Dollhouse
Chapitre 55 : Encore, et encore, et encore
11749 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a 4 mois
J’avais passé les deux jours suivants à chercher à constituer une, éventuellement plusieurs, équipe afin de commencer les missions de recrutement, pour ne pas dire de carnage. Theodore et moi avions quasiment passé ces deux jours enfermés dans mon bureau tous les deux, même si parfois Pansy et/ou Blaise nous rejoignait pour nous aider, suite à quoi Theo partait entraîner Pansy pendant deux bonnes heures, avant de revenir le sourire aux lèvres et l’esprit apaisé pour continuer de m’aider dans ma mission.
Plusieurs difficultés s’imposaient à nous : la première était le nombre restreint de partisans particulièrement doués et dont les capacités n’étaient plus à prouver, dû à l’intervention de Theodore dans la cathédrale ; et la deuxième était qu’il fallait sélectionner, parmi le peu de ceux-ci qu’il restait, des Mangemorts qui avaient un métier de couverture sacrifiable. Ceux qui, par exemple, travaillaient au Ministère, les politiciens ou journalistes notamment, devaient pouvoir garder leur premier métier le temps que nous prenions le contrôle de l’Angleterre. C’était pour cela également, me rendais-je compte en cet instant, que le Seigneur des Ténèbres avait augmenté son nombre de jeunes recrues vives et relativement libres. De plus, il n’avait pas encore apposé la Marque aux étudiants de Durmstrang, que je ne pouvais donc pas encore convoquer et utiliser à ma guise. Difficulté supplémentaire, un groupe ne pouvait être un groupe uniquement s’il y avait assez de soldats pour le composer : nous allions semer la terreur dans des villes et villages entiers. Cinq bonhommes ne seraient pas suffisants pour nous assurer que nous récolterions du monde, plutôt que nous en perdions.
C’était avec beaucoup de déception que nous nous étions finalement rendus à l’évidence : nous ne pouvions encore former qu’un seul groupe pour être envoyé sur le terrain avec absolue certitude que nous serions gagnants en respectant l’équilibre de la balance bénéfices/risques. Ce groupe était composé de huit soldats dont les capacités me semblaient sûres, et qui plus était qui étaient disponibles à toute heure du jour et de la nuit : Theo, Blaise, Pansy, moi, l’enfoiré de Cyprus et son pote le débile, et Maximus Feign, armoire à glace et retraité de l’armée disponible. C’était loin d’être la dream team idéale - ne serait-ce que pour une question d’ambiance générale - mais quand bien même certains autres membres auraient été disponibles, ils n’étaient pas suffisamment nombreux pour former un deuxième groupe à part entière. Nous-mêmes étions peu, mais nous avions Theodore, et nous avions deux dragons.
Theo, Blaise et Pansy avaient tous trois profondément rechigné au fait que nous fassions équipe avec Cyprus, et je n’avais pu que les écouter en étant absolument d’accord avec eux, sauf que nous n’avions pas vraiment le choix. Il était diplômé depuis peu et s’était directement engagé auprès du Seigneur des Ténèbres, le salaire de Mangemort lui suffisant largement. Ce n’était pas comme les autres qui étaient engagés depuis des années et qui avaient dû reprendre des vies, au moins en façade, pour ne pas se faire griller en tant que partisans des Forces du Mal. Si le Seigneur des Ténèbres avait décidé de mettre du sang neuf dans ses rangs, cette décision était pour le moins récente, et ce n’était pas ce que nous trouvions encore le plus parmi ses partisans. Et puis, peut-être était-ce mon perfectionnisme qui parlait, mais je ne mettrais pas sur un champ de bataille avec nous quelqu’un dont j’ignorais les capacités magiques ainsi que physiques. Autant que j’avais moi-même envie d’étriper Maxwell et son acolyte, j’étais obligé d’avouer qu’ils étaient doués, et lorsque nos Masques seraient sur nos visages, ce serait tout ce qui compterait. Taré, et doué. Le combo parfait pour le job, en somme.
Le lendemain matin, mes amis et moi avions établit un plan d’action en ce qui concernait les différentes villes ou villages que nous frapperions en premier : pour l’instant, uniquement des villages peuplés de sorciers. Le temps de prendre confiance en nos capacités, nous nous étions tous accordés pour chercher des villages où il n’y avait pas des milliers d’habitants, quand bien même il fallait viser une population relativement jeune pour un rendement plus intéressant. De plus, il nous fallait agir principalement de nuit, afin de maximiser les chances que les adultes soient à la maison, et non pas au travail. Notre rythme de vie allait bien changer, tout à coup.
Ensuite, j’avais convoqué tous les membres de la première équipe de recrutement afin de leur assigner leur mission et leur expliquer comment nous allions procéder. Bien entendu, Theo m’avait prévenu qu’au premier geste déplacé envers Pansy, il se ferait un malin plaisir d’exterminer Maxwell en faisant passer cela pour une mission qui aurait mal tourné pour lui. Je n’avais pas essayé de le raisonner, je n’étais pas assez illusionné pour penser que je pouvais dire quoi que ce soit pour l’empêcher d’assassiner le con qui chercherait trop la merde avec Pansy. C’était d’ailleurs Blaise qui avait amené, alors que nous étions tous les trois, la conversation qui concernait quelque chose que nous n’avions pas encore nommé : Theodore devait prévenir les autres, et surtout Cyprus Maxwell, que Pansy ne se souvenait pas de son passé avec lui, et qu’il ne devait pas vendre la mèche. Lorsqu’il avait souligné ce point, le visage de Theo s’était drastiquement fermé.
- Non, avait-il simplement posé sans laisser l’impression que cela pouvait être discuté.
- Comment ça, non ? avait demandé Blaise. Ce con va forcément faire référence à toi à un moment ou à un autre pour la…
- … Tant pis, on ne peut pas tout contrôler, avait (très) sèchement tranché Theo.
Blaise m’avait regardé avec de gros yeux ronds. Je les lui avais rendus.
- Je croyais que tu ne voulais absolument pas qu’elle sache qui t’était pour elle, avait-il continué d’argumenter.
En effet, sauf que si Maxwell avait cette information, cela signifiait qu’il avait le champ libre pour pouvoir la draguer à son bon vouloir, compris-je alors. La mâchoire de Theodore pulsait de tension.
- Il n’y aura qu’à veiller à ce qu’il reste loin d’elle, avait enchaîné froidement mon frère.
- T’es au courant qu’on va passer beaucoup de temps avec eux ? n’avait pas lâché un Blaise au regard désormais malicieux, conscient de ce qu’il se jouait pour lui.
- On va passer beaucoup de temps à massacrer des gens. Ça te paraît propice aux conversations mondaines ? ne s’était pas détendu le moins du monde Theo.
Un large sourire s’était dessiné sur les lèvres de Blaise. Taquin, il lui renvoya :
- T’es jalouuuux !
Le visage mortellement sérieux et même pas un peu joueur que Theodore avait tourné vers lui avait effacé tout sourire du visage de Blaise, qui avait finalement levé les paumes de ses mains vers lui en signe de retrait :
- Ok chef, avait-il cédé.
Oui, Theodore était jaloux. Aussi loin que je me souvienne, je ne savais pas si cela était déjà arrivé, que Theo soit réellement jaloux. Il avait déjà éloigné des hommes de Pansy, nous l’avions tous déjà fait d’ailleurs. Mais au fond, il avait toujours su qu’elle lui appartenait dans tous les cas. Comme lui, elle l’avait toujours aimé, et aucun autre homme n’avait été une option. Cette fois-ci, c’était différent. Et je m’étais demandé, en cet instant, s’il existait quoi que ce soit de plus dangereux au monde qu’un Theodore Nott réellement jaloux. J’espérai ne pas avoir à le découvrir.
