Dollhouse

Chapitre 43 : Quand Achille dépose les armes

9230 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/08/2024 12:23

Et soudain, je le sentis violemment. La sensation me submergea de toute son horreur, ne me laissant plus ne serait-ce que l’opportunité de respirer. Notre lien. L’urgence de sa vie. La montée d’horreur. Le désespoir. La mort. L’urgence pour sa vie. L’urgence pour sa vie qui s’éteignait. L’urgence pour mon âme qui se déchirait. L’urgence pour mon âme qui mourrait. 

Mon corps tout entier se crispa et se figea alors que la douleur physique de mon âme qui se déchirait m’arracha un hurlement plaintif que je ne pus retenir en moi. 

-       Theo, chuchotai-je alors, mes yeux perdus dans le vide alors que ma mère me tenait toujours contre elle. 

Elle se redressa vivement, alertée par la tonalité de ma voix et la terreur qu’elle y entendait. Oui, de la terreur. Il était en train de mourir. Plus encore que la fois où il avait été enfermé dans cette cave avec des Aurors. Je le sentais m’échapper, physiquement. Je le sentais périr, physiquement. Je le sentais quitter ce monde et me quitter, moi, déchirant mon âme en ce faisant. 

-       Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda ma mère sur un ton pressant qui traduisait la panique qu’elle pouvait lire sur mon visage. 

Je me levai soudainement du canapé. Je devais le retrouver, maintenant. A la seconde près. Je n’avais pas de temps, je n’avais pas de minute, je n’avais pas de seconde. C’était maintenant. Je pouvais sentir mon âme se déchirer physiquement en une douleur abominable au niveau de mon cœur. Et je n’avais pas le temps d’avoir mal. Maintenant. 

Je transplanais trop rapidement pour me rendre compte que ma mère m’avait tenu. Tout le long du transplanage, je songeai de toutes mes forces « à la maison, à la maison, à la maison ». Ce n’était pas simplement dans le lieu en tant que tel que j’avais atterri, et qui représentait ma maison. Je n’avais pas simplement atterri dans le salon du manoir, ni même dans ma chambre. J’avais atterri dans la chambre de Theodore, ma mère à mes côtés. Parce que c’était lui, ma maison. Ce n’était pas un lieu. C’était lui. 

Mon estomac se retourna lorsque je le vis et une violente nausée remonta dans mon diaphragme alors que je découvrais la pire chose que j’aurais pu voir un jour. Theodore était accroupi sur le sol de sa chambre, son uniforme noir toujours sur lui, sa gorge sèchement tranchée d’un trait net, le corps inanimé de Pansy reposant allongée à ses genoux. Son sang dégoulinait le long de sa gorge, venant tâcher la poitrine de Pansy goûte après goûte. Il leva les yeux vers moi. Ses magnifiques yeux bleus. Ils étaient remplis de désespoir, et lorsqu’ils se posèrent sur moi il me sembla que je leur infligeai-là la pire douleur qui puisse être, une nouvelle fois. Il n’avait pas voulu que je vois ça. Mon frère. Mon âme. Mon sang se glaça dans mes veines et comme si je n’habitais plus même mon propre corps, j’entendis au loin un hurlement déchirant qui sortit de moi alors que son corps s’écroula finalement face contre celui de Pansy. 

Comme si la scène se passait au ralenti alors que je demeurai interdit un instant, flottant au-dessus de moi-même, je vis ma mère courir jusqu’aux deux corps morts qui se tenaient juste devant nos yeux. Elle tomba à genoux devant Theo dans un bruit sourd et l’attrapa par les épaules. L’intégralité de mon monde s’écroula quand elle releva le haut de son corps, et que je vis la quantité de sang qui avait tâchée sa gorge, son torse, et inondé la poitrine de Pansy qui gisait sous lui. Et ce fut soudainement la violence sans pareille de la douleur physique de mon âme qui se déchirait à l’intérieur de moi qui me ramena à mon propre corps, un hurlement criant la pire atrocité à laquelle je n'aurais jamais pu être confronté faisant vibrer jusqu’aux murs du manoir sortant de moi pour s’écraser sur lui. Parce que j’allais aller le chercher. Parce qu’il n’allait pas me laisser là. Parce qu’il ne pouvait pas me laisser là. Parce qu’où qu’il soit parti, j’allais aller le chercher. Parce qu’il était ma vie, mon âme et mon sang, et que sans lui je n’allais pas y arriver. Parce que sans lui je ne pourrais pas continuer. Mes jambes se mirent à courir jusqu’à eux et je me laissai tomber violemment aux pieds de Pansy. Je tirai son cadavre de la force de mes bras et la poussai alors que ma mère avait allongé Theodore sur le sol. Il était entre nous désormais, inconscient. Entre sa mère, et son frère. Et il n’avait pas le droit de nous faire ça. Il n’avait putain de pas le droit de nous faire ça. J’entendais mon hurlement raisonner encore dans les entrailles de cette chambre tâchée de son sang si pur, et alors que ma mère avait sorti sa baguette qu’elle dirigeait, tremblante, sur sa gorge, je ne contrôlais pas les sanglots dans ma voix quand j’hurlais en frappant son torse violemment de mes deux points fermés : 

-       NON !

Son corps sursauta sous le coup que je lui avais donné, mais ses yeux demeuraient fermés. Il n’allait pas me laisser là. Il n’allait pas me laisser maintenant. Il n’en avait pas le droit. Il ne pouvait pas me faire ça. Une nouvelle fois, je levai mes bras jusqu’au ciel avec un hurlement, et je les laissai s’écraser violemment sur son torse qui sursauta encore. 

-       NON ! hurlai-je encore en un sanglot brisé. 

Je donnai l’élan à mes bras jusqu’au ciel, allant chercher plus haut, allant chercher plus fort encore je les faisais tomber là où son cœur n’avait pas le droit de s’arrêter de battre. Là où son cœur ne pouvait pas s’arrêter de battre. 

-       NON ! m’entendis-je encore refuser. 

Je le frappai encore. Il n’ouvrit pas les yeux. J’allais chercher plus loin. J’allais chercher plus fort. Je le frappai encore. 

