Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 22 : Verre brisé

8924 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/07/2023 10:48

Verre brisé



Après ce Noël tumultueux, les quatre Maraudeurs poursuivirent leur cinquième année à Poudlard, dans une ambiance étonnamment sereine. Le drame du pensionnat Wimbley avait quelque peu refroidi les ardeurs de ceux qui partageaient les idées de Voldemort – ou du moins, les avait momentanément dissuadés de s'en vanter. De plus, les professeurs avaient redoublé d'efforts pour maintenir le calme dans l'école, et pour abriter leurs élèves des préoccupations extérieures, afin que leur apprentissage se fasse dans les meilleures conditions. Grâce à eux, le jour de l'épreuve de BUSE de Défense contre les Forces du Mal, tous les cinquième année se concentrèrent sans peine sur l'épreuve, et une fois celle-ci terminée, la plupart des élèves sortirent du château pour rejoindre leurs camarades qui profitaient du soleil éclatant. Ils en profitèrent pour comparer leurs réponses à propos des signes permettant d'identifier un loup-garou, ou, pour les plus studieux d'entre eux, pour réviser l'épreuve du lendemain.

Les couloirs du château de Poudlard étaient donc déserts, parfaitement calmes, et ils le restèrent tout au long de la soirée. Alors que les élèves s'éternisaient sur la pelouse baignée par les rayons du soleil qui déclinait, au deuxième étage du château, Mimi Geignarde s'amusait à inonder les toilettes des filles, ravie des reflets dorés que cela produisait sur le sol.

Et soudain, elle poussa un cri aigu : quelqu'un venait d'entrer.

Le souffle court, Severus Rogue fit irruption dans les toilettes. Il était encore plus pâle que d'habitude, et avait également une attitude des plus étranges : il tirait fermement sa robe de sorcier vers le bas, comme pour empêcher une main invisible de la soulever, et des bulles de savon sortaient de sa bouche, le faisant tousser et cracher.

– Ah, Severus, c'est toi, couina Mimi Geignarde. Dis donc, qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Mais Rogue ne l'entendit pas. Il n'avait même pas remarqué sa présence, et à vrai dire, il n'avait pas tout à fait conscience de se trouver dans les toilettes du deuxième étage.

– Eh bien, tu ne me dis même pas bonjour ? Ça n'est pas très aimable... Moi qui n'ai dit à personne que tu venais ici tous les jours pour fabriquer des potions interdites...

En effet, dans un coin sombre des toilettes, quelques chaudrons de tailles diverses s'alignaient, remplis de potions ou de décoctions qui mijotaient, décantaient, bouillonnaient. Autour des chaudrons, on pouvait voir quelques cadavres de rat, des morceaux d'insectes et des livres couverts de runes et de dessins effrayants. C'était là que Rogue se réfugiait, après les cours, pour faire la seule chose dans laquelle il excellait : la confection de potions, toujours plus complexes et exigeantes. Concentré sur le découpage et le dosage des ingrédients, il ne voyait pas le temps passer. C'était le seul moment de la journée où il arrivait à se persuader qu'il n'était pas insignifiant, qu'il était même plus doué que tous les autres, même si personne ne voulait le remarquer...

Et depuis quelques mois, il s'y rendait particulièrement souvent. Sa cinquième année avait été bien plus pénible que les précédentes, et pour une raison simple : depuis Noël, Regulus n'était pas revenu à l'école. Le jour de la rentrée, début janvier, Rogue l'avait attendu, sur le quai du Poudlard Express, puis à la table des Serpentard, puis dans la salle commune, et enfin dans leurs dortoirs ; mais le lit de Regulus était resté vide. Le lendemain, Rogue avait reçu un hibou de son ami, accompagné d'une lettre expéditive :

 

Sev,

  J'ai été blessé pendant les vacances, et je ne peux pas retourner à l'école.

Je t'expliquerai à mon retour.

