Dollhouse

Chapitre 44 : 24 Heures

12797 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/09/2024 12:45

Je savais que je me dirigeais droit vers ma mort. Je savais que j’étais condamné, à chaque nouveau pas que je faisais, le corps vide de Pansy reposant lourdement dans mes bras, frappant contre mon poitrail de toute sa rigidité mortuaire. Je savais parfaitement, et ce sans le moindre doute, que je condamnais l’intégralité de ma vie en empruntant ce chemin. Pas après pas, je traversais les jardins du manoir plongés dans la nuit, rafraichis par la pluie. La peur serrait mon ventre, mais ce n’était pas à cause de ce que je m’apprêtais à faire. Je n’avais pas la moindre peur, pas le moindre doute, pas le moindre « et si… » trainant dans un recoin de mon esprit vis-à-vis de ma décision. Il n’y avait que la terreur que j’échoue, et que je perde mon frère à jamais. J’avais une chance, une seule. Il n’y en aurait pas deux. Soit cela fonctionnait, soit il mourrait, et je le précéderai d’ailleurs indubitablement. Et la terreur qui m’assaillait en cet instant en était une que je connaissais désormais que trop bien, et que je me refusai à reconnaître comme une compagne de vie. Il paraissait que l’être humain pouvait s’habituer à tout, s’accoutumer de tout, du pire comme du meilleur. Qu’au bout d’un moment, la douleur ou le bonheur - même des plus intenses - devenaient notre quotidien, et en cela ils n’avaient finalement plus rien de particulièrement intense ou de notable. Il n’était pas une option qu’il me devienne familier que de me demander si mon frère survivrait les prochaines 24heures, puis les suivantes, et les suivantes encore. Alors c’était cela, ma plus grande angoisse. 

J’avais remarqué que lorsque l’on apprenait à connaître quelqu’un, souvent certains demandaient « c’est quoi, ta plus grande peur ? ». La mienne avait toujours été la même, parce que j’avais été conscient bien trop tôt que Theodore était mortel, et que sa vie était dangereuse, que ce fut lorsqu’il s’agissait de son père ou plus tard du Seigneur des Ténèbres. J’avais grandi en attendant son retour, la peur abominable retournant mon ventre que peut-être, peut-être ce jour-ci il ne me reviendrait pas. 

Dans nos plus jeunes années, j’avais concentré mon énergie à mériter et gagner sa confiance. Il m’avait toujours semblé être un petit garçon si mystérieux, avec quelque chose d’inhéremment précieux qui lui était propre, et propre à lui seulement. Il m’avait toujours profondément touché, simplement dans la forme la plus pure de ce qu’il était : un petit garçon effacé et terrorisé. Il ne fallait pas être Dumbledore pour comprendre, même alors que je n’étais pas âgé de 5 ans à l’époque, qu’il lui arrivait des choses qui n’étaient pas censées arriver à un enfant de cet âge-là. Je ne savais pas si je l’avais considéré comme un projet, comme une sorte de challenge ou de défi personnel, et à vrai dire je n’en avais absolument rien à foutre. Je savais simplement que je le voyais, haut comme trois pommes, avec ses cheveux noirs ondulés qui retombaient lourdement sur ses incroyables yeux que je ne pouvais jamais rencontrer, et que mon cœur se brisait chaque fois que c’était le cas, et pourtant, à chaque fois également, je me sentais un peu plus entier. Maintenant que je savais quel lien existait vraiment entre lui et moi au niveau théorique, bien que je l’expérimentais en pratique depuis des années déjà, je comprenais d’autant plus. Sa souffrance était la mienne, et elle l’avait toujours été. Et je n’étais entier que lorsqu’il était à mes côtés. 

Chaque fois qu’il repartait avec son père après le moindre de mes minuscules progrès avec lui - un regard en coin intrigué, un pincement de lèvres pour s’empêcher de rigoler, son visage porté un millimètre plus haut, une main aventurière hésitant à saisir un de mes jouets – je sombrai dans la souffrance avec lui. Je ne le comprenais pas à l’époque, mais il m’obsédait déjà autant la nuit que la journée. Et la seule chose à laquelle je pensais, à toute heure du jour et de la nuit, qu’il fut présent à mes côtés ou enfoncé dans les abysses de ses enfers, était « que puis-je faire pour que Theo aille bien ? ». 

Puis il y avait eu Poudlard, et nous avions grandi, et il s’était endurci. Il était venu vivre chez nous, et je le savais en sécurité. Bien traité. Et ma terreur s’était apaisée. Mes douleurs abdominales avaient cessé et mes nuits s’étaient apaisées. Mais la même question tournait dans mon esprit, peut-être de façon moins obsédante néanmoins, puisque je le savais bien. Pendant plusieurs années alors qu’il vivait avec nous, qu’il avait Pansy à ses côtés en tant qu’amie, je le savais bien. Mais je ne pouvais m’empêcher de me demander, comme si moi aussi, une part de moi était restée bloquée dans ce passé qui l’avait tant martyrisé, et moi également par procuration : « que puis-je faire pour que Theo aille bien ? ».

Et le pire était arrivé. Du moins, à l’époque, je pensais que c’était le pire qu’il puisse arriver. Je n’avais pas idée, seulement quelques mois plus tôt, d’à quel point j’avais tort. Il m’avait semblé que le pire était qu’il soit devenu un Mangemort, et qu’il risque sa vie dans ses fonctions. Puis il m’avait semblé que le pire était qu’il soit devenu un Mangemort responsable de Pansy, Blaise, ma mère, et moi, parce que j’étais incapable de le et les protéger comme lui pouvait le faire. Puis il m’avait semblé que le pire était qu’il soit envisagé pour le poste de Grand Intendant, et que toute l’attention des rangs soit tournée sur lui. Puis il m’avait semblé que le pire était qu’il disparaisse seul pour des missions dont je ne pouvais savoir s’il en reviendrait. Puis il m’avait semblé que le pire était qu’il perde la raison en perdant Pansy. Puis il m’avait semblé que le pire était d’être responsable de sa chute. Puis il m’avait semblé que le pire était de le perdre lui, définitivement et irrémédiablement. Et maintenant que j’avais connu tout cela, maintenant que je me tenais de l’autre côté de ce dernier « pire », je ne pouvais empêcher une voix dans mon esprit de se demander : qu’y a-t-il encore de pire, après ça ? Parce que je savais, au fond de moi je savais parfaitement que nous étions loin d’être au bout de tous les « pires » que nous avions à traverser. 

Mais je ne l’avais pas encore perdu. Je l’avais mis dans la pire situation possible, mais je ne l’avais pas encore perdu, et c’était tout ce à quoi je m’accrochais alors que traversais la nuit et la pluie vers ma destinée. Rien d’autre n’importait. Rien n’était plus important que lui. Rien ne m’était plus essentiel, indispensable, que lui. Il était mon compagnon de vie, l’autre moitié de moi, une partie de mon âme. Alors je savais que je marchais vers ma perte, et cela n’avait pas la moindre importance. Alors je savais que je risquerais ma vie dans les minutes qui suivraient, et cela n’avait pas la moindre importance. Alors je savais que si je parvenais à obtenir ce que j’allais chercher j’étais condamné, et cela n’avait pas la moindre importance. Si je réussissais, il n’y aurait plus jamais d’espoir pour ma rédemption. Plus jamais d’espoir pour elle et moi. Plus jamais d’espoir de liberté. Plus jamais d’espoir d’une autre vie que celle-ci. Il n’y aurait plus d’endroit où se cacher, plus de moment pour respirer, plus de légèreté ni d’espoir d’une échappatoire. Je ne m’en sortirais plus jamais. Et cela n’avait pas la moindre importance. Parce que si je réussissais, je ne le perdrais pas. Et cela, c’était tout ce qui comptait. 