Une fois que tout avait été mis en place et que tout le monde avait été préparé, nous avions commencé notre travail de « recrutement ». Plus encore que d’ordinaire, j’avais fortement renforcé mes boucliers mentaux afin de parvenir à faire ce que j’avais à faire en tant que le Grand Intendant, à savoir décimer des villages et assassiner des innocents, faire des discours de propagande, brûler des maisons, torturer des innocents, brûler plus de maisons, tuer des innocents, brûler encore plus de maisons. Encore et encore. Ragnar et Sekhmet étaient de très gros avantages pour nous, ils imposaient dès notre arrivée un climat de terreur qui n’était que renforcé par nos uniformes Masqués. Alors nous avions fait cela, des jours durant.
L’après-midi, Theodore prenait la forme de Blaise pour entraîner Pansy sans relâche, et le soir venu, nous partions à dos de dragon tous deux, tandis que les autres membres de notre équipe transplanaient pour nous y rejoindre. Sekhmet et Ragnar brûlaient quelques maisons tandis que Theo et moi volions au-dessus du village que nous attaquions, les cris des victimes ne parvenant pas toujours à être intégralement couverts par le vacarme des flammes. J’inspirai, et j’expirai, et je maintenais mes murs en place de toute ma force. Les femmes et les enfants couraient en toutes directions, cherchant désespérément à s’enfuir, mais au sol les autres membres de notre équipe les attendaient. Ils n’avaient nulle part où se réfugier. Maxwell, Weber et Feign ne leur offraient aucun répit, ni aucune porte de sortie. Ils les assassinaient sauvagement, là où Blaise et Pansy avaient encore tendance à éviter les mères et leurs enfants. Eux ne montraient aucune pitié. Puis Theo et moi nous posions finalement sur le sol une fois que le chaos régnait et que les maisons brûlaient, et nous assassinions tout aussi sauvagement ceux qui tentaient de se battre, en vain.
Theo ne quittait jamais les côtés de Pansy. Il gardait constamment un œil sur elle, relativement inutilement à mon humble avis, elle se débrouillait plus que bien. Parfois, alors qu’il était en plein échange de sortilèges mortels avec ses propres hommes qui lui fonçaient dessus, il envoyait un Avada sur un homme ou deux qui s’approchait d’un peu trop près de sa moitié.
Ensuite, une fois que la plupart étaient tombés et qu’il ne demeurait quasiment plus que ceux qui étaient capables de tenir, au moins quelques instants, face à nous, je faisais mon discours en tant que Grand Intendant. Je leur expliquais ce que nous étions, que le pays était en Guerre, et que s’ils espéraient survivre et garder leur famille en sécurité ils devaient nous rejoindre en combattant pour nous. Pendant que je le faisais, Theodore assassinait sauvagement tous ceux qui trouvaient quelque chose à y redire, avec une violence spectaculaire qui avait vocation à servir d’exemple à tous. Ceux qui finissaient par nous prêter allégeance, contraints, étaient envoyés avec Feign, Maxwell et Weber en direction de nos Quartiers Généraux où ils étaient enfermés en l’attente de recevoir leur Marque de la part du Seigneur des Ténèbres s’il estimait en sondant leurs esprits que la prise que nous avions sur eux serait suffisante pour qu’ils servent nos intérêts. Si ce n’était pas le cas, ils mourraient. Finalement, Theo et moi brûlions à l’aide de nos dragons ce qu’il restait du village avant que l’on ne rentre au manoir en monstres.
La nuit, alors que je ne pouvais plus contrôler sciemment mon bouclier mental, je rêvais de leurs visages, ceux auxquels j’avais pris la vie, et j’entendais leurs cris. Je me réveillai en sueur, je remettais mes boucliers en place, et j’allais me doucher. Le lendemain matin, je lisais les grands titres des journaux. Nos noms n’étaient pas cités puisque nous étions masqués, mais chacun de nos massacres était répertorié, ainsi que les noms et nombres de victimes que nous avions fait. Parfois, des images des villages décimés illustraient, comme un témoignage, notre cruauté absolue. Les journaux moldus, eux-aussi, commençaient à parler de nos agissements, et au fur et à mesure que les jours passaient, la panique grandissait dans les campagnes anglaises. Ce qui m’inquiétait, moi, c’était que plus les journaux relayaient l’information, plus vite l’Ordre viendrait combattre contre nous lors de ces rixes.
Dans tous les cas, nous répétions cela le jour d’après. « Blaise » entraînait Pansy. Nous mettions nos Masques, partions à dos de dragon jusqu’à notre nouvelle destination, brûlions quelques maisons, attaquions les habitants, massacrions les vieillards et les enfants, recrutions ceux qu’il restait, assassinions les résistants, les entassions dans les cachots, encore et encore. Les cris. Les visages. Les journaux. Le feu. Les cris. La fuite. Les meurtres. Les cris. Leurs visages. La propagande. Ma voix que je ne reconnaissais pas. Mes murs qui tremblaient. Un enfant qui pleurait. Une mère qui hurlait. Les flammes. Le vacarme des maisons qui s’écroulaient. Le sang. Les cris. Leurs visages. La propagande. La voix du Grand Intendant. Un enfant qui pleurait. Une mère qui hurlait. Les flammes. Des maisons qui s’écroulaient. Le sang. Les cris. Leurs visages. Encore, et encore, et encore.
L’ambiance à la maison, elle-aussi, avait drastiquement changée. Lorsque nous rentrions, nous partions tous nous laver de nos péchés en silence, trop de sang recouvrant nos corps et l’odeur de la mort empestant nos narines, odeur qu’aucune dose de parfum ne parvenait d’ailleurs à masquer. Ensuite, Blaise buvait systématiquement au moins un verre, là-encore dans le plus grand des silences. Theodore surveillait Pansy du coin de l’œil, qui mangeait un peu plus qu’auparavant à cause des demandes physiques de ses entraînements et des combats auxquels elle devenait d’ailleurs explicitement meilleure de jour en jour. Et moi, je luttais pour maintenir en place mes murs solidement installés, aussi n’avaient-ils plus très souvent accès au Drago qu’ils connaissaient.
Il n’y avait rien qui passait, je ne pouvais pas me le permettre. Tout ce qu’il y avait, c’étaient les cauchemars qui me hantaient la nuit pour seule preuve de mes remords. Mais chaque fois que j’étais sur le terrain, il n’y avait plus rien. Il n’y avait rien que le vide. Rien qu’un jour de plus, rien qu’un mort de plus, rien qu’un enfant de plus, rien qu’une femme de plus. Rien que des innocents et des maisons de plus qui brûlaient pour que je puisse garder Theodore à mes côtés. Des victimes de plus, c’était tout. Des assurances vies pour mon frère, voilà comment je m’appliquais à les voir. Chaque personne qui tombait éloignait un peu plus la mort de mon frère. Cela faisait de moi un monstre, et je le savais. Mais le fait que je sois capable du pire sans me retourner pour lui était quelque chose que j’avais accepté depuis longtemps.
Les premiers jours, il m’avait été difficile de maintenir mes murs face aux enfants qui hurlaient à la recherche de leurs parents. Mais plus les jours passaient, et moins j’avais besoin de me concentrer pour maintenir cette distance émotionnelle, et plus le Grand Intendant prenait de place en moi. Cependant lorsque nous rentrions, une fois que c’était terminé, la fatigue physique tombait, et celle, émotionnelle, venait frapper à ma porte. C’était à cet instant que je m’isolai, m’accrochant à toute ma force restante pour tenir, parce que je n’avais pas le choix. Parce que le lendemain, il fallait recommencer, et celui d’après aussi, et encore celui d’après.
Après une nouvelle rixe durant laquelle Theodore avait plus encore qu’à l’accoutumée éteint quasiment tous les hommes qui s’étaient approchés de Pansy pour la combattre à sa place, la laissant avec bien moins d’opportunité de se défendre elle-même, celle-ci avait pesté dès lors que nous avions passé la porte du manoir. Je supposai que la situation commençait à la peser, et que s’énerver sur Theodore lui évitait d’avoir à se confronter à ses propres sentiments de culpabilité. Avec rage, elle avait commencé dans l’entrée :
- Putain, c’est quoi ton problème Nott ?! lui avait-elle hurlé dessus, le sang des victimes de Theo décorant ses propres cheveux. J’ai pas besoin que tu sois derrière mon cul, occupe-toi du tien bordel !
