Les enfants de la guerre

Chapitre 4 : Chapitre quatrième

5476 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/04/2023 13:35

Chapitre Quatrième :

« Une personne digne de confiance n'est pas une personne discrète ou attentionnée, mais une personne avec laquelle vous avez vécu des épreuves. » - Adrien Verschaere.


Dans son lit, Drago se tourna et se retourna. Soulevant à peine une paupière pour apercevoir un 14h17 sur sa montre, il grommela en enfouissant sa tête sous sa couverture.

Sur le dos, le ventre, sur un côté puis l'autre, et même roulé en boule, le sommeil ne revenait tout simplement pas.

Dépité, il sortit du lit en grognant, direction la cuisine, direction la bouilloire.

Bien installé au fond de son canapé, il feuilleta passivement une revue sur l'amélioration de certaines potions par catalyseur.

Quelques trente pages plus tard, et au moins autant de litres de thé, il fut brutalement extirpé de sa lecture par le bruit trainant de pas dans le couloir.

Il posa son magazine sur l'accoudoir, se leva et, d'un geste totalement ridicule, lissa les plis de son t-shirt nerveusement. Après deux semaines de cohabitation mystérieuse, il allait enfin rencontrer sa colocataire. Dire qu'il appréhendait cette rencontre était un euphémisme ! D'autant plus que le dernier avait pris la fuite trois jours seulement après son emménagement.

« En même temps… Qui voudrait vivre avec un mangemort ? »

Il soupira, déjà las de la conversation à venir et dont il devinait l'issue. Après tout, il ne connaissait d'elle que son nom et son goût prononcé pour le thé et la lecture. Cela ne suffirait pas à lui faire oublier ce qu'il était.

Les pas franchirent la porte. Il redressa le visage et essaya de se donner un air avenant et sympathique loin du monstre sadique dépeint par la presse sorcière.

Tous ses espoirs volèrent en éclat.

Hermione Granger. C'était Hermione Granger.

Dans sa cuisine.

En pyjama.

« Pourquoi, par les quatre fondateurs, elle est en pyjama ? »

« Pfff… Range jamais rien ! râla-t-elle.

Son cœur s'arrêta net en entendant sa voix.

« Elle parle ! Granger. Dans ma cuisine. En pyjama. Et elle parle ! »

Lentement, elle se tourna vers la table et posa ses yeux sur la bouilloire.

Il resta figé.

« Elle bouge… Elle parle et elle bouge… Et elle est en pyjama ! »

Elle referma ses doigts sur l'anse de la bouilloire.

Il retint sa respiration.

« Je deviens fou… ça y est, je deviens fou ! »

Elle souleva la bouilloire.

« Il faut que je parte d'ici. »

Il sentait les martellements de son cœur lui écraser la poitrine.

« Pourquoi je bouge pas ?! »

Hermione leva les yeux vers lui.

« Par la grand-mère de Merlin, reste pas planté là espèce de crétin ! Fais quelque chose ! »

- Male… foy ? bégaya-t-elle.

« Trop tard… »

Il ferma les yeux se préparant, autant que faire se peut, à la colère, aux insultes peut être même à un lancer ou deux d'objets contondants. Rien ne vint. Il rouvrit alors les yeux presqu'en grimaçant, s'attendant toujours à voir la bouilloire voler jusqu'à lui. Tout ce qu'il le frappa à ce moment-là fut la terreur dans le regard d'Hermione. Une terreur qui, bien qu'indiscutablement fondée à ses yeux, le cloua sur place.

Elle brandissait la bouilloire devant elle comme une sorte de bouclier entre eux. Dans une autre époque, la situation l'aurait sans doute amusé, mais pas aujourd'hui. Pas même alors qu'elle renversait l'entièreté du contenu de la bouilloire, encore chaud, sur le sol.

A la place, il leva les mains en l'air et articula :

« Je sais que c'est difficile à croire, mais je ne te veux aucun mal.

Elle leva un peu plus la bouilloire en entendant sa voix, laissant s'échapper les dernières gouttes qui rejoignirent le reste de la flaque à ses pieds. Elle était tétanisée face à un Drago ne sachant pas ce qu'il devait faire.