-       Arrête, pleura doucement la voix de ma mère. 

Je le frappai encore. Il n’ouvrit pas les yeux. J’hurlais. Je le frappai encore. Encore. Encore. Encore. Il n’ouvrit pas les yeux. L’horreur monta en moi en une vague atroce. 

-       TU NE PEUX PAS ME FAIRE ÇA ! TU N’AS PAS LE DROIT DE ME FAIRE ÇA ! hurlai-je avec une force que je ne me connaissais pas, cherchant à l’atteindre peu importait là où il allait. 

Qu’il m’entende. Qu’il me revienne. Qu’il m’entende. Je le frappai encore. Les dernières forces qui animaient mon corps se déferlaient sur lui.

-       Arrête, pleura ma mère. 

 Je levai les bras au ciel, et je les laissai s’écraser plus violemment à chaque fois sur son poitrail, aller le chercher plus loin. Tentant désespérément de l’accrocher alors que je le sentais m’échapper. Alors que je sentais physiquement mon âme jumelle à la sienne se décrocher de moi en la pire douleur physique qui était. Les doloris n’étaient rien, ils n’étaient rien à côté de cela. Mais rien, rien ne pouvait être comparable à la terreur de le perdre. De le perdre vraiment. Lui. Alors je frappai encore, les larmes dégoulinant lourdement sur mes joues, et la terreur animant ma voix. Je frappai encore. 

-       TU NE PEUX PAS ME FAIRE ÇA ! je frappai. TU NE PEUX PAS ME FAIRE ÇA ! je frappai encore. TU NE PEUX PAS ME FAIRE ÇA ! plus fort. 

-       Drago, arrête, pleura-t-elle encore.

-       TU N’AS PAS LE DROIT DE ME FAIRE ÇA ! THEO ! appelai-je violemment en un sanglot hurlant. THEO ! hurlai-je plus fort encore, ma voix portant plus loin qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant. 

Jusqu’aux confins des enfers. Jusqu’aux putains de confins des enfers s’il le fallait. Il allait m’entendre. Il allait me revenir. Mes bras partirent si haut derrière moi, accompagnés du haut de mon torse que je cambrais, et mes poings s’abattirent si fort sur son poitrail que son corps se souleva du sol une fraction de seconde avant d’y retomber lourdement. Vidé. 

-       NE ME FAIS PAS ÇA, JE T’EN SUPPLIE NE ME FAIS PAS ÇA ! sanglotai-je violemment alors que mes joues étaient inondées de larmes qui ne pouvaient s’arrêter de couler. 

Pas lui. Tous, mais pas lui. Pas lui. 

-       J’AI BESOIN DE TOI, appelai-je en m’écroulant sur son torse. J’AI BESOIN DE TOI, sanglotai-je en tremblant contre lui, mes sanglots raisonnant dans la chambre froide qui enfermait notre âme déchirée. 

Ma mère continuait de passer sa baguette le long de sa gorge, chuchotant des formules que je ne connaissais pas. Et mon cœur me faisait toujours aussi mal. Quoi qu’elle fût en train de faire, il se séparait de moi. Il m’abandonnait là. Et je le sentais, physiquement. 

-       Tu ne peux pas me faire ça…, sanglotai-je, tremblant, avec tout ce qu’il restait de moi. 

Je pouvais sentir son sang chaud sur le côté de mon visage que j’avais posé contre son torse, et je regardai sa gorge. Sa gorge que ma mère refermait, mais qui avait déjà perdu beaucoup de sang. Il allait survivre. Il devait survivre. Il allait me revenir. Il n’avait pas le droit de m’abandonner. Non. Il n’avait pas le droit de me laisser. Il ne pouvait pas me laisser. Pas lui. Il ne restait plus rien de moi. Sans lui, il ne restait plus rien de moi. Sans sa force, il ne restait plus rien de moi. Sans son amour, il ne restait plus rien de moi. Sans sa patience, il ne restait plus rien de moi. Sans son soutien, il ne restait plus rien de moi. S’il n’était pas à mes côtés, je ne pouvais pas me lever. S’il n’était pas à mes côtés, je ne pouvais pas marcher. S’il n’était pas à mes côtés, je ne pouvais pas continuer. J’avais besoin de lui. J’avais intrinsèquement et physiquement besoin de lui. Il était tout ce dont j’avais besoin. Tout ce qu’il me fallait. Il ne pouvait pas me laisser. Il ne pouvait pas m’abandonner. Il m’avait promis. Il ne pouvait pas m’abandonner.

-       Je t’en supplie…, sanglotai-je avec tout ce qu’il restait de moi, passant mes mains tremblantes sur son poitrail à la recherche d’un battement de cœur que je ne trouvais pas. Je t’en supplie, pleurai-je encore. 

Je relevai mon visage de son torse et attrapai sa main droite qui reposait à côté de son corps. Je la pris de mes deux mains, cette main que j’avais tenue de nombreuses fois quand ma mère le soignait alors que nous étions enfants. Et je la serrai. Je la serrai de toutes mes forces pour qu’il sache, où qu’il fût, que j’étais là, et que je ne le lâchai pas. Que j’étais là, et que je l’attendais de l’autre côté. Qu’il devait me revenir, peu importait où il était. Alors je serrai sa main, et je déposai un baiser mouillé sur celle-ci. 

-       Je suis là, murmurai-je en un sanglot, ça va aller. Ça va aller, répétai-je en sondant son visage. 

C’était le même visage que lorsque nous étions petits, à quelques changements prêts. Il avait le même air. Il n’était plus là non plus. Ses yeux fermés, et aucun micromouvement traduisant qu’il était encore là. J’avais déjà vu ça. Oui, j’avais déjà vu ça. Il allait revenir. Il allait revenir. Il devait revenir. Il était simplement dans le néant de son esprit, mais il allait me revenir. Comme à chaque fois. Oui, il m’était toujours revenu. Il allait me revenir. 

-       Je suis là, répétai-je, je te lâche pas. 