À bientôt,

Reggie

 

Rogue espérait qu'il serait de retour rapidement, mais il avait progressivement perdu l'espoir de voir son ami revenir avant la fin de l'année. Plus seul que jamais, il avait été toute l'année à la merci des railleries et des humiliations que lui faisaient subir James et Sirius. Sans compter que l'équipe de Quidditch de Serpentard avait perdu son attrapeur, et avait donc subi les défaites les plus écrasantes de l'histoire de Poudlard, au profit de James Potter, qui, depuis que son équipe avait gagné la coupe du tournoi annuel, se promenait dans le château en jouant avec le Vif d'Or qu'il avait chipé pendant la finale, avec plus de prétention que jamais.

Rogue passait donc ses journées à ruminer, à espionner amèrement James et Sirius pour se distraire, à préparer des potions toujours plus dangereuses ou à inventer des formules magiques malveillantes, tout en s'enfonçant lentement dans l'ennui et la solitude rancunière. Et cette belle journée de juin était, sans conteste, la pire qu'il ait jamais eue à traverser, bien qu'il ait répondu avec succès à toutes les questions de l'épreuve de BUSE de Défense contre les Forces du Mal.

Il se pencha au-dessus de l'évier et se nettoya abondamment la bouche et le visage, en espérant que cela atténuerait l'impression d'être resté suspendu par les chevilles à deux mètres du sol, au-dessus d'une foule d'élèves hilares, avec ses jambes maigres et son caleçon grisâtre exposés à la vue de tous... La scène avait eu lieu quelques minutes plus tôt, et leurs rires continuaient de résonner intensément à ses oreilles, à tel point que les élèves semblaient être restés groupés autour de lui.

– Espèces de... misérables... souillures... Je vous... étriperai... JE VOUS ÉTRIPERAI ! cria-t-il.

Le carrelage des toilettes lui renvoya l'écho de sa propre voix.

– Oh, là là, ça n'est pas très poli, couina Mimi Geignarde.

Rogue la remarqua enfin. Il se retourna vers elle, le visage ruisselant d'eau savonneuse.

– Laisse-moi tranquille, siffla-t-il avec animosité.

– Moi, te laisser tranquille ? s'indigna Mimi. Alors que c'est toi qui viens trouver refuge dans mes toilettes ?

Rogue ne prêta aucune attention à ses jérémiades. Il oublia immédiatement sa présence, jusqu'à ce qu'elle décide de prononcer le nom de Regulus :

– J'ai vraiment hâte que Regulus revienne, dit-elle de sa voix chantante, tout en s'approchant de Rogue. Tu es vraiment de mauvaise compagnie quand il n'est pas là...

– Regulus se fiche de nous ! éructa Rogue. Sinon...

Il s'interrompit pour cracher de la mousse dans l'évier.

– Sinon, il serait déjà de retour à l'école ! Je parie tout ce que tu veux que sa famille essaie de le faire entrer chez les Mangemorts... À mon avis, il ne daignera même plus nous adresser la parole à la prochaine rentrée !

Mimi écarquilla les yeux derrière ses épaisses lunettes.

– Tu dis n'importe quoi ! s'insurgea-t-elle. Les Mangemorts sont des assassins ! Regulus n'a rien à voir avec eux !

Rogue cracha à nouveau des bulles de savon dans l'évier. Si seulement il avait pu faire taire Mimi... Si seulement il avait pu faire taire James et Sirius, quelques minutes plus tôt...

– Je suis sûre que tu dis ça parce que tu es jaloux, minauda Mimi.

Le visage de Rogue prit alors une teinte cramoisie. Il ouvrit la bouche, mais ne trouva aucun mot qui soit à la hauteur de sa colère : il choisit donc de prendre le pain de savon posé sur le rebord de l'évier et de le lancer en direction de Mimi.

– Oh ! s'exclama-t-elle, outrée.

– VA-T'EN ! rugit-il à nouveau. JE NE VEUX PLUS TE VOIR !

