Dollhouse

Chapitre 49 : Le Supplice de la Croix

24017 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/11/2024 17:06

Avant que je ne m’en rende compte, nous avions transplané dans la grotte de Voldemort. L’air était glacial. Tous ceux qui avaient été présents pour la remise de nos Masques ainsi que dans la Maison de Joie étaient présents. Il n’y avait pas un bruit dans l’assemblée malgré le nombre de personnes présentes. Blaise se redressait difficilement alors qu’il était fermement tenu par le bras épais de Theo. Je pouvais entendre mon cœur battre violemment dans mes oreilles. Les membres qui étaient devant nous s’écartèrent de chaque côté pour nous laisser en ligne de mire. Le Seigneur des Ténèbres était dos à nous, au centre du cercle dessiné par les Mangemorts dans la salle de réception que j’avais conçue pour lui. La surprise des événements ne m’avait pas encore permis de remonter mon mur. J’étais encore trop facilement déstabilisé. Lentement, le mage noir se retourna vers nous, son visage baissé et sa voix tranchante : 

-       Il a été porté à ma connaissance qu’une personne parmi vous s’est permise de m’insulter en propageant des mensonges à mon propos. 

Mon cœur cessa de battre. Lorsqu’il fut intégralement retourné face à nous, ses yeux rouges s’enfoncèrent durement sur Blaise. 

-       Des rumeurs semblent circuler à propos des événements qui se sont déroulés suite à la mort d’Albus Dumbledore, reprit-il en laissant ses yeux reprendre leur course sur les membres de son armée. 

Il allait mourir. Il s’apprêtait à tuer Blaise pour en faire un exemple face à tous les autres pour asseoir son histoire mensongère et son autorité. Mes oreilles bourdonnaient. 

-       Des rumeurs qui racontent que j’aurai volontairement laissé Theodore Nott tuer des nôtres avant de lui attribuer plus de responsabilités dans les rangs, sans qu’il n’y ait eu de traîtres parmi nous... Ces rumeurs sont fausses, appuya-t-il gravement. Les seules paroles que vous devez croire sont celles que moi, votre Maître, je vous ai rapporté plus tôt ce soir. Je me doute que la personne qui a laissé courir ce mensonge souhaitait asseoir un certain pouvoir sur vous tous en se faisant paraître pour plus puissante qu’elle ne l’est réellement, peut-être par peur de certains d’entre vous, enchaîna-t-il plus calmement. En ce faisant, cette personne a manqué de respect à ceux qui ont perdu la vie en combattant les traîtres, vous a tous manqué de respect à vous en vous mentant ostensiblement, et pour finir a cruellement manqué de respect à mon intelligence. Un tel affront ne peut être toléré, déclara-t-il avec force en transcendant une nouvelle fois Blaise du regard. 

Il fallait que je me reprenne. Il fallait que je me contienne. Il fallait que je parvienne à retrouver, puis à conserver mon sang froid ; j’étais le Grand Intendant en devenir, et c’était peut-être la seule chose qui pouvait sauver la vie de mon ami en cet instant. Il fallait que je devienne le Grand Intendant, et que je le protège. Lui et tous les autres. Si en cet instant Drago ne faisait que paniquer pour la vie de son ami qu’il aimait et qu’il ne savait comment aider, j’avais besoin que le Grand Intendant parvienne à reprendre le contrôle de mon être, et qu’il trouve une solution. Et j’en avais besoin immédiatement. Je tentais d’inspirer profondément par le nez mais le regard assassin que portait le pire mage noir de tous les temps sur mon ami ne me permit pas le luxe de calmer ma terreur. Un regard volé sur ma droite m’apprit que le bras de Theodore tenait toujours fermement Blaise à côté de lui. 

-       Puisqu’il vous a manqué de respect à tous, reprit le Seigneur des Ténèbres, il me semble approprié que vous soyez dédommagés personnellement. 

Le sorcier élança son bras en un mouvement circulaire au-dessus de lui tandis qu’il fit apparaître dans un bruit de vacarme une immense et épaisse croix en bois qui retomba droite et debout contre le mur de pierre de la grotte qui nous accueillait. Mon cœur battit plus violemment encore dans mon poitrail. J’avais entendu des histoires à propos de cette croix. La foule de Mangemort, elle, s’impatientait avec hâte en des acclamations effrénées. Je ne pus me retenir de tourner complètement le visage sur ma droite. Blaise portait le sien bas, et Theodore rencontrait mes yeux. Ses traits étaient aussi fermés et déterminés qu’ils pouvaient l’être. L’inquiétude que je devinais être lisible sur mon visage n’existait pas sur le sien. 

-       Reprends-toi, ordonna sa voix ferme à l’intérieur de mon esprit. 

La force dont j’étais témoin chez lui, et que je ne trouvais pas chez moi, invitait une partie de moi à désirer se mettre en boule dans un coin, et pleurer jusqu’à ce qu’il règle le problème pour nous, comme il le faisait toujours. Je le regardai, les larges naissant dans mes yeux, et ne pouvait m’empêcher de songer à quel point j’aurai voulu que ce soit lui, le Grand Intendant. A quel point j’aurai voulu pouvoir me dire qu’il allait gérer. Que quand bien même cette situation m’aurait provoqué une anxiété sans nom, au fond, j’aurai su qu’il allait gérer, parce qu’il le faisait toujours. En cet instant, j’aurai tout donné pour qu’il soit à ma place, et que je puisse me rassurer en me disant que c’était Theodore, et que tout irait bien, parce qu’il ferait exactement ce qu’il fallait. 

-       Drago, me somma-t-il gravement, reprends-toi. Tu es le Grand Intendant, me rappela-t-il en m’ôtant toute autorisation d’attendre qu’il gère la situation pour moi. Et un de tes soldats vient de trahir ton Maître, ajouta-t-il sur un ton si froid que des frissons parcoururent mon dos. 

-       Le Supplice de la Croix me semble approprié pour ce menteur, déclara alors le mage noir qui était acclamé par les siens. 

Mais je ne voyais que Theodore et le sérieux ancré sur son visage alors qu’il venait de me dire des mots que je peinais à croire. « Un de tes soldats vient de trahir ton Maître ». M’incitait-il vraiment à la haine et la violence envers Blaise ? Envers notre ami depuis notre enfance ? Était-il réellement en train de me suggérer de me montrer inflexible envers celui avec qui nous avions partagé notre vie depuis tout ce temps ? Je cherchais dans ses yeux le moindre signe que j’avais halluciné les mots qui étaient parvenus à mon esprit sans ne parvenir à en trouver un seul. 

-       Que le fabulateur s’avance ! ordonna le Seigneur des Ténèbres en tournant son regard de rubis sur mon ami pendant que les autres l’encourageait de cris gutturaux. BLAISE ZABINI ! le nomma-t-il finalement avec rage. 

Un dernier souffle pénétra jusqu’à mes poumons alors que la prise que Theodore avait sur Blaise se raffermit une dernière fois avant de le pousser violemment au centre du cercle formé par les Mangemorts face à la croix qui était dressée pour lui. Mon cœur se brisa une nouvelle fois de témoigner de la façon dont mon frère venait de lancer dans la fosse aux serpents cet ami que nous aimions. Je savais que s’il l’avait fait, c’était qu’il n’y avait aucune autre solution à ses yeux. Blaise fut hué avec véhémence par l’assemblée alors qu’il titubait face à notre Maître. 

-       Pathétique, pesta le Seigneur des Ténèbres devant l’état de notre ami. 

Puis d’un mouvement de baguette, il lévita le corps de Blaise, son regard cherchant avec angoisse à trouver Theo et moi, jusqu’à ce qu’il soit positionné sur la croix qui reposait contre le mur de la grotte, face à tous les partisans en colère. J’entendais mon cœur battre en une violente frénésie rythmique dans mes oreilles. Je soutenais le regard de Blaise sans pouvoir contrôler mon visage qui faisait « non » de la tête, désolé dans l’impuissance dans laquelle j’étais. Mon ami allait être assassiné. 

-       REPRENDS-TOI ! gronda mon frère à l’intérieur de moi, me faisant sursauter par la force de son ordre. 

Je tournais à nouveau des yeux perdus vers son visage impassible alors que les autres continuaient d’huer notre ami, les sons effrayants qu’ils faisaient se mêlant avec les battements insolents de mon cœur. Je cherchais dans le bleu azuré de ses yeux la solution à nos problèmes. J’y cherchais ce qu’il attendait de moi. J’y cherchais ce que je devais faire, m’abandonnant complètement et intégralement à son jugement parce que je ne comprenais pas ce qu’il m’ordonnait de faire. 

-       Qu’est-ce que je dois faire ? m’entendis-je lui demander, tel un enfant, à travers notre lien. 

Les soudain cris de douleur de Blaise arrachèrent mon regard de Theo pour découvrir que le Seigneur des Ténèbres enfonçait du bout de sa baguette d’épais clous dans chacune de ses mains qui saignaient désormais. Ses bras étaient ouverts sur chaque côté de la Croix alors qu’il était désormais cloué à celle-ci, ses jambes pendant dans le vide tel un martyr. Une nausée subite monta en moi tandis que Theodore me guidait : 

-       Remontes tes murs, maintenant, trancha-t-il sèchement. Il ne va pas le tuer, affirma-t-il avec conviction. Mais tu es le Grand Intendant, et une des personnes sous ta responsabilité vient de trahir ton Maître. Et toi, il te tuera si tu ne te montres pas convaincant. Alors reprends-toi sur le champ, me pressa-t-il avec ferveur. 

Et je fus confronté, une fois de plus, à la facilité avec laquelle mon frère était capable de faire l’indicible pour nous. Pour moi. La facilité avec laquelle il parvenait à garder son sang-froid et son esprit éclairé en toutes circonstances. Et j’étais confronté, une fois de plus, à la difficulté avec laquelle je ne parvenais pas à être ne serait-ce que le quart de l’homme qu’il était. 

-       Qui veut s’offrir l’honneur de commencer ? questionna le mage noir son assemblée avec un sourire sadique sur ce qu’il restait de son visage. 

Un brouhaha violent d’hommes et de femmes excités par l’occasion rêvée qu’il leur offrait là retentit alors que Cyprus Maxwell bravait la foule pour s’imposer au centre du cercle. L’enfoiré se tourna vers Theo et moi un instant et nous adressa un large sourire vainqueur sur son visage fin. C’était lui. Il était certain que c’était lui qui avait balancé au Seigneur des Ténèbres. La rage bouillonnait dans mes veines quand il tourna son visage ravi vers notre ami cloué au-dessus de lui. 

-       Qui c’est qui tient qui par les couilles maintenant ? se délecta-t-il du pouvoir qu’il avait sur lui avant de lever sa baguette vers son corps. 

D’un mouvement encourageant d’une main, notre Maître le laissa ouvrir les hostilités. 

Le Supplice de la Croix était un châtiment réservé aux Mangemorts. Ceux qui étaient punis de la sorte étaient ceux que, en général, le Seigneur des Ténèbres laissait vivre, quand bien même l’humiliation qui suivait ce Supplice ne laissait plus espérer un quelconque respect, ni une quelconque carrière notable dans les rangs. Le Supplice de la Croix invitait chaque Mangemort présent au moment de la punition à blesser physiquement (et publiquement) à sa convenance le Mangemort accusé de faute. Je regardai autour de moi. Nous étions trop nombreux. Peut-être une quarantaine. Si le projet du Seigneur des Ténèbres était de laisser chacun de ses serviteurs présents punir Blaise, il n’y survivrait pas. Mon dernier souffle m’échappa quand Maxwell prononça, un sourire épais aux lèvres : 

-       Sectumsempra !

Les cris de douleur de Blaise remplirent la grotte alors que son corps était lacéré en des coupures tranchantes éparses. Je ne contrôlais pas le choc qui entre-ouvrit mes lèvres, ni les larmes qui montèrent à mes yeux. Les vêtements de Blaise se déchirèrent un peu partout sur son poitrail, des taches de sang décorant son torse en se répandant et coulant sur son corps. Commencer par un sectumsempra alors qu’une quarantaine d’autres suivraient était une condamnation à mort. Mon ami se serait vidé de son sang avant le vingtième. Et alors que je regardais de mes yeux embués mon ami, son visage pendant douloureusement sur son torse alors qu’il était cloué, hurlant et saignant sur cette croix que notre Maître avait dressée pour lui, Maxwell se retourna vers nous avec un immense sourire sur les lèvres avant de s’écarter pour laisser la place au prochain. La seconde suivante, je revoyais le petit Blaise de dix ans à peine sous mes yeux sans parvenir à comprendre ce que faisait mon esprit. 

L’écho de ses cris accompagnaient mes souvenirs alors que je le revoyais dans le jardin Malefoy, avant notre première rentrée à Poudlard. Le soleil brillait et les oiseaux chantaient. Theodore était encore très timide auprès de qui que ce soit d’autre que moi, et il ne s’était pas encore acclimaté à la présence du petit Blaise à nos côtés. Et quand bien même il était évident pour qui que ce soit qui le croisait que Theo n’était pas un petit garçon comme les autres, Blaise ne l’avait jamais traité différemment des autres. Ce jour-là, il avait mis dans les mains du petit Theo un balai volant après avoir fait une démonstration athlétique de ce qu’il savait faire. 

-       Tiens, vas-y ! l’avait-il encouragé avec entrain, un large sourire aux lèvres comme s’il ne risquait rien à voler sans ne plus toucher le sol. 

Theodore avait hésité, et moi j’avais eu très peur qu’il se fasse mal, mais il s’était saisi du balai, et il l’avait monté. Très maladroit au début, il avait tangué de droite à gauche avant de rapidement trouver son équilibre, et alors qu’il s’élevait doucement dans les airs, Blaise l’avait applaudi à cœur joie et l’avait encouragé d’hurlements empleins de fierté. Et je l’avais regardé, ce Blaise qui avait intégré notre duo, du haut de mes dix ans, et je n’avais pu empêcher ni le sourire qui s’était dessiné sur mes lèvres, ni la chaleur qui avait traversé mon torse alors que je voyais cet autre enfant encourager sincèrement mon frère. Celui dont je cherchais à prendre soin plus que quoi ce soit d’autre au monde. Cet enfant qui devenait notre ami et qui acclamait sincèrement mon frère. Cet ami qui avait mérité ma confiance et mon respect quand il avait participé à l’émancipation de mon frère, quand bien même je ne lui avais rien demandé, mais simplement parce qu’il était ce genre de personne. 

En un clignement de cils, je me retrouvais face au corps cloué de cet ami devenu grand et fort, saignant devant moi alors qu’un autre Mangemort s’approchait vers lui. Je peinais à contrôler ma respiration alors que mon esprit m’entraînait plus loin dans notre histoire. 

Après plusieurs essais, le petit Theo avait pris de plus en plus de hauteur sur ce balai, et se risquait à de plus en plus de cascades. Je le surveillai tandis qu’il goûtait pour la première fois au goût du vol, et avertissais doucement notre nouvel ami : 

-       Tu sais, Theo n’est pas comme tout le monde, lui avais-je alors dit. Il faut y faire attention quand tu parles et quand tu joues avec lui, l’avais-je prévenu avec un sourire attendri. 