Il n’avait pas rencontré ses yeux, ses propres cheveux tâchés du sang des victimes qui avaient tenté d’approcher Pansy d’un peu trop près à son goût.
- Tu les laisses t’approcher de trop près, avait-il rétorqué avec un calme olympien qui contrastait avec la colère montante de sa moitié.
- Mêle-toi de ton cul et laisse-moi couvrir le mien ! s’était-elle encore emportée alors que ses yeux prenaient une teinte de rouge des veines qui s’y gonflaient.
Ou peut-être était-elle sur le point de pleurer, à cet instant je n’avais pas été capable de le distinguer. Connaissant sa tendance générale à avoir recours à la colère lorsqu’elle se sentait blessée ou triste, cela ne m’avait pas paru être une hypothèse déconnante. Et puis, peut-être que les interventions incessantes de Theodore auprès d’elle sur le champ de bataille ne faisaient que lui renvoyer qu’elle n’était pas capable de se défendre toute seule.
- Arrête d’être aussi lente et peut-être que je n’aurais plus à m’occuper de ton cul, avait lâché Theodore en s’en allant en direction de sa chambre pour prendre sa douche.
Pansy s’était élancée de tout son corps, le visage rouge de colère autant que de sang, pour l’attaquer tandis que Theodore marchait dos à elle, ne se sentant pas menacé l’espace d’une seconde et ne lui prêtant pas la moindre attention, du moins de ce qu’elle pouvait en percevoir, elle. Blaise l’avait rattrapée au vol d’un seul bras tandis qu’elle s’était débattue en hurlant des obscénités à Theo qui s’était retiré tranquillement, sans un regard en arrière pour la fille qui lui hurlait de brûler en enfer. Je savais que suite à cette scène, Pansy s’était sentie un peu mieux. Elle avait pu laisser sortir un peu de sa colère, certainement mêlée à sa tristesse de ce qu’étaient devenues nos vies, et quelque part je savais que c’était certainement la motivation de Theo derrière cette dernière phrase qu’il lui avait accordée avant de l’ignorer royalement.
J’avais pris quelques minutes pour discuter avec lui, ce soir-là. Je tenais à m’assurer malgré tout que la colère de Pansy ne l’atteignait pas négativement, quand bien même je savais qu’il m’épargnerait sans nul doute sa souffrance dans ses mots, ce qu’il fit évidemment. Il ne m’en dit rien. J’avais fini par trouver la ressource en moi de lui adresser un franc et tendre sourire, et l’avait averti que s’il continuait à s’occuper autant d’elle sur le champ de bataille, elle allait finir par se poser de sérieuses questions. Pansy était bien des choses, mais elle n’était pas bête.
- Je ne la regarde pas mourir une deuxième fois, fut sa seule réponse.
Je ne savais si c’était l’évocation de ce qu’il risquait de se passer si Pansy mourrait encore une fois, ou si c’était mon épuisement, mais comme dans un cri désespéré, comme à la recherche de quelque chose auquel me raccrocher, et sans que je ne sache vraiment d’où cela venait, ce soir-là quelque chose de plus jeune, de plus fragile, avait rattrapé mon frère avant qu’il ne quitte ma chambre, et d’une voix presque enfantine j’avais assuré :
- Je te verrai demain.
Il s’était retourné pour me faire face, et il m’avait regardé. Il m’avait vraiment regardé. Il avait pris le temps de me regarder comme lui seul le faisait, analysant la couleur de ma peau, les cernes sous mes yeux, les battements de mon cœur ainsi que la température de mon corps, sans parler des émotions qui se cachaient derrière l’écran de mes yeux, et auxquelles je n’avais moi-même pas accès. Quelque part, je savais qu’il connaissait ce qu’il se passait à l’intérieur de moi bien mieux que moi. Parce que lui n’avait rien besoin de couper en lui pour faire tout cela, et que tout de lui était toujours attentif à tout de moi. Alors il m’avait regardé, probablement parce qu’il savait que j’en avais eu besoin, tandis que je ne le savais pas moi-même. Et pendant qu’il l’avait fait, je l’avais regardé, moi aussi, et quelque chose à l’intérieur de moi s’était rempli d’un peu d’énergie dont j’avais désespérément besoin. Parce que la façon dont il me voyait me rappelait que quelqu’un m’aimait. Pas quelqu’un, lui. Qu’il m’aimait. Peu importait ce que j’étais et ce que je faisais. Il continuait de m’aimer. J’eus presque envie de pleurer à cet instant, simplement parce qu’il m’avait regardé, parce qu’il m’avait regardé comme un être humain, et que les yeux remplis d’amour qu’il portait sur moi contrastaient violemment avec les visages terrorisés des personnes que je massacrais sans cesse. Il m’avait rappelé que j’étais humain, moi aussi. Que quelqu’un m’aimait, moi aussi. Que quelqu’un me pleurerait, s’il m’arrivait quelque chose. Et puis, j’avais eu envie de pleurer parce que tout était trop lourd désormais, mais je continuais de porter. Je n’étais plus à Poudlard. Il n’y avait plus aucun moyen d’échapper à quoi que ce soit. Je n’étais plus un simple Mangemort. Il n’y avait plus de porte de sortie. Et si je flanchais, Theodore, Pansy, Blaise et ma mère mourraient. Alors je continuais de porter tout ce que j’avais à porter, et Theo soulevait d’un bras la moitié de mon fardeau avec moi. Il m’avait ensuite souri tendrement, et finalement il m’avait offert ce que j’étais venu chercher en prononçant ces mots :
- Et tous les jours d’après, m’avait-il répondu avec ce ton qui me faisait toujours croire qu’il était invincible, et que je ne le perdrais jamais.
Et puis nous recommencions le lendemain, puis le jour d’après, et le jour d’encore après. Rapidement, je pus constituer une deuxième équipe pour couvrir plus de territoire en même temps que nous. Le Seigneur des Ténèbres était satisfait de constater que ses cachots se remplissaient plus rapidement qu’il ne parvenait à apposer sa Marque. Et nous, nous continuions. De temps en temps, nous prenions une soirée durant laquelle nous nous reposions pour retrouver des forces. Une soirée durant laquelle nous étions tous comme des fantômes, vides de toute âme. Puis l’on recommençait. « Blaise » entraînait Pansy. Nos Masques. Les dragons. Un nouveau village. Des maisons qui brûlaient. Les habitants attaqués. Les vieillards sacrifiés. Les enfants assassinés. Recrutement de ceux qu’il restait. Massacre de ceux qui se rebellaient. Entassement dans les cachots. Les cris. Les visages. Le sang. Le feu. L’odeur de la mort. Les flammes. L’odeur de la chair brûlée. La fuite. Les meurtres. Les journaux. La propagande. La voix du Grand Intendant. Les flammes. Un enfant qui pleurait. Une mère qui hurlait. Les flammes. L’odeur de la chair carbonisée. Le vacarme des maisons qui s’écroulaient. Le sang. Les cris. Leurs visages. La propagande. La voix du Grand Intendant. Un enfant qui pleurait. Une mère qui hurlait. Les flammes. Des maisons qui s’écroulaient. Le sang. Les cris. Leurs visages. Encore, et encore, et encore.