Le poids de ma responsabilité affaissait mes épaules à l’image du corps vidé de Pansy que je portais contre moi. Je n’avais plus le droit à la moindre erreur. J’avais déjà établi que ça n’aurait jamais dû être moi, celui qui restait pour sauver les autres. Il ne servait à rien de se languir de ce constat, parce que c’était ce que c’était : un constat. Mais un autre constat bien plus urgent, et bien plus important se dressait devant moi : quelqu’un devait gérer. Pour eux. Pour lui. Parce que sa vie en dépendait. Alors je savais que je disais au revoir à Granger, et j’inspirai profondément cette nouvelle vie par les narines alors que la pluie battait mon visage, le nettoyant des larmes qui n’avaient cessé de couler pendant la nuit qui contenait mes pires cauchemars. Alors je savais que je disais au revoir à la personne que j’avais été avant cette nuit, et j’expirai profondément cette ancienne vie en me dirigeant vers mon avenir. Sauver Theodore. C’était la seule mission qui comptait. Le reste n’avait plus la moindre importance. Mes angoisses, mes envies, Granger, mes passions, mes hobbies, les autres êtres humains peuplant la Terre. Rien d’autre n’avait d’importance. Sauver Theodore. Je lui avais fait cela. Je lui devais cela. Et je ne pouvais pas, je ne pouvais intrinsèquement pas ne pas faire cela. 

Je n’avais pas eu besoin de réfléchir. Quand enfin l’idée m’était venue, je n’avais pas eu le moindre besoin de réfléchir. Pas le moindre besoin de peser le pour et le contre, de considérer ce que cela signifierait pour moi si je réussissais ou même si j’échouais, d’envisager ce que cela me coûterait ou ce que cela signifierait pour le restant de mes jours. J’avais eu l’idée. J’avais eu une idée. Une idée, alors que je perdais mon frère, et qu’il n’y avait plus rien à faire. Une idée qui pouvait me permettre de le récupérer. Alors les tenants et les aboutissants de celle-ci n’avaient pas compté la moindre milliseconde. Alors je traversai les jardins. Je traversai la pluie et je m’enfonçai dans la nuit, le cadavre de Pansy comme rappel constant de ce que je lui avais fait, à lui.

Je savais que le reste aurait dû compter plus. J’étais conscient qu’en cet instant, le cadavre de Pansy n’aurait pas dû simplement être le témoin de la souffrance que j’avais infligée à mon frère. Qu’il aurait dû être aussi le cadavre de ma meilleure amie. Je savais que Granger aurait dû être plus qu’un souvenir d’une ancienne vie que je balayais d’un revers de main sans un regard en arrière. Je savais que ma propre vie aurait dû m’entraîner plus de réflexion avant d’être vendue au plus offrant. Je savais que j’aurais dû ressentir plus, bien plus que simplement la terreur d’échouer pour lui. C’était cela, le secret le plus noir de mon âme. La vérité de ce que j’étais réellement, au plus profond de moi-même. Incapable de rien pour lui. Capable du pire sans même me retourner. Et c’était vers cela que j’allais, à chaque pas que je faisais dans la nuit. Et tout ce qui avait composé ma vie jusqu’alors mourrait avec moi, parce qu’à partir de cette nuit plus rien ne serait jamais comme avant, plus même moi. Et la seule chose qui continuait de me terroriser, quand bien même j’étais parfaitement conscient de tout cela, c’était que si j’échouais, j’allais perdre mon frère. Alors je devenais celui que je ne savais jusqu’alors pas que j’étais, afin qu’il puisse continuer d’être celui qui rendait mon âme entière. 

Les Dieux me l’avait offert. Les Dieux me l’avait donné. Les Dieux m’avaient laissé l’avoir. Et les Dieux me l’avait rendu, après que mes propres erreurs aient failli lui coûter la vie. Je n’échouerai pas. Je n’échouerai plus jamais. Je ne pouvais plus jamais ressentir pareille douleur. Je ne pouvais plus jamais mettre sa vie en danger. Je ne pouvais plus jamais prendre le risque de le perdre. Il n’y aurait plus de doute, plus de tremblement et plus de peur. Il n’y aurait plus que la responsabilité. Je l’avais perdu par ma faute. Je lui avais fait cela. Et les Dieux me l’avait rendu. Plus jamais. Plus jamais je ne pouvais ressentir une telle atrocité en le voyant mourir devant moi, combattant les soldats du pire homme qui puisse être. Plus jamais, absolument plus jamais je ne pouvais entendre à nouveau le son de sa voix se briser sous la puissance de sa souffrance alors qu’il hurlait au désarroi devant le cadavre de Pansy. Plus jamais je ne pouvais le voir se prosterner aux pieds de Voldemort pour quelque chose que je lui avais fait. Baisser les yeux devant lui… Une douloureuse larme perla ma joue et je pinçai mes lèvres pour contrôler ma douleur à l’évocation de ce souvenir. Le temps pour se languir de regrets et dans la douleur était écoulé. Il était temps d’agir. Je traversai les derniers mètres du jardin avant de m’enfoncer dans la forêt qui bordait le manoir en me le promettant de toute la force de ma volonté, et de toute la puissance de ma dévotion envers lui. Plus jamais. Plus jamais une telle douleur. Plus jamais une telle horreur. Plus jamais une telle terreur. Plus jamais. Putain de plus jamais. Je ne l’autoriserai pas, sous quelque forme que ce soit. Plus jamais. 

Alors je déposai le corps vide de Pansy sur le sol mouillé de la forêt et j’inspirai et expirai violemment les dernières bouffées d’air qu’il me restait, mes cheveux goûtant sur mon front. Je ne le laisserai pas entrer dans ma maison. Pas quand il risquerait d’y faire du mal à Theo. Avec chaque nouvelle inspiration je laissai le courage, l’honneur, les responsabilités prendre possession de moi accompagnées de leur force et détermination. Et avec chaque nouvelle expiration je laissai aller mes désirs d’une vie avec Granger, à mon âme, à mon humour et à mes angoisses. Je laissai aller à celui que j’étais et celui que j’aurai pu être, au profit de celui que j’avais besoin de devenir pour notre survie. A celui qui était incapable de faire ce qui avait été attendu de lui, pour accueillir celui qui était capable de faire ce qui n’était pas attendu de lui. 

Alors j’inspirai, et j’expirai. Je forçai mes yeux à soutenir le visage verdâtre de Pansy sur le sol ramolli par la mousse sur lequel elle reposait désormais. Je laissai mon ventre se contracter de peur, et je me forçai à continuer de la regarder. Parce que je lui avais fait ça. À elle, et surtout à lui. Et c’était pour ça, c’était exactement pour cela que je faisais ce que je m’apprêtais à faire. Alors je me forçai à la regarder. Je me forçai à me confronter à ses yeux clos, quand bien même cela me rendait nauséeux. Je me forçai à me confronter à l’odeur de sa mort. Je me forçai à me confronter à la couleur désormais inhumaine de sa peau. Je me forçai à me confronter à sa poitrine qui n’était pas animée des mêmes mouvements d’inspiration et d’expiration que la mienne. Je me forçai à me confronter à l’horreur que de voir cette personne que j’aimais, gisant, morte, devant moi. Je me forçai à me confronter à la réalité : elle était morte, et j’en étais responsable. Alors j’expirai celui que j’étais, et j’inspirai celui que je me devais d’être, et je me forçai à la regarder encore, me tuant à l’intérieur de moi-même. Parce que je ne m’autoriserai pas à oublier. Je ne m’autoriserai plus jamais à oublier. Je ne m’autoriserai jamais à oublier ce que sa perte m’avait fait. Ce que sa perte avait fait à Blaise. Ce que sa perte avait fait à Theo. Ce que j’avais vu. Ce que j’avais ressenti. L’abomination qu’était cette nuit. Ma douleur. La sienne. Son sang. Son âme qui s’était détachée de la mienne. Ma douleur. La sienne. La pluie. Les Dieux. Ma douleur. La sienne. Son impuissance. La mienne. Plus jamais. Putain de plus jamais. Alors je me forçai à la regarder, encore une dernière fois. Je gonflais mes joues d’air et j’expirai tout aussi violemment alors que je me promettais en me forçant la vue de son cadavre que rien de tout cela n’arriverait plus jamais. Je forçai mon avant-bras gauche à ne pas trembler alors que je l’étendais face à moi, de dernières violentes inspirations et expirations remuant mon poitrail alors que je fixai le corps sans vie de Pansy. Plus jamais. La pluie continuait de s’écouler sur moi, rendant obsolète l’effort de ne plus verser de larmes, et je pinçai violemment les lèvres en lâchant la dernière expiration de mon ancienne vie, prenant finalement la première inspiration de celle du reste de ma vie, et avec force, je déposai ma main droite profondément enfoncée sur ma peau tatouée alors que je l’appelai. 