Sa main était molle dans la mienne. Elle n’avait pas la moindre tenue, pas la moindre consistance. C’était déjà le cas, lorsque ma mère le soignait à l’époque. Oui, c’était le cas aussi. Il avait trop mal, alors il s’était perdu dans son esprit, une nouvelle fois. Il était dans le néant à nouveau. Oui, je pouvais aller le chercher. Dans le néant, je pouvais aller le chercher. Je savais où il était désormais. Je me relevai frénétiquement et concentrai tout ce qu’il restait de moi pour rassembler ma magie et pénétrer son esprit. Oui, j’allais aller le chercher, et tout irait mieux. Nous serions ensemble. Je l’aiderais à traverser ça. Ensemble, nous y arriverions. Nous y arrivions toujours. 

Je ne trouvais rien à pénétrer. Il n’y avait pas même le néant. Je ne trouvais tout simplement aucun esprit à pénétrer. Mes yeux le cherchèrent du regard avec frénésie, de violentes bouffées d’angoisse montant en moi. Je ne trouvais pas son esprit. Je rassemblais une nouvelle fois l’intégralité de ma magie. Oui, je devais manquer de magie. Mon corps me faisait mal. Mon cœur me faisait mal. Mon âme me faisait atrocement, douloureusement mal. Oui, ce devait être pour ça. J’étais trop fatigué, et trop endoloris. Je devais rassembler plus de magie. Alors je fermais les yeux, et je rassemblais tout ce qu’il restait de moi. Jusqu’à la moindre miette de ce qu’il restait de magie en moi. Un hurlement déchirant sorti encore de moi alors que je prenais tout ce qu’il restait de moi, et que je l’envoyais vers lui avec puissance. Je ne le trouvais pas. Je ne trouvais pas son esprit. Il n’était pas là, et mon âme se déchira encore plus profondément, m’arrachant des plaintes douloureuses que je ne contrôlais pas. Je le sentais se détacher de moi, et je ne savais pas ce qui me faisait le plus atrocement mal en cet instant. 

-       Non, non, non, non, non, entendis-je ce qu’il restait de ma voix refuser. 

Je levai mes yeux noyés de larmes vers le plafond.

-       VOUS NE POUVEZ PAS ME FAIRE ÇA ! hurlai-je au ciel avec tout ce qu’il restait de moi. 

Et sur des jambes fébriles et tremblantes, je me levai soudainement. La rage qui m’animait contre les cieux me porta, pas après pas, à travers le manoir plongé dans le noir. Chaque pas que je faisais raisonnait lourdement dans mon esprit alors que ma rage et mon désarroi grandissaient, me portant jusqu’aux jardins. Une épaisse pluie s’écoulait goûte après goûte sur mon visage. Et je m’écroulais, tombant à genoux, à leur merci. Et je levai les yeux vers le ciel, mes bras retombant lourdement le long de mon corps, paumes tournées vers la nuit. Impuissant. Mon poitrail se gonfla lourdement d’air, et j’en expulsais la totalité tandis que j’hurlais de toute ma rage : 

-       QU’ATTENDEZ-VOUS DE MOI ?! 

Les lourdes goûtes de pluie s’écrasèrent sur mon visage que je levai vers eux. Vers ces Dieux qui n’avaient pas le droit de me le prendre. Vers ces Dieux qui devaient m’entendre. Vers ces Dieux qui devaient entendre ma colère, et craindre ce que j’étais prêt à faire s’ils me le prenaient. 

-       DITES-LE-MOI ! hurlai-je dans un sanglot enragé. 

Mon poitrail douloureux se souleva une nouvelle fois alors que je laissai l’air remplir mes poumons, puis les vider à nouveau. Le ciel noir ne me répondit rien. Ils ne répondaient jamais rien. Ils prenaient, c’était là tout ce qu’ils faisaient. Ils faisaient s’abattre foudre après foudre, et ils reprenaient tout ce qu’ils avaient donné. Et ils vous regardaient, alors que vous tombiez à genoux devant eux, et que vous les imploriez dans toute l’atrocité de la douleur qu’ils avaient fait naître en vous. Alors qu’il ne vous restait plus rien, parce qu’ils vous avaient tout pris. Mais ils ne pouvaient pas me le prendre lui. Ils ne pouvaient pas me le prendre. 

-       QU’EST-CE QUE JE VOUS AI FAIT ?! demandai-je alors en poussant tout ce qu’il restait de ma voix. JE N’AI RIEN DEMANDÉ DE TOUT ÇA ! leur hurlai-je alors que la froideur de leur pluie continuait de s’abattre sur moi, la violence de ma douleur continuant de m’écraser insolemment. RÉPONDEZ-MOI ! ordonnai-je tandis qu’aucune réponse ne parvint jusqu’à moi. 

Mon poitrail se souleva violemment une nouvelle fois alors que je rassemblai ma force pour demander encore : 

-       QU’EST-CE QUE VOUS ATTENDEZ DE MOI ?! 

Mais ils ne me répondirent rien. Ils ne me donnèrent rien. Et la douleur physique de mon âme qui se déchirait continuait de me foudroyer à l’intérieur de moi. Et la douleur émotionnelle que je ressentais, elle, ne pouvait trouver d’équivalent en mots. Il n’y avait jamais eu rien de pire. Il n’y avait jamais rien eu de pire que cela. Que cet instant. Que de le sentir, lui, partir. M’abandonner là, sur le sol de mon jardin, à implorer des Dieux qui ne m’écoutaient pas. 

-       Vous pouvez prendre tout le monde…, sanglotai-je alors dans toute mon impuissance avant que le haut de mon corps ne s’écroule sur mes genoux face contre terre, incapable de continuer de supporter la douleur de sa perte à lui. 

Et je sanglotai sur la terre qui me portait. Il ne restait plus rien de moi. Et je sanglotai avec toute la douleur qu’il me restait. 

-       Vous pouvez me prendre tout le monde…, pleurai-je dans toute mon impuissance. Qui vous voulez…, mais je vous en supplie…, je vous supplie…, sanglotai-je le visage contre la terre humide. Pas lui, murmurai-je en leur donnant tout ce qu’il me restait en cette dernière supplication désespérée. 

