Dollhouse

Chapitre 42 : Quand Patrocle devient Achille

15460 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/08/2024 17:25

Je revoyais ses yeux ambrés embués de larmes alors qu’elle me suppliait, ses petites mains douces serrant fermement mes poignets. 

« Granger », avais-je chuchoté en essayant de l’arrêter tandis que mes murs d’occlumencie tremblaient déjà sous ses supplications incessantes. 

Je la revoyais m’implorer de m’enfuir, moi et tous mes proches, avec elle. Comme si cela avait jamais été une option pour nous. Je ressentais à nouveau le violent sentiment d’impuissance qui s’était répandu dans l’intégralité de mon corps désemparé alors qu’elle n’avait pas cessé de me retenir, peu avait importé combien je lui avais demandé d’arrêter. Je revoyais la douleur sur son visage, la douleur que je lui avais imposée en la forçant à se confronter à celui que j’étais vraiment, et dont je n’avais su la protéger. Un Mangemort. L’un des siens. Son ennemi. Et je ressentais à nouveau la lourdeur des larmes qui avaient perlé sur mes joues quand je m’étais excusé de lui avoir fait cela. 

Un clignement de cils me ramena dans le présent tandis que ma respiration était difficile. Le corps de Pansy gisait sur le sol marbré de l’entrée du manoir. Je les fermais et les rouvrais à nouveau, comme s’il y avait une quelconque chance que tout cela n’ait été que le plus atroce des cauchemars. Une inspiration profonde plus tard et tout s’enchaînait à nouveau dans des éclairs de sensations, d’images et de sons jouant dans mon esprit autant que dans mon corps alors que mon cerveau tentait désespérément d’assimiler tout ce qu’il venait de se passer. 

Je revoyais des images de la volière. Je sentais à nouveau l’odeur prenante des animaux qui y étaient gardés. Et je clignais des yeux et je voyais le visage de Pansy sur le sol de ma maison. Et je les clignais à nouveau et j’entendais ses sanglots à elle, et la voix déchirée avec laquelle elle m’avait supplié de ne pas aller faire ce que j’avais été incapable de faire. Je pouvais encore sentir comment mon poitrail s’était déchiré alors que je l’avais regardée dans cet état. Je ressentais à nouveau la résignation qui m’avait gagnée quand j’avais compris que j’allais mourir, parce que je l’aimais, et que je n’étais pas parvenu à bloquer la force de ces sentiments face à ses implorations. Je pouvais encore sentir la pression de ses doigts autour de mes poignets, et la façon dont elle avait tiré sur mes bras sans cesse, tentant désespérément de me faire rester. La chaleur de son corps contre le mien alors que je lui avais cédé. La façon dont ce corps tremblait contre le mien. Son odeur d’amandes. La façon dont elle m’avait regardé avec terreur et impuissance lorsque je l’avais finalement poussée loin de moi. 

« Cache-toi », lui avais-je ordonné avant de l’abandonner là. 

Ma respiration se faisait plus haletante alors que mon cerveau continuait de passer en revue la pire nuit de ma vie en des flashs d’une violence insupportable. Je clignais des yeux et je voyais les bras musclés de Theodore reposer sur le corps mort de Pansy. Un battement de cils plus tard, et j’étais à nouveau dans la Tour d’Astronomie, et ma voix raisonnait dans mon esprit devant le visage de Dumbledore : 

« Quand le silence se dissipera, 

Que les ténèbres s’étireront et que passeront les premiers rayons de lumière, 

Une nouvelle journée commencera. »

Je me rappelai de la sensation dans ma main de ma baguette tremblante tendue vers le Directeur. Je ressentais à nouveau la terreur s’étendre en une sensation de broiement interne lorsque nous avions entendu du bruit dans l’escalier, et la façon dont mon cœur avait cessé de battre un instant quand je l’avais vue-là. Je me rappelai de ses yeux bruns larmoyants rivés sur moi, et je ressentais à nouveau comment mon souffle avait été coupé. 

« Tiens, tiens, mais qui voilà ? Ne serait-ce pas la grande copine de Potter ? » chanta à nouveau la terrifiante voix de ma tante dans mes oreilles bourdonnantes. 

Je me rappelai le visage de Pansy, son visage encore vivant quelques heures plus tôt, et la façon dont son masque de Mangemort avait glissé l’espace de quelques secondes pour afficher la terreur qu’elle ressentait alors qu’elle avait eu le courage de la prendre contre elle, pour moi. Et elle m’avait adressé un signe de tête, aussi discret qu’il en avait été presque imperceptible, mais elle l’avait fait. Elle m’avait assuré qu’elle s’occupait d’elle. Qu’elle la protégerait comme elle le pourrait. Et grâce à elle, j’avais pu détourner mes yeux de Granger, et les reporter sur celui que j’étais censé assassiner. 

De nouvelles larmes réelles remplirent mes yeux dans le présent, et ma respiration se fit plus saccadée encore alors que ce geste de Pansy me revenait, et que je savais désormais qu’il avait causé sa mort. Et mon cerveau ne me laissa pas de répit, et il continua en un enchaînement d’émotions, de visions, de sonorités et de sensations d’horreur à me rappeler tout ce qu’il s’était passé cette nuit. 

Les halètements de la respiration saccadée de Granger qui s’était tenue à côté de moi retentissaient à nouveau dans mes oreillesJ’entendais la voix d’Alecto raisonner dans mon esprit :

« Il le fera pas. »

« Il est comme son père », lui avait répondu Amycus. 

« Fais-le ! », s’était impatienté ma tante. 

Je ressentais mon corps qui tremblait, l’impuissance et le désarroi dans lequel j’avais été alors que je ne parvenais pas à lever ma baguette vers Dumbledore. Et je ressentais à nouveau la douleur qui m’avait déchiré parce que tout ce que j’étais parvenu à penser c’était qu’elle était là, et qu’elle ne pouvait pas voir cela de moi. 

Et j’entendais à nouveau la voix vibrante de Theodore qui avait raisonnée en moi alors que je ne pouvais pas le voir, lui qui se tenait derrière-moi tout ce temps : 

« Inspire, et lève ta baguette ». 

Et je me rappelai la sensation glacée de la larme qui avait coulé sur ma joue brulante alors que je l’avais fait, mais que j’étais toujours incapable d’en faire sortir une quelconque magie, encore moins une meurtrière. J’inspirai difficilement et tentai de regarder autour de moi pour m’orienter dans le présent mais je voyais flou désormais, et tout ce qu’il me semblait entendre étaient les sanglots lointains de Blaise. Et à nouveau, je sentais le corps sinueux de Kira qui avait ondulé entre mes pieds juste avant que je ne sente la chaleur de la paume de mon frère sur mon épaule. Il avait pris ma place quand une nouvelle fois je m’étais révélé être incapable de faire ce qui était attendu de moi. Et j’entendais à nouveau sa voix qui ne tremblait pas prononcer durement : 

« Avada Kedavra ». 

Je revoyais l’éclair vert aveuglant et le corps de Dumbledore qui avait disparu dans les ténèbres étoilées qui entouraient la Tour. J’entendais à nouveau le cri de Granger devant ce spectacle qui avait raisonné dans mes oreilles. Et soudain, je revis les traînées de lumière blanche qui avaient annoncé l’arrivée des Aurors, et mon souffle devint plus difficile encore alors que mes souvenirs de cette nuit progressaient, comme si mon cerveau tentait désespérément d’assimiler ce qu’il s’était produit en l’espace de peut-être deux heures tout au plus. 

J’entendais à nouveau ma tante qui nous avait ordonné de courir jusqu’au Portoloin. Et mon cœur me fit douloureusement mal dans mon poitrail alors que j’entendais à nouveau Pansy chuchoter à Granger de s’enfuir, et que je la revoyais la pousser loin d’elle, au milieu des Aurors, là où elle savait qu’elle serait en sécurité. Celle qu’elle m’avait averti qu’il était dangereux d’aimer. Celle que je lui avais moi-même demandé de m’aider à protéger. Et elle l’avait fait. Elle l’avait protégée quand moi je m’étais trouvé incapable de le faire. Et elle était morte à cause de cela. Elle était morte à cause de moi. Et avec cette réalisation un sentiment glaçant électrisa mon corps douloureux alors que son cadavre s’imposa à nouveau sous mes yeux horrifiés. Mais les images et les souvenirs continuèrent de s’imposer à moi. 

Je revoyais Theo qui avait commencé à se battre, et la façon dont sa voix avait hurlé à Pansy de s’enfuir pour la protéger. Il ne savait pas, à cet instant, que cette nuit-là serait la dernière de sa vie. Aucun de nous ne le savions. Et je revoyais les traits déterminés sur le visage de Pansy alors qu’elle n’avait pas cessé de se battre aux côtés de celui qu’elle aimait, ignorant résolument ses supplications, faisant tomber des Aurors à ses côtés. J’entendais à nouveau l’ordre de Theodore de l’emmener au Portoloin, et je sentais à nouveau l’état de sidération dans lequel j’avais été, moi, pendant tout ce temps. Je revoyais l’image terrible de Granger, accroupie sur le sol du côté des Aurors. Je me rappelai que c’était la dernière image que j’avais d’elle, et la dernière que je n’aurai probablement jamais, et des sanglots me secouèrent alors que je sentais mon corps entier se contracter sous ces souvenirs horrifiques. Je sentais à nouveau la main ferme de Blaise qui s’était renfermée sur mon bras et la force avec laquelle il m’avait entraîné dans sa course, et comment je l’avais perdue, elle, à tout jamais. Et les derniers mots que Pansy avait adressé à son meilleur ami raisonnèrent durement dans mon esprit alors que Blaise lui hurlait de toute la force de son amour pour elle : 

« IL EST MON GRAND INTENDANT ! ET TOI TU ES TOUT CE QU’IL ME RESTE ! ALORS QUAND IL ME DIT DE TE SAUVER PANSY, JE TE SAUVE, ET JE TE SAUVERAI ENCORE, ET ENCORE, ET ENCORE ! » 

Et la voix tranchante, froide, et si calme que c’en était terrifiant de Pansy déchira son âme pour la dernière fois de son vivant, avant de l’achever de sa mort :