Après une intense semaine complète, ainsi qu’une rixe particulièrement violente au cours de laquelle Theodore avait dû sauvagement anéantir de multiples protestants pendant mon message de propagande en tant que la « bête sauvage », nous étions rentrés au manoir, épuisés, mes murs menaçant de s’effondrer. Lorsque nous avions atterri de nos dragons et alors que nous marchions tous deux pour rejoindre Blaise et Pansy à l’entrée du manoir, je remarquais que Theodore était le seul d’entre nous qui n’affichait pas une mine épuisée, quand bien même il était celui qui avait le plus combattu. Ce jour-là, Theodore avait retiré son Masque sur le champ de bataille, sans que je ne sache très bien pourquoi. Peut-être l’avait-il gêné, ou peut-être l’avait-il intentionnellement choisi pour montrer qui allait tuer les victimes qu’il avait ensuite enchaînées. En tout cas, lorsque nous étions rentrés au manoir, l’intégralité de son visage était recouverte de sang, le bleu saisissant de ses yeux comme seule couleur qui contrastait avec le rouge qui le recouvrait. Et alors que nous nous rapprochions tous deux de l’entrée du manoir, Theodore marchant derrière moi, le regard rivé droit devant lui, je n’avais pu faire autrement que de remarquer la façon dont Pansy le regardait. Elle ne cherchait pas à se cacher, peut-être était-elle même tellement épuisée qu’elle ne s’en était pas rendue compte. Elle était comme hypnotisée, ses deux grands yeux verts rivés sur le visage ensanglanté de celui qui venait de massacrer à lui seul une quinzaine d’hommes qui avaient tenté de se rebeller sous ses yeux, et qui ne montrait pas le moindre signe de fatigue, ni de remord. Ses lèvres s’étaient entre-ouvertes à mesure qu’il se rapprochait d’elle, et j’aurai juré voir un unique sourcil se dresser lentement sur son front alors qu’elle le regardait passer devant elle, quelque chose d’intrigué brûlant au fond de ses pupilles. Il passa devant elle sans lui accorder un regard, et monta se doucher alors qu’elle demeurait pantelante l’espace d’une seconde, avant de cligner des yeux et de revenir à elle, ses sourcils maintenant froncés sur son front en une moue presque colérique. Je n’avais pu retenir un petit sourire en coin.
Ce soir-là, j’étais monté dans le bureau faire un rapport écrit détaillé à Voldemort, comme à chaque fin de semaine avant le repos qui, cette fois-ci, s’était fait trop attendre. J’étais épuisé, absolument épuisé, autant physiquement qu’émotionnellement. Je détaillais nos opérations avec une concentration difficile, mes yeux me brûlant presque, quand la porte du bureau de mon père s’ouvrit doucement. Je levai rapidement les yeux vers une Pansy douchée, en peignoir, visiblement prête à aller se coucher. Elle refermera la porte derrière elle tandis que je me concentrai pour terminer mon rapport aussi vite que possible. Moi aussi, je voulais me coucher. Elle feignit de s’intéresser aux livres qui décoraient les étagères de mon père en silence, et je la laissai faire en me concentrant sur le bout de parchemin que je tâchai de ma plume avec toute la force de concentration qu’il me restait. Alors que j’en étais arrivé à presque oublier sa présence, sa voix particulièrement basse demanda doucement avec une fausse innocence :
- Dis, pourquoi l’fantôme c’est la « bête sauvage » de Voldemort ? J’veux dire, qui se dit « j’vais faire ça comme plan de carrière » ?
Je pouffai lorsque ces mots parvinrent à mes oreilles fatiguées. Naturellement, je répondis trop rapidement dans toute ma fatigue :
- Pour que tu vives.
Je réalisai les mots qui venaient de quitter ma bouche au moment où je les avais prononcés. Je levai soudainement les yeux vers elle, conscient de ce que je venais de dire. Ses lèvres étaient entre-ouvertes, ses deux yeux verts rivés sur moi, mais comme vaguant bien ailleurs. Merde.
- Enfin pour qu’on vive tous, me repris-je alors avec le plus de naturel possible. Comme moi quand je me suis proposé en tant que Grand Intendant, ajoutai-je alors pour amoindrir l’effet de mes paroles.
Elle sembla revenir à elle, et m’adressa un demi-sourire pincé. Elle acquiesça doucement, puis elle me souhaita bonne nuit avant de quitter le bureau. Je me passai les mains sur le visage en soupirant avant de rassembler le peu d’énergie qu’il me restait pour terminer ce putain de rapport, afin d’être à l’heure pour mon rendez-vous avec mes cauchemars dont je ne me défaisais pas.
Nos deux jours de repos suivants avaient été absolument nécessaires. « Blaise » n’avait pas lâché Pansy avec les entraînements, et j’avais dû constituer de nouvelles équipes supplémentaires, mais nous en avions eu grand besoin, et moi le premier, d’une petite pause des massacres. J’avais senti sans l’ombre d’un doute que j’avais atteint ma limite, et que deux jours plus tôt, j’étais sur le point de craquer et mes murs de s’effondrer. Aussi idiot que ce soit, quelque part, cela me rassurait. Je passai trop de temps dans ma tête avec l’énergie du Grand Intendant, coupé de tout ce qui faisait de moi Drago Malefoy. Savoir que ce n’était pas moi, que cet être vil, immonde et cruel n’était pas celui que j’étais m’apaisait un peu, autant que l’on pouvait être apaisé dans une telle situation, je l’imaginais. Mais le repos avait été de trop, bien trop courte durée.
Bientôt, il nous fallut reprendre du service au sein d’un nouveau village, et je me remettais mon Masque de Grand Intendant d’un noir profond, décoré de fils argentés qui traçaient comme une tête de mort sur mon visage, et je n’étais plus Drago Malefoy. J’apprenais à faire de la mise de ce Masque un rituel, un rituel durant lequel je m’enfermais avec l’occlumencie, et laissai progressivement le contrôle sans me battre à cette chose en moi qui me révulsait au plus haut point, et je m’effaçai, moi et mes sentiments. Je ne parvenais pas encore à m’y abandonner totalement, et parfois je mettais plus de temps à y parvenir, mais plus les jours passaient, et moins c’était difficile. Je le sentais toujours vibrer, affamé à l’intérieur de moi, chaque fois que je me saisissais de mon Masque, comme s’il se réveillait. Je sentais sa force, ses motivations, ses pensées grandir en moi, jusqu’à percevoir sa voix, celle que je ne reconnaissais pas lorsque je parlais à ceux qui restaient debout après notre massacre. Chaque fois que je le mettais, chaque putain de fois que je mettais ce masque et que je lui cédais la place, je me tuais un peu plus. Chaque putain de fois, chaque putain de jour, quelque chose se brisait un peu plus profondément en moi, parce que je savais ce qu’il allait faire. Je savais ce qu’il allait dire. Je savais ce qu’il allait penser. Et je ne l’assumais pas. Mais chaque fois, chaque putain de fois, je tournais les yeux vers Theodore, et chaque fois que je voyais ses yeux, je me rappelais pourquoi je le faisais. Je me rappelais pourquoi je me tuais. Et je me rappelais que cela en valait largement la peine. Je me rappelais qu’il valait toutes les vies du monde, alors je mettais mon Masque.
Plus le temps passait, plus nous répétions cet exercice, et plus Sekhmet, Ragnar, Theo et moi étions coordonnés. Mon dragon blanc et son dragon noir zigzaguaient ensemble dans un ballet rythmé des flammes qu’ils crachaient d’un côté puis de l’autre sans ne jamais se toucher, leurs larges ailes s’étendant de chacun de leur côté, augmentant la taille des flammes à chaque nouveau battement. Et les gens sortaient de leurs maisons en peignoir, hurlant à la mort tandis que tout ce qu’ils avaient construit prenait feu. Qu’ils brûlent, grondait la voix qui avait pris possession de moi. Qu’ils brûlent comme j’ai regardé Theodore brûler ce soir-là. Qu’ils hurlent comme j’ai hurlé son nom. Qu’ils brûlent tous.