- Je sais que je ne le mérite pas. Mais est-ce qu'au moins, tu m'accorderais le bénéfice du doute ?

Malgré la panique qui l'envahissait, elle força son esprit à turbiner à plein régime ; elle scrutait son visage dans les moindres détails, cherchant dans ses yeux une trace de tromperie ou de fourberie. Elle ne se laisserait pas avoir par cette mine déconfite, ces cernes à faire pâlir d'envie un panda ni par ces deux mains levées en l'air comme si elle braquait sur lui un revolver. Après de longues secondes, qui leur parut une éternité, à s'observer chacun d'un côté de la table, elle baissa son arme d'un tout petit centimètre. Il serait sans doute passé à côté s'il ne la regardait pas à ce moment précis.

Interprétant ce tout petit centimètre comme une autorisation, il bougea lentement pour se tourner vers le canapé. Il se pencha en avant et, toujours un bras en l'air, tendit l'autre, aussi doucement qu'il était humainement possible de le faire, pour attraper quelque chose.

Rassuré de ne toujours pas avoir été assommé, il se redressa. Du bout des doigts, il tenait sa baguette magique. Aussitôt, elle empoigna la bouilloire plus fermement et enracina ses pieds dans le parquet, prête à lui bondir dessus. Elle n'eut pas le temps d'agir. Il jeta sa baguette sur la table. Elle la regarda rouler jusqu'à elle avant de reculer légèrement, toujours méfiante.

- Je ne compte pas non plus t'attaquer à mains nues.

Il marqua une pause avant de reprendre.

- Et je pense que tu peux poser ça, dit-il en désignant la bouilloire toujours dressée entre eux, il n'y a plus d'eau à renverser.

Elle se renfrogna mais jeta tout de même un rapide coup d'œil autour d'elle. Sans chaussettes ni pantoufles, et toujours en pyjama, elle était debout dans une flaque qui s'étendait du pied de la table jusqu'au plan de travail derrière elle. En temps normal, elle aurait nettoyé et se serait sans doute excusée. Mais le choc était trop grand pour qu'elle en soit capable pour l'instant. A la place, elle prit une profonde inspiration, chassant la petite voix qui lui hurlait de lui fracasser le crane à coup de bouilloire – qu'elle reposa sur la table, juste devant elle, au cas où - et de déguerpir d'ici aussi vite qu'un vif d'or devant un attrapeur.

La gorge encore nouée par la peur, sa voix en était rauque et sa bouche sèche :

- Qu'est-ce que tu fiches ici ?

- J'allais te poser la même question, répondit-il du tac au tac.

Elle le dévisagea, l'envie de le frapper la submergeait à nouveau.

- Ca ne te regarde pas.

- Oh et bien, j'estime que j'ai quand même le droit de savoir ce que tu fais dans MA cuisine… Et en pyjama de surcroît.

Chasser le naturel… Vous connaissez la suite. Ces deux-là n'avaient clairement pas le moindre désir de faire un effort pour que cette conversation aboutisse quelque part. Ils se contentaient de se regarder en chiens de faïence, comme disent les moldus, attendant de voir l'autre craquer. Et ce fut Hermione qui comprit la première.

- TA cuisine ? Comment ça TA cuisine ? Tu veux dire que tu habites ici ? Comme dans ici, ICI ?

- Oui, c'est ce que veut dire MA cuisine.

- Mais alors ça veut dire que…

Abasourdie, elle s'assit sur la chaise devant elle. Elle posa sa tête entre ses mains en marmonnant des bribes de syllabes incompréhensibles.

- Impossible. J'y crois pas. Dans quel pétrin je me suis encore fourrée.

- Tu comptes m'expliquer pourquoi tu es là ? En pyjama ?

Elle redressa vivement la tête, des larmes pointaient à ses yeux mais elle refusait de les laisser couler. Elle rassembla ses mots dans sa tête pour tenter d'en former une phrase cohérente pour eux deux.

- Je suis en pyjama parce j'ai dormi ici. Je dors ici depuis une quinzaine de jours maintenant. Parce que j'habite ici.