« S’il lui est arrivé quelque chose, je ne te le pardonnerai jamais, et pour la première fois de ta vie tu sauras vraiment ce que c’est que d’être seul. »

Les larmes rendirent ma vision plus floue encore, et mon cœur me fit physiquement mal alors que je savais ce que mon esprit s’apprêtait à me montrer ensuite. Je revis la Marque des Ténèbres dans le ciel plongé dans la nuit, et le château paniqué au loin. Puis le silence. Le silence lourd, violent et terrifiant qui s’était soudainement abattu sur nous dès lors que nous avions touché le Portoloin. Et ce que je ressentais, alors que je croyais que j’étais mort. J’aurai préféré l’être. J’aurai préféré que ce soit moi. La hauteur de la cathédrale. Ses voûtes. Les piliers massifs. Je revoyais tout. Les Mangemorts en ligne. Le Seigneur des Ténèbres au bout. Le rouge de ses yeux qui nous sondaient. Sa voix lorsqu’il avait appelé ma tante. La chaleur qui émanait du dos de la main de Theodore qu’il avait collée contre la mienne. La façon dont je m’étais simplement résolu à mourir. Les pas discrets que Theodore avait effectués devant moi pour me protéger. La rapidité avec laquelle le Seigneur des Ténèbres avait levé sa baguette. Les mots qui étaient sortis de la fente de ses lèvres. Et le bruit sourd. Le bruit sourd d’un corps qui rencontrait le sol, et qui n’était pas le mien. Et la vision abominable du corps de Pansy, allongée sans vie sur le marbre de la cathédrale.

Mon cœur battait si fort dans mon poitrail que j’en avais mal, et des sanglots me secouèrent alors que je revins une nouvelle fois dans le présent. Ce corps mort était toujours là, juste sous mes yeux. Et le corps inconscient de Theodore était toujours sur elle. Et Blaise continuait de sangloter contre elle. Et ma mère courait vers moi, son visage paniqué rivé sur le mien. Ses lèvres bougeaient, mais je n’entendais aucun des mots qui sortaient de sa bouche. 

Je n’entendais que le hurlement déchirant qui était sorti de Blaise quand il l’avait vue, morte. Je revoyais les grands yeux verts de Pansy, vides, qui fixaient le plafond de la cathédrale. J’entendais à nouveau le bruit sourd du corps de Theodore qui était tombé à genoux devant elle. Je sentais à nouveau le Mangemort qui m’avait attrapé et soudainement tiré en arrière. Et je revoyais son visage. Ses yeux figés sur la poitrine de Pansy. Sa bouche entre-ouverte, dont aucun air n’entrait ou ne sortait. Ses mains levées au-dessus de son corps. Et je sentis mon cœur se déchirer en mille morceaux encore une fois alors que je revoyais mon frère mourir devant moi. Et je m’entendais l’appeler, encore et encore, au travers de notre lien, en vain. 

Je sentis les mains de ma mère se renfermer fermement sur mes épaules et me secouer alors que ses lèvres semblaient me parler, sans que son message ne parvienne jusqu’à moi. Et son visage se tourna vers le corps sans vie de Pansy, et celui inconscient de Theodore qui reposait sur son cadavre. Mes oreilles bourdonnaient et ma vision se brouillait alors que la pire douleur que je n’avais jamais expérimentée de toute ma vie me foudroyait à nouveau. Et je ne pouvais empêcher mon esprit de me montrer la façon dont Kira s’était enroulée autour du corps inanimé de Pansy. Les yeux que Theodore avaient levés vers le Seigneur des Ténèbres. La violence physique avec laquelle j’avais senti qu’il m’échappait. Qu’il était mort, lui aussi. Et la façon dont je n’avais cessé d’hurler son nom raisonnait en une mélodie lointaine alors que je le revoyais faire tomber Mangemort après Mangemort. La façon dont tout espoir d’un jour prochain, même lointain, était mort en moi à cet instant. Ses mouvements fluides. Son dos imposant. Les jets de lumière qui volaient jusqu’à lui sans ne jamais pouvoir l’atteindre. Mes hurlements. Ceux, plaintifs, de Blaise. La pâleur des joues de mon frère. Les larmes qui les tâchaient. Sa danse léthale. Comment j’avais rencontré son dos, et la facilité avec laquelle il m’avait propulsé loin de lui. Le cadavre qui m’avait arrêté. Les corps qui tombaient autour de lui. A quel point il avait l’air grand et fort, depuis le sol de cette cathédrale. Les flammes qui étaient sorties de sa baguette. La force de sa voix qui déchirait encore ce qu’il restait de mon cœur :

« QU’EST-CE QUE VOUS ALLEZ ME PRENDRE MAINTENANT ?! » 

La façon dont j’hurlais son nom. Le corps lévité de ma tante qui brûlait dans les flammes. Ses yeux sur moi quand j’étais arrivé jusqu’à lui. Ses yeux que je n’avais pas reconnus. La terreur qui m’avait traversé. Sa baguette qu’il avait levée sur mon corps. La lumière rouge. Et la douleur. La douleur insoutenable. Le Seigneur des Ténèbres face à lui. La façon dont il tombait, et se relevait. Tombait, et se relevait. Tombait, et se relevait. Tombait, et se relevait. Le sol froid sur lequel je rampais. Les larmes glacées qui tranchaient mes joues. Les cadavres que j’escaladais. La cathédrale qui s’effondrait. Et Theodore qui tombait, et se relevait. La mort de Kira. Le hurlement vibrant de Theodore. Le néant, alors que j’avais fermé les yeux pour ne pas le voir dans cette souffrance abominable. Les sanglots qui brisaient sa voix alors qu’il hurlait. Mon propre hurlement dans une tentative désespérée de couvrir la force de sa douleur qui vibrait en moi. Et ses supplications. La façon dont il s’était prosterné à ses pieds. Les colonnes de la cathédrale qui s’effondraient. La main du Seigneur des Ténèbres sur son menton. Sa voix froide qui avait craché :

« Tu es ma putain, Theodore Nott. Baisse les yeux. » 

Et ses yeux morts qui s’étaient baissés. Le dôme de la cathédrale qui s’était écroulé par les flammes. Le Seigneur des Ténèbres qui avait disparu. Blaise qui m’avait trainé derrière lui. Le corps de Theodore qui avait tenté de se relever. Le bruit sourd de ses bras qui s’écrasaient sur le sol et la contracture de ses muscles alors qu’il rampait jusqu’à son cadavre à elle. La façon dont j’hurlais son nom. La façon dont je le suppliai. La façon dont il ne m’avait pas regardé une seule fois. Ses yeux rivés sur elle. La pire douleur qui soit alors que je pensais qu’il allait périr là physiquement, lui aussi. Blaise qui me traînait. Le feu. Theodore qui rampait. Le feu. Theodore qui rampait. Le feu. Son nom que j’hurlais. La cathédrale vue de l’extérieur. L’air frais. Les flammes. Les murs noircis. Ma douleur. Les écroulements. Mon hurlement sanglotant. Les flammes. Une ombre. Les flammes. Et le corps de Theodore qui avait franchi les portes, le corps de Pansy reposant dans ses bras. La façon dont il avait posé son corps sur le sol. Et comment il s’était écroulé sur elle, inconscient. Blaise qui nous avait tous fait transplaner au manoir avec ce qu’il lui restait de force pour tous nous sortir de là. Le manoir. 

Je clignais des yeux et m’entendis prendre une profonde inspiration alors que j’étais à nouveau confronté à l’horreur présente. Celle qui se tenait juste sous mes yeux en cet instant. Mes oreilles bourdonnaient, mais elles ne m’empêchaient pas de subir les sanglots déchirants de Blaise écroulé sur le corps de Pansy. Et ma mère avait déposé le corps inconscient de Theodore à côté de celui de sa moitié décédée, qu’elle inspectait avec panique. Elle caressait son visage pâle aux joues encore marquées des larmes qu’il avait pleurées, ses yeux morts fermés. Elle lui parlait, le suppliait probablement, cherchant à s’assurer qu’il était encore en vie, alors que les sanglots violents de Blaise couvraient ce qu’elle lui disait. Et alors que j’eu l’impression que le monde tournait et s’effondrait autour de moi, la réalité s’écrasa sur moi, et avec elle toute la douleur qui l’accompagnait. 

Pansy était morte. Pansy Parkinson, ma meilleure amie, était morte. Pansy Parkinson, la seule qu’il restait à Blaise, était morte. Pansy Parkinson, la femme, la vie, l’essence même de mon frère, était morte. Theo, par extension, n’était plus. Tout s’était écroulé. Tout, tout s’était écroulé. Pansy était morte. Il ne restait plus rien. Les ténèbres nous avaient ensevelis. Et les sanglots déchirants de Blaise raisonnaient dans mon esprit alors qu’il pleurait contre le corps sans vie de Pansy. Tout ce que nous désirions était désormais impossible. Inatteignable. Les projections d’un avenir futur. Notre famille. Leurs enfants. Les miens. Notre famille. Les rires. Les joies. Les engueulades. Leurs enfants. Les miens. Pansy. Theo. Pansy. 

Soudainement, mon corps ne me permit plus de faire l’impasse sur ma propre douleur. Elle m’assaillie avec violence, s’écrasant sur moi de toute sa force. Mes jambes tremblaient, portant encore trop difficilement le poids de ce que nous traversions. Mon dos était fébrile et douloureux. Mon ventre se broyait à l’intérieur de moi en une douleur physique insoutenable. Mais tout cela n’était rien, absolument rien à côté de la façon dont mon cœur saignait. J’avais la sensation littérale qu’il y avait une lame tranchante au milieu de ce qu’il restait de mon cœur, et que je pouvais le sentir se vider de son sang alors que la réalité me rattrapait. Alors que son cadavre à elle demeurait juste-là, sous mes yeux. Alors que le corps suppliant de Blaise reposait sur le sien, la pleurant de toute sa douleur. Alors que Theodore inconscient gisait à côté d’elle, ma mère inspectant frénétiquement son corps à la recherche de blessures à soigner. Et alors que mon esprit menaçait de s’effondrer au même rythme que mon corps me faisait défaut, la froideur de la réalité me frappa avec effroi. 