Et je pleurai, face contre terre. Je pleurai ce frère qu’ils me prenaient. Ce frère qui partageait mon âme. Ce frère qui partageait ma vie depuis que j’avais su marcher. Ce frère qui m’avait appris à aimer. La seule personne qu’ils n’avaient pas le droit de me prendre. Ils pouvaient tout prendre. Ils pouvaient brûler l’intégralité du monde, ils pouvaient anéantir jusqu’à l’existence même de toute chose vivante, sauf la sienne. Sauf lui. Pas lui. Tous, mais pas lui. 

-       Je ferai tout ce que vous voudrez…, suppliai-je encore en enfonçant mes mains tremblantes dans la terre. 

Je brûlerai tout. Je mènerai toutes les Guerres qui pourraient jamais exister. Je ferai n’importe quoi. Je serai prêt à n’importe quoi, peu importait le prix. Il n’y avait pas un seul prix qui était trop cher à payer. N’importe quoi pour arrêter cette douleur insoutenable qui me déchirait, qui m’écrasait et qui me réduisait en esclavage. 

-       Tout…, répétai-je face contre terre. Tout, mais pas lui… Pas lui…, pleurai-je dans toute mon impuissance. 

Je m’en remettais à eux. Encore une fois, encore une dernière fois, je m’en remettais à eux. Ils m’avaient déjà tellement pris. Ils m’avaient déjà tellement délaissé. Une dernière fois, je m’en remettais à eux, parce qu’ils étaient tout ce qu’il restait. Tout ce qu’il me restait. 

-       Pitié…, sanglotai-je finalement avec tout ce qu’il restait de moi. 

Et je pleurai. Je pleurai encore, parce que je ne pouvais rien faire d’autre. Parce que je ne pourrais jamais plus rien faire d’autre s’ils me le prenaient, lui. S’ils me prenaient celui qui faisait que j’étais capable de traverser toute l’horreur qu’ils avaient mise sur mon chemin. S’ils me prenaient celui qui faisait que j’étais encore là, à les supplier encore, malgré le nombre de preuves incessantes qu’ils m’avaient donné et qui m’avaient prouvé que je ne pouvais pas compter sur eux. Je supposai qu’ils devaient parfois se manifester pour certains, pour que les gens continuent de croire en eux. Je supposai que parfois, ils devaient répondre aux prières désespérées pour que leurs noms soi-disant divins continuent de vivre parmi nous. Je supposai qu’ils devaient parfois se manifester pour qu’ils continuent d’inspirer autant crainte qu’amour parmi les vivants. Mais je ne savais pas pourquoi ils ne me répondaient jamais, à moi. Je ne savais pas pourquoi ils m’avaient pris mon père. Je ne savais pas pourquoi ils avaient pris la mère de Blaise. Je ne savais pas pourquoi ils nous avaient pris Pansy. Et je ne pouvais pas entendre qu’ils me prennent Theo. Pas Theo. Un hurlement empreint de sanglots me secoua et se mêla à la terre qui accueillait ma souffrance alors que j’abandonnais-là. Que je m’abandonnais-là. Que je lâchais tout, parce qu’il n’y avait plus rien. Qu’il n’y avait plus aucune raison de se battre. Plus aucune force pour se battre. Ils me l’avaient pris, lui. Il ne me restait plus rien. Alors j’hurlais à la terre. J’hurlais à la terre tout ce que j’avais, et tout ce qu’ils m’avaient pris. J’hurlais à la terre tout le bonheur qu’ils m’avaient donné, et qu’ils m’avaient repris. J’hurlais à la terre cet amour qu’ils avaient fait naître en moi, et qu’ils avaient détruit. J’hurlais à la terre ce frère qu’ils m’avaient donné, et qu’ils m’avaient volé. 

Et soudain, mon âme ne me déchirait plus dans la plus abominable des douleurs. Soudain, la douleur physique de la perte de la moitié de mon essence ne me foudroyait plus. C’était finit. Elle était finie. Aussi violemment qu’elle avait commencée, elle s’était arrêtée. Et tout aussi soudainement, je la sentis lentement se réparer, cette âme que je partageai. Mes yeux s’ouvrirent grand sur l’herbe mouillée contre laquelle mon visage reposait. J’inspirai profondément, cherchant à mieux sentir ce qu’il me semblait avoir senti et qui était inespéré. Et je la sentis une nouvelle fois, se reformer. Je me relevai soudainement, le visage tourné vers le ciel. Une expiration violente qui traduisait le soulagement le plus intense que je n’avais jamais ressenti s’échappa de mes lèvres humides, et je regardai le ciel. La pluie continuait de tomber sur mon visage, et cette fois il me sembla qu’elle n’était qu’une douce caresse. Et je la sentis tout de même, cette larme de gratitude qui coula sur ma joue. Et je souriais, béat, aux nuages noirs au-dessus de moi.

-       Merci, sanglotai-je alors dans toute ma gratitude la plus divine.

Mes paumes de mains se refermèrent l’une contre l’autre et vinrent trouver place contre le bout de mes lèvres. 

-       Merci…, répétai-je en un sanglot. 

Je ne savais pas si c’était eux, je ne savais pas si c’était ma mère, je ne savais pas si c’était Theodore, je ne savais pas si c’était moi, et je n’en avais rien à foutre. Il m’était revenu. Alors je me retournais vers l’entrée du manoir, et je courrai sur mes jambes faibles soudain redynamisées à travers la pluie, à travers le manoir, jusqu’à sa chambre. 

Je le trouvais assit contre le mur de sa chambre, à côté de son lit, ma mère le serrant contre elle, son visage tourné vers moi, du sang décorant sa gorge qui était refermée. Ses yeux étaient déjà posés sur moi quand j’étais arrivé, et un nouveau sanglot me traversa quand je constatais que ses yeux étaient à nouveau ouverts, et que je pouvais toujours le sentir à l’intérieur de moi. Il m’était revenu. Je fis hâtivement les quelques mètres qui séparaient nos corps, le cadavre de Pansy reposant encore un peu plus loin de nous là où je l’avais poussé, et ma mère défit son étreinte pour me laisser le serrer contre moi. Je tombais à genoux devant lui, et saisi sa nuque de ma main droite pour le tirer violemment contre moi. Mon torse s’écrasa contre le sien et je pus respirer normalement à nouveau alors que je sentis son cœur battre contre moi. Je serrai son dos de toutes mes forces, et inspirai son odeur de musc qui ne l’avait pas quitté. Il était vivant. Mon frère, il était vivant. Il m’était revenu. De nouveaux sanglots de soulagement me secouèrent alors que je le gardais fermement contre moi, pendant de longues minutes que je ne sentais pas passer. Au bout d’un moment, il me sembla que ma mère quitta la pièce. Je me permettais de sentir la chaleur de son corps animé contre le mien. Les muscles de son dos sous mes doigts. Les battements de son cœur contre mon torse. Son odeur dans mes narines. La douceur de sa joue contre la mienne.