Je fermai les yeux un instant. Je fermai les yeux un instant et des bribes de mon ancienne vie s’imposèrent à mon esprit en une succession d’images et de sons. Comme si j’étais en train de mourir. Comme si l’essentiel me revenait, pour que je puisse finalement partir en paix. Les grands yeux de Theo sur son corps d’enfant. Le doux son de son rire quand nous jouions à cache-cache. La sensation de la peau de ma mère contre la mienne. Les regards complices de mon père. La chanson avec laquelle je berçais Theo quand il dormait avec moi. Nos repas interminables en famille. Le rire profond de Blaise. Ses yeux joueurs. Quelque unes de ses plus belles mauvaises idées. Les yeux du petit Theo sur Pansy. Nos quatre rires se mélangeant et devenant de plus en plus profonds au fur et à mesure des années. La chaleur des bras de mon frère. Les excellents matchs de Quidditch que nous avions gagné ensemble. Pansy et Blaise commérant comme des pestes sous les yeux inquisiteurs de Theo et moi. Le corps fin de ma meilleure amie qui dansait du bout de chacun de nos bras tour à tour. Les étincelles qu’elle avait faites naître dans les yeux de mon frère en devenant sienne. La douceur de la peau de Granger et la chaleur de son regard quand il rencontrait le mien. L’excitation intellectuelle de débattre avec elle et de la voir combattre pour ses idées. Le goût de son corps et l’odeur de son amour. Oui, j’avais eu une magnifique vie. J’étais prêt. Quand l’air devint glacial et que mon heure fut venue, j’étais prêt. Alors j’ouvris les yeux, et je les levai vers lui. Il trônait devant moi de l’autre côté du cadavre de Pansy, me surplombant de toute sa hauteur, pendant que je me prosternai à ses pieds. 

Et je le fis. Avec toute la dévotion de mon âme, avec toute la force de ma détermination, je le fis. Sous ses yeux rouges traversant mon être et dans la plus grande vulnérabilité qui puisse être, je le fis. Bercé par l’aube montante transperçant tendrement les branches des arbres qui nous protégeaient, Pansy et moi, je le fis. Et tant qu’il le fallut, je le fis. Et jusqu’à ce que je sois arrivé au bout de ma plaidoirie, je le fis. 

-       …Je ferai tout ce que vous voudrez…

Et c’était à cet instant, à cet instant précis que je le sentis à l’intérieur de moi. Quelque chose grandir. Quelque chose mûrir. Quelque chose qui était prêt. Quelque chose que j’avais attendu, et qui était là. Quelque chose qui était arrivé à maturation, et qui était né. Et loin de la voix stridente d’autrefois, une voix aussi profonde que terrifiante vibra à l’intérieur de moi pour m’annoncer : « … maintenant… ». 


Quand bien même sa voix avait radicalement changé, j’avais su. J’avais su immédiatement. Nous y étions arrivés, au moment culminant de ma vie. Lorsque j’avais pu sortir vivant de ma rencontre avec le Seigneur des Ténèbres et que les 24heures dont je disposai continuaient de rythmer chacun de mes mouvements, les paroles de Granger étaient revenues à mon esprit : « Certains théoriciens pensent que les Opaloeils connaissent l’avenir de leur maître, et que c’est pour ça qu’ils ont cette couleur d’iris qui leur est propre. Selon certains, ils lisent dans l’âme de leur maître, et savent exactement, depuis la naissance, l’exact moment de leur transformation. Il paraît qu’avec ces dragons-là plus qu’avec les autres, ils se transforment non pas seulement lorsque leur maître y est vraiment « prêt », mais plutôt lors d’un tournant de vie sans pareille de celui qui les montera. (…) Il faut qu’ils trouvent un maître non seulement à qui ils veulent se lier, mais qui en plus a un destin tel qu’à un moment donné, dans sa vie, il se passera quelque chose de tellement important, de tellement bouleversant qu’ils ne seront pas simplement « prêts » à avoir un dragon, mais qu’ils en auront intrinsèquement besoin. Alors, quand on y pense sous cet angle, c’est plutôt bon signe que ton dragon soit encore aussi mignon ». 

Elle avait eu raison. J’étais mort. Celui que j’étais ne pouvait plus être. De bien de façons, après la nuit que nous venions de traverser, j’étais mort. Et celui que je devais être désormais avait intrinsèquement besoin d’un dragon. Alors je savais parfaitement où je devais me rendre pour récupérer ce qui me revenait de droit. 

J’avais d’abord transplané à Edale, le corps lourd de Pansy reposant dans le creux de mes bras comme témoin de mon échec. Mais je ne pouvais pas abandonner. Je ne pouvais pas abandonner. Alors avant de retrouver mon frère et de donner tout ce qu’il me restait pour lui donner envie de rester en vie, je la déposai là-bas. J’avais supposé que ce qu’il restait d’elle serait plus en sécurité dans notre maison de sûreté qu’au manoir, et je ne pouvais pas me résoudre à prendre plus de risques que ceux que j’avais déjà égoïstement pris jusqu’ici, et qui nous avaient tous conduits jusque-là. Alors je l’avais déposée sur le canapé, sa peau toujours aussi pâle et aussi froide que quelques heures plus tôt, et ma mère m’avait regardé faire avec les larmes aux yeux. Elle était revenue ici dès que j’étais parti avec le cadavre de Pansy. Elle avait respecté son engagement. A moi de respecter les miens désormais. A moi de réparer mes erreurs. Elle m’avait regardé comme si j’étais quelqu’un de différent, et qu’elle le savait parfaitement. Et elle avait eu raison. Elle avait posé une main tremblante sur ma joue, ses yeux embués par sa peine. C’était une mère. Elle savait. Elle n’avait pas besoin que des mots soient posés. Elle savait, c’était tout. 

-       Je dois aller à Poudlard, Ragnar m’attend, lui avais-je appris doucement. 

Une larme unique avait finalement coulé le long de sa joue pale, mais elle n’avait rien dit. Elle avait pincé les lèvres fermement, et elle avait simplement acquiescé avec toute la douleur d’une mère qui voyait son enfant lui échapper, et pour lequel elle savait qu’elle ne pouvait plus rien faire. 

J’avais transplané aussi proche de Poudlard que les barrières protectrices me l’avaient permis, et je m’étais étonné de constater que j’avais atterris directement dans la cour de l’école, non loin de la volière dont les murs en pierre avaient pour certains voler en éclat. Je supposai que la transformation soudaine de Ragnar était responsable de ces dégâts que je constatai au loin. L’aube se levait à peine, et quand bien même le château ne me semblait pas endormi mais endeuillé, il n’y avait pas l’ombre d’une âme traînant dans le coin. Je me dirigeai d’un pas hâtif vers la volière quand une voix traînante retentit derrière moi : 

-       Vous pensez vraiment que je ne sais pas qui entre dans mon école alors que je lui en laisse volontairement l’accès, Monsieur Malefoy ? 

Je me retournai vers Rogue. Ses traits tirés et fatigués m’apprenaient que sa nuit à prendre le château après le meurtre de Dumbledore n’avait pas été de tout repos non plus. Mais je n’avais pas de temps ni pour entendre son récit, ni tant pour lui exposer le mien. J’avais échoué. Et la seule chose à laquelle je pensais, c’était que je devais retrouver Theodore, et trouver le moyen de le faire rester. Le sauver. Me sauver, égoïstement. 

-       Je viens chercher mon dragon, lui appris-je donc d’un ton formel.  

-       Je m’en suis douté quand la volière a éclaté en mille morceaux, en effet, attesta-t-il sur le même ton distancié. 

Il m’analysait, quand bien même il s’évertuait à ne pas le montrer ostensiblement. Il y avait quelque chose de presque inquiet dans la façon dont ses yeux sombres se baladaient sur moi. J’acquiesçai à son égard et commençai à me retourner pour retrouver le chemin de ce qu’il restait de la volière. 

-       Il n’est plus là, me coupa-t-il alors. 

Une nouvelle fois, je lui faisais face avec lassitude. Je n’avais pas le temps de partir à la chasse au dragon, je n’avais le temps pour rien de ces conneries. J’avais Theodore. Theodore qui à chaque heure qui passait traversait les pires souffrances pour moi. Pour que je puisse donner tout ce que j’avais pour tenter de le faire rester. Alors non, je n’avais absolument pas le temps pour ces conneries.  