Pansy était morte. Blaise pétait les plombs. Il venait de perdre la seule qu’il lui restait. Theodore était parti.  Il avait assassiné une vingtaine des fidèles du Seigneur des Ténèbres. Ma mère était là. Nous étions en danger. Ceux qu’il restait de nous étaient en danger. Ce qu’il restait de nous était en danger. Qu’allait-il se passer maintenant ? L’anxiété monta en moi, accompagnant la douleur foudroyante. Theodore avait sauvagement assassiné une vingtaine des soldats du mage noir le plus puissant et terrifiant de tous les temps. Nous étions tous en danger. Et il n’était plus. Il était mort avec Pansy. Ils allaient peut-être débarquer, dans les minutes, voire dans les secondes qui suivaient. Nous étions au manoir. Ils y avaient tous accès. Tous ceux qui restaient. Ils savaient parfaitement où nous étions. Pansy était morte. Nous étions en danger. Blaise n’était pas en état. Theo n’était plus. Ma mère était là. Ils risquaient de venir terminer le travail. Il risquait de venir terminer le travail. Et il n’y avait personne pour nous protéger. Il n’y avait personne pour nous sortir de là. Il n’y avait personne pour s’occuper de nous. Theodore n’était plus. Je regardais son corps inconscient sur le sol. 

Sa peau pâle. Ses cheveux noirs décoiffés des mains que ma mère y avait passer. Les traces de ses larmes sur ses joues. Ses yeux fermés comme s’il était physiquement mort. Son poitrail qui se soulevait dans son uniforme noir pour seule preuve qu’il ne m’avait pas totalement disparu. Du sang tachant sa tempe là où des débris l’avait frappé. J’avais besoin de lui. J’avais besoin qu’il se réveille. Besoin qu’il me prenne dans ses bras. Besoin qu’il m’assure que tout irait bien. Qu’il me promette qu’il ne me lâcherait pas. J’avais besoin de lui. Plus que jamais, en cet instant, j’avais besoin de lui. Nous avions besoin de lui. Ce qu’il restait de nous avait besoin de lui. Mais la seule vérité qui s’imposait à moi c’était qu’il n’était plus. Qu’il ne nous sauverait pas, cette fois-ci. Et que personne d’autre n’allait venir me sauver. Personne n’allait venir nous sauver. Personne n’était plus en état de promettre que tout irait bien. Personne n’était plus en état d’assurer notre sécurité. Plus personne ne pouvait prendre cette responsabilité sur lui. Plus lui. Plus le seul qui était en capacité de nous assurer cette protection. 

Et avec cette nouvelle réalisation, je mourrai encore un peu, ignorant ce qu’il restait de moi à tuer. Et pourtant, je continuai de mourir, moi aussi. Parce que toute cette horreur, toute l’abomination du spectacle qui se tenait sous mes yeux était ma faute. Pansy morte. Blaise détruit. Theo mort. Ma mère paniquée et déchirée, encore. Je leur avais fait cela. Ils étaient là-dedans à cause de moi. Pour moi. Et Pansy était morte parce que je n’avais pas été capable de m’empêcher d’aimer celle que je n’avais pas le droit d’aimer. Pour quelques baisers volés, pour quelques confidences sur l’oreiller, et pour parfois sentir son corps contre le mien. Et tout s’était écroulé. J’avais détruit leur vie. Le sang de Pansy tâchait mes mains au moins autant que celles du Seigneur des Ténèbres. J’avais détruit la vie de Blaise. J’avais anéanti la vie de Pansy. Et j’avais tué mon propre frère. Mon âme. 

Nous y étions presque arrivés. Nous avions réparé l’armoire. Nous avions trouvé et piégé Dumbledore. Nous y étions presque arrivés. Si je ne l’avais pas aimée, Pansy n’aurait pas eu besoin de la protéger. Si je ne lui avais pas demandé de se cacher, Pansy n’aurait pas eu besoin de la protéger. Si je ne lui avais pas dit qui j’étais, Pansy n’aurait pas eu besoin de la protéger. Si je ne lui avais pas cédé, Pansy n’aurait pas eu besoin de la protéger. Elle n’aurait pas été là. J’aurais pu tuer Dumbledore. Et Pansy serait en vie. Et Blaise serait entier. Et Theodore serait toujours animé. Si je n’avais pas cédé à mes pulsions, comme Pansy m’avait tant averti pendant tous ces mois, ils iraient tous bien. Eux qui avaient sacrifiés leurs vies pour moi. Et moi je leur avais fait cela. Je les avais laissé tomber. Je les avais laissé tomber alors même qu’ils m’avaient donné jusqu’à leur vie. Et je les avais prises, leurs vies, égoïstement. Et j’avais eu le culot d’hurler sur Pansy quand elle m’avait dit d’arrêter avec Granger. Et j’avais eu le culot de lui demander de m’aider à la protéger. 

Une nausée violente montait en moi, brûlant ma gorge. Je me dégoûtais. C’était cela, le résultat de ma non-discipline. Le corps vide de Pansy sous mes yeux. Sa peau d’une pâleur qui n’était pas normale. Ses grands yeux verts toujours ouverts, mais dénués de toute vie que je n’arrivai pas à regarder. Auxquels je ne pouvais pas me confronter, parce que c’était ma faute. Ses lèvres habituellement rosées virant au blanc. Tout son corps tremblant légèrement au rythme des sanglots que Blaise pleurait sur elle, sans vie. Tout ce temps, j’avais craint pour la vie de Granger. Tout ce temps, je m’étais inquiété de la vie de Granger sans même me rendre compte qu’eux m’avaient déjà offert leurs vies sur un putain de plateau d’argent. Et j’avais offert ce plateau au Seigneur des Ténèbres en me montrant aussi égoïste qu’inconscient. Et je n’avais pas pensé à eux. Pansy l’avait dit, que cela ne me concernait pas que moi. Que cette relation pourrait avoir des répercussions sur eux, les mettre en danger eux. Et je lui avais répondu que non. Je lui avais promis que je ne livrerai jamais à Granger quoi que ce soit qui pourrait les mettre en danger. Et elle m’avait fait confiance. Blaise m’avait fait confiance. Theo m’avait fait confiance. Ils m’avaient tous fait confiance, et m’avaient laissé vivre mon histoire, eux parfaitement conscients de ce qu’ils risquaient à cause de celle-ci. Et ils l’avaient accepté, pour moi. Ils avaient accepté cette relation pour moi. Même Pansy. Et Theodore m’avait même encouragé, parce qu’il voulait mon bonheur, autant que possible. Et aujourd’hui sa moitié était morte à cause de moi. Et il était mort, lui aussi, à cause de moi. Et tout ce qu’ils m’avaient donné les avait détruits. Leur amour pour moi les avait détruits. Mon égoïsme les avait finalement détruits. Il ne restait plus rien. Il ne restait plus rien de l’humour et de l’insouciance de Blaise. Il ne restait plus rien du sarcasme et de l’honnêteté de Pansy. Il ne restait plus rien de la sagesse et de l’amour de mon frère. Je les avais détruits. 

Et je ne pouvais pas tenir Granger pour responsable de mes erreurs. Elle ne savait pas, elle. Elle ne savait pas vraiment. Elle ne pouvait pas se rendre compte. Elle ne pouvait pas savoir ni ce que cela impliquait, ni ce que c’était vraiment, que lorsque l’on était vraiment confronté à sa violence à lui. Elle ne savait pas ce que c’était que de faire partie de ses rangs, ni ce que cela impliquait. Les choses qu’il fallait faire. Les risques qui étaient pris. Et il n’existait pas quantité de mots que j’aurais pu lui dire qui auraient pu lui permettre de réaliser. Parce que ce n’était pas quelque chose qui pouvait être intellectualisé. Ce n’était pas une douleur qui pouvait être projetée par l’esprit, que celle qui m’assaillait désormais. Que celle qui secouait le corps de Blaise. Que celle qui avait conduit Theodore au massacre, et détruis tout ce qui faisait de lui ce qu’il était. Mais moi je savais. Tout le long je savais. Et je l’avais fait en conscience. Chaque baiser. Chaque mot. Chaque touché. J’avais tout fait en conscience. Sans même prendre en compte que cela pourrait détruire ma famille. Et maintenant Pansy était morte. Et maintenant Blaise était détruit. Et maintenant Theodore n’était plus. Mon frère. Je lui avais pris Pansy. Je lui avais pris sa raison de vivre. Je lui avais enlevé la meilleure partie de lui. Je lui avais pris sa vie. Et avec ce constat, une nouvelle partie de moi s’éteignit en moi. 

Les vautours allaient se mettre à tourner autour de nous. Nous étions anéantis. Theo, qui était le seul à réellement inspirer de la crainte aux autres Mangemorts n’était plus. Et il avait assassiné nombre d’entre eux. Ils allaient tous venir pour nos peaux, en tout cas pour celles qu’il restait, et c’était ma faute. C’était une erreur, mais c’était moi qui devais les protéger désormais. Oui, c’était un accident. Ça n’aurait jamais dû être moi. Mais personne n’allait gérer mes conneries, désormais. Il fallait que ce soit moi. Il ne restait plus que moi. Je n’avais pas le choix. Je leur avais fait ça. A tous. A Pansy. A Blaise. A mon frère. Je lui avais fait ça, à lui. A lui. Ils allaient tous mourir. Nous étions en guerre. Je n’avais pas le droit de craquer. Je n’avais pas le droit de sangloter comme Blaise, et je n’avais pas le droit de tomber comme Theodore. Je leur avais fait ça. Je les avais mis là-dedans. Je devais les sortir de là. Je devais les protéger. Personne d’autre n’allait le faire. Blaise sanglotait sur le corps mort de Pansy. Theodore n’était plus. Ma mère était là. Je n’avais pas le droit de lâcher. Je n’avais pas le droit de me lamenter. Je n’avais pas le droit de les abandonner, encore une fois. Je devais rester conscient. Je devais rester alerte, même dans tout ce chaos. Même dans tout ce deuil. Même dans toute cette angoisse. Je devais être celui qui gardait la tête froide et qui faisait ce qu’il fallait pour les autres qui n'étaient pas en état. Ça allait devoir être moi. Celui qui allait les protéger, ça allait devoir être moi. Il n’y avait personne d’autre. Il ne restait personne d’autre, je m’en étais assuré. Je ne pouvais plus me reposer sur Theodore. Il n’assurait plus mon dos. Il n’était plus là pour me ramasser. C’était moi, qui devait le ramasser. C’était moi, qui devait le protéger. C’était moi, qui devait nous sauver. C’était à mon tour, de leur rendre ce qu’ils m’avaient tous donné. 