Il m’avait regardé, de ses beaux yeux marrons en amande déjà rieurs. Il m’avait souri tendrement, lui aussi, puis il avait reporté son regard sur Theodore, en l’air faisant des galipettes au-dessus de nous, et m’avait doucement demandé : 

-       Tu penses que j’avais pas remarqué ? 

Il m’avait regardé à nouveau et n’avait pas perdu son sourire quand il avait déclaré du haut de ses dix ans avec une douceur que je rencontrais chez lui pour la première fois : 

-       C’est justement parce que je le traite comme tout le monde qu’il va pouvoir se développer comme tout le monde. 

Les hurlements de douleur qui s’échappèrent de ses lèvres alors que le Mangemort suivant lui avait lancé un expelliarmus me ramenèrent dans le présent. Les taches de sang sur son corps s’étendaient à vue d’œil. Et le Mangemort volontaire suivant s’avançait alors que le précédent s’écartait. 

-       Bordel reprends-toi Drago, me pressa un Theo qui, à s’y méprendre, était anxieux dans mon esprit alors que je retournais dans le passé sans vraiment le contrôler. 

J’avais été interpellé par ce qui me semblait être une justesse surprenante de la part de ce petit Blaise alors que je témoignais de l’amusement rare que prenait Theo sur ce balai en virevoltant au-dessus de nous. Je m’étais délecté de ce spectacle avec lui, l’innocence que je lisais sur le visage du petit Theo était si belle qu’elle m’avait donné envie de pleurer. Ce moment était parfait. Mais alors qu’il était en train de redescendre vers nous, le balai se prit dans une de nos haies, et Theo roula en tombant à nos pieds. Mon cœur s’était mis à battre violemment dans mon poitrail et une panique que je ne ressentais encore qu’en ce qui concernait Theo s’était éveillée en moi à l’idée qu’il se soit fait mal, quand soudain le rire exalté de Blaise avait retenti dans mes oreilles. Le petit Theodore, tombé sur le sol, avait levé ses grands yeux bleus pour la première fois vers notre nouvel ami, et l’avait regardé avec incrédulité. Et subitement, Theo se mit à rire, lui aussi. Je le regardai de mes deux yeux grands ouverts tandis que la panique s’éteignait doucement en moi au rythme de son rire. Et finalement, j’avais ri avec eux. Ce jour-là, Theodore n’avait pas pleuré d’être tombé, et je savais déjà, du haut de mes dix ans, que c’était grâce à la réaction que Blaise avait eue, et pour lequel j’étais pour la première fois d’une longue liste qui suivrait, incroyablement reconnaissant.

Mes yeux étaient embués alors que j’étais confronté à la Mangemort qui prenait désormais face à Blaise sur sa croix. Elle leva sa baguette vers son corps déjà abusé, et lança un aguamenti en sa direction. De l’eau jaillit de sa baguette pour rencontrer sa bouche qui peinait déjà à respirer, et le noya jusqu’à ce qu’il s’étouffe en une toux violente avant de céder sa place au suivant avec un sourire satisfait. Tous les autres acclamaient ce déferlement de violence envers mon ami. 

Je me rappelai la cérémonie d’entrée à Poudlard, quand le Choixpeau avait sellé notre destin à tous. Nous étions tous les trois les uns à côté des autres, moi entre Theo et Blaise. Je tenais discrètement la petite main anxieuse de mon frère alors que j’allais être appelé le premier. Je savais qu’il avait peur d’être séparé de moi. 

-       T’es un Serpentard, lui avais-je chuchoté pour le rassurer. 

Je me rappelai que sa main était moite dans la mienne. 

-       Et si je l’étais pas ? m’avait-il murmuré anxieusement en retour. 

-       Alors on te traitera comme de la vermine à chaque fois qu’on te croisera dans les couloirs, avait chuchoté Blaise en tournant un regard malicieux vers mon frère, accompagné d’un sourire en coin qui laissait transparaître l’humour dissimulé dans ses mots. 

Et Theodore avait discrètement ri. Lorsque j’avais été appelé, j’avais serré sa main une dernière fois dans la mienne, et alors que je m’étais installé sur le tabouret de bois pour recevoir la Maison que je savais déjà être la mienne, j’avais regardé Blaise se rapprocher doucement de Theo. Il m’avait adressé un clin d’œil complice qui m’avait valu un sourire que je n’avais pu retenir parce que j’avais su alors que quelqu’un d’autre serait aux côtés de mon frère, les rares fois où moi je ne pourrais pas y être. 

Blaise toussait encore avec difficulté sur la croix, sa tête pendant lassement sur son torse de plus en plus ensanglanté alors que les maléfices sur lui s’enchaînaient. Le Mangemort suivant lui lança un levicorpus, et lentement ses jambes se soulevèrent, suivies du reste de son corps, alors qu’il hurlait de douleur tandis que les clous s’enfonçaient plus profondément dans ses mains qui se soulevaient à leur tour. Le sadique cessa son sortilège juste avant que les clous ne traversent intégralement ses paumes, s’assurant qu’il reste à sa place, humilié et à notre merci à tous. 

Ses abominables hurlements de douleur retentissaient encore dans mes oreilles quand je me rappelai notre première année, lorsqu’Edna Beauregard, alors en deuxième année et élève de notre propre maison, avait critiqué Pansy devant lui. 

-       Mais qu’est-ce qui va pas chez toi pour que tu veuilles trainer qu’avec des garçons ? 

La colère montante était lisible sur les traits de la petite Pansy qui s’apprêtait à lui répondre de la façon sanglante qui lui était caractéristique quand Blaise la devança en adressant à Edna un large sourire : 

-       Par Salazar Beauregard, t’es tellement verte de jalousie que t’en deviens laide, s’était-il moqué d’elle avec la désinvolture qui lui était propre. 

Pansy avait alors tourné des yeux brillants vers Blaise, dans lesquels l’amusement avait remplacé sa colère bouillonnante. Et pour la première fois Pansy était rentrée dans le jeu de Blaise, et avait enchaîné avec le même sourire insolant :

-       Ben qu’est-ce qui t’arrives Edna ? Tu ressembles à un putain d’lutin de Cornouailles, avec tes gros yeux globuleux choqués comme ça. 

Et Blaise avait tourné un regard rieur vers la petite Pansy avant de reporter ses yeux pleins de jugement sur Edna en riant : 

-       Un lutin de Cornouailles ? Tu veux plutôt dire un troll des montagnes avec ces énormes oreilles décollées, oui ! s’était-il exclamé en riant. 

Edna Beauregard avait reçu pour la première fois le revers de la médaille et l’accusait avec une moue pincée tandis que Blaise passait son bras autour des épaules de Pansy, cette dernière adressant un doigt d’honneur bien senti à son adversaire avant de se laisser guidée par Blaise qui la sortait de là en riant de bon cœur avec elle. Et ainsi étaient nées les deux plus grosses pestes que Poudlard n’eut jamais connu. 

-       Drago ! me sommait la voix de Theodore à l’intérieur de moi. 

Et la seconde d’après, l’image des visages de Blaise et Pansy riant aux éclats ensemble étaient remplacés par celui de cet ami que je laissai être abimé sans ne rien faire. Une nouvelle Mangemort prenait place avec anticipation face à son corps bientôt intégralement tâché de son sang qui ne cessait de s’écouler depuis le sectumsempra qu’il avait reçu en tout premier lieu et qui l’achèverait bientôt si cela continuait, et elle leva sa baguette vers lui. Elle lui lança un oppugno en direction de son visage, et plusieurs petits oiseaux bleus vinrent enfoncer leurs becs pointus dans son visage, y faisant des coupures de part et d’autre avant de disparaître aussi rapidement qu’ils étaient apparus. Et je voyais flou, mais j’en voyais trop. 

Je clignais des yeux et mon esprit m’entraînait lors de l’été après notre deuxième année à Poudlard. Blaise, Theo et moi étions tous les trois assis au soleil au milieu d’un champ proche de la maison de Blaise. Il faisait chaud, contrairement à la température que ressentait mon corps en cet instant. Je me laissai profiter un instant de ce soleil artificiel, conscient qu’il n’existait que dans ma tête. Je revoyais Theodore, le visage baissé, arrachant et triturant brin d’herbe après brin d’herbe avant qu’il n'ose finalement poser à Blaise la question qui l’obsédait depuis déjà tant de temps : 

-       Et sinon, elle… elle te plaît, Pansy ? 

Il avait gardé ses yeux baissés en attendant la réponse à la question qui était probablement la question la plus effrayante qu’il n’avait jamais posée jusqu’à cet instant. Cela faisait désormais deux années qu’il voyait Pansy et Blaise se rapprocher, partager beaucoup de points communs, rire aux éclats ensemble et passer les trois quarts de leur temps bras dessus, bras dessous, tandis que lui ne parvenait toujours pas à regarder celle qu’il aimait déjà dans les yeux. 

Blaise s’était permit de tourner des yeux brillants vers moi pendant que Theo ne pouvait lever les siens, et il m’avait adressé un sourire complice que je lui avais rendu. À ce stade de nos vies, j’avais déjà posé la question à Blaise. Dès notre première année, en fait. J’avais vu dès l’instant où Theodore avait posé les yeux sur Pansy l’effet qu’elle avait eu sur lui, et j’avais attesté d’à quel point cet effet n’avait fait que grandir depuis. Je m’étais assuré depuis longtemps que Blaise n’entrerait pas en conflit avec le bonheur de mon frère. 

Alors, après avoir échangé avec moi un regard appuyé plein de sous-entendus et de malice, puisque lui aussi savait très bien quels étaient les sentiments de Theodore envers notre amie, et qu’il connaissait également très bien ceux de Pansy pour Theo, il avait éclaté de rire. Theo avait alors levé des yeux inquisiteurs vers notre ami. 

-       Pansy ? avait demandé Blaise, feignant l’incrédulité. Tu veux dire notre Pansy ? avait-t-il appuyé en haussant ses sourcils d’étonnement sur son front. C’est comme si tu me demandais si j’avais un faible pour Drago ! s’était-t-il encore exclamé en riant. 

Un poids invisible sembla se dégager des frêles épaules de Theodore à cet instant, et il rit avec notre ami qui frappa l’une de ses épaules. 

-       Sois pas bête Nott, l’avait-il charié, tu sais très bien que je n’ai d’yeux que pour toi, avait joué Blaise avec un sourire charmeur. 

Et à cet instant une relation plus vraie et plus profonde avait commencé à naître entre Theo et Blaise, parce que Theo avait réalisé qu’il ne lui volerait pas sa Pansy. Plus encore, il avait réalisé qu’il la protégerait certainement, lui aussi. Et moi, je m’étais dit que mon Theo était en sécurité avec ce Blaise qui faisait de plus en plus partie intégrante de notre vie. Et je lui étais incroyablement reconnaissant pour ça, parce qu’il mettait un soleil dans notre vie qui ne brillait pas lorsqu’il n’était pas là. 

Le Mangemort suivant prit place devant mon ami et lui lança un incarcerem. Des cordes jaillirent de sa baguette pour s’enrouler autour de la gorge de Blaise, l’étranglant alors que son visage tournait au violet. Il était marqué de coupures, de taches de sang, d’éraflures et d’hématomes sur chaque centimètre de sa peau qui nous était visible. Le visage de Blaise fut relevé par les cordes qui l’étranglaient, m’imposant la vision de ce que je laissais lui être fait. Ses sourcils étaient froncés de douleur et sa bouche grande ouverte à la recherche d’un air qu’il ne trouvait pas. C’était mon ami, là-haut.

-       DRAGO ! se mit alors à hurler la voix de Theodore dans mon esprit. 

Mais je ne pouvais pas le supporter. Je ne pouvais plus le supporter. Toute cette douleur, toutes ces atrocités qui étaient faites aux personnes que j’aimais, et que j’avais promis de protéger. Je ne pouvais plus les supporter. Alors je pénétrais à l’intérieur de l’esprit de Blaise à l’aide de mes pouvoirs de légilimencie, et je l’emmenai avec moi. 

Je l’emmenai avec moi dans la maison dans laquelle il avait grandi, et qui était désormais vide de l’amour de sa mère. Je l’emmenai avec moi dans cette somptueuse et grande maison dans laquelle il avait d’innombrables souvenirs avec la première femme de sa vie. Je l’emmenai avec moi dans cette maison dans laquelle il était protégé de la douleur qu’il ressentait en cet instant. Je l’emmenai avec moi dans cette maison qui habitait encore la présence réconfortante de la femme incroyable qu’était sa mère. Je l’emmenai dans les bras de cette femme qu’il ne retrouverait plus jamais autrement, et le laissait profiter de la chaleur de ces bras qui n’étaient plus. Je laissai l’homme qu’il était se ressourcer comme l’enfant qu’il fut autrefois. Cet enfant qui n’avait aucune idée de ce que sa vie allait devenir lorsqu’il était devenu mon ami. Je le laissai redevenir cet enfant qui n’avait encore perdu aucune partie de son âme, l’espace d’un instant volé durant lequel il ne subissait plus les supplices qui étaient infligés à son corps. Je laissai cet enfant innocent profiter de l’amour de sa mère, qu’il ne savait pas encore qu’il verrait périr dans d’atroces souffrances sous ses propres yeux. Je laissai cet enfant innocent profiter de la chaleur d’une mère, ignorant encore qu’il vendrait son âme pour moi. Je laissai cet enfant innocent profiter de l’embrassade de sa mère, ne sachant pas encore qu’il verrait sa meilleure amie tomber sous ses yeux. Je laissai cet enfant ressentir, l’espace d’un moment, ce qu’était la paix intérieure, avant qu’il ne retrouve l’enfer qu’était devenu sa vie à mes côtés. 

Et alors que je le laissai retrouver sa mère au travers de mes pouvoirs, je voyais un nouveau Mangemort lui jeter un diffindo, et lacérer plus encore sa peau ensanglantée. Puis un autre, qui lui assena des coups qu’il ne pouvait plus ressentir. Puis un autre, qui lui lança un maléfice qu’il ignorait qu’il détruisait plus encore ce qu’il restait de son corps. Je me concentrai, et je laissai l’enfant innocent qu’il avait été profiter de l’amour protecteur de sa mère qu’il avait perdue. 

Je tremblais quand la voix de Theodore, violente et sèche, gronda encore dans mon esprit qu’il était venu chercher jusqu’à l’intérieur de Blaise : 

-       ÇA SUFFIT ! hurla-t-il avec une colère qui trahissait l’angoisse grandissante en lui. 

La surprise soudaine m’arracha à l’esprit de Blaise tandis que Theodore nous ramenait tous deux dans le présent. Dans ce présent hanté qui n’offrait aucune échappatoire à la souffrance, pour aucun d’entre nous. Je tournais les yeux vers mon frère. Son visage était aussi fermé et grave qu’il pouvait l’être. 

-       Il n’a pas besoin de la pitié de Drago, gronda-t-il avec force, il a besoin de la force de son Grand Intendant. Sois son Grand Intendant, ordonna-t-il catégoriquement.