-       Où est-il ? demandai-je, pressé. 

Je n’avais pas toute la sainte journée. Je n’avais eu droit qu’à 24heures. Les sourcils du sorcier se dressèrent sur son front à ma question, me signifiant qu’il n’en avait pas la moindre idée, et qu’il ne savait pas ce qui avait pu me laisser croire qu’il le saurait. 

-       Je ne suis pas celui de nous qui partage un lien télépathique avec la bête en question, trancha-t-il presque froidement. Il est pertinent de supposer qu’il a ressenti le besoin de se nourrir, après avoir autant grandi aussi soudainement.

Un silence s’abattu lourdement entre nous tandis qu’aucun d’entre nous ne savait vraiment quelle était la marche à suivre ensuite. Je ne savais pas où était Ragnar, et je ne pouvais pas repartir sans lui, j’en avais besoin désormais. Il n’était cependant pas très avisé que je m’éternise à Poudlard dans les circonstances actuelles, quand bien même visiblement Rogue était parvenu à prendre le contrôle de l’école. Il y avait quelqu’un qu’il était trop dangereux que je croise, sans compter du nombre d’élèves à l’intérieur qui devaient vouloir ma mort. A leurs yeux je n’étais encore rien d’autre qu’un gamin arrogant sans défense, et après tout, je n’étais pas certain qu’ils avaient tort. 

-       Que s’est-il passé Drago ? demanda-t-il finalement sans tenter de masquer l’inquiétude qui transparaissait désormais dans sa voix, si le fait qu’il m’ait appelé par mon prénom n’en était déjà pas un témoin suffisant. 

Je quittai son regard un instant et inspirai en laissant mes yeux se reposer sur les jardins autour de nous. Il me semblait que j’avais passé trop de temps dans des jardins cette nuit. Je n’étais plus très sûr de toujours aimer cela, les jardins. Je n’étais plus très sûr de quoi que ce soit, à vrai dire. La seule chose que je savais, c’était que je devais rentrer auprès de Theodore, et m’assurer qu’il me resterait. Je ne savais comment voir plus loin pour l’instant. D’ailleurs, il lui faisait confiance. Theodore faisait confiance à Rogue. Alors, par respect pour mon frère et la confiance que je lui portai moi-même, je pris une nouvelle inspiration, et avec toute ma fatigue de la pire nuit de ma vie, je rencontrai à nouveau ses yeux pour lui conter ce qui s’était abattu sur ma famille et moi. Lorsque je lui expliquai la dernière partie de ma nuit, ses sourcils se froncèrent sur son front et une fente sépara ses lèvres. 

-       Qu’avez-vous fait Malefoy ? me fit-il répéter. 

-       Je n’avais pas le choix, tranchai-je froidement, conscient que ce serait la réaction que je rencontrerai majoritairement désormais. 

-       Vous allez vous faire tuer, constata-t-il sur un ton presque concerné, et c’est exactement ce qu’il cherche.

-       Ouais eh bien je suppose qu’on n’a pas tous eu l’opportunité de se planquer bien au chaud à Poudlard. 

-       Vous aviez une chose à faire Drago, une seule chose à faire, continua-t-il d’une voix basse mais pourtant pressante. Et vous n’avez même pas… 

-       Je sais parfaitement ce qu’il s’est passé, j’étais là, contrairement à vous, le coupai-je froidement. 

Il me semblait facile de critiquer ce que faisaient ou ne faisaient pas ceux qui étaient en première ligne pendant que son double statut lui assurait jusqu’alors de n’avoir, finalement, putain de que dalle à faire. 

-       Vous ne pourriez pas vous tenir devant moi en cet instant pour récupérer votre cher dragon si je ne m’étais pas occupé seul de prendre le contrôle de l’école, contextualisa-t-il en s’impatientant devant mes accusations implicites. 

-       Et je crois d’ailleurs qu’il est temps pour moi d’aller le récupérer, tranchai-je alors. 

-       Bien sûr, souhaitez-vous emporter le chat de Zabini et le rat de Parkinson avec vous par la même occasion, ou les utiliserez-vous comme prétexte pour revenir plus tard ?

Ma bouche s’entre-ouvrit presque devant le culot de son sous-entendu, et je demeurai interdit une trop longue seconde avant que ma mâchoire ne se serre malgré moi. Une vague de colère monta soudainement en moi alors que je me rappelai son avertissement par rapport à Granger, puis la façon dont il avait fait en sorte qu’elle reste dans ma vie, encore et encore. 

-       Peut-être est-ce le moment où nous devrions aborder là où votre loyauté va vraiment ?

Il me sonda un instant, ni tant surpris, ni particulièrement offensé par ce que j’avançai-là. Il semblait simplement réfléchir à ce qu’il était le plus sage de me répondre, pesant les différentes directions que cette conversation pourrait prendre en fonction de la réponse qu’il m’amènerait. Finalement, il me renvoya : 

-       Oui, ou bien nous pourrions aborder la vraie raison pour laquelle vous n’avez pas été capable de tuer Albus Dumbledore. Dans le fond, il me semble que ce sont deux questions qui se rejoignent, avança-t-il plus calmement. 

Une nouvelle fois, ma mâchoire se contracta en réponse à ses mots. Il avouait pratiquement être du côté de l’Ordre, tout comme il sous-entendait qu’au fond je l’étais également, de par mon ancienne relation avec le trophée de Potter. Je pris une profonde inspiration avant de conclure : 

-       Vous n’aurez qu’à nous envoyer un elfe de maison pour les animaux restants, je ne reste pas plus longtemps. 

-       Malefoy, appela-t-il alors que je m’étais retourné pour m’éloigner en direction de ce qu’il restait de la volière. Faites attention à vous, demanda-t-il avant de porter sa baguette au-dessus de son visage et de faire apparaître son patronus, une biche, qui courut à l’intérieur du château. 

Puis il disparût, et je m’enfonçai à mon tour dans la nuit à la recherche de mon putain de dragon. 

-       T’es où putain ? tentai-je au travers de notre lien. 

J’avais appris depuis tout petit à peu près tout ce qu’il y avait à savoir à propos des dragons : le fait que le maître et l’animal pouvaient communiquer au travers du lien spécial qui les unissaient une fois le dragon adulte, et que quand bien même il y avait un maître, certains dragons avaient un caractère tel qu’ils faisaient globalement à peu près tout ce qu’ils voulaient. J’avais compris depuis longtemps quel genre de dragon était le mien, je ne fus donc pas étonné qu’il ne me réponde d’abord pas. En accélérant le pas vers la volière, je réitérai avec plus d’autorité, conscient qu’une lutte de pouvoir risquait désormais de se dessiner de façon bien plus explicite entre lui et moi que jusqu’alors :

-       Ragnar bordel, j’ai pas le temps pour tes conneries maintenant. 

-       Je mange ! grogna sa voix puissante et intimidante à l’intérieur de moi. 

Je ne pouvais cacher qu’elle m’avait faite sursauter, mais je ne le lui accorderai pas. J’étais encore loin d’être habitué à communiquer de la sorte avec lui, tout ce que je percevais avant de lui n’était rien d’autre qu’une petite voix sifflante qui disait « …pas encore… ».Quelque part, quelque chose d’encore vivant à l’intérieur de moi avait hâte de le voir maintenant qu’il était enfin devenu autre chose qu’un minuscule et ridicule lézard.  

-       C’est pas le putain de moment ! m’impatientai-je devant son attitude qui, elle, demeurait bien sûr inchangée. 

Il demeurait la même saleté ingrate et insupportable. Juste en modèle un peu moins réduit, je le supposai. 

-       Je croyais que t’étais l’intello de la famille, mais apparemment je me suis trompé en te choisissant, gronda-t-il lourdement. Si tu veux que je puisse voler où que ce soit, humain pleurnichard, je te laisse faire les calculs, il faut que je mange ! 

Je m’entendis grogner de frustration alors que je me concentrai sur notre lien pour lui faire part de mon mécontentement. Sa voix vibra à nouveau froidement à l’intérieur de moi : 

-       Et t’as encore quelque chose à faire. 

