Dollhouse
Il y avait peu de choses qui pouvaient m’atteindre comme le pouvait la douleur de Theodore. Bien peu de choses pouvaient m’être douloureuses comme l’était le fait de constater que mon frère n’allait pas bien. Pourtant, ce qui était pire encore, c’était de savoir d’une part que j’étais responsable de cette douleur, et d’autre part que désormais, je ne pouvais plus rien y faire pour l’amoindrir. Ce soir-là, il ne me permit pas de l’aider, tout simplement parce qu’il n’y avait rien que je pouvais faire ou dire pour atteindre ce but utopiste.
Dès que Blaise avait quitté le salon, le visage porté bas et les yeux noircis par sa douleur sourde, Theodore m’avait dit aller se coucher. J’avais essayé de le retenir. Il s’était retourné vers moi, et m’avait adressé un sourire qui m’avait brisé probablement plus que tout le reste encore. Il m’avait adressé le genre de sourire faible et forcé que vous voyez vos proches vous adresser dans les moments où il n’y avait plus d’espoir. Ce genre de sourire quand il ne restait plus rien que la douleur, mais qu’ils continuaient de vous aimer, et qu’ils ne voulaient pas vous inquiéter. Mais vous, vous le voyez très bien. Il ne m’avait pas menti en me disant qu’il allait bien, cela il ne le faisait jamais. Il m’avait dit « ça va aller ». Je supposai que le futur hypothétique et incertain faisait que d’une certaine façon, puisque ce n’était pas encore arrivé, ce n’était pas un mensonge en soi. Pourtant, il n’avait pas eu l’air de croire ces mots lui-même. Je l’avais regardé s’éloigner de moi et partir dans sa chambre dans laquelle je savais qu’il ne trouverait pas de repos, et mon cœur s’était encore douloureusement brisé.
Seul au milieu du salon, je m’étais trouvé fatigué, très fatigué d’avoir le cœur constamment brisé ces derniers mois. Je ne savais pas s’il était possible de mourir d’un cœur brisé, mais ces derniers jours, j’avais commencé à me poser la question. J’avais commencé à me demander, quand bien même le corps continuerait de fonctionner, jusqu’à quel point un homme pouvait-il se faire briser le cœur, encore et encore, et continuer de vivre ? Jusqu’à quel point un homme pouvait-il être abimé, mais continuer de fonctionner ? Existait-il un certain point où cela était tout simplement trop, et où le corps finissait lui aussi par lâcher à cause des blessures du cœur, où alors était-ce pire encore, et pouvions-nous vivre jusqu’à la fin sans qu’il ne reste plus rien de notre cœur, avec pour seule attente une délivrance qui n’arriverait pas ?
Je pensais à mon égoïsme. Je pensais à mon égoïsme de ne pas avoir pu supporter une vie sans lui, et la façon dont je l’avais obligé à rester sur Terre avec moi alors qu’il avait perdu plutôt deux fois qu’une sa raison de vivre. Je me demandais combien de temps il parviendrait à vivre sans son cœur, lui aussi. Je me demandais comment il parvenait encore à respirer, comment son corps faisait pour physiquement rester en vie en connaissant la douleur constante qui l’assaillait désormais. Je me demandais jusqu’où l’ironie des Dieux pouvait aller, en nous laissant vivre jour après jour, nous faisant croire qu’il nous appartenait de créer notre Destin, tout cela pour ne faire que nous enfoncer au plus profond des enfers avant même que l’on ne mette un pied dans la tombe.
Je me demandais combien de temps encore je me supporterais, sachant ce dont j’étais coupable. Je pensais à Theo et Pansy. Je pensais à leur amour, debout dans le salon désormais vide de toute présence réconfortante, ma culpabilité pour seule compagnie. Je pensais à l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre, et à la force que cela était pour eux. La force que cela avait été pour eux pendant toutes ces années, avant que je ne foute tout en l’air. Ainsi que leur plus grande faiblesse, à l’un comme à l’autre. Pourtant je le voyais aujourd’hui, il n’y avait rien de moins naturel que le fait qu’ils soient séparés. Que le fait qu’ils ne s’aiment plus comme ils s’aimaient. Il n’y avait rien de moins naturel que le fait que ces deux-là soient séparés. Elle lui permettait d’avancer. Elle lui permettait d’avoir la force de continuer. Elle était la source la plus brute qui pouvait être de sa force inhumaine. Elle était la source même de sa bestialité. Je l’avais vu chez son oncle. Je l’avais vu dans la cathédrale. Je l’avais vu quand je lui avais ramené son corps à nouveau en vie. La force de son amour pour elle faisait de lui le guerrier le plus dangereux de tous les temps. Elle était le trésor qu’il se devait de protéger. Le trésor auquel il ne pouvait pas faire défaut. Le simple fait qu’il l’aime à ce point lui donnait toute la volonté et la détermination dont il n’avait jamais eu besoin pour se battre, peu importait les circonstances ou ses adversaires. Et je savais que j’étais cela pour lui aussi. La kryptonite du guerrier. Et il était la mienne.
Il était celui pour lequel je ne répondais plus à aucune raison. Celui pour lequel aucun prix n’était trop cher payé à mes yeux. J’avais vendu mon âme et je savais que j’aurais vendu celle de n’importe qui d’autre pour la sienne. Je supposais que la différence principale entre lui et moi, c’était que lui l’assumait bien plus que moi. La vérité c’était que j’étais totalement dépendant de lui. Je me tenais dans ce salon dans lequel il m’avait laissé, les larmes aux yeux et le cœur brisé, parce que j’avais vu une larme perler sur son visage parfait, et un sourire hanté par les fantômes de son passé. Et cela était suffisant à me désarmer.
Je me demandais, l’espace d’une seconde, si moi aussi j’avais le droit à recharger mes batteries. Lorsque lui n’avait plus assez de batteries pour tenir, et lorsqu’il fallait que je sois capable d’en avoir assez pour nous deux mais que je ne parvenais pas à trouver cette force en moi lorsque je voyais la douleur chez lui, est-ce que j’avais le droit d’aller chercher ces batteries ailleurs pour pouvoir lui en partager un peu ensuite ? Avais-je le droit d’aller trouver ces ressources ailleurs, même lorsque cela était dangereux pour nous, lorsque ni lui ni moi n’avions ce qu’il nous fallait pour tenir ? Avais-je le droit d’aller chercher à la source de sa douleur un peu de réconfort pour qu’il puisse tenir encore un peu ? Si c’était pour lui, si au fond c’était simplement pour que je sois en état d’être plus solide qu’un rock pour lui, est-ce que j’en avais le droit ? Si ce n’était qu’en échangeant quelques mots que personne ne pouvait lire à part nous, où était le risque ? Si c’était pour que nous puissions tenir, où était le mal ? S’il n’y avait plus jamais rien de plus que cela, quel était le danger ?
Alors je m’étais dirigé vers ma propre chambre à mon tour, et j’avais saisi ma plume et mon carnet en m’installant dans mon lit vide. La culpabilité me retournait déjà l’estomac, et je ne l’ignorai ni ne la combattait. Je l’acceptais. Pour la première fois depuis le début de toutes ces horreurs, je l’acceptais. Je savais pourquoi je le faisais, ce soir-là. Je connaissais également les tenants et les aboutissements de mes agissements. Cela ne changerait rien. Je ne l’accepterais pas dans ma vie pour autant. Je l’acceptais sur quelques pages innocentes de papier, c’était là tout. Pour me permettre de tenir pour mon frère. Je me sentais coupable, c’était vrai. Je me sentais mal de céder à ces pulsions primaires, c’était vrai. Mais je contrôlais les risques. Cette fois-ci, je contrôlais les risques. Ce n’étaient que quelques mots dans un carnet. Rien que quelques mots avant que je ne parte en déplacement avec mon frère pour lequel je devrais être solide. Ça n’aurait pas dû être le cas, je le savais, mais c’était une façon de recharger mes batteries avant de m’en aller.
Je trempais ma plume dans mon encrier, et j’écrivais simplement sur la page vierge, conscient qu’elle dormirait probablement, mais jetant néanmoins ma bouteille à la mer, un espoir réchauffant mon cœur :
« Bonsoir »
Il ne fallut que quelques secondes avant qu’elle ne me réponde, m’apprenant définitivement qu’elle avait ensorcelé son carnet de sorte à être réveillée et prévenue à tout instant dès que je lui écrirai. Cela n’aurait pas non plus dû être le cas, mais ce constat réchauffa l’intégralité de mon corps. Je laissai un sourire fatigué se dessiner sur mes lèvres.