Et la violence de ma douleur, la violence de mon deuil de Pansy montait en moi. Et la violence de ma douleur, la violence de mon deuil de mon frère que j’avais tué montait en moi. Mais je n’avais plus le choix. J’étais responsable du carnage de ma propre famille. De ma propre putain de famille. Alors tandis que la violence de l’horreur montait en moi, je fermais les yeux. Mes mains trouvèrent appui sur mes genoux qui tremblaient, et j’inspirai et expirai aussi profondément que je le pouvais. Parce que je devais gérer. Maintenant, je devais gérer. Je le lui devais, à mon frère. Je le lui devais. A lui plus qu’à qui que ce soit d’autre. J’étais seul. Il ne restait plus que moi. Et je devais gérer. Alors avec chaque inspiration que je prenais, je rebâtissais mes murs. J’en appelais aux Dieux. A l’intérieur de moi, j’en appelais aux Dieux. J’inspirai et expirai violemment alors que je tentais de ressentir une quelconque connexion divine à quelque chose de plus grand que moi. J’avais besoin de plus grand que moi. J’avais besoin de plus fort que moi. Je n’étais pas assez, mais il ne restait plus que moi. Je ne pouvais plus avoir peur. J’avais besoin d’eux, besoin d’un coup de main, besoin d’un signe, ou ne serait-ce que d’un profond sentiment de foi qui me traverserait pour m’assurer que je n’étais pas seul. 

-       Aller, chuchotai-je entre mes dents sous les sanglots de Blaise tandis que mes mains reposaient sur mes genoux, mon visage porté bas vers le sol. 

J’inspirai et expirai à pleins poumons. Je devais rester conscient. Je devais rester éclairé. Je ne pouvais pas céder à la panique ni à la douleur. Ils allaient venir pour nous, d’une façon ou d’une autre, à un moment où à un autre. Nous y étions. C’était la fin. Nous y étions, à tout ce qui aurait pu se passer de pire. Et il ne restait que moi. Tout le reste avait brûlé. Pitié, appelai-je. Quelque chose, n’importe quoi. Quelque chose pour me donner la force alors que tout ce que mon corps pouvait faire était s’écrouler. Quelque chose pour me donner la force alors que tout ce que mon esprit pouvait faire était pleurer mon amie, et pleurer mon frère. Quelque chose pour me permettre de tenir, quelque chose pour me permettre de pousser, quelque chose pour me permettre de repousser mes limites alors que j’étais arrivé au bout de moi-même et qu’il ne me restait plus rien, pas même mon frère. Tout s’était écroulé. Nous étions tombés. Theodore… Theodore était tombé. Celui qui était indestructible. Choisi par les Dieux. Il était tombé. Tout s’était écroulé. Quelque chose… Quelque chose pour me donner la force de porter les débris de notre famille à bout de bras. 

-       Aller, pressai-je encore impatiemment. 

Les Dieux ou le Diable, peu importait. Quelqu’un, quelque chose. Quelque chose de plus grand, de plus fort que moi, celui qui n’était même pas capable de tuer Dumbledore. Oui, même le Diable. C’était de lui que nous dépendions désormais. Nous étions arrivés du côté sombre. Nous y étions arrivés. Désormais, nous y étions. Peut-être était-ce de lui, dont j’avais besoin finalement. Qu’il tue mes émotions. Qu’il tue ce qu’il restait de moi qui aimait, qui espérait, qui avait peur. Qu’il fasse de moi le monstre que nous savions tous les deux que je n’étais pas. L’arme que nous savions tous les deux que je n’étais pas. Ce n’était pas moi, l’arme. Notre arme. Celle qui repoussait tout ennemi et nous permettait de tenir tout ce temps, en s’accrochant à l’espoir d’un jour meilleur. Des larmes montèrent à mes yeux et un sanglot me secoua que j’étouffais dans ma voix alors que je suppliai encore à voix basse, tentant d’inspirer et expirer violemment pour chasser ce qu’il restait d’humain en moi : 

-       Aller !

Mais il n’y avait rien. Ni les Dieux, ni le Diable. Les Dieux ne me couvrirent pas de leur amour, et le Diable ne me donna pas ce qu’il fallait pour faire de moi un de ses féroces soldats. J’étais seul. Il n’y avait plus que moi. Personne pour me tendre la main ou me guider dans la bonne direction. Personne pour me prêter une épaule ou pour assurer mon dos. Personne pour me donner l’impulsion dont j’avais désespérément besoin. Alors je tentai d’en appeler à mes démons. D’en appeler à ces parts de moi qui me détestaient, et qui voulaient m’anéantir. D’en appeler à ces parts de moi qui me haïssaient et que je dégoûtais tant, à putain de raison. Je tentais d’en appeler à cette rage meurtrière en moi qui était prête à tout lorsque Theo était menacé. Je devais me relever. Alors inspiration après inspiration, pierre après pierre, j’érigeais à nouveau les murs qui enfermaient mon esprit. Qui enfermaient ma douleur. Qui enfermaient ma culpabilité. Qui enfermaient ma terreur. Qui enfermaient mes deuils. Je n’avais pas le droit. Il ne restait plus que moi. Et avec chaque expiration, je me tuais. Je tuais ce qu’il restait de tremblant en moi. Je tuais ce qu’il restait d’effrayé en moi. Je tuais ce qu’il restait d’hésitant en moi. C’était une guerre. Et dans une guerre, c’était l’humanité qui tuait. Qui conduisait aux erreurs. C’était l’humanité, la plus dangereuse ennemie qui était. Alors avec une dernière inspiration profonde, je me tuais. 

Lorsque j’ouvris à nouveau les yeux, l’urgence et la gravité de la situation que je me devais de gérer s’imposa froidement à moi. Blaise n’était en état de rien. Il sanglotait douloureusement sur le cadavre de Pansy qui demeurait au milieu de l’entrée du manoir. Priorités. Blaise ne ferait rien, il n’était pas en état, à part peut-être boire ou pleurer. Theodore était inconscient. La quantité de magie noire qu’il avait exercé ce soir, sans compter son combat et les doloris subis face à Voldemort allaient le laisser inconscient pendant au moins plusieurs heures. Ma mère. C’était ma mère, la priorité. Elle n’était pas une de ses fidèles et elle n’était pas en sécurité. Il fallait que je l’emmène dans un lieu-sûr qui n’était pas connu des autres. Enfin, de ceux qu’il restait. Ce n’était désormais plus un problème si Bellatrix avait eu connaissance d’un tel lieu. Je devais d’abord contrôler Blaise. Contrôler Blaise, soigner Theodore, protéger ma mère. 

-       Mint ! sommai-je l’elfe en me redressant sur mes pieds, m’avançant vers le cadavre de Pansy sur lequel Blaise pleurait. 

Ses grands yeux verts s’ouvrirent plus grand encore, comme si c’était possible, lorsqu’elle découvrit le spectacle qui se tenait sous ses yeux alors qu’elle apparaissait à côté de moi. Elle regarda le corps de Pansy, puis Blaise, et Theo que ma mère soignait alors que des larmes mouillaient ses iris.

-       Maî… Maître… Que… hésita-t-elle sans pouvoir décoller ses yeux de l’horreur qui se tenait devant elle. 

-       Mint, la sommai-je encore avec autorité pour qu’elle me regarde. 

Elle obéit à mon ordre implicite, ses grands yeux paniqués et embués rivés sur moi. 

-       Tu ne dois pas paniquer, est-ce que c’est clair ? 

-       Maître…, est-ce que…, est-ce que Maître Theo… ? articula-t-elle difficilement en tournant la tête vers son corps inconscient une nouvelle fois mais je claquais des doigts à côté de son visage et ses yeux retrouvèrent les miens. 

-       Il est vivant, lui appris-je froidement. Tu ne dois pas paniquer, j’ai besoin de toi, alors reprends-toi et fais-le maintenant, la pressai-je sans quitter le contact que j’avais avec ses yeux. 

Elle me regarda sans réagir un instant, quelques secondes tout au plus, puis elle acquiesça doucement, attendant la suite de mes ordres. 

-       Bien, attestai-je sans lâcher ses yeux. Je veux que tu lances des protections sur la totalité du manoir, à partir du portail. Je veux que tu t’assures que la totalité du manoir soit protégé et que les seules personnes qui puissent le pénétrer soient celles qui sont présentes ici, maintenant. Ensuite, je veux une potion de sommeil pour Blaise et une potion de Wiggenweld pour Theo. S’il n’y en a plus dans la réserve de l’une ou de l’autre, tu dois les préparer immédiatement, on n’a pas beaucoup de temps. Pour la potion de sommeil tu n’oublies pas de remuer dans le sens des aiguilles d’une montre, et pour Wiggenweld elle n’est pas finie tant qu’elle n’est pas verte. Compris ? questionnai-je gravement sans lui retirer le contact de mes yeux redoutablement sérieux. 

Elle fronça les sourcils et acquiesça. 

-       Compris, confirma-t-elle. 

Je lui adressai un signe de tête pour lui dire de s’en aller, et sans plus tarder l’elfe disparu de ma vision. 

Protéger ma mère. Je m’avançai à grandes enjambées jusqu’à elle, accroupie à côté de Theo qu’elle continuait de soigner du bout de sa baguette qui se baladait sur son corps inconscient. 

-       Maman, l’appelai-je sur un ton pressant. 

Elle ne tourna pas le visage vers moi et continua ce qu’elle était en train de faire sans s’arrêter une seule seconde. Elle me demanda cependant d’une voix qu’elle tentait de contrôler : 

-       Tu es blessé ? 

-       Non, ignorai-je les douleurs dues au doloris que Theo m’avait jeté. Tu dois faire tes affaires, je t’emmène à Edale. 