-       J’ai besoin de toi Theo, lui chuchotai-je en le gardant tout contre moi, comme si j’avais peur qu’il m’échappe à nouveau. 

Il ne me répondit rien, et je réalisai seulement qu’il ne m’avait pas rendu mon étreinte. Et tout aussi soudainement, je me rappelai. Je me rappelai la douleur qui l’assaillait, lui aussi. Probablement une semblable à celle que j’avais ressenti de le perdre quelques secondes plus tôt. Et je savais que c’était une douleur avec laquelle on ne pouvait tout simplement pas apprendre à vivre. Il y avait des douleurs avec lesquelles nous pouvions apprendre à cohabiter. Des douleurs que nous pouvions apprivoiser. Des pertes avec lesquelles nous pouvions apprendre à vivre. Cela, ce n’était pas l’une d’entre elles. Alors aussi abruptement que l’euphorie qu’il me soit revenu m’avait subjugué, elle me quitta. Et j’affrontai notre destin en desserrant ma prise sur lui, et en m’asseyant à ses côtés, face à sa douleur. 

Elle était lisible sur son visage. Ses grands yeux bleus étaient épuisés, vidés de toute étincelle qui y brillait jadis. Ses traits étaient plus appuyés, quelque part plus durs, et à la fois plus vulnérables. Il ne m’était jamais apparu aussi vulnérable que jusqu’alors, et pourtant je l’avais vu au travers des années dans bien des états dévastateurs. Non, cela, ce n’était pas une douleur qui pouvait l’accompagner sur son chemin. Il ne me souriait pas. Il ne m’adressait aucun signe qui pouvait me dire qu’il était heureux, ne serait-ce que soulagé d’être à nouveau là, en vie. Il ne regrettait pas son geste. Il n’avait pas voulu rester. Et je réalisai soudainement qu’il ne voulait toujours pas rester. Et avec ce constat une nouvelle larme, plus lourde cette fois, perla sur ma joue. Il me regardait, et je le regardais en retour. Il ne me dirait pas qu’il resterait pour moi. 

Musique suggérée : These Final Words – Fractured Light Music

-       J’y arriverai pas sans toi, me surpris-je alors à lui chuchoter dans une supplication inespérée que je ne m’autorisai pas à lui formuler vraiment. 

Il me rendit l’impuissance de mon regard. Ses yeux étaient épuisés. Épuisés de la douleur qui l’assaillait. Ils se portèrent sur le corps de Pansy qui reposait à quelques centimètres seulement de nous. Une douloureuse larme perla sur sa joue alors que son visage appuyé contre le mur regardait son corps sans vie dans toute son impuissance, et dans tout son désarroi. Finalement, sa voix retentit à nouveau dans mes oreilles en un chuchotement douloureux, pour la première fois depuis trop longtemps. C’était une voix brisée, une voix basse et fatiguée que je ne lui connaissais pas. 

-       Je t’avais dit que je ne pouvais pas m’autoriser à l’avoir, au risque de la perdre. 

Il reporta ses yeux vidés dans les miens. Une nouvelle larme s’en échappa alors que je pouvais sentir mon cœur se briser une nouvelle trop douloureuse fois en moi. Je savais que tout ce qui me terrifiait le plus était sur le point d’arriver, à nouveau.

-       Je t’avais dit que si je l’avais, et que je la perdais un jour, il ne resterait plus rien de moi, murmura-t-il vers moi. 

Et je le regardai à la recherche de quelque chose qu’il restait en lui. A la recherche d’un espoir, de quoi que ce soit qui pouvait potentiellement demeurer, de quelque chose qui s’était accroché. Je ne trouvais rien dans son visage épuisé. Son crâne reposait lassement contre le mur qui le portait, ses bras reposant faiblement le long de son corps. Il ne portait plus rien. Plus même sa tête sur ses épaules. Il ne pouvait plus rien porter. Sa voix si basse et si brisée continua tout doucement, avec toute l’absence de vie dont je témoignais déjà en le regardant devant moi : 

-       Tu m’as dit que quitte à ce que je risque de mourir à chaque fois qu’elle était en danger, autant que je connaisse la chaleur de son regard. 

Il tourna une nouvelle fois les yeux vers son cadavre alors qu’une larme silencieuse perla lourdement sur sa joue pâle. Il avala difficilement sa salive, et l’intensité de sa douleur raisonna en moi. Je ne fis pas attention à la sensation froide des larmes qui coulaient de mes propres yeux alors que je témoignais de ce que je lui avais fait. 

-       Sauf que c’est elle qui est morte, chuchota-t-il en reportant la douleur insoutenable dans ses yeux sur moi. Il n’y a plus de chaleur dans son regard maintenant. 

Chaque larme silencieuse qui coulait sur ses joues tranchait vivement ce qu’il restait de mon cœur, et chaque mot qu’il prononçait déchirait mon âme qui s’était réparée quelques instants plus tôt seulement. Mais je soutenais son regard, à lui. Je me confrontais à sa douleur, à lui. J’écoutais ses mots, à lui. Parce que de lui je ne pouvais pas me soustraire. De tous, mais pas de lui. Sa voix se remplit elle aussi de larmes quand il murmura en détruisant tout ce qui demeurait : 

-       Je l’ai eue. Et je l’ai perdue. Et maintenant, il ne reste plus rien de moi. 