« Voyez-vous qui voilà… Le mystérieux Duc. Bonsoir à vous, Votre Grâce. »
J’inspirai profondément avant de rassembler tout mon courage, quelque chose de plus violent et plus primal auquel je commençais à devenir familier prenant le contrôle de moi alors que j’écrivais :
« Arrête les conneries. Je veux savoir comment tu vas, Granger. »
Mon cœur battait en un rythme frénétique raisonnant dans mon esprit alors que je regardais l’encre disparaître sous mes yeux. Je retirai une nouvelle barrière entre elle et moi. D’abord, j’avais retiré celle de ne plus avoir le moindre contact. Désormais, je retirai celle de l’identité. Cette nuit-là, je ne comptais pas devenir quelqu’un d’autre, ni flirter avec une étrangère pour me changer les idées. Cette nuit-là, je voulais savoir comment allait celle qui était mienne, peu importait qu’elle soit à côté de moi ou non. Elle s’était assez mise de côté pour moi, à toujours répondre présente peu importait quand, et peu importait comment j’avais besoin d’elle. Et ce soir-là, ce dont j’avais besoin c’était de savoir comment elle allait.
« Drago…
C’est une question compliquée, même s’il n’y paraît pas. Je suis morte d’inquiétude, mais je suis aussi incroyablement soulagée, plus que je ne saurai l’écrire d’ailleurs, d’avoir des mots de ta part ce soir… Et toi, comment vas-tu ? »
Absorbé par l’encre qui disparaissait puis apparaissait sous mes yeux, je faisais abstraction de tout le reste, et me concentrait uniquement sur les mots qu’elle m’adressait :
« Tes amis sont au courant ? Comment ils te traitent ? »
« Au courant de quoi ? »
« De nous. »
Une nouvelle fois, mon cœur battait violemment dans mon poitrail en l’attente de la réponse à une question qui me faisait plus peur que je ne voulais bien l’admettre. Je m’en prendrais à quiconque lui ferait le moindre mal.
« Non, ils ne sont pas au courant. J’ai dit que je me promenais comme d’habitude dans la Tour d’Astronomie, et que c’est pour ça que je vous ai vus là-bas. Je leur ai dit que l’on m’avait caché les yeux dès que j’avais été aperçue, et que je n’avais rien vu. J’ai dit que je ne savais pas qui avait tué Dumbledore. Bien sûr maintenant que vous êtes partis de l’école, tout le monde sait. Mais ils ne connaissent pas les détails.
Comment tu vas, Drago ? »
Les battements de mon cœur se calmèrent doucement à mesure que je lisais les différents mots qui se matérialisaient devant mes yeux. Potter nous avait pourchassé dans la cour avant que l’on s’enfuît, mais il n’avait pas été dans la Tour, tout du moins pas lorsque j’y étais encore. J’avais cependant eu peur qu’elle leur ait parlé d’elle-même.
« Est-ce que tu comptes leur en parler ? » continuai-je alors de lui demander.
« Pour qu’ils essayent de me monter la tête afin que je te trahisse ? Non, je ne compte pas le faire. Je te l’ai déjà dit, tu peux me faire confiance Drago. Si après tout cela tu ne l’as pas encore compris, je ne sais pas quelle preuve je peux t’apporter de plus… »
Je souriais derrière mon carnet.
« Ce n’est pas une question de confiance. Je voulais juste savoir si je devais m’en prendre à tes amis dans un futur proche, au cas où ils te faisaient du mal. »
De bien plus longues secondes que celles qu’il lui fallait vraiment pour écrire sa réponse s’écoulèrent avant que ses prochains mots ne m’arrivent :
« Parce que tu le ferais ? »
Je n’eus pas besoin de pondérer ma réponse alors que j’écrivais en retour :
« Tu as peut-être entendu des histoires sur ce que j’ai fait pour Voldemort. Tu crois vraiment que j’éprouverai la moindre difficulté à m’en prendre à n’importe quel fou qui te causerait du tort, à toi ? »
Une nouvelle fois, un trop long laps de temps s’écoula avant qu’elle ne me réponde finalement :
« Je pourrais prétendre être touchée, mais on sait tous les deux que je n’ai pas besoin de ta protection. Je suppose que c’est en partie pour ça qu’il ne t’a pas été difficile de partir et de ne pas chercher à prendre de mes nouvelles pendant autant de temps…
De mon côté, je suis moins forte que toi, et j’aimerais savoir comment tu vas, Malefoy. »
J’accusai ses mots comme je me le devais, avec une acceptation totale. Elle avait raison, je l’avais laissée. Non pas que j’avais vraiment eu le choix, mais je pouvais entendre sa douleur. Il me semblait que la moindre chose que je pouvais faire en cet instant, c’était recevoir sa colère.
« Tu as le droit d’être en colère contre moi. »
« Je ne le suis pas. Je suis simplement morte d’inquiétude. Tu as disparu en me laissant avec les derniers événements, sachant ce que tu allais devenir pour payer la vie de ton amie, et sans avoir le droit de savoir si tu étais encore en vie à chaque jour qui passait jusqu’à ce qu’un Duc ne daigne m’adresser quelques mots…
Je ne peux pas imaginer ce que tu dois être en train de traverser Drago, je ne peux vraiment, vraiment pas imaginer et je ne peux absolument pas te faire la moindre leçon parce que la priorité pour toi c’est la survie en ce moment, la tienne et celle de ta famille et c’est normal considérant là où vous en êtes à cause de notre relation, mais est-ce que c’est trop demander que seulement quelques mots pour me dire que tu es vivant ? Avec un peu de chance que parfois tu me dises comment tu vas, mais si c’est trop pour toi, seulement un mot pour me dire que tu n’es pas mort ? Que je ne passe pas chaque nuit à me demander quand je regarde le ciel si toi aussi tu le vois encore, ou si je m’inquiète pour quelqu’un qui n’est plus, et que je n’aurais pas même le droit de pleurer… »
Mon cœur se serra dans mon poitrail. Moi non plus, je ne pouvais pas imaginer ce qu’elle devait traverser de son côté à elle. M’aimer moi, en sachant ce que j’étais. Continuer de m’aimer, en sachant ce que j’étais devenu. Entendre tout un tas d’horreurs, probablement vraies d’ailleurs, de la part de ses amis et de toute l’école à mon sujet à longueur de journée. Je ne pouvais pas imaginer. Mais quelque chose se durcit à nouveau en moi face à son besoin de plus. De constamment plus que ce que je pouvais lui offrir.
« Je ne suis pas en position de te promettre quoi que ce soit Granger. La situation dans laquelle je suis ne me permet pas de t’assurer que je pourrais chaque jour te dire que je suis encore en vie. Et pour être honnête, même si je le pouvais, je ne sais pas si je le ferai. Les choses n’ont pas changé depuis la dernière fois que je t’ai vue, et mon discours, lui non plus, n’a pas changé. »
A chaque seconde qui séparait sa réponse de ma page blanche, je me renfermais un peu plus. Je voulais juste savoir comment elle allait, mais je ne pouvais rien lui promettre de plus dans la situation dans laquelle j’étais. Je n’avais rien à lui offrir que quelques instants volés lorsque je faiblissais indéniablement. Et chaque fois qu’elle en demandait plus, je m’éloignais un peu plus d’elle.
« Je vois. Est-ce que je vais pouvoir savoir ce qu’il se passe dans ta vie, ou ne serait-ce que comment tu vas ? »
M’éloignant un peu plus d’elle, j’ignorai une nouvelle fois sa question avant de lui poser encore celle qu’il me restait à son sujet :
« Comment ça se passe à Poudlard avec Rogue ? »
Comme si elle hésitait à répondre, elle mit encore du temps avant de m’écrire :
« Je crois sans le moindre doute qu’il reste un Membre de l’Ordre. Harry ne le croit pas, mais il ne sait pas tout ce que je sais.
Il a quatre Mangemorts avec lui qui contrôlent l’école. Nous n’avons plus de cours contre les Défenses du Mal et l’un d’eux a commencé à nous donner des cours obligatoires de propagande promouvant la supériorité des sorciers sur les Moldus. Il y a aussi des punitions plus violentes pour chaque élève qui fait le moindre vague, mais je crois que Rogue essaye de nous protéger autant qu’il le peut sans se faire remarquer.
Je ne peux pas te dire que tout va bien parce que c’est loin d’être le cas et l’école n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était, mais on tient le coup comme on peut. Et encore une fois, je reste persuadée que Rogue nous protège comme il le peut malgré les apparences. Ça donne de l’espoir, je trouve, malgré la noirceur qui s’abat sur nous.
