Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 23 : L'accusation d'Orion

7029 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/07/2023 14:51

L'accusation d'Orion



Ce soir-là, en apprenant que son fils aîné l'avait renié, Orion était aussitôt allé déverser sa colère au manoir des Malefoy. Dans la bibliothèque d’Abraxas, il se tenait près de la cheminée, le regard plongé dans les flammes, et faisait tourner nerveusement un verre de vin entre ses mains, sans le boire.

Derrière lui, Abraxas sirotait en silence son propre verre, à côté de Vera, qui, ressentant le besoin de se changer les idées après sa journée mouvementée au square Grimmaurd, était venue lui rendre visite en compagnie de son cerbère nain. Celui-ci était nettement plus sage que lors de sa première venue, et ses trois têtes ronronnaient tranquillement aux pieds de sa maîtresse.

Depuis le début de la soirée, les trois convives n'avaient pas quasiment pas échangé un mot. Orion fulminait ; Vera pensait à Regulus et à tout ce qu'elle aurait dû lui dire, quelques heures plus tôt ; quant à Abraxas, le contenu de ses pensées restait indéchiffrable.

– Orion, viens donc t’asseoir avec nous, soupira finalement Vera en gratouillant une des têtes de son cerbère endormi.

Il répondit par un grognement.

– Ha ! Elle a bon dos, celle-là, marmonna Orion, comme s’il s’adressait aux flammes.

– Que dis-tu ?

Il se retourna et jaugea Vera et Abraxas de ses yeux rougis. Depuis son arrivée, il avait sur le visage la même expression furieuse.

– J'étais justement en train de penser... Tu vois, Vera, rien de tout ça ne serait arrivé si j’avais épousé Druella il y a trente-cinq ans, comme cela était prévu, dit-il sur un ton accusateur.

Vera s’arrêta de caresser Attila, et se redressa, un peu pincée.

– Oh, je t'en prie, Orion... Quand arrêteras-tu de rallier tous tes malheurs à ce mariage manqué ? Il est grand temps de tourner la page.

– Tourner la page ! On voit bien que ça n’est pas toi qui a été spoliée dans cette affaire...

Quelques étages plus haut, dans sa salle de bains, Narcissa les écoutait tous les trois avec attention à travers son grand miroir au cadre doré. Elle était très pâle, et encore plus mince qu'auparavant. Ses pieds nus touchaient le sol de marbre rose, et elle flottait dans sa robe de nuit en lin blanc, ses mains crispées sur l'émail de l'évier qui se trouvait devant elle.

Depuis le massacre du pensionnat Wimbley, Narcissa n'avait presque pas quitté son lit. Il lui semblait que toutes ses forces l'avaient abandonnée, que son bonheur déjà si fragile avait éclaté en morceaux de façon irréversible. Elle n'avait plus goût à rien, et toutes les tentatives désespérées de Lucius et de Daisy pour lui redonner le sourire s'étaient soldées par de lamentables échecs. Le monde qui l'entourait lui semblait désormais tellement obscur qu'elle avait perdu l'envie d'y évoluer, et la culpabilité qui l'accablait à propos du rôle que Lucius et elle avaient joué dans la destruction du pensionnat et le meurtre d'Eleanor Wimbley lui donnait la certitude qu'elle ne méritait pas d'être heureuse.

Et pourtant, ce soir-là, en entendant des éclats de voix monter du rez-de-chaussée, Narcissa s'était levée comme une automate et s'était approchée de son miroir pour espionner la bibliothèque d'Abraxas Malefoy et pour y écouter la conversation qui avait lieu, avec le pressentiment qu'elle était de la plus haute importance...

En entendant Orion parler de sa mère, Narcissa faillit tomber de son siège. Certes, elle avait toujours su qu'Orion avait eu un faible pour sa mère, par le passé, et qu'il aurait souhaité l'épouser ; c'était d'ailleurs une des raisons pour lesquelles Orion jalousait tant le père de Narcissa.

Mais jamais, jamais elle n'avait soupçonné qu'il ait pu un jour être question qu'ils se marient... Et d'ailleurs, cette idée lui donnait la nausée. Sa mère si douce, si admirable, avec Orion, cet homme vulgaire, avide, petit et boiteux ? Un mariage manqué, vraiment ? Mais jusqu'où ce projet de mariage était-il allé ? Et par quel miracle avait-il échoué ?

– Vera a raison, dit Abraxas à travers le miroir. Ton problème n'est pas l'épouse qu'on t'a attribuée, mais le choix que tu as fait en ayant deux fils... Pourquoi ne pas t'être arrêté au premier ? Tu aurais pu t'y consacrer pleinement, lui donner plus d'attention, et sans courir le risque qu'il veuille à tout prix se distinguer de son frère...

– Je ne suis pas là pour recevoir des leçons de ta part, Abraxas, répliqua sèchement Orion, toujours tourné vers la cheminée.

D'un geste, Vera signifia à Abraxas qu'il valait mieux arrêter de le provoquer, mais Abraxas semblait en tirer un malin plaisir.

– Non, non, justement, c'est l'occasion rêvée de m'expliquer... Voyez-vous, je n'ai jamais compris cette manie de la famille Black. Pourquoi, à chaque génération, choisir d'engendrer ces tripotées d'enfants ? Tu aurais dû prendre exemple sur nous, Orion : un seul fils, l’éducation est plus facile et plus sûre...

– Abraxas, cela suffit, décréta Vera.

