Dollhouse
TRIGGER WARNING : Description explicite de violences physiques, morts.
Nous rentrions au manoir, Pansy et Blaise transplanant dans la cour que Theo et moi retrouvions à dos de nos deux énormes dragons. Mais ce soir-là, quelque chose était différent. Mon cœur se mit à battre violemment sans que je ne comprenne encore pourquoi. Nous étions dans le jardin du manoir, nous apprêtant à marcher jusqu’à la maison, et mon cœur battait la chamade insolemment fort. Le sang se mit à circuler plus rapidement dans mes veines. Ma respiration se fit plus courte. Sans savoir pourquoi, je tournais instinctivement le visage sur ma droite, vers le portail. Le sol sembla se dérober sous mes pieds. Elle était là.
Mes murs s’effondrèrent violemment alors que je me demandais si j’étais encore victime d’une hallucination. Elle était là, devant le portail. Elle se tenait là, dans la nuit, devant le portail du manoir. Je me figeai, incapable ne serait-ce que de cligner des yeux. Une capuche noire, probablement celle de sa cape de sorcière, cachait ses cheveux, mais je ne pouvais me méprendre, peu importait la noirceur de la nuit. Ses yeux ambrés étaient rivés sur moi. Elle était là. Juste là. Chez moi. Mon cœur battait violemment dans mon poitrail, ma respiration se faisant si difficile qu’il me semblait manquer d’air. Elle ne pouvait pas être là, comment pouvait-elle être là ? Pourtant, je voyais son visage sous son capuchon. Et peu importait combien je la regardais, elle ne s’évanouissait pas dans la nuit. Elle demeurait là, juste devant le portail du manoir, ses yeux que je reconnaîtrais par milliers rivés sur moi. Je n’étais pas en état de le percevoir, mais il me sembla que Theodore remarqua sa présence lui aussi, et d’un coup de baguette tandis que je ne pouvais pas le faire, il baissa les protections pour lui ouvrir le portail. Elle était vraiment là. Ses jambes commencèrent à avancer pour pénétrer dans la cour intérieure. Elle était vraiment là. Plus elle s’avançait, et plus ses traits s’imposaient à moi. La douceur de son visage effrayé, bien que quelque part immensément soulagé. Je manquais d’air, figé sur la vision d’elle s’approchant doucement de moi dans la cour, mon cœur battant sourdement dans mes oreilles. Mon cerveau ne parvenait pas à comprendre ce qu’il se passait, et avant qu’il en eût l’occasion, une autre silhouette s’imposa violemment dans ma vision. Le corps de Pansy s’élançait vers elle en courant tandis qu’elle hurlait :
- Putain, tu te fous de ma gueule ! hurla-t-elle en se jetant sur une Granger dont le visage traduisait maintenant la terreur.
Je clignais des yeux, alerté par l’urgence de la situation alors que Pansy lui fonçait dessus. Elle ferma son poing, et le laissa s’écraser durement sur la joue gauche de Granger en un bruit sourd. De sa main gauche, Pansy envoya un autre poing violent sur la joue droite de celle qui était venue jusqu’à moi et dont le visage fut propulsé alors qu’elle titubait en arrière des coups que mon amie lui assénait.
- TU TE FOUS DE MA GUEULE ! beugla Pansy en lui envoyant cette fois une baffe en plein visage.
Theodore et moi nous mirent tous deux à courir vers elles, lui attrapant une Pansy enragée de ses deux bras, la portant à l’écart et l’empêchant de porter de nouveaux coups tandis que mon bras droit trouvait sa place contre la poitrine de Granger, son odeur d’amandes se répandant violemment dans mes narines, réveillant quelque chose d’endormi en moi. Je la repoussai doucement en gardant mes yeux rivés sur la menace que représentait mon amie pour elle en cet instant. Pansy se débattait dans les bras de Theodore alors que ce dernier tournait un visage pressé vers Blaise, resté en arrière :
- Un peu d’aide ne serait pas de trop ! lui lança-t-il alors.
Blaise avait un sourire qui, pour une fois, n’avait rien d’amical.
- Oh non, je m’approche pas sinon je vais me joindre à elle, répliqua mon ami redoutablement sérieux en restant en retrait.
Je jetai un coup d’œil à Granger, tout contre mon bras tendu qui la protégeait de la fureur de Pansy. Elle avait une main sur sa joue droite et un filet de sang sur sa lèvre inférieure, mais ses yeux larmoyants étaient tout droit rivés sur moi, et non pas sur celle qui l’assaillait. Mon cœur manqua un battement de la sentir et de la voir si près de moi. Il n’y avait plus de doutes, je n’hallucinais pas. Elle était là. Je restai figé un instant, mes yeux dans les siens, et les siens dans les miens. L’air me sembla flotter entre nous, le temps comme s’arrêtant pour que je la regarde quelques secondes.
- T’EN AS PAS EU ASSEZ ?! continua d’hurler Pansy en se débattant avec violence entre les bras fermes de Theo alors que je tournais à nouveau les yeux vers elle. J’AI CREVÉ À CAUSE DE TOI, MAIS T’EN AS PAS EU ASSEZ ?! beugla-t-elle, son visage rougi par la rage alors qu’elle ne se calmait pas le moins du monde.
- Pansy ! tenta Theo fermement.
- ET T’AS LE CULOT DE TE POINTER ICI ET DE NOUS METTRE ENCORE EN DANGER ?! s’écria-t-elle encore tandis que ses yeux exorbités ne quittaient pas le visage effrayé de Granger.
Des larmes silencieuses perlaient sur le visage de cette dernière. Mon cœur se serra dans mon poitrail devant la furie de mon amie. Quelque part, il me semblait que cette rage était justifiée. Elle avait perdu la vie à cause de nous, et voilà que Granger débarquait au manoir alors que nous aurions pu être surveillés ou ne pas être seuls, ce qui nous aurait sans nul doute condamnés, nous et elle. Il me sembla que mon cœur se mit à battre encore plus fort dans mon poitrail.
- Je suis désolée, murmura la voix à peine audible de Granger qui me frappa de plein fouet.
Je ne l’avais pas entendue depuis trop, bien trop longtemps. Je n’eus pas le temps de me laisser bercer par sa trop douce sonorité, un rire jauge s’échappant des lèvres de Pansy qui accusait ses mots.
- OH TU ES DÉSOLÉE ?! ALORS TOUT VA BIEN ! s’égosilla-t-elle avec rage entre les bras fermes de Theo. JE SUIS MORTE MAIS TU ES DÉSOLÉE, DONC TOUT VA BIEN !
Theodore continuait tant bien que mal de la faire reculer plus encore, difficilement. S’il l’avait voulu, je savais qu’il aurait pu la balancer sur son épaule et l’entraîner dans le manoir, mais pour des raisons qui lui appartenaient, probablement d’ailleurs parce qu’il considérait qu’il était opportun que Pansy puisse décharger sa rage, il ne le fit pas. Pansy était plus hors d’elle que je ne l’avais jamais vue, et pourtant je l’avais vue dans des états de rage impressionnants au fur et à mesure des années. Non, jamais elle n’avait été aussi hors d’elle.
- TU VAS CONTINUER JUSQU’À QUEL POINT ?! ne cessa-t-elle pas tandis que Theo la faisait doucement reculer, mon bras demeurant fermement ancré contre le corps de Granger que je protégeais. DRAGO A PAS ARRÊTÉ DE TE DIRE QU’IL FALLAIT QUE ÇA S’ARRÊTE, QU’IL FALLAIT QUE TU T’ÉLOIGNES DE LUI, TU NE L’AS PAS ÉCOUTÉ ET JE SUIS PUTAIN DE MORTE POUR TA GUEULE !
Mes propres yeux se remplirent de larmes devant la rage légitime de mon amie. Nous lui avions fait ça. Nous lui avions fait ça, et plus encore. Nous lui avions fait ça, et nous lui avions enlevé Theodore. De bien plus de façons qu’elle n’en était consciente, nous lui avions volé sa vie. Theo continuait de l’éloigner, pas à pas.
- TU VAS CONTINUER JUSQU’À QUEL POINT, GRANGER ?! JUSQU’À CE QUE DRAGO MEURT ?! hurla-t-elle de toute sa rage vibrante. ET UNE FOIS QU’IL SERA MORT, TU VAS ALLER SUR SA TOMBE POUR BAISER SON CADAVRE ?! cria-t-elle avec un profond dégoût mêlé à sa colère cinglante.
- Ça suffit ! la somma finalement Theo.
Pansy cessa de se débattre contre lui, et ses yeux meurtriers se déposèrent soudainement sur moi. Elle pointa un doigt ferme dans ma direction. Mon sang se glaça dans mes veines.
- T’as intérêt à la faire dégager une bonne fois pour toutes avant que je me charge de foutre cette chienne dehors moi-même, me cracha-t-elle avec véhémence.
Elle appuya son regard mortellement sérieux sur moi encore un instant avant de se retourner dos à moi, contre Theodore qui l’accompagnait alors qu’elle commençait à volontairement s’éloigner. Soudainement, elle se retourna à nouveau vers nous, ses yeux menaçants enfoncés dans les miens :
- Oh et si tu comptes me ressortir que si je parle encore une fois comme ça de ta pute je suis morte pour toi, t’en donnes surtout pas la peine Drago. J’suis déjà morte une fois pour tes beaux yeux, tu peux me menacer autant q’tu veux j’en ai plus rien à foutre, essaye qu’on rigole, me défia-t-elle avec une froideur inégalée.
Theodore était parvenu à la trainer jusqu’à l’intérieur du manoir avec lui, et elle était finalement partie sans ne plus se retourner. Blaise, qui était resté immobile tout le long de la scène, m’avait adressé un regard appuyé avant de suivre derrière-eux. Mes amis comptaient sur moi. Ils comptaient sur moi pour les protéger d’elle. De nous. Je prenais une profonde inspiration par les narines avant d’enlever à mon bras le contact de son corps, et de me retourner finalement face à elle.