Dois-je passer par le Duc pour avoir à mon tour des informations sur ce qu’il se passe dans ta vie, ou au moins pour savoir comment tu vas ? »
Malgré les circonstances, je devais avouer que j’étais plutôt de son avis. Les interactions que j’avais eues avec Rogue m’avaient amené à penser que peut-être il était effectivement réellement de leur côté. Et puis, Theodore le croyait. Cela était un argument de taille. En partie satisfait d’avoir pu récolter des informations me permettant de savoir comment elle allait, mes paupières se firent soudainement lourdes, et je me rappelais ce que j’avais à faire le lendemain matin, et les jours qui suivraient.
« Je pars en déplacement demain. C’est tout ce que je peux te dire. »
« Où ? » répondit-elle immédiatement.
« Je viens de te dire que je ne peux pas t’en dire plus. » tranchai-je avec le cœur serré, et je m’éloignai un peu plus d’elle encore.
« Alors finalement, tu ne me fais toujours pas confiance ? Après tout ce qu’il s’est passé, tu crois vraiment que je pourrais te trahir ? »
« Est-ce qu’on peut discuter une seule fois sans se prendre la tête ? » tentai-je avec peu d’espoir.
« J’ai l’impression de discuter toute seule. »
Fermé, je répondis avec une froideur qui envoya des frissons dans ma colonne vertébrale :
« Granger, je ne t’en dirai pas plus. Il y a trop en jeu, je ne peux pas prendre de risque. J’ai déjà assez perdu à cause de nous. Je te l’ai dit. Rien n’a changé. »
Une dernière fois, de trop longues minutes passèrent avant qu’elle ne m’adresse ces derniers mots :
« Si tu ne veux pas que je perde la tête, penses à me faire savoir de temps en temps que tu es toujours en vie. Je ne resterai jamais loin de mon carnet. Flora l’a déjà dit au Duc, mais je vais te le répéter en tant qu’Hermione. Je serai de l’autre côté de ces pages chaque fois que tu auras besoin de moi, Drago. »
Avec un sentiment ambivalent de chaleur autant que de froideur, je lui adressai avant de fermer mon carnet :
« Bonne nuit, Granger. »
Le sommeil ne m’avait pas trouvé facilement cette nuit-là. Je cherchais à anticiper les événements suivants, débutant officieusement dans mon nouveau rôle sans pouvoir réellement me présenter officiellement en tant que Grand Intendant. Pourtant, c’était ses tâches que je commençais à effectuer. Du moins, c’était ce que j’imaginais être ses tâches. Je n’avais pas exactement eu de cours de stratégie de guerre ni de pratiques du Grand Intendant. Globalement, je n’avais aucune idée de ce que j’étais en train de faire ni de si c’était ce qui était attendu de moi. Ce premier déplacement avait convenu au Seigneur des Ténèbres, aussi avais-je supposé être sur la bonne voie. Mais je demandais ce que j’allais dire aux élèves du Durmstrang et comment j’allais les convaincre de nous rejoindre.
Je cherchais des formulations dans mon esprit fatigué, des tournures de phrases qui feraient intimidant tout en étant inspirant, sans ne vraiment trouver quoi que ce soit de très convaincant. « Vous pouvez dessiner l’avenir de demain », tentai-je en me retournant dans mon lit. Non, l’avenir de demain, ça n'avait aucun putain de sens. Comme si on pouvait être l’avenir d’hier. « Vous pouvez dessiner l’avenir en nous rejoignant » ? Le terme « dessiner » ne me semblait pas approprié. Dessiner quoi, au juste ? « Vous pouvez changer l’avenir en nous rejoignant » ? Et soudainement, ça perdait toute sa saveur. Cette tournure de phrase n’avait ni consistance, ni épices. Simplement plate et ennuyante. « Vous pouvez décider de l’avenir en nous rejoignant » ? Absolument naze. Ils ne décideraient de rien du tout, ils ne feraient qu’obéir aux ordres. Il fallait que je fasse attention à ce que je vendais, j’allais assurer le service après-vente ensuite. Une clientèle satisfaite était une clientèle qui revenait consommer plus. Putain mais qu’est-ce que j’étais en train de raconter ? Arrête un peu tes conneries et dors, raisonna dans mon esprit ma voix, plus grave et plus forte que les autres, et plus fatiguée de mes dites conneries aussi.
C’était vrai, j’avais cette ressource-là en moi. Cette espèce de monstre sans âme et sans conscience. Et autant que je la détestais, cette ressource, il me semblait que l’heure n’était plus à la préoccupation pour ma santé mentale. Mes espoirs ne résidaient plus dans le fait de m’en sortir un jour. Mes espoirs n’étaient plus de réussir à m’échapper de ce cauchemar. Mes espoirs n’étaient rien de plus que de parvenir à devenir part intégrante du cauchemar. De le devenir tellement que tous mes proches seraient protégés sur simple évocation de mon nom. Alors pour la première fois depuis qu’il s’était manifesté, je trouvais le sommeil un peu plus facilement en sachant que de toute façon, j’avais ça à l’intérieur de moi. Cette nuit-là, c’était la tentative de suicide de Theodore qui m’avait accompagnée dans mes rêves.
Quelques trop courtes heures plus tard, lorsque mon réveil avait sonné et que j’étais parvenu à me lever, j’étais resté interdit, fort peu réveillé, dans le couloir devant Theo. Il se tenait devant la porte de sa propre chambre, ou celle de Pansy désormais, sa baguette tendue sur la porte, un filet argenté sortant de bout de celle-ci en un flux continu se répondant sur la porte et les murs de la chambre. Je demeurai bouche-bée devant le spectacle, mon cerveau assimilant difficilement les informations. Mon frère ne se retourna pas vers moi, quand bien il savait très bien que j’étais là, et que je l’observais désormais. Il m’avait sans le moindre doute entendu et senti arrivé. Il demeurait imperturbable dans sa tâche. Finalement, je chuchotais :
- Tu sais qu’il y a des protections sur le manoir, n’est-ce pas ?
En un quart de tour sur la droite de son poignet, le voile argenté qui recouvrait maintenant les murs et la porte de la chambre de Pansy sembla se raffermir, un bruit de verrou retentissant ensuite dans nos oreilles.
- Ce n’est pas suffisant, trancha-t-il simplement sans se déconcentrer de sa tâche.
Bien sûr, pensai-je alors. Je n’y avais pas songé sous cet angle-ci, mais Theodore devait laisser Pansy. Après qu’il l’ait vue mourir, il devait la laisser en ayant confiance en le fait qu’il ne lui arriverait rien dont il devrait la protéger pendant son absence. Sachant le genre de choses qui lui étaient déjà arrivées lorsqu’il n’avait pas pu la protéger, et étant loin de s’être remit de l’avoir perdue, quand bien même elle était revenue parmi nous. Mais le manoir était protégé, me rassurai-je alors, et vu la couche de magie qu’il y avait désormais sur les murs de la chambre de Pansy, elle était probablement le plus en sécurité qu’elle ne l’avait jamais été de sa vie.
- Tu veux que je t’aide ? proposai-je tout de même alors que je m’approchais de lui dans le couloir.
- Non, va déjeuner. J’ai presque fini.
Il était déjà douché et habillé de son uniforme noir. Je supposais qu’il avait également déjà déjeuné. Il était à peine cinq heures du matin. J’acquiesçai finalement, certain qu’il n’avait effectivement pas besoin de mon aide, et descendais en peignoir prendre mon café et manger quelque chose avant notre voyage.
Mint avait tout préparé, et l’assiette ainsi que la tasse vide à la place de Theodore confirmait mes hypothèses précédentes. Alors que je terminais mon café, Theo passa d’un pas pressé devant moi en m’ignorant royalement, se dirigeant vers les cuisines.
- Mint, l’entendis-je appeler alors qu’il n’était plus dans mon champ de vision.
- Maître Theo ? lui renvoya l’elfe de maison.
- J’ai sorti un philtre revigorant et une potion fortifiante de la pharmacie, lui apprit-il alors que je l’écoutais. Si ce soir tu constates qu’elle n’a toujours pas mangé, mets deux goûtes du philtre et une de la potion discrètement dans son verre quand elle boira avec Blaise ce soir.
- D’accord, Maître, Mint surveillera et elle prendra soin de Miss Pansy, lui assura l’elfe.
- Au besoin, j’ai aussi sorti une potion de sommeil sans rêves, continua la voix pressante de Theodore. Elle ne le demandera probablement pas d’elle-même, mais si tu l’entends dire à Blaise qu’elle dort mal, ou si tu entends qu’elle a le sommeil agité en passant devant sa chambre, mets-lui quelques goutes aussi.
- Très bien, Mint fera attention, Maître Theo !
Je souriais, attendri, en prenant ma dernière gorgée de café.