Mais Abraxas se contenta de lui répondre par un petit gloussement. Il s'en donnait à cœur joie, se délectant du spectacle : près de la cheminée, Orion regardait les flammes de plus en plus intensément, comme s'il voulait qu'elles le dévorent, et faisait tourner de plus en plus vite son verre entre ses mains.

– À mon avis, poursuivit Abraxas, nous avons là la preuve – s'il en fallait une – de l'infériorité de la famille Black par rapport à la famille Malefoy. C'est vrai, celle-ci a toujours voulu nous submerger par le nombre ; mais s'ils avaient confiance en leurs descendants, ils se contenteraient d'un seul enfant, peut-être deux si le premier est une fille... Et ils se dispenseraient de marteler cette devise idiote, Toujours purs, comme s'ils avaient besoin de le rappeler sans cesse pour maintenir la crédibilité de leur descendance !

Abraxas but une gorgée de vin et haussa un peu la voix.

– Cela me fait toujours rire, quand je les entends se targuer d'être la plus ancienne maison de Sang-Pur... Heureusement, la plupart des sorciers ne sont pas dupes, et savent pertinemment quelle est la véritable famille souveraine, celle qui gouverne toutes les autres : nous, les Malefoy !

Orion fut saisi d'un petit soubresaut, et on entendit très distinctement un bruit de verre brisé.

– Orion ! s'écria Vera.

Lorsque celui-ci se détourna de la cheminée, Narcissa vit que son verre de vin avait éclaté entre ses mains, et que ses paumes étaient couvertes de coupures. Son visage était rouge écarlate et des gouttes de sueur perlaient sur ses tempes.

– Bande d'idiots ! les réprimanda vertement Vera. Vous ne trouvez rien de mieux à faire que de vous chamailler pour ces bêtises ? Non mais franchement, vous vous entendez ? Vous pensez vraiment que c'est pour se distinguer de son frère que Sirius est parti ? Que si Regulus n'avait pas été là, il en aurait été autrement ? Mais enfin, vous n'y êtes pas du tout, mes pauvres amis ! Vous êtes totalement pathétiques, tous autant que vous êtes ! Et c'est pour cette raison que Sirius vous a tourné le dos, il ne faut pas chercher plus loin !

Le visage d'Orion était agité de tics nerveux, et il épongeait le sang qui coulait de ses mains grâce à un mouchoir brodé. En face de lui, Abraxas était parfaitement immobile, et tous les deux se toisaient mutuellement, sans écouter Vera.

– Quel imbécile, murmurait Orion de façon parfaitement distincte. Mais quel imbécile... Ah, il se croit mieux que tout le monde... Ah, il croit que son fils est mieux que le mien... Oh, je ne sais pas ce qui me retient... Et puis après tout, qu'est-ce que je risque... Tant pis...

– Je m'en vais, le coupa Vera en secouant la tête. Vraiment, vous êtes insupportables !

– Oh non, Vera, reste encore un peu, je t'en prie, dit Orion avec un sourire qui n'augurait rien de bon. Je voudrais... Je voudrais... Tiens, je voudrais que vous me donniez quelques nouvelles de ma nièce.

Vera et Abraxas froncèrent les sourcils au même instant.

– Narcissa, précisa Orion d'un ton léger.

Comme si de rien n'était, il s'approcha en boitillant de la table ronde qui se trouvait au milieu de la pièce, et s'installa tranquillement en face d'Abraxas Malefoy.

– Alors, comment va-t-elle ?

– Pas très bien, répondit sèchement Vera. La destruction du pensionnat Wimbley l'a beaucoup choquée.

– Vraiment ? Comme c'est regrettable... Vous lui transmettrez tout mon soutien, bien entendu.

Narcissa se sentait de plus en plus mal à l'aise. Orion se fichait totalement de ce qu'elle ressentait, il l'avait toujours détestée, comme il détestait ses sœurs et son père. Il affichait un air faussement compatissant, et semblait trépigner d'impatience, avec cette expression jubilatoire si familière sur le visage – celle qu'il arborait quand il s'apprêtait à causer du tort à quelqu'un.

– Tu es fier de ce mariage, n'est-ce pas, Abraxas ? demanda-t-il. Très fier, même ?

Abraxas haussa les épaules.

– Je n'apprécie pas Narcissa en tant que personne, dit-il. Mais dans notre position de supériorité, il faut se contenter du moins pire.

– Du moins pire ? Oh, je te trouve un peu dur. Narcissa, voyons, la fine fleur de la famille Black... Épouser une fille de Cygnus, ça n'était pas donné à tout le monde, il faut croire. Finalement, ton fils a réussi là où bien des prétendants respectables ont échoué... Comme tu dois être fier de lui, dit Orion, faussement attendri.

Il eut un petit rictus qui ressemblait à un sourire, mais Abraxas resta de marbre.

– Et comme tu dois être impatient d'avoir des petits-enfants... Un Malefoy et une Black, on ne peut imaginer un assortiment plus pur que celui-ci, n'est-ce pas ?

La voix d'Orion se faisait moqueuse, mais personne, autour de lui, ne comprenait encore pourquoi.

– Oui, sans doute, répondit Abraxas, agacé.

– Et Lucius a l'air de beaucoup l'aimer... Vraiment, c'est admirable, admirable... Oh, cela ne m'étonne pas, tout le monde a toujours adoré Narcissa. Tout le monde ! Vera, tu la considères toi-même comme une de tes propres enfants... Notre regrettée Druella la chérissait comme elle n'a jamais chéri ses deux aînées... Cette adorable petite tête blonde était la seule chose qui rassemblait ses deux sœurs, pourtant si différentes...