Sans attendre qu'elle ait disparu, Rogue s'arc-bouta à nouveau sur l'évier. Il ressentait une haine si violente qu'elle lui faisait physiquement mal. James, Sirius... Leurs rires moqueurs, leur nonchalance insupportable, et tous ces élèves qui les vénéraient comme des petits suiveurs stupides...

Mais le pire, dans tout ça... Le pire, c'était ce que Lily avait dit... Elle avait d'abord pris sa défense, comme d'habitude, mais sur le coup de la colère et de la honte, Rogue l'avait repoussée, et l'insulte lui avait échappé... Il l'avait traitée de Sang-de-Bourbe... Le regard de Lily, à ce moment-là, était devenu tellement glacial qu'il n'avait pu le soutenir. Si j'étais toi, je laverais mon caleçon, Servilus, avait-elle alors lancé. Servilus. Elle avait employé cet horrible surnom inventé par James et Sirius, ce qui signifiait que désormais, elle était de leur côté. Rogue ne pouvait rien imaginer de pire.

Cette insulte avait brisé quelque chose de façon définitive, Rogue en avait bien conscience, et cette pensée lui faisait si mal qu'il avait envie de disparaître. Lorsqu'il leva les yeux, le reflet de ses cheveux noirs et de son nez crochu dans le miroir crasseux ne lui inspira que du dégoût. Son nez touchait le parchemin, claironnait dans sa tête la voix hilare de Sirius au milieu des rires moqueurs, il va y avoir de grosses taches de gras sur toute sa copie...

Furieux, il frappa violemment du poing contre le miroir, qui éclata en morceaux. Rogue ressentit une douleur vive et constata avec un rugissement furieux qu'il s'était coupé le côté de la main.

– ARGH ! hurla-t-il. Je vous déteste tous ! TOUS !

Tout son corps tremblait. Alors qu'il contemplait sa main couverte de sang, il perçut un léger mouvement du coin de l'œil. En alerte, il fit volte-face, et se retrouva face à un énorme rat d'égout, gris et répugnant, qui l'observait avec curiosité. D'un geste vif, Rogue sortit sa baguette et la pointa sur le rat, dont les longues moustaches frémirent légèrement.

SECTUMSEMPRA ! cria Rogue avec une jouissance cruelle.

Un éclair rouge jaillit de sa baguette et frappa le rongeur de plein fouet. Avec un plaisir sadique, Rogue vit le rat basculer sur le dos et observa avec attention son corps se couvrir d'entailles. Le rat se vida de son sang avec une rapidité stupéfiante ; il se tortilla quelques minutes sur le carrelage, puis s'immobilisa au milieu d'une flaque écarlate. Severus eut un ricanement mauvais, mais il s'étrangla avec les quelques bulles de savon que James avait fait apparaître dans sa bouche alors qu'il l'insultait copieusement. Tout en toussant, il s'adossa au mur, glissa le long de la pierre froide et humide, et s'assit sur le carrelage inondé, pris d'une violente quinte de toux. Les crachats s'atténuèrent progressivement, se transformèrent en sanglots ; et Severus Rogue fondit en larmes, furieux contre lui-même et contre le monde entier.

 

***

 

Regulus, quant à lui, avait connu quelques mois de répit un peu moins désagréables que ce qu’avait subi son ami Severus. Après Noël, en effet, il était évident que ses blessures nécessitaient des soins quotidiens, et il était tout aussi évident qu’il ne pouvait pas raconter à Madame Pomfresh comment étaient apparus les affreux sillons noirs et boursouflés en forme de tête de mort qui recouvraient l’entièreté de son bras gauche. Vera Goyle avait alors proposé son aide pour s’occuper de ses blessures, ce que Walburga avait accepté à regret ; elle se rendait donc chaque jour au square Grimmaurd pour surveiller l'état du bras de Regulus, appliquer de la pommade et refaire les pansements.

– Et voilà, dit Vera en décollant les derniers centimètres du bandage qu’elle avait confectionné la veille.