Elle portait un long et épais manteau noir qui tombait presque jusqu’à ses chevilles, la capuche de sa cape de sorcière sous celui-ci recouvrant encore ses cheveux. Elle avait l’air d’avoir maigri, ses joues me semblaient plus creusées qu’elles ne l’étaient dans le passé. Des cernes rosés tâchaient son visage pourtant toujours aussi parfait. Toujours aussi doux. Ses deux joues étaient rouges, et je ne savais si cela était plus attribuable aux coups de Pansy ou bien au froid ambiant. Sa lèvre inférieure avait désormais un peu gonflé alors que le filet de sang demeurait là, témoin du déchaînement de rage qu’elle venait de subir. Ses yeux ambrés se perdaient dans les miens alors que des larmes naissaient en eux. Nous restions ainsi un instant en silence, à nous regarder tous les deux. En vie, malgré tout. L’un devant l’autre, malgré tout. Une nouvelle fois, j’inspirai profondément. Tout le monde était en danger aussi longtemps qu’elle se tenait là. Je me le rappelai sans cesse, combattant le désir terrible de mon corps de la serrer contre moi. Je me maintenais à un bras de distance d’elle. Finalement, je fus capable de murmurer :
- Qu’est-ce que tu fais ici, Granger ?
Ses sourcils fins se froncèrent légèrement sur son front en témoignage de sa douleur. La serrer. Je voulais juste la serrer contre moi. Quand elle me regardait comme ça, ses yeux bruns levés vers moi remplis de larmes, je voulais juste la serrer contre moi. Intelligemment, elle ne retira pas son capuchon.
- Tu ne m’as pas donné de nouvelles pendant des semaines, chuchota-t-elle alors qu’une larme perlait sur sa joue abimée.
Je combattais avec ferveur mon envie de fermer les yeux pour me laisser être imprégné par la douce tonalité de sa voix. Cette voix qui me hantait. Cette tonalité à la fois douce, un peu cassée, légèrement nasalisée, d’un timbre lumineux. Sublime, en somme. Terriblement sublime.
- J’ai cru que tu étais mort, ajouta-t-elle douloureusement.
Je fronçais les sourcils et enfouissait en moi la partie de moi qui voulait s’abandonner à elle en cet instant. La réaction de Pansy me rappelait sans conteste à l’ordre. Elle nous mettait en danger par sa simple présence. Elle se mettait elle-même en danger par sa simple présence.
- Donc tu as décidé de tous nous mettre en danger, toi y compris, pour venir vérifier toi-même ? tranchai-je alors.
De nouvelles atroces larmes perlèrent sur ses joues. Je voulais tendre la main, et les essuyer. Je voulais supporter sa joue, et apaiser un baiser sur ses lèvres. Je voulais effacer ses peines, et la voir sourire. Mais je n’en fis rien.
- Quand est-ce que tu vas comprendre, Malefoy ? Je me fiche du danger, murmura-t-elle dangereusement.
Je passais une main ferme sur ma bouche et détournais les yeux un instant, faisant un tour sur moi-même pour garder mes esprits fébriles. Elle ne pouvait pas dire des choses comme cela. Elle ne pouvait pas me dire des choses comme cela. Elle était là. Elle ne pouvait être là. Mais elle était là.
- Comment tu as fait pour venir jusqu’ici ? la sommai-je alors en me retournant face à elle.
Elle baissa les yeux l’espace de quelques secondes. Mon cœur se mit à battre plus rapidement.
- Granger, l’appelai-je d’une voix plus pressante, comment t’as fait pour venir jusqu’ici ?
Elle releva ses yeux ambrés vers moi. Elle avait peur. Peur de me répondre. Je soutenais un regard dur sur elle, en l’attente de son explication.
- Rogue, chuchota-t-elle alors que je voyais rouge. Il…, il m’a donné un Portoloin.
Je penchais le visage un peu sur le côté vers elle, comme si j’essayais de mieux entendre ce qu’elle venait de dire. Mon cœur battait violemment dans mon poitrail.
- Quoi ?
Elle pinça ses lèvres blessées et acquiesça doucement.
- Rogue t’a envoyé ici, et il sait que tu es ici ? répétai-je distinctement comme pour m’en rendre compte moi-même.
Une nouvelle fois, elle acquiesça, son visage porté bas malgré le fait qu’elle avait le courage de me regarder directement.
- Mais il…, hésita-t-elle, il est de notre côté.
- Bordel, qu’est-ce que tu lui as dit pour qu’il te file un Portoloin qui mène ici ? commençai-je à m’emporter.
Ses sourcils se froncèrent plus encore sur son front alors qu’elle se défendait :
- Je ne lui ai rien dit il a…, il m’a juste convoqué dans son bureau, il m’a dit qu’il en savait déjà assez et qu’il n’avait pas besoin d’en savoir plus, et il m’a donné le Portoloin en me disant qu’il mènerait chez toi si, pour une raison quelconque, j’avais un jour de m’y rendre. C’est tout, je n’ai rien dit. Je te promets que je n’ai rien dit, répéta-t-elle encore.
Je passai mes mains sur mon visage, un grondement sourd s’échappant de ma gorge tandis que je soupirais :
- Putain de merde, Granger.
- Je devais te voir, continua-t-elle de se défendre en pleurant, je devais savoir que tu étais en vie…
Mes mains retombèrent à côté de mes cuisses et je la regardais, incrédule.
- Est-ce que tu te rends compte ? la questionnai-je gravement. Rogue, un Mangemort, si ce n’est le Mangemort en qui le Seigneur des Ténèbres a le plus confiance, sait que tu es ici en ce moment.
Je ne savais pas si je répétais cela à voix haute plus pour elle, ou bien pour moi. Si j’en croyais l’analyse faite par mon cerveau, une horde de Mangemorts pouvait tout aussi bien débarquer dans les secondes suivantes pour nous assassiner, là, à chaque seconde qui s’écoulait.
- Il est de notre côté, répéta-t-elle doucement.
Je sentais la panique doucement monter en moi. Elle n’était pas en sécurité. Rogue l’avait envoyée ici. Quand bien même il avait été louche avec moi aussi en ce qui la concernait elle, il savait qu’elle était ici. Merde, il l’avait carrément envoyée ici. Pour ce que j’en savais, cela avait toutes les chances possibles d’être un piège. Elle était en danger. S’ils débarquaient et qu’ils la trouvaient là, ils la feraient prisonnière, et je refusais de songer à ce qu’ils feraient d’elle ensuite. J’entendais mon cœur battre violemment dans mon esprit.
- Il faut que tu partes, pressai-je alors. Il faut que tu partes tout de suite, et ne reviens jamais.
Elle cherchait mes yeux tandis que je regardais partout autour de nous. Il n’y avait pour l’instant pas le moindre signe de vie. Pour l’instant.
- Drago…, chuchota-t-elle en cherchant à accrocher mon regard.
Elle fit bondir mon cœur en appelant mon prénom de sa voix angélique. Je détestais probablement autant que j’aimais entendre mon prénom résonner dans sa bouche. La façon dont il roulait sur sa langue. La douceur avec laquelle il caressait ses lèvres. Elle m’embuait l’esprit. Elle n’avait qu’à être là, et à appeler mon nom, et elle me faisait perdre toute raison.
- Arrête, la coupai-je alors que je sentis une larme perler sur ma propre joue. Arrête, répétai-je, impuissant devant elle. Putain, Granger, pleurai-je. Arrête. Tu m’as vu, maintenant repars et ne reviens pas.
Elle me regardait avec peine. Avec le genre de peine qui me disait qu’elle ne récoltait pas là ce qu’elle voulait. Avec le genre de peine qui me faisait supposer qu’elle était là pour plus que cela. Je détestais ce constat. Je détestais le fait que je la connaissais maintenant à ce point-là. J’avais seulement besoin de la regarder.
- L’Ordre va riposter, lâcha-t-elle alors en me donnant raison.
- Quoi ? demandai-je en essayant de reprendre mes esprits, et de comprendre ce qu’elle me disait-là.
- Ils vont commencer à se battre, sur vos rixes, explicita-t-elle avec inquiétude.
Je la regardai un instant en silence, cherchant à comprendre ce qu’elle me disait là. Cherchant à comprendre pourquoi elle me disait cela. Cherchant à comprendre pourquoi elle me vendait des informations qui, quand bien même je les avais déjà, mettait son clan en péril.
- Oui, je m’en doutais déjà, répliquai-je alors en revenant à moi.
- Ils sont forts Drago.
Elle était là, l’inquiétude. Elle avait peur. Je ne parvenais pas à savoir pour qui est-ce qu’elle avait le plus peur. Mais elle avait peur, je pouvais le lire dans ses yeux.
- On est forts aussi.
Une nouvelle larme perla sur sa joue. Mon cœur se brisait. Je détestais ça. Elle était là, devant moi, et pourtant elle ne pouvait pas me sembler plus loin de moi qu’en cet instant. Du côté de l’Ordre, effrayée de la Guerre que nous allions nous mener l’un contre l’autre. Consciente que nous étions chacun dans le camp adverse. Juste là, et pourtant tellement hors de ma portée.
- Laisse-moi vous aider, chuchota-t-elle finalement.
Avec mon cœur brisé, quelque chose commença à se refermer en moi. Elle était toujours dans le déni. Peu importait la gravité de la situation, elle demeurait dans le déni. Quelque part, il me semblait que cela m’énervait. Comment pouvait-elle être dans le déni à ce point ?
- On n’a pas besoin de toi, la repoussai-je douloureusement.
- On peut…, hésita-t-elle encore, on peut s’aider mutuellement.
Mon sang commença à bouillir dans mes veines. Je me rappelais de Pansy. Je me rappelais de Theo. Et elle en voulait plus. Elle en voulait toujours plus. Elle les mettait en danger. Elle continuait de les mettre en danger. Et plus je la laissai rester, plus je les mettais en danger, moi aussi.
- Si je suis dans cette position aujourd’hui, c’est justement parce que toi autant que moi on n’a pas réussi à gérer ce qu’on ressent l’un pour l’autre, tranchai-je sèchement. Et ça a tué Pansy. Ça a failli me prendre Theo. Ça doit s’arrêter Granger, positionnai-je fermement.
Elle fronça les sourcils d’incompréhension. Par Salazar, comment pouvait-elle encore être dans l’incompréhension ?
- Parce que tu crois que ça aurait été si différent, si ça avait été Theodore à ta place ? osa-t-elle alors demander.
La froideur qui m’animait n’avait plus besoin d’être feinte à la mention de son nom, et de ce qui aurait pu être si nous n’avions pas étés, elle et moi.
- Oui, nous aurions été en sécurité, assiégeai-je, fermé. Il aurait fait absolument tout ce qu’il fallait, et nous aurions été en parfaite sécurité.
Elle fit doucement non de la tête comme si je racontais là des conneries.
- Tu as besoin de moi, chuchota-t-elle, parce que ton jugement dans cette guerre est obstrué par ton amour pour lui.