Elle appréhendait sa réaction qui ne se fit pas attendre. D'abord il fut pris d'un rire nerveux, puis il ouvrit grand la bouche pour se moquer d'elle mais aucun son ne sortit, après ça son visage interpréta le choc à la perfection avant de finir par enfin réaliser ce qu'il pensait impossible.

- Attends, attends… Michelle Fairley c'est toi ?

Elle hocha la tête.

- Par Merlin. Mais… euh… Quoi ? Qu'est-ce que…

Les yeux écarquillés, il tira une chaise à son tour et s'y laissa tomber de tout son poids, ne prêtant pas attention à Hermione qui avait sursauté sur la sienne.

C'était à son tour de marmonner.

Pendant de longues minutes, ils restèrent prostrés chacun se repassant les dernières semaines, cherchant des indices. De temps en temps, ils relevaient la tête pour redécouvrir la présence bien réelle de l'autre avant de retourner dans les méandres labyrinthiques de leur réflexion.

Alors qu'il l'observait une nouvelle fois, elle frissonna, de froid ou de peur, elle ne savait plus. Il se leva et attrapa quelques buches derrière le canapé pour les jeter dans la cheminée. Il posa sa main sur l'un des tisonniers pour retourner les braises encore crépitantes avant de réaliser. Sans même la regarder, il empoigna tout le serviteur, se dirigea d'un pas décidé vers elle. Elle s'empara de la bouilloire en un quart de seconde, se mit sur ses pieds dans un autre ; elle était prête à se battre. Il passa derrière elle, ouvrit la fenêtre et jeta tisonniers, outils et brosses par-dessus bord.

Il retourna sur sa chaise, les doigts noircis de suie, le regard baissé, perdu dans les souvenirs honteux du manoir.

Le silence s'étira. Et quand Hermione le rompit, elle était aussi surprise que Drago par sa propre voix :

- Tu… Tu ne comptes vraiment pas me faire de mal ?

Il dut faire appel à toute sa volonté pour relever le visage et la regarder en face. Comme toujours dans ce genre de discussion, il préférait le sarcasme à une apparente faiblesse exploitable.

- Si j'avais voulu te faire du mal, c'est pas avec ça que tu m'aurais arrêté.

Il avait encore désigné la bouilloire.

Elle se leva.

- Je vais partir. C'est mieux pour tout le monde.

Il sauta sur ses pieds, les deux mains frappant la table.

- Non !

Sans s'en rendre compte, il avait hurlé bien plus fort qu'il ne le souhaitait. Il se rassit et soupira.

- Je veux dire. Ne te sens pas obligée de partir. Enfin, je veux dire… Fais comme tu veux.

Elle le dévisagea. Surprise, elle l'était. L'invitait-il vraiment à rester habiter ici ? Pourquoi ? Comment ? Elle bredouilla une réponse. Il dut tendre l'oreille pour l'entendre.

- En fait, je n'avais pas prévu de rester ici très longtemps de toute manière. Je… J'ai… Après ce que Bella… Enfin, je veux dire… Après ce qu'il s'est passé, je ne peux plus utiliser la magie. A cause de… d'elle… Je… Et du coup… Venir ici était une mauvaise idée, j'aurais dû le savoir. Je sais pas ce que j'avais en tête.

- Cette folle mériterait de crever.

Il n'avait pas conscience de l'avoir dit à voix haute. Il croisa son regard où l'épuisement s'y lisait. Il réalisait à quel point elle semblait au bord d'un gouffre et qu'un rien pourrait la faire basculer.

- Pardon… commença-t-il. Je ne veux pas que tu crois… J'aurais dû…

Pris de court par tout ce qu'il ressentait en ce moment, il devait sortir de là avant de dire ou faire des choses qu'il regretterait. Il devait mettre ses idées au clair.

- Je dois prendre l'air. »

Et, joignant le geste à la parole, il se leva et claqua la porte derrière lui, laissant Hermione seule, dans la cuisine, en pyjama.