Elle ne cessa pas sa magie, et ne tourna toujours pas le visage en ma direction. Les sanglots de Blaise continuaient d’étouffer notre conversation. 

-       Je ne vais nulle part, je suis déjà chez moi, trancha-t-elle presque aussi froidement que moi. 

J’inspirai profondément alors que mon impatience face à l’urgence de la situation s’intensifiait. Elle était inquiète pour Theodore. Et sans aucun doute pour moi également. C’était une mère. Je rentrai avec un de ses fils inconscient sur le sol de sa maison. Son inquiétude me semblait légitime. 

-       Mint est en train de lui préparer une Wiggenweld, je vais m’en occuper, tentai-je plus doucement. Toi, tu dois t’en aller. 

-       Non, coupa-t-elle sans s’arrêter. 

-       Maman, tranchai-je alors. On en a déjà parlé, rappelai-je plus froidement. 

Je m’accroupis à côté d’elle et tendis ma main vers son visage. J’attrapais délicatement son menton et tournais son visage vers moi. Elle leva des yeux pleins de larmes vers moi et je sentis quelque chose se serrer dans mon estomac quand je les rencontrais. 

-       Je ne peux pas faire ce que je dois faire si je m’inquiète pour toi, chuchotai-je presque en tenant son menton entre mes doigts. Et tu n’es plus en sécurité ici. S’il-te-plaît, ajoutai-je après un flottement. 

Nous avions un accord. Le même que celui qu’elle avait déjà à l’époque avec mon père. Le jour où les choses deviendraient trop moches, le jour où l’un de nous lui dirait « cette fois tu t’en vas », elle le ferait. Elle pouvait rester tant que le chaos était contrôlable, mais le jour où nous lui demanderions de partir parce que ce n’était plus contrôlable, elle le ferait sans discuter. 

-       Il a besoin de moi, chuchota-t-elle alors qu’une larme perla sur sa joue. 

-       Je vais m’occuper de lui maman, tu dois me faire confiance, répliquai-je sur le même ton. 

Elle baissa le visage et je lâchai son menton pour l’autoriser à le faire. Ses yeux trouvèrent le corps de Pansy. 

-       Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda-t-elle tout bas, effrayée de la réponse. 

Je passai ma langue entre mes lèvres et répondis avec patience et chaleur : 

-       Je t’expliquerai tout quand on sera à Edale, je te le promets. Va faire quelques affaires s’il-te-plaît, le temps que je m’occupe de Blaise, et je t’emmène. D’accord ? 

Elle détourna ses yeux de Pansy, les reporta encore une fois sur Theo dont elle vit que le poitrail continuait de se soulever et de s’abaisser doucement. Finalement, elle me regarda moi. Elle me sonda un instant, ses yeux bleus cherchant à s’accrocher à quelque chose en moi en lequel elle pouvait avoir confiance. Ses yeux allaient de mon œil droit à mon œil gauche en une course incessante pendant quelques secondes, et je maintenais fermement son regard. Finalement, ses sourcils se froncèrent une nouvelle fois douloureusement sur son front, ses lèvres se pincèrent discrètement, une nouvelle larme coula sur sa joue, et elle acquiesça. J’attrapais son visage de ma main gauche et embrassai son front. 

-       Merci, chuchotai-je à son front avant de la lâcher et de la laisser remplir sa propre mission. 

Contrôler Blaise. Je me levai et marchai jusqu’à lui, à moitié allongé sur le corps sans vie de Pansy, son visage détruit alors qu’il sanglotait contre son corps comme je l’avais déjà vu faire contre celui de sa mère. Quelque chose se serra encore dans mon ventre alors que je m’accroupissais à côté de lui, évitant de poser les yeux sur Pansy qui avait toujours ses yeux verts grands ouverts en direction du plafond. Je posai une main sur son épaule qui sursautait des larmes violentes qu’il pleurait. Il ne réagit pas à mon contact, ses yeux douloureusement clos, le côté de son visage reposant sur le ventre de sa meilleure amie qu’il moullait de son désarroi. 

Ce fut l’instant où Mint réapparu à mes côtés, tendant vers moi une potion tandis que ses grands yeux regardaient douloureusement Blaise. 

-       La potion de sommeil, chuchota-t-elle. 

Je la pris en acquiesçant, lui faisant signe de repartir quand elle s’attarda devant mon ami. Elle disparut à nouveau. Je caressai fermement l’épaule de Blaise qui ne cessait de tressauter, mais il n’ouvrit toujours pas les yeux depuis le ventre de Pansy. Il devait dormir. Il devait être hors service pour que je puisse m’occuper de ma mère, et de nous. 

-       Blaise, chuchotai-je avec autant de tendresse dans la voix que je le pu. 

Je dus prendre une nouvelle profonde inspiration pour m’assurer de maintenir mes murs d’occlumencie en place alors que son visage prenait une moue plus douloureuse encore sous la tonalité de ma voix. En cet instant, je savais que ce n’était pas de moi dont il avait besoin. Il n’avait pas besoin de ma voix, pas besoin de mes bras, et pas besoin de mes mots. Je savais que la personne dont il avait besoin gisait inanimée sous lui, incapable de lui rendre l’accolade qu’il cherchait désespérément. Et je me sentais désolé que ce n’ait pas été moi, à sa place à elle, pour qu’elle au moins elle puisse apaiser sa douleur. 

-       Blaise, répétai-je plus doucement encore, comme si j’avais peur de la réponse qu’il allait m’apporter. 

Je ne pouvais pas laisser sa peine détruire ce que j’avais construit. Mes murs. Ce qui me permettait de faire ce qu’aucun autre d’entre nous ne pouvait faire en cet instant. Ni ma propre culpabilité, d’ailleurs.

-       Blaise, continuai-je devant sa non-réponse. 

Il secoua son visage de gauche à droite, et ses bras épais s’enroulèrent en une prise serrée autour de la taille de Pansy, jusque dans son dos. Ce geste suréleva un peu ce corps sans vie avant qu’elle ne soit reposée, inerte, à terre. Telle une poupée dénuée de toute colonne vertébrale. 

-       Blaise on est en danger, on ne peut pas baisser les bras maintenant, lui chuchotai-je alors. Tu nous as tous fait sortir de là, maintenant c’est à moi de m’occuper de nous, tu peux te reposer. 

Ses yeux s’ouvrirent, et je réalisai à cet instant que j’aurai préféré qu’ils restent fermés. Il posa sur moi un regard marron qui n’avait rien de chaud, et dans lequel je ne retrouvai rien de l’homme si aimable et comique qu’il était quelques heures plus tôt. Il releva son visage du corps de Pansy et ses bras se séparèrent d’elle également alors qu’il se relevait, accroupi à côté de moi, un regard assassin ancré sur mes yeux désolés. 

-       Me reposer ? cracha-t-il d’une voix basse qui aurait pu me faire peur, si j’avais encore été l’homme que j’étais il y avait quelques courtes minutes de cela. Me reposer ?! hurla-t-il alors à mon visage. PANSY EST MORTE ! 

La violence de la douleur qui transparaissait dans sa voix frappa mes murs. Ma mâchoire se serra alors que j’accusai réception de sa peine. Je ne pouvais pas craquer. Ils étaient en danger. Je devais gérer. Je devais être en état de gérer. J’étais responsable. Je devais gérer.

-       ELLE EST MORTE ! beugla-t-il à quelques centimètres de mon visage, l’air chaud de son souffle le rencontrant. 

Je me concentrai sur cette sensation sur mon visage. Son souffle chaud parce que lui était encore en vie. Son souffle chaud que je devais protéger. Je ne pouvais pas lâcher. 

-       ME REPOSER POUR QUOI ?! PANSY EST MORTE ! THEO A PERDU LA TÊTE ! MA MÈRE EST MORTE ! énuméra-t-il avec violence alors que son visage tournait au rouge. 

Je n’étais pas capable de maintenir le contact avec ses yeux plus longtemps. 

-       ME REPOSER POUR QUOI ?! POUR FAIRE QUOI ENSUITE ?! TU ME PARLES DE QUOI DRAGO ?! PANSY EST MORTE ! la rage qui animait sa voix en cet instant vint remplacer la lourdeur de son deuil, ne serait-ce que pour quelques secondes. 

Je trouvais un peu de réconfort dans ce constat, malgré le fait que mes murs tremblaient à chaque fois qu’il répétait la mort de notre amie dont j’étais responsable. Sa peine dont j’étais responsable. Je n’avais pas le droit de lâcher. J’entendais la profondeur de son souffle se faire de plus en plus lourde et violente alors que mes yeux demeuraient rivés sur le sol. Je n’avais pas le droit de le lâcher maintenant. 

-       EST-CE QUE TU TE RENDS COMPTE ?! PENDANT QUE T’ES LÀ À ME DEMANDER D’ALLER ME REPOSER, ELLE EST MORTE DRAGO ! répéta-t-il encore, la colère prenant le dessus sur sa douleur. TON AMIE EST MORTE ! 

Je sentis les muscles de ma mâchoire se contracter violemment alors que je continuai de fixer le sol, mon estomac se tordant à l’intérieur de moi. Je devais tenir. Je le lui devais. A lui, et à Theo. 

-       DE QUOI TU PARLES, ME REPOSER ?! continua-t-il d’hurler de toute sa rage vibrante, son visage ne se tenant plus qu’à quelques millimètres du mien. PANSY EST MORTE ! continua-t-il alors que je pouvais entendre la façon dont une quantité d’air importante remplissait et s’échappait de ses poumons avec force. 

Et soudain, ce fut la seule chose que j’entendis pendant de trop longues secondes. De trop, trop longues secondes. De trop longues secondes pendant lesquelles je sentais la violence de son regard sur moi. De trop longues secondes pendant lesquelles je sentais la présence de son visage si près du mien. De trop longues secondes pendant lesquelles j’entendais ses respirations devenir plus profondes, un peu plus espacées, et plus menaçantes encore. Et je maintenais ma mâchoire serrée, m’accrochant à mes murs et les retenant comme je le pouvais, fixant le sol qui se tenait devant moi, évitant fermement son visage à lui, et son cadavre à elle qui se tenait juste-là, à ma gauche, en tant que témoin de mon égoïsme. Et soudain, la froideur de sa voix, si basse et si rauque, telle que je ne l’avais jamais entendue, me demanda avec véhémence :

-       Qu’est-ce qu’elle faisait là, Drago ? 