- J’ai mis des grappes de raisin un peu partout dans la maison, si tu vois que les grappes diminuent, remplace-les avec des nouvelles, continua-t-il encore. Si elle te demande de cuisiner quelque chose, bien sûr tu le fais, mais si ce n’est pas le cas je t’ai préparé une liste de plats et déjeuners à préparer qu’elle est le plus susceptible de manger. Exclu systématiquement les matières grasses de chacun des plats que tu prépares pour elle, et pas de fromage non plus. Le soir, prépare systématiquement une soupe d’aubergine. Il faut qu’elle mange des protéines, donc prépare des œufs tous les matins, et mets des amandes sur la table. Elle est susceptible de manger des épinards, des concombres que tu dois préparer natures avec seulement un peu de ciboulette, et mets des branches de céleri à sa disposition. Essaye de préparer du poulet sans sauce, même si je doute qu’elle en mange. Pendant qu’elle boit avec Blaise, amène discrètement du raisin, du céleri et des amandes sur la table basse. Et quand elle commencera à être ivre, verse un peu d’anti-vomitif dans son dernier verre, il faut qu’elle garde le peu qu’elle aura avalé, commanda-t-il finalement. C’est clair ?
- C’est clair, Maître !
- Je t’ai tout noté ici. Je compte sur toi, Mint, lui adressa-t-il d’une voix basse et grave.
- Vous pouvez, Maître Theo. Je m’occuperai bien de Miss Pansy !
- S’il se passe quoi que ce soit en mon absence, quoi que ce soit Mint, appuya-t-il plus sérieusement encore, tu l’enfermes dans sa chambre et tu viens me chercher immédiatement.
- Oui, Maître.
Quelques secondes plus tard et alors que mon sourire ne s’était pas évanoui de mes lèvres, Theodore passa une nouvelle fois devant moi d’un pas pressé. Je le regardais faire avec des yeux rieurs tandis qu’il m’ignorait royalement. Il s’arrêta néanmoins dans sa course lorsque Blaise pénétra, les yeux à peine ouverts, dans la salle à manger. Sans attendre une seconde, Theo le saisi par les épaules et l’assit à table.
- Tu tombes bien, je venais justement te chercher, déclara Theo qui se tenait devant lui alors qu’un Blaise désorienté peinait à ouvrir les yeux.
- Bonjour à toi aussi, grogna-t-il de sa voix encore endormie.
Mais Theodore ne lui offrit aucun répit ni aucune seconde pour s’ajuster à la situation. Comme il l’avait fait avec Mint, il commença :
- Il faut qu’elle mange. J’ai donné mes instructions à Mint pour que ce soit le cas, et mes instructions si ce n’est pas le cas. Toi, tout ce que tu as à faire c’est la distraire autant que possible dès que vous êtes autour d’un peu de bouffe, fais le con comme d’habitude, et avec un peu de chance elle mangera un peu d’elle-même.
- Je sais, répliqua alors notre ami.
- Ne la fais pas boire du whisky, ça lui donne mal au crâne, enchaîna Theo sans s’arrêter une seconde. Du vin c’est mieux, mais si elle veut de l’alcool fort donne lui de la vodka, elle la supporte mieux.
- Je sais, continua Blaise sur un ton plus doux.
- Ne sortez pas du manoir en mon absence, on ne sait pas encore comment va évoluer la situation et ne faites entrer personne non plus.
- Je sais, chuchota presque Blaise avec un sourire en sa direction.
- Si vos ou son bras brûlent pendant mon absence, vous n’y allez sous aucun prétexte. Tu ne la laisses y aller sous aucunprétexte, insista-t-il en enfonçant des yeux mortellement sérieux dans ceux de Blaise. J’en ai rien à foutre que Voldemort menace Poudlard, qu’il menace Londres, sa mère ou le monde entier, j’en ai rien à foutre, c’est clair ? Tu ne la laisses pas y aller, enchaîna-t-il sans laisser l’opportunité à Blaise de lui répondre. Et je m’en fous si t’as besoin de la séquestrer, tu le fais, je veux pas entendre parler de connerie de libre arbitre ou je sais pas quoi, s’il faut la séquestrer pour ne pas qu’elle y aille, tu le fais, c’est tout. Elle n’y retourne pas sans moi, trancha-t-il avec autorité.
- T’en fais pas, là-dessus je suis du même avis que toi, tenta de le rassurer Blaise doucement.
- Si c’est la merde, s’il y a une menace ou je ne sais quoi, vous vous enfermez dans sa chambre. Je l’ai protégée, il ne pourra rien vous arriver dans sa chambre. Mint saura quoi faire. Tu as compris ?
- J’ai compris, continua chaleureusement Blaise.
- Si elle angoisse, emmène-là dehors regarder les étoiles, ajouta Theo sur un ton plus bas.
Blaise lui adressa un tendre sourire.
- Ne t’en fais pas, chuchota-t-il alors, je vais bien m’occuper d’elle. Pars tranquille.
Theo inspira profondément, ses yeux toujours enfoncés dans ceux de Blaise comme pour s’assurer de la véracité de ses paroles, puis il expira profondément. Il était évident pour qui que ce soit qui poserait les yeux sur lui en cet instant qu’il lui était extrêmement difficile de laisser Pansy.
- Aussi…, continua alors Theo.
Je me levai en faisant trainer ma chaise derrière-moi, un large sourire aux lèvres.
- Je vous laisse, je vais boucler mes affaires ! souriais-je alors à Blaise.
Il tendit un bras suppliant vers moi.
- Pitié, non ! Me laisse pas avec lui ! Drago ! plaida-t-il vers moi alors que je partais en riant.
Je m’étais douché, préparé, et avait terminé ma valise en une demi-heure. J’étais parfaitement prêt à l’heure pour notre départ. Nous en aurions pour une grosse matinée de vol jusqu’en Hongrie, ce qui nous laisserait l’après-midi pour trouver un dragon pour Theo. Ragnar aurait besoin de se reposer avant de pouvoir enchaîner le lendemain pour prendre la direction de Durmstrang, où nous passerions également la nuit avant de potentiellement rentrer le lendemain. Il nous faudrait peut-être faire une escale pour couper le trajet retour, je ne savais pas encore quelles étaient les capacités d’endurance de Ragnar, ni celles du futur dragon de Theodore d’ailleurs. En clair, il ne nous fallait pas traîner pour partir, nous étions sur un timing serré. Nous étions le 30 janvier, et nous devions être rentrés pour le 3 février.
Lorsque j’arrivais dans le jardin avec mes affaires, Theodore était déjà en train de sangler une scelle à deux places sur le dos de Ragnar, ce dernier se montrant d’ailleurs fort coopératif. Probablement bien plus coopératif que si cela avait été moi. L’énorme bête tourna sa gueule géante vers moi lorsque je marchais vers eux.
- Salut l’reptile, lui adressai-je à travers notre lien.
- Humain pleurnichard, me salua-t-il en retour alors que je soupirai.
- Il va nous faire traverser le monde sur son dos, sois gentil avec lui, m’adressa alors Theo en me lançant un regard complice alors qu’il terminait de sangler la scelle sur l’immense estomac de mon dragon.
Il le tripotait comme s’il n’avait pas la moindre peur de lui, comme si ce n’était rien de plus qu’un petit chaton innocent.
- Mais je suis gentil ! me défendis-je déjà avec indignation.
Ils se liguaient déjà tous deux contre moi, les traîtres.
- Tu sais que tu vas devoir partager ton humain préféré avec un autre dragon à l’issue de ce voyage ? piquai-je tout de même ma sale bête.
- Vu la merde dans laquelle tu nous as tous foutus, on n’aura pas de trop d’un deuxième dragon. Tu es le seul d’entre-nous à faire des caprices de petit humain pleurnichard quand il faut faire ce qui doit être fait, gronda sa voix puissante dans mon esprit avec malice.
- Enfoiré, lançai-je en accrochant mes affaires sur le côté gauche de la sangle.
- Vous ne comptiez pas partir sans dire au revoir ? me força à me retourner la voix de Pansy qui perçait au loin.
La tonalité de sa voix laissait entendre à une oreille attentive son inquiétude qu’elle essayait de dissimuler comme elle le pouvait. Elle s’avança dans le jardin en chaussons et robe de chambre, ses bras repliés sur sa poitrine pour garder le peu de sa chaleur corporelle. Quelques secondes après, Blaise suivi derrière elle, lui plus habillé, et le visage bien moins inquiet qu’elle, un petit sourire encourageant aux lèvres. Theodore se retourna finalement à son tour une fois qu’il eut terminé son travail sur Ragnar.
- Accio manteau, somma-t-il en direction de la maison.
Un épais manteau noir qui devait être celui du Blaise vola immédiatement jusqu’à lui. Il le lança sans délicatesse à Pansy qui le saisit au vol, et quand bien même elle voulait rechigner à le mettre, cette température de fin janvier ne lui offrit pas le luxe de refuser un peu de chaleur.