Je n’entendais plus que ma propre respiration. Je savais que Blaise continuait d’hurler, mais la phrase de mon frère raisonnait de mon esprit alors que je tournais les yeux vers notre ami qui se mourrait. Il n’avait pas besoin de la pitié de Drago. Il avait besoin de la force de son Grand Intendant. Il n’y avait que le Grand Intendant qui pouvait le sortir de là. Que le Grand Intendant qui pouvait lui sauver la vie. Drago, lui, se tenait là à trembler, à avoir les larmes aux yeux et à se rappeler des putains de souvenirs d’enfance pendant que son ami se vidait de son sang et encaissait coup sur coup. Il était où, le Grand Intendant ? Il était où, celui qui protégeait sa famille et qui était prêt à tout pour cela ? Je le cherchais à l’intérieur de moi. Je savais qu’il était là, quelque part. Je ne savais pas ce qu’il pouvait faire pour nous, mais alors que je prenais inspiration sur inspiration, je le cherchais à l’intérieur de moi, me concentrant pour éloigner de plus en plus les cris de douleur qui m’étaient insupportables de mon ami. Où est-ce qu’il était, ce Grand Intendant dont nous avions tous besoin ? 

Celui qui avait maltraité et malmené ses camardes pendant de longues années, à commencer par Granger. Celui qui avait insulté le sang de ceux qui n’étaient pas nés de parents sorciers, et qui avait propagé la parole du Seigneur des Ténèbres bien avant que son heure ne soit venue de rejoindre ses rangs. Celui qui lui avait juré allégeance bien avant que la Marque ne vienne tâcher son sang. Celui qui s’était présenté aux yeux du monde comme faisant partie de ses partisans bien avant de le devenir réellement. Celui qui avait fait souffrir nombre d’innocents avant de réellement les torturer et de les assassiner. Celui qui avait frappé bien avant de tuer. Celui qui avait toujours été le garçon dangereux de l’école. Celui qu’il fallait surveiller parce qu’il risquait de mal tourner aux yeux de l’Ordre. Celui qui risquait de finir comme son père. Il est où, celui-là ?! hurlai-je à l’intérieur de mon propre esprit. 

A ton avis ? souri avec anticipation en retour ma propre voix aux tonalités bien plus sombres. Et je réalisai, alors que je n’entendais plus que ma respiration haletante, mes yeux fixés sur le visage de Blaise qui se prenait maléfice sur maléfice, la vie quittant petit à petit son corps, qu’il avait toujours été en moi. Il était , le Grand Intendant. J’avais toujours été dangereux. Elle était là, la vérité. Peu importait à quel point je m’appliquais à ne pas la voir. J’avais toujours été l’homme dangereux que je ne m’étais jamais avoué être. J’avais toujours été capable de malmener, de maltraiter, de torturer, et de tuer. Je m’en cachais. Je me cachais derrière des murs d’angoisse et de pitié. Je m’en cachais parce que pendant que j’angoissais, d’autres faisaient pour moi ce que je n’avais dès lors plus besoin de tâcher mon âme avec. Lâche, cracha avec dégoût cette voix qui était la mienne. 

J’avais été capable de le faire pour l’amusement, déjà à l’époque. Et je pensais que désormais je n’étais pas capable de le faire par dévotion ? Je pensais que je n’étais pas capable d’avoir une âme si noire qu’elle me permettrait de faire ce que j’avais à faire ? Mais regarde-toi bien Drago, me sommai-je avec colère. T’as vraiment pensé que t’étais différent ? T’as vraiment eu le culot de penser que t’étais différent des autres Mangemorts ? Pire encore, t’as vraiment eu le culot de penser que tu valais mieux qu’eux ? Mieux qu’eux pourquoi ? Parce que tu te cachais derrière les jupes de ton père comme une putain de fillette apeurée ? Ton père, le grand méchant qui t’a entraîné dans cette histoire sordide ?! Puis derrière les jupes de Theodore, comme si t’étais pas capable de faire toi-même ce qu’il y avait à faire ! Tu sembles avoir oublié que toute cette histoire, c’est ton histoire. Et eux, ceux que t’appelles ta « famille », ils sont dans ton histoire à cause de toi. Et tu crois que t’es pas capable de gérer maintenant ?! J’ai craché sur des innocents des années plus tôt dès qu’ils étaient venus pour les miens ! J’ai frappé, et frappé encore, et encore, et encore, chaque fois qu’ils sont venus pour les miens ! gronda la rage à l’intérieur de moi. J’ai pris possession de Granger et je l’ai marquée comme étant mon territoire de la façon la plus primale qui soit encore, et encore, et encore, et je me suis délecté des revendications de son con de petit ami qui a tenté, en vain, de m’effrayer, parce qu’elle est À MOI ! Aujourd’hui, le monde entier est contre les miens. Pensent-ils vraiment que je ne suis pas capable de me salir les mains pour les protéger ? La vérité c’est que j’ai toujours été là, se délecta cette partie violente de moi. J’ai toujours été capable. J’ai toujours été dangereux. Ils n’ont jamais été en sécurité. Le premier fou qui est venu pour s’attaquer à Theodore l’a découvert à ses dépens. Et quoi, tu t’estimais trop sensible pour assassiner ceux qui se mettraient sur le chemin de sa survie ? me moquai-je alors. Conneries. Putain de conneries. Je suis dangereux. Elle est là, la vérité. Je suis dangereux. Le danger, c’est moi, ronronna le monstre en moi. 

Pourtant, une autre partie de moi, bien plus inquiète, se demandait ce que je pouvais faire. En l’état actuel des choses, face à la situation dans laquelle nous étions, dans laquelle mon ami était, qu’est-ce qu’il pouvait bien exister que je pouvais faire… LEVER TA BAGUETTE, ET SAUVER LA VIE DE TON CON D’AMI ! gronda le Grand Intendant en moi. PARCE QU’IL LE FAUT ! 

J’inspirai et expirai profondément, mes yeux rivés sur mon ami cloué sur la croix. Ils pensaient tous que je n’en étais pas capable. Moi le premier. Qu’ils me regardent bien. Je n’en appelais pas au démon en moi, j’allais le chercher. Et il était juste là, dormant sous la surface. Juste là, là où il avait toujours été lorsque j’avais eu envie d’assassiner le père de Theo alors que je n’étais qu’un enfant. Juste là, là où il avait toujours été lorsque j’avais eu envie d’assassiner l’oncle de Pansy, et que j’étais resté de marbre en regardant Theo le mettre en pièces. Juste là, là où il avait toujours été lorsque j’avais eu envie d’assassiner Voldemort lorsqu’il avait tué mon père, sacrifié la mère de Blaise, et assassiné Pansy. Et je m’en délectais. Je m’en délectais parce que désormais je savais. Je savais que tant que j’avais accès à ce démon en moi, à cette bête enragée qui était prête à l’indicible pour les siens, ils seraient protégés. 

Alors je laissai le Grand Intendant grandir en moi. Je laissai sa rage bouillir dans mes veines et sa confiance relever mon menton. Je le laissai redresser mon dos et sa force contracter mes muscles. Je le laissai chasser chacune des larmes qui étaient nées dans mes yeux, et je le laissai s’imprégner de son territoire. De ce territoire qui était le sien. Je laissai cette part de moi manger ma peur pour nourrir sa colère, et je lui cédai la place. Je lui cédai la place parce qu’il n’y avait rien que Drago pouvait faire, et qu’il n’y avait rien que le Grand Intendant ne pouvait pas faire. Tu penses qu’il vaut mieux que ce soit qui ? me demandai-je à l’intérieur de mon propre esprit. L’un d’eux qui pourrait perdre le contrôle et asséner le coup de trop, où toi ? 

Je pris une dernière inspiration profonde qui nourrit la rage en moi, et saisi fermement ma baguette alors que le premier pas que je faisais au centre du cercle dressé devant Blaise raisonnait sourdement dans la grotte. Les visages commencèrent à se tourner vers moi. Quelque chose à l’intérieur de moi en souriait, mais aucune émotion autre que la détermination la plus absolue n’était lisible sur mon visage. Regardez-moi. Regardez-moi bien, vous les prolétaires d’une médiocrité à gerber. Regardez celui qui vous commande tous. Je prenais mon temps à chaque pas que je faisais. Je ne voulais pas leur gâcher le spectacle. Il était temps qu’ils comprennent tous qui était à la tête de la chaine alimentaire. Il était temps qu’ils rencontrent leur Grand Intendant. Le Mangemort qui avait pris place face à Blaise pour lui lancer un nouveau maléfice se retourna lui aussi face à moi. Voldemort lui-même me regardait de deux yeux rouges impatients. Il voulait voir ce que j’allais faire, maintenant qu’il avait dit à tous que j’étais celui qu’il envisageait pour être son Grand Intendant. Je n’étais pas celui qui pourrait être Grand Intendant. J’étais le Grand Intendant. D’un pas lourd et lent, je m’avançais jusqu’au centre même du cercle que mes sous-fifres dessinaient. Tous les yeux étaient désormais tournés vers moi. Je me délectais de l’attention anticipatoire que je recevais avant de trancher d’une voix ferme sans qu’elle n’eût besoin d’être élevée :

-       Ça suffit.

Je laissai ces simples mots retentir sur chacun d’entre eux, permettant à mon regard assassin de défiler sur ceux qui étaient dans mon champ de vision, Voldemort inclus. Il avait relevé le visage en attente de ma prochaine action. Je les laissai attendre encore un instant avant de leur offrir ce qu’ils attendaient : 

-       C’est mon soldat, avançai-je gravement. C’est à moi de le punir, déclarai-je sans demander la permission à quelconque mage noir présent dans l’assemblée. 

Un mince sourire en coin se dessina néanmoins sur ses lèvres et d’un mouvement discret de sa main osseuse, il m’offrit l’occasion que je prenais sans attendre sa bénédiction. 

Sous les yeux inquisiteurs de tous ceux qui étaient présents, et qui étaient conscients que c’était là mon ami, je m’avançai devant la croix sur laquelle Blaise était cloué. Mes yeux analysèrent chaque centimètre de son corps avant que je ne lève ma baguette. Une plaie particulièrement ouverte saignait abondement sous sa côte gauche. Cette région abritait la rate ainsi qu’une partie de l’estomac. Frapper ici pourrait aggraver une possible hémorragie interne, ou bien provoquer une rupture de la rate. Dans les deux cas, ce serait potentiellement mortel. Il avait également une entaille profonde au niveau de son aine, plus sur la droite. Cette zone abritait des structures vitales comme l’appendice, l’artère fémorale et les organes reproducteurs. Frapper ici pourrait entraîner une hémorragie mortelle ou bien une infection, surtout si l’appendice était déjà endommagé. Au niveau de son visage, son œil droit était menacé par une entaille profonde juste au-dessus de sa pommette. Et finalement, considérant comment son thorax était recroquevillé sur son abdomen, quelques côtes étaient probablement cassées. Il me fallait donc frapper précisément au niveau de ses pectoraux, un peu sur la droite, en évitant le cœur et les poumons. Cela lui provoquerait une douleur intense et une probable immobilité temporaire du bras droit, mais limiterait les risques de mort immédiate. Sauf bien entendu s’il était déjà trop faible pour supporter un doloris. Mais cela, je supposai que nous ne le saurions qu’à la fin. 

Blaise trouva la force de lever les yeux vers moi, sans pour autant relever son visage de son poitrail alors que je levai une baguette qui ne tremblait pas vers lui. Je dus retenir un sourire en coin. Le regard de mon ami m’apprenait qu’il ne mourrait pas ce soir. 

-       Endoloris, sommai-je alors l’unique Sortilège Impardonnable de la soirée. 

Un éclair de lumière rouge sortit de ma baguette pour rencontrer le point précis, juste au-dessus des poumons, sur le thorax de Blaise à droite. A l’instant même où ma magie rencontra son corps, ses hurlements plaintifs remplirent les quartiers généraux jusqu’alors plongés dans le silence de l’attente. Je demeurai concentré sur la trajectoire de mon maléfice. La décaler d’un centimètre sur la gauche, ou d’un centimètre vers le bas pourrait entraîner sa mort en un claquement de doigts, et puisqu’il bougeait désormais en essayant, quand bien même il ne le pouvait pas, de se replier sur lui-même, je devais demeurer d’une précision chirurgicale. 

Si un doloris avait la caractéristique de répandre d’immenses douleurs et dommages dans l’intégralité du corps de celui qui était visé par le maléfice, le point précis qui recevait directement le sort était l’endroit où demeuraient le plus de dégâts physiques après coup. S’il était indéniable qu’un doloris achèverait actuellement Blaise, c’était le but visé de la manœuvre. S’il n’était plus en état et sur le point de mourir, Voldemort serait plus enclin à donner fin à cette cession de punition. De mon point de vue, et ce peu importait à quel point Blaise hurlait de douleur sur cette croix, j’étais en train de lui sauver la vie. Alors je me concentrai pour maintenir le sortilège au point précis où je voulais qu’il soit, quand bien même Zabini se tortillait comme une putain d’anguille. 

D’abord, la pâleur que prit sa peau commença à indiquer l’état critique dans lequel il commençait à sombrer à mesure que je maintenais le doloris sur lui. Ensuite ses lèvres bleuâtres attestèrent de la diminution de l’oxygénation dans son sang. Pour continuer, les tremblements incontrôlables de son corps indiquèrent une possible infection des suites de ses blessures qui s’aggravaient, et de l’insoutenabilité de la douleur que je lui infligeais. Sa respiration qui semblait devenir de plus en plus superficielle et rapide montrait combien son corps luttait pour maintenir l’oxygénation. Puis finalement, un gonflement abdominal que je ne pouvais voir que parce que je connaissais parfaitement son corps prouvait un saignement interne qui devenait trop important. Puisqu’une hémorragie non traitée pouvait entraîner un arrêt cardiaque, et qu’un état de choc douloureux prolongé privait les organes essentiels d’oxygène, je poussai le vice jusqu’à ce qu’il soit évident pour qui que ce soit qui observait ce spectacle que si je continuais trois secondes de plus, il mourrait. Et comme je l’avais prédit, je n’eus pas même besoin d’arrêter le supplice pour Blaise moi-même, puisque l’intention de Voldemort n’avait jamais été de le tuer. Le mage noir s’interposa lui-même à l’instant exact où j’avais prévu de cesser mon maléfice : 

-       Bien, coupa-t-il simplement alors que j’abaissai ma baguette. Tu as fait valoir ton argument, attesta-t-il avec ce qui semblait être de la satisfaction. 

Blaise haletait difficilement sur sa croix, tombant doucement inconscient alors que son corps continuait de trembler malgré lui. Voldemort me rejoignit au centre de l’assemblée tandis que je me retournais, le menton porté haut, face à ceux que je commandais. Leurs regards étaient moins défiants et expectatifs qu’ils ne l’avaient étés quelques minutes plus tôt. Je laissai le sérieux de mon propre regard déferler sur chacun d’entre eux. Et maintenant, baissez les yeux. C’est ça, tout en douceur, me délectai-je en voyant le nombre d’entre eux qui ne soutenaient plus le contact visuel avec moi. Pas tous, mais cela viendrait. Quand mon regard croisa celui de Theodore, il acquiesça très discrètement en ma direction. 