XXXXX

En arrivant en bas des escaliers, Drago appuya son front contre la pierre froide du hall de l'immeuble. L'angoisse, la colère, l'incompréhension… Toutes ces émotions, qu'il n'avait pas l'habitude de ressentir, surgissaient en lui à vitesse grand V et ça lui faisait assez peur pour vouloir s'éloigner d'elle.

Il se détacha du mur et de la stabilité temporaire qu'il lui offrait et se mit à marcher dans les rues de Londres sans savoir où il allait. Ses pieds le portaient pendant que son cerveau produisait de la bouillie de questions et de doutes.

Pourquoi, parmi le nombre de sorciers qui cherchaient un toit, il avait fallu que ce soit elle en particulier qui réponde à son annonce ?

Comment était-ce possible qu'elle accepte de vivre dans un appartement miteux ?

Est-ce que c'était le Ministère qui l'envoyait pour l'arrêter ?

Pourquoi, alors, elle ne l'avait pas fait dès son arrivée ?

Est-ce qu'elle cherchait des preuves ?

« AAAAAHHHH ! BORDEL ! »

Il avait hurlé au milieu d'une rue bondée, s'attirant les regards, faisant sursauter plusieurs personnes et se retourner d'autres. Il se moquait de l'opinion des autres. Pour la simple et bonne raison qu'il n'avait pas besoin du jugement des autres pour se juger lui-même.

Ses pieds reprirent leur route, qu'eux seuls semblaient connaître. Et son cerveau se remit à bouillasser.

« De toute façon, la situation est très simple. Tu prends tes affaires et tu te tires d'ici. Il est hors de question de vivre sous le même toit qu'elle. Pas après tout ce qui s'est passé. C'est pas comme si elle allait accepter ta gueule de sale mangemort le matin au réveil. »

Plus il marchait, plus il retrouvait son calme. Comme si à chacun de ses pas, il laissait derrière lui un peu de sa peur, un peu de sa colère, un peu de son désespoir.

Pendant près d'une demi-heure, il arpenta les rues londoniennes. Soudain, il s'arrêta et leva la tête. Il était devant le numéro dix-neuf Leinster Garden.

« J'ai tourné en rond ?

Mais quelle galère ! »

Il observa les fenêtres du quatrième étage, puis, bien décidé à en finir rapidement, il détacha son regard et pénétra dans le hall.

XXXXX

En entrant, il retrouva Hermione assise sur la même chaise, elle n'avait pas bougé et fixait un point invisible entre la table et le canapé. Enfin, c'est ce qu'il croyait. Parce qu'après l'avoir observée juste un peu, elle s'était changée et avait opté pour le confort d'un sweat et d'un pantalon de jogging. Il n'y avait plus de flaque d'eau sur le parquet, elle avait dû profiter de son absence pour nettoyer.

Il inspira à fond pour se donner le courage dont il avait besoin :

« … C'est mieux pour tout le monde.

Mais elle ne répondit rien, toujours absorbée par ce point qu'elle seule percevait.

- Granger ?

Elle tressaillit en entendant son nom et en voyant le visage de Drago s'interposer entre elle et le néant de l'invisible.

- Je ne vais rien te faire, dit-il en levant les mains en l'air comme il l'avait fait juste avant. Ma baguette est toujours sur la table.

Elle fixa d'abord Drago, puis la baguette. Elle se sentait rassurée, étrangement, de voir de la distance entre ces deux-là. Elle posa de nouveau ses yeux sur lui.

- Je pars demain à la première heure. Si ça ne te dérange pas que je passe une dernière nuit ici, le temps de m'organiser un minimum.

Elle vit une moue bizarre se dessiner sur son visage et elle l'entendit soupirer.

- Tu ne m'as pas entendu c'est ça ? Je t'ai dit à l'instant que je te laissais l'appartement. Tu peux rester ici.

- Quoi ?! Non, c'est hors de question. Tu étais là avant moi. C'est chez toi ici. Je vais pas m'incruster et te mettre dehors. Je sais bien que je n'ai rien à faire là. Je… Je sais pas ce que je croyais. J'avais juste besoin…

La tête dans les mains, elle marmonnait pour elle-même.

- Qu'est-ce que je croyais ? J'ai plus ma place nulle part.