- On ne va pas partir longtemps, lui adressai-je alors avec un sourire.
Elle acquiesça en ma direction, ses yeux rivés sur Ragnar derrière nous. Elle était inquiète, c’était clair. Mais elle ne le dirait pas explicitement. A la place, elle me sourit faussement, et dit doucement :
- Ramenez des beaux bulgares.
Mon sourire s’élargit en sa direction tandis que mon frère se tendait à côté de moi.
- Je vais rentrer avec le plus beau de tous, murmurai-je presque en retour, ne parlant pas le moins du monde d’un bulgare.
Cela ne dura que quelques secondes, mais les yeux inquiets de Pansy se posèrent sur Theo, qui lui fixait les mouvements respiratoires de sa poitrine. Elle avala sa salive. Oui, inquiète. Je la rassurai d’une voix confiante :
- On reviendra maximum le 3 février, peut-être…
- … On sera revenus avant, trancha la voix ferme de Theodore.
- En scelle, soldats, commanda Ragnar dans nos deux esprits.
Pansy acquiesça finalement, et Blaise passa un bras autour de ses épaules alors qu’ils nous regardaient monter sur Ragnar.
- J’t’en voudrais pas si tu l’perds en route, me lança finalement Pansy à propos de Theodore.
Il fallait être un idiot pour ne pas voir la façon dont elle essayait de se détendre à travers ces mots, et je savais que plus qu’autre chose, ils avaient certainement fait plaisir à Theodore. C’était apparemment à lui qu’elle pensait, dans cette situation-ci. Alors je lui adressai un dernier sourire complice avant de prendre notre envol.
Le vol fut long. Quand bien même j’avais lancé un sortilège de protection pour que le vent ne nous rende ni aveugle, ni ne nous empêche de respirer, ni ne nous brûle, il existait des moyens de transport bien plus confortables qu’à dos de dragon. Le froid ambiant alors que le soleil de cette fin de janvier n’était pas encore levé était de pire en pire à mesure que nous nous approchions de notre destination, et l’assise sur un dragon était pour le moins difficile sur la durée. Nos cuisses étaient si écartées l’une de l’autre que cela tirait et créait des crampes entre nos jambes au fur et à mesure que les heures passaient. Cependant, j’étais satisfait de découvrir que la puissance de Ragnar était telle qu’il n’eut pas besoin de s’arrêter pendant les cinq heures de vol qui nous séparaient de la Hongrie. Theo et moi, par contre, en avions eu besoin à deux reprises pour nous dégourdir nos jambes douloureuses. Ragnar en avait bien profité pour se moquer de nous, en tant que pauvres petits humains fragiles et pleurnichards.
En arrivant à notre destination, le comté de Zala où se trouvait le plus important élevage illégal de Magyar à pointes de la région, le paysage devint absolument somptueux. Des lacs gelés ainsi que des forêts et plaines enneigées s’étalant sur des kilomètres dans les montagnes plus magnifiques les unes que les autres alors que nous approchions à grande vitesse. Si les élevages illégaux de dragons étaient particulièrement protégés en ce qui concernait leur lieu et accès, les contacts de mon père et l’affiliation au nom Malefoy, famille réputée pour avoir toujours eu des dragons, m’avait largement servi dans ce cas.
- C’est ici, gronda la voix de Ragnar dans mon esprit alors qu’il survolait une gigantesque plaine vide, à l’œil nu en tout cas.
Je cherchais les alentours, inspectant les creux dans les montagnes qu’il survolait désormais doucement, ses longues ailes déployées sur chaque côté obstruant mon champ de vision, mais hormis de la neige et de la nature, je ne voyais rien. L’endroit devait sans conteste être protégé par de la magie pour ne pas être découvert ni des moldus, ni des sorciers, puisque l’élevage de dragon était interdit par la Convention des sorciers de 1709. Je n’avais cependant pas le moindre doute, et Ragnar non plus, c’était ici. Theodore, derrière moi, se saisi de sa baguette et tenta un revelio, en vain. L’endroit devait protéger des dragons, il ne se dévoilerait pas à des étrangers inconnus non annoncés par la magie, à moins qu’une magie dragonnaire ne soit présente avec eux, réalisai-je alors.
- Crache des flammes en dessous de toi, ordonnai-je à Ragnar.
Alors qu’il gonfla son ventre en une inspiration profonde, les jambes de Theo et moi furent écartées plus encore qu’elles ne l’étaient déjà et soudainement l’intégralité de nos corps se mirent à vibrer de la puissance qui traversait tout le corps de Ragnar alors qu’il crachait un flux continu de flammes épaisses sous son passage. La chaleur nous atteignait sans nous brûler pour autant, mais il me semblait raisonnable de supposer que pour Theo comme pour moi, nous étions littéralement sur le cul. C’était la première fois que j’étais sur le dos de Ragnar alors qu’il crachait réellement du feu, et je ne pouvais feindre l’indifférence. C’était putain d’impressionnant, et sacrément putain de terrorisant. La force vibratoire qui accompagnait le fait qu’il crache du feu faisait trembler nos corps et raisonnait jusqu’à l’intérieur de chacun de nos organes alors qu’un bruit assourdissant et terrifiant de tonnerre accompagnait les flammes qu’il crachait. Et là, derrière ses flammes, se révéla enfin sous nos yeux une immense, épaisse et haute muraille de pierre qui entourait sur des kilomètres de gigantesques plaines et montagnes dans lesquelles plusieurs dizaines de Magyar à pointes vivaient en liberté. Une fine protection magique, comme un ciel de glace, protégeait l’enceinte du feu de mon dragon qui dévoilait ce spectacle impressionnant sous nos yeux.
- Pose-toi devant l’entrée, commandai-je encore à mon dragon.
Un grand portail de fer sans nul doute protégé de magie se tenait au bout de cette muraille circulaire qui s’étalait sur bien des mètres. Dans un vacarme et des secousses violentes, Ragnar se posa finalement tandis que Theo et moi nous décrochions de la scelle et descendions le long de son corps écailleux. Deux gardes en tenues matelassées et armés de leurs baguettes vinrent immédiatement vers nous alors que nous approchions du portail :
- Qui êtes-vous et que faites-vous là ?! nous assena le premier.
Il devait avoir à peine plus de vingt ans, et le deuxième ne semblait pas beaucoup plus vieux. Ils avaient l’air de stagiaires effrayés qui ne savaient pas trop que faire de visiteurs non annoncés, possédants un dragon tout au plus. Je levai vers eux les paumes de mes mains en signe d’innocence :
- Nous venons en paix. Je suis Drago Malefoy, et voici Theodore Nott. Nous aimerions rencontrer Fox Bitten.
Fox Bitten était le propriétaire de l’élevage. Je connaissais son nom grâce aux informations dont je disposai dans le bureau de mon père.
- Vous ne pouvez pas venir comme ça ici ! déclara le deuxième garde en pointant sa baguette sur nous.
Ragnar gronda d’avertissement vers eux derrière nous. Les gardes reculèrent. Je gardais mes paumes levées.
- Comme je l’ai dit, nous venons en paix.
- Qu’est-ce qu’il se passe ici ? demanda alors une voix derrière les deux jeunes gardes.
Un vieil homme à la barbe longue et aux longs cheveux blancs faits de dreads locks s’avançait vers nous. Vu la façon dont les deux jeunes s’écartèrent pour le laisser prendre en main la situation, je supposai que nous étions désormais face à Fox Bitten.
- Monsieur Bitten, le saluai-je alors avec un sourire poli.
Ses yeux marrons analysèrent scrupuleusement le dragon derrière nous.
- Belle bête que vous avez là, commenta-t-il alors avec considération. Un Opaloeil, annonça-t-il sans demander confirmation.
- Vous avez l’œil, complimentai-je habilement.
Ses yeux perçants vinrent finalement rencontrer les miens. Je pouvais voir dans chaque ride de son visage fatigué, et pourtant quelque part incroyable énergique, les années d’expérience et d’expertise dans son domaine. C’était sans nul doute lui, le patron.
- Qu’est-ce que vous venez foutre ici, vous deux ? nous demanda-t-il alors qu’il sortait une pipe de sa simple tunique blanche, ni matelassée, ni bien chaude pour cette météo pourtant aride.
- Je suis Drago Malefoy, et voici Theodore Nott, répétai-je encore. Nous sommes venus vous acheter un dragon.
Sa pipe fumante à la bouche, le vieil homme éclata de rire. Ses bras musclés pour un homme de son âge vinrent trouver leur place ancrés sur ses hanches alors qu’il continuait de rire.
- Ça ne se passe pas comme ça ici gamin, on ne vend pas un dragon au premier fou qui en veut un !