Dans sa chambre, au dernier étage du 12, square Grimmaurd, Regulus se regarda dans le miroir qui se trouvait en face de lui. Il était assis sur le bord de son lit, torse nu. Même s’il s’y était progressivement habitué, son corps lui offrait un spectacle effrayant : sa main, son bras et son épaule, jusqu’à la racine de son oreille, étaient recouverts de sillons noirs flétris et repoussants, à tel point que son bras semblait être celui d'une autre créature. Sur son avant-bras, on pouvait deviner l'ombre de la Marque des Ténèbres, floue, déformée, rayée de cicatrices, encore plus monstrueuse que sur les bras des Mangemorts.

En voyant cela, il était difficile de croire que Vera avait fait de son mieux pour limiter les dégâts. Mais les blessures que Regulus avait subies s'étaient révélées bien plus graves que prévu : le mélange du venin de Tentagriffes avec l'encre que Voldemort avait appliqué sur son bras avait produit un mélange explosif, qui avait continué de vouloir s'étendre, et de s'attaquer à sa peau et à ses muscles très longtemps après leur injection, à tel point que Regulus avait bien failli perdre l'usage de son bras.

C'était donc grâce aux soins quotidiens de Vera Goyle que les blessures ne s’étaient pas étendues. Désormais, Regulus pouvait remuer le bras sans gémir de douleur, et même s'il tremblait un peu lorsqu’il serrait le poing, il pouvait manipuler des objets sans difficulté.

Face à son miroir, Regulus pivota pour s'observer légèrement de profil et fit une petite grimace. Il fallait bien admettre que le reste de son corps n'offrait pas un spectacle beaucoup plus réjouissant. Même si son visage avait mûri, ses bras étaient trop frêles, sa peau trop pâle, ses épaules sans forme.

– Te voilà bien sombre, remarqua Vera.

– Ce n'est rien, soupira-t-il.

Ses yeux retombèrent sur les cicatrices qu'il avait sur le bras.

– Mrs Goyle...

– Oui, Regulus ?

– Vous pensez que je ferai un bon Mangemort ?

Vera leva les yeux vers lui, l'air accablé.

– Tu sais pertinemment ce que j'en penses, Regulus.

– Vous pensez que j'en suis incapable...

– Bien sûr que non. Tu es un des jeunes sorciers les plus doués de ta génération, et selon moi, tu aurais bien mieux à faire. Dès que tu auras fini tes études, tout le monde se battra pour te recruter. Les équipes de Quidditch, Poudlard... Peut-être même les Aurors, qui sait ?

– Très drôle. Mon père m'arracherait la tête si j'osais prononcer ce mot-là devant lui.

– Tu dis ça comme si c'était normal, soupira Vera.

– Je le comprends un peu. Les Aurors sont de puissants sorciers, c'est vrai, mais ils ne font pas le poids face aux Mangemorts... Vous l'avez bien vu, au pensionnat Wimbley : ils se sont fait lamentablement écraser.

– Pas tous.

– Peu importe, coupa Regulus. Les Aurors sont du côté des Moldus. Ils trahissent le peuple des sorciers.

Vera haussa les sourcils, interloquée par cette hargne grandissante.

– Regulus, dit-elle avec amertume. Cela m'inquiète de voir que tu répètes ces idioties avec autant de conviction.

– Oh, je sais ce que vous en pensez, répondit aussitôt Regulus. Mes parents disent que vous aimez bien les Moldus. Ils disent aussi que vous êtes trop naïve.

– Bien sûr, dit Vera en levant les yeux au ciel.

Pendant qu'elle appliquait une dernière couche de pommade sur l'épaule de Regulus, son regard retomba sur les nombreux livres entreposés sur le bureau du jeune garçon. De toute évidence, ils provenaient de la bibliothèque de son père : ils étaient couverts d'enluminures anciennes et d'illustrations qui rendaient gloire à la puissance du peuple sorcier. Et de la même manière, leurs titres ne laissaient aucun doute quant à leur contenu. Le plus visible affichait, écrites en grandes lettres inquiétantes : Avilissement et médiocrité : les véritables dangers de la domination moldue. Tout en haut de la pile, le prochain que Regulus avait l'intention de lire s'intitulait sobrement Créatures inférieures : Pourquoi se révolter contre le fléau qui nous menace.