A la sortie, les baguettes de Maxwell, Feign, Blaise et Pansy les attendaient. Ils ne pouvaient pas fuir. Ils ne pouvaient pas nous échapper. Faits comme des rats. Regarde-les, à essayer de s’échapper. En vain. Aucun ne nous échappait. Ils étaient encerclés. Sekhmet et Ragnar se séparaient, l’un brûlant un côté du village sur des kilomètres, et l’autre l’autre. Oui, encerclés. Ils criaient, ils hurlaient à la mort. Les enfants pleuraient. Les pères combattaient. Certaines mères défendaient leurs foyers avec ferveur. En vain. Chacun de leur mouvement, chacune de leur protestation, chacune de leurs attaques étaient vaines. Oui, ils étaient faits comme des rats. Ils n’avaient pas la moindre chance. Ils n’avaient jamais eu la moindre chance. Les maisons brûlaient, et doucement, les fondations de ce qu’ils avaient bâtis s’effondraient. Et encore les cris. Encore les pleurs. Encore les hurlements. Plus de flammes. Plus de morts. Plus de visages. Plus de chaos. Toujours plus de morts.
Quand Theodore et moi nous posions, écrasant des domiciles sur le passage de nos dragons grondants, nous nous saisissions de nos baguettes, et commencions à éliminer les plus faibles, parfois aussi les plus forts qui combattaient avec acharnement. Un, puis un autre, et encore un autre. Je me retournais, et il y en avait un autre. Je tournais le visage, et un autre tombait de ma baguette. Je levai les yeux, et un autre tombait de ma baguette. J’avançai, et un autre tombait. Je courrais, et d’autres tombaient. Je pivotai, et un autre tombait. Et encore un autre. Et encore un autre. Et encore un autre. Je le cherchais du regard, comme je le faisais souvent. Sur cela, le monstre et moi étions en symbiose. Je devais toujours savoir où il se trouvait. Autour de lui, tous tombaient comme des mouches. Il dansait, et ils tombaient. Il dansait, et ils tombaient. Les corps volaient. Les cris retentissaient. Le sang giclait. Encore, et encore, et encore. Je notai la présence de Pansy près de là où Theodore combattait, comme toujours. Et d’autres tombaient. Il dansait, et ils tombaient. Je tournais, et ils tombaient. Je levai la baguette, et ils tombaient. Soudain, un hurlement déchiré plus haut, plus aigu, plus puissant que tous les autres perça mes tympans. Une mère. Une mère épeurée qui hurlait. Et Pansy tomba. Mon cœur manqua un battement et mon sang se glaça. Pourquoi Pansy tombait ? Je clignais des yeux et concentrai ma vision sur elle. Elle tomba à genoux devant le corps d’un enfant d’à peine plus de cinq ans qu’elle venait de tuer. Les jets de magie volaient autour d’elle, à genoux devant sa malheureuse victime. C’étaient les jets de magie de Theodore qui décimaient tous ceux qui se trouvaient autour d’elle. L’un, puis l’autre, et encore un autre. Et Pansy demeurait à genoux, immobile, interdite devant le corps inanimé de l’enfant qu’elle avait tué. Les mouvements de Theodore s’intensifièrent, et j’esquivais un sortilège avant de tuer l’assaillant qui avait tenté de profiter de ma distraction, puis un autre, et encore un autre. Je ne comprenais pas ce qu’il lui arrivait. Ce n’était pas le premier. Ce ne serait pas le dernier. Elle était tombée, sidérée, ses yeux livides sur le corps de l’enfant mort. La mère hurlait. Elle était en était de sidération. Pansy était sidérée, vulnérable sur le sol.
Theodore se rapprochait encore d’elle, décimant chaque personne qui se rapprochait d’elle avec une rapidité et une violence sans pareille. Il se tournait, retournait, était à droite, puis à gauche, devant puis derrière elle, et tout autour de lui, les sorciers tombaient. Soudain, une magie d’un rose nacré, différente de tout ce que j’avais vu jusqu’alors, sortit de sa baguette pour constituer une bulle physique autour d’eux. A n’en point douter, il s’agissait-là d’une magie très blanche, très pure qui contrastait largement avec les sorts qui étaient lancés tout autour d’eux. La bulle continua de se matérialiser autour de Pansy, à genoux devant le cadavre de l’enfant, et autour de lui, désormais juste à côté d’elle, baguette tendue sur la construction d’une bulle protectrice qu’il érigeait autour d’eux. La nuit était noire et étoilée, le rose scintillant d’une pâleur onirique tranchait avec la noirceur de la nuit sur le champ de bataille. Inquiet de ce qu’il se passait pour Pansy, je courrais jusqu’à Ragnar posé à quelques mètres de moi, dévorant citoyen après citoyen. En un bond calculé je montais sur la scelle, et lui ordonnai de prendre son envol d’un coup de talon alors que je surveillais la bulle de magie de Theodore. C’était un dôme désormais entièrement constitué qui les protégeaient. Ils étaient devenus invisibles. Il n’y avait plus que ce dôme d’un rose nacré dont la magie vibrait, les cachaient, et contrait chaque attaque qui était renvoyée depuis la paroi de la bulle. Inquiet de ce qu’il était en train de se passer, je pénétrais l’esprit de Theodore tandis que Ragnar prenait son envol, m’écartant de tout danger alors que je lui ordonnais de brûler tout assaillant autour de leur bulle. Je tentais de maintenir une double conscience pour rester à l’affût de ce qui se déroulait sur le champ de bataille.
A l’intérieur du dôme, tout était silencieux. Il n’y avait que la respiration saccadée de Pansy que je voyais pleurer au travers des yeux de Theodore, son regard perdu dans le vague, rivé sur le corps sans vie d’un petit garçon brun allongé sur le dos, les yeux grands ouverts. Les cris de la mère ne parvenaient plus jusqu’à eux. La vision du massacre qui se déchainait autour d’eux n’existait plus non plus. Il n’y avait que les parois roses nacrées qui les encerclaient, Theodore, et elle. Il se laissa tomber à genoux à côté d’elle et se saisit de sa baguette qui était restée dans sa main sidérée pour lui retirer son Masque argenté dont un bandeau noir recouvrait ses yeux verts. Ses joues rosées par l’effort étaient mouillées de larmes.
- Pansy, appela-il d’un ton aussi pressant que doux.
Elle ne répondait pas. Aucun signe non verbal de sa part n’attestait qu’elle l’avait ne serait-ce qu’entendu. Ses yeux verts étaient grands ouverts, bloqués sur le cadavre de l’enfant devant elle. Theodore retira son propre Masque pour se dévoiler à elle, puis il réitéra sa sollicitation.
- Pansy, appela-t-il encore plus doucement.
Elle ne semblait pas l’entendre. Ses lèvres étaient entre-ouvertes, tremblantes. Les larmes perlaient silencieusement sur ses joues redevenues pâles. Elle était blême. Il recommença à l’appeler, cherchant à accrocher son attention quand bien même il ne la regardait pas dans les yeux, et soudain les pupilles de Pansy se mirent à bouger avec panique. Le rythme saccadé de sa respiration s’accéléra encore, et elle regarda partout autour d’elle, les larmes continuant de couler sur ses joues, à la recherche de quelque chose qu’elle ne trouvait pas. Elle s’appuya d’une main sur le sol pour se retourner, découvrant le dôme protecteur autour d’elle qui ne lui permettait de ne voir ni n’entendre rien d’autre que Theodore qui se tenait devant elle. Ses sourcils fins se froncèrent sur son front alors qu’elle reculait, comme cherchant à lui échapper. Je ne savais comment il le savait, mais Theodore semblait sentir qu’elle cherchait Blaise. Elle cherchait quelqu’un d’autre que lui. Elle voulait quelqu’un d’autre que lui, quelqu’un en qui elle avait confiance. Je sentis le cœur de Theodore se serrer douloureusement dans son poitrail avant que sa voix ne résonne sourdement dans le dôme qui les entouraient :
- Regarde autour de toi, la somma-t-il aussi fermement qu’avec douceur.
C’était avec cette voix qu’il parvenait, moi aussi, à me ramener lorsque j’étais en crise. Ferme, mais douce. Présente, mais réconfortante. Contenante, mais tendre.