Elle retenait ses larmes de couler malgré tout le désespoir qui la submergeait en cet instant. Elle ne remarqua pas Drago qui avait contourné la table pour s'accroupir près d'elle.

- Granger, avait-il murmuré la faisant sursauter par sa proximité. Ta place est là où tu choisis d'être. Tu n'imagines pas à quel point je suis désolé… Ce que t'a fait ma tan…

La fin de sa phrase resta coincée dans sa gorge. Elle écarquillait les yeux, surprise, le mot était faible, par son attitude. Il se releva d'un coup.

- Je suis un foutu lâche ! Si seulement j'avais…

Il frappa du poing sur la table, dégouté de lui-même. Une nouvelle fois, Hermione fit un bond sur sa chaise. Voyant la peur gagner ses traits, encore une fois à cause de lui, sa colère disparut aussi vite qu'elle était apparue.

- Pardon… Je ne veux pas t'effrayer. Tu n'as aucune raison de me croire, ni aucune preuve de ce que je te dis. Mais c'est la stricte vérité. Je te ne veux aucun mal. Je ne te tends aucun piège. Je te demande pas de me comprendre ou de me pardonner. Je ne le mérite clairement pas, j'en ai conscience. Je mériterais de pourrir à Azkaban avec mon père et ma cinglée de tante. Les choses que j'ai faites, que je t'ai faites… Ca me hante tous les jours…

Granger… Je…

- Ce n'est pas toi qui m'as torturée, le coupa-t-elle brusquement.

Il tourna son visage vers elle et fut estomaqué par la lueur dans ses yeux. Une lueur où seuls brillaient la détermination et le courage qu'il lui connaissait. Elle ne dura pas longtemps, quelques secondes, tout au plus, avant qu'une une immense fatigue ne s'abatte sur elle. La fièvre reprenait le dessus petit à petit et, doucement mais surement, elle sentait une nausée poindre.

- Si tu le permets, je vais aller dormir quelques heures. Je ne me sens pas très bien.

Il s'écarta de la table.

- Reste autant que tu le souhaites.

En se levant, sa tête se mit à tourner, sa vision se brouilla et ses jambes tremblèrent. Sans réfléchir, il saisit Hermione par le bras et l'empêcha de tomber. Puis la lâcha aussitôt, se rendant compte de son geste.

- Pardon…

- Ce n'est rien.

Elle avança lentement et juste avant de franchir la porte du couloir, elle se retourna.

- Au fait Malefoy…

- Mmh ?

- Ne jette plus rien par la fenêtre ! Tu aurais pu assommer quelqu'un ! »

Et elle disparut, laissant, à son tour, Drago, seul, dans la cuisine.

Il se coucha sur le canapé, ne partit pas au travail ce jour-là et passa le reste de la journée, et une partie de la nuit, à ruminer.

XXXXX

L'aube éclairait sa chambre depuis une petite heure déjà, mais Hermione n'osait ni bouger ni se lever. Elle s'en sentait tout bonnement incapable. C'est son estomac, en gargouillant bruyamment, qu'il l'obligea à sortir de son lit. Elle s'habilla, non sans mal, et se traîna jusqu'à la cuisine pour découvrir Drago, allongé dans le canapé du salon avec les même vêtements que la veille. Il n'avait pas bougé d'ici et sa baguette était toujours bien en vue sur la table.

Elle sortit de sa rêverie en entendant le cuir du canapé grincer. Ils se dévisagèrent, se regardant comme si c'était la première fois qu'ils se voyaient.

« - Euh… Salut.

- Mmh…

- Je… euh…, hésita-t-elle. Sérieusement, Malefoy, c'est aussi bizarre pour toi que pour moi ?

Un demi-sourire fendit son visage encore endormi.

- Tu n'as même pas idée !

- Honnêtement, je sais pas si ça me rassure ou m'inquiète encore plus.

Silence. On aurait pu entendre un billywig voler à des kilomètres à la ronde.

- Est-ce que tu veux que je prépare du thé ? Il va bien falloir qu'on parle de tout ça.

Il se redressa et se frotta le visage.