-       Ceci, déclara Voldemort à l’assemblée en pointant le corps meurtri de Blaise cloué à la croix, est le résultat de la défiance de mon autorité. Je ne reviendrais pas sur les propos que j’ai déjà été bon de vous confier, continua-t-il plus haut. Si votre potentiel futur Grand Intendant a su ce soir nous montrer sa loyauté à notre cause en faisant ce qui devait être fait, en témoignage de ma clémence ainsi que de ma bonté, et parce que nous avons déjà perdu assez de soldats lors des derniers événements, je laisse la vie à Blaise Zabini, et je l’expie de ses péchés en tant que l’ultime et dernière démonstration de ma pitié envers nos jeunes recrues ! s’exclama-t-il désormais dans sa « grandeur ». 

Parce que c’était ce qu’il attendait des siens, il fut acclamé. Je demeurais de marbre à ses côtés. Je n’étais pas comme les autres. J’étais le Grand Intendant. 

-       C’est une Guerre mes amis, reprit-il ensuite plus bas, nous devons être soudés et nous respecter pour mener à bien les grandes missions qui sont en accord avec nos valeurs. Blaise Zabini a été puni à la hauteur du préjudice qu’il nous a porté. Maintenant mes amis, avançons ensemble vers l’avenir radieux que nous dessinons pour le monde entier, tous ensemble ! 

L’intégralité des membres de ses rangs applaudirent chaleureusement ses mots, et je les regardais tous. Un sourire en coin se dessinait sur mes lèvres. J’adorais cela. Ce pouvoir. Ce pouvoir que je ressentais alors qu’ils acclamaient la supériorité que j’avais assise sur eux. Ce pouvoir que j’avais exercé sur eux, et que Voldemort m’avait laissé prendre. Parce que j’étais leur Grand Intendant, et qu’ils devaient désormais répondre de moi.

D’un mouvement de baguette, Voldemort fit disparaître les clous qui avaient troué les mains de Blaise, et son corps tomba sur le sol en un bruit sourd. Il était inconscient. 

-       Disposez, ordonna-t-il ensuite. 

Les Mangemorts s’évanouirent en des traînées de fumée noire les uns après les autres alors que Theo et moi attrapions le corps vide de conscience de Blaise pour rentrer au manoir. Alors qu’il ne restait plus que nous, Voldemort se tourna vers nous et posa ses yeux rouges sur moi : 

-       Tu avais raison, ton père n’aurait jamais eu le cran de faire une chose pareille, m’accorda-t-il d’une voix basse qui semblait mêler colère et admiration. Peut-être que tu n’es pas comme lui, finalement, acheva-t-il plus bas encore avant de nous signifier d’un signe de tête que nous pouvions nous aller à notre tour. 

Après tout, c’était lui qui m’avait dit que la position de Grand Intendant n’en était pas une que l’on donnait, mais une que l’on prenait. Aucun d’entre eux ne savait encore à quel point elle était déjà mienne. 

Theodore et moi tenions chacun un bras de Blaise quand nous arrivions au manoir. Il était net que le fait de transplaner n’arrangeait rien à sa condition, et son état était déjà critique. Probablement alertée par le bruit de notre arrivée, Pansy déboula en trombe dans le salon alors que nous déposions un Blaise défiguré et plus ensanglanté que jamais sur le canapé. 

-       C’est quoi ce bordel ?! paniqua-t-elle déjà. Qu’est-ce qui lui est arrivé ?! 

-       Mint, sommai-je calmement alors que l’elfe de maison apparaissait devant nous. 

Ses grands yeux verts, à elle aussi, étaient déjà remplis d’angoisse à la découverte de l’état du corps de Blaise que nous ramenions avec nous. 

-       M… Maître ? bégaya-t-elle vers moi. 

-       Va chercher ma mère, sur le champ, ordonnai-je sèchement. 

-       Tout de suite, Maître, acquiesça-t-elle avant de disparaître sans plus de cérémonie. 

-       JE VOUS PARLE ! s’emporta une Pansy qui inspectait désormais le corps défoncé de Blaise de ses doigts fins tremblants. Qu’est-ce qui lui est arrivé putain ?! exigea-t-elle encore de savoir. 

J’échangeais un regard avec Theodore, lui se tenant un peu à l’écart du canapé où Blaise, et par conséquent Pansy, étaient. Je n’étais pas certain de quelles parties de l’histoire pouvaient lui être livrées sans que cela ne lui vende les réels sentiments de Theodore à son égard. 

Je n’eus pas besoin d’élucider cette question à l’instant puisque Mint réapparu dans le salon accompagnée de ma mère, portant une robe de chambre et un peignoir vert. La peur était inscrite sur son visage, à elle aussi, mais elle sembla rassurée de constater que Theo et moi nous tenions debout et vivants devant elle. Ses yeux cherchèrent le problème avant de s’abaisser sur Blaise. Elle s’approcha vivement du canapé et s’accroupi face au corps inconscient de notre ami qu’elle inspectait désormais attentivement. 

-       Les plus importantes blessures sont sous ses côtes à gauche, à son aine droite et au niveau de son thorax sur la droite, lui appris-je alors. 

Elle accusa réception de mes informations en acquiesçant discrètement avant de se saisir de sa baguette. 

-       Il va avoir besoin d’espace, déclara-t-elle tandis que Pansy demeurait penchée au niveau du visage de Blaise. 

-       Est-ce qu’il va s’en sortir ? demanda son amie d’une voix pressante d’inquiétude. 

-       Vulnera sanentur, commença à soigner ma mère en faisant passer sur le thorax de Blaise le bout délicat de sa baguette. 

Une nouvelle fois, elle acquiesça discrètement pour répondre à la question de Pansy, trop concentrée sur le travail qu’elle avait à abattre pour soigner Blaise qui se trouvait indéniablement dans un état critique. Mais oui, effectivement, il s’en sortirait. Je m’en étais assuré autant que je l’avais pu. 

Les premières minutes de soin, nous restions tous autour de ma mère et Blaise, quand bien même Pansy s’était à son tour un peu écartée pour laisser l’espace dont elle avait dit avoir besoin. Dès qu’elle avait déclaré que son état était stable, dans le sens où il ne s’empirait plus à chaque seconde qui passait, Pansy attrapa vivement mon bras, puis celui de Theodore, et nous entraîna hors du salon jusqu’à notre salle de réunion. Elle nous balança de la force de ses petits bras sur deux chaises autour de la table rectangulaire qui remplissait l’espace et posa ses deux paumes pleines sur la table alors qu’elle demeurait debout. Elle se pencha en notre direction tandis que Theo ne rencontrait pas ses yeux quand bien même son regard était intensément fixé sur sa poitrine comme pour s’assurer qu’à chaque seconde qui passait, elle respirait toujours. La voix de Pansy était on ne pouvait plus sérieuse quand elle commença froidement : 

-       Y a clairement beaucoup de choses dont je suis pas au courant, et je comprends qu’il se passe beaucoup de choses en ce moment mais laissez-moi être très claire : je ne sais pas à quel moment vous avez commencé à me traiter comme une option, mais je n’en suis pas une. Vous venez de rentrer avec le corps inconscient et putain de démonté de mon meilleur pote, alors vous allez parler, et vous allez le faire maintenant, ordonna-t-elle de l’autorité qui lui était caractéristique. 

Je ne pus me retenir de lever un sourcil et de tourner le visage vers mon frère, qui pinçait discrètement les lèvres en fixant la table. Oh je savais à quel point il aimait ça, et la vision de la contraction de ses lèvres de sorte à se retenir de, probablement, lui sauter dessus et lui rappeler qui – exactement – il était, fit naître un sourire au coin de mes lèvres. C’était bien là sa meuf, il n’y avait pas de doute sur la question. 

-       Putain arrête de sourire comme un con Drago, me reprit-elle sans rire le moins du monde. Je plaisante absolument pas, maintenant vous arrêtez de me traiter comme une putain de demoiselle en détresse et vous m’expliquez ce qu’il se passe, appuya-t-elle sans que son visage ne se détende d’un seul millimètre. 

La mâchoire contractée de Theodore m’apprenait sans détour que lui aussi, il reconnaissait bien là sa moitié. Je passai ma langue sur mes lèvres et m’apprêtait à parler quand, devant l’impatience de Pansy, ce fut Theodore qui ordonna : 

-       Assieds-toi.

Mes sourcils se levèrent machinalement sur mon front au même rythme que ceux de Pansy, les siens bien moins amusés. La colère que déclenchaient les mots de Theo en elle durcit les traits fatigués de son visage. Elle était notable, d’ailleurs, cette colère que Theo semblait déclencher chez elle. 

-       Arrête tout de suite de me donner des ordres, trancha-t-elle on ne pouvait plus sèchement. En ce qui m’concerne, t’es personne pour moi l’fantôme. 

Toute envie de rire me passa, et une douleur violente me frappa le cœur. Il me sembla qu’un premier mur tomba alors, et que la douleur émotionnelle qui m’était propre commença, goûte après goûte, à se faire à nouveau ressentir à l’intérieur de moi. Toute moue pincée potentiellement excitée ou amusée qui avait pu être visible sur le visage de Theodore disparu, et il ne restait plus que le vide laissé par la douleur. Il continuait de fixer sa poitrine, quelques fois de tourner un peu le visage sur la droite pour entendre son cœur battre à nouveau, et d’inspirer profondément comme s’il essayait d’apaiser ses douleurs avec le simple fait que Pansy était en vie. Du fait qu’il pouvait voir sa poitrine se lever et s’abaisser parce qu’elle respirait. Du fait qu’il pouvait entendre son cœur battre parce qu’il travaillait sans relâche pour fournir ses organes en sang. Du fait qu’il pouvait sentir l’odeur de sa peau et celle de ses cheveux, essayant désespérément d’effacer les relents de l’odeur de sa mort, dont je savais qu’il ne pourrait jamais se débarrasser. Un silence pesant régna entre nous avant qu’il ne trouve en lui la force de rétorquer sur le même ton dénué de sentiments qu’elle :

-       Tu veux qu’on parle ? On va parler. Mais tu vas poser ton cul, Parkinson. 

De tous mes souvenirs partagés avec l’un ainsi qu’avec l’autre, je n’étais pas certain d’avoir déjà entendu Theo appeler Pansy « Parkinson ». Elle n’avait toujours été que Pansy pour lui. Rien que sa Pansy. Elle ne l’était plus, désormais. De nouvelles pierres tombèrent de mon mur face à ce constat que je n’assumais pas. 

La rage qui bouillonnait dans les yeux d’émeraude de celle pour qui il tuerait jusqu’au moindre enfant de cette planète demeura enfoncée sur le visage impassible de l’homme qu’elle ne savait pas à quel point elle l’aimait. Elle pinça ses lèvres de colère à son tour, avant de finalement pousser bruyamment une chaise pour s’asseoir dessus. Il n’y avait, en soi, aucun besoin que Pansy s’asseye pour avoir cette conversation. Je supposai que la démarche de Theodore était motivée par l’une ou l’autre de ces deux plus probables hypothèses : un, c’était sa petite jouissance à lui de pouvoir lui donner ce petit ordre aussi anodin, autrefois habitué à lui en donner beaucoup plus, dans d’autres contextes. Deux, c’était une façon d’entretenir la haine clairement déjà naissante en Pansy envers lui pour s’assurer qu’elle ne retomberait pas amoureuse de lui. Ou bien peut-être les deux à la fois. 

-       Tu ferais sincèrement mieux de très vite calmer ton bulldog anglais Drago, parce qu’actuellement la seule raison pour laquelle je lui saute pas à la gorge c’est parce que j’attends des réponses à propos de Blaise, et que c’est mille fois plus important que sa vieille gueule arrogante, m’adressa-t-elle avec une tension grandissante. 

Ils étaient tous les deux affectés par ce qu’il venait de se produire et concernés par l’état de santé physique de Blaise. Si je savais que Theo planifiait plutôt de ne pas interagir avec Pansy pour éviter qu’elle retombe amoureuse de lui, et si cela pouvait arriver de ne pas se montrer particulièrement agréable avec elle (ce qu’elle ne rendait pas difficile, il fallait l’avouer), je supposai que l’état d’inquiétude de Theo, bien que toujours contrôlé, le poussait peut-être inconsciemment à désirer interagir directement avec la femme qu’il aimait. Parce que s’il y en avait un ici qui aimait plus que tout l’insolence et la violence de Pansy Parkinson, c’était lui. Il était simplement de l’autre côté de cette violence pour la première fois de sa vie, et au fond, autant que Pansy était autoritaire, de toutes les personnes que j’avais rencontrées, lui seul était plus dominant qu’elle. Je supposai qu’on ne pouvait renier sa vraie nature qu’à un certain point, et il fallait admettre que Pansy avait un talent assez remarquable pour pousser les gens à bout lorsqu’elle le décidait. 

-       C’est bon, on peut t’expliquer maintenant ? demandai-je alors qu’elle détachait enfin son regard assassin du visage de Theo pour acquiescer gravement en ma direction. 

J’inspirai pour chercher où commencer. Je me rappelai lui avoir dit que c’était parti en couilles avec les Aurors lors de sa mort, et je n’avais pas développé plus que cela sur les événements qui entouraient sa mort et qui expliquaient qu’un certain nombre de partisans étaient également décédés. Qui l’expliquerait autrement que par « puisque Voldemort t’a tuée et que Theo réduirait le monde en cendres pour toi, il a tué tout le monde et il a foutu le feu à la cathédrale en s’attaquant directement à Voldemort ». Je n’étais cependant plus certain de ce que je lui avais raconté exactement, je supposai que c’était là le problème des mensonges, plus encore des mensonges qui n’avaient pas été élaborés en amont. Et c’était le risque de s’enfoncer dans des incohérences avec plus de mensonges encore. Je savais cependant que personne d’autre ne savait vraiment ce qu’il s’était passé dans cette cathédrale, et je supposai qu’étant donné ce que venait de traverser Blaise, il ne serait probablement pas tenté de raconter à tout bout de champ la vraie version de l’histoire. 

-       C’était vrai, quand je t’ai dit que c’était parti en couilles après notre rencontre avec les Aurors, mais j’ai pas pris le temps d’élaborer les faits plus amplement, tentai-je de gagner du temps pour pondre une histoire crédible. Voldemort s’est rendu compte après t’avoir tuée dans la cathédrale que certains des partisans présents étaient du côté de l’Ordre, et ils ont saisi l’occasion qu’on ne soit pas si nombreux pour tenter de s’attaquer à nous. S’en est enchaîné un combat dans cette cathédrale qui a…, fait plus de dégâts que simplement les traîtres en question. Disons que certains d’entre nous, plus particulièrement Theo, ont profité de l’occasion pour faire cramer intentionnellement quelques autres Mangemorts non compromis histoire d’affaiblir un peu les rangs, amenai-je en pesant chacun de mes mots sous les regards attentifs de Theo et Pansy. Et disons que Voldemort l’a plus ou moins laissé faire, probablement pour plus se rendre compte de ses capacités que pour autre chose. 

-       Attends, m’interrompit-elle en fronçant les sourcils, donc le Seigneur des Ténèbres a laissé l’fantôme ici présent tuer d’autres Mangemorts qui n’étaient pas des traîtres par… curiosité ?

-       Comme je t’ai dit, c’est parti en couilles. Il n’y avait pas que Theo qui se battait, mais disons qu’il a commis le plus de dégâts, y compris auprès de Mangemorts qui n’étaient pas compromis, oui. Mais Voldemort lui-même était assez… occupé, tentai-je alors. Disons qu’il aurait pu un peu plus contrôler la situation, mais que par intérêt pour ce que Theo semblait capable de faire, il a plus ou moins laissé la situation dégénérer plus qu’elle n’aurait pu le faire. 