-       Qu’est-ce que tu racontes ? Je te jure que je suis pas du tout d’humeur à…

-       … Retourne-toi, ordonna-t-il avant de disparaître de mon esprit. 

Sans trop savoir pourquoi je faisais soudainement confiance à ce con de dragon que j’avais méprisé ces dernières années comme s’il pouvait voir à travers mes yeux, je me retournai. Mon cœur cessa de battre l’espace de quelques secondes et mon estomac se retourna violemment, m’accablant d’une douleur que je me forçai d’ignorer tandis que mes yeux ne croyaient pas ce qu’ils voyaient. Elle courrait vers moi. De l’autre extrémité de la cour, son uniforme recouvrant toujours son corps, ses cheveux volant derrière elle, ses yeux rivés sur moi, elle courrait vers moi. Elle courrait vers moi comme si elle avait attendu que je lui revienne toute la nuit. Elle courrait vers moi comme si elle avait prié les Dieux que je lui revienne ce matin. Mais je ne lui étais pas revenu, c’était le fantôme de l’homme que j’étais jadis qui se tenait devant elle, pas l’homme qui l’avait quitté quelques heures plus tôt en haut de la Tour d’Astronomie. Pourtant, je ne pus empêcher à mon cœur de réagir à sa vue, et une chaleur insolente envahit mon poitrail alors qu’elle s’approchait de moi à toute vitesse. Il me semblait pourtant la voir comme si elle était au ralenti, mon cerveau tentant en même temps d’assimiler ce qu’il était en train de voir, et ce que je devais faire. Je ne m’étais pas préparé à la revoir. Je pensais qu’elle appartenait au passé, et que la seule prochaine fois où je la verrai serait certainement sur un champ de bataille, au moins quelques mois plus tard, quand je devrais la tuer. Et elle était là. Elle était toujours là. Le patronus de Rogue, la biche. Et elle était là. Et une fois que la chaleur s’était dissipée en moi, tout ce que je voyais alors que mes yeux étaient posés sur elle, c’était qu’à cause de ce que je ressentais pour elle, mon frère était mort. Pansy était morte. Et j’avais perdu mon frère. Et je ne savais pas si j’allais parvenir à le faire rester. 

Son corps s’écrasa violemment contre le mien, me faisant reculer d’un pas sous son contact soudain, ses bras encerclant ma taille de façon possessive. Et je ne bougeai pas. Je pouvais sentir son odeur d’amande, quand bien même elle était atténuée de la nuit mouvementée qu’elle avait passée de son propre côté me rappelant les vestiges de notre passé. Je pouvais sentir son cœur battre insolemment fort contre mon ventre, m’attestant qu’elle était bien réelle. Qu’elle était bien là. Mes yeux se fermèrent quand elle s’écrasa contre moi, et autant que je me détestais pour cela, je me permettais quelques secondes à la sentir contre moi. A simplement… la sentir, là, contre moi. Tout ce que je pouvais sentir contre moi. Tout ce que je pouvais ressentir d’elle, et que je ne pourrais plus jamais ressentir. Elle ne savait rien. Elle ne savait encore rien. Elle ne savait pas encore ce que nous avions fait. Ce que mon amour pour elle avait déchaîné. Elle ne savait pas encore à quel point les enfers s’étaient abattus sur moi, et ce que j’avais traversé cette nuit. Je ne lui rendais pas son étreinte. Autant que je le désirai, je ne la lui rendais pas. Je ne pouvais plus. Je ne pouvais physiquement plus. Tout cela nous avait largement dépassé, et m’avait trop, bien trop coûté. Il était là, le prix que je ne pouvais pas payer pour son amour. Je ne jouerai plus. Je ne jouerai plus avec la vie de mon frère, ni avec son âme. Plus après ce que j’avais vu. Plus après ce que j’avais fait. Plus avec ce qu’il y avait en jeu. Et alors qu’elle était là contre moi, autant que je l’aimais, et autant que mon corps voulait étreindre le sien, le dégoût que je ressentais envers moi-même de ce que j’avais fait à cause de mon amour pour elle, et l’urgence des conséquences sur Theodore dominèrent largement. Alors je ne lui rendis aucun geste de tendresse en retour, aucun regard chaleureux, ni aucun mot rassurant. J’étais mort, moi aussi, cette nuit. Et il ne restait plus rien de moi pour elle. Il ne lui restait que les fragments de mon cœur que je lui avais promis, et c’était là tout ce que j’avais encore à lui donner.  

Elle leva vers moi ses yeux pleins de larmes sans s’écarter de moi pour autant. Elle ressemblait à une enfant qui s’accrochait désespérément à son parent pour ne pas qu’il l’abandonne, son visage tourné haut vers moi, ses grands yeux suppliants remplis d’eau. Je supposai qu’elle la vit, la douleur sur mon visage. La façon dont cette nuit m’avait changée. La façon dont cette nuit m’avait détruit. L’épuisement et l’horreur que je portais sur mon visage. Elle recula alors et laissa ses bras retomber le long de son corps, ses yeux rivés sur les miens, ses sourcils légèrement froncés d’anticipation, se demandant face à qui elle se trouvait, et ce qu’il s’était passé pour que je sois cette personne. Elle me regarda encore un instant sans rien dire, et je me retenais de parler. Je ne savais pas ce qui allait sortir de ma bouche, si je lui parlais. Tout cela, c’était à cause des sentiments que j’avais pour elle. Alors je demeurai simplement de marbre, immobile et silencieux devant elle, incapable d’anticiper ma prochaine manœuvre. 

-       Qu’est-ce qu’il se passe Drago ? chuchota-t-elle alors que ses yeux allaient de mon œil gauche au droit à toute vitesse, tentant de lire en moi ce que je ne lui avais pas encore dit. 

Elle n’était même pas censée être là, et je n’aurai pas dû la voir. Mon cœur n’aurait pas dû bondir dans mon poitrail à sa vue, et autant de chaleur n’aurait pas dû se dissiper dans mon corps quand le sien m’avait rencontré. Elle n’était pas censée être là. Je n’étais pas censé la voir. Tout était différent désormais. Nous n’en étions plus au stade où il était un peu dangereux que je la fréquente dans l’enceinte bien protégée du château. Non, nous n’en étions plus là. Pansy était morte. Theo était mort avec elle, et ce qu’il restait de la personne que j’étais les avaient rejoints. Il n’y avait plus de carte joker, de clémence, ou de pitié à envisager. C’était la Guerre, et nous étions en première ligne. 

-       Drago ? questionna-t-elle en cherchant à accrocher mon regard. 

Mon prénom dans sa bouche n’avait pas le même goût qu’à l’accoutumé. Ses yeux sur moi n’avaient plus le même effet qu’à l’accoutumé. Il y avait un arrière-goût qui me rendait nauséeux, et qui m’empêchait de vouloir y goûter à nouveau. Il me sembla alors que plus rien désormais n’aurait le même goût qu’à l’accoutumé, probablement pas même l’amour de Theodore. Parce que je devrais vivre tout le reste de ma vie, qu’elle soit longue ou courte peu importait, en ne pouvant me sortir de l’esprit ce que je lui avais fait cette nuit. La douleur sur son visage. La tonalité vide et abattue de sa voix. La façon dont il avait baissé les bras. Lui… Et je n’aurais pas assez d’une vie pour me faire pardonner, quand bien même je savais qu’il considérait qu’il n’avait rien à me pardonner. Moi, je ne me pardonnerais jamais. Pas à lui. Je ne pouvais pas lui faire ça à lui, et pourtant je l’avais fait. Et la personne que j’étais désormais allait devoir vivre avec cela. Oui, cela, c’était quelque chose qui pouvait changer un homme.

-       Drago, qu’est-ce qu’il s’est passé ? continua-t-elle devant mon silence, des larmes se regroupant au creux de ses yeux. 

 Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais plus quoi faire. Je ne m’étais pas préparé à me retrouver face à elle dans de telles conditions, et maintenant qu’elle se tenait là devant moi je n’étais plus que confronté à ma propre culpabilité, et mon propre dégoût de moi-même. Mon dégoût de moi-même pour mon égoïsme et tout ce que j’avais entraîné et que je devais maintenant réparer, mais aussi mon dégoût de moi-même parce que malgré tout, malgré tout cela, malgré toute cette putain de nuit, elle était là devant moi, et j’étais épuisé et arrivé au bout de moi-même, et la seule chose que je voulais en cet instant c’était de pouvoir m’écrouler dans ses bras, ne serait-ce qu’une minute. Mais elle n’avait plus rien à m’offrir, elle non plus. Plus rien à m’offrir que de mettre la vie de ceux que j’aimais en danger. 