– Tu as beaucoup lu, ces derniers temps, dit Vera sans prendre la peine de masquer son dépit.

– Il faut bien que je m'occupe, répondit Regulus, toujours sur la défensive. Bellatrix me rend visite de temps en temps, mais le reste de mes journées, je m'ennuie comme un rat mort.

– Et tu penses vraiment que ces livres-là vont t'apprendre la vérité ?

Regulus se tourna vers elle, surpris par la colère qu'il y avait dans sa voix. Habituellement, Vera ne se risquait jamais à hausser la voix, sans doute de peur d'être entendue par Walburga et chassée de la maison.

– Pfff... Oh, parlons d'autre chose, s'il vous plaît, décida Regulus en secouant la tête. Je ne veux pas me disputer avec vous le jour de votre dernière visite.

– C'est pourtant toi qui as abordé la question, fit remarquer Vera.

– C'est vrai. Je n'ai pas réfléchi. Excusez-moi, Mrs Goyle. Je sais bien que ça vous énerve.

Il regarda à nouveau son corps frêle dans le miroir et pinça son biceps du bout des doigts, visiblement contrarié.

– Je devrais peut-être m'entraîner davantage, murmura-t-il pour lui-même.

Vera échangea un regard attristé avec son petit ravluk Albert qui haussa les épaules, résigné.

– Comme tu voudras, capitula-t-elle. Tiens, montre-moi plutôt ta main.

Elle s'assit à côté de lui sur le rebord du lit et le visage de Regulus s'éclaira de nouveau.

– Grâce à vous, c'est de mieux en mieux. Regardez...

Il ouvrit sa main noircie devant lui, les doigts un peu repliés, et toucha ses doigts un par un avec le bout de son pouce. Puis il tendit sa main devant lui, les doigts collés, et les écarta un par un.

– Très bien, dit Vera. C'est parfait. Tu ne trembles presque plus. Essaie un peu comme ça...

Elle lui montra d'autres mouvements, que Regulus imita sans trop de difficultés. Au fur et à mesure que les secondes passaient, son visage se radoucissait.

– Au fait, comment va Daisy ? s’enquit Regulus tout en continuant de remuer les doigts. Son prototype de balai volant avance ?

Vera sourit enfin sincèrement.

– Oh, oui. Elle dit qu’elle ne progresse pas, mais je vois bien que ses modèles miniatures sont de plus en plus performants. Elle fera des merveilles, j'en suis sûre.

En face d'eux, Albert avait sauté sur le bureau. Avec un couinement malicieux, il lança une boulette de parchemin froissé sur Regulus, qui l'attrapa avec agilité.

– Les réflexes sont bons aussi, rit Vera pendant qu'Albert applaudissait avec enthousiasme.

Regulus rit de bon cœur, mais fut aussitôt saisi par une vague de tristesse. Il regarda le parchemin froissé qu'il tenait entre ses doigts, puis le pelage vert et le regard malicieux d'Albert, et enfin le sourire affectueux de Vera Goyle.

– Alors, c'est la fin, soupira-t-il en regardant son bras blessé. Vous ne reviendrez plus.

– Non... hélas. Tu vas garder des cicatrices, mais mes pommades et mes bandages n'y peuvent plus rien.

Cela faisait plusieurs jours que Regulus redoutait ce moment. Vera avait tout fait pour le retarder autant que possible, mais Walburga avait récemment décrété que Regulus n'avait plus besoin de soins.

Ordonnate, soupira Vera à regret.