L’histoire ne semblait déjà pas très cohérente pour Pansy, mais elle m’empressa : 

-       Ok, et donc ? 

-       L’autre soir, quand il nous a appelé, continuai-je alors, il nous a interdit de raconter cette partie-là de l’histoire parce qu’évidemment ça la foutrait mal de dire qu’il a laissé la situation escalader, et il nous a fortement suggérer de corroborer une version de l’histoire un peu arrondie qu’il a servie aux autres Mangemorts ensuite en leur disant que Theo avait juste fait apparaître un Feudeymon et que malheureusement d’autres avaient péri au combat. 

-       Pourquoi est-ce qu’il aurait couvert pour l’fantôme au lieu de le tuer pour avoir tué d’autres des siens ? questionna-t-elle encore. 

-       Parce qu’il s’est rendu compte que Theo était pas trop mauvais sur un champ de bataille et que puisqu’il venait de perdre certains de ses meilleurs éléments, il avait besoin de chacun d’entre nous pour la Guerre. 

Elle jugea Theo du regard comme si elle ne voyait pas en lui le potentiel que je mentionnais-là avant de reporter ses yeux sur moi pour que je continue : 

-       Comme tu le sais, suite à ces événements je suis devenu Grand Intendant, et Voldemort a donné un rôle de second au Grand Intendant à Theo, même si ça c’est pas encore officiel. Sauf que derrière, pendant la soirée à la Maison de Joie Maxwell nous a provoqué… 

-       … Cyprus Maxwell ? me coupa-t-elle alors. 

-       Ouais. Il trouvait que cette histoire puait la merde et a commencé à chercher à démêler le vrai du faux en nous insultant, et Blaise avait un coup dans l’nez et il s’est emporté. Il lui a raconté que Theo avait plutôt intentionnellement tué un certain nombre de Mangemorts et qu’en récompense il s’en était sorti avec une promotion, histoire de lui dire de pas chercher la merde avec nous. 

Pansy fit doucement non de la tête. 

-       Quel con, chuchota-t-elle. 

J’acquiesçai en retour avant de terminer :

-       Et c’est visiblement revenu aux oreilles de Voldemort qui nous a tous rappelés pour punir Blaise. 

-       Ce fils de pute de Maxwell a balancé donc, ponctua-t-elle avec colère. 

-       C’est probable, oui, admis-je en retour. 

-       On ne sait pas si c’était Maxwell, nuança Theo en fixant la table. Il a répété les mots de Blaise à voix haute dans la Maison de Joie. 

-       C’est quand même l’hypothèse la plus vraisemblable, lui soumettais-je en réponse. 

-       Qu’est-ce qui s’est passé pour Blaise ? continua de demander Pansy en ignorant la remarque de Theo. 

J’inspirai profondément, ma douleur émotionnelle grandissant petit à petit en moi alors que je me remémorai les événements, le Grand Intendant devenant de plus en plus distant en moi pour laisser plus de place à Drago. 

-       Le Seigneur des Ténèbres lui a infligé le Supplice de la Croix. Il a proposé que chaque membre concerné par le « mensonge » de Blaise puisse lui rendre un coup, sauf que Maxwell a commencé par un sectumsempra, et donc Blaise se vidait trop vite de son sang pour pouvoir recevoir un coup de chaque Mangemort présent. 

Je marquai-là une pause qui ne lui échappa pas. 

-       Et donc ? me pressa-t-elle avec anticipation. 

-       Et donc j’ai fait le Grand Intendant, avouai-je à en baissant les yeux à mon tour. 

-       Ça veut dire quoi, « j’ai fait le Grand Intendant » ? 

La honte de ce que j’avais fait et l’inconfort des émotions que je ressentais à l’idée de ce que j’avais fait à Blaise, plus que tout de la facilité avec laquelle je l’avais fait, me frappait de plein fouet. 

-       Je me suis imposé en disant que c’était mon soldat et que c’était à moi de le punir pour ce qu’il avait fait. 

-       Pardon ?

-       Il lui a sauvé la vie, temporisa alors Theo. 

-       C’est-à-dire putain, parlez clairement ! s’impatienta Pansy. 

-       Je savais que Blaise ne tiendrait pas s’il devait se prendre un coup de tous les Mangemorts présents, ils étaient une quarantaine et il était déjà à deux doigts de la mort au bout d’une petite dizaine, tentai-je de me défendre. En m’avançant en tant que le seul qui pouvait le punir je pouvais faire attention à où je le frappais pour ne pas aggraver ses blessures, et je pouvais m’assurer de ne pas aller trop loin, et en prime je commençais à montrer ma crédibilité aux autres et au Seigneur des Ténèbres. 

-       Donc t’as fait quoi ? m’interrogea-t-elle d’un ton déjà accusateur. 

-       Je lui ai lancé un doloris, confessai-je à voix basse. Et ça a fonctionné, enchaînai-je avant que ce soit elle qui le fasse. Le Seigneur des Ténèbres a mis fin à la scène et nous a renvoyés chez nous en disant que le fait de laisser la vie à Blaise était l’ultime démonstration de sa clémence envers les nouvelles recrues. 

Pansy baissa le visage vers la table et posa ses coudes sur celle-ci alors qu’elle tenait sa tête entre ses deux mains. Mon cœur battait violemment dans mon poitrail. Je n’étais pas certain d’assumer ce que j’avais fait, et je n’étais pas non plus certain d’assumer comment j’étais parvenu à le faire. Pendant ce qui me sembla être de trop longues minutes, Pansy garda son visage entre ses mains, sa tête portée basse. Je tournais les yeux vers Theo, qui lui aussi attendait en la regardant, pouvant s’y risquer sans croiser son regard. A chaque expiration que laissait Pansy s’échapper de ses lèvres, Theodore inspirait profondément. Un instant plus tard, je tournais à nouveau les yeux vers mon amie. 

-       Pansy ? tentai-je alors doucement. 

Elle inspira profondément avant de me répondre d’une voix étouffée : 

-       Me parle pas tout de suite. J’essaye de me calmer parce que là tout de suite, j’ai juste envie de t’encastrer à l’idée de ce que t’as fait à Blaise. 

Elle inspira et expira profondément en gardant son visage baissé entre ses mains, et je me tus. Je la comprenais, c’était une réaction primale normale face à l’idée qu’on ait fait du mal à son meilleur ami. Et s’il y avait quelque chose qu’on ne pouvait pas enlever à Pansy, c’était bel et bien à quel point elle était dévouée à ses amis. Ni sa justesse, d’ailleurs. Je venais de lui annoncer que j’avais torturé Blaise, et elle avait la présence d’esprit de se calmer et de m’avertir de ne pas lui adresser la parole avant qu’elle y soit parvenue. Dure peut-être, mais juste toujours. Il me frappa à l’instant seulement que c’était peut-être là la raison pour laquelle il l’avait empressée de s’asseoir avant d’avoir cette conversation. Parce qu’il la connaissait si parfaitement bien qu’il savait qu’avoir la liberté de marcher n'avait tendance qu’à faire monter la colère en elle, qui ensuite prenait le dessus. Lorsque j’y pensais, il était vrai que Pansy était toujours plus calme lorsqu’elle était assise lors des grosses conversations que nous avions eues. Et chaque fois qu’elle s’était levée, ou qu’elle était debout, les choses avaient déraillé. Elle inspira et expira profondément encore un moment, avant de relever le visage et de rencontrer à nouveau mes yeux. Les siens étaient rougis de larmes. Elle me regarda un instant, et je lui rendais son regard avec la même intensité. 

-       Ok, finit-elle par dire tout bas. 

Je cherchais sa colère. Je ne la trouvais pas. Je ne voyais que la douleur de la vie que nous menions désormais. 

-       Ok ? demandai-je alors aussi bas qu’elle. 

Une nouvelle fois, elle inspira avant de me répondre : 

-       Je sais que si t’as fait ça c’est qu’y avait pas d’autre option, et que c’était pour sauver Blaise. Et visiblement, ça a marché. Et te connaissant je sais que tu te détestes certainement de ce que t’as fait bien plus que je ne le pourrais jamais, donc ok, acheva-t-elle avec une douceur pleine de douleur. 

Les larmes qui remplirent mes yeux lui attestèrent la véracité de ses paroles. Oui, je me détestais probablement plus que quiconque ne pourrait jamais me haïr. Pansy posa doucement ses mains sur la table avant de se relever de sa chaise. 

-       Ne me tenez plus jamais à l’écart de quoi que ce soit, nous avertit-elle sans plus aucune animosité alors que j’acquiesçai. Je vais voir comment il va, chuchota-t-elle alors avant de s’en aller. 

Dès lors que Pansy passa la porte de la salle de réunion de mon père, les larmes perlèrent sur mes joues. Il n’y avait plus que mon frère et moi, et ses incroyables yeux bleus me surveillaient depuis probablement bien plus de temps que je ne l’avais remarqué. S’il y avait bien un regard auquel je ne pouvais me dérober, c’était celui-ci. Et sa seule présence, et le fait que ce ne soit que lui et moi représentait pour moi l’autorisation de finalement me mettre en boule, et pleurer comme j’avais espéré pouvoir le faire quelques instants plus tôt. Alors mes bras s’allongèrent sur la table devant moi, et je laissai mon visage tomber dessus tête la première alors que je lâchai ce que je n’osai partager avec personne d’autre que lui. 

À l’instant même où mes bras avaient commencé à glisser sur la table pour que je m’y écroule, Theo avait rapproché sa chaise de la mienne, comme s’il savait ce qui allait suivre dès que Pansy passerait la porte. Il recouvra mes bras des siens et laissa son visage reposer contre le mien dans le creux de ma nuque le temps que mes plus importants sanglots s’évacuent. Lorsque ce fut le cas, il releva le visage au moment même où je m’apprêtais à faire de même. La honte m’assiégeait alors que je regardais son visage parfait pour confesser ce que j’avais déjà du mal à m’avouer à moi-même : 

-       Je comprends pas ce qui m’arrive, chuchotai-je tel un enfant tandis qu’une larme perlait sur ma joue encore mouillée. 

Je me perdais dans ses yeux comme si j’y cherchais les réponses à mes questions existentielles. Comme s’il détenait le pouvoir d’avoir réponse à chacun de mes mots, et à chacun de mes maux. La douleur qu’il partageait avec moi était lisible sur les traits de son visage. 

-       Tu t’adaptes aux choses atroces que tu es obligé de faire pour nous, murmura-t-il en retour. Tu lui as sauvé la vie ce soir Drago, ajouta-t-il en caressant mes mains qu’il tenait dans les siennes. 

Les miennes tremblaient. Pas les siennes. Elles étaient chaudes. Elles étaient toujours chaudes lorsque les miennes étaient gelées. Je pleurai à l’évocation explicite de ce que j’avais fait à Blaise. A mon ami. A mon ami que j’avais torturé sans broncher. Et je pleurai face à l’amour pour moi que je pouvais indéniablement lire dans les yeux de mon frère. A cet amour que je n’étais plus certain de mériter. 

-       Tout ce que tu fais, c’est pour nous protéger, continua doucement Theo alors que des larmes se rassemblaient dans ses propres yeux. 

Je rassemblais tout le courage que je n’étais plus certain d’avoir pour oser dire les quelques mots qui me terrifiaient. Pour oser lui dire ces quelques mots qui risquaient à jamais de changer la façon dont il me voyait. Ces quelques mots qui menaçaient l’essence même de la personne qu’il pensait que j’étais, et qui avait mérité son amour et sa protection jusqu’à cet instant. 

-       J’ai peur…, j’ai tellement peur de ce que j’ai trouvé en moi Theo…, murmurai-je dans ma vulnérabilité la plus totale. 

La façon dont il me regardait, et la force avec laquelle il continuait de tenir mes mains dans les siennes m’apprenaient qu’il était prêt à recevoir plus de ce que j’avais à dire. Et qu’il ne broncherait pas, lui non plus, quoi que ce soit que j’avais à lui dire. De nouvelles larmes perlèrent de mes yeux alors que je baissai le regard pour confesser avec plus de honte que je n’en avais jamais ressenti : 

-       C’était… c’était comme si j’étais quelqu’un d’autre, à ce moment-là… Quelqu’un…, quelqu’un d’horrible, pleurai-je en m’apitoyant sur moi-même. 

-       Bien sûr, chuchota-t-il avec un sourire. Comment pourrais-tu faire ces choses en étant la personne qui est devant moi maintenant ? 

Je cherchais dans ses yeux la moindre trace de peur, de dégoût ou même de répulsion de moi. Je n’en trouvais pas la moindre. Il continuait de réchauffer mes mains comme si j’étais toujours la personne qu’il avait toujours connue. Cela ne me faisait que pleurer plus. Je ne méritais pas l’amour indéfectible qu’il me portait. Ce que j’avais trouvé en moi ce n’était pas comme ce dont lui était capable quand nous étions menacés. Il était capable de massacre, il était capable de beaucoup de choses affreuses, c’était un fait. Mais lui n’y prenait pas de plaisir. Il ne se délectait pas du pouvoir qu’il avait pourtant sans le moindre doute, contrairement à moi. Il n’accordait pas la moindre importance au fait d’avoir les capacités de soumettre pour ainsi dire pratiquement chaque être humain sur terre à sa volonté. Il avait ce pouvoir, c’était tout. Il ne s’en ventait ni ne s’en délectait, et ne l’utilisait que lorsqu’il n’avait pas le choix de faire autrement. 

-       J’ai aimé ça, avouai-je en pleurant. J’ai aimé avoir autant de pouvoir et regarder les partisans baisser les yeux devant moi. J’ai aimé ça Theo…, sanglotai-je à nouveau en baissant le visage devant l’abomination de mes mots. Et ça a été facile, de faire ça à Blaise. Je ne ressentais rien. Ça n’a…, ça ne m’a pas été difficile de torturer mon ami jusqu’à ce qu’il soit à un doigt de la mort. Et ensuite, j’ai aimé le pouvoir que j’avais sur tous les autres, lâchai-je finalement. Et je ne sais pas comment je suis censé faire avec ça… 

Il ne lâcha pas mes mains. Peu importait l’horreur des mots que je venais de lui soumettre, il ne lâcha pas mes mains. Et le regard qu’il portait sur moi ne se durcit pas non plus. L’amour qui y était lisible ne s’amoindrit pas, pas même d’une once. 

-       Tu ne vas pas te détester d’avoir trouvé en toi les ressources qu’il te fallait pour nous sortir de là Drago, avança-t-il d’une voix douce qui pourtant me semblait aussi puissante que s’il avait ajouté quelques octaves à sa tonalité. Tu ne vas pas te détester d’avoir sauvé la vie de Blaise ce soir, et tu vas encore moins te détester de l’avoir fait alors que c’est moi qui t’ai poussé à le faire. Tu ne peux pas dire que ça ne t’a pas été difficile, parce que c’est faux, appuya-t-il avec plus de force. C’est un contexte compliqué dans lequel il se passe des choses compliquées. Mais tu ne peux pas raccourcir l’histoire en disant que ça t’a été facile et que tu as juste aimé avoir ce pouvoir, parce que ce n’est pas vrai. 