- Laisse-moi juste prendre une douche d'abord.

- Oui, pas de soucis.

- J'me dépêche. »

Elle n'eut pas le temps de lui dire que rien ne pressait qu'il avait déjà disparu dans la salle de bain.

XXXXX

Assis dans la même configuration que la veille, ils buvaient leur thé, presque religieusement, en prenant soin de ne pas croiser le regard l'un de l'autre. Une première bouilloire avait été vidée quand Drago osa ouvrir la bouche :

« Est-ce que je peux te poser une question ?

Hermione posa sa tasse devant elle.

- Oui, bien sûr.

Elle s'attendait à toute sorte de questions, comme : Que t'a vraiment fait ma tante ? Où étais-tu ces derniers mois ? Pourquoi tu n'es pas avec Wealsey plutôt qu'ici ? A tout, mais pas à celle-là.

- Pourquoi Michelle Fairley ? Sur le mot que tu as glissé sous la porte.

Vraiment, elle ne s'y attendait pas.

- Parmi la multitude de questions que tu pouvais me poser, c'est la première qui te vient ?

- C'est vrai, c'est stupide. Te sens pas obligée d'y répondre. Après tout, ça me regarde pas et…

- C'est ma mère, expliqua-t-elle. Enfin c'est son nom de jeune fille.

Elle prit son temps avant de poursuivre.

- Quand ils m'ont sauvée, si on peut dire ça comme ça, ils m'ont emmenée à Ste Mangouste. J'y suis restée pendant des mois pour des soins. Soins qui ne sont en fait pas terminés, parce qu'il y a quelques jours, je me suis enfuie. J'en pouvais plus. Je voulais juste qu'on me foute la paix. Mais sur le moment, j'ai oublié qu'il me faudrait un toit. Par réflexe, que c'est stupide maintenant que j'y pense, je suis allée au Chaudron Baveur. Juste une nuit, le temps de remettre mes idées au clair et de trouver une solution. Finalement, l'aubergiste m'a montré le tableau des petites annonces et je suis tombée sur la tienne. C'était parfait pour moi. Loin du Londres sorcier, près des commerces. Seulement, ça restait un logement sorcier. Et tu n'es pas sans savoir que la presse adore faire des gros titres racoleurs. Je ne voulais pas qu'on me retrouve, je ne voulais pas que mon nom attire les regards et encore moins tous les sorciers d'Angleterre dans une rue moldue. Alors j'ai menti. Ça n'aurait pas dû durer aussi longtemps. Je pensais que j'allais te croiser le jour même ou le lendemain et que j'aurais pu t'expliquer tout ça. Mais je ne t'ai jamais croisé. Enfin, jusqu'à hier.

Il l'avait écouté silencieusement, se forçant à ne pas l'interrompre. Mais sa réponse soulevait d'autres questions.

- D'accord. Mais pourquoi venir ici ? Tu aurais pu aller n'importe où. Je suis sûr que Weasley et toute sa famille t'aurait accueilli à bras ouvert. Contrairement à moi, tu n'es pas le monstre dans l'histoire.

Elle éclata en sanglot sans crier gare. Et jamais, par Merlin, il ne pensait la voir un jour dans cet état. Elle lui apparaissait si fragile, si démunie. Celle qui lui avait cassé le nez en troisième année était bien loin aujourd'hui. Il prit une boîte de mouchoirs dans le buffet et lui tendit maladroitement. Elle se moucha sans élégance – Personne ne s'en souciait de toute manière. – et reprit une respiration lente et contrôlée.

- Merci... Je ne peux pas aller là-bas. Je ne suis pas une héroïne. Contrairement à ce que tout le monde pense, je ne suis pas inestimable. Ils prennent tous des pincettes avec moi. Mais s'ils connaissaient la vérité tous ces gens…

Il respectait ce qu'elle ne lui disait pas. Après tout, ils n'étaient pas amis. C'était le hasard total qui avait mis Hermione Granger sur sa route. Bien sûr, ce serait mentir de dire qu'il n'était pas soulagé de la voir en vie de ses propres yeux. Comme pour la majorité des sorciers, il avait appris son sauvetage dans les journaux. Une chronique avait même été créée pour suivre les progrès de son hospitalisation jusqu'à ce que Kingsley la fasse arrêter lui-même, contrant l'argument ''liberté de la presse'' par ''respect du secret médicomagique''. Après ça, il n'avait plus eu de nouvelles. Il ne s'était évidemment pas déplacé à Ste Mangouste pour en obtenir, ce n'était clairement pas sa place.