Je voyais rouge. Comment pouvait-elle se permettre de dire une telle chose ? Dans la position dans laquelle nous étions, après ce qu’elle avait vu de Pansy, comment pouvait-elle avoir le culot de se permettre un tel présupposé ? Comment pouvait-elle me dire que je ne voyais pas clair à cause de mon amour pour Theo ?
- Pardon ? crachai-je sur la défensive, ou peut-être sur l’offensive, je n’en étais pas certain.
- Tu n’agis pas pour la Guerre, tu agis pour lui, continua-t-elle doucement. Et ton jugement est obstrué à cause de ça.
Je ne comprenais même pas ce qu’elle cherchait à dire par là. Je ne parvenais même pas à voir où elle voulait en venir avec une telle audace.
- Quel jugement, Granger ? m’impatientai-je alors que la colère montait progressivement en moi.
- Celui qui t’empêche de voir qu’on pourrait gagner cette Guerre si on travaillait ensemble, dit-elle en ajoutant de la tendresse à son ton, comme pour essayer de me faire entendre ce qu’elle avançait-là. Celui qui t’empêche de voir que j’ai beaucoup à t’apporter, si tu n’avais pas aussi peur qu’on soit découverts et que ça retombe sur vous. Sur lui, en particulier, ajouta-t-elle ensuite plus doucement.
Je m’entendis pouffer.
- Gagner cette Guerre ? répétai-je, incrédule. De quoi tu parles, putain ?
Elle ne se laissait pas démonter, ni par mon ton, ni par mes propos, ni par la colère défensive qu’elle pouvait sans nul doute lire dans le gris de mes iris. Elle me regardait avec tristesse, ainsi qu’avec tendresse. Comme si elle parlait à un enfant dans le déni. Du bout de sa langue, elle humidifia ses lèvres avant de continuer à voix basse :
- Je parle du fait que si tu continues comme ça, tu risques de la lui faire gagner, cette Guerre.
Une nouvelle fois, je pouffais.
- Parce que tu crois que j’ai le choix ? crachai-je alors. Tu crois que je peux me contenter de faire les choses à moitié maintenant que je suis Grand Intendant à cause de nous ? appuyai-je sur un ton accusatoire.
Elle me regarda avec tristesse, comme si je ne comprenais rien de ce qu’elle avait à me dire, et que cela la peinait terriblement. Comme si elle cherchait en moi quelque chose qu’elle ne trouvait pas là. Cela ne m’énervait que plus. Qu’avait-elle encore le culot d’attendre de moi ? Qu’est-ce qui, chez moi, n’était pas encore à la hauteur pour elle ? Doucement, elle chuchota :
- C’est exactement de ça dont je parle, Drago. Tu ne vois pas ce qui est juste devant toi parce que tu es trop aveuglé par ta peur de le perdre.
Elle marqua une pause pendant laquelle je cherchais dans ses yeux les réponses que je ne trouvais pas.
- Qu’est-ce que tu crois qu’il se passera ensuite, si vous gagnez ? ajouta-t-elle tout doucement.
Je demeurai muet, et elle attendit un instant, le temps que sa question parvienne à mon esprit. Je ne pensais pas aussi loin. Je n’avais pas le luxe de penser aussi loin. Ce qui était dans mon présent à moi, c’était le risque constant que mes amis soient assassinés si je ne faisais pas suffisamment bien ce qui était attendu de moi. C’était la seule réalité tangible qui m’incombait.
- C’est ça, l’avenir que tu veux absolument préserver pour lui ? me demanda-t-elle en chuchotant, ses yeux me sondant avec tendresse. Un avenir où vous demeurez prisonniers de lui jusqu’à votre mort, mais peu importe tant qu’il reste en vie ? Quelle vie, Drago ? Une vie où vous ne pourrez jamais être rien d’autre que ça ? Que ses soldats enchaînées ? C’est pour ça que tu combats pour lui ? Pour lui offrir cette vie-là jusqu’à la fin ?
Je sondais ses yeux à la recherche d’une réponse qui ne me venait pas. Non, je n’avais pas le luxe de penser aussi loin. Il n’y avait que l’instant présent dans une Guerre. Pas le lendemain, et pas l’avenir non plus, parce que rien n’était plus incertain que cela. Rien d’ailleurs n’était plus dangereux que l’espoir d’un avenir qui ne serait peut-être pas. Non, il n’y avait que ce je pouvais faire dans le présent pour préserver sa vie. C’était tout. Et c’était cela, ce que je pouvais faire dans le présent pour préserver sa vie.
Elle ne perdait rien de sa douceur, ni de sa tendresse quand elle continua :
- Si tu continues comme ça sans oser voir plus loin, c’est ça que tu récolteras.
- Et qu’est-ce que tu crois qu’il se passera, si on la perd cette Guerre ? lui renvoyai-je avec colère. Tu crois qu’on sera libres ? Tu crois qu’on sera absolu de nos crimes ? Est-ce que tu lis les journaux, Granger ? crachai-je sur un ton inquiétant. Est-ce que tu sais ce que je faisais, pendant que tu m’attendais-là ? Est-ce que tu sais combien d’innocents j’ai déjà tué ?
De nouvelles larmes perlèrent de ses yeux, mais elle ne les baissa pas. Elle continuait de maintenir le contact avec les miens, comme cherchant à se prouver à la hauteur. Comme cherchant à nous prouver à tous les deux qu’elle pouvait supporter tout cela. Elle ne le pouvait pas. Cela, nous l’avions vu tous les deux. Je détestais d’être contraint, encore une fois, de la confronter à ce que j’étais. A la réalité de ce qu’était ma vie.
- Je vous protégerai, murmura-t-elle, je trouverai une solution.
Un rire désillusionné vibra en moi.
- En qualité de ? continuai-je de la confronter. La Sang de Bourbe qui s’est éprit du vilain Mangemort ? Tu vis dans quel monde, Granger ? grondai-je avec colère. Qu’est-ce que tu crois encore que je peux pour toi ? Qu’est-ce que tu crois que je peux encore t’apporter ? Regarde-moi, ordonnai-je froidement alors qu’elle baissait ses yeux larmoyants. Regarde le sang sur mes vêtements, la commandai-je avec une autorité froide.
Elle baissa les yeux sur les tâches du sang pas même encore séchées qui me tâchaient. De nouvelles larmes perlèrent sur ses joues, et mon cœur se brisa une nouvelle fois. Mais c’en était assez.
- C’est ça, ce que je suis devenu, appuyai-je avec dégoût. Qu’est-ce que tu attends encore de moi ? Réveille-toi, exigeai-je froidement d’elle. Celui que tu as connu à Poudlard n’existe plus.
Elle me regarda un instant, m’imposant égoïstement la vue de la magie de ses yeux ambrés dont j’essayai tant bien que mal de ne pas être témoin.
- J’ai accepté ta situation, chuchota-t-elle finalement.
Je pouffai froidement une nouvelle fois.
- Comme quand tu m’as supplié de ne pas aller tuer Dumbledore ? lui crachai-je encore.
- Non, dit-elle doucement sans se laisser impressionner. Ce jour-là je vous ai tous mis en danger, toi le premier, et j’en suis sincèrement désolée. Mais maintenant je sais, ajouta-t-elle doucement. Je ne te dis pas que ce ne sera pas difficile à gérer, je ne peux pas te dire que je vais devenir insensible à l’horreur, mais je te dis que j’ai accepté ta situation, et que je suis prête à la traverser à tes côtés.
Je la regardais, incrédule. Je ne comprenais rien de ce qu’elle disait.
- Putain, mais qu’est-ce que tu racontes ? crachai-je dans l’incompréhension la plus totale.
- Je sais les choses que tu es obligé de faire, et je sais que tu ne peux pas ne pas les faire pour ta sécurité et celle des tiens, et je tiens à ta sécurité probablement plus que tu n’y tiens toi-même, tenta-t-elle d’expliciter.
- Alors pars, tranchai-je froidement.
- Drago…, murmura-t-elle encore douloureusement.
- Qu’est-ce que tu espères faire de moi, Granger ? m’emportai-je avec impatience. Un soldat de ton précieux Ordre ?
- Non, seulement qu’on fasse des compromis des deux côtés pour gagner cette Guerre ensemble et avoir un avenir, continua-t-elle tout bas.
- Tu dis tellement n’importe quoi que j’en viens à me demander si ce n’est pas ton Ordre qui t’a envoyée pour me piéger, lâchai-je finalement avec dégoût.
Elle me regarda, incrédule à son tour. De nouvelles larmes perlèrent de ses yeux toujours bien trop chaleureux.
- Tu ne penses pas ce que tu dis, murmura-t-elle alors.
- Ah non ? On est en putain de Guerre Granger ! m’énervai-je explicitement. Et tu débarques comme une fleur devant chez moi, envoyée par Rogue qui a autant de chances d’être votre allié que d’être celui de putain de Voldemort, qui sait maintenant que t’es chez moi et tu testes ma loyauté envers lui en me racontant des conneries sur une alliance impossible ! Alors qu’est-ce que j’en pense, à ton avis ?
Plus douloureusement encore, ses sourcils se froncèrent, tremblants sur son front. Elle pleura de plus belle.
- Quoi, ça c’est trop dur pour toi ? appuyai-je encore. Le sang des innocents dont je suis recouvert ça va, tu l’acceptes, mais que je doute de tes intentions envers moi, c’est ça qui te fait pleurer ?
Une nouvelle fois, elle fit non de la tête.
- Tu n’as qu’à fouiller mon esprit, si c’est ce qu’il faut pour que tu me croies, proposa-t-elle soudain.
Je perdais mes mots un instant, surpris par la confiance résidant dans sa proposition, avant de le lui renvoyer :
- Je pourrais tout aussi m’effacer de ta mémoire et te renvoyer d’où tu viens avec l’absolue certitude que tu ne viendras plus jamais me retrouver.
Elle maintenu, encore une putain de fois, mon regard comme si je ne lui faisais pas peur le moins du monde. Comme s’il n’y avait rien que je puisse dire qui la ferait abandonner. Rien qui ne la ferait reculer. Elle me regardait simplement comme si elle attendait que je sois prêt, douloureusement, mais avec persistance. Sans ne jamais se laisser putain de démonter. Je la détestais. Je détestais à quel point elle était putain de bornée.
- Oui, tu pourrais aussi, me céda-t-elle tout de même. Mais j’ai confiance en toi, et je sais que tu ne le feras pas, m’assena-t-elle le coup fatal.