- Je suis le seul qui suis là.
Pansy continuait de regarder partout autour d’elle avec angoisse.
- Personne d’autre ne va venir, déclara-t-il avec la force rassurante qui lui était propre.
Les yeux de Pansy étaient pleins de terreur alors qu’ils se posaient à nouveau sur le cadavre de l’enfant. Elle avait tenu, elle avait tenu des jours, merde des semaines durant. C’était le déclencheur. La fois de trop. La goutte de trop.
- Mais je suis juste là, chuchota Theodore alors que les yeux de Pansy se posaient finalement sur lui.
Il posa ses mains sur celles, tremblantes, de Pansy. Elle se perdait dans les traits de son visage à la recherche d’un ancrage. A la recherche d’un ancrage qui la sortirait de l’enfer qui se déchaînait dans son esprit. Il regardait ses clavicules, lui offrant la possibilité d’étudier la couleur de ses yeux quand bien même il ne rencontrait pas directement les siens.
- Je suis jute là, murmura-t-il plus doucement encore alors que la respiration de Pansy commençait à se stabiliser.
Elle sondait ses iris, Theodore pouvait le sentir. Elle sondait ses iris pour fuir la réalité de ce qu’il se passait dans son corps, et dans son cœur. Elle sondait ses iris pour s’ancrer dans le bleu incroyable qui y brûlait. Et il ne lâchait pas ses mains fraiches et tremblantes. Il ne les lâchait pas des siennes, larges et chaudes. Et lentement, alors que les larmes continuaient de couler sur ses joues, la respiration de Pansy commença doucement à s’apaiser.
Un important bruit d’effondrement me sortit de l’esprit de Theodore alors que soudainement le vacarme de la Guerre, des flammes, des hurlements et des pleurs retentissait sourdement dans mes oreilles. Et l’horreur continua, et Theodore garda Pansy protégée à l’intérieur du dôme qui brillait sur le champ de bataille. Tout le temps du recrutement, tout le temps de ma propagande, tout le temps d’éliminer les derniers protestataires à la place de Theodore qui ne la laissa pas, il resta avec elle, protégée et inatteignable derrière sa magie.
Comme s’il pouvait le sentir alors que nos nouveaux esclaves, ou soldats je ne le savais pas tellement, étaient regroupés par Maxwell, Weber et Feign, le dôme s’évanouit autour d’elle, et leurs silhouettes déjà debout marchèrent côte à côte vers nous, traversant les innombrables cadavres parsemés à leurs pieds. Je ne pouvais m’empêcher de les admirer. Ils étaient magnifiques, ensembles. Aucune vision ne faisait plus sens qu’elle et lui côte à côte, rien n’avait plus de sens que ce qui se tenait sous mes yeux. Leurs cheveux aussi noirs que les corbeaux se fondaient dans la nuit, la pâleur de leur peau mutuelle scintillant à l’image des étoiles qui nous surplombaient, le vert des yeux de Pansy et celui, d’un bleu translucide, de Theo, tranchait la noirceur environnante pour y apporter un peu de lumière. Il était plus grand qu’elle, au moins d’une bonne tête, mais pas tant que cela non plus. Pansy était une grande femme. S’il l’avait prise dans ses bras en cet instant, son visage aurait trouvé sa juste place tout contre son cœur. Oui, sublimes. Absolument et sans le moindre doute faits l’un pour l’autre. A côté de moi, Cyprus pouffa devant ce spectacle. Un large sourire aux lèvres, il fit quelques pas en avant vers eux, et s’écria pour que ses mots les atteignent :
- Bah alors Pansy, on chouine pour un sale morveux ?
Il était encore à quelques mètres de nous, mais je pouvais voir les traits de Theodore se durcir sur son visage. Je notais d’ailleurs que Pansy, elle aussi, avait retrouvé la force et la détermination qui animait toujours son expression. Elle n’avait plus l’air d’une femme qui venait d’être sidérée, comme si elle s’était retrouvée elle-même dans cette bulle avec Theodore.
- Ferme-là Maxwell, ordonnai-je à d’une voix basse pressante.
Theo et Pansy approchaient, les yeux de celle-ci rougis tandis que ceux de Theo étaient noirs comme la nuit qui nous entouraient.
- Tu veux que j’te console ? lui lança-t-il encore avec un sourire insolent.
Ils n’accéléraient pas le pas, et ni Pansy, ni Theodore ne rétorqua. Non, par contre, les yeux meurtriers de mon frère étaient tout droit rivés sur le malade qui se tenait un peu devant moi, sur ma droite.
- Ferme ta gueule Cyprus, pressa Blaise à son tour, une pointe d’anxiété dans sa voix fatiguée.
Mais le fou ne nous écouta pas, et alors qu’ils se rapprochaient plus encore de nous, l’un à côté de l’autre en offrant la vision d’eux la plus naturelle et censée qui soit, Maxwell ouvrit grand ses bras :
- Viens-là ma belle, papa va bien s’occuper de toi !
Pansy marchait à côté de Theo, chacun de ses pas résonnant de façon parfaitement synchrone avec les siens, mais lorsqu’ils arrivèrent jusqu’à nous, Theodore ne cessa pas sa course. Ses yeux assassins rivés sur Cyprus, il lui rentra dedans de tout son torse. Le fou tomba au sol de l’impact du corps de Theodore contre le sien, et il releva vers lui un large sourire sadique avant qu’un rire du même registre ne sorte de lui. Theodore ne s’arrêta pas de marcher jusqu’à lui, ses yeux clairement et immanquablement meurtriers figés sur Maxwell comme s’il ne voyait rien d’autre. Il allait le massacrer. Blaise et moi, synchrones, nous jetèrent sur Theo pour le retenir à deux tandis que Cyprus continuait de rire à même le sol.
- Ça suffit ! m’imposai-je d’une voix vibrante. Foutez-le camp, sommai-je Maxwell et le reste de l’équipe.
Cyprus prit son temps pour se relever, son large sourire ne s’évanouissant pas de son visage d’enfoiré de première.
- C’est un ordre ! hurlai-je alors que Blaise et moi nous tenions toujours devant Theodore, bras tendus pour l’empêcher d’atteindre Maxwell.
Le fils de pute leva ses sourcils dans une provocation explicite vers Theodore avant de finalement battre en retraite, et de mener les nouvelles recrues à Voldemort avec le reste de notre équipe. Et bientôt, il ne resta plus que nous quatre, les deux dragons, et des centaines de cadavres pour nous tenir compagnie.
Le crépitement des flammes ponctué de quelques effondrements tardifs furent les seuls sons qui flottaient entre nous l’espace de quelques minutes, des centaines de cadavres parsemés partout autour de nous en témoignage de ce que nous venions de provoquer. Alors que je m’apprêtais à ordonner notre repli, la voix anormalement douce de Pansy demanda :
- Est-ce qu’on peut l’enterrer ?
Nous tournions tous trois les yeux vers elle. Les siens étaient rivés sur le sol, à nouveau mouillés de larmes. Aucun de nous ne demanda de qui elle parlait, nous savions. Mes murs demeuraient en place, quand bien même elle y porta un coup en formulant cette demande inattendue.
- Je voudrais…, hésita-t-elle doucement, je voudrais me sentir humaine, pour quelques minutes.
Je l’entendais, quand bien même j’étais réticent à ce qu’elle proposait. Il me semblait que se sentir humain alors que nous faisions ces abominations était peut-être la chose la plus dangereuse qui puisse être, mais je pouvais l’entendre. Cela faisait bientôt deux semaines, peut-être trois je n’en étais pas certain, que nous enchaînions les massacres sans fin. Elle les avait tous supportés, les uns après les autres, sans flancher.
Blaise lui sourit avec tendresse, ses propres yeux désormais remplis de larmes alors qu’il acquiesçait en sa direction.
- Moi aussi, chuchota-t-il vers elle.