Le sourire que je lui adressai était désormais bien moins amical. Me rire au nez et me traiter de gamin était dangereux, ces temps-ci. Je découvrais mon avant-bras gauche et lui dévoilai ma Marque. Le vieil homme cessa de rire, et il blêmit à la place.
- Ce n’était pas une question, lui affirmai-je alors sur un ton menaçant.
Ce fut le tour de Fox de dévoiler les paumes de ses mains en signe de soumission. Il continua pourtant de tirer sur sa pipe, signe attestant du fait qu’il n’était pas si terrorisé que cela. C’était là un vieil homme qui avait sans nul doute vu bien plus d’une chose compliquée dans sa vie. Je supposai qu’élever illégalement des dragons nécessitait un goût prononcé pour l’aventure, ainsi que pour le danger.
- Doucement mon garçon, j’veux pas de problèmes. Très bien, céda-t-il, je vais vous montrer c’que j’ai, mais il faudra payer !
- Ce n’est pas un problème, le rassurai-je alors.
Il se retourna dos à nous pour ouvrir la grille permettant d’entrer dans sa forteresse.
- Laissez votre bête à l’extérieur, je vais envoyer des hommes le nourrir, mes dragons non plus ne veulent pas de problèmes, déclara-t-il en menant la marche à l’intérieur de son arène.
- Ramène-moi une dragonne de guerre, encouragea Ragnar à travers mon esprit vers Theo.
Ce dernier retourna son visage vers l’animal pour lui adresser un sourire en coin plein de malice. On n’était pas dans la merde.
L’élevage était naturel. Les dragons présents vivaient quasi naturellement à l’intérieur de l’immense enceinte, seulement protégés par la magie qui délimitait l’espace dans lequel ils pouvaient voler sans ne pouvoir quitter les lieux. L’arène en question se tenait sur des kilomètres, avec plaines, lacs et montagnes à disposition. Leur habitat naturel, en somme. Chacun posté un peu partout à l’intérieur de la muraille, ils ne semblaient pas se chercher des problèmes les uns aux autres. Il y avait des adultes, des adolescents, ainsi que des bébés. Et un peu partout, des hommes en tenues matelassées et masqués, contrairement aux gardes à l’entrée, travaillaient d’arrache-pied pour les nourrir.
- Vous craignez rien tant que vous restez à côté de moi, nous assura Fox Bitten en menant le chemin devant nous, la fumée de sa pipe s’étalant en un nuage derrière lui. Mais ne vous éloignez pas, et ne trainez pas non plus.
Theodore, autant que moi, était subjugué par le spectacle. Il y avait peu de dragons adultes près de l’entrée, mais il y en avait quelques-uns qui étaient jeunes. Uniquement des Magyars à pointes, de ce que j’en voyais. Ils étaient tous faits d’écailles noires.
- Ce sont des pures races ? demandai-je alors en suivant notre guide.
- Oui m’sieur, uniquement, répondit Fox en continuant sa marche. Certains font des croisements douteux pour le profit, mais moi j’fais ce métier par passion. Ça m’intéresse pas de jouer avec les créations déjà parfaites des Dieux, souffla-t-il avec sa pipe. Comme vous le voyez, continua-t-il d’expliquer sans avoir eu besoin d’être plus encouragé, ils sont élevés dans leur habitat naturel, c’est pour ça que je n’ai que des Mag. D’autres espèces nécessiteraient d’autres environnements pour grandir et évoluer convenablement.
- Ils ne se battent pas entre eux ? demanda alors Theo en regardant partout autour de lui, tout comme moi.
- Les Mag ? Nan, pas les trois quarts du temps, répondit le vieillard sans se retourner vers nous, ni s’arrêter dans sa course. Bien sûr, comme avec n’importe quelle espèce animale y a parfois des querelles hiérarchiques entre eux, mais ce sont globalement des animaux intelligents. Ils sont nourris et on prend bien soin d’eux, ils n’ont pas besoin de se battre pour des ressources, et ils sont habitués à vivre ensemble depuis qu’ils sont nés ici. Il faudra penser à sociabiliser le plus tôt possible votre Mag avec la jolie bête que vous avez dehors d’ailleurs, si vous voulez que ça se passe bien entre eux, nous prévint-il. Comment vous l’avez eu ? demanda-t-il finalement en tournant un peu le visage vers moi avant de regarder à nouveau devant lui.
Nous traversions des plaines enneigées, des montagnes désormais habitées par des dragons adultes sur notre droite, et un lac gelé désert sur notre gauche alors que les hommes de Fox travaillaient à en extraire de l’eau pour les dragons.
- Son œuf était dans ma famille depuis des années, lui appris-je alors sans pouvoir m’empêcher de dévorer des yeux les Magyars sur ma droite.
Certains étaient nettement plus gros que les autres. Leurs écailles noires étaient impressionnantes, et leur donnaient un côté autrement terrifiant que Ragnar. Si certains étaient plus petits que lui, ce n’était pas le cas de tous.
- Ah, vous connaissez donc le lien avec les dragons, commenta-t-il sans poser de question. C’est pour ça qu’il faut choisir un œuf, quand vous achetez un dragon. Au pire du pire un bébé qui vient de naître, j’en ai quelques-uns, si vous voulez les voir. C’est la seule solution pour avoir un bon lien avec votre dragon.
- On s’est mal comprit, le repris-je alors, nous ne sommes pas venus acheter un œuf ou un bébé. Il nous fait un dragon adulte.
Bitten s’arrêta dans sa marche et se retourna vers nous en riant à nouveau, sa pipe à la gueule.
- Nous sommes très sérieux, trancha un Theodore qui ne riait pas, lui.
- Non mais attendez, se reprit l’homme, c’est des dragons ! On ne se lie pas avec un dragon adulte comme ça ! La plupart des dragons adultes sont élevés et vendus pour le commerce de leurs écailles ou de leurs différents organes aux propriétés magiques, pas pour être chevauchés et s’affilier à des humains ! s’indigna le vieil homme ahurit.
- C’est pourtant pour ça qu’on est là, insista calmement Theo.
Le vieil homme demeura silencieux quelques secondes. Il porta finalement sa main à sa pipe et l’extrait de ses lèvres, sa bouche désormais entre-ouverte alors qu’il analysait d’abord le sérieux de Theodore, puis le mien. Il avait l’air de nous prendre pour deux fous inconscients.
- Si vous êtes sérieux, il n’y a qu’une seule façon de faire, et il y a de grandes chances que vous n’y surviviez pas, déclara-t-il finalement sans ne plus rire du tout.
- Ce n’est pas un problème, répliqua un Theodore au calme inébranlable.
Fox Bitten reporta sa pipe à sa bouche et tira dessus deux fois en sondant Theo avant d’expliquer :
- Pour se lier avec un dragon adulte, il faut en choisir un et réussir à le monter sans se faire tuer, ce que le dragon en question essayera de faire avec acharnement histoire de ne pas se retrouver lié et monté par le premier con d’humain chanceux mais incapable venu. Et si l’inconscient chanceux survit jusque-là, alors la connexion se fera uniquement si le dragon reconnaît l’humain comme étant capable, et… ce sont des Magyars les gars, tempéra l’homme. Ce sont les dragons les plus dangereux de toutes les espèces répertoriées connues. Un humain capable pour eux c’est…, comment dire, hésita-t-il, je ne suis pas sûr qu’il y en ait beaucoup sur cette planète, si vous voyez là où j’veux en venir ?
Je souriais à son dos. Oh, je voyais très bien ce qu’il voulait dire par là. Il se trouvait justement que j’avais à mes côtés un humain comme il n’y en avait pas beaucoup d’autres sur cette planète. J’échangeais un regard complice avec Theo.
- Le message est bien reçu Monsieur Bitten, le rassurai-je alors.
Il se retourna une nouvelle fois vers nous, ses bras frappant légèrement ses cuisses.
- Écoutez, vous m’avez l’air bien jeunes pour vouloir aller à la mort aussi connement, j’suis pas sûr de m’être bien fait comprendre. Ce sont des tueurs, ces bêtes-là ! s’exclama-t-il avec sérieux. Vous pensez peut-être que ce ne sera pas un problème parce que vous avez un dragon, mais ça n’a rien à voir, vous l’avez eu depuis qu’il est bébé ! C’est pas des lézards apprivoisés que vous allez avoir face à vous là ! Et pour en avoir un, il va falloir se battre avec lui pour pouvoir le monter ! continua-t-il en essayant de nous faire revenir parmi nous. Un dragon de l’espèce la plus dangereuse et agressive de toutes ! C’est pas mon problème si vous êtes assez cons pour ça, mais j’suis éthiquement obligé de vous prévenir que vous allez crever si vous faites ça ! Prenez un dragon adolescent, au moins ! tenta-t-il dans son désespoir. Dans quelques mois il sera adulte et vous aurez moins de chance de vous faire cramer ou bouffer !