Au fur et à mesure qu'Orion crachait ces mots, Narcissa avait l'impression qu'un énorme poing se refermait sur elle.

– C'est drôle, quand j'y pense... Narcissa Malefoy, dit-il avec ironie. Demandez à n'importe qui de nommer une sorcière de sang pur, et invariablement, ce sera la première qu'ils vous citeront ! Narcissa Malefoy ! Narcissa Malefoy ! La plus belle ! La plus délicate, la plus exquise ! Des cheveux d'or, des mains de reine ! Celle qui a tout réussi, mieux que tout le monde ! Ah non, vraiment, c'est trop drôle...

– Il délire, affirma Vera en secouant la tête.

– J'étais le seul à la voir telle qu'elle était, gloussa Orion. Oui, le seul ! Le seul à avoir deviné ce que ses parents ont toujours voulu cacher... Quoique, tu savais sans doute, Vera, n'est-ce pas ?

– Tu ferais mieux de rentrer chez toi, Orion, dit Vera sur un ton hostile. Vraiment, tu perds la tête.

À ces mots, Orion éclata d'un rire hystérique.

– Aha ! Je perds la tête ! Mais il y a de quoi perdre la tête, ma chère ! Narcissa, que tout le monde admire, que tout le monde adule, alors qu'en réalité, le simple fait qu'elle existe est le pire outrage qu'on ait jamais fait à la famille Black !

– De quoi parles-tu, à la fin ? s'impatienta Abraxas Malefoy.

Orion sourit, ravi d'avoir enfin attiré son attention. Il attendit un peu, puis poursuivit, perfide :

– Cela m'a toujours étonné...

Il but une gorgée de vin, déglutit bruyamment, et essuya sa bouche d'un revers de manche.

– Tu ne t'es jamais demandé pourquoi elle ne ressemblait pas aux autres membres de sa famille ?

Quatre étages plus haut, Narcissa eut l'impression que son sang s'immobilisait dans ses veines.

– Elle ressemble beaucoup à sa mère, répondit nonchalamment Abraxas Malefoy en se resservant un verre de vin.

– À sa ravissante mère, oui, indéniablement... À ses sœurs, dans une moindre mesure... Mais à son père ? Pas vraiment, n'est-ce pas ?

Abraxas Malefoy leva enfin les yeux de son verre.

– Qu'est-ce que tu insinues là ?

– Orion, mais tais-toi donc ! ordonna Vera. Tu te couvres de ridicule !

– Elle ressemble à sa mère, tu dis... Oui, cette chère Druella, ma douce, ma bien-aimée, qui m'a été dérobée par cet horrible Cygnus...

– Oh, arrête un peu ! s'écria Vera. Tu n'aimais pas Lulu, Orion, tu voulais seulement la posséder, et de la façon la plus ignoble qui soit ! Je me félicite tous les jours d'avoir empêché votre union ! Au moins, Cygnus ne lui faisait pas boire de philtre d'amour, lui !

À nouveau, Narcissa écarquilla les yeux. Décidément, elle allait de surprise en surprise... Non seulement sa mère avait failli épouser Orion – elle grimaça de dégoût à cette pensée – mais celui-ci lui avait déjà administré un philtre d'amour... Il était donc encore plus odieux et plus répugnant qu'elle ne l'imaginait, et si Vera avait bel et bien empêché ce mariage, alors Narcissa lui devait une fière chandelle.

Orion parut piqué au vif, et se renfrogna un peu.

– Justement, parlons-en un peu, de Druella, dit Orion en essayant d'éluder la remarque de Vera. Peut-être vous souvenez-vous de son amour de jeunesse...

À côté de lui, Vera serra les poings.

­– Comment s'appelait-il ? poursuivit Orion, qui semblait s'amuser follement. Thomas, oui, c'est bien ça, Thomas Everly... Vous n'êtes pas sans savoir que c'était un Sang-de-Bourbe de la pire espèce... Un proche ami de ces satanés Claring... Et à quoi ressemblait-il ? Il était blond, c'est bien cela, Vera ? Et il avait des yeux bleus, bien sûr, comment oublier ce regard limpide et ces longs cils dorés ? Exactement comme Narcissa, en fait, cracha Orion.

Alors seulement, Narcissa comprit pleinement ce qu'Orion sous-entendait, et elle eut l'impression que son cœur allait s'arrêter de battre.

En face d'Orion, Abraxas eut un grand rire moqueur. Manifestement, il ne prenait absolument pas au sérieux les élucubrations d'Orion.

– Enfin, mon pauvre ami, tu t'égares, dit Abraxas. Je me souviens très bien de cette histoire, puisque Athénaïs et moi étions tous les deux Préfets-en-Chef lorsque Druella est apparue au côté de ce Thomas Everly au bal de Noël. Tu en as fait un véritable scandale, Orion, et tu t'y es d'ailleurs ridiculisé... Presque autant que ce pauvre Everly, d'ailleurs, qui pensait naïvement pouvoir se pavaner tranquillement avec Druella Rosier à son bras ! C'est dire...

Loin de se vexer, Orion sourit encore un peu plus largement.

– Oui, ce cher Thomas... Ils s'aimaient tellement, tous les deux...

– Ça n'est pas ce qu'on m'a dit, répondit froidement Abraxas. Je sais qu'ils se sont fréquentés, mais Druella l'aurait rapidement méprisé. En même temps, il fallait s'y attendre... Un Sang-de-Bourbe, alors qu'elle avait des dizaines de prétendants ?