Je tournais le regard vers Theodore. Il me regardait déjà. D’un discret hochement de tête, il me poussa à accéder à sa demande.
Alors nous nous étions tous quatre dirigés vers le corps sans vie de l’enfant, évitant cadavre sur cadavre pour l’atteindre. Les flammes continuaient de gronder autour de nous en un spectacle apocalyptique. En silence, Blaise se baissa pour ramasser le corps dans ses bras. L’air était lourd. Le visage du garçon, bouffit et pâle, était illuminé des flammes qui brûlaient autour de nous. Je détournais les yeux. Je ne voulais pas le voir. Pour ma part, je ne voulais pas me sentir humain. Je ne le pouvais pas. Tout ce que je pouvais me permettre, c’était le néant.
Alors je les accompagnais, mes barrières mentales fermement maintenues en place, conscient que si je les abaissais, je ne tiendrais pas. Dans un silence pesant, nous marchions jusqu’à trouver un bout de terre remplaçant la dureté du béton. Lorsque la terre se révéla sous nos pieds, Blaise posa le corps de l’enfant sur le sol. Chacun d’entre nous sortit sa baguette, et tous ensemble, nous creusions un trou de notre magie. Les larmes perlaient silencieusement sur les joues de Blaise et Pansy. Mes murs furent frappés une nouvelle fois de constater du petit trou que nous avions creusé. Trop petit. Trop jeune. Trop innocent. Trop tôt.
Une nouvelle fois, Blaise se baissa et porta l’enfant dans sa tombe. Lentement, Pansy s’accroupit à côté de lui, Theo et moi demeurions debout, à l’écart. D’une main tremblante, elle ferma les yeux de sa victime. Ensemble, Blaise et Pansy recouvrèrent lentement ce petit corps de terre. Je fixais leurs dos, un sentiment vibrant violemment à l’intérieur de moi. De la colère. Une profonde et vibrante colère. Une profonde et vibrante colère de ce que j’avais sous les yeux. Mes meilleurs amis face à ce qu’ils étaient devenus. Face à ce qu’ils étaient devenus pour moi. Brisés face à ce qu’ils devaient faire désormais. Je sentis ma mâchoire se serrer dans un moment où je savais que j’aurais dû ressentir de la tristesse. Il n’en était rien. Alors que je les voyais tous deux accroupis face à ce corps qu’ils recouvraient de terre, il n’y avait que la rage. Que la rage de ce que Voldemort les forçait à faire. Ces amis que j’avais vu grandir. Ces amis que j’avais aimé. Ces amis qui m’avaient aimé. Ces amis avec qui j’avais tant ri, et tant partagé. Je voyais les enfants en eux. Ces enfants que j’avais connus, encore innocents. Ces enfants joueurs, taquins, un brin insolents. Il me semblait que je les voyais enterrer ces enfants-là, en enterrant celui dont Pansy avait pris la vie. Moi, je prenais les leurs. Voldemort prenait les leurs. Il volait leurs rires aux éclats. Il volait leur innocence. Il volait leur témérité. Il volait leur essence même. Il me prenait mes amis, et je le laissai faire. Et en cet instant, je détestais ce constat. Pansy laissa son visage reposer sur l’épaule de Blaise alors qu’ils contemplaient la terre fraiche recouvrant le corps de l'enfant. Chaque fibre de mon corps vibrait avec une rage puissante. Je voulais qu’il meure. Je voulais qu’il me rende ma vie, notre vie. Je voulais qu’il me rende ma famille. Je voulais qu’il meure.
Lorsque nous étions finalement rentrés au manoir dans une ambiance aussi froide que morte, nous avions tous suivi une Pansy tremblante qui s’était dirigée dans le salon sans même prendre la peine d’aller se doucher. Nous y étions, à son craquage, et nous en étions tous conscients. Chacune de nos attentions étaient toutes droites rivées sur elle. Sur notre amie qui avait besoin de nous, et que je ne parvenais encore qu’à regarder avec une colère qui ne lui était pas destinée. Sans se retourner, elle se dirigea vers les bouteilles d’alcool. D’une main tremblante alors que nous la secondions tous dans le salon, elle se servit un verre de whiskey qu’elle avala d’une traite.
- Pansy…, murmura un Blaise incertain qui se tenait derrière elle.
Elle ne tourna pas le visage vers lui, ses mains tremblantes se versant difficilement un deuxième verre, quelques gouttes tombant sur le tapis sous ses pieds. Une nouvelle fois, elle ingéra le contenu de son verre d’une traite.
- Bébé, chuchota un Blaise désolé.
Avec une violence soudaine, Pansy se retourna pour nous faire face, son visage fatigué tâché de larmes. Elle posa le verre sur la table basse dans un bruit sourd. Lorsqu’elle releva les yeux vers nous, ils étaient rouges de larmes. Dans un silence pesant, elle ouvrit ses bras, impuissante, sur ses côtés. Mes murs prirent une claque. Elle semblait impuissante, comme démunie. Perdue, en somme. Doucement, elle se mit à faire non de la tête, les larmes dégoulinant silencieusement sur ses joues rosées.
- Je comprends pas, murmura-t-elle finalement à mi-voix. Je comprends pas, répéta-t-elle tout doucement, ses bras maintenus à côté d’elle en signe d’impuissance.
Nous demeurions tous trois, nous aussi, impuissants face à sa douleur. Une de ses mains vint se loger sur sa bouche qu’elle essuya en un geste lent tandis que sa tête continuait de se remuer de droite à gauche, ses sourcils froncés sur son front traduisant sa peine.
- Je comprends pas, répéta-t-elle encore difficilement.
- Bébé, chuchota Blaise en s’approchant d’elle à bras ouverts.
De ses deux mains sur son torse, elle le repoussa violemment :
- Non ! s’écria-t-elle en pleurant, le repoussant loin d’elle.
Une larme coulant sur son propre visage, Blaise respecta la distance qu’elle mettait entre eux.
- Je suis pas comme ça ! pleura-t-elle de plus belle. Je ne suis pas faible ! hurla-t-elle avec douleur. J’étais pas comme ça, murmura-t-elle difficilement, ses yeux larmoyants se reportant sur la table basse. J’étais pas comme ça, répéta-t-elle encore.
De sa main tremblante, elle se saisit une nouvelle fois de la bouteille qu’elle tenait difficilement. Theodore, à son tour, s’approcha d’elle et tenta de lui dérober l’alcool qu’elle voulait encore se servir, son visage impassible.
- Non ! hurla-t-elle encore en balançant son bras en arrière, la bouteille s’éclatant en mille morceaux sur le sol. Lâche-moi !
Elle tenta de repousser Theodore comme elle l’avait fait avec Blaise, mais il ne broncha pas, ancré juste à côté d’elle.
- J’étais pas comme ça ! lui cria-t-elle dessus comme si elle cherchait à lui prouver quelque chose.
Comme si elle cherchait à lui prouver qu’elle n’était pas cette fille-là. Comme s’il était anormal qu’elle finisse par craquer. Finalement, ses deux mains vinrent cacher son visage inondé de larmes, le son abominable de ses sanglots étouffé de ses paumes. Mes murs prirent une nouvelle claque. Impuissante. Détruite.
- J’avais pas peur comme ça, sanglota-t-elle derrière ses mains. J’étais…, tenta-t-elle encore difficilement, j’avais pas peur comme ça…
Lentement, Theodore approcha son corps du sien, et avec douceur, ses bras vinrent l’étreindre tandis qu’elle gardait ses mains sur son visage qu’elle nous cachait. Elle ne le repoussa pas une nouvelle fois. Elle laissa les bras de Theo l’encercler, et elle le laissa la serrer contre lui alors qu’elle posait son visage caché contre son torse tandis qu’elle sanglotait là, tout contre lui. Mes murs s’ébranlèrent, et je sentis mon ventre se mettre à trembler de la douleur qu’il retenait, lui aussi.