D'un coup de baguette magique, ses pots et ses fioles retrouvèrent leurs bouchons et leurs couvercles respectifs, et se rangèrent sagement dans sa sacoche compartimentée. Près du miroir, un pot rempli d'onguent violet échappa des mains d'Albert, qui était en train de s'en étaler avec coquetterie sur le visage, et il poussa un petit glapissement de protestation.

– Même vos onguents puants vont me manquer, Mrs Goyle, lui confia Regulus.

Le passage quotidien de Vera et de son ravluk Albert était la seule chose qui égayait ses mornes journées, rythmées par ailleurs par les disputes incessantes de ses parents et les averses qui tombaient inlassablement sur Londres. Pour ne rien arranger, Sirius n'avait toujours pas montré le bout de son nez ; il faisait habituellement escale chez les Potter en rentrant de Poudlard, mais n'y restait jamais plus de quelques jours. Cette fois-ci, son séjour s'éternisait ; Walburga avait essayé de le contacter, mais sans succès, ce qui n'arrangeait rien aux tensions qui étranglaient la maison étroite du 12, square Grimmaurd.

– Combien de fois devrais-je te demander de m’appeler Vera ?

– Au moins une fois de plus, Mrs Goyle, sourit Regulus.

Il avait bien essayé d’obéir, mais ses bonnes manières lui collaient à la peau.

– Ces visites vont me manquer aussi, assura Vera. Si tu savais à quel point la vie est pénible dans notre maison, depuis que Carla a reçu l'ordre de surveiller tous nos faits et gestes... Heureusement que ta mère la terrifie : c'est la seule raison pour laquelle elle me laisse te rendre visite sans le rapporter immédiatement à Voldemort.

– Quand je serai enfin un Mangemort, je pourrai lui demander de vous laisser tranquille, affirma Regulus.

Vera secoua tristement la tête.

– Je doute que cela fonctionne... Mais rassure-toi, je ne t’abandonne pas, poursuivit Vera. Regarde, je t’ai apporté un petit cadeau... Quatre petits cadeaux, en fait.

Regulus la regarda fouiller dans son sac, et pensa avec un pincement au cœur que ses vêtements extravagants allaient lui manquer, tout comme sa spontanéité et son enthousiasme.

– Ah, le voilà, dit Vera en lui tendant un paquet rectangulaire. Mon premier cadeau... Le plus important de tous.

Regulus prit le paquet, enrobé dans un tissu parfumé et multicolore.

– C'est un livre ? demanda-t-il en sentant la tranche sous ses doigts.

– Oui. Mais tu l'ouvriras quand je serai partie, ou bien nous allons encore nous disputer. Tiens, regarde plutôt ceci...

Vera sortit de sa sacoche trois pull-overs à col roulé, gris, vert foncé et noir. Ils étaient en laine, très fins, et semblaient parfaitement à la bonne taille pour Regulus.

– Pour cacher tes cicatrices, précisa Vera en désignant le col roulé.

– Quel animal étrange avez-vous tondu, cette fois-ci ? demanda Regulus en touchant la laine douce et réconfortante.

– C'est un cadeau de mes parents, qui élèvent des chèvres tout à fait fascinantes dans une plaine de Mongolie... Tu verras, ils sont très confortables.

Regulus posa le livre encore emballé sur son lit, et enfila le pull-over qui lui paraissait le plus beau – le vert. Il se recoiffa rapidement, et se contempla à nouveau dans le miroir en pivotant sur lui-même. Le résultat était très plaisant : le pull-over était parfaitement ajusté, et ainsi vêtu, Regulus paraissait moins maigre, mais aussi plus âgé, plus mûr.

– Eh bien... Tu vas faire fureur à Poudlard, à la rentrée, le taquina Vera.

– Ils sont magnifiques, dit Regulus avec beaucoup de reconnaissance.

Albert, sa petite frimousse couverte de pommade violette, déplia ses ailes et alla se poser sur l'épaule de Regulus. Il s'admira lui aussi dans le miroir, en imitant ses poses un peu raides ; Regulus eut un petit rire, et le reposa sur le lit pour l'empêcher de tacher son nouveau vêtement.