Un autre silence. Mais pas aussi pesant que les autres. Cette fois, il ne lui fallut que quelques secondes pour reprendre la parole :

- Tu t'es vraiment enfuie de Ste Mangouste ?

- Oui. C'était insupportable. Je devais sortir de là. Je suis pas un putain de rat de laboratoire !

- Un rat de laboratoire ? Comment ça ?

Elle lui raconta les tortures, l'emprisonnement sans rentrer dans les détails. Tout ça, il le savait déjà, il était au manoir à ce moment-là, il avait vu sa tante avec le tisonnier. Y repenser lui donnait la nausée. Il ne pouvait qu'imaginer les souffrances qu'elle avait endurées. S'il était déjà pâle en l'écoutant, il devint livide quand elle parla de la rune. De ça, il ignorait tout. Elle souleva son pull. En plus du ''B'' gravé dans sa chair, il entraperçu les nombreuses cicatrices laissées par les coups de fouet et de tisonnier. Et il avait conscience que ce n'était qu'une infime partie de la réalité. Et puis vint son hospitalisation. Là encore, elle avait eu à subir la souffrance et l'humiliation : les médicomages, impuissants sans magie, avaient pratiqué toutes sortes de tests et d'expériences pour comprendre, déchiffrer et espérer ainsi soigner. Il ne pouvait que comprendre sa fuite. Il aurait sans doute fait pareil dans la même situation, même s'il était intimement convaincu qu'il serait sans doute mort à moins de la moitié de ce qu'elle avait enduré.

Sans s'en apercevoir, il avait laissé le silence s'installer. Que pouvait-il bien dire après ça ? S'excuser ne servirait à rien. Comme elle l'avait dit, ce n'était pas lui qui lui avait infligé ça. Pour autant, il ne se sentait pas moins coupable. Si seulement, il avait eu le courage d'intervenir avant que toute cette souffrance n'ait lieu. Elle ne serait pas maudite aujourd'hui. Elle ne serait pas là et il ne serait, peut-être, pas complètement un monstre.

- Et toi alors, pourquoi tu vis ici ? Avec tout l'argent que tu possè…

- Que mon père possède.

Son ton avait été sec et tranchant.

- Je ne veux rien qui vienne de lui. Ni son argent, ni son héritage, ni même son nom. Je préfère cent fois moisir ici que de retourner au manoir après ce que…

Brusquement, il s'était tu.

- Pardon…, murmura-t-elle, penaude. Je n'avais pas l'intention de te blesser.

- Tu… Je… Pas de ça Granger. Tu n'as strictement rien à te faire pardonner. C'est moi qui suis… Je ne suis qu'un abruti.

Il s'enfonça dans sa chaise, les épaules aussi basses que la mine. Elle savait que c'était Drago Malefoy face à elle et pourtant elle avait toute la peine du monde à le reconnaître. Il était différent. Peu sûr de lui, presque recroquevillé sur lui-même, c'était comme s'il cherchait à disparaitre. En le regardant, elle ne put empêcher son cynisme de déclamer :

- Comme quoi, seul la mort gagne les guerres.

Le regard de l'un croisa celui de l'autre et se détournèrent presque tout de suite. La situation était aussi gênante pour l'autre comme pour l'un.

Il était de notoriété publique qu'elle était des deux la plus courageuse et elle se hasarda à une question :

- Doooonc… La poésie ?

- Te moque pas de moi Granger !

Elle leva les mains en l'air.

- Je n'oserai jamais. Disons que je suis étonnée que tu… Enfin que quelqu'un… Enfin…

- Qu'un salaud comme moi puisse aimer la poésie ?

- Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire. Je connais peu de gens qui apprécient la poésie, encore moins la poésie moldue !