Je demeurai pantelant, pendu au bout de ses lèvres abimées. Mon cœur prit un nouveau coup. Un trop gros coup, cette fois. Je sentis ma bouche demeurer entre-ouverte. Elle me faisait encore confiance. Avec tout ce qu’elle savait de moi, de ce que je faisais à longueur de journée, de ce que j’étais, elle continuait de me faire confiance. Elle ne faisait pas que m’aimer, non. Elle continuait de me faire confiance. Cela m’abima peut-être plus encore que tout le reste.
- Tu te rends compte de ce que tu dis ? murmurai-je à mon tour, sous le choc.
- Oui, répondit-elle simplement sans se dérober à mon regard.
Mes yeux ne trouvaient pas d’échappatoire à la douceur abominable de son visage. À la douceur avec laquelle elle me regardait, et la force avec laquelle elle croyait encore en moi. Je ne comprenais pas. Elle savait tout. Rien n’avait de sens. Elle était parfaite. Elle était douce. Elle était brillante. Remplie de valeurs. Une bonne personne. Quelqu’un de réellement bien comme il en existait peu. Et elle se tenait là, devant celui qui avait pris la tête des armées du malade le plus dangereux du dernier siècle, devant celui qui venait encore une fois de décimer un village entier, assassinant et réduisant en esclavage toute une partie de la population qu’elle défendait, et elle lui faisait confiance. Elle lui faisait confiance avec son propre esprit. Avec son propre cœur.
- Qu’est-ce que je t’ai fait Granger…, m’entendis-je chuchoter.
Elle fit un pas vers moi, et je revenais à moi en reculant. De nouvelles larmes perlèrent sur mes propres joues tandis que je faisais non de la tête. Non. Elle ne pouvait plus approcher. Peu importait combien je voulais la serrer. Peu importait combien je voulais pouvoir l’aimer. Elle ne pouvait plus. Nous ne pouvions plus. J’étais le soldat de Voldemort, et la survie des miens dépendait de moi. Je ne pouvais plus les mettre en danger à cause d’elle. Pansy était morte, et j’avais failli perdre Theo.
- D’accord, murmura-t-elle en levant les paumes de ses mains vers moi.
- Il faut que tu partes, chuchotai-je alors que je sentais de nouvelles larmes couler sur mes joues.
Elle me regardait avec ce mélange de tristesse et d’espoir qui lui était typique. Je ne savais pas où est-ce qu’elle parvenait à toujours en trouver, de l’espoir. Doucement, elle acquiesça.
- D’accord, répéta-t-elle à mi-voix.
- Et tu ne peux pas revenir, pleurai-je encore tandis que mes mots étaient à peine audibles.
Parce que quelque part, une partie de moi espérait qu’elle ne les écouterait pas. Autant qu’il ne le fallait pas, autant que c’était dangereux, autant que c’était interdit. Une partie de moi espérait qu’elle continuerait de ne pas m’écouter. Que je puisse revoir ses yeux ambrés dans lesquels brûlaient chacun de mes rêves les plus chers. Que je puisse revoir ses lèvres en cet instant abimées, mais que je mourrais d’envie d’embrasser. Que son odeur d’amandes remplisse à nouveau mon nez et remplace celle de la mort qui m’accompagnait désormais partout où j’allais.
Lentement, elle porta une main à sa lèvre blessée des coups de Pansy.
- A mes risques et périls, tenta-t-elle avec un faible sourire.
Il était trop faible, mais il s’était étalé sur ses lèvres, et il renversait mon monde. J’aurai donné n’importe quoi pour la voir sourire vraiment encore une fois. Je ne savais pas quand cela était, la dernière fois. Désormais, je ne la voyais plus que pleurer.
Je pouffai plus tendrement malgré moi.
- Elle a traversé beaucoup de choses depuis ce moment, justifiai-je pour Pansy.
- Bien sûr, je ne lui en veux pas. Et puis, je n’imagine pas les états dans lesquels vous devez être, avec ce que traversez ces dernières semaines.
- Arrête, la coupai-je encore.
- Quoi ? tenta-t-elle, faussement innocente.
- D’essayer de me faire parler.
- Je veux juste savoir comment tu vas, murmura-t-elle avec douceur.
Je sondais ses yeux. Est-ce que j’avais vraiment besoin de lui répondre pour que ma réponse soit explicite ?
- A ton avis ? lui renvoyai-je alors.
Elle me regarda encore un instant, ses sourcils froncés sur son front. Encore une fois, elle me regardait avec douleur. Avec la douleur qu’elle ressentait de ce qu’était ma vie désormais. Quelque part, je supposai que je lui faisais pitié.
- Je suis tellement désolée Drago, tellement désolée pour tout ça, pleura-t-elle une dernière fois.
Ce fut mon tour de faire non de la tête. Rien de tout cela n’était de sa faute, c’était la mienne. Elle n’avait pas à être tenue responsable de mes propres erreurs.
- Ce n’est pas de ta faute.
Elle sécha une de ses larmes d’un revers de sa main et renifla doucement.
- Ce n’est plus important, c’est trop tard maintenant, n’est-ce pas ?
- Oui, confirmai-je à voix basse, c’est trop tard.
Elle pinça ses lèvres en acquiesçant, baissant le regard un instant comme pour mettre de l’ordre dans son esprit. Elle m’échappait, encore.
- Je sais qu’il est trop tôt, continua-t-elle doucement, et je sais que tu n’es pas encore prêt à l’entendre, alors je vais m’arrêter là pour aujourd’hui…
- … Pour aujourd’hui ? répétai-je.
Elle releva des yeux non intimidés vers moi. Elle n’était que bien trop rarement intimidée par moi. Je n’aimais pas beaucoup ce constat.
- Je t’ai dit que je me trouverais une place dans ta vie, rappela-t-elle avec une détermination nouvelle. Je ne fais pas de promesses en l’air.
Je soupirai :
- Putain mais qu’est-ce que tu compr…
- … Mais j’aimerais que tu te poses une question, jusqu’à notre prochaine rencontre, ordonna-t-elle sans se laisser démonter une seule seconde.
- Il n’y aura pas de prochaine rencontre Granger, bordel !
Sa voix résonna sourdement dans mon esprit, claire et à la fois distante, douce et à la fois confrontante quand elle me frappa de ces mots :
- Quel est ton objectif pour cette Guerre, Drago ?
- GRANGER ! hurlai-je à pleins poumons alors qu’elle disparaissait sous mes yeux.
Je tendais une main désespérée vers elle pour la rattraper. Cette main ne rencontra que le vide. Elle n’était plus là. Elle avait tout simplement… disparu. Mes yeux la cherchèrent avec angoisse pendant quelques secondes, regardant anxieusement partout autour de moi. Elle n’était plus là. Elle s’était soudainement imposée à moi, avait traversé toutes mes barrières, chacun de mes murs, et elle s’était imposée à moi sans me permettre de me préparer de quelque façon que ce soit, et de la même façon, sans que je puisse m’y préparer, elle avait disparu, ne me laissant que le vide. Que les relents de son odeur d’amande qui flottaient derrière elle, actuellement seul témoin que je ne venais pas de tout halluciner. Et elle n’était plus là.
Je ne l’avais même pas serrée dans mes bras. Je ne l’avais même pas embrassée. Je sentis de nouvelles larmes couler sur mes joues tandis que je faisais face au vide après qu’elle ait grand ouvert chacune de mes barrières, désormais seul devant le portail refermé, abattu. J’avais fait ce qu’il fallait, je le savais. Pourtant, je n’en retirai pas la moindre satisfaction. Il ne restait qu’un amer sentiment de remord, de regret, d’inachevé. Elle était juste là, semblais-je réaliser réellement à l’instant seulement. Elle était juste là, juste devant moi. Je n’avais pas même essuyé une larme de ses joues. Je ne lui avais pas même demandé comment elle allait. Je ne l’avais pas même ne serait-ce qu’effleurée. Il n’y avait eu que mon bras contre sa poitrine pour la protéger de Pansy, sans même prendre le temps de sentir les battements de son cœur contre celui-ci. Alors qu’elle était juste là. Juste là devant moi, après des semaines, merde peut-être même un mois ou deux, où il n’y avait rien eu d’autre que l’horreur. Après tout ce temps où elle n’était restée qu’un souvenir hanté dans mon esprit. Mon cœur pleura. Au même rythme que mes yeux, mon cœur pleura, et je m’accroupissais un instant sur le sol, mes deux mains tentant d’apporter un peu de chaleur à ce cœur meurtri. Je ne comprenais pas pourquoi mon cœur continuait de la pleurer ainsi. Pourtant, il me faisait physiquement mal, comme s’il était en train de se déchirer physiquement dans mon poitrail à la réalisation qu’elle avait été juste là, et que je n’avais rien pu faire d’autre que la renvoyer de là où elle venait. Un sanglot douloureux me secoua alors que je fermais les yeux, mes mains fermées posées sur mon cœur.
Tout ce que je voulais, c’était pouvoir appeler son nom, et qu’elle me revienne. Je voulais qu’elle revienne, et pouvoir la toucher. Je voulais pouvoir me sentir humain en me délectant de la sensation de sa peau contre la mienne. De sa chaleur, de sa texture, de chacun de ses grains de peau. Je voulais qu’elle revienne, et la serrer contre moi. Laisser son odeur apaiser mon âme et passer une main dans ses cheveux qu’elle m’avait cachés. Ses cheveux que je n’avais même pas pu voir. Je voulais qu’elle revienne, et l’embrasser. Je voulais me délecter de son goût et laisser ma langue panser chacune des plaies qu’elle ne nommait pas. Je voulais lui dire avec cette langue tout ce que je ne pouvais pas me permettre de lui dire avec des mots. Mon cœur se serra douloureusement dans mon poitrail, et j’appuyais dessus de mes mains alors que je sanglotais accroupi sur le sol. Je voulais qu’elle revienne, et pouvoir m’enfuir avec elle. En cet instant, je voulais que cela puisse être une option. Que je puisse simplement choisir de partir, de partir loin de tout cela, loin de toutes ces horreurs, loin de ce qui grondait dans mon esprit et que je ne reconnaissais pas, et partir avec elle. Je voulais la protéger de ce que j’étais, du Grand Intendant, du Seigneur des Ténèbres et de la Guerre. Mais il n’y avait rien que je pouvais faire pour elle, et rien qu’elle pouvait faire pour moi. Alors mon cœur pleurait, il ne cessait de pleurer, et je le taisais. Je le taisais avec violence, grondant et frappant un coup sec sur mon poitrail, puis un deuxième pour qu’il se taise. Parce qu’il n’existait pas un monde dans lequel je pouvais tout avoir. Il n’existait pas, ce monde dans lequel je l’avais elle, et lui. Alors je serrai les dents, je fermais les yeux de toute ma force pour qu’ils cessent de pleurer, et je frappais mon cœur d’un nouveau coup de poing dont la violence résonnait en moi. Parce que peu importait combien je la voulais, elle n’était plus là. Parce que peu importait combien je la voulais, elle était hors de ma portée. J’étais le Grand Intendant. C’était cela, ce que j’étais désormais. Il n’existait plus, ce monde dans lequel je pouvais être Drago Malefoy, et aimer Hermione Granger. J’étais le Grand Intendant, me répétais-je en frappant une nouvelle fois mon poitrail. J’étais le Grand Intendant.