Je buvais ses paroles en me noyant dans l’océan de ses yeux en cherchant à rattraper ce qu’il restait de l’homme que je croyais être au fin fond de la sincérité de ses mots. Il tenu mes mains plus fermement encore, m’interdisant de fuir la sagesse de son amour. 

-       On doit tous faire avec ce qu’on est, et avec ce qu’on a, continua-t-il en ne me laissant pas me dérober à son regard. Moi j’ai très vite appris à me déconnecter pour supporter l’insupportable. Toi, tu as vu plein de sortes de violences autour de toi, tu as subi ce que moi je subissais par procuration pendant des années sans ne rien pouvoir faire et sans te déconnecter de toi ni de ce que tu ressentais, chuchota-t-il alors qu’une larme perlait finalement de ses yeux céruléens. Ça me semble cohérent que quelque part en toi il y ait une certaine colère et une soif de vengeance pour l’impuissance dans laquelle tu as été face à la violence pendant autant de temps de Drago, et que tu ne connaissais pas jusque-là parce que tu n'es pas, dans la personne que tu as choisi de devenir, quelqu’un de sombre. Mais ça ne signifie pas que tu n’as pas, toi aussi, une part plus sombre en toi qui n’a pas l’intention de rester impuissant encore une fois. Tu as fait ce qu’il fallait avec ce que tu avais, et je crois que c’est rien de dire que ça t’a été difficile d’aller chercher ça en toi Drago, avança-t-il alors que ses mots apaisaient doucement ma souffrance. Alors s’il y a quelque chose en toi qui te permet de sauver la vie des tiens, et qui est capable de faire ce qui doit être fait, tu ne peux pas le détester, parce que ce que tu as fait ce soir, c’est sauver la vie de Blaise, et tu n’aurais pas pu le faire sans cette partie de toi. 

Je m’accrochais à ses mots parce qu’à leur habitude, ils étaient les seuls que je parvenais à croire quand je ne savais plus distinguer le Nord du Sud. Parce que Theodore était ma boussole et que j’abandonnais toute raison que je ne trouvais plus en moi à lui. Je ne lâchai plus ses yeux, moi non plus, quand je demandais avec la peur douloureuse d’un enfant au ventre :

-       Et si j’étais fou ? 

Un magnifique sourire se dessina sur ses lèvres. 

-       C’est le seul genre que j’aime. 

Je pouffai à travers mes larmes qui continuaient doucement de perler sur mes joues. 

-       J’ai juste…, repris-je ensuite, je ne sais juste pas ce que je ressens de savoir qu’il y a quelque chose d’aussi abominable en moi, que quelque part je suis…, que quelque part je suis un putain de monstre, pleurai-je encore. 

Il enleva une de ses mains des miennes pour la passer tendrement sur mon visage, effaçant de la douceur de sa peau l’acidité de ma larme. 

-       Ne parle pas comme ça de mon frère, chuchota-t-il avec tendresse. Cet homme m’a sauvé la vie plus de fois que je ne pourrais le dire. Ne parle pas comme ça de lui, répéta-t-il avec plus de sérieux.

-       Désolé, plaisantai-je à moitié avec un faible sourire. 

Je songeai à la personne qu’il était. A la force qu’il avait. A la détermination et la violence dont il était capable de faire preuve lorsque nous étions menacés. A la façon dont il s’abandonnait à toute raison, à toute peur, à toute faiblesse potentielle dès que l’un de nous était menacé. 

-       Est-ce que ça te fait ça, toi aussi ? chuchotai-je alors avec vulnérabilité. Après avoir fait ce genre de chose, est-ce que tu te demandes ce que tu es vraiment, au fond ? Est-ce que tu te dis qu’en fait, tu n’es peut-être pas quelqu’un d’aussi bien que ça ? 

Il sonda mes yeux gris en souriant tendrement un instant. Son sourire était triste, et je savais qu’il n’y avait que moi qui pouvait le voir sur cette planète. Doucement, il fit non de la tête. C’était cela, qui faisait que ses mots étaient aussi apaisants. Je savais qu’il ne me dirait jamais rien d’autre que sa vérité, quoi qu’il se passe. Qu’il ne me dirait pas simplement ce que je pensais avoir besoin d’entendre, mais rien que ce qu’il pensait vraiment. 

-       Je n’ai jamais pensé que j’étais quelqu’un de foncièrement bon, murmura-t-il en retour, ses yeux enfoncés dans les miens en le simple geste le plus intime qui soit. 

Sa main droite avait retrouvé les miennes. 

-       Et non, parce que j’ai toujours su que ça faisait partie de moi, continua-t-il doucement. J’ai toujours su ce que j’étais. Et il n’y a rien qui puisse être plus insupportable pour moi que l’idée de vous perdre. Je sais et j’ai accepté depuis longtemps qu’il n’existe aucune horreur que les enfers pourraient déchaîner sur cette terre qui surpasserait les abominations dont je suis capable pour vous. Les moyens ne m’importent pas, tant que la finalité est là, déclara-t-il avec la force tranquille qui lui était caractéristique. Au fond, je suis quelqu’un de profondément égoïste. Il n’y a pas une seule âme innocente que j’épargnerai pour pouvoir vous garder près de moi. Et je ne m’en sentirai désolé ni ne m’en excuserai jamais. 

Il caressa mes mains avec une tendresse qui contrastait avec les paroles qu’il venait de m’adresser. 

-       Mais ça, c’est moi, ajouta-t-il plus doucement. Et tout ce qui fait ta complexité, ta conscience et tes remords, c’est toi. Et si tu veux mon avis, ça ne te rend que meilleur encore. Parce que toi, ça te coûte. Mais pour nous, tu le fais quand même. Et ça, ça n’est que plus admirable encore. 

Je pleurai à ses mots. Je pleurai d’entendre que même après ce que je lui avais livré, même après ce que je lui avais avoué, lui qui ne prenait jamais aucun plaisir à avoir un tel pouvoir sur ceux qu’il pouvait exterminer d’un coup de baguette, il semblait toujours m’aimer de la même force inébranlable. 

-       J’ai l’impression de ne pas être digne de toi, pleurai-je encore. J’ai l’impression de ne pas mériter ton amour. 

Une nouvelle larme perla sur sa propre joue pâle. Il humidifia ses lèvres du bout de sa langue avant de chuchoter avec tout l’amour du monde dans la voix : 

-       Chaque fois que tu auras l’impression de ne pas mériter mon amour, je t’aimerai plus fort, qui que tu aies été hier, qui que tu sois aujourd’hui, et qui que tu deviennes demain. 

J’acquiesçai alors que les dernières larmes que j’avais à pleurer coulaient sur mon visage. 

-       Tu sais ce que tu as montré à tout le monde ce soir, à commencer par à toi ? me demanda-t-il alors. 

Je fis non de la tête. 

-       Que t’étais capable de le faire, déclara-t-il alors avec détermination. Tu peux le faire, Drago. La seule personne que tu n’avais pas besoin de convaincre, c’était moi. Regarde-toi, me somma-t-il en enfonçant ses yeux dans les miens. Tu peux le faire, appuya-t-il encore. 

J’acquiesçai à nouveau en sa direction. Oui, j’avais montré que j’étais capable de le faire. A quel prix cependant ? Au prix de celui que j’étais, ou de celui que je croyais être. Mais je regardai Theo. Je regardai mon frère et je réalisai que chaque fois que je me perdais, je pensais à lui. Que chaque fois que je devais faire ces choses atroces, je pensais à lui. Parce que c’était pour lui. Alors je me rappelai que le prix n’avait pas d’importance. Si le prix était mon âme, cela n’avait pas d’importance. Je lui avais infligé les pires douleurs qui puissent être. Que le prix à payer soit mon âme ne me semblait plus si cher, tout à coup. Il me suffisait de me rappeler ce que j’avais à perdre. Ce que j’avais déjà abimé, alors que je n’en avais pas le droit. Et j’apprenais que c’était peut-être à l’intérieur de mon propre esprit que se trouvait le plus grand danger. 

Theodore me sourit, quand bien même je n’avais rien dit. Tout doucement, il chuchota avec une tendresse inouïe : 

-       Je t’offrirai la mienne si c’est le prix pour sauver ton âme à la fin. 

Je lui souris, moi aussi. Je ne souriais pas aux mots qu’il venait de prononcer. Je souriais à la façon dont il me connaissait si bien que je n’avais pas même besoin de formuler à voix haute ce qu’il savait déjà qui traversait mes pensées. 

Dès que j’avais essuyé mes dernières larmes, nous étions redescendus dans le salon voir Blaise. Ma mère en sortait lorsque nous arrivions dans l’entrée du manoir. Elle posa des yeux savants sur moi quand elle déclara doucement : 

-       Il ira bien. Une bonne nuit de sommeil, quelques potions, peut-être une journée au lit, et il sera comme neuf, dit-elle sans qu’un quelconque ton victorieux ne se fasse entendre dans sa voix. 

Theo passa son bras autour d’elle et saisi sa nuque pour déposer un baiser appuyé sur sa joue. 

-       Merci, lui chuchota-t-il. Comment tu vas, Cissa ? 

Elle laissa ses yeux défiler sur nous. Sur les cernes sombres qui décoraient nos deux visages pâles. 

-       Mieux que vous, répliqua-t-elle en me regardant avec insistance. Je suis ravie de voir que Pansy va bien, murmura-t-elle alors avec une peine qui n’était pas dissimulée dans la tonalité de sa voix. 

Je léchais mes lèvres avant de me défendre :

-       Écoute maman…

-       … Tu n’as pas besoin de me le dire, j’ai compris dès que je t’ai vu partir avec son corps, me coupa-t-elle alors que ses yeux rougissaient. J’espère seulement que tu es conscient des responsabilités que tu as prises en faisant ça. 

J’échangeais un regard avec mon frère avant d’acquiescer.

-       Je le suis, positionnai-je avec conviction. 

Elle me sonda gravement un instant. Son visage était fermé, fermé d’inquiétude. Après tout, elle savait. Et j’étais son fils. La gravité de son inquiétude me semblait entendable. Sa mâchoire se contracta alors qu’elle tourna le regard vers Theo. Ses yeux prirent une nouvelle teinte de rouge et sa bouche se contracta en une moue pincée avant qu’elle puisse lâcher avec fermeté :

-        Et toi, je t’interdis de me refaire ça, pleura-t-elle finalement. 

Les yeux de Theodore se remplirent de larmes à leur tour. Ils ne s’étaient pas réellement parlé depuis qu’elle l’avait ramené du royaume des morts. Il lui ouvrit ses bras et encercla son corps fin contre lui. 

-       Je suis désolé, chuchota-t-il à son oreille alors qu’elle le serrait à son tour contre elle. 

Ils se serrèrent plus fort encore avant qu’elle murmure à son intention :

-       T’auras intérêt à être là chaque fois qu’il faiblira. 

-       Je le serai, lui promit-il alors. 

Oui, il serait là. Tant que Pansy serait en vie. 

Une nouvelle fois, Theo embrassa la joue de ma mère avant qu’ils se délient l’un de l’autre. 

-       Je vais aller prendre une douche, prends soin de toi Cissa, lui adressa-t-il avant de nous laisser dans sa grâce habituelle. 

Le regard lourd de ma mère était posé sur moi alors que les larmes qu’elle venait de pleurer tâchaient encore ses joues. Je la laissai me regarder, et je lui rendais la politesse. Il me semblait qu’elle avait encore perdu du poids. Ses joues m’avaient l’air plus creusées encore sur son visage qu’elles ne l’étaient quelques jours plus tôt. Dévorée de l’intérieur par ses peurs. 

-       T’as pas intérêt à merder Drago, chuchota-t-elle finalement tandis que de nouvelles larmes se rassemblaient dans ses yeux. 

Je m’approchais finalement d’elle. Elle finit non de la tête alors que ses traits se tordaient sous la douleur. 

-       T’as pas intérêt à merder, murmura-t-elle de sa voix brisée par sa douleur. 

Et je l’étreignis de toute ma force, et elle me le rendit. Elle pleura dans mes bras, et je la laissai faire. Je laissai son odeur remplir mes narines et ignorai à quel point elle était fine entre mes bras qui se retrouvaient derrière elle. Et elle pleura comme une mère inquiète pour son fils pleurait, et je la recevais, parce que je supposai que c’était là tout ce que je pouvais faire. Je caressai ses cheveux d’une main délicate, et gardai son cœur contre le mien le temps qu’il fallut avant de lui chuchoter de rentrer dans notre maison sûre. 

Avant de monter dans ma propre chambre en ce plein milieu de nuit, je passai la tête à travers l’entrée du salon. Blaise dormait sur le canapé, Pansy assise à côté de lui, tenant une de ses mains dans les deux siennes. Elle tourna le visage vers moi et m’adressa un sourire tendre que je lui rendis avant de disparaître. 

J’étais exténué. J’étais proprement et absolument exténué. Outre la fatigue physique et émotionnelle des derniers événements s’ajoutait la fatigue énergétique d’avoir effectué un Sortilège Impardonnable. Si les mots de Theodore m’avaient apaisé, au moins temporairement, il y avait une chose qui n’avait toujours pas trouvé d’apaisement, dès que je me retrouvais seul : les images qui tournaient dans ma tête. Le visage mort de Pansy. La gorge tranchée de Theodore. Et désormais le visage amoché de Blaise sur le point de mourir à son tour. Et encore le visage mort de Pansy. Puis celui décomposé de Theodore. Et le visage défoncé de Blaise. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’un jour, en voyant leurs visages à eux, je préférerais mourir plutôt que de devoir continuer à les regarder. Rien dans ma vie ne m’avait préparé à l’enfer que je vivais désormais. J’étais heureux. Un jeune garçon arrogant avec les meilleurs amis du monde. Un jeune garçon arrogant qui avait le monde au creux de sa main. Un jeune garçon arrogant qui passait ses journées entouré des personnes qu’il aimait le plus au monde. Un jeune garçon qui ne connaissait que trop rarement les peines de cœur et la fatigue de la vie. J’avais tout. J’avais putain de tout. Je passais ma vie à rire et à aimer, entouré des plus belles personnes qui habitaient cette Terre. Leurs visages étaient systématiquement illuminés de sourires angéliques, bien que parfois teintés de l’empreinte du diable. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’un jour voir leurs visages à eux me donnerait intrinsèquement envie de mourir. Le visage pâle et mort de Pansy. Le visage vide et la gorge tranchée de Theodore. Le visage violet d’hématomes et ensanglanté de Blaise. Ceux qui m’avaient apporté la plus absolue plénitude étaient désormais la source la plus intolérable de ma souffrance.