Theodore regardait le ciel au-dessus de lui, ignorant royalement les dires de l’homme incrédule face à nous tandis que je souriais avec amusement. Il semblait attendre quelque chose qui venait, dans ce ciel encore vide qu’il observait.
- J’ai entendu dire que les femelles étaient plus grandes, plus agressives, et plus dangereuses que les mâles, ronronna presque Theo en fixant le ciel.
Et soudain, au-dessus de nous, un immense dragon qui faisait peut-être deux fois la taille de Ragnar vola. Il était si près que je pouvais voir chaque détail de ses écailles enfoncées sur son cou, son ventre, puis sur ses cuisses, puis sur sa longue queue pointue avec des pointes de bronze en son bout. Sa gorge gronda, comme un ronronnement alors qu’il passait sur nous, envoyant des ondes vibratoires dans chacun de nos corps sans nul doute avertis de sa présence. Quand il passa sur nos têtes, il plongea la nuit sur nous, son épais corps noir empêchant le soleil de nous atteindre, sa couleur et les détails de son corps imposant seulement reflétés par la blancheur de la neige sur laquelle nous marchions. Un bruit violent de rafale de vent boucha nos oreilles alors qu’il s’éloignait finalement de nous. Des frissons parcoururent mon dos. Je n’avais pas vu sa gueule, et pourtant c’était le dragon le plus terrifiant que je n’avais encore vu. Le vieil homme avait les yeux levés vers le dragon qui venait de passer au-dessus de nous, lui aussi.
- Oui, c’est vrai, murmura-t-il en observant le dragon qui s’éloignait de nous.
Theodore avait un sourire en coin ancré sur ses lèvres pulpeuses.
- Ça sonne juste comme mon genre, déclara mon frère avec une langueur brûlante.
L’homme avait fini par céder, et avait réuni tous ses dragons adultes dans une partie des montagnes pour que Theo puisse effectuer son choix. Une partie des hommes qui travaillaient pour Fox Bitten s’étaient joints à nous pour le spectacle, n’ayant pas souvent l’occasion d’observer un fou inconscient tenter de s’approprier un dragon adulte. Ils pariaient tous, non pas pour savoir si Theo parviendrait à avoir un dragon, mais sur le nombre de minutes qu’il tiendrait avant de se faire tuer par l’un d’entre eux. Nous étions rassemblés sur le haut d’une montagne qui permettait d’avoir une vue d’ensemble sur l’arène de jeu de mon frère, et j’étais le seul à avoir parié sur lui. J’allais me faire des couilles en or grâce à eux.
- 1000 gallions à chacun d’entre vous si mon ami ne se lie pas avec un dragon, avais-je offert avec un sourire en coin déjà vainqueur.
Je n’avais pas le moindre doute sur lui. Ils avaient tous ri à cœur joie, et avaient accepté le pari. Je m’étais montré généreux, et leur avait proposé de ne me payer que 100 gallions chacun s’ils perdaient. Je me doutais qu’aucun d’entre eux n’avait 1000 gallions sur lui à parier.
- Si ton ami parvient à se lier à un dragon, m’avait dit Fox, je vous le laisse pour 10 000 gallions.
C’était un gros pari pour lui également, le prix d’un dragon adulte vendu en morceaux pouvant facilement atteindre jusqu’à 50 000 gallions.
- Je vais te plumer vieillard, l’avais-je alors charrié.
Il m’avait rendu mon sourire et nous nous étions positionnés tous deux au bord de la montagne pour la meilleure vue. Sous nous, les Magyars adultes plus énormes et menaçants les uns que les autres étaient disposés de part et d’autre dans une arène naturelle dessinée par la magie de Fox. Certains étaient sur les rochers de la montagne, d’autres posés tranquillement dans les plaines enneigées. Ils détonnaient tous du paysage blanc par leur immensité et leur noirceur intense. Theodore se tenait un peu en dessous de nous, jaugeant les dragons avant de se lancer.
- Fais-leur fermer leurs grandes gueules, lançai-je à mon frère à travers notre lien.
Son visage se tourna sur le côté dans ma direction, un sourire en coin malicieux étirant le bord de sa bouche. Dos à nous, il retira finalement son long manteau noir, dévoilant la musculature de son dos large sous le col roulé de la même couleur qui moulait ses muscles. Il laissa le vêtement rencontrer lassement le sol, sa baguette à l’intérieur de celui-ci.
- Il ne compte pas prendre sa baguette ? m’adressa le propriétaire des lieux.
Je ne lâchais pas mon frère des yeux, et le sourire qui adornait mon visage ne s’évanouit pas non plus.
- Il n’en aura pas besoin, répliquai-je avec anticipation.
Sur le bord de son rocher, Theodore s’accroupit, une main sur le sol alors qu’il inspectait les dragons devant lui. Ses cheveux aussi noirs que les écailles des dragons volaient dans le vent, leur ton sombre contrastant avec la blancheur de la neige. Lentement, son visage alla de sa gauche à sa droite en une inspection méticuleuse de chacun des dragons qu’il avait face à lui. Soudain, son crâne cessa de pivoter, sa cible semblant repérée. Je ne parvenais pas encore à voir quel dragon il avait choisi, plusieurs d’entre eux étant dans la direction dans laquelle il semblait regarder. Son dos s’élargit avec une inspiration profonde, puis finalement, il s’élança.
Il utilisa sa main au sol pour se propulser en se faisant glisser de tout son long sur la neige de la montagne et dévala sa longue pente sur le dos. Il s’accrocha à une pierre rocheuse de cette même main pour donner plus d’élan à son corps allongé qui glissait encore le long de cette montagne, la neige s’étalant et voltigeant sous son passage. Comme s’il contrôlait son corps telle une luge, il évita les pierres pointues, les creux dangereux ou les trous béants, et déviait sa course de la force de ses muscles abdominaux. Lorsqu’il arriva à un mètre du sol il bondit en avant, se roula en boule alors que son corps était propulsé dans les airs, et termina sa roulade en atterrissant majestueusement sur le sol. Il ne perdit pas un quart de seconde avant de se mettre à courir dans la neige à travers une plaine. Il évita un dragon sur sa droite qui grognait en sa direction en posant une main sur le sol, déviant sa course en balançant ses jambes devant lui à même le sol avant de se redresser et de continuer sa course frénétique, ses yeux concentrés rivés face à lui sur la cible qu’il avait choisie. Certains dragons commencèrent à remarquer sa présence notable, et tournèrent leurs gueules imposantes vers lui. Mais la seconde d’après, mon frère n’était plus là où ils l’avaient vu.
- C’est quoi ce truc, c’est un shinobi* ton pote ou quoi ?!
*terme traditionnel japonais signifiant « se faufiler », désignant ceux qui sont aujourd’hui modernement appelés les Ninja.
Mon sourire en coin ne trouva toujours pas raison à s’éteindre sur mon visage, mais je gardais toute mon attention rivée sur mon frère. Il continuait sa course effrénée, traversant désormais une partie du lac gelé sur ses appuis solides. Un dragon visiblement en colère de sa présence, au moins quatre fois plus grand et imposant que lui, de l’autre côté du lac, prit une profonde inspiration que Theo ne manqua pas de noter. A l’instant où le dragon ouvrit la gueule pour cracher son feu meurtrier, Theodore s’allongea sur le lac gelé et se laissa glisser de tout son dos sur la glace, passant sous les jeunes flammes qui n’avaient pas eu le temps de l’atteindre grâce à sa capacité de déduction hors norme. Avec une habilité inhumaine, mon frère se releva et reprit sa course plus rapidement encore, atteignant finalement de nouveaux rochers montagneux face à lui. Je devinais finalement sa cible.
- Ce dragon, là-bas, adressai-je alors à Fox Bitten, ce n’est pas celui qui a volé au-dessus de nous tout à l’heure ?
Le vieillard, sa bouche entre-ouverte alors qu’il observait attentivement le spectacle que nous offrait mon frère, acquiesça silencieusement. C’était sans conteste le Magyar le plus gros et le plus terrifiant qu’il possédait.
Theo se jeta et s’agrippa à un rocher face à lui, grimpant dessus tel un animal, sautant de rocher en rocher, courant et zigzaguant entre les roches dangereuses, s’agrippant et s’élançant comme si c’était là son environnement naturel. Il courra à grandes enjambées le long d’un chemin bien trop étroit pour n’importe quel autre être humain à une dizaine de mètres du sol désormais, ses yeux face à lui et non pas dans le vide sous lui. Sans amoindrir la vitesse terrifiante de sa course, il s’accrocha à un bout de roche au-dessus de lui et fit balancer ses jambes au-dessus de sa tête pour y grimper avant de s’élancer et de courir à toute vitesse face au dragon qu’il avait choisi.