Mon cœur, mon corps, mon esprit, jusqu’à mon âme, tout se brisa à l’intérieur de moi sous la teneur de ses mots. De ses mots que je savais vrais. De ses mots qui m’avaient averti, des mois auparavant. De ses mots que j’avais franchi, et que j’avais déjoué. Je ne lâchai pas son regard, et il ne lâcha pas le mien non plus. Il resta silencieux un instant, et une nouvelle douloureuse larme dégoulina silencieusement le long de sa joue. Quand il reprit à voix basse, sa souffrance était plus explicite encore dans ses yeux alors que j’ignorai jusqu’alors que cela était encore possible. 

-       Je ne suis plus là. Je n’existe plus, chuchota-t-il en réduisant mon cœur en lambeaux. Je t’ai… Je t’ai jeté un endoloris, à toi, Drago, murmura-t-il alors que ses sourcils se fronçaient douloureusement sur son front. A toi…, répéta-t-il difficilement tandis qu’il pleurait. 

Et je pleurai en retour, face à la destruction de mon frère dont je témoignai. De tout ce que je voyais qu’il ne restait plus de lui. Une souffrance des plus vives, des plus abominables, des plus destructrices. C’était cela, tout ce qu’il restait. 

-       Je serai toujours derrière toi, murmurai-je en retour alors que de nouvelles larmes perlaient sur mes joues, cherchant désespérément à le retenir. Je serai toujours, toujours derrière toi Theo. A travers l’atroce, à travers le magnifique, je serai toujours derrière toi, promis-je encore en vain. 

En vain, oui. Theodore ne se languirait pas. Il ne hurlerait pas. Il ne sangloterait pas pendant des heures et des nuits interminables. Il ne perdrait pas la tête et il ne péterait pas les plombs. Il n’écraserait pas des bouteilles contre les murs et il ne blâmerait pas le monde entier pour sa douleur. Il n’angoisserait pas et il ne boirait pas non plus. Les choses n’étaient pas compliquées, et elles n’offraient pas de multiples options d’expression de sa souffrance pour Theodore. Il ne faisait pas dans la douleur hystérique du moment. Pansy était morte, et ainsi c’en était fini pour lui. C’était aussi simple que cela. Aussi simple que de se trancher la gorge d’un coup sec. 

Il ne lâcha pas mon regard, m’offrant en cet instant les explications qu’il ne m’avait pas donné avant. Comme s’il me disait au revoir. Et je les recevais, ses mots. Son au revoir. Avec toute la douleur du monde, et en cherchant encore ce que je pouvais faire pour lui rendre ce que je lui avais pris. 

-       Ça n’a pas de sens, que je sois là, et pas elle, chuchota-t-il encore dans toute sa faiblesse. 

Oui, je le savais. Je le savais, qu’il n’existait pas un monde dans lequel il pouvait vivre sans elle. Moins encore désormais qu’elle était sienne, et qu’il avait su ce que c’était que d’être comblé. Je savais depuis longtemps qu’il n’existait pas un seul univers parallèle dans lequel il pouvait survivre sans elle, tout comme il n’en existait pas un où je pouvais être sans lui. 

-       J’ai besoin d’être avec elle, continua-t-il de sa voix dans laquelle il ne restait pas la moindre force. J’ai besoin d’être à côté d’elle. J’ai besoin de sentir son odeur. J’ai besoin de voir sa poitrine se soulever. J’ai besoin de la toucher.

Ses yeux continuaient de pleurer silencieusement la douleur qu’il ressentait, et je continuais de la recevoir. Il posa les yeux sur elle une nouvelle fois. Ce n’était plus des yeux. Ce n’était plus que le reflet du fantôme de celui qu’il avait jadis été. 

-       Son odeur a déjà commencé à changer, pleura-t-il doucement en laissant ses yeux assassinés sur son corps un instant. 

Toute la douleur du monde. Toute la douleur du monde était lisible dans son regard. Transparente sur son visage. Et alors que je le regardai, je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était moi, qui lui avait fait ça. Il était là, sans vie devant moi. Vidé. Détruit. Absolument et intégralement détruit, jusqu’au plus profond de son être. Et c’était moi, qui lui avait fait ça. C’était moi, qui la lui avait prise. Il m’avait semblé que je ne pouvais pas avoir encore plus mal qu’en cet instant. Que je ne pouvais pas être plus encore détruit que quelques secondes plus tôt. Je m’étais trompé. Il n’existait rien de pire que d’être confronté à la mort de mon frère que je voyais s’éteindre devant moi. C’était cela qu’il était, éteint. Et je ne pouvais rien faire pour lui rendre ce que je lui avais pris. 

Il pinça ses lèvres et avala quelques-unes des amères larmes qu’il pleurait, et son regard me retrouva. Ces larmes continuaient de couler sur ses joues, sans même que ses sourcils ne soient froncés ou qu’il n’affiche une quelconque moue de douleur explicite. Éteint, tout simplement. 

-       J’ai toujours pensé que ce serait moi qui mourrai, chuchota-t-il difficilement. Ça n’a jamais été une option dans mon esprit, pas une seule seconde, qu’elle puisse mourir un jour avant d’avoir pu vivre sa vie. 

Il baissa le visage un instant sur ses genoux, et quand il le releva ses sourcils témoignaient de sa douleur sur son front, et d’imposantes larmes s’écoulèrent en les accompagnant. 

-       Pas avant que je ne l’aie épousée, continua-t-il avec difficulté. Pas avant que je ne lui aie fait des enfants. 

Ses lèvres se pincèrent sous ces mots qui tranchaient son cœur déjà meurtri et quand il parla à nouveau, sa voix n’était plus qu’un infime murmure traduisant la plus infâme des douleurs : 

-       C’était pas une option. 

Son crâne retrouva son appui contre le mur, et il leva ses yeux embués de larmes vers le ciel alors que son corps tremblait faiblement de la peine qui le traversait. Et il s’autorisa à pleurer silencieusement un moment, et je le regardai, les larmes coulant sur mes propres joues, mon propre cœur réduit en miettes. Mon frère. Et je compris. Alors que je le regardais, je compris. Ma dernière option. Ma dernière solution. Ma seule occasion. Mon poitrail se remplit lourdement d’air, et je le laissai faire. Une option. J’avais une option. Une seule carte à jouer. 