-       Est-ce que Theodore va bien ? demanda-t-elle finalement tout bas, ses yeux paniqués inspectant mon visage. 

Mes yeux se fermèrent sous ces mots et de nouvelles larmes naquirent en eux. Elle voyait à quel point j’étais différent, elle voyait que des choses très graves nous étaient arrivé, et la première chose qu’elle demandait c’était si Theo allait bien, parce qu’elle savait pertinemment que c’était cela, le vrai danger pour moi. Je gardais mes yeux fermés un instant, tentant de retrouver quelque chose à quoi me raccrocher, de parvenir à réfléchir, d’une façon ou d’une autre, et de décider quoi faire de cette rencontre qui n’était pas censée avoir lieu. Concentration. J’inspirai et expirai en gardant mes yeux fermés. 

-       Drago ?

Une nouvelle inspiration, et une nouvelle expiration. Je songeai à ne pas lui raconter. A simplement disparaître et la laisser là, sans ne rien lui dire. Mais peu importait à quel point moi, je me dégoûtais, elle, je l’aimais. Et cela c’était quelque chose qui, peu importait ce que je faisais, ce qu’il se passait, ou qui je devenais, je ne pouvais l’arrêter. Ce que je pouvais arrêter par contre, c’était ce que moi je faisais. Mettre les miens en danger, alors que je devais m’assurer de leur protection. Plus jamais. Ma dureté nouvelle me gagna plus profondément. Plus jamais. 

-       Drago, parle-moi, je t’en prie…, continua-t-elle tout bas alors que je gardai mes yeux clos.

Des Mangemorts étaient probablement dans le château, supposai-je alors. Maintenant que Rogue avait pris la tête de l’école il était plus que raisonnable de supposer qu’il n’y était plus seul. Si tel était bien le cas, il était curieux qu’il ait envoyé son patronus la chercher avant que je ne puisse m’en aller, mais après tout ses motivations véritables demeuraient floues. Dans tous les cas, une nouvelle urgence s’imposait à moi qui conditionnait tout le reste, quoi que le reste puisse être : elle ne pouvait pas être vue près de moi. Et surtout, elle ne pouvait pas venir mettre à mal mes murs, mes motivations, et ce que j’avais désormais à faire. Elle ne pouvait plus me faire céder, me donner envie de m’abandonner à elle, de la toucher, et de l’aimer. Elle ne pouvait plus s’approcher de moi, me faire sentir son odeur, sa peau, sa chaleur, et me faire céder comme elle l’avait toujours fait. Elle ne pouvait plus. 

-       Recule, ordonnai-je finalement froidement sans ouvrir mes yeux pour autant. 

-       Drago…, murmura-t-elle tout bas avec douleur. 

-       On ne peut pas être vus ensemble, rappelai-je fermement. Recule, réitérai-je avec plus d’autorité. 

-       D’accord, abandonna-t-elle en battant en retraite. 

Je me permis d’ouvrir doucement les yeux. Elle portait les paumes de ses mains haut vers moi, me regardait avec appréhension et reculai, un pas après l’autre, en douceur. Elle savait. Elle n’aurait jamais abandonné aussi rapidement si quoi que ce fût sur mon visage ou ma voix ne lui avait pas appris qu’il y avait réellement quelque chose de grave, et que je n’étais plus la même personne que celle qui l’avait quittée quelques heures plus tôt. Et elle en avait peur, de cette nouvelle personne. Mon cœur se pinça dans mon poitrail. 

Je songeai à ne pas tout lui dire, mais il me semblait que la seule façon de l’éloigner définitivement de moi c’était peut-être justement de tout lui dire. De lui dire ce que mon amour pour elle avait fait. Ce qu’il avait enlevé. Les vies qui avaient été prises. Les âmes qui avaient été détruites ce soir. Les personnes qui avaient été condamnées ce soir. Tout ce qui avait été jusqu’alors, et qui n’était plus depuis cette nuit. Parce que je l’aimais, et que je n’en avais pas le droit. Et puis, je songeai à lui dire, parce que si je ne le faisais pas, elle ne lâcherait jamais. 

-       Drago s’il te pl…

-       … Pansy est morte, coupai-je soudainement. 

Elle reçut ces mots comme une violente claque en plein visage. Ses lèvres s’entre-ouvrirent et ses yeux s’arrondirent, donnant l’impression de ne pas croire à ce que je venais de dire. Nous en étions pourtant là. C’était cela, la vérité. La réalité. Pansy était morte. Pansy, ma meilleure amie, la femme de la vie de mon frère. Elle était morte. Cette nuit, elle avait trouvé la mort. Le pire qui puisse arriver était arrivé, et c’était à cause de ce que je ressentais pour elle. Il était temps qu’elle prenne la mesure, elle aussi, et que nous apprenions de nos erreurs, parce que cela ne pourrait plus jamais arriver. 

-       Oh mon dieu, souffla-t-elle, abasourdie. 

Une rage bouillonnante monta en moi maintenant que j’avais dit ces mots tout haut. Maintenant que les premiers rayons du jour perçaient les ténèbres et qu’un nouveau jour commençait, plus que le dégoût de moi-même, j’étais enragé. Je me détestais. Je ne pus masquer une moue profonde de dégoût sur mes lèvres alors que je répétais tout aussi froidement : 

-       Il l’a tuée parce qu’elle t’a sauvée. 

Elle était là, la deuxième claque. La plus grosse. Et la façon dont son visage se déconstruisit sous ces mots, la façon dont ses sourcils s’affaissèrent, la façon dont sa bouche s’ouvrit, la façon dont ses yeux se remplirent non plus d’horreur mais d’une douleur hantée frappa ma colère en plein cœur. Elle allait penser que c’était de son fait à elle. Je ne pouvais pas m’en tenir là. Maintenant que j’avais commencé, je devais lui raconter. Je devais tout lui raconter. 

Alors c’est ce que je fis. Je lui racontai la façon dont le Seigneur des Ténèbres avait assassiné Pansy à cause de ce qu’elle avait fait pour la sauver, elle. Je lui racontai la façon dont Theodore avait été détruit, et comment il avait assassiné vingt des plus violents partisans du mage noir. Je lui racontai comment il avait perdu son serpent, lui aussi. Je lui racontai comment il avait ensuite été réduit en esclavage, et puis comment il était finalement parvenu à sortir de la cathédrale enflammée, le corps de Pansy dans ses bras. Je lui racontai ce que Blaise m’avait dit, et la baffe qu’il m’avait donnée. Je lui racontai la façon dont Theo s’était tranchée la gorge sur le cadavre de Pansy, et comment j’avais senti mon âme se déchirer physiquement à l’intérieur de moi. Je lui racontai la pire douleur de ma vie, et comment les Dieux m’avaient offert une deuxième chance. Je lui racontai le marché que j’avais passé avec Theo, ce que j’avais fait ensuite, et comment Ragnar était soudainement devenu grand alors que je n’étais pas parvenu à mon objectif. 

Je ne lui épargnais ni ma douleur, ni celle de Blaise, ni celle de Theo, ni la réalité de ce qui allait suivre désormais. Je voulais qu’elle comprenne. Je voulais qu’une fois pour toute elle comprenne ce que mon amour pour elle avait entraîné, comme moi je l’avais compris cette nuit. Plus jamais. Je m’étais promis. J’avais promis à Theo que j’allais tout arranger. Plus jamais. 

-       C’est ma faute, pleura-t-elle, abattue. Tout ça, c’est ma faute, murmura-t-elle. 

Ma mâchoire se contracta violemment et mon estomac se serra sous ses mots. Je voulais qu’elle comprenne, je voulais qu’elle comprenne pour qu’elle aussi, de son côté, elle puisse passer à autre chose. Mais je ne voulais pas, pour rien au monde, lui faire le moindre mal, et ce que j’avais devant moi retournait ce qu’il restait de moi. 

-       Non, ça ne l’est pas, pondérai-je en demeurant à un bon mètre d’elle, les bras le long de mon corps. Tu ne pouvais pas savoir. 

