette fois d’une voix dans laquelle le désir était transpirant.
Les lèvres de Pansy s’ouvrèrent alors qu’elle inspirait, se préparant à lui cracher ce qu’il lui avait livré au visage. Theodore fit doucement non de la tête sans ne rien perdre de son sourire. Il posa un unique doigt sur les lèvres de Pansy pour l’empêcher d’aller au bout de son idée.
- Sois une grande fille, et avale, la somma-t-il avec un désir ardent.
Je me retournais pour m’en aller quand un sourire prédateur dessina à nouveau les lèvres pleines de mon frère qui ne lâchait ni physiquement, ni visuellement sa proie. Je l’entendis grommeler de satisfaction. Elle sembla obéir.
- Tu t’en es très bien sortie, la complimenta-t-il en roucoulant tout bas alors que je m’éloignai.
Il y avait eu de la douceur dans ses mots, quand bien même une vague de désir dérangeante dont je me serai bien passé y était empreinte également. Il apaisait les choses entre eux, je le savais. Je quittais le salon discrètement quand bien même je savais que je n’avais pas besoin de faire attention au bruit que je faisais. Ni l’un, ni l’autre n’était en état de se rendre compte que j’avais été encore là jusqu’alors.
Avant que je ne fasse un pas pour m’éloigner, j’entendis une nouvelle fois la voix de Theodore résonner dans le salon avec bien plus de sérieux lorsqu’il ordonna à nouveau :
- 7 heures demain.
J’entendis Pansy dire non. Je restai dans le couloir quand j’entendis la voix à nouveau mortellement sérieuse de mon frère depuis le salon :
- Tu es censée être invincible, déclara-t-il tout bas. Est-ce que tu t’es sentie invincible ce soir ?
Je n’entendis pas de réponse de la part de Pansy, et je devinais qu’elle n’avait pas répondu lorsque la voix grave de mon frère retentit encore depuis l’encadrement vide de porte :
- Réponds à ma question.
Sa voix était à nouveau intimidante. Il ne la cherchait plus, ne la provoquait pas. Il était simplement absolument mortellement sérieux. J’entendis Pansy admettre que non.
- 7 heures demain, répéta-t-il alors que j’entendis son corps bouger sur le canapé.
J’en profitais pour m’en aller jusqu’à ma chambre avant qu’il ne me rattrape dans les escaliers.
C’était particulier, des années après les avoir vus si tendres l’un avec l’autre, d’être témoin de cela. La seule personne au monde que Pansy ne clashait pas par le passé, la seule personne qui n’avait jamais goûté à son venin, c’était Theo. Il n’avait de ce fait jamais eu besoin de la recadrer à ce point par lui-même, et je doute d’ailleurs qu’il savait qu’il avait une âme aussi joueuse en lui avant cette résurrection. Ils se redécouvraient, malgré le fait qu’ils se connaissaient mieux que quiconque, quand bien même elle ne s’en souvenait pas. Et en ce faisant, ils découvraient de nouvelles facettes d’eux-mêmes en tant qu’individus. Je supposai que cela aussi, c’était enivrant pour lui. Pour eux deux, si j’étais honnête, même si Pansy était infiniment plus complexe que lui. Pansy était comme des braises qui ne demandaient qu’à être attisées, et Theodore était un morceau de bois dur et ferme profondément inflammable. Ensemble, ils faisaient des étincelles, et ils adoraient ça, autant l’un que l’autre. Ils étaient tarés, en somme. Complètement tarés.
J’avais lavé le sang de mon corps sans me sentir dans l’inconfort de regarder l’eau rosée couler dans le siphon de ma douche. J’avais repensé à la façon dont j’étais parvenu à reprendre le dessus sur la pire peur que je n’aurai pu jamais ressentir, celle de le perdre lui, et la violence avec laquelle j’avais attaqué ceux qui avaient essayé de me le prendre. J’avais songé à sa force à lui, proprement surhumaine. J’avais abaissé l’intégralité de mes murs d’occlumencie, curieux de constater ce que j’allais ressentir. Il n’y avait rien. Rien que de la satisfaction vis-à-vis de ce que j’avais été capable de faire. Rien que la profonde satisfaction de les avoir réduits à néant lorsqu’ils avaient attaqué ce qui était mien. Rien que de la force, et la détermination la plus totale de faire tout et n’importe quoi pour lui. Alors je m’étais couché en sachant parfaitement qu’ensuite, nous irions à Poudlard. Et ensuite, je serai officiellement fait Grand Intendant. C’était une bonne chose.