– Exactement ! s'écria Vera en posant avec brusquerie son verre sur la table. Druella a vite renoncé à cette relation, Orion ! Et depuis, elle n'a plus jamais revu Thomas ! Elle a été irréprochable, j'y engage ma parole !

– Oh, oui, c'est la version que tout le monde connaît, ricana Orion. Mais moi, je SAIS qu'ils ont continué de se fréquenter ! Je les ai vus !

– Tu parles sans doute de ce match de Quidditch où tu as fait une chute de quarante mètres au beau milieu du terrain ? Je me souviens que tu prétendais les avoir vus s'embrasser, derrière les gradins... Mais mon pauvre Orion, tu étais complètement sous le choc, tu as dû rêver...

– JE N'AI PAS RÊVÉ ! Et je les voyais se promener ensemble, dans les couloirs, à Poudlard !

– Tu étais paranoïaque, soupira Vera. Tu étais le seul à faire ces affirmations, comme par hasard... Et Lulu n'était pas avec Thomas, elle était tout le temps avec moi !

Orion jaugea ses deux interlocuteurs avec animosité.

– Croyez ce que vous voulez, cracha-t-il. Moi, je suis persuadé que leur relation s'est prolongée, dans le secret... Et peut-être que Druella n'était pas aussi sage qu'il n'y paraît, et que les liens sacrés du mariage n'avaient pas beaucoup d'importance à ses yeux... Alors, imaginez seulement que cette chère Narcissa n'ait pas un sang aussi pur qu'elle ne le prétende ?

Abraxas secoua la tête, abasourdi.

– Honnêtement, Orion, c'est là tout ce que tu as trouvé pour me calomnier ? Cette petite erreur de jeunesse de Druella Rosier, qui n'a duré que quelques jours ? Je ne crois pas une seconde à ces fabulations de prétendant éconduit et jaloux. Druella Black était une épouse modèle, pas une fornicatrice de Sang-de-Bourbe...

À côté de lui, Vera était tout simplement écœurée.

– Comment oses-tu faire ça, Orion ? s'insurgea-t-elle. Comment oses-tu accuser Druella de la sorte, alors que tu n'as strictement aucune preuve de ce que tu avances ?

– C'est vrai, c'est vrai, malheureusement, je n'ai aucune preuve, seulement ma plus intime des convictions... C'est d'ailleurs pour cela que je me contrains à garder ces suppositions pour moi, depuis tout ce temps... Sans compter que ma tendre épouse pourrait bien me tuer dans mon sommeil pour sauver l'honneur de son cher frère, si j'avais le malheur de lui faire part de mes soupçons... Non, pas une preuve, comme c'est malheureux... Mais en effet, Everly est lui-même mort quelques mois avant la naissance de Narcissa, dans le tragique incendie qui a emporté les Claring, dit Orion avec un sourire qui n'avait rien de tragique. Et aujourd'hui, Druella est morte aussi, sans doute écrasée par le poids du secret...

– Tu es ignoble ! rugit Vera. Quand je pense que tu prétends l'aimer !

– Oh, mais après tout, qui jetterait la pierre à cette pauvre femme ? la coupa Orion. Tout le monde se souvient de la jeune Druella Rosier, si belle, si... si blonde... Comme elle a dû être malheureuse, une fois enchaînée à cet imbécile de Cygnus, qui ne voyait pas qu'il était l'homme le plus chanceux de la terre... Et je ne serais pas surpris d'apprendre que Druella ait pu céder à la tentation d'une petite aventure... Peut-être rien de sérieux, peut-être une fois seulement, pour raviver quelques souvenirs heureux... Pour se prouver qu'elle pouvait encore plaire même si son mari ne la regardait plus... Pour se sentir vivante, rien qu'une nuit...

À ces mots, Vera se leva de son siège, hors d'elle.

– Orion, je t'interdis...

Abraxas saisit fermement le bras de Vera, et l'empêcha de sauter à la gorge d'Orion. Il ne semblait pas vouloir le défendre, mais plutôt s'occuper lui-même de le réduire en miettes : il fixait Orion de son regard pâle et glacé, et sa main était tellement serrée autour du pommeau de sa canne que ses phalanges bleuissaient dangereusement.

– Non, franchement, Abraxas ! exulta Orion. Même ce cher Cygnus a l'air de douter de sa propre paternité. Souvenez-vous de son expression contrite, au mariage de Lucius et de Narcissa... Pas vraiment l'attitude d'un père comblé qui marie sa fille à l'héritier des Malefoy, n'est-ce pas ? Alors, peut-être ressentait-il de la culpabilité à berner Abraxas, son ami de toujours ? Peut-être craignait-il que quelqu'un ne découvre le pot aux roses ?

– Assez, Orion !

– Quand je pense qu'une immonde bâtarde, une sale petite Sang-Mêlé a grandi dans ma maison, a mangé à la même table que mes propres fils et a fait chavirer le cœur du tien ! Tiens, cela ferait un bel article dans la Gazette du Sorcier, vous ne croyez pas ? Je vois déjà le titre : « Les deux plus anciennes familles de sorciers réunies dans le scandale » ...

– ASSEZ !

Abraxas Malefoy avait hurlé si fort que le cerbère de Vera s'était aussitôt réveillé et caché sous la table. Il s'était levé de toute sa hauteur, et un halo de fureur glacée semblait émaner de lui.