Je prenais une profonde inspiration, forçant mes yeux à s’ouvrir et à regarder droit devant eux avec une détermination sans faille. Mes amis m’attendaient sans nul doute à l’intérieur. J’avais fait ce que j’avais eu à faire pour eux. J’avais fait ce que j’avais eu à faire pour elle. Et j’avais fait ce que j’avais eu à faire pour lui. C’était là tout ce qui comptait. Désormais, c’était la seule et unique chose qui avait de l’importance. Alors je me relevais, j’essuyais mes joues en appuyant fortement de mes deux mains, et j’inspirai une dernière fois avant de me diriger vers l’entrée du manoir. La voix de mon dragon, qui, quand bien même il était dans sa prairie, demeurait connecté à mon esprit à tout instant, gronda à l’intérieur de moi :
- Pour ce que ça vaut, je suis avec l’humaine du petit homme capable.
Je sentis mon regard se durcir alors que je marchais vers l’entrée de ma maison et les portes de mon cœur se refermer alors que je tranchais sans la moindre teinte d’humour dans mon esprit :
- Personne ne t’a demandé ton avis.
Et je franchissais, pas après pas, les mètres qui me séparaient et de la fureur de Pansy que je devrais trouver le moyen de calmer alors que la voix de Granger résonnait encore à l’arrière de mon esprit, me demandant sans cesse « Quel est ton objectif pour cette Guerre, Drago ? ».
Quand je pénétrais dans le salon, un silence de mort régnait. Blaise était adossé au mur du fond, ses bras croisés sur son poitrail, Pansy se tenait elle aussi debout, mais remuant dans la pièce tandis que Theo était assis sur le canapé, les jambes écartées et ses bras reposant de chaque côté de l’appui-tête. Je me servais un verre quand je leur apprenais, le regard baissé :
- Elle est partie.
L’alcool coulait dans mon verre. Un petit, mais un verre tout de même. J’en avais grand besoin.
- Pour de bon, j’espère, trancha une Pansy aux allures plus calmes bien que toujours cinglante.
J’inspirai profondément et prenais une gorgée de mon verre, mes yeux rivés sur le sol alors que j’avouais ensuite à voix basse :
- Je ne sais pas.
Son calme apparent fut de courte durée.
- Comment ça, tu ne sais pas ? m’insurgea-t-elle directement.
Je me retournais face à elle et ouvrait mes bras en signe d’impuissance, la fatigue de cette vie prenant possession de ce qu’il restait de moi après cette nuit.
- Je ne peux pas la contrôler Pansy, confessai-je alors.
Elle me regardait de ses grands yeux verts interdits tandis que je prenais une nouvelle gorgée de mon verre. Aucun d’eux ne s’était douché pendant le temps que j’étais resté dehors. Ils m’avaient tous attendu ici-même. Nous trainions l’odeur de la mort avec nous.
- Est-ce que tu te rends compte des risques qu’elle nous fait prendre à tous en se pointant ici ? appuya une Pansy dont la colère semblait remonter en flèche.
- Oui, je m’en rends compte, répliquai-je calmement, et j’ai fait tout mon possible pour qu’elle le comprenne aussi.
Je supposai que l’abattement avec lequel je m’adressai à elle lui servait de preuve que je n’en avais pas profiter pour raviver la flamme entre elle et moi, et que j’étais sincère dans les mots que je leur adressais-là. Pour une fois en ce qui concernait Granger, ils me semblaient réellement vrais. J’avais fait ce que j’avais pu pour lui faire comprendre qu’elle ne pouvait pas revenir. Je ne savais pas si je pouvais être tenu pour responsable si elle décidait de se pointer à nouveau, maintenant qu’elle pouvait transplaner à volonté sur demande à Rogue.
- Vaudrait sérieusement putain de mieux pour elle, grommela Pansy plus pour elle-même que pour me menacer.
Malgré sa colère à la fois légitime et explicite, il me semblait qu’elle cherchait là à m’en protéger autant qu’elle le pouvait. Le fait qu’elle se soit calmée et qu’elle ne me saute pas dessus avec rage pour connaître les tenants et les aboutissants de sa venue et de notre conversation m’attestait du fait qu’elle savait que cette surprise n’avait pas été facile à vivre pour moi.
Blaise par contre, toujours adossé contre le mur porteur du salon à côté de la cheminée, ses bras aussi fermement fermés sur son poitrail que possible, faisant ressortir les importants muscles de ceux-ci, ne m’accorda pas le même répit :
- Comment elle a pu venir jusqu’ici, Drago ? m’accusa-t-il presque d’un ton froid.
J’eu une impression de déjà-vu lorsque ses mots s’échappèrent de ses lèvres pour m’atteindre en plein cœur.
Je maintenais ma mâchoire serrée, m’accrochant à mes murs et les retenant comme je le pouvais, fixant le sol qui se tenait devant moi, évitant fermement son visage à lui, et son cadavre à elle qui se tenait juste-là, à ma gauche, en tant que témoin de mon égoïsme. Et soudain, la froideur de sa voix, si basse et si rauque, telle que je ne l’avais jamais entendue, me demanda avec véhémence :
- Qu’est-ce qu’elle faisait là, Drago ?
…
- REGARDE-LA !
Soudain, sa main s’écrasa violemment sur ma joue droite. La force de sa baffe brûla ma joue et propulsa mon visage sur la gauche. La surprise m’ouvrit les yeux, et ce fut elle que je vis soudainement. Ses grands yeux verts vides rivés sur le plafond. Son visage inexpressif. Sa peau désormais trop pâle. Ses lèvres blanches. Et ses yeux. Ses atroces yeux immobiles. Figés. Une vision d’horreur. Et je savais, en cet instant je savais que cette image allait me hanter pour le restant de ma vie. J’avais fait ça. C’était moi, qui avait fait ça.
Je prenais une nouvelle gorgée de mon verre alors que mon ventre se nouait douloureusement. J’avais considéré mentir à sa question pour limiter leur colère, mais ce souvenir qui vivait en moi me rappelait que je leur devais tout, y compris la vérité. C’était moi qui leur avais fait ça. Je baissai les yeux sur le sol quand je répondais :
- Rogue lui a donné un Portoloin.
Un nouveau silence emplit la pièce. Je levai les yeux vers Pansy. Elle me regardait, sidérée.
- Pardon ? accusa-t-elle sèchement.
J’acquiesçai faiblement en sa direction. Sa colère était plus que légitime. Je ne pouvais rien dire pour nous défendre, ni moi, ni Granger.
- Elle ne lui a rien dit, précisai-je, mais de lui-même il lui a donné un Portoloin qui mène jusqu’ici.
L’espace de quelques secondes, un nouveau silence mort s’abattu entre nous, les battements de mon cœur pour seule sonorité dans mes oreilles. Soudain, un rire hystérique s’échappa des lèvres de Pansy avant que la colère ne reprenne le contrôle des traits de son visage fatigué :
- Est-ce que tu te fous de ma gueule ?
Devant mon sérieux silencieux, elle obtint réponse à sa question.
- Oh mon dieu, souffla-t-elle avant de balancer la tête en arrière et de rire à nouveau. Oh putain mais c’est pas possible, j’y crois pas ! Cette pute va vraiment tous nous faire tuer ! s’emporta-t-elle à nouveau.
Je demeurai impassible face à sa colère, ne pouvant rien faire d’autre que la recevoir.
- Pansy, trancha sèchement Theodore depuis le canapé.
- QUOI ?! hurla-t-elle soudainement vers lui. PUTAIN, QUOI ENCORE ?! EST-CE QUE VOUS VOUS RENDEZ COMPTE DE LA GRAVITÉ DE LA SITUATION, OU Y A QUE BLAISE ET MOI LÀ ?! EST-CE QUE VOUS RÉALISEZ QU’UN MANGEMORT EST AU COURANT DE LA SITUATION ENTRE GRANGER ET DRAGO ET Q’'IL EST AU COURANT QU’ELLE ÉTAIT ICI CE SOIR ?! nous cria-t-elle dessus en ouvrant les bras d’impuissance face à notre apparent calme. MAIS PUTAIN DE MERDE, EST-CE QUE VOUS VOUS RENDEZ COMPTE ?!
Je restai silencieux, comme un enfant qui recevait une beuglante justifiée de la part de sa mère.
- On n’a rien à craindre de Rogue, amena calmement Theodore.
- Ben voyons ! pouffa Pansy. Et de quelle putain de source tu tiens ça l’fantôme ?!
- C’est moi la source, posa-t-il avec une confiance inébranlable.
Un nouveau rire effrayant résonna en sa moitié avant qu’elle ne nous regarde, Theo et moi. D’une voix basse peut-être encore plus terrifiante que ses cris, elle souffla :
- En fait vous êtes complètement tarés. J’commençais à m’poser des questions, j’commençais à m’dire « putain j’sais pas, c’est moi qui dois avoir un problème pour réagir comme ça alors qu’ils ont tous l’air tranquilles », mais non en fait, cracha-t-elle en portant ses mains à son crâne.
Un nouveau rire qui n’avait rien d’amical secoua sa poitrine.
- En fait c’est juste que vous êtes complètement tarés, parce que jouer chacune de nos vies sur une putain d’intuition de ce psychopathe, j’ai un peu de mal à saisir là !
- Qu’est-ce que tu suggères ? lui renvoya un Theodore toujours aussi calme.
Pansy ouvrit grand les bras sur les côtés.
- J’en sais rien, moi ! Peut-être qu’on devrait buter Rogue, je sais pas !
- Et ensuite ? continua Theo. Tu penses que Voldemort va en être satisfait ?
- Il n’est pas obligé de savoir que c’était nous, défendit-elle son propos.
- Oui, lui renvoya Theo immédiatement, comme il n’était pas obligé de savoir que c’était m…, nous pour ton oncle, se reprit-il.