Je sentis une larme couler sur ma joue alors que je pénétrais dans ma chambre. Je voulais pouvoir effacer chacun de mes souvenirs. Oublier qui j’étais et ce qu’était devenue ma vie. Oublier ce que j’avais vu de mes amis, ce que j’avais fait à Granger, ce que j’avais fait à Theo, ce que j’avais fait à Pansy, la façon dont Blaise m’avait baffé parce qu’il était le seul conscient de ma faute dans toute cette histoire. Je voulais oublier cette vie qui était désormais la mienne et devenir quelqu’un d’autre. Je voulais, l’espace d’un instant, que la douleur s’arrête. Que les images cessent de tourner dans mon esprit. Que l’odeur de la mort disparaisse de mes narines. Que la peur de ce qui résidait en moi disparaisse. Et avant que je ne conscientise ce que je faisais, j’attrapais le carnet dans ma malle, saisissais ma plume, et m’allongeai dans mon lit, le carnet sur mes genoux alors que j’écrivais sans lire les lettres que je voyais tracées sur la première page : 

« Est-ce que ce soir seulement on peut prétendre que tu n’es pas Granger et que je ne suis pas Malefoy, s’il-te-plaît ? » 

Je regardai le message demeurer sur la page de mon carnet alors que je regrettai instantanément de l’avoir envoyé. L’impulsion de mon besoin d’échappatoire avait pris le dessus sur moi, une nouvelle fois. Et bien sûr qu’elle n’attendait plus de mes nouvelles. Bien sûr qu’elle ne gardait pas le carnet avec elle, à toute heure du jour et de la nuit, à attendre que je lui écrive, vérifiant à chaque instant si elle n’avait pas reçu un message de ma part. Bien entendu qu’elle n’avait pas enchanté son carnet de sorte à être prévenue si jamais je lui écrivais. Je n’étais pas censé lui écrire. Je n’aurais jamais dû lui écrire. Et alors que j’allais le refermer, mon encre s’évanouit, et la page redevint vierge. Mon cœur se mit à battre la chamade dans mon poitrail. Il battait si vite et si fort qu’une violente vague de chaleur monta le long de mon corps jusqu’au haut de mon crâne. Elle était derrière ce même carnet. Elle venait de lire les mots que je lui avais adressés. Elle. Ces premiers mots que je lui avais adressés depuis que je l’avais laissée terrorisée sur le sol de la cour de Poudlard. Ces premiers mots depuis que je l’avais abandonnée sans un regard en arrière. Sans une main réconfortante. Sans rien. Et je pensais qu’elle allait me répondre quoi ? Pas de problème ? Je n’ai pas de nouvelles depuis que tu m’as lâchement abandonnée et que je sais ce que tu es devenu, mais pas de problème ? Une nouvelle fois, me voilà à ta disposition ? Je vais sans l’ombre d’un doute mettre de côté mon inquiétude si grande qu’elle ne peut certainement pas être qualifiée par des mots et ne pas poser les mille et unes questions qui me brûlent les doigts pour te servir ? Et alors que je sentais mon cœur battre jusque dans mon crâne, une encre noire aux formes si rondes, si pleines et si délicates se mit à former les plus belles lettres que je n’avais jamais vues : 

« Qui diable se permet de perturber mon sommeil de la sorte ? » 

Je ne contrôlais pas le large sourire qui se dessina sur mon visage tandis que je lisais sa plume. Une unique larme perla sur ma joue alors que je me demandais, là-encore, ce que j’avais bien pu faire pour mériter son amour, et par-dessus tout sa patience. Elle mettait tout de côté pour moi. Ses inquiétudes, son amour, ses besoins. Parce qu’elle savait ce que je traversai, peu importait ce que j’avais fait, peu importait ce qu’elle ressentait, elle mettait tout de côté pour moi. La chaleur qui emplit alors mon cœur n’avait plus rien de désagréable. Je raffermis ma prise sur ma plume avant d’écrire en retour : 

« Votre sommeil me semble bien peu profond si un simple message d’encre parvient à vous arracher des bras de Morphée. Vous, qui êtes-vous ? » 

Dès que j’eu terminé de l’écrire, l’encre disparu sur mon bout de parchemin. Je mordais ma lèvre inférieure en l’attente de sa réponse. 

« Vous écrivez intentionnellement à quelqu’un que vous ne connaissez pas ? Quel drôle d’homme vous faites. Je me nomme Flora Mayfair, et j’exerce en tant qu’avocate. Vous me pardonnerez d’avoir devancé votre prochaine question, et de vous avoir économisé un peu d’encre. À votre tour de dévoiler votre identité à celle que vous avez volée à Morphée ! 

P.S : J’ose espérer qu’il ne vous en voudra pas trop. »

Je m’entendis rire en lisant sa réponse. Je ne me rappelai pas la dernière fois que je m’étais entendu rire avant cet instant. Avant que le sommeil ne l’emporte à nouveau loin de moi, et le sourire aux lèvres, je rédigeai les lignes suivantes : 

« Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que je suis un homme, Flora Mayfair ? Autant que je sache, vous êtes désormais la seule de nous deux à écrire au beau milieu de la nuit à une personne qui vous est totalement inconnue… 

P.S : Morphée est-il possessif, ou puis-je espérer vous voler encore quelques mots ? »

Je l’imaginai sourire, elle aussi, dans son propre lit et de l’autre côté de cette même feuille de papier. Je chérissais cette image qui remplissait mon cœur de chaleur. Je sentis ma jambe se mettre à trembloter dans l’attente des prochaines lignes qu’elle me laisserait lire de sa part dans une impatience juvénile. 

« Votre mention des bras d’un autre homme est sans équivoque, très cher inconnu. Sans même mentionner votre ton autoritaire lorsque vous me demandez de vous dévoiler mon nom. J’irai même jusqu’à avancer que vous êtes le genre d’homme qui n’a pas l’habitude que l’on lui refuse quoi que ce soit… Mettez cela sur le compte de la déformation professionnelle, après tout, cela est mon métier de comprendre les intentions cachées derrière des actes interdits... Tout comme mon goût pour résoudre des affaires, auquel je dois certainement la continuation de cette conversation nocturne. Je ne mentionnerai pas votre inquiétude concernant la relative possessivité de Morphée pour appuyer mon argumentation, cela serait si facile que c’en serait presque déloyal… J’ose néanmoins espérer qu’il y a également chez vous une once de galanterie qui vous permettra de comprendre qu’une femme, par les temps qui courent, ne peut se permettre de discuter fort plus longtemps avec un homme dont elle ne sait rien. 

P.S : Puisque cela semble vous concerner, rassurez-vous. Morphée est du genre à partager. » 

A chaque mot que je lisais, mon sourire s’élargissait tel un adolescent prépubère qui discuterait avec une femme pour la première fois de sa vie. Je retrouvais sans conteste son intelligence, son esprit aiguisé et sa répartie dans sa plume. Mais alors que je sentis ma langue humidifier mes lèvres sans que le sourire ne s’efface de mes lèvres, je m’enfonçai un peu plus dans mon lit, et me concentrai sur Flora Mayfair pour lui répondre : 

« On joue aux devinettes ? L’esprit de compétition…, je suppose que cela je peux vous le livrer à propos de moi. 

Étant donné les arguments que vous nommez pour appuyer votre plaidoirie concernant mon identité de genre, et sans mentionner votre ton si hautain qu’il pourrait s’écraser du haut du Big Ben, il me semble cohérent de suggérer à mon tour que vous êtes le genre de femme qui prend plaisir à mener les autres à la baguette et…, certainement plus particulièrement les hommes, sur lesquels vous aimez asseoir du pouvoir…

Je mordais ma lèvre inférieure alors que je rédigeais mes mots, tenté de suggérer que c’était peut-être ailleurs qu’elle préférait s’asseoir, mais je me rappelais que j’écrivais à Flora Mayfair, et que cette dame qui m’était inconnue méritait le respect et la patience qui lui était due. Je relisais ma phrase pour reprendre : je ne pouvais pas perdre trop de temps. Elle comme moi savions parfaitement que celui qui réfléchissait le plus pour parvenir à répondre à l’autre…, eh bien, perdait, quand bien même je réalisai à l’instant que je ne savais pas à quel moment nous avions fait de cela une compétition. 

… peut-être irai-je même jusqu’à dire que vous le faites remarquablement bien. Mais malgré votre appétence pour la justice et le respect des lois, comme en témoigne la carrière que vous avez choisi de brillamment mener, je n’en ai pas le moindre doute, la façon dont vous adorez secrètement le fait de ne pas savoir à qui vous vous adressez, sans même noter l’habilité surprenante avec laquelle vous flirtez en faisant particulièrement attention à ne pas être trop explicite pour autant, tend à suggérer que vous avez un certain goût pour les interdits malgré tout… Mais bien entendu, cela, personne ne doit le savoir. Laissez-moi deviner… avocate de la Couronne ? 

Je suis effectivement capable de galanterie, et pour que cette dame ne se sente pas salie des mots qu’elle m’écrit, voici sur moi une information dont elle pourra disposer à sa guise : si comme Faun je peux féconder, et si comme Aven je peux ruser, c’est par-dessus tout comme Keeth que je peux garder. Vos secrets, Flora Mayfair, avec moi seront en sécurité.

P.S : Pour ma part, je ne suis pas très prompt à partager. » 

Keeth, Aven et Faun étaient les trois divinités masculines principales qui composaient notre mythologie. Faun, en sa qualité du Dieu de la Prospérité était également le Dieu de la fécondité, parmi ses autres fonctions. Aven, lui, était plus généralement le Dieu de la Mort, et parmi ses plus riches atouts se trouvait la ruse. Keeth, pour finir, était notre Gardien, autant celui des Dieux que celui des mortels par ailleurs. 

Trop rapidement à mon goût pour que je sois en tête de la compétition de nos joutes verbales, l’encre commença à se dessiner en réponse sur mon carnet : 

« Si je dois reconnaître que votre envie de vous faire désirer de la sorte en me faisant deviner votre identité est particulièrement féminine, votre arrogance de vous comparer à nos Dieux, elle, est sans l’ombre d’un doute d’une masculinité profonde. Si vous avez l’audace de vous comparer au Dieu Aven pour vendre votre prétendue ruse, votre choix du Big Ben comme haut bâtiment m’apprend que vous logez, ou tout du moins travaillez à Londres. Pour poursuivre, j’écrirai que votre postulat selon lequel je serai une femme castratrice sur base de bien peu d’éléments confirme mon hypothèse précédente selon laquelle vous êtes un homme qui n’a pas l’accoutumé que l’on lui dise non. Puisque vous semblez néanmoins bien lettré, je vous l’accorde, je présume que vous êtes parvenu à un poste à responsabilités. Peut-être même à un poste de commandement, étant donné que vous semblez aimer avoir le dessus sur les autres… 

Cependant, votre esprit de déduction laisse à désirer. Si vous êtes faussement habile en flatteries pour parvenir à vos fins, vous faites fausse route sur ce que je suis. Bien que je puisse concevoir que l’idée de compromettre une avocate de la Couronne avide de faire respecter les lois comme une bonne et gentille fille vous exciterait sans nul doute, vous m’envoyez navrée de réduire vos fantasmes à néant en vous apprenant que je suis avocate de la Défense. 

P.S : Ne peut vous appartenir que ce que vous possédez. » 

Je riais derrière mon carnet. Oh, Flora Mayfair était brillante. J’aiguisai ma plume et fit craquer mon poignet avant de le forcer à écrire aussi vite que je le pouvais, entraîné dans la compétition implicite que Granger et Malefoy s’étaient lancé au travers de Flora et de son inconnu : 

« Pardonnez ce que vous avez faussement considéré comme un trait féminin de me faire désirer auprès de vous, en réalité j’espérai vous divertir en vous faisant plaisir (ce qui, je le crois, est un trait plutôt masculin…), puisque vous avez mentionné avoir un goût prononcé pour la résolution d’affaires. 

Si je ne puis nier ni mon arrogance, ni mon audace, j’ai néanmoins la galanterie de retourner la pareille à mes partenaires. Étant donné le métier que vous exercez et que vous avez été si fière ainsi qu’impatiente de me livrer quand bien même je ne l’avais pas demandé, ainsi que l’habilité de chacun de vos sous-entendus, il me semble approprié de vous comparer à Priya. Je ne voudrais cependant pas heurter une possible sensibilité chez vous ni insulter votre beauté, et quand bien même je ne vous ai jamais vue, un esprit aussi aiguisé ne me semble pouvoir qu’être assorti d’un visage digne de la création directe de Moth…  

Dans notre mythologie, Priya et Moth étaient les deux divinités féminines. Priya, parmi ce qu’elle représentait, était la Déesse de la vérité et de la justice, et Moth notamment celle de la beauté et de l’amour, parmi d’autres choses. 

… Puisque vous considérez mes compliments sur votre carrière comme étant de la « flatterie », qui dans la définition du terme est un compliment exagéré (ne soyez pas si humble…) ainsi qu’intéressé, je vous prie de bien vouloir croire que ces mots sont sincères. Ou bien peut-être avez-vous aussi des hypothèses sur mes intentions supposément intéressées à votre égard ? Je me permettrai néanmoins de vous demander, s’il se trouvait que ces mots étaient bel et bien de la flatterie…, y êtes-vous sensible ? 

Si le dédain est transparent dans vos mots, votre curiosité à mon égard est explicite dans le fait que vous me choisissez moi, un inconnu, à Morphée. Il me semble pouvoir donc raisonnablement supposer que quand bien même vos mots sont tranchants…, au fond, vous me trouvez intéressant. J’ai bien entendu une confiance aveugle en le fait que vous me le soulignerez, s’il se trouvait que je me trompais, bien que j’en doute. Mettez cela sur le compte de mon arrogance. 

Puisque, une nouvelle fois, il se trouve que je suis galant, je vous accorderai que je travaille effectivement à Londres. Et effectivement, j’ai un poste de commandement à responsabilités, cela vous pouvez le mettre sur le compte de vos séduisantes capacités de déduction. Dans bien des contextes, je vous le cède aussi, j’affectionne en effet d’avoir le dessus sur les autres, bien que ces « autres » soient limitées pour que je puisse l’affectionner réellement.  Je vous remercie chaleureusement par ailleurs d’avoir noté que j’étais bien lettré, et je puis avec plaisir vous retourner le compliment. 

Finalement, et seulement parce que vous avez eu l’impudeur de le mentionner vous-même, je répondrai qu’il est audacieux de votre part de supposer que compromettre une « gentille fille », pour reprendre vos termes, est plus excitant que de s’approprier en soumettant à ma volonté une femme de pouvoir avec un goût prononcé pour les mauvais garçons.

P.S : Oh et, je l’avoue…, l’on m’a, dans ma vie, rarement refusé la propriété de ce que je désirai. » 

Puisque le message s’effaçait dès que nous l’avions lu dans son intégralité, la compétition était plus ardue encore lorsque les messages envoyés étaient longs, puisqu’il fallait également se rappeler de chaque point soulevé par l’autre, afin de ne pas se faire prendre à laisser non-adressé une suggestion faite. Entraîné dans la frénésie délicieuse de cette compétition faite de découverte de la passionnante et exaltante Flora Mayfair, j’oubliai jusqu’à la personne que j’étais et la vie que je menais un instant. 

« Vous êtes trop aimable de donner de votre personne pour me divertir, chère personne qu’il ne m’est toujours pas donné la possibilité de nommer. Si le sarcasme n’était pas perçu dans mes mots lors de votre lecture, permettez-moi de l’expliciter ici pour vous. Avez-vous l’habitude que les femmes vous répondent « merci, Monsieur », alors que leurs joues prennent une teinte de rouge qui vous flatte ? 