– La jalousie finira par t'étouffer, mon pauvre Orion ! Qu'y puis-je, si mon fils réussit mieux que les tiens ?

Orion leva les mains, l'air innocent.

– Je voulais simplement te mettre en garde, mon ami, et te faire part de mes soupçons.

– Eh bien dorénavant, GARDE TES SOUPÇONS POUR TOI ! rugit Abraxas. Surtout s'ils sont inventés de toute pièce pour nous ridiculiser, mon fils et moi !

Narcissa n'entendit que confusément la suite de la conversation – si on pouvait appeler conversation la suite d'injures qu'Orion et Abraxas commencèrent à vociférer à partir de ce moment-là. Les mots glissèrent autour d'elle sans qu'elle soit capable d'en intercepter le sens.

Elle était absolument sidérée par l'acharnement dont Orion faisait preuve. Après avoir quitté le 12, square Grimmaurd, elle pensait s'être débarrassée de lui, de Walburga et de toutes leurs remarques sournoises. Et voilà que leur rancœur venait la poursuivre jusqu'ici ! Après avoir discrédité son père, il fallait maintenant qu'Orion s'en prenne à elle ? Et tout ça parce que Druella avait refusé de se marier avec lui, au profit de Cygnus, et qu'elle, leur fille, avait une vie qu'on pouvait qualifier de réussie ?

Devant elle, l'image de la querelle qui avait eu lieu entre Orion et Abraxas dans le salon du manoir s'évanouit progressivement, et Narcissa se retrouva face à son propre reflet. Elle contempla ses cheveux blonds comme les blés, et ses yeux bleus comme l'océan dont elle était si fière. Ils lui venaient de sa mère, bien sûr ; elle était son portrait craché. Elle ne ressemblait pas beaucoup à son père, certes, mais elle ne ressemblait pas davantage à un autre homme. Les traits de sa mère prenaient toute la place sur son visage, et la ressemblance s'accentuait encore au fil des années.

Et son père l'aimait, Narcissa en était certaine, même si c'était à sa manière, avec retenue et maladresse... Le jour où elle s'était mariée avec Lucius, bien sûr, il n'avait manifesté aucune forme de joie ; mais n'était-ce pas compréhensible, lui qui avait perdu son épouse et ses titres moins d'un an plus tôt ? Peut-être que ce beau mariage lui avait rappelé le sien, ce qui expliquait son air grave et nostalgique... D'ailleurs, n'avait-il pas explosé pour prendre sa défense, au moment du banquet ? N'avait-il pas, alors qu'il avait perdu le contrôle de lui-même, ordonné à Carla Avery et Juliet Selwyn de présenter leurs excuses à sa fille, prouvant ainsi qu'il la considérait bel et bien comme telle ?

Non, décidément, il n'y avait qu'une seule explication possible : Vera l'avait dit elle-même, Orion avait voulu posséder sa mère, et de la pire façon qui soit... Et puisqu'elle lui avait échappé, il voulait salir sa mémoire et détruire tous ceux qui l'avaient entourée, même si elle n'était plus là pour le constater. Et pour cela, il était prêt à tout, même à raconter des mensonges aussi odieux que ceux que Narcissa venait d'entendre.

– Narcissa ? Tu es là ?

Narcissa fit brusquement volte-face, comme si celui qui venait de prononcer son prénom avait pu lire dans ses pensées en la prenant par surprise. Elle aperçut à travers la porte de la salle de bains la silhouette élancée de Lucius, qui venait d'entrer dans la chambre. Elle jeta un coup d'œil furtif à l'horloge dorée qui était accrochée au mur, au-dessus du miroir, et réalisa que deux heures s'étaient écoulées depuis qu'Orion avait quitté le manoir. L'immense salle de bain était plongée dans l'obscurité, ses pieds et ses mains étaient gelés, et elle grelottait de froid dans sa longue robe de lin blanc.

– Je... Oui, je suis là, dit-elle d'une voix tremblante.

Lucius apparut dans l'encadrement de la porte, apprêté avec soin.

– Tu es dans le noir ?

Il leva sa baguette vers les lampes ouvragées qui étaient suspendues aux murs de la pièce, et celles-ci se mirent à diffuser une douce lumière dorée. Narcissa devait faire peur à voir, car l'expression inquiète de Lucius s'accentua.

– Narcissa... Tout va bien ? demanda-t-il.

Elle resta muette : elle avait l'impression de suffoquer. Elle avait conscience qu'elle regardait Lucius avec des yeux écarquillés, sans dire un mot, et que cela devait être effrayant ; mais elle était incapable de bouger ou de prononcer la moindre syllabe.

Lucius s'approcha prudemment et s'assit auprès d'elle. Il posa délicatement ses mains sur ses épaules, et sursauta.

– Enfin, mais tu es gelée, dit-il. Il faut te couvrir...

Il attrapa une serviette chaude qui était suspendue non loin de lui et la posa sur les épaules de Narcissa ; puis il entreprit de lui réchauffer les mains en les frictionnant dans les siennes.

– Que t'arrive-t-il ? Tu es encore plus pâle que d'habitude.

Ses mains étaient douces, et il embrassait celles de Narcissa avec tendresse. À son contact, Narcissa s'éveilla lentement.

– Ne t'en fais pas, murmura-t-elle au bout d'un moment. Simplement...

Ses pensées étaient terriblement confuses. Elle frissonna, prit une longue inspiration et reprit tant bien que mal le contrôle d'elle-même.