L’espace d’un instant, Pansy fronça les sourcils, comme si elle était à la recherche de quelque chose qu’elle ne trouvait plus intact dans sa mémoire.
- De toute façon il est au courant, reprit Theodore, et il est au courant depuis des mois, et il ne s’est encore rien passé. Ce qui est fait est fait, on ne pourra rien y changer.
Pansy pouffa avec colère avant de se retourner vers moi.
- Et on peut savoir ce qu’elle te voulait ? Tirer un p’tit coup entre deux buissons ? se hasarda-t-elle avec un sarcasme débordant d’agressivité.
Je sentis ma mâchoire se serrer machinalement, mais je savais parfaitement bien que je ne pouvais rien riposter, alors je n’en disais rien.
- Voir que j’étais en vie, commençai-je avant de me rappeler la deuxième partie de notre conversation. Et me raconter des conneries à propos d’une alliance pour gagner la Guerre, ajoutai-je alors.
Je notai le regard intéressé que Theodore tourna vers moi, quand bien même je l’ignorai autant que je le pouvais. Il avait déjà mentionné ce genre de connerie-là, lui aussi. Pansy, face à moi, semblait confuse, ses sourcils froncés sur son front.
- Comment ça ? demanda-t-elle que j’explicite.
- J’en sais rien, je l’ai pas laissée élaborer.
- Tu aurais dû, trancha alors la voix de mon frère.
J’inspirai profondément avant de soupirer.
- Elle a juste parlé de faire des compromis des deux côtés, et elle m’a dit que l’Ordre allait commencer à riposter sur nos rixes, leur appris-je donc.
- Elle t’a dit quand ? demanda Theo.
- Non.
- Elle t’a dit dans quel village ? continua-t-il.
- Non, avouai-je encore.
- Elle t’a dit combien de membres ? insista-t-il.
- Non, répétai-je à nouveau.
Il me laissa quelques secondes avant de rétorquer :
- C’est pour ça que tu aurais dû la laisser élaborer.
- Qu’est-ce que ça change ? lui renvoyai-je, lasse et fatigué. On savait que ça allait finir par arriver, et peu importe combien ils sont, ils vont mourir eux aussi, lâchai-je en m’asseyant finalement sur le canapé face à celui qu’habitait Theodore.
- Attends, me somma Pansy, Granger voudrait qu’on s’échange des informations pour œuvrer ensemble vers…, quoi, un échec de Voldemort dans cette Guerre ? demanda-t-elle avec une curiosité qui n’avait pas l’air feinte.
- J’en sais rien je vous dis, soupirai-je, je l’ai pas laissée en parler plus que ça, mais j’imagine que oui.
Pansy sembla réfléchir un instant, ses yeux verts perdus dans le vague. Pendant ce temps, Theo posait un regard appuyé sur moi auquel je ne pouvais pas me dérober. Blaise, toujours appuyé contre le mur, semblait songer, lui aussi.
- C’est hors de question, coupai-je court à leurs réflexions.
- J’suis d’accord je pense, m’appuya Pansy, on peut pas lui faire confiance sur un truc aussi grave que la trahison envers le Seigneur des Ténèbres.
- Moi je pense qu’on devrait écouter ce qu’elle propose, renchérit un Theodore au calme toujours aussi plat.
- Je suis d’accord, nous surprit tous Blaise en appuyant mon frère, ne serait-ce que pour savoir, ajouta-t-il tandis que tous nos regards s’étaient tournés vers lui.
Pansy le regarda avec un mélange de choc et de déception et il ouvrit finalement les bras en haussant les épaules pour se défendre sourdement.
- Non, coupai-je encore, c’est hors de question, rien que d’avoir cette putain de discussion c’est déjà de la trahison.
- Avoir des remords pour ce qu’on fait aussi, renchérit Theodore.
- C’est pas pareil, commençai-je à m’emporter.
- Enterrer un cadavre aussi, ne cessa-t-il pas.
- Putain, ça n’a rien à voir ! m’écriai-je alors.
- Theo a raison, continua Blaise, ça ne coûte rien d’écouter ce qu’elle a à d…
- … J’AI DIT NON ! hurlai-je alors que je me relevais.
Je prenais une profonde inspiration en essayant de me calmer, tous leurs regards alertés dirigés droit sur moi.
- Je suis d’accord avec Pansy, continuai-je avec autant de calme que possible, qui au cas où vous l’auriez oublié est déjà morte une fois à cause de tout ça, crachai-je malgré tout, c’est trop dangereux et on ne prendra pas un risque pareil.
- Et si j’avais envie d’entendre ce qu’elle a à dire ? me défia doucement Theodore.
Je me retournais vivement vers lui et lui ouvrit mes bras :
- Eh bien c’est dommage, parce que c’est moi qui suis aux commandes ! m’exclamai-je avant de me retirer, le cœur battant la chamade dans mon poitrail.
Je montais en trombe dans ma chambre, la colère remplaçant toute autre émotion de tristesse ou de culpabilité que j’avais pu ressentir plus tôt. Ce n’était pas la première fois que Theodore avait le culot de me tenir de tels propos, comme si être de tels traîtres ne représentait pas le moindre putain de risque. Il me semblait qu’il n’avait pas la moindre putain d’idée de ce que j’avais ressenti quand il s’était ôté la vie. Comment pouvait-il l’ignorer ? Comment pouvait-il, après ce que nous avions traversé, me demander de mettre l’homéostasie que nous venions à peine de retrouver en danger, quand bien même celle-ci était évidemment dysfonctionnelle ? Comme pouvait-il ouvertement suggérer qu’il serait intéressant d’envisager la pire des trahisons possibles envers le Seigneur des Ténèbres, comme si sa vie en jeu n’était pas un si gros risque à prendre que cela ?
Je me retournais vivement quand j’entendis la porte de ma chambre s’ouvrir puis se refermer doucement. Évidemment, c’était lui. Ah, il ne me laisserait pas ainsi, c’était certain, par contre me laisser en crevant, ça, c’était moins problématique à ses yeux. La rage tordait mes traits alors que je lui demandais avec agressivité :
- C’était quoi ce bordel putain ?
- Drago, calme-toi, ordonna-t-il doucement en approchant vers moi.
Que je me calme ? Sérieusement ? Alors que c’était lui qui parlait tranquillement d’un sujet de conversation qui pouvait déjà en lui-même tous nous condamner à mort, si ce n’était à encore pire que cela ?!
- Putain, ne me dis pas de me calmer quand tu parles de putain de trahison aussi légèrement, tranchais-je sèchement, mon regard sur lui désormais dur.
- Tout ce que je dis c’est qu’on devrait écouter ce qu’elle a à dire, c’est tout, tenta-t-il tout doucement. C’est pas moi qui vais t’apprendre qu’elle a un sacré cerveau, essaya-t-il avec l’ombre d’un sourire en coin.
- J’ai un putain de cerveau aussi ! ne me calmai-je pas le moins du monde.
Il leva les paumes de ses mains vers moi, et continua d’une voix si douce qu’elle témoignait d’à quel point il était en train de marcher sur des œufs avec moi. Tant mieux. Je n’allais pas continuer de le laisser parler de ce genre de choses bien plus longtemps. L’idée de le mettre encore plus en danger maintenant que j’avais goûté à ce que c’était que de le perdre était inenvisageable pour moi. Alors tant mieux, qu’il ait peur d’avoir cette conversation avec moi.
- Je n’ai jamais dit que ce n’était pas le cas, continua-t-il donc doucement. Je dis que vos deux cerveaux ensemble pourraient potentiellement nous amener plus loin que seulement l’un d’entre eux.
Je pouffai avec dégoût :
- Bien sûr, parce qu’on a bien vu où nos deux putain d’cerveaux nous ont conduit.
- C’est différent, tenta-t-il encore d’apaiser en faisant un pas de plus vers moi, et tu le sais. Je parle de stratégie là, pas de sentiments.
Je voyais rouge. Il me semblait qu’il n’y avait rien d’autre que les sentiments dont il fallait parler. C’était les sentiments qui faisaient que nous en étions tous là. C’était les sentiments qui faisaient qu’il avait rejoint les rangs, lui, Pansy et Blaise. C’était les sentiments qui faisaient qu’il s’était montré tel le guerrier inébranlable qu’il était devant Voldemort, piquant son intérêt. C’était les sentiments qui faisaient que j’avais merdé. C’était les sentiments qui faisaient que Pansy était morte. C’était les sentiments qui faisaient que Theo était mort. C’était les sentiments qui faisaient que je devenais le Grand Intendant. Tout ça, toute cette putain de merde, c’était à cause des sentiments.
- Pas de sentiments ? répétais-je, incrédule. Tu ne veux pas parler de sentiments ? Est-ce qu’au moins tu réalises ce qui arriverait à Pansy si on faisait ça et qu’on se faisait attraper ?
- On ne se ferait pas attraper, me répondit-il avec un calme enrageant.
- Mais putain, t’en sais rien ! m’emportai-je alors.
- J’ai une absolue confiance en chacun de nous, avança-t-il doucement.
- Eh ben pas moi putain ! m’écriai-je avec violence.
Il me regarda quelques secondes avec ces yeux qui sondaient mon âme avant de demander avec son calme olympien :
- En qui n’as-tu pas confiance ?
- En moi, putain ! avouai-je en lui ouvrant mes bras. J’ai putain de pas confiance en le fait que je puisse risquer ta vie comme ça, tout en effectuant correctement ce qui est attendu de moi !
Il demeura silencieux à ces mots, et m’analysa de ses yeux incroyablement bleus.
- Ben oui ! continuai-je avec colère. Je ne suis pas toi, putain ! C’est pour ça que c’était censé être toi ! Je peux pas avoir putain de confiance en le fait que je vous sortirais tous de cette merde en risquant vos vies comme ça ! Putain, certainement pas la tienne ! Pas la tienne, bordel ! Je fais ce je peux putain, ok ?!
Mes traits se tordirent sous une nouvelle émotion alors que je me mettais à pleurer, et ma voix à se briser.
- Je fais ce que je peux, merde ! pleurai-je dans l’aveu explicite de mes limites. Je suis désolé si ce n’est pas assez, mais je fais ce que je peux bordel, sanglotai-je finalement.
Il s’approcha doucement de moi en m’ouvrant ses bras dans lesquels il m’enferma, et je le laissai faire.
- Je sais, chuchota-t-il alors que je sanglotais contre lui. Je sais, répéta-t-il doucement.