– J'espère qu'ils ne viennent pas d'une affreuse boutique moldue, dit une voix glaciale près de la porte.

Depuis quelques secondes, Walburga les observait depuis le seuil de la chambre, et ses yeux lançaient des éclairs de colère et de jalousie. Ni Vera ni Regulus ne furent surpris de la voir faire ainsi irruption dans la chambre : elle était furieuse que Vera passe autant de temps chez elle, et a fortiori dans la chambre de son fils. Dès que Regulus et Vera commençaient à échanger des paroles un peu trop amicales, elle les interrompait sans crier gare, comme si elle les écoutait en permanence.

– Qu'est-ce que ça changerait ? Le tissu est le même.

Walburga fronça le nez avec mépris.

– Si tu crois que je vais laisser mon fils porter un vêtement tricoté par d'infâmes Moldus...

– Ça va, ça va ! C'est un vêtement sorcier, dit Vera avec lassitude, tout en levant les mains en signe d'apaisement.

Walburga plissa les yeux et parcourut des yeux l'ensemble de la chambre, à la recherche d'un détail qu'elle pourrait critiquer, d'un élément sur lequel elle pouvait déverser sa rancœur. Son regard exercé s'arrêta sur Albert, couvert de pigments violets, qui venait de laisser deux empreintes pâteuses sur l'édredon vert émeraude.

– Vera, la présence de cette ignoble bestiole est-elle essentielle aux soins que tu apportes à mon fils ? À ce que je sache, ça n'est pas lui qui applique les antidotes... Du moins je l'espère, grimaça-t-elle.

– Albert est mon assistant le plus efficace, affirma Vera. Il me donne tout ce dont j'ai besoin quand j'ai les mains prises.

– Dans ce cas, aurait-il l'amabilité d'ôter ses pattes répugnantes des édredons que Kreattur s'évertue à maintenir propres ?

Vera sembla hésiter entre la confrontation et la résignation. D'un regard, Regulus la supplia de choisir la deuxième alternative.

– Allons-y, Albert, déclara-t-elle finalement. Partons.

– Oui, cela vaudrait mieux, répondit Walburga.

Vera ferma sa sacoche compartimentée remplie de fioles, et la hissa sur son épaule avec un concert de tintements sonores.

– Je vous raccompagne, proposa Regulus, désireux de retarder l’instant de leur séparation.

– Avec plaisir...

Et ils descendirent les quatre étages en silence, Walburga sur leurs talons.

Au rez-de-chaussée, un bruit répétitif attira leur attention en direction de la fenêtre : un gros hibou au plumage brun frappait du bec contre le carreau.

– J'y vais, dit machinalement Regulus.

Il quitta le vestibule pour s'approcher de la fenêtre, qui émit un grincement sinistre lorsqu'il l'ouvrit. Le hibou qui apportait la lettre semblait effrayé à l'idée de rentrer dans la maison des Black, et se contenta de déposer précipitamment la lettre dans la main de Regulus, avant de repartir aussi sec, sans réclamer la moindre pincée de Miamhibou.

Dans le vestibule, Walburga faisait mine d'observer la scène avec attention, afin d'éviter de parler à Vera.

– Tu as vraiment un fils adorable, murmura Vera pour détendre l’atmosphère.

Walburga la toisa froidement, et haussa ses sourcils parfaitement dessinés.

– Avec un fils comme le tien, je suppose qu’il n’est pas difficile de t’émerveiller, répondit-elle avec détachement.

Vera sentit son cœur battre un peu plus vite, mais le retour de Regulus l’empêcha de répliquer quelque chose.

– C’est pour toi, Maman, dit Regulus en lui présentant l’enveloppe.

Walburga posa son regard méprisant sur l’enveloppe, et soudain, ses traits se détendirent, ses joues retrouvèrent quelques couleurs et Vera crut même apercevoir la naissance d’un sourire.

– C’est Alphard ! s’exclama Walburga avec une voix de petite fille. Je reconnais son écriture !