– J'ai entendu Orion et ton père se disputer, tout à l'heure... Je suis allée sur le palier, je les ai un peu écoutés, depuis les escaliers, et...

Elle s'interrompit. Elle n'avait aucune envie de répéter ce qu'Orion avait dit, car elle avait la sensation que cela donnerait du crédit à ses allégations sans queue ni tête.

– Oui ?

– Orion a insulté ma mère, résuma-t-elle finalement. De la pire des façons.

Lucius haussa un sourcil avec un mélange d'indignation et de mépris.

– Décidément, cet infirme est encore plus indécent que je ne le pensais. Quoiqu'il en soit, mon père avait l'air absolument furieux contre lui, quand je suis rentré... Ne t'en fais pas, il ne tardera pas à le neutraliser. Nous en serons bientôt débarrassés.

Cette perspective redonna un semblant de sourire à Narcissa. Si seulement elle pouvait ne plus jamais entendre la voix nasillarde et désagréable d'Orion...

Alors que Lucius lui frictionnait les mains, le métal froid d'un de ses boutons de manchette argentés lui effleura la peau, et Narcissa se demanda où était Lucius, pendant qu'elle écoutait Orion, Vera et Abraxas depuis sa salle de bains. Dans un passé qui lui semblait très lointain, il lui avait dit où il allait, mais Narcissa n'avait pas écouté.

– Où étais-tu ? demanda-t-elle.

Lucius lui adressa un sourire conciliant.

– Dans l'Allée des Embrumes... Je suis allée faire quelques achats chez Barjow et Burke, et j'avais rendez-vous au Serpent qui Fume avec Augustus Rookwood, celui qui est Langue-de-Plomb au Département des Mystères. Il nous fournit énormément d'informations sur les affaires internes, c'est un vrai régal. Et il y avait aussi mon ami Karkaroff... Souviens-toi, je l'avais rencontré à Durmstrang... Il est très intéressé par ce qu'il se passe ici, et souhaite devenir un Mangemort à son tour. Il n'a pas l'air très téméraire, mais je pense qu'il pourra nous être utile, notamment quand le Seigneur des Ténèbres voudra étendre son emprise au-delà des frontières du pays...

Narcissa hocha pensivement la tête. Aucune autre offensive de l'ampleur de l'attaque du pensionnat Wimbley n'avait été menée pour le moment. Les Mangemorts se contentaient de frapper de temps en temps des infrastructures moldues, de manière aléatoire, simplement pour rappeler leur présence menaçante. Les rangs des partisans de Lord Voldemort grossissaient de jour en jour, enflés par des fanatiques qui souhaitaient la victoire du Seigneur des Ténèbres, mais aussi par des gens ordinaires qui survivaient à leur manière au nouvel ordre des choses.

Lucius, lui, s’occupait de déstabiliser le Ministère en agissant dans l’ombre : il mobilisait les relations qu’il avait dans chaque Département, ou bien profitait de son omniprésence au Ministère pour soumettre des employés au sortilège de l'Imperium, leur soutirant ainsi des informations capitales sur les stratégies de défense du gouvernement.

Le Ministère de la Magie ne savait plus à qui se fier, ni où donner de la tête, d’autant que Harold Minchum était sans cesse houspillé par le Premier Ministre moldu, qui souhaitait connaître la raison de tous les accidents mystérieux et cataclysmiques qui éclataient aux quatre coins du pays.

Clouée au lit depuis plusieurs mois, errant à la manière d'un fantôme, Narcissa n'avait absolument pas prêté attention à tout cela. Lucius lui dispensait parfois quelques informations, mais elle les entendait comme si elle se trouvait derrière une vitre épaisse, sans avoir l'envie ni l'énergie de s'y intéresser. Depuis qu'il portait la Marque des Ténèbres sur son bras, elle s'était sentie éloignée de lui, de plus en plus indifférente à sa présence.

Pourtant, ce soir-là, en regardant Lucius lui frictionner les mains, Narcissa eut l'impression de le voir vraiment, pour la première fois depuis des mois. Pendant qu'Orion parlait, elle avait eu l'impression qu'il lui arrachait tout, y compris Lucius ; la perspective de le perdre l'avait effleurée, et il lui avait alors semblé que tout son monde s'écroulait. Plus que jamais, Narcissa avait désespérément besoin de réconfort, de se sentir protégée, réchauffée, rassurée. Et à nouveau, alors que cela ne s'était pas produit depuis des mois, Narcissa se surprit à apprécier le contact de la peau de Lucius sur la sienne. Elle se blottit contre lui, et enfouit son visage dans son cou.

– Tu m'as manqué, murmura-t-elle.

Lucius l'entoura de ses bras et ils s'embrassèrent pour la première fois depuis plusieurs semaines.

– Prenons un bain, réclama Narcissa et l'étreignant à son tour. Je suis gelée...

Après quelques caresses, Lucius ouvrit d'un coup de baguette les quatre robinets de l'imposante baignoire octogonale en marbre rose, taillée dans le même roc que le sol de la salle de bains. Lucius et Narcissa s'y prélassèrent longuement, savourant leurs retrouvailles. Quand, bien plus tard, Narcissa s'étendit sur les édredons moelleux à côté de Lucius, elle se sentit agréablement ravivée, et s'endormit paisiblement au creux de ses bras, plongeant dans un sommeil peuplé de songes réconfortants...