Ses sourcils se froncèrent plus douloureusement sur son visage et ses lèvres se pincèrent tandis qu’elle ne pouvait retenir les larmes qui coulaient de ses yeux. Je fermais les yeux l’espace d’une seconde et prenais une inspiration profonde. Je ne pouvais plus porter sa douleur, me rappelai-je encore. Elle était la sienne. Et elle ne pouvait plus la partager avec moi, tout autant que moi je ne pouvais plus partager la mienne avec elle non plus. Et cela broyait mes boyaux, mais je ne bronchai pas. Je devais encore sauver Theodore. Il ne pouvait pas me quitter. Je devais encore sauver Theodore. 

-       Elle est morte parce qu’elle m’a sauvé la vie, et toi tu…, tu…, ne put-t-elle terminer alors qu’un sanglot la secouait. 

Ses bras se renfermèrent autour de sa propre taille en une caresse qu’elle voulait réconfortante. Elle ne me sembla pourtant pas réconfortée par ce geste. Sa bouche était grande ouverte alors qu’elle regardait le sol, son visage allant de gauche à droite tandis qu’elle demeurait sous le choc, les larmes ne pouvant cesser de couler le long de ses joues, tentant d’assimiler tout ce que je venais de lui apprendre. Mon cœur me fit mal dans mon poitrail et je sentis que ma vision commençait à se brouiller. Mais c’était ma faute. C’était à cause de moi que nous en étions là. Qu’elle en était là, elle aussi. Plus jamais. Theodore. Plus jamais. 

-       Tu vas mourir toi aussi, à cause de moi…, sanglota-t-elle soudainement avec violence. 

La façon dont sa voix se brisa sous ses sanglots me déchira, et j’accusai sa peine comme un nouveau coup de poignard en plein cœur. Il me sembla en cet instant que j’avais reçu trop de coups de poignards en plein cœur cette nuit. Je n’étais pas sûr de combien je pouvais encore en supporter. 

-       Granger, appelai-je avec autorité. 

Elle leva ses yeux ambrés pleins de douleur, pleins de larmes vers moi alors qu’elle tenait toujours son propre ventre comme s’il lui faisait atrocement mal. Je me prenais ce regard-là en plein cœur, et il détruisait ce qu’il me restait. Tout ce qu’il me restait. 

-       Ce n’est pas de ta faute, déclarai-je aussi fermement que je le pouvais. Tu ne pouvais pas te rendre compte, je n’ai pas arrêté de te le dire, et je ne cesserai pas de le penser maintenant que nous en sommes là. Tu ne pouvais pas te rendre compte, répétai-je avec conviction tandis qu’elle cherchait en mes yeux la force de me croire. Je ne t’ai pas dit tout ça pour que tu te détestes, ajoutai-je sur le même ton détaché qui me tuait de l’intérieur, ni parce que je te déteste, ça ne pourra jamais être le cas. Je t’ai dit tout ça parce qu’il est temps que tu saches, et il est temps que tu te rendes compte, tout autant que moi je me suis rendu compte. Il est temps d’avancer Granger, chacun de son côté, lui assenai-je le coup fatal. Il est temps de passer à autre chose, achevai-je aussi violemment pour elle que pour moi. 

Les traits de son visage se tordirent sous la douleur que la réalité que je lui exposai lui infligeait, et je la recevais en plein cœur, cette douleur. Et c’était désormais tout ce que je pouvais faire, à un mètre d’elle. Elle du côté de l’aube levante derrière le château dans lequel tant d’élèves innocents demeuraient choqués, et moi du côté de l’ombre. Du côté de l’ombre qui avaient fait s’abattre les ténèbres sur ce château endeuillé. Elle se mit à faire non de la tête, et je su, à cet instant, que le pire n'était pas encore arrivé, et que cette nuit-là, mon cœur n’avait pas fini de saigner.  

-       Tu ne peux pas me laisser, sanglota-t-elle en une supplication désespérée. Tu ne peux pas…, tu ne peux pas y retourner Drago tu vas te faire tuer, tu ne peux pas…

Elle s’approcha de moi en prononçant ces paroles, tendant les bras dans ma direction. 

-       … Recule, tranchai-je sèchement.  

Elle sursauta, et ses yeux s’ouvrirent plus grand vers moi pour laisser la peur remplacer sa douleur. Je le vis, la façon dont ce mot, prononcé sur ce ton froid, à cet instant-ci où elle avait besoin de mes bras et que je lui reste peut-être plus encore que n’importe quand auparavant lui broya le cœur. Elle recula d’un pas, son regard rivé sur le mien, comme si elle essayait d’évaluer le prédateur qui se tenait devant elle et qu’elle ne reconnaissait pas. Mon cœur saigna à l’intérieur de moi, et je sentis ma mâchoire trembler, mais je ne bougeai pas. Plus jamais.

-       Drago…, murmura-t-elle tout bas, comme si elle n’osait pas vraiment essayer de m’atteindre, mais qu’elle espérait quelque part que j’étais encore là. 

Elle tomba à genoux. Dans tout son désespoir, dans ce dernier appel emplein de son désespoir de me perdre, elle tomba à genoux, réalisant ce qu’elle avait devant elle. Qui elle avait devant elle. Elle savait qu’elle me perdrait, dès que je partirai. Elle savait que j’étais fini, qu’elle et moi c’en était terminé, et qu’il n’y aurait plus jamais de retour en arrière. Elle savait vers quoi j’allais et ce qui m’attendait une fois que je lui aurais tourné le dos, et cela la déchirait. Cela l’abattait. Et je me tenais juste devant elle, et j’étais obligé de traverser ça avec elle. Et je la regardai, celle que j’aimais, celle dont j’étais éperdument et irrémédiablement amoureux, à genoux devant moi, ses bras serrant son ventre en une tentative de se réconforter alors que je lui faisais cela, obligé de demeurer à distance d’elle, d’une froideur inhumaine, tandis que tout ce que je désirai vraiment c’était de pouvoir la serrer contre moi, et lui promettre que tout allait aller. Mais nous n’en étions plus au stade où nous pouvions feindre que les choses iraient bien. Par ma propre faute. J’en avais assez fait. L’heure n’était plus à l’engagement à moitié, que ce soit envers elle ou envers le Seigneur des Ténèbres. Nous n’en étions plus là. Je n’avais plus de marge de manœuvre, plus de laisser passer et plus le luxe d’une quelconque protection. Il n’y avait plus que moi. Il n’y avait plus que ce que je leur devais à tous. Des vies. C’était cela, ce que je leur devais. Leurs vies. Je la regardai, cependant. Je ne me défilai pas. Je savais ce que je lui avais fait, à elle aussi. Je savais que je l’avais faite tomber amoureuse de moi en sachant très bien comment cette histoire finirait, contrairement à elle. Comme cela. Alors je la regardai, à un mètre de moi, les joues mouillées de larmes, le regard suppliant porté haut vers moi comme je l’avais déjà vu plus tôt cette nuit-là, les bras renfermés sur son ventre comme pour se protéger du mal que je lui faisais. Brisée. 

Musique vivement suggérée : The One I Love - Bolshiee

Je sentis une larme perler sur ma joue tandis que mon corps tremblait, et j’humidifiai le bout de mes lèvres en prenant une discrète inspiration alors que je tranchai pour terminer : 

-       J’ai accepté il y a longtemps que mon amour pour toi me condamne. Je n’accepterai pas qu’il condamne ma famille, achevai-je en portant finalement le poids de mes responsabilités sur mes propres épaules. 