Je le serrai, son corps bien vivant contre moi. Son corps que je ne pouvais pas risquer. Les battements de son cœur que je ne pouvais voir s’éteindre.
- Alors ne me demande pas de risquer ta putain d’vie encore plus maintenant, je peux pas faire ça, sanglotai-je violemment dans le creux de son épaule.
- Ok, murmura-t-il en passant une main chaleureuse dans mon dos. C’est ok, répéta-t-il tout bas.
- Je peux pas faire ça, répétai-je contre la chaleur de son corps bien en vie.
Il me laissa pleurer dans ses bras le temps que j’en eu besoin. Le temps de pouvoir sortir de moi toute cette impuissance, toute cette terreur, toute cette angoisse. Le temps de pouvoir remplir mes narines de son odeur musquée, et mon corps de sa chaleur. Le temps de pouvoir recharger tout ce qui était vidé en moi et qu’il était le seul à pouvoir me rendre. Le temps de pouvoir rassurer à l’intérieur de moi tout ce qui était terrorisé de le mettre en péril, ou pire encore, de le perdre lui. Parce que c’était toujours à propos de lui. Quoi que ce fut, les peines, les joies, les angoisses, les massacres. C’était putain de toujours à propos de lui. Parce que moi sans lui, ça n’existait pas.
Je savais que je n’aurais pas dû y aller, le lendemain de ces événements, mais ce n’était pas vraiment comme si j’avais le choix. Je savais, dès que j’avais enfilé mon Masque et qu’il n’y avait pas eu assez de place en moi pour le Grand Intendant. Je savais, quand j’avais noté le regard en coin que Theodore gardait sur moi alors que nous approchions de nos dragons dans la nuit étoilée. Je savais, quand j’étais monté sur la scelle de Ragnar, et qu’il avait commencé à prendre son envol vers notre prochaine destination. Je savais, quand il survolait village après village, et que je m’étais demandé combien de temps ils seraient encore debout. Je savais, quand je m’étais demandé combien nous survivraient. J’avais su tout le long, alors que mon cœur battait trop rapidement dans mon poitrail et que mes oreilles bourdonnaient. Mais je n’avais pas vraiment le choix.
- Reprends-toi, humain pleurnichard, m’avait fait sursauter Ragnar à travers notre lien. C’est les enfers qu’on va déchaîner sur ces gens.
- Je sais, lui avais-je répondu avec frustration, parce que je savais déjà, et qu’il avait raison.
- Alors reprends-toi, insista-t-il plus fermement de sa voix grondante, je peux sentir tes émotions à plus d’une centaine de kilomètres.
- Si tu me laissais me concentrer et que tu te la fermais, ça irait peut-être mieux, avais-je commencé à perdre patience.
Mais je pouvais entendre chacune de mes respirations déjà difficiles à l’intérieur de mon Masque, peu importait les bourrasques de vent déclenchées par les ailes de nos dragons. J’inspirai et j’expirai profondément à la recherche d’un équilibre que je ne trouvais pas. J’inspirai et j’expirai profondément à la recherche d’un plat émotionnel que je ne trouvais pas. Ma jambe droite tremblait d’anxiété contre la base du cou de mon dragon sans que je ne la contrôle. Je pensais à ces gens qui ne savaient pas encore que cette nuit serait leur dernière. Je pensais à ces enfants qui n’auraient pas de lendemain. Je pensais à ces familles qui seraient décimées ce soir, et dont plus aucune lignée ne peuplerait jamais la terre. Et la question de Granger retentissait inlassablement dans mon esprit « quel est ton objectif pour cette Guerre, Drago ? ».
Puis le feu commença à brûler des foyers. Des pères, des mères, des frères, des sœurs, des enfants commencèrent à sortir de chez eux en hurlant, et les flammes ne couvraient plus leurs cris. Mes jambes tremblaient contre le corps de mon dragon géant qui crachait ce feu mortel qui détruisait tout ce qu’ils avaient bâti, et pourtant j’entendais sourdement ma respiration difficile dans mon Masque comme une musique angoissante. Je clignais des yeux avec insistance, cherchant à ne plus concentrer ma vision sur ces maisons qui brûlaient. J’avais froid, et pourtant je transpirai d’épaisses goûtes froides sous mon Masque.
- Drago, tes murs, ordonna la voix pressante de Theodore dans mon esprit qui se tenait sur Sekhmet deux mètres plus bas que nous dans le ciel.
Je fermais et je rouvrais les yeux, ma respiration comme musique assourdissante dans mes oreilles. La nuit était éclairée des flammes qui se faisaient plus nombreuses et qui grandissaient au fur et à mesure que les minutes passaient. Les hurlements déchirés des cris déployés tranchaient mes défenses quasi inexistantes. Mon cœur battait plus rapidement encore dans mon esprit alors que les deux dragons se séparaient pour encercler le village sorcier. En-dessous de moi, une mère seule tenait contre elle un nouveau-né, et tenait la main d’une petite fille d’à peine quatre ans. Je clignais des yeux et j’avalai difficilement ma salive. La mère leva les yeux vers Ragnar et moi, dangereusement proches. Je pouvais lire la terreur dans ses pupilles exorbitées. Elle se mit à courir, trainant derrière elle sa petite fille tout en maintenant une prise ferme sur son bébé. Ma respiration se faisait de plus en plus difficile. Ragnar inspira profondément. Courrez, pensai-je avec force. Courrez, s’il-vous-plaît. Ragnar gronda. Elle ne courut pas assez vite. Le feu de Ragnar les atteignit, elle et ses enfants. Leurs hurlements perçants retentirent violemment dans mes oreilles. Je sentis une larme glaciale trancher ma joue sous mon Masque.
- REPRENDS-TOI ! gronda Ragnar en me faisant sursauter.
Je clignais des yeux à répétition, ouvrant la bouche pour chercher plus d’air à inspirer. Il me semblait que tout l’oxygène était volé par les flammes qui grandissaient sous moi, et rongeaient les maisons des pauvres gens que l’on attaquait. « Quel est ton objectif pour cette Guerre, Drago ? ». En-dessous de moi, sur ma gauche, Pansy combattait déjà. Je la regardais un instant. Pas ses victimes. Pas ceux et celles qui tombaient de sa baguette. Juste elle. Mon amie qui était en vie. Elle pivotait et virevoltait, légère comme une plume, faisant tomber corps après corps. Des jets de magie tantôt rouges, tantôt verts sortaient du bout de sa baguette. Son visage me semblait aussi fermé et déterminé qu’il pouvait l’être. Elle se débrouillait bien. Je clignais des yeux, ma respiration retentissant sourdement dans mon Masque alors que Ragnar resserrait l’étendue de la zone de bataille. Sur ma gauche, je trouvais Blaise et son Masque à la couleur des os. Il se battait férocement, lui aussi. Il bougeait moins vite que Pansy, son poids le limitant dans la rapidité de ses mouvements. Autour de lui, les sorciers tombaient aussi, mais je faisais attention à ne pas les regarder directement. Plus loin, je pouvais apercevoir le corps épais de Feign. Les corps s’entassaient sur son passage. J’inspirai et j’expirai profondément. Habituellement, Ragnar se serait déjà posé depuis quelques minutes. Le champ de bataille était bien défini, toutes les maisons alentour brûlant déjà, et toute échappatoire possible supprimée. Sekhmet se posa derrière nous avec un bruit de tonnerre, et Theodore commença à combattre en se joignant à Pansy.
- Il va falloir que je me pose, m’avertit mon dragon dans mon esprit.
J’entendais ma propre respiration difficile dans mon Masque, et je savais. Mais je n’avais pas le choix. Je regardais autour de moi les maisons qui commençaient à s’écrouler. J’écoutais les hurlements, puis les bruits sourds des corps vides de vie qui tombaient. Une nouvelle larme froide coula sur ma joue. Ma jambe tambourinait contre Ragnar. « Quel est ton objectif pour cette Guerre, Drago ? ». Pas ça. Non, ce n’était pas ça.
- Pose-toi, ordonnai-je à mon dragon.
- Tu n’es pas en état, argumenta-t-il en continuant de survoler le champ de bataille.
- Je te dis de te poser ! sévis-je d’une voix qui n’était pas assez assurée pour le duper.
- Et je te dis que tu n’es pas en état de te battre, humain pleurnichard, reprends-toi ! gronda-t-il ostensiblement à travers notre lien.
- Je n’aurai pas mieux à proposer ce soir, alors pose-toi putain !
Il m’offrit un dernier tour de vol pendant lequel je savais qu’il espérait que je me reprenne, en vain, avant de se poser finalement. Sur des jambes tremblantes, je l’escalai pour rejoindre mes amis qui combattaient déjà depuis de longues minutes. Ma respiration sourde m’accompagnait toujours à l’intérieur de mon Masque. Je m’agrippai à ma baguette. Un homme brun d’une vingtaine d’années tout au plus courait vers moi, le regard déterminé et le visage sévère.
- MONSTRES ! hurla-t-il en m’attaquant.
Mais il n’utilisait pas la magie noire, lui. Moi, si. Je contrais son attaque sans difficulté physique apparente, mais je le laissai approcher de trop près avant d’éliminer la menace qu’il représentait. Ses yeux noirs étaient rivés sur les miens à travers mon Masque. Il approchait très vite. Soudain, alors qu’il courrait vers moi, il fut propulsé sur la droite, un jet de magie vert le frappant de plein fouet. Je vis la lumière s’éteindre dans ses yeux dans lesquels la détermination mourut. Son corps s’écrasa sur le sol. Je tournais le regard sur ma gauche. Theodore l’avait éliminé.
- Tes murs ! m’insurgea mon frère tandis qu’il reprenait sa danse léthale de son côté.