Il lui raconta à son tour ce qu'il avait dû faire pour survivre et sauver sa famille. Les choses horribles que Voldemort lui-même lui avait ordonné de faire en menaçant de massacrer sa mère s'il refusait. Il passa sous silence son procès ou celui de sa mère, pour le moment il n'arrivait pas à parler de la décision totalement aberrante qui lui avait rendue sa liberté. Il ne comprenait pas à quel moment, il avait pu être relâché après tout ce qu'il avait fait. Enfin, il évoqua les années Poudlard et son odieux comportement. Il ne demandait pas pardon, en expliquant qu'il n'en méritait aucun. Il lui avait dit que si la guerre pouvait pervertir l'esprit humain, elle pouvait aussi, dans de rares cas, faire réaliser qu'on avait bâti sa vie sur des mensonges et la peur insidieusement ancrée. Oh, il n'y avait pas eu de miracle comme décrit dans certains romans moldus, il n'était pas devenu une espèce de grosse guimauve fleur bleue, non. Il avait cessé de vouloir faire partie de ce monde. Il ne voulait plus voir la souffrance, il ne voulait plus participer à ça. Quand l'occasion s'était présentée, parce qu'il restait un lâche invétéré, lui avait-il dit, il avait fui. Il avait été surpris lui-même d'avoir trouvé refuge côté moldu et que, contre toute attente, il se sentait plus chez lui ici que dans le manoir où il avait grandi. Mois après semaines, il avait satisfait sa curiosité en découvrant ce nouveau monde au travers de récits et de romans, plus tard de livres d'Histoire et plus tard encore, de la poésie. Il était tombé amoureux de la plume de certains auteurs, la délicatesse avec laquelle ils maniaient les mots, comme s'ils étaient la chose la plus fragile en ce monde, l'avait profondément touché et ému. C'était la poésie qui, tel un fil de soie, le tenait accroché à la vie. Sa mère, et son amour indéfectible, en était un autre. Deux petits fils de soie qui le maintenaient en vie. Parfois, il lui prenait l'envie de tirer dessus pour s'en détacher et sombrer. D'autres fois, il s'y accrochait de toutes ses forces pour ne pas tomber.

Elle l'avait écoutée attentivement, retenant ses yeux de s'embuer de larmes. Une part d'elle lui hurlait de se méfier, qu'il était loin d'être un saint. L'autre le savait et n'en avait cure. Elle non plus était loin d'être une sainte. Il lui fallait un peu de temps pour réfléchir.

Drago la regardait, à la recherche d'un signe de colère, de peur, de menace. Oh, il ne se serait pas défendu si elle lui avait sauté à la gorge. Il lui aurait même certainement fourni la lame pour achever ce que lui n'arrivait pas encore à faire. Les mâchoires écrasées l'une contre l'autre, il siffla derrière ses dents :

- Tu es parfaitement en droit de me haïr. Après tout ce que je t'ai fait…

Elle sentait qu'il retenait ses sanglots. Elle savait, ne lui demandez pas comment, elle vous répondrait qu'elle-même l'ignorait, qu'il avait été sincère. Et c'était une chose que son cerveau avait du mal à intégrer : Drago Malefoy et sincérité dans la même phrase.

Le silence, tel un invité indésirable, prit tout l'espace et le temps entre eux. Ils se repassaient les phrases de l'autre au gré des souvenirs malheureux qui refaisaient surface. Hermione fut la première à les chasser. Elle avait quelque chose à faire et pour ça, elle avait besoin d'aide.

- Drago ?

Il relava la tête, sans même noter qu'elle l'avait appelé par son prénom et pas son nom comme elle l'avait toujours fait.

- Oui ?

- J'ai besoin… J'aurais besoin que tu me rendes un service.

Il ne connaissait ni la nature, ni les tenants et les aboutissants, mais il n'hésita pas même l'ombre d'un millième de seconde.

- Tout ce que tu veux.

- Je voudrais me rendre sur les tombes de Harry et Ginny. J'ai pas pu y aller… Comme j'étais…

Là encore, il parla sans réfléchir :

- Quand tu veux. »

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