Ce qu’il restait de la douceur de son visage se détruisit sous mes mots, et parce qu’elle savait sans le moindre doute que c’était la dernière fois qu’elle me voyait, elle tendit la main vers moi alors que de lourdes larmes traçaient ses joues. A un mètre d’elle, je ne bougeai pas. Je ne lui tendis pas ma main en retour. L’intégralité de mon corps trembla à l’intérieur de moi et je dus utiliser toute la force qu’il me restait pour ne pas tomber à mon tour et pleurer avec elle, mais je ne bougeai pas. Elle tenta d’appeler mon prénom encore une dernière fois, et elle s’appuya de son bras au sol pour tendre sa main plus près vers moi encore, cherchant à m’atteindre en vain, quand soudainement une violente bourrasque de vent raisonna derrière nous. Ses cheveux volèrent derrière elle, et ses yeux se levèrent, stupéfaits, dans le ciel au-dessus de moi. Le quart d’une seconde, je fermai les yeux. Mais je ne me retournai pas, parce que je savais parfaitement bien. Et je savais très bien que j’allais l’abandonner-là. Le sol trembla avec un bruit assourdissant juste derrière moi, et un grondement d’une puissance inhumaine retentit dans le creux de la gorge de mon dragon comme un avertissement terrifiant. Granger tomba en arrière, et elle recula, ses yeux effrayés rivés sur la créature qui se tenait derrière moi, et qui l’avertissait du danger qu’elle encourait en ne m’obéissant pas. Ses yeux allaient de Ragnar à moi, terrorisée, cherchant du soutien, quelque chose, quoi que ce soit chez moi pour la rassurer. Elle ne trouva rien. L’air chaud que je sentis derrière moi m’apprit que Ragnar ouvrait grand sa gueule, et je la regardai, elle. Je ne bougeai pas, debout devant elle, les bras le long de mon corps. J’étais le soldat du Seigneur des Ténèbres. Et elle devait le voir en moi. Autant que je me détestais. Autant que je tremblais. Autant que mon cœur se déchirait en mille morceaux tandis que je demeurais immobile devant elle. Elle devait me voir pour ce que j’étais désormais. Un grondement qui n’avait de comparable pas même le tonnerre me traversa en des ondes vibratoires qui firent trembler l’intégralité de mon corps, pour venir s’écraser sur Granger au sol. Ragnar la mettait en garde, et il ne la ménageait pas. Ses yeux exprimèrent sa terreur, et en nous faisant face, elle s’appuya sur les paumes de ses mains, l’une après l’autre, pour ramper plus loin de nous. Je sentis une ultime larme couler le long de ma joue alors que je demeurai ancré, debout devant mon dragon qui la terrorisait alors qu’elle rampait sur le sol, effrayée par moi et ce que j’étais, et que je ne faisais rien. Et je ne faisais rien. Je le sentis, la façon dont cette image broya ce qu’il restait encore de mon cœur. C’était elle. Celle que j’aimais. Et je la regardais me fuir avec de la terreur. Et je ne faisais rien. Et je pensais à Theo. Et je me rappelai pourquoi je faisais ce que je faisais. Alors je pris une nouvelle inspiration par le nez, et avec tout ce qu’il me restait, je me retournai vers mon dragon, en direction de mon destin. 


Si en cet instant je ne m’étais pas senti aussi abominablement mal, j’aurai pu sursauter, et avoir peur moi aussi. Mais il ne demeurait plus que bien trop peu de choses qui me faisaient vraiment peur désormais. Ragnar se tenait face à moi, absolument gigantesque. Il devait faire une trentaine, si ce n’était une quarantaine de mètres de hauteur. Il n’avait plus rien du minuscule reptile mignon qu’il était quelques heures plus tôt. Ses écailles demeuraient blanches avec des reflets des opales les plus claires, ses yeux de la même couleur, et les deux paires de cornes qui entouraient sa gueule n’avaient plus rien d’amical non plus. Son ancien museau rond s’était allongé et désormais, il était simplement terrifiant. Ses pattes avant me faisaient face et une seule de ses griffes devait faire à peu près ma taille. Ses narines soufflaient insolemment un air chaud qui continuait de mettre en garde Granger de ne plus approcher, et sans me retourner pour ancrer plus encore dans mon esprit l’une des pires images qui puisse être, je m’approchai de mon dragon d’un pas décidé, fis apparaître une celle sur son dos, et grimpai sur son aile pour m’envoler avec lui. Adieu, Granger. 

La violence du vent balaya d’une traite la larme qui m’avait échappée quand Ragnar décolla, et bientôt Poudlard n’était plus qu’un faible point de lumière lointain. La hauteur ne me fit pas peur, ni même le fait de chevaucher un dragon massif dans les airs. Je ne savais pas si c’était à cause de ce que je ressentais, de la nuit que j’avais passée, ou tout simplement parce que j’avais été fait pour ça et que c’était pour cela que Ragnar m’avait choisi, mais c’était comme si rien de tout cela ne m’était étranger. Je lançai un sort de protection contre le vent pour ne pas qu’il me soit trop violent, et pour le reste, je me tenais à lui comme je me tenais à un balai : de la force de mes bras et de celle de l’intérieur de mes cuisses. Il volait en direction d’Edale quand je comptais combien de temps il me restait. Étant donné que le soleil était maintenant fraîchement levé, je dirai peut-être 17 ou 18heures. Seulement je ne pouvais plus attendre pour retrouver Theodore, et essayer de faire en sorte qu’il me reste. Je l’avais perdue elle. J’avais tout risqué pour elle, et je l’avais perdue. Lui, je ne pouvais pas le perdre. Plus jamais. Je me concentrai sur lui, quand bien même la terreur de celle que j’aimais ne pouvait s’échapper de mon esprit abîmé. 

-       Est-ce que c’était nécessaire, la seconde fois ? demandai-je finalement à Ragnar. 

-       J’ai mes raisons, trancha-t-il sèchement. 

-       Elle n’est responsable de rien de tout ça, rappelai-je froidement. 

Un silence suspect s’ensuivit pendant quelques trop longues secondes avant que finalement il ne confesse avec ce qui me sembla être de la douleur : 

-       Nous perdons beaucoup, quand elle est dans ta vie. 

Un nouveau silence de ma part régna entre nous avant que je ne le rompe une dernière fois : 

-       Je sais, avouai-je en me laissant ressentir une dernière fois à quel point ce qu’il restait du cœur de l’ancienne personne que j’étais me faisait mal. 

Ma mère avait eu peur, elle aussi, lorsqu’elle avait vu Ragnar une fois que nous avions atterri à Edale, mais je n’étais pas resté assez longtemps pour la laisser s’habituer. Theodore m’attendait, et je devais lui rentrer. Il était ma priorité. Il n’y avait rien d’autre qui comptait. Alors j’avais récupéré le corps de Pansy, et je l’avais portée contre moi pendant que Ragnar avait patiemment attendu que je la scelle avec nous par la magie de sorte à ce qu’elle ne puisse pas tomber. Finalement, ma mère nous avait regardé nous envoler en direction du manoir, terrorisée de ce qui allait se passer ensuite. Je la comprenais. 

Ragnar s’écrasa lourdement dans les jardins Malefoy, et je descendais aussi rapidement que possible du dos de mon dragon en portant le corps de Pansy de mes deux bras étalés devant moi. J’étais rentré. Je lui étais revenu dans les temps. Et maintenant, j’allais le convaincre de me rester. Je ne savais encore trop comment j’allais y parvenir, mais j’allais y parvenir, parce que peu importait combien de fois j’avais échoué dans ma vie et cette nuit encore, je ne pouvais pas le perdre, et je ne le perdrais pas. Non, Theodore Nott ne mourrait pas aujourd’hui. Alors une nouvelle fois, chaque pas lourd que je faisais me rapprochait de lui. De celui pour qui je vendrai chaque parcelle de mon âme, de mon humanité, de tout ce que je possédais. Et avec détermination, je lui revenais. Je passai l’entrée du manoir et pénétrai à l’intérieur du salon dans lequel Blaise et lui attendaient dans le silence le plus total. Assez d’heures étaient désormais passées pour que leurs potions ne fassent plus effet, et ils m’attendaient. Leurs visages demeuraient pourtant aussi douloureux et épuisés par cette vie que ceux que j’avais quitté. Avec précaution et méfiance, Theodore se leva du fauteuil, dans l’expectative. Il l’avait senti. Je ne voyais plus que lui, et mon cœur se mit à battre violemment dans mon poitrail, parce que je savais que je lui avais fait défaut, et que je n’étais pas parvenu à réparer mon erreur. Ses grands yeux bleus trouvèrent le corps que je portais contre moi, fixant sa poitrine avec incrédulité. La poitrine de Pansy qui se levait alors que de l’air parvenait jusqu’à ses poumons. 



:OOOOOOO

Retrouve-moi sur Instagram pour pouvoir m'engueuler convenablement ;) @ livstivrig 

Des bisous, 

Liv

Laisser un commentaire ?