Mes yeux se fermèrent sous ces mots alors que je pouvais sentir l’intégralité de mon corps devenir douloureux. Je devais tenir. Je devais tenir, me répétai-je encore. Mais la froideur de sa colère rencontrait le poids de ma culpabilité, et je ne savais pas ce qu’il nous resterait à la fin. Je cru sentir son visage se rapprocher plus près encore du mien en une menace implicite, comme un prédateur sondant sa proie, et je gardais mes yeux fermement clos. J’inspirai profondément, et rebâtissais pierre par pierre un mur autour de mon esprit. Je me concentrai pour visualiser le mur d’occlumencie en question, et je me concentrai sur chaque pierre, me visualisant en train de me baisser physiquement, et je ramassai une pierre, je la posai sur le petit muret qui devait devenir plus grand. Plus solide. La violence de sa colère frappa une nouvelle fois et je sursautai lorsqu’il hurla à mon visage : 

-       QU’EST-CE QU’ELLE FAISAIT LÀ ?! 

Une nouvelle pierre. Je me baissai, je l’attrapai d’une main tremblante, je me relevai, et je la déposai sur le tas de brique face à moi qui ne ressemblait encore qu’à un muret qu’il me suffisait d’enjamber. Le haut de mon corps tremblait, mais je gardais les yeux douloureusement fermés, et je me baissai pour attraper une nouvelle pierre. 

-       QU’EST-CE QU’ELLE FAISAIT LÀ DRAGO ?! 

Un éboulement fit s’écrouler toute une partie de mon mur, et je ne me laissai pas abattre. Je devais le reconstruire. Je me baissai, et je ramassai une pierre. Encore une. Encore une. Encore une. Il en fallait plus, beaucoup plus. Beaucoup, beaucoup plus. Et pour chaque pierre qui s’écroulait, je la ramasserai. Oui, tel était mon engagement. Pour eux. Je la ramasserai.

-       QU’EST-CE QU’ELLE FAISAIT LÀ ?! 

La tonalité aussi brisée que brutale de sa voix fit s’écrouler l’intégralité du muret face à moi et je sentis quelque chose de mouiller couler sur mon visage. Une pierre. Je me baissai, et je la ramassai. Je rebâtissais les fondations. Je me baissai, et je ramassai. Je me baissai, et je ramassai.  

-       REGARDE-LA !

L’intégralité de mon corps se mit à trembler sous son injonction alors que je savais qu’il ne parlait plus de la même personne. Je gardai mes yeux aussi fermement clos qu’il en était humainement possible. Et lentement, tandis que mes joues me semblaient de plus en plus mouillées, je me baissai, tremblant, et je tombai à genoux devant les pierres écroulées et entassées. Je dirigeai mes bras flageolants vers une nouvelle pierre, et je la posai à même le sol, aucune autre pierre demeurant sous elle. Le mur s’était écroulé. Et tandis qu’il me coûtait douloureusement de me concentrer sur la suivante, j’approchai mes mains d’une nouvelle pierre, et je la soulevai difficilement pour la placer à côté de l’autre. 

-       REGARDE-LA !

A droite de la partie du muret face à moi qui s’était déjà écroulé, les éboulements continuèrent, faisant tomber plus de pierres encore. J’allais avoir beaucoup de pierres à ramasser pour rebâtir des murs solides. 

Soudain, sa main s’écrasa violemment sur ma joue droite. La force de sa baffe brûla ma joue et propulsa mon visage sur la gauche. La surprise m’ouvrit les yeux, et ce fut elle, que je vis soudainement. Ses grands yeux verts vides rivés sur le plafond. Son visage inexpressif. Sa peau désormais trop pâle. Ses lèvres blanches. Et ses yeux. Ses atroces yeux immobiles. Figés. Une vision d’horreur. Et je savais, en cet instant je savais que cette image allait me hanter pour le restant de ma vie. J’avais fait ça. C’était moi, qui avait fait ça. 

Je détournai les yeux et rencontrai les siens à lui. Ce fut des yeux inondés de larmes qui rencontrèrent les siens, et soudain son visage se contracta sous la douleur qui se fit une nouvelle fois plus forte que la colère. Ses sourcils se froncèrent sur son front et ses lèvres se pincèrent, et mon estomac se broya à l’intérieur de moi. 

-       Elle est morte…, sanglota-t-il en s’écroulant sur lui-même, sa voix se brisant avec lui.

Mes bras l’enlacèrent avec violence, et il me laissa le serrer en me rendant la force de mon étreinte, son visage trempé reposant contre mes pectoraux. Il tremblait contre moi, et je le serrai plus fort encore, mes murs s’écroulant, une nouvelle lourde larme dégoulinant sur mon visage. 

-       Je sais, chuchotai-je finalement avec douleur. Je sais. 

-       Elle est morte…, répéta-t-il contre moi, le chagrin dans sa voix étouffé par mon corps. Elle est… elle est morte en me détestant…, pleura-t-il violemment. 

Je le serrai alors que les derniers mots que Pansy lui avait adressés s’imposèrent à nouveau à moi. Ces mots qui allaient le hanter désormais. « Je ne te le pardonnerai jamais, et pour la première fois de ta vie tu sauras vraiment ce que c’est que d’être seul ». Il était seul. Je n’étais pas assez. Désormais, il était seul. Et je lui avais fait ça. Mon cœur se serra violemment alors que je m’accrochai à lui, et lui à moi, laissant déferler sur moi la violence de son deuil. Ma main droite vint trouver son crâne que j’appuyai contre moi tandis qu’il sanglotait tout ce qu’il restait de lui. De la douleur, de la douleur pure. C’était cela, ce qu’il restait de lui. Tout ce qu’il restait de lui. 

-       Ce n’est pas vrai, chuchotai-je contre son crâne. Tu sais que ce n’est pas vrai. Pansy t’aimait, elle t’aimait de tout son cœur, murmurai-je à son visage tremblant. 

Il ne me répondit rien, et il continua de pleurer contre moi un moment, et je le laissai faire. Je prenais de discrètes inspirations et expirations, et alors que je le tenais contre moi, je rebâtissais mes murs, pierre par pierre. Parce que je n’avais toujours pas le droit de lâcher, pas après ce que j’avais déjà fait. Mint avait protégé le manoir. C’était-là tout ce que je pouvais faire pour lui, avant de m’occuper de mettre ma mère en sureté, et de pouvoir gérer la suite des événements, quelle qu’elle soit. Alors je le laissai pleurer, autant qu’il en avait besoin, parce qu’il venait de perdre la dernière richesse qu’il lui restait. L’abominable prophétie de Pansy s’était réalisée, et je savais que la violence de ses mots et la dureté de sa voix raisonneraient éternellement en Blaise, l’image de son corps gisant sur le sol de la cathédrale se joignant à celle de sa mère trouvant la mort sur le sol de mon salon, le violon de Pansy jouant encore dans ses oreilles. 

Ma mère revint dans l’entrée, deux sacs d’affaires remplis à ses épaules alors que Blaise continuait de pleurer contre moi. Lorsque Mint revint avec la potion pour Theo, je ne lâchai pas Blaise, et lui fit signe de la donner à ma mère. Je ne pouvais pas voir Theo. Je ne pouvais pas le regarder, le toucher, et lui donner cette potion, inconscient sur le sol du manoir, et maintenir mes murs en place pour pouvoir continuer ce que j’avais à faire. Lui, je ne pouvais pas. Ma mère comprit mon ordre implicite et se saisi de la fiole avant de se diriger vers le corps de mon frère. Quand elle parvint à la lui faire avaler, elle resta à côté de lui un moment, caressant ses cheveux alors que je tenais toujours Blaise contre moi. 

-       Écoute-moi, murmurai-je enfin en lui relevant doucement le visage vers moi. 

La douleur qui était lisible sur ses traits épuisés était insoutenable, mais je me forçais à rencontrer ses yeux. Je ne pouvais pas craquer. Je devais tenir. 

-       Je dois emmener ma mère en sécurité, elle ne peut pas rester ici. Mint a lancé des protections sur tout le manoir, personne ne peut rentrer à part nous. Theodore va rester inconscient un moment. Je ne peux pas emmener ma mère et gérer la situation si je m’inquiète pour toi et ce que tu fais, tu comprends ? 

Il fronça les sourcils et acquiesça tout doucement, ses yeux plongés dans les miens. J’étais terrorisé qu’il s’en prenne à Voldemort, ou pire, à sa propre vie. 

-       C’est pour ça que j’ai besoin que tu te reposes. Alors je vais emmener ma mère, et pendant ce temps tu vas te reposer. Mint t’a préparé une potion de sommeil pour que tu puisses dormir aussi paisiblement que possible. Et quand je reviendrais, je te réveillerai, d’accord ? Tu dois te reposer Blaise, on ne sait pas ce qui nous attend ensuite. Tu comprends ? lui demandai-je gravement. J’ai besoin que tu te reposes. 

De nouvelles larmes perlèrent sur ses joues, mais il acquiesça une nouvelle fois. Il n’était pas en état de faire quoi que ce soit d’autre de toute façon. Je desserrai mon étreinte pour lui ouvrir et lui tendre la fiole. Il pleura encore avant de l’avaler cul-sec, et je l’accompagnai jusqu’à une chambre pour l’allonger. Ses yeux se fermèrent sur des larmes qui continuaient de couler malgré lui. 

Lorsque je revins dans l’entrée, les corps de Theo et Pansy y demeuraient. Je sommai Mint une nouvelle fois alors que ma mère m’attendait, accroupie à côté de Theo dont elle caressait toujours les cheveux comme la mère qu’elle était aussi pour lui. 

-       Emmène-le dans sa chambre, ordonnai-je en détournant mes yeux de lui alors que la violence de mon mal-être remontait en moi. Mets-là avec lui après avoir protégé son corps de la rapidité de la décomposition. Et Mint, ajoutai-je avec la gorge serrée, ferme-lui les yeux.