Dans son rêve, Narcissa se trouvait dans le Poudlard Express, à côté de Lucius. Par la fenêtre, le paysage ensoleillé filait à vive allure. Tous les deux riaient, Lucius exhibait sur sa poitrine l'insigne du Préfet-en-Chef et passait un bras autour de ses épaules en lui effleurant la joue. Tout était paisible, léger, agréable... Et pourtant, au bout d'un moment, sans savoir pourquoi, Narcissa eut envie d'explorer le reste du train. Elle voulait se dégourdir les jambes, voir ce qu'il y avait dans les autres compartiments... Et, malgré les protestations de Lucius, elle s'arracha de lui et se leva.

– Je reviens, s'entendit-elle prononcer.

– D'accord, je t'attends ici, répondit Lucius en posant ses bottes de cuir sur la banquette rouge et moelleuse qui se trouvait en face de lui.

Narcissa sortit du compartiment et ferma doucement la porte derrière elle. Dans le wagon des préfets, il n'y avait quasiment aucun bruit, seulement les craquements et les gémissements lointains de la machinerie du Poudlard Express. Elle avança dans le couloir et constata que tous les autres compartiments étaient vides. Et pourtant, il lui semblait entendre des voix lointaines, confondues, incertaines...

– Bonjour, Narcissa, ricana quelqu'un.

Elle sursauta. À sa gauche, installé dans un compartiment qu'elle avait cru vide, l'oncle Orion lui souriait de toutes ses dents jaunies, en levant vers elle un verre en cristal rempli de vin rouge. Le cœur battant à tout rompre, Narcissa se rua vers l'extrémité du couloir, ouvrit la porte qui menait vers le wagon suivant et la ferma bien vite derrière elle.

Mais lorsqu'elle recula d'un pas pour s'en écarter, celle-ci ne ressemblait en rien à la jolie porte tapissée de velours rouge qu'elle avait ouverte pour échapper au sourire avide d'Orion. La porte était en bois sombre, austère, imposante, et la poignée d'argent était sculptée en forme de tête de serpent.

En se retournant, Narcissa constata qu'elle n'était plus dans le Poudlard Express ; et en reconnaissant le palier du 12, square Grimmaurd, elle fut saisie de panique.

À quelques mètres d'elle, devant la porte de la chambre-placard que Narcissa avait partagée avec ses sœurs pendant des années, sa tante Walburga et sa mère se faisaient face. Ce n'est qu'en apercevant, à l'intérieur de la chambre, les frimousses médusées de ses sœurs et de Sirius, puis la sienne, que Narcissa comprit qu'il s'agissait d'un de ses lointains souvenirs.

Walburga, hors d'elle, les narines frémissantes, montrait un dessin enfantin à Druella :

– Je reconnais cet endroit... Tu as osé... les emmener là-bas ?

La voix de Walburga était assourdie, et les silhouettes qui se dressaient devant Narcissa ondulaient comme si elles se trouvaient derrière un rideau d'eau. Malgré cela, Narcissa reconnut le souvenir dont il s'agissait : la scène avait eu lieu quelques jours après le week-end où sa mère les avait emmenés dans les Cornouailles, au bord de la mer, dans cette jolie maison blanche remplie de coquillages... Walburga les avait sévèrement réprimandées, et avait refusé de l'emmener au Chemin de Traverse, c'était tout ce dont Narcissa se souvenait... Et pourtant, jaillissant de la bouche de Walburga, elle distinguait des bribes de phrases qu'elle avait occultées de sa mémoire, et qui lui revenaient en pleine figure...

– Tu es une honte pour notre famille, Druella, crachait Walburga de sa voix assourdie. Si tes filles savaient... Dire que tu les as fait dormir dans cet endroit souillé...

– Walburga, calme-toi, tempéra Druella.

Elle marcha vers Walburga, mais une de ses chevilles lui faisait mal, et elle s'arrêta, grimaçant de douleur. Par réflexe, Narcissa voulut se précipiter pour la soutenir, mais tout son corps était tétanisé. Des bribes de phrases assassines continuaient de jaillir de la bouche de Walburga :

– Regarde-toi, poursuivit Walburga, avec cette maladie que tu traînes comme une fatalité... Si tu veux mon avis, rien n'arrive par hasard... Cela doit avoir un lien avec toutes tes immondes fautes... Si mes parents savaient, lorsque tu as épousé Cygnus... Et tout ça parce que tu étais belle... Tu finiras seule, reniée de tous... Comme tu aurais dû l'être depuis bien longtemps...

Ne pouvant en supporter davantage, Narcissa plaqua ses mains sur ses oreilles, et ferma les yeux de toutes ses forces... Jusqu'à ce qu'elle sente une main douce lui caresser la joue. Lorsqu'elle ouvrit de nouveau les yeux, sa mère se trouvait face à elle, et Narcissa se sentit submergée par l'émotion. De ce souvenir-là, elle avait tout conservé, jusque dans les moindres détails : la douceur de la peau de sa mère, ses yeux bleus limpides, son sourire rempli de fierté...

– C'est à toi, plus particulièrement, que je tenais à offrir cette petite escapade, dit-elle avec une tendresse infinie.

Cette fois-ci, sa voix était parfaitement distincte. Narcissa regarda ses mains, et constata que c'étaient celles d'une enfant ; elle toucha ses cheveux, et reconnut les deux petites tresses symétriques qu'elle portait, le jour où leur mère les avait arrachées au 12, square Grimmaurd pour les emporter vers la Chaumière aux Coquillages, au bord de la mer. Et soudain, sa mère l'attira contre elle, et son parfum délicat lui remplit les narines.