Il baissa une nouvelle fois ses yeux vers moi, et me dit avec la plus grande impuissance ce que je savais déjà : 

-       Je peux pas Drago. Je peux pas…, pleura-t-il. 

Et je pleurai avec lui. 

-       Je sais, chuchotai-je en retour. 

Il me regardait avec ce qu’il lui restait d’amour, et qui ne suffisait plus. Même cet amour qu’il avait pour moi, et que je connaissais par cœur, ne suffisait plus. Et je le savais. Et je savais que si je n’y parvenais pas, je le perdrai. Je savais même qu’il y avait bien plus de chance que je n’y parvienne pas, et que je le perde. Mais je ne pouvais pas le perdre. Je ne pouvais pas me résoudre à le perdre. 

-       Je suis désolé, pleura-t-il sans quitter mes yeux. Je suis tellement désolé, je peux pas, murmura-t-il dans toute sa douleur, un sanglot le secouant finalement. Je suis désolé Drago, pleura-t-il alors qu’il savait qu’il m’abandonnait. 

Et qu’il m’avait promis qu’il ne le ferait pas. 

-       Je sais, pleurai-je en retour. 

Il ne put s’empêcher de baisser les yeux encore une fois alors que l’entièreté de son visage se contractait sous la douleur de me dire au revoir. De m’avouer son impuissance. De me laisser là, sans lui. De m’avouer que quoi ce soit que j’avais à lui donner, ce n’était plus suffisant. Plus suffisant face à la douleur de la perte de sa Pansy. Et je savais que cela détruisait ce qu’il restait de lui. Et cela détruisait ce qu’il restait de moi. Il s’autorisa un dernier sanglot, puis je vis son poitrail se gonfler d’air. Il ferma les yeux, son visage toujours porté bas, et inspira à nouveau. Il me disait au revoir. Mes boyaux se tordirent violemment dans mon ventre. Lorsqu’il releva le visage vers moi, sa mâchoire était serrée et son regard grave. Je savais qu’il utilisait tout ce qu’il lui restait pour m’adresser ce qu’il m’offrait là. Dans un murmure pourtant emplit de ce qu’il restait de sa puissance vibrante, ses yeux transcendant les miens, il m’adressa avec force : 

-       Ce n’est pas de ta faute. 

Mon propre visage se décomposa et un sanglot me secoua alors que je baissai les yeux. 

-       Regarde-moi, ordonna-t-il d’une voix dont il contenait les tremblements. 

Je mordais mes lèvres et relevai difficilement mes yeux larmoyants vers lui. 

-       Ce n’est pas de ta faute, répéta-t-il avec plus de force encore. Ce n’est pas non plus celle d’Hermione, la nomma-t-il doucement. Pansy était ma responsabilité, appuya-t-il gravement alors qu’une nouvelle larme coulait sur sa joue. C’était à moi de la protéger. Il aurait dû pouvoir se passer n’importe quoi, quoi que ce soit, chuchota-t-il, ça n’aurait rien dû changer. Elle était ma responsabilité. 

Une nouvelle fois, la dévotion de Theo se prouva être totale. Absolue. Il ne trouverait pas d’autre coupable que lui pour se dédouaner. Il ne blâmerait personne pour la perte de son amour. Ni le ciel, ni les Dieux, ni le Seigneur des Ténèbres, ni celle qui n’aurait jamais dû être là, ni même moi. Il considérait que Pansy était sa responsabilité à lui. Il considérait que c’était son rôle à lui, de la protéger. Peu importait les conditions. Peu importait que le ciel nous tombe sur la tête. Il considérait qu’il aurait dû pouvoir supporter de la force de ses bras le poids du ciel au-dessus de la tête de Pansy. 

-       Alors je te libère de ta culpabilité, pleura-t-il douloureusement. Ce n’est pas de ta faute, répéta-t-il en un murmure grave. 

En cet instant, je pouvais le voir. Cet amour qu’il avait encore pour moi. Qui existait encore à l’intérieur de lui. Ce restant d’amour qui était tout ce qui demeurait en lui. Et je savais que c’était là tout ce que je pouvais utiliser. Ma seule carte à jouer. Ma seule opportunité. Cet amour qu’il avait pour moi, et qui lui brisait encore le cœur, comme si c’était encore possible, de me laisser là sans lui. Mais je n’allais pas lui dire au revoir. Je n’allais pas encore lui dire au revoir. Il me restait cela. Notre amour. 

-       Donne-moi 24heures, suppliai-je alors avec tout ce qu’il me restait, d’accord ? J’ai besoin que tu me donnes 24heures, et si au bout de ces 24heures tu veux toujours mourir, je te laisserai partir, offris-je dans toute ma douleur. Je n’essayerai pas de te retenir, promis-je à ses yeux épuisés qui me regardaient. Je ne te demanderai pas de rester, pleurai-je douloureusement. Je te le promets, avançai-je alors que je me brisai intérieurement. 

Il me regardait avec le genre de peine qui disait « je suis désolé, je sais que tu ne veux pas te résoudre à me laisser partir ». C’était de la pitié. Et je la prenais, cette pitié, parce que j’en avais besoin. Parce que j’en avais désespérément besoin, pour trouver une raison à lui donner de rester en vie. Un sanglot me secoua alors que je continuais : 

-       Mais j’ai besoin que tu me promettes de me les laisser, ces 24heures Theo. J’ai besoin d’être sûr que tu vas me les laisser, implorai-je en me saisissant de sa main que je serrai. Et si tu veux toujours partir après ça, je te promets que je te laisserais mourir, chuchotai-je en enfonçant mes yeux au plus profond des siens.

Une nouvelle larme coula sur sa joue, et alors que j’inspectai son visage, intégralement dépendant de la réponse qu’il aurait à me donner, je baisai sa main de toute ma gratitude quand faiblement, il acquiesça. Je savais qu’il endurerait les pires souffrances de l’humanité pour moi pendant ces 24heures. Et je savais qu’il le faisait probablement parce qu’il estimait qu’il nous laissait l’opportunité de se dire vraiment au revoir de la sorte. Mais moi je n’étais pas prêt à dire au revoir. Je n’allais pas lui dire au revoir. 