Je savais que la violence de se réveiller à côté de son corps mort serait abominable. Mais je savais aussi que se réveiller sans savoir où elle était serait pire encore pour lui. Mint acquiesça et je passai devant ces corps sans les regarder pour récupérer les affaires de ma mère. Un hochement de tête de sa part plus tard, je nous faisais transplaner jusqu’à Edale. 

Edale était un village du Derbyshire, en plein cœur des plus hauts sommets du Peak District. La maison de sureté que mon père avait choisi-là était seule au milieu des plaines, à l’abris des voisins moldus, et non connue de qui que ce soit, hormis ma mère, Theo et moi. Tout ce qu’il pouvait exister de protections magiques gardait cette petite maison de pierre sur laquelle le lierre poussait entre les briques. Elle n’était même pas visible par qui que ce soit, encore moins pénétrable, à moins de savoir qu’elle était là. Ma mère y serait en sécurité, et je n’aurais pas besoin de m’en inquiéter pendant les jours à venir, si plusieurs jours étaient à venir. En tout cas, quoi qu’il se passerait, je la saurais en sécurité. 

Nous atterrissions dans le salon qui s’éclaira dès notre arrivée, comme si la maison nous attendait. Cette maison n’avait rien à voir avec le manoir. Les murs étaient blancs, une cheminée en pierre au centre de ce mur au fond du salon, une table basse en bois au milieu de deux canapés crème décorés de coussins fleuris. Des poutres étaient apparentes au plafond et d’épais rideaux aux motifs identiques à ceux des coussins encadraient les longues fenêtres qui éclairaient la pièce. Des lampes d’ambiance décoraient la pièce de part et d’autre, la baignant dans une chaleur que l’on ne trouvait pas au manoir. Ma mère sorti sa baguette et d’un coup de celle-ci elle lança un feu dans la cheminée. Je posai ses affaires alors qu’elle m’ordonnait : 

-       Assieds-toi.

-       Je ne peux pas res…

-       … Mint a levé des protections, et les garçons dormiront un moment, me coupa-t-elle comme si elle s’était attendue à ma réponse. Un deal est un deal, tu t’assieds et tu me racontes ce qu’il s’est passé avant de m’abandonner là pour on ne sait combien de temps pendant que tu partiras faire je ne sais quoi, trancha-t-elle avec autorité. 

Je la regardais un instant. Son visage pâle et ses traits abîmés par la vie que nous menions. Les cernes qui creusaient ses joues autant que sa maigreur bientôt maladive. Elle était en sécurité. Je lui devais bien cela. Alors je pris place à côté d’elle sur le canapé à côté du feu, et je lui racontai. 

Je lui racontai tout. Je lui racontai Granger, et ma relation avec le meilleur atout de Potter. Je lui racontai l’armoire à disparaître et comment nous l’avions réparé. Je lui racontai la volière et le meurtre de Dumbledore que je n’avais pas pu commettre parce qu’elle était là. Je lui racontai comment Pansy lui avait sauvé la vie quand les Aurors étaient arrivés. Je lui racontai comment Pansy avait péri à cause de moi, et le massacre que Theo avait causé. Je lui racontai comment Voldemort l’avait réduit en esclavage, et comment Blaise nous avait fait sortir de là. Tout le long, elle m’écouta sans ne rien dire, ses yeux rivés sur moi sans jamais me lâcher. Quand j’eu terminé, elle me regarda encore un instant, une larme dégoulinant sur mon visage qui fut bientôt rejoint par une des siennes, puis elle baissa la tête un instant et passa ses mains sur ses joues. 

-       Putain, Drago…, murmura-t-elle.  

-       Je sais, chuchotai-je en réponse. 

Elle leva vers moi des yeux rouges de larmes et me sonda encore un instant. Je baissai le visage à mon tour et pleurai silencieusement : 

-       Je sais pas quoi faire maman, sanglotai-je alors. Je sais pas quoi faire…

Elle s’approcha de moi sur le canapé et passa son bras autour de mes épaules alors qu’elle déposait mon visage contre sa poitrine, passant des mains rassurantes dans mes cheveux. Elle me laissa pleurer contre elle, l’embrassade dont seule celle d’une mère pouvait être aussi chaleureuse se répandant en moi alors que je me laissai être vulnérable et impuissant devant elle. Mes murs tombaient douloureusement les uns après les autres alors que j’avais dû repenser à tout, tout revivre, et tout lui raconter. Mais je devais rester alerte, je devais continuer de tenir bon dans toute la folie et tout le chaos. Il ne restait que moi. 

Finalement elle se leva du canapé, et elle commença à faire les cent pas devant moi à mesure qu’elle réfléchissait. 

-       Il ne va pas vous tuer, formula-t-elle sans s’arrêter de marcher. En tout cas pas pour l’instant. S’il en avait eu l’intention, il l’aurait déjà fait. 

-       Theo a tué au moins vingt de ses fidèles, dont ta sœur, sa favorite…, rappelai-je doucement. 

-       Justement, enchaîna-t-elle froidement. 

Elle n’était plus dans l’émotionnel. Elle avait la tête froide face à la situation d’urgence qui se tenait devant nous. 

-       Le Seigneur des Ténèbres n’est ni bête, ni clément, continua-t-elle alors. Il sait très bien qu’il a besoin de lui, surtout maintenant qu’il l’a vu être capable d’anéantir autant de ses fidèles à lui seul, à un si jeune âge. Imagine ce qu’il doit se dire qu’il pourrait faire de lui, sur un champ de bataille. S’il avait voulu vous tuer, il l’aurait fait dans cette cathédrale, reprit-elle alors. Et il ne l’a pas fait. Et j’imagine qu’après la réaction de Theo au meurtre de Pansy, il n’a pas l’intention, en tout cas présentement, de s’attaquer à Blaise ou à toi.

-       Il ne peut pas laisser Theo s’en sortir sans rien, réfléchis-je moi-même en passant mes mains sur mon visage épuisé. 

-       Je ne sais pas. Peut-être qu’il considère que la mort de Pansy est une punition suffisante. Tu le sauras bien assez tôt de toute façon, il ne tardera certainement pas à vous convoquer pour la suite maintenant que la Guerre est initiée. 

Elle se tourna gravement face à moi. 

-       Et tu devras rester fort, déclara-t-elle en enfonçant ses yeux dans les miens. Tu ne peux pas lui montrer ce que ça te fait, tu comprends ? Tu ne peux pas lui donner plus de pouvoir sur toi en lui montrant les conséquences que ça a sur toi. 

J’acquiesçai faiblement à la véracité de ses mots. 

-       Tu dois maintenir tes murs en permanence Drago, continua-t-elle avec le plus de sérieux dont elle n’avait jamais fait preuve face à moi. 

Elle reprit place à côté de moi sur le canapé, attrapa mes mains dans les siennes et enfonça ses yeux profondément dans les miens qui pleuraient toujours des larmes silencieuses. 

-       Ils doivent toujours être prêts, tes murs, parce que c’est fini Poudlard désormais. Il n’y aura plus de pause Drago. Il n’y aura plus de moment où tu ne seras rien d’autre qu’un lycéen. Il pourra t’appeler à n’importe quel moment, et tu devras toujours présenter un masque ferme. Toujours, tu m’entends ? C’est la Guerre maintenant. Tu vas devoir voir et tu vas devoir faire des choses que tu n’imagines encore même pas. C’est la Guerre. 

J’acquiesçai encore alors que mes sourcils se fronçaient sur mon front. 

-       Et tu…, commença-t-elle difficilement, tu dois prendre soin de ton frère, acheva-t-elle alors qu’une nouvelle larme perla sur sa propre joue. Il…, elle baissa les yeux sur ses genoux un instant. Je ne sais pas ce qu’il restera de lui, quand il se réveillera, chuchota-t-elle. Theo n’a pas grandi comme toi. Il n’a pas… il n’a pas eu un père et une mère qui lui ont permis de se construire normalement, continua-t-elle alors que des larmes perlaient sur ses joues. Ce qui lui a permis de se construire comme il était jusqu’à aujourd’hui c’est nous, et Pansy. Et il s’est donné et il s’est abandonné à elle. Il n’est… il n’est pas comme nous Drago. Il a d’abord été détruit, et ensuite il s’est reconstruit sur toi, et sur elle. Je…, hésita-t-elle en relevant les yeux vers moi. Je ne sais pas s’il survivra à sa perte, mon chéri. 

L’intégralité des muscles de mon visage se contractèrent alors que je tentais, en vain, de retenir les sanglots qui montaient en moi à ces mots que je savais vrais. 

-       Je ne sais pas s’il y arrivera…, chuchota-t-elle alors que la douleur s’inscrivit à son tour sur son visage qui pleura le fils qu’elle perdait. 

Elle m’attira une nouvelle fois dans ses bras et elle me serra aussi fort que je la serrai en retour alors que nous nous autorisions à pleurer les seules larmes auxquelles nous avions droit, comme la famille détruite que nous étions. Elle perdait son fils, et je perdais mon frère. Je ne pouvais pas laisser cela arriver. Peu importait ce qu’il resterait de Theo, je devais le sauver. Parce que je ne pouvais pas le perdre. Il n’existait pas un seul univers dans lequel je pouvais le perdre. Moins encore maintenant que par le passé. 

-       Et ça doit s’arrêter, déclara-t-elle fermement en me serrant contre elle. Cette relation avec la fille aux parents moldus. Ça doit s’arrêter, trancha-t-elle. 

-       Je sais, murmurai-je en retour. 

Elle passa une main dans mes cheveux et déposa un baiser appuyé sur le haut de mon crâne. Oui, je le savais. Il ne restait plus rien. Plus rien que la survie la plus animale, la plus primale. Mes envies, mes plaisirs, mes intérêts n’étaient plus. Ils n’avaient plus le moindre sens. Il ne restait que la survie. La survie que je devais assurer pour ceux d’entre nous qu’il restait. 

-       Tu es intelligent Drago, continua-t-elle à voix basse. Plus encore que ne l’était ton père, et il lui a survécu près de vingt ans en n’ayant pas le droit à la moindre erreur. Tu n’es pas faible, d’accord ? Je sais que tu as peur, je sais que tu es terrifié. Je sais que tu es perdu, et je sais que tu ne penses pas pouvoir y arriver. Mais tu es brillant, et tu es fort. Tu te souviens, toutes ces années où je t’ai entraîné ? demanda-t-elle en me serrant toujours contre elle. 