Je relevai ma baguette, mon cœur battant la chamade dans mon poitrail. Ne m’approchez pas, priai-je intérieurement. Ne me laissez pas vous faire ça. Mais bientôt, plusieurs autres hommes coururent en ma direction, leurs baguettes tendues vers moi. Je pointai la mienne sur le plus proche d’entre eux, et lançait le premier Avada de ma soirée. L’homme tomba. Ma respiration sourde se fit plus difficile à travers mon Masque. Je décalais ma baguette un peu sur ma droite, et frappait l’homme suivant. Je vis ses yeux s’éteindre, à lui aussi. Il tomba sur le sol. J’esquivais l’attaque du suivant, et pointai ma baguette sur lui. Je me demandais, à cet instant, ce qu’il se passerait si je le laissais me frapper. Serait-ce si dommageable, finalement ? Si je ne pouvais plus diriger ces troupes abominables, serait-ce si mal ? Si je ne souffrais plus, tout simplement parce que je n’étais plus, serait-ce si terrible ? Rien de tout cela ne serait plus mon problème, après tout. Ni cette Guerre, ni le poids des vies de ceux que j’aimais. Je sentis une nouvelle larme froide parcourir mes joues. Il me semblait que cela ne serait peut-être pas si terrible. Je regardais l’homme qui courrait vers moi, encore à cinq mètres de moi. Il était roux, et ses yeux me semblaient verts, quand bien même je ne pouvais pas les voir distinctement. Je me demandais ce que ces yeux avaient vu, durant leur trop courte vie. Il n’avait pas l’air d’avoir plus de trente ans. Quel métier avait-il choisi ? Était-il amoureux ? Avait-il eu le temps d’avoir des enfants ? Si c’était le cas, est-ce que ses enfants étaient là, eux aussi ? Étaient-ils encore vivants, ou venait-il de les voir mourir ? La rage animait ses traits alors qu’il se rapprochait de moi. Oui, je pouvais le voir. Il avait perdu quelqu’un qu’il aimait ce soir.
- Je suis désolé, chuchotai-je alors qu’une magie d’un vert léthal sortait de ma baguette pour le frapper en pleine poitrine.
La vie s’échappa doucement de ses yeux, leur lumière se fanant rayon après rayon, avant qu’il ne reste plus qu’un film laiteux sur ses iris qui ne voyaient plus, et il tomba dans un bruit sourd. Une nouvelle larme coula sur ma joue. « Quel est ton objectif pour cette Guerre, Drago ? ».
Une femme laissa un hurlement déchirant arriver jusqu’à moi. Elle était blonde. Ses yeux étaient rivés sur l’homme que je venais d’abattre. Elle avait l’air d’avoir une petite cinquantaine. Mon cœur se serra dans mon poitrail. Est-ce que je venais de lui prendre son fils sous ses yeux ? Elle s’élança vers moi, ses yeux également verts désormais rougis rivés sur moi. Je ne partais pas à sa rencontre, je la laissai venir à moi. Moi aussi, madame, j’aimerai que vous puissiez m’éliminer, pensai-je alors. Que je ne puisse plus jamais faire autant de mal autour de moi. Que je ne prenne plus la moindre vie. Les larmes perlaient sur ses joues alors qu’elle avançait vers moi, le deuil décorant son visage qui avait vécu. Je ne pouvais pas imaginer mourir devant ma mère, elle qui avait déjà tant perdu. Je me demandais ce qu’elle, elle avait traversé dans sa vie. Avait-elle un mari, ou au moins un père pour ce fils qu’elle venait de perdre, ou bien l’avait-elle viré de leur foyer ? Avait-il été bon avec elle, ou lui avait-il fait du mal ? Ou peut-être l’avions-nous déjà pris ? Pire encore, peut-être serait-il contraint de nous jurer fidélité après que nous lui ayons tout prit. Un hurlement venant de ses tripes s’échappa de ses lèvres pour venir trancher mon cœur alors qu’elle levait vers moi une baguette tremblante. Avait-elle déjà tué quelqu’un ? Était-ce ce qu’elle voulait me faire, à moi ? Moi qui venais de lui prendre son fils. Je levai vers elle une baguette qui tremblait, moi aussi. Elle m’attaqua la première, et je contrais sans difficulté apparente, quand bien même une nouvelle larme perla derrière mon Masque. La peur remplaça la rage dans ses yeux rivés droit dans les miens.
- Pardonnez-moi, murmurai-je tandis qu’un coup fatal partait de ma baguette pour l’atteindre en plein cœur.
Je regardais la lumière s’éteindre de ses yeux qui demeuraient enfoncés dans les miens alors qu’elle tombait à genoux devant moi, puis face contre terre. Et une nouvelle famille n’était plus. Et une nouvelle larme perla sur ma joue.
Cette nuit-là me sembla durer une éternité. Une éternité de trop. Une éternité qui n’aurait pas dû être. Je sentis la terreur, la rage, et l’agonie de chaque personne dont je pris la vie, ou de celles dont Theo la prit alors que j’hésitais à les laisser s’essayer à me prendre la mienne. J’avais sursauté chaque fois que Ragnar avait essayé de me remettre sur le droit chemin. J’avais pleuré chaque fois que j’avais vu quelqu’un tomber. Mon cœur s’était brisé à chaque hurlement plaintif. Ma voix avait tremblé quand le chaos avait cessé, et que j’avais dû condamner ceux qu’il restait. Ce soir-là, j’étais reconnaissant d’avoir un Masque, et que personne ne puisse voir ce qu’il se passait en-dessous. Mes joues étaient trempées. J’avais sursauté chaque fois que Theodore avait sauvagement assassiné les résistants restants qui avaient le courage de ne pas nous rejoindre, mourant pour leurs convictions. Idiots ou courageux, je ne le savais pas. « Quel est ton objectif pour cette Guerre, Drago ? ». J’avais délivré un speech ni vibrant, ni inspirant, ni terrifiant. La violence de Theodore était probablement ce qui était parvenu à convaincre ceux qu’il restait au final. J’avais renvoyé Weber, Maxwell et Feign avec les nouvelles recrues, et tremblant, j’avais retrouvé Ragnar pour rentrer à la maison.
Il m’avait épargné tout commentaire. Une fois que j’étais scellé sur lui, j’avais retiré mon Masque et pris une profonde inspiration. L’air glacial frappait ma peau mouillée de larmes. Les flammes continuaient de grandir autour de nous, mais plus personne n’hurlait. Il n’y avait plus de vie. Nous les avions toutes volées, soit en les exténuant, soit en les rendant esclaves. Mes yeux s’arrêtèrent sur la mère carbonisée du début de cette rixe alors que Ragnar s’envolait. Du moins, il me semblait que c’était elle. Son corps n’avait plus rien de reconnaissable, il ne restait que la chair carbonisée. Mais contre elle, un petit être brûlé demeurait. Et au bout de ce qu’il restait de son bras tendu, sa main tenait toujours aussi fermement le corps d’une petite fille brûlée. Je tournais le visage sur la droite, et vomissais mes tripes entre le cou de Ragnar et son aile, les larmes perlant sur mes joues. L’amertume de ma vie me brûlait la gorge. Elle brûlait tout ce qu’il restait de moi.
- Tu vois ce qu’il se passe, quand tu la vois ? ponctua finalement Ragnar avec ce qui me semblait être de la tristesse.
Ragnar atterri quelques instants plus tard dans la cour du manoir, où Theodore attendait déjà, sa dragonne déjà repartie dans la prairie qui leur était réservée. Il m’attendait, moi. Mon cœur se brisa dans mon poitrail. J’étais rentré. Il ne restait plus rien. Je descendais, tremblant, de la scelle de Ragnar. Mon pied se prit dans une sangle, et je tombais à genoux sur le sol froid du jardin, mes mains enfoncées dans la terre. Mon visage se contrit, et je pleurais. Mon corps trembla, mon ventre se serrant douloureusement à l’intérieur de moi. Et je pleurais ouvertement dans sanglots sonores retentissant dans la cour. Theodore arriva jusqu’à moi, et il se laissa tomber devant moi. Je ne relevais pas le visage vers lui, j’en étais incapable. Mes yeux étaient fermement clos. Je revoyais certains de leurs visages. La vie qui s’éteignait dans leurs yeux. Cette mère et ses filles. Mon corps tremblait, et mes yeux pleuraient inlassablement. Comment ma vie avait-elle pu devenir pareille ? Comment est-ce que cela pouvait être ma vie aujourd’hui ? Comment en étais-je arrivé là ? Comment était-il possible que ce soit cela, que je fasse toutes les nuits de ma vie ? Comment les Dieux pouvaient-ils me laisser faire des choses pareilles ?
Les mains chaudes de Theo vinrent contenir mes joues mouillées alors que je sanglotais violemment, mes mains fermement enfoncées dans la terre. J’avais mal. J’avais tellement mal. Tout me faisait mal. Mon esprit, mon cœur, mes souvenirs, mon corps. Tout était douloureux. Je voulais seulement que ça s’arrête. Était-ce trop demander ? Je voulais seulement que ça s’arrête.
- Drago, m’appela-t-il doucement.
Je sanglotais de plus belle. Lui aussi, je lui faisais faire ça. Les innocents n’avaient aucune chance face à lui. Ils n’en avaient pas la moindre.
- Drago, regarde-moi, me somma-t-il en relevant mon visage vers le sien par la force de ses mains.
J’ouvrais difficilement les yeux à travers mes larmes pour rencontrer son visage. Ses sourcils étaient froncés devant ma douleur. Et je continuais de pleurer toutes les larmes de mon corps, incapable de faire quoi que ce soit d’autre, l’odeur de la mort omniprésente dans mes narines.
- Qu’est-ce qu’on fait ? murmurai-je vers lui en un sanglot. Qui on est pour leur faire ça, Theo ? pleurai-je en cherchant en lui les réponses à mes questions.
Ses yeux bleus étaient si profondément enfoncés dans les miens que je soupçonnai qu’il pouvait lire jusque dans cette âme qu’il partageait avec moi. Il était magnifique, ses cheveux noirs ondulant sur son front. Mais en cet instant, je ne voyais que le tueur que j’avais fait de lui. Du sang regroupait certaines de ses mèches de cheveux ensemble en des blocs séchés. Je me demandais à qui il appartenait, ce sang. Et je pleurai.
- Des victimes, chuchota-t-il à mes lèvres. On est des victimes aussi.
Mon visage se décomposa à ses mots, parce que je les savais vrais, peu importait combien je les ressentais comme faux en cet instant. Un sanglot qui me déchira de l’intérieur résonna dans l’air, aussi brut qu’incontrôlable alors que ma prise sur la terre lâchait, et que je laissai mon visage et tout le haut de mon corps s’écraser sur un Theodore soutenant. Chaque hoquet arraché à ma gorge tordait mon souffle entrecoupé de gémissements rauques alors que je luttais pour respirer à travers ma douleur. Nous étions condamnés. Tous autant que nous étions, autant ceux qui perdaient la vie que ceux qui les prenaient. Les bras meurtriers de Theo m’encerclèrent de leur chaleur tandis que chacun de mes sanglots résonnait comme un cri étouffé par son poitrail, le frappant en plein cœur comme des éclats de douleur pure. Dans l’encadrement de la porte, Blaise et Pansy recevaient les morceaux de mon cœur qui échappaient à l’embrassade de Theo.