- Il me manque quelque chose…, il manque quelque chose de moi, sanglota-t-elle contre lui.
Les yeux de mon frère se fermèrent alors qu’il la tenait contre lui, ses lèvres se pinçant avec douleur. Le fait qu’elle ne cherche pas à se dégager de ses bras attestait plus de son état d’abattement qu’aucun autre mot n’aurait pu l’exprimer. Le corps de Pansy sursauta de plus belle contre celui de Theo, ses sanglots résonnants plus violemment encore dans notre salon. Il ne la lâchait pas.
- Il manque quelque chose de moi, murmura-t-elle en pleurant contre lui.
Les sourcils de Theo se froncèrent douloureusement sur son front, et finalement, il chuchota :
- Je suis là.
Mes yeux se mouillèrent de larmes.
- Je suis juste là, murmura-t-il tout bas.
Les sanglots de Pansy résonnaient d’une façon bouleversante contre le torse de Theodore, mêlant halètements irréguliers à ses respirations hachées. Un léger gémissement chargé de peine s’échappa de ses mains qui la protégeait de nous, chaque son abominable qu’elle émettait venant du fond de son cœur meurtri.
- Je suis juste là, chuchota-t-il encore alors qu’une larme perlait finalement sur sa propre joue.
Et il ne les voyait pas parce que ses yeux étaient fermement clos, mais Blaise, laissé face à eux, le regardait avec un mélange de peine et de haine.
Lorsqu’elle était revenue à elle, épuisée, Pansy avait fini par se dégager vivement des bras de Theodore, le laissant là, au milieu du salon. Blaise l’avait suivie alors qu’elle était partie, pantelante, se coucher, vidée. Et mes murs s’étaient effondrés quand, alors que nous étions seuls, Theodore s’était retourné face à moi, ses bras lassement retombés sur ses côtés, et que son visage s’était contracté de sa peine. A son tour, son visage se mit à faire des mouvements de droite à gauche, la douleur ne quittant pas ses traits alors que d’épaisses larmes coulaient sur ses joues pâles, ses lèvres pincées en une moue souffrante. Il me regardait avec une impuissance qui m’était insupportable. Une douleur qui m’était insupportable, et à mon tour, je pleurais devant ce spectacle déchirant. Mon frère. Mon âme. Ce qu’il restait de bon en moi.
- Merde, chuchota-t-il en un sanglot qu’il étouffait d’une main sur ses lèvres.
Je m’approchais de lui, lui ouvrant mes bras dans lesquels il se réfugia. Il serra ma taille de toutes ses forces, son corps tremblant pleurant contre moi alors que je soutenais son crâne d’une main que j’espérais chaleureuse, et je pleurais avec lui. Je pleurais avec lui parce qu’il n’existait pas un monde dans lequel je pouvais être témoin de sa douleur sans la partager avec lui. Jusque dans mon corps. Jusque dans mon cœur. Je la ressentais jusque dans mon âme. Et c’était déchirant. Physiquement déchirant.
Sa respiration profonde et difficile réchauffait mon épaule dans laquelle il avait enfouit son visage mouillé.
- Je sais pas quoi faire, avoua-t-il en un sanglot contre moi tandis que je le serrai plus fort. Je sais pas quoi faire Drago, confessa-t-il dans toute son impuissance.
Et je le serrai plus fort encore. Je le serrai avec tout mon amour et tout mon soutien, parce que je ne pouvais pas imaginer la situation déchirante dans laquelle il était. Je ne pouvais pas imaginer la terreur, l’angoisse, ni le doute qui devait l’assaillir. Et je savais que le jugement de Blaise était désuet, parce que lui non plus, il ne pouvait pas imaginer. Je combattrai quiconque le jugerai encore. Blaise, qui que ce soit. Je le combattrai parce qu’il n’existait pas sur terre un être humain plus vrai, plus entier, et plus loyal que celui qui sanglotait contre moi.
Nous avions bu un verre tous les deux dans le salon lorsqu’il avait lâché ce qu’il avait eu besoin d’extérioriser, et nous en avions discuté. Doucement, et sans l’ombre d’un jugement dans mes mots, je lui avais demandé dans une tentative de l’aider dans son dilemme :
- Est-ce que tu crois qu’il y a une possibilité que la raison pour laquelle tu ne veux pas qu’elle se souvienne c’est plutôt que tu as eu tellement, tellement mal que tu es terrorisé de l’avoir et de la perdre à nouveau ? Que…, hésitai-je, que quelque part tu essayes de te protéger si ça devait arriver à nouveau ?
Ses sourcils étaient froncés en l’incompréhension la plus pure et la plus totale qui puisse être alors qu’il me regardait, cherchant le sens dans les mots que je venais de prononcer.
- Me protéger ? me demanda-t-il alors. Me protéger de quoi ?
J’humidifiais mes lèvres avant de creuser mon idée :
- Te protéger un peu de la douleur si une telle horreur devait arriver encore ?
- Après ce que je viens de traverser, tu crois vraiment que je suis illusionné au point de penser que le fait d’être avec elle ou non changerait quoi que ce soit au fait que je sois incapable de la perdre à nouveau ? murmura-t-il doucement.
Il baissa ses yeux qui brillaient plus que d’ordinaire, illuminés des larmes qu’il avait pleurées.
- Tu ne l’as pas vue, chuchota-t-il en fixant son verre entre ses cuisses. Les états dans lesquels elle était…, les états dans lesquels je la retrouvais…, murmura-t-il.
Il porta sa main libre sur sa bouche qu’il essuya. Si, j’en avais vu. J’en avais vu assez. Je l’avais entendue se réveiller, pleurant en pleine nuit, terrorisée de le perdre. Je l’avais entendue hurler qu’elle ne pouvait pas supporter ce qu’il devenait dans les rangs. Je l’avais vue enchaîner crise d’angoisse sur crise d’angoisse quand il était parti sans nous. J’en avais assez vu pour comprendre. Il releva des yeux embués de nouvelles larmes vers moi, et mon cœur se brisa une nouvelle fois. Mon frère…
- J’ai pas le droit de lui faire ça, chuchota-t-il alors vers moi. J’ai pas le droit de savoir c’que ça lui fait, et de décider de lui faire ça quand même..., pleura-t-il doucement. J’ai pas le droit de lui faire du mal comme ça.
Alors nous n’avions rien dit, et nous n’avions rien changé, et le lendemain matin, rien n’avait changé non plus. Pansy détestait toujours Theo. Theo ne pouvait toujours pas la regarder dans les yeux, peut-être même moins encore. Ce jour-là, « Blaise » ne l’entraîna pas. Mais une fois la nuit tombée, nous retrouvions nos Masques. Les dragons retrouvaient le ciel, et les flammes retrouvaient les foyers déchirés. Un nouveau village. De nouvelles maisons qui brûlaient. De nouveaux habitants attaqués. De nouveaux vieillards sacrifiés. De nouveaux enfants assassinés. De nouveaux soldats recrutés. De nouveaux rebelles massacrés. De nouveaux partisans entassés. Puis les cris, les visages, le sang et le feu. L’odeur de la mort, et encore des flammes. L’odeur de la chair brûlée. La fuite vaine. Les meurtres. La propagande. Encore des flammes. La voix du Grand Intendant. Des maisons qui s’écroulaient. Encore, et encore, et encore. Puis nous rentrions au manoir, Pansy et Blaise transplanant dans la cour que Theo et moi retrouvions à dos de nos deux énormes dragons. Mais ce soir-là, quelque chose était différent. Mon cœur se mit à battre violemment sans que je ne comprenne encore pourquoi. Nous étions dans le jardin du manoir, nous apprêtant à marcher jusqu’à la maison, et mon cœur battait la chamade insolemment fort. Le sang se mit à circuler plus rapidement dans mes veines. Ma respiration se fit plus courte. Sans savoir pourquoi, je tournais instinctivement le visage sur ma droite, vers le portail. Le sol sembla se dérober sous mes pieds. Elle était là.