J’acquiesçai contre sa poitrine sans la lâcher, moi non plus. J’avais besoin de ses mots. J’avais besoin de quoi que ce soit qu’elle avait à me donner, parce qu’en cet instant, il me semblait que je n’avais rien. Rien que les plus lourdes et les pires responsabilités du monde que je ne savais porter. 

-       Je t’ai appris à défendre ton esprit, et je t’ai appris à défendre ton corps. Je t’ai appris à attaquer les esprits, et je t’ai appris à attaquer les corps. Tu es capable de le faire Drago, quoi que ce soit qu’il te demande. Tu ériges tes murs, tu lèves ta baguette, tu te protèges, et tu attaques, lista-t-elle gravement. D’abord les murs, ensuite le bouclier, et enfin l’attaque. Et tu endures. Autant qu’il le faut, tu endures. Encore, et encore, et encore. C’est une Guerre, rappela-t-elle encore. Elle ne durera pas éternellement. Et on doit croire qu’il peut tomber. On doit le croire, Drago. Mais tant qu’il te demande de venir, tu vas. Tant qu’il te demande de torturer, tu tortures. Tant qu’il te demande de tuer, tu tues. Et tu ne montres rien, c’est clair ? Tu ne montres rien, pleura-t-elle à son tour. Tu vas devoir être fort chéri, chuchota-t-elle contre mon crâne qu’elle caressait d’une main douce. 

Elle se recula et saisi mon visage trempé entre ses deux mains tremblantes, et enfonça encore une fois ses yeux puissants dans les miens. J’avais besoin de ma maman. En cet instant, j’avais besoin de n’être rien d’autre qu’un enfant dont sa maman s’occupait. Mais ce temps était révolu, et je devais être fort. 

-       Maintenant écoute-moi attentivement, continua-t-elle en reniflant. Avant de partir j’ai signé sur le bureau de ton père l’acte de propriété du manoir. Il est à toi. C’est toi qui a le pouvoir sur lui désormais, et qui en est le maître des lieux. Je n’y ai plus aucune autorité. Avec lui, je t’ai cédé le contrôle des comptes Malefoy. Ces différents comptes, l’accès et les utilisations de ceux-ci sont tous expliqués dans un carnet que ton père a rédigé pour toi il y a quelques années déjà, je l’ai mis-à-jour. Ce carnet est dans le coffre protégé de ton père dans son bureau, pour lequel seul ton sang te permettra de l’ouvrir. Drago, écoute-moi, continua-t-elle en cherchant mon regard alors que je pleurai devant la gravité de la situation qui ne pouvait pas m’échapper. Dans ce même coffre, enchaîna-t-elle gravement sans lâcher mon regard, il y a une petite fiole bleue. C’est un poison de mort imminente. Il est totalement indolore. 

Je la regardai, mes yeux allant de son œil droit à son œil gauche, cherchant un quelconque signe qui m’attesterait encore que tout ceci n’était rien d’autre qu’un abominable cauchemar. Il n’y en avait pas un seul. Elle était aussi sérieuse qu’elle pouvait l’être. 

-       Je suis allée le chercher moi-même il y a des années pour ton père auprès de la tribu Masaï au Kenya. C’est une recette qui se transmet exclusivement de mère en fille par la matriarche de la tribu et qui n’a l’a jamais quittée. C’est une magie très ancienne qui n’est ni connue, ni pratiquée dans le monde occidental. Et le prix…, le prix pour avoir une fiole est un prix que tu ne pourras jamais payer. Il n’y a qu’une seule fiole Drago, il n’y en a pas deux, et la personne qui prend le poison doit tout boire. Elle t’est destinée, ton père te l’a laissée et a refusé de la prendre dès lors qu’il a compris que tu allais faire partie de ses rangs, m’apprit-elle douloureusement. Elle n’est à prendre que si un jour tu es certain d’avoir été compromis, et qu’il n’y a aucune autre possibilité que celle qu’il te tue, c’est clair ? Que si tu es absolument et totalement certain qu’il va t’assassiner, tu comprends Drago ? 

J’acquiesçai gravement, mon attention rivée sur une question qui ne m’échappait pas. 

-       C’était quoi, le prix ? demandai-je à voix basse. 

Elle me regarda avec la même gravité, hésitant à avouer un prix qui semblait lui avoir coûté trop cher. 

-       Un membre de sa famille, avoua-t-elle sur le même ton bas. Une mort pour une mort. 

Nos regards ne se quittaient pas, un silence lourd s’installant entre nous. 

-       J’ai moi aussi fait certaines choses par amour dont je ne suis pas fière, confessa-t-elle en un murmure. Le Seigneur des Ténèbres venait de revenir, et je savais ce que ça impliquait, expliqua-t-elle alors. J’avais déjà vu ton père être… puni, autrefois. J’avais déjà été témoin de ce que pouvait être sa violence, et de comment elle pouvait être dirigée vers Lucius, celui qu’il avait choisi. Et nous savions, et ton père, et moi, qu’il était fort probable qu’il finisse par le tuer un jour. Je ne pouvais pas supporter l’idée qu’il n’avait pas de porte de sortie, ni qu’il meure dans d’atroces souffrances, pleura-t-elle. Il fallait un moyen de pouvoir lui échapper, à lui et à sa violence, parce que nous savions qu’il ne se contenterait pas simplement de le tuer. Tu le sais toi aussi, maintenant, chuchota-t-elle douloureusement. Alors j’ai fait ce qu’il fallait pour qu’il puisse au moins mourir sans douleur. Et je suis contente que ce soit toi qui aies cette option désormais, me sourit-elle difficilement, une larme perlant sur sa joue alors qu’elle passait une main dans mes cheveux. 

Je ne la lâchai pas des yeux. Je ne la jugeai pas, et elle le savait. J’avais appris que nous étions capables de bien d’atrocités pour les gens que nous aimions, plus encore en temps de guerre. 

-       Qui ? lui demandai-je alors. 

Son sourire mourut lentement sur son visage quand elle chuchota en réponse, une nouvelle larme décorant son visage : 

-       Andromeda, ma sœur. 

Elle baissa les yeux et fixa ses mains qui s’entremêlaient l’une à l’autre. Elle avait honte, ce que je pouvais entendre. Pourtant je savais que j’étais capable de bien pire pour Theodore que d’offrir la tête d’un parent avec qui je n’avais plus de contact depuis des années et qui avait été renié de ma famille. En vérité, j’ignorais absolument et totalement jusqu’où j’étais prêt à aller pour ne pas avoir à perdre Theodore. Je supposai que nous allions bientôt le découvrir. Alors je tendais les mains vers les siennes, et les lui pris en une caresse douce. Elle releva vers moi des yeux pleins de larmes. 

-       Je suis désolée, murmura-t-elle si doucement que c’en était presque inaudible. Tu ne mérites rien de tout ça. Aucun de vous ne mérite rien de tout ça. Je suis tellement désolée, répéta-t-elle tout bas. Je n’ai pas réussi à te protéger. 

Elle renifla et pinça ses lèvres rouges, avalant au passage quelques-unes des larmes qu’elle avait pleurées. Elle baissa les yeux une nouvelle fois et reprit : 

-       Je savais parfaitement qu’il allait revenir, je ne t’ai pas entraîné tout ce temps pour rien. J’aurais dû quitter ton père à ta naissance…, pleura-t-elle finalement dans toute sa vulnérabilité. Mais je n’ai pas été assez forte, s’excusa-t-elle tout doucement. 

Mon cœur se déchira une fois de plus dans mon poitrail. Je savais ce que c’était que de porter sur soi la responsabilité de telles atrocités sur la vie des personnes qui nous étaient les plus chères. Je ne voulais pas ça pour elle. Pas alors qu’elle avait tout fait pour nous protéger toutes ces années, et pour nous apprendre à nous protéger nous-mêmes, Theo et moi, pour quand le moment viendrait. 

-       Arrête maman, ne dis pas ça, l’implorai-je en cherchant son regard. 

Elle me permit de le rencontrer une nouvelle fois, et m’adressa un trop faible sourire. 

-       Ça n’a plus d’importance désormais. L’heure n’est plus aux remords, dit-elle en donnant un peu plus de portée à sa voix brisée. Les remords et les regrets ne changent rien. Ils ne font qu’empoisonner le présent. Et il y a déjà assez de poison dans ton présent pour t’en rajouter, c’est compris ? me demanda-t-elle gravement. Tu vas être fort mon fils. Tu vas être fort, affirma-t-elle encore avec puissance malgré les larmes qui décoraient ses joues. 

J’acquiesçai en silence, cherchant la force qu’elle mentionnait dans ses yeux. Je devais la protéger. Elle et son fils. Elle, son fils, et Blaise. Je devais les protéger. Ils étaient toujours vivants. Je devais les protéger. Personne d’autre ne le ferait. Je devais les protéger. 

-       Et quand parfois tu faibliras, murmura-t-elle, quand parfois ce sera trop lourd, tu viendras trouver maman. D’accord ? 

Une dernière fois, j’acquiesçai alors que les derniers sanglots que je m’autorisai me secouaient. Et une dernière fois, elle me serra de tout son amour, et de toute sa protection qui ne suffisait plus. Et une dernière fois, elle chuchota d’une voix dont elle tentait en vain de contrôler les tonalités brisées : 

-       Tu viendras trouver maman. 

Et soudain, je le sentis violemment. La sensation me submergea de toute son horreur, ne me laissant plus ne serait-ce que l’opportunité de respirer. Notre lien. L’urgence de sa vie. La montée d’horreur. Le désespoir. La mort. L’urgence pour sa vie. L’urgence pour sa vie qui s’éteignait. L’urgence pour mon âme qui se déchirait. L’urgence pour mon âme qui mourrait. 


Après 3 mois d'attente, revoilà notre clan préféré <3 Merci de ta patience, et merci de continuer de me lire <3 

Retrouve-moi sur Instagram pour qu'on échange ensemble à propos de Dollhouse, et pour tout un tas de contenu associé cool <33 @ livstivrig  

Laisser un commentaire ?