– Ma petite Cissy, tu es mon trésor le plus précieux, l'entendit-elle murmurer à son oreille, tout en la couvrant de baisers. N'oublie jamais cela...

Elle se sentit soulevée du sol, et se laissa faire. Quand elle rouvrit les yeux, elle se trouvait allongée sur le tapis clair et duveteux de la Chaumière aux Coquillages.

Sirius et Regulus dormaient tête-bêche sur un canapé blanc, à ses pieds ; et de part et d'autre de Narcissa, ses deux sœurs riaient, tout en observant leur mère, qui était assoupie sur un autre canapé.

– Qui habitait ici, d'après vous ? s'entendit-elle demander d'une voix fluette.

– Personne, répondit Andromeda. Je pense que c'est un abri... Une cachette, pour ceux qui en ont besoin...

– Et à ton avis, de quoi rêve-t-elle ?

Andromeda hésita, rêveuse, les yeux fixés sur leur mère qui souriait paisiblement dans son sommeil.

– Peut-être de quelqu'un qu'elle a beaucoup aimé...

Et au coin du feu, leur mère remua délicatement, avec un sourire comblé, comme si quelqu'un venait de l'embrasser dans le cou...

Avec l'impression d'étouffer, Narcissa se leva précipitamment, et sortit en trombe de la petite maison, qu'elle avait autrefois comparée à la demeure d'un ange. À l'extérieur, il faisait grand jour ; dans cet autre souvenir, sa mère était là, debout, sa robe bleue et ses cheveux blonds fouettés par le vent, et elle regardait le rivage avec émotion, comme si elle suivait quelqu'un du regard...

– J'ai vécu des moments incroyables, ici, disait-elle, la voix enrouée. Mais c'est une histoire triste, et...

– Maman ! l'appela Narcissa.

Druella se retourna en souriant, mais soudain, son visage se crispa, déformé par la peur.

– Cissy ! Attention, derrière toi !

Narcissa fit volte-face et le décor se métamorphosa. En une fraction de seconde, le ciel s'obscurcit ; sous ses pieds nus, le sable doux et chaud devint noir, froid et dur ; devant elle, le manoir des Malefoy sortit de terre, l'écrasant de toute sa hauteur. Elle fit un pas sur le perron de marbre, vers l'imposante porte d'entrée, afin de retrouver Lucius ; mais les deux battants s'ouvrirent avant qu'elle ne les ait atteints. La silhouette d'Abraxas Malefoy, démesurément grande, lui barrait le passage, et son visage pâle et ridé était animé par la fureur. Avec un geste menaçant, il pointa sa baguette sur elle et hurla :

– Sang-Mêlé !

Il y eut un éclair aveuglant et Narcissa se réveilla en sursaut, haletante et trempée de sueur. Elle mit plusieurs minutes à reprendre ses esprits, et dut tâtonner autour d'elle pour s'assurer qu'elle était bel et bien de retour dans la réalité. Elle secoua la tête pour chasser l'angoisse qui la tenaillait et tenta de respirer plus lentement.

Les accusations d'Orion bourdonnaient dans ses oreilles : Une immonde bâtarde, une sale petite Sang-Mêlé... Elle se boucha les oreilles et se frotta les tempes afin de ne plus les entendre. Ces accusations ne pouvaient être que le fruit de la jalousie. Même en admettant que sa mère ait fréquenté ce Thomas Everly... En admettant qu'ils se soient vus en secret, en admettant que c'était à lui qu'elle pensait, lorsqu'elle avait regardé le bord de l'eau, puis le soir, allongée sur le canapé... En admettant tout ça... Cette histoire s'était terminée lorsque ses parents s'étaient mariés, c'était certain... Vera elle-même l'avait dit, Druella avait fini par entendre raison... Narcissa ne pouvait pas être la fille de cet homme-là, d'un Sang-de-Bourbe, c'était tout bonnement impossible... Sa mère avait toujours été une épouse irréprochable, elle ne pouvait pas avoir fait quelque chose d'aussi transgressif... Et son père – puisque Cygnus Black était son père, Narcissa ne supportait pas d'en douter – son père n'aurait jamais laissé faire une telle chose...

À côté d'elle, Lucius n'avait pas bougé d'un pouce. Quand Narcissa se rallongea, il déglutit vaguement et remua un peu.

– Grmbl... Tout va... bien ? demanda-t-il dans un demi-sommeil, les yeux clos.

Narcissa contempla pendant quelques instants son visage serein. Elle hésitait à le réveiller pour de bon, pour lui raconter tout ce qu'elle avait entendu, et tous ces souvenirs qui avaient si brutalement refait surface. Mais pour la première fois, Narcissa se sentait incapable de lui confier ce qu'elle avait sur le cœur. Non, décidément, elle ne pouvait pas lui parler des doutes atroces qui venaient de surgir de sa mémoire : il lui suffisait d'imaginer ne serait-ce qu'un infime commencement de soupçon ternir l'admiration que Lucius éprouvait à son égard pour savoir qu'elle serait incapable de le supporter.

Elle se pencha donc vers lui et l'embrassa tendrement sur le front.

– Oui, tout va très bien, dit-elle, encore essoufflée. Rendors-toi.

Lucius émit un ronronnement satisfait, raffermit son étreinte autour d'elle et se rendormit complètement. Légèrement soulagée, Narcissa se blottit encore plus étroitement contre lui et se rendormit à son tour, bien décidée à enfouir tous ces souvenirs et ces craintes dans les abysses de l'oubli.


Dernier chapitre demain !

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