Contrairement à vous, être comparée à nos divinités me semble plus insultant pour elles que flatteur à mon égo. Ne vous a-t-on jamais apprit que les divinités étaient sacrées, et que leurs noms ne devaient jamais être prononcés, ou, dans le cas qui vous concerne, écrits en vain ? Cela me semble étonnant, puisque vous me semblez académiquement éduqué. Peut-être n’est-ce là encore qu’une démonstration cuisante de votre arrogance qui n’a pour limite que votre audace.

Vous m’envoyez ravie de lire que vous confirmez chaque hypothèse que j’ai jusqu’alors formulée à votre égard. Puisque vous êtes curieux des intentions que je décèle chez vous, et étant donné votre manque évident de bienséance dans votre façon de vous adresser à une dame, celles-ci me semblent explicites dans les termes sexuels que vous n’êtes pas trop frileux d’utiliser. Néanmoins, étant donné que vous ne savez pas même à quoi je ressemble, et qu’il s’agit de « mots volés » comme vous l’avez dit vous-même, je pense ne pas trop m’avancer en supposant que vous n’êtes finalement qu’à la recherche d’une distraction dans votre vie trop monocorde. Quant au fait que vous me demandiez si je suis sensible à vos basses flatteries, je répondrai simplement qu’il m’est délicieux de constater que vous doutez de vos charmes, à raison. 

Je vous accorderai cependant ma curiosité, non pas qu’elle vous soit personnellement attribuable. Si Morphée est habitué à ce que je lui échappe de par les responsabilités qui sont les miennes (vous savez, sauver des innocents, ou bien des coupables d’ailleurs, de la damnation éternelle), je ne vous accorderai que le titre de distraction. Au moins là-dessus il me semble que nous sommes en harmonie. 

Votre galanterie quant à me répondre ce que je savais déjà sur vos activités professionnelles n’est en réalité que simple reconnaissance d’avoir perdu au jeu que vous avez initié. Pour le bien de votre égo aux allures si fragiles cependant, je n’irai pas plus loin sur ce point. 

Concernant vos sous-entendus de fort mauvais goût, je me trouve être contrainte de vous dire directement que si vous pensez que de tels sous-entendus puissent un jour séduire une femme, c’est sans doute que celles que vous avez l’habitude de séduire ne sont, sans conteste, pas des dames. 

P.S : Il paraît que la phase d’opposition, ou en des termes que vous pourrez comprendre, la période pendant laquelle les parents apprennent le « non » à leur enfant, est absolument essentielle au bon développement de tout à chacun.  Si cela vous échappe, pour ma part je comprends désormais pourquoi. »

Je mordais l’intérieur de mes joues en témoignant de son insolence. S’il m’avait déjà été possible de l’oublier, je me rappelai sans conteste pourquoi elle était celle qui détenait, aujourd’hui encore, les restants de mon cœur. Le temps que nous nous écrivions mutuellement, une bonne heure était déjà passée. Il allait bientôt me falloir dormir. Quand bien même j’oubliai ma vie en lisant ses lignes, je me rappelai que celle-ci dépendait en partie de la quantité de sommeil que je parviendrais à accumuler. Mais je n’étais pas encore prêt à abandonner Flora Mayfair. 

« Me voilà navré de vous avoir offensé par ma généreuse intention de vous divertir. Je dois reconnaître que non, les femmes n’ont pas pour habitude de me répondre « merci, Monsieur ». En réalité, elles ont plutôt tendance à me répondre « merci, Votre Grâce ». La teinte de rouge que prend leurs joues est cependant d’une précise justesse de votre part. 

L’on m’a appris que les divinités, l’une d’entre elles en particulier, s’était baissée sur mon berceau pour bénir ma venue au monde. Peut-être est-ce de cette histoire que découle mon arrogance qui semble tant vous irriter, quand bien même vous continuez de me faire l’honneur de converser avec moi. Je ne me sens donc pas terrifié à l’idée d’écrire leurs noms, ni de les mentionner en des termes anthropomorphiques, mais je conçois sans peine que cela vous effraye, vous. 

Pardonnez ma maladresse, ma dame, je ne pensais que répondre à vos questions quant à mes préférences en matière de fantasmes sexuels. Je n’aurais pas voulu que vous vous fassiez une fausse image de moi… Vous m’envoyez cependant désolé de devoir nuancer mes propos précédents sur vos grandes capacités de déduction. Ma vie est, malheureusement, fort loin d’être monocorde, puisque comme vous l’avez justement souligné j’ai, moi également, bien des responsabilités qui m’incombent. J’ajouterai encore que plus je vous lis, moins j’espère que vous ne serez qu’une distraction d’une nuit. En ce qui concerne les doutes que vous pensez déceler en mes charmes, je crois que j’ai pour cette fois envie de vous laisser vous tromper. Je dois avouer que l’idée d’un jour observer la confiance et la défiance s’évanouir sur votre visage alors que vos propres joues prendraient une teinte de rouge et que vos yeux se baisseraient m’inspire au plus haut point. Je ne vois néanmoins aucun inconvénient à ce que vous m’utilisiez, vous, comme distraction. Ce doit être mon côté généreux. Profitez-en à votre guise. 

Pensez-vous que je ne désire pas que vous découvriez mon identité, pour oser sous-entendre que j’ai perdu en vous dévoilant intentionnellement des informations à mon propos ? Voilà qui serait bien erronné de votre part. Si compétition il y avait, j’ose espérer que nous pourrions faire équipe, car quelque chose me pousse à croire que nous irions plus loin ensemble, plutôt que l’un contre l’autre.

Finalement, je conçois que mes termes explicites puissent mettre mal à l’aise une dame comme vous, quand bien même je présume que votre métier vous a certainement permis de rencontrer des énergumènes bien moins appropriées que je ne le suis. Je serai néanmoins curieux de savoir ce qui vous a poussé à croire que je m’hasardai par là même à vous séduire ?  

P.S : Il paraît qu’il existe deux sortes de personnes sur Terre : celles qui se donnent des excuses, et celles qui obtiennent des résultats. Je n’ai jamais dérogé à donner de ma personne pour obtenir les résultats souhaités. En fait, je suis même capable de donner très généreusement de ma personne. » 

La rapidité avec laquelle elle lisait mes mots dont je témoignais à mesure que le message que j’avais écrit s’effaçait sur mon carnet était aussi insolente que la vivacité de son esprit lorsqu’elle me répondait. Et je me retrouvais, encore une fois, tel un adolescent de l’autre côté de mon carnet à caresser mon menton de ma plume en l’anticipation excitée de la réponse qu’elle m’offrirait. 

« Votre arrogance vous dévoile, Votre Grâce. Vous êtes donc un Duc. Voilà qui représente un indice de taille, puisque les titres de noblesse ne sont pas attribués à tout à chacun. Me voilà ravie de constater que je découvrirais sans ne trop plus tarder votre identité. 

Le fait que l’on vous ait raconté une telle histoire digne d’un conte de fées dans vos jeunes années est une erreur attribuable aux personnes qui vous ont élevé, cependant le fait que vous y croyez encore à l’âge adulte est incontestablement la vôtre, d’erreur. 

Il est bien prétentieux de votre part que de supposer que je suis intéressée plus que concernée par vos fantasmes sexuels. Votre soif insatiable de pouvoir me semble témoigner bien plus d’un complexe d’infériorité qui cherche vengeance, malgré le titre dont vous vous ventez, plutôt que d’une quelconque supériorité. Ne vous a-t-on pas assez dit que vous étiez un bon garçon dans votre enfance ?

Prétendre que vous n’essayez pas de me séduire après avoir proposé de vous utiliser comme distraction à ma guise représente une contradiction insultante à votre intelligence. J’attribuerai cela à votre vaine tentative de parer au fait que vos charmes sont tristement inefficaces sur moi. Je me dois cependant de vous demander, qu’adviendrait-il s’il se trouvait que j’étais une vieille fille mariée pleine de rides ? Votre besoin de distraction demeurerait-il intact, ou trouveriez-vous une autre muse ? 

P.S : Votre Grâce est trop généreuse. Peut-être devrait-elle faire attention, lorsqu’elle donne d’elle-même de la sorte à outrance, à ne pas un jour récolter ce qu’elle a semé en retour. »

La largeur de mon sourire était indécente alors qu’une chaleur se faisait désormais ressentir dans mon bas ventre. Ma petite sorcière…, les choses que j’aurai voulu pouvoir lui faire en cet instant…, la satisfaction avec laquelle j’aurai lentement effacé son air suffisant sur son visage…, mais je me concentrai sur la compétition. Je ne pouvais prendre le temps d’écrire tranquillement, je n’aurai pas été étonné d’apprendre qu’elle chronométrait la rapidité de mes réponses comparées aux siennes. Peut-être aurais-je du moi-même pensé à le faire, d’ailleurs. Je léchais le bout de ma plume à défaut d’autre chose, et rédigeai en retour :

« N’est-il pas venu à votre brillant esprit que peut-être je désirai justement que vous appreniez de vous-même mon identité ? Je vous imagine sans peine flâner sans repos dans les rues londoniennes à la recherche de votre Duc perdu…, mais s’il se trouvait que je voulais que vous me trouviez ? Que se passerait-il ensuite ?

Je serai ravi de pouvoir vous exposer chacune des raisons qui me poussent à croire, encore aujourd’hui, qu’un Dieu s’est bel et bien penché sur mon berceau à ma naissance, mais j’en conviendrais qu’une dame de votre genre mérite sans conteste que l’on prenne son temps pour la découvrir, de quelque façon que ce soit d’ailleurs. 

Un complexe d’infériorité ? Cela suggérerait-il que je serai inconforté de me trouver sous quelqu’un d’autre ? Je regrette que vous ne puissiez voir l’épais sourire qui se dessine sur mon visage en écrivant ces mots. J’ai plutôt réputation à offrir à ma hiérarchie le respect qui lui est du. Mais peut-être qu’une femme de votre genre prendrait un certain plaisir à me dire qu’en effet, je suis un bon garçon ? Vous m’excuserez d’avoir plutôt tendance à croire que les femmes qui portent les responsabilités du monde sur leurs épaules préfèrent d’avantage un partenaire capable de prendre les devants une fois qu’elles sont rentrées à la maison. Peut-être, étant donné la détermination avec laquelle vous vous acharnez à le prouver, que l’on ne vous a pas assez dit que vous étiez une vilaine fille dans votre enfance ? 

Nous savons tous les deux que votre esprit est trop fin pour que vous soyez une vieillie fille, mais puisque ce que je puis penser de vous semble vous inquiéter, vous me forcez à demander : êtes-vous mariée ? Et Merlin m’en préserve…, êtes-vous pleine de rides ? S’il se trouvait que vous l’étiez, rassurez-vous Flora Mayfair. Je vous qualifierai simplement de vilaine antiquité, plutôt que de vilaine fille. 

P.S : Et si je n’attendais en fait que cela ? Seriez-vous généreuse pour moi ? »

Je comptai, le sourire aux lèvres, les minutes qui séparaient sa lecture de mes mots à la réception de sa réponse. 40 secondes pour lire et intégrer mon message pourtant plein de sous-entendus, et deux minutes trente seulement pour me répondre. Je détestai l’idée que peut-être elle gagnait cette compétition-ci aussi. 

« Si vous étiez d’une telle arrogance face à moi qu’au travers de vos lignes, ce qu’il se passerait ensuite serait probablement la rencontre de la douceur angélique de la paume de ma main contre votre joue qui, je l’imagine sans mal, prendrait à son tour une jolie teinte de rouge. 

Vous êtes bien présomptueux d’émettre l’hypothèse improbable selon laquelle une dame dans mon genre, pour reprendre vos termes, puisse désirer que vous la découvriez. Surtout si, à s’y méprendre en lisant vos sous-entendus, vous l’entendez au sens biblique du terme. Je me demande de fait ce qui peut bien clocher chez un Duc pour qu’il ne soit pas marié à l’âge adulte, bien que j’aie déjà ma propre idée sur la question. Ou peut-être êtes-vous simplement de ces hommes qui n’ont que faire d’humilier leurs femmes en les faisant cocues ? 

Vous m’envoyez navrée de devoir, une nouvelle fois, réduire vos fantasmes à néant. Je ne suis ni mariée, ni ridée. Je dois avouer que plus je vous lis, plus je suis concernée par le contenu de vos fantasmes sexuels. Des vieilles, vilaines et mauvaises filles qui ne vous témoignent pas le moindre intérêt ? Je travaille en collaboration avec plusieurs médecins de l’esprit. Peut-être pourrais-je mentionner votre cas à l’un d’entre eux, et revenir vers vous s’il se trouvait qu’il pouvait quelque chose pour votre cas. Je ne peux, en l’état actuel des choses, pas vous assurer quoi que ce soit, mais je ne manquerai pas de vous faire un retour.

Puisque vous sollicitez ma générosité, je me permets ces quelques lignes : vous avez dit précédemment que votre vie n’était « malheureusement » pas monocorde, et que vous espériez que nous puissions faire équipe. Bien que je ne sache pas ce qu’il s’est produit dans votre vie pour que vous en veniez à m’écrire ce soir, et bien qu’il m’apparaisse évident que vous ne m’en dévoilerez rien, sachez néanmoins qu’en temps de doute, la réponse est toujours l’amour. Que vous soyez marié ou entouré d’amis, les liens, intangibles et pourtant bien plus solides que quelconque objet ne saurait jamais l’être, sont la seule chose indestructible qui soit, lorsque l’on en prend soin. Protégez vos liens, et prenez-en soin Votre Grâce. Je suis persuadée que c’est ainsi que vous obtiendrez les résultats que vous cherchez. »

Tout sourire s’effaça doucement de mon visage à la lecture de ses dernières lignes, qui sans conteste n’étaient pas destinées à l’inconnu, mais bel et bien à Drago Malefoy. Je ne pouvais pas lui en vouloir d’avoir saisi la perche que je lui avais inconsciemment lancée plus tôt. J’en aurais probablement fait autant, à sa place. Et je supposai que l’inquiétude qu’elle ressentait à mon égard, et qu’elle avait fort généreusement mise de côté pour m’écrire ces quelques mots volés afin de m’aider à échapper à ma réalité ne serait-ce que l’espace d’un instant, était plus forte que Flora Mayfair ne l’était. Avec le cœur serré, j’écrivais alors : 

« Je ne suis marié à aucune femme que je rendrai cocue en vous écrivant ces lignes. Je dois néanmoins vous avertir que mon cœur appartient à la première femme qui a eu la générosité d’offrir à ma joue la paume de sa main. 

Merci pour vos mots, autant pour les tranchants que pour ceux qui ont su se frayer un chemin jusqu’à mon cœur. 

Passez une douce nuit, Flora Mayfair. 

Amicalement,

Votre inconnu dévoué. »

Je m’apprêtais à fermer le carnet, le remord me serrant le cœur quand ses derniers mots se matérialisèrent sous mes yeux : 

« Belle nuit, Votre Grâce. 

Je prierai vos amis les Dieux pour que vos rêves apaisent vos nuits, et je serai, avec ma plume, de l’autre côté de ce parchemin chaque fois que tenterez ardument de ne pas me séduire. »

Un dernier sourire étira mes lèvres, puis, le goût amer de la nostalgie dans la bouche, je fermai le carnet et bientôt mes paupières pour m’enfoncer dans un sommeil qui m’apprit que ses prières n’avaient pas été exaucées. 


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A bientôt <333

Liv 

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