-       Merci, murmurai-je en embrassant sa main de mes lèvres rendues humides par mes larmes. Merci, chuchotai-je encore dans ma gratitude la plus pleine. 

Il accepta que je l’aide à dormir. Il n’était pas en état de supporter autant de douleur pendant ces 24heures, et je n’étais pas en capacité de le laisser seul avec ça pendant tout ce temps en sachant ce que cela lui faisait, et qu’il avait accepté d’endurer pour moi. Il avait accepté d’avaler une potion de sommeil, et je l’avais portée à ses lèvres moi-même cette fois-ci. Et lorsque ses yeux se fermèrent doucement, je pénétrais son esprit que je retrouvais finalement. 

Je faisais briller un soleil plein et chaleureux dans le ciel parsemé de quelques nuages seulement, juste assez pour nous offrir aléatoirement un peu de fraicheur ressourçante. Je faisais éclore jusqu’à la moindre fleur, jusqu’au moindre bouton de la moindre plante du manoir en une explosion de couleurs enivrante. Des rhododendrons roses, des rosiers rouges et d’autres jaunes, des buissons d’hortensias blancs et violets, des cerisiers en fleurs et des chênes aussi élancés que contenants. Au fond du jardin, au milieu des arbres qui nous abritaient de leurs hauteurs, je faisais apparaître une longue table rectangulaire en bois massif. Assez grande et assez large pour accueillir assez de nourriture pour chacun d’entre nous. Pour toute notre famille. Sur celle-ci, des plats remplis de couleur, et remplis d’amour. Blaise marchait vers la table, sa peau noire scintillant au soleil, un tablier replié sur ses hanches, portant le dernier plat qu’il amenait à bout de bras, un large sourire ancré sur ses lèvres. A table, installée sur une chaise large faite de bois, Granger attendait, alléchée par tout ce que nous pourvoyons. Derrière elle, je me tenais debout, mes mains ancrées sur ses épaules, un sourire brillant illuminant mes yeux qui n’étaient pas tâchés de la moindre cerne. A côté de nous, Pansy se tenait assise sur une chaise semblable, ses joues légèrement rosées, et ses yeux verts pétillants. Elle portait une longue robe d’été de la même couleur, ses noirs cheveux courts volant dans la brise aussi légère qu’agréable. A sa droite, Theo siégeait fièrement. Son visage était somptueux, plus qu’il ne l’avait jamais été. Illuminé par la vie qu’il menait. Par la vie que nous menions tous. Il portait une chemise blanche dont les premiers boutons avaient étaient ouverts par sa femme, et ses yeux étincelants étaient baissés sur le caillou brillant qui scintillait au doigt de celle qu’il avait faite sienne. Derrière eux, des rires enfantins retentissaient joyeusement. Azriel, petit garçon encore âgé de cinq ans tout au plus, courait dans l’herbe fraîchement tondue sur ses petites jambes encore potelées, ses cheveux noir corbeau ondulés retombant sur son front au rythme de sa course. Derrière lui, une petite fille du même âge l’imitait en riant, des cheveux d’un blanc immaculé volant dans le vent. Il tourna le visage pour les regarder un moment, et je l’imitais. Ils étaient magnifiques. Ils transpiraient la joie. Tout ce dont nous avions toujours rêvé. Quand il dirigea à nouveau son visage vers nous, ses yeux plongèrent dans les miens. Ses grands et magnifiques yeux bleus qui brillaient plus que jamais auparavant. Et doucement, un somptueux sourire empli de quiétude se dessina sur son visage angélique. 

Mes joues étaient trempées de larmes lorsque je quittais son esprit. Ses yeux étaient fermés, il était endormi, une dernière larme silencieuse traçant son chemin sur sa joue, un coin de sa bouche finement relevé en l’ombre du sourire que je venais de quitter. Et alors que je sentais mon cœur se déchirer à l’intérieur de moi, j’attrapais son visage de mes deux mains, et déposai un baiser appuyé sur son front contre lequel je sanglotais. 

-       Je suis désolé, sanglotai-je contre son front. Je suis tellement désolé, pleurai-je à mon tour dans toute ma douleur. 

Une dernière fois, je me permis de pleurer de toute ma faiblesse, et de toute mon abominable et terrassante douleur, et finalement je promettais contre son front en un murmure dévoué : 

-       Je vais arranger ça. Je te le promets, je vais arranger ça. 

Ma mâchoire se serra gravement, et dans ses cheveux je me permis de prendre une ultime inspiration profonde. Je rassemblai mes dernières forces, et avec le regard droit et décidé, m’autorisant à ne ressentir rien d’autre que la détermination la plus absolue, je me levai sur mes pieds. J’étais prêt. Pour lui, j’étais prêt. Pour sa vie, j’étais prêt à tout. Je marchai jusqu’au cadavre de Pansy, et me confrontai à sa mort. Je me baissai face à elle, passai un bras sous son dos déjà froid, et un autre sous ses genoux qui se plièrent sous mon contact, et utilisai tout ce qu’il restait de moi pour la soulever du sol. Lourdement, ses bras pendants le long de son corps dénué de vie que je portais, je traversai le manoir. Mon regard était ferme, porté loin devant moi, vers ma destinée que je ne pouvais plus fuir. Au bas des marches qui menaient à la salle de réception, ma mère m’attendait. Elle me regarda descendre marche après marche, le bruit de chacun de mes pas pour seule musique à nos oreilles. Je m’arrêtai à son niveau, et tournai le visage vers elle. Elle me regarda un moment, et je la laissai faire. Elle me regarda comme si c’était la dernière fois qu’elle pouvait le faire, et une lourde larme perla sur sa joue. Elle acquiesça gravement, et tout doucement, elle chuchota : 

-       Je sais. 

Lentement, elle s’éleva sur la pointe de ses pieds, et elle déposa un baiser appuyé sur ma joue. Quand elle me retira son contact, je passai la porte du manoir d’un pas décidé, le cadavre de Pansy au creux de mes bras. 


Puisque vous avez patienté 3 mois pour la suite, ce deuxième chapitre c'est cadeau <3 

Si c'est pas encore le cas, suis moi sur insta pour du contenu en rapport avec la fic @ livstivrig <3

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