- C’est Sekhmet, souffla le vieil homme à côté de moi. Ton ami n’a pas la moindre chance avec elle, chuchota-t-il presque, ses yeux grands ouverts en la direction de mon frère.
J’aurai pu avoir peur pour lui comme lorsque nous étions enfants et qu’il prenait le moindre minime risque, mais la vie et le frère que cette vie m’avait donné m’avait appris avec le temps que le malade mental qu’il était, était tout simplement l’enfoiré le plus fort de cette planète. Alors que Theodore s’approchait de la dragonne à toute vitesse, elle tourna finalement sa gueule directement vers lui. Je ne pouvais mentir et affirmer que mon cœur ne s’était pas mis à battre plus violemment dans mon poitrail face à cette vue. Theodore, tout de noir vêtu, courrait comme un détraqué sur la montagne enneigée en direction de la plus énorme bête noire que je n’avais vu de ma vie, sa grosse gueule et ses yeux jaunes tout droit dirigés sur lui. Comme s’il n’était pas assez terrifiant de la sorte, l’animal avait une importante cicatrice qui découpait la peau au-dessus et en dessous de son œil gauche.
- Qu’est-ce qui lui est arrivé pour avoir cette cicatrice ? demandai-je alors à son propriétaire.
Absorbé par mon frère qui se ruait à toute vitesse sur le dragon, Fox ne tourna pas les yeux une seule seconde vers moi alors qu’il se penchait en avant pour mieux voir, me répondant absentement à mi-voix :
- Elle s’est battue avec la cheffe de famille pour être au sommet de la hiérarchie alors qu’elle n’était encore qu’adolescente.
Je regardais le dragon en question. Elle était plus grosse et plus terrifiante que tous les autres.
- Elle a perdu ? continuai-je de m’intéresser alors.
Le vieillard fit non de la tête.
- Non, elle s’en est tirée avec seulement ça, cette cicatrice.
- Qu’est-il arrivé à l’autre ?
Fox avala distinctement sa salive alors qu’il ne pouvait lâcher mon frère, ce fou, des yeux.
- Elle l’a réduite en morceaux. L’autre est morte. Je n’ai rien pu en tirer.
Je regardais mon frère foncer sur elle. S’il avait choisi Kira pour sa similarité avec lui dans sa façon de se replier en boule dans un coin sombre quand il était enfant, il avait choisi Sekhmet pour sa similarité avec lui dans sa façon de pouvoir dominer et exterminer le monde entier en tant qu’adulte, s’il le souhaitait.
Theodore bondit sur le rocher, se lançant avec une audace démesurée sur la queue de l’imposant dragon noir niché au sommet de la montagne enneigée. L’immense créature tourna brusquement la tête, un grondement sourd s’échappant de sa gueule béante, ses crocs luisants étincelant dans le soleil hivernal. Tandis que le dragon menaçait de refermer ses mâchoires sur lui, Theodore s’élança le long de sa queue écailleuse, les bras écartés pour maintenir son équilibre sur la surface instable. D’un mouvement puissant, le dragon fit claquer sa queue contre le sol, envoyant Theodore dans les airs, suspendu un instant dans le bleu éclatant du ciel.
Il retomba habilement accroupi sur le bas du dos de la bête, ses bottes crissant contre les écailles noires luisantes. Le dragon, furieux, ramena sa gueule massive vers lui et déploya un torrent de flammes incandescentes. Theodore évita le brasier d’un bond agile, courant avec une détermination féroce le long du ventre de la créature, ses pas frappant le cuir tendu comme un tambour de guerre. Grimpant avec agilité sur la colonne vertébrale du monstre, il progressa à une vitesse fulgurante. L’animal désormais incapable de l’atteindre physiquement battit ses ailes gigantesques et s’éleva dans les airs dans une tempête de vent et de neige tandis que mon frère se jetait à son cou. Theodore, agrippé fermement à la base du cou du dragon, tint bon malgré les virages brutaux et les spirales infernales qu’effectuait la bête pour le désarçonner. Dans un ultime effort, le dragon effectua une vrille complète mais Theodore ne relâcha pas sa prise, ses doigts ancrés dans les écailles comme des griffes, ses jambes venant s’enrouler autour de cet énorme cou qu’il serrait de toutes ses forces. Avec un rugissement qui fit trembler la vallée, la créature bascula violemment en arrière, s’écrasant sur la glace du lac gelé dans une cacophonie terrifiante. La glace éclata sous l’impact, envoyant des éclats dans toutes les directions tandis que l’eau glaciale submergeait Theodore. Pourtant, il réapparut presque immédiatement alors que l’animal se retournait à nouveau, accroché entre les ailes de la bête, ayant glissé le long de son flanc dès qu’il eut compris sa manœuvre, ayant évité d’être broyé par l’impact en se protégeant entre les ailes du monstre.
- Bien essayé, tonna la voix grave de mon frère vibrant d’une assurance provocante, mais c’est pas assez ! Arrête de me manquer de respect et donne-moi tout c’que t’as ! le défia-t-il avec force.
Le dragon, les yeux étincelants de rage, sembla hésiter un instant avant de déployer à nouveau ses ailes colossales. Il reprit son envol avec une majesté sombre, plongeant et tournoyant dans les airs pour se débarrasser de son assaillant. Mais Theodore défiait les lois de la gravité et demeurait solidement cramponné.
- C’est pas assez ! hurla la voix défiante de mon frère. ALLER ! s’écria-t-il, sa voix résonnant comme un coup de tonnerre.
Furieux, le dragon se jeta contre la paroi escarpée de la montagne dans un fracas titanesque. Des roches éclatèrent, chutant en pluie autour d’eux, mais Theodore, tel un esprit indomptable, ne fléchit pas. L’animal répéta sa manœuvre, heurtant la montagne avec une violence renouvelée sans parvenir à désarçonner son adversaire.
- ALLER ! nargua encore mon frère alors que l’animal reprenait de l’élan dans les airs.
Autour d’eux les autres dragons effrayés par la confrontation s’éloignèrent dans un battement chaotique d’ailes. Dans un dernier acte de désespoir, le dragon s’écrasa à nouveau de tout son poids contre la paroi, brisant des blocs de pierre gigantesques. Un épais morceau de roche s’écroula directement sur eux, blessant le dragon lui-même en s’éclatant sur son dos, mais la bête ne s’enfuit pas, laissant ce morceau de roche s’écraser sur lui. Cette fois, lorsqu’il s’écarta enfin, Theodore avait disparu de son dos ensanglanté.
Un frisson glacé parcourut mon échine alors que mes yeux parcouraient anxieusement les débris et la neige tourbillonnante à sa recherche. Je finis par l’apercevoir, accroupi sur le bord d’une corniche rocheuse, le visage maculé de sang, mais ses yeux étincelant d’une détermination inébranlable. Lentement, il se redressa, faisant face au dragon à même le sol. L’imposante créature se tint immobile, ses pupilles écarlates fixées sur l’homme qui se tenait devant elle. Un grondement guttural monta de la gorge de la bête, et là, quand bien même je ne pouvais pas le voir distinctement, j’aurais jugé voir dans l’éclat éblouissant du soleil un sourire en coin se dessiner sur le visage de mon fou de frère.
Le dragon ouvrit sa gueule dans un rugissement incandescent, projetant une vague de flammes titanesques. Il ne put atteindre Theodore qui s’élança dans les airs d’un saut prodigieux au-dessus du brasier, son propre cri guerrier vibrant tranchant à travers le chaos du bruit des flammes. L’une des deux créatures colossales qui s’affrontaient-là était un véritable monstre, et cette créature n’était pas le dragon. Theodore atterrit avec une précision incroyable sur le museau de l’animal, ses bottes s’enfonçant légèrement dans les écailles fumantes.
Une pause suspendit le temps. Theodore, debout sur le museau du dragon, reprenait son souffle, les deux adversaires se jaugeant dans un silence solennel alors qu’ils demeuraient tous deux immobiles. Les narines de la dragonne s’écartaient et se refermaient alors que de la fumée en sortait, ses yeux jaunes rivés sur mon frère qui lui faisait face. Puis, lentement, majestueusement, le dragon abaissa sa tête jusqu’à toucher le sol enneigé. Theodore sauta dans la neige tandis que l’immense créature se couchait finalement devant lui, soumise, ses ailes repliées pour sceller son allégeance. Couchée devant son maître.
Un sourire éclatant se dessina sur mes lèvres. Tandis que je me tournais vers les hommes aux visages ahuris autour de moi, je déclarai avec satisfaction :
- Payez vos dettes, messieurs.
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J'espère que ce chapitre t'auras plu <333
A bientôt,
Liv