– Alphard ? Oncle Alphard ? On ne l’a pas vu depuis des années, remarqua Regulus. Il faudrait l’inviter, tu ne crois pas ?

Walburga ne répondit pas, et leur tourna le dos pour lire la lettre de son petit frère.

– Comment va-t-il ? demanda Vera.

– Cela ne te regarde pas, répondit froidement Walburga en déchirant l'enveloppe d'un coup sec.

Vera haussa les épaules, et revêtit sa grande cape de laine bleue en regardant Walburga du coin de l'œil. Cette femme austère l'avait toujours intriguée. À Poudlard, c'était une forte tête qui impressionnait la plupart des élèves, et qui n'hésitait pas à sortir les griffes pour défendre son petit frère, dont certains raillaient parfois l'élocution hésitante, le physique rondouillet et la maladresse excessive. Ah, ceux qui s'en prenaient au petit Alphard Black ne tardaient jamais à voir s'abattre sur eux la fureur de Walburga, et regrettaient rapidement de s'en être moqués... Elle était incroyablement brillante, presque autant que son grand frère Cygnus – certains supposaient même qu'elle l'était plus que lui, mais que leurs parents lui avaient demandé de ne pas le surpasser.

Elle avait été jolie, dans sa jeunesse, avec ses yeux gris, ses cheveux noirs et bouclés, son port de tête altier. Elle avait eu un certain nombre d'admirateurs, même si, à l'époque, la majorité des garçons de Poudlard n'avaient d'yeux que pour la chevelure blonde et les ravissants yeux bleus de Druella Rosier...

Tout en nouant le cordon de sa cape autour de son cou, Vera détailla la robe de dentelle noire de Walburga, ses longs bras osseux, ses gestes secs pour retirer la lettre de son enveloppe, son chignon serré posé sur le sommet de sa tête, sa taille de guêpe ; et avec un pincement au cœur, Vera ne put s'empêcher de penser qu'elle aurait pu être différente, si elle s'était rebellée contre ses parents qui l'avaient mariée de force à cet imbécile d'Orion, si elle n'avait pas décidé de se vouer corps et âme à la noble famille Black...

Et soudain, alors que Walburga lisait les premières lignes de la lettre, son visage pâlit encore davantage et ses mains se mirent à trembler.

– Maman ? appela Regulus. Tout va bien ?

Walburga ne répondit pas. Ses yeux sautaient d'une ligne à l'autre à une vitesse stupéfiante, et s'exorbitaient au fur et à mesure de sa lecture. Ses mains tremblaient tellement que la lettre de son frère était sur le point de se déchirer...

 

Ma chère sœur,

Je crois savoir que tu es à la recherche de ton fils Sirius ; et c'est à moi que revient la douloureuse tâche de t'annoncer qu'il ne te reviendra pas.

Il m'a rendu visite il y a quelques jours, et m'a averti qu'il ne comptait pas vous revoir. Il n'a pas voulu expliquer la raison de ce départ, mais il semblait extrêmement contrarié. Je crois deviner que votre attitude envers les Moldus y est pour quelque chose ; et tu sais déjà à quel point je désapprouve ce comportement, qui ne ressemble en rien à la sœur courageuse et protectrice que j'ai connue.

Avant que tu ne déchires cette lettre, sache que j'ai tout fait pour le convaincre de revenir sur sa décision, de t'en parler, ou du moins de te l'annoncer lui-même. Mais il est aussi têtu que toi, et je n'ai rien pu en tirer. Malgré tout, je lui ai donné un peu d'argent pour qu’il ne se retrouve pas sans ressources, et je compte bien, à l'avenir, subvenir à ses besoins.

Je sais d'avance que tu m'en voudras. Peut-être même qu'après cela, tu ne m'adresseras plus jamais la parole. Et cela m'attriste d'autant plus que c'est une décision insensée.

Je t'embrasse, ma chère sœur, et je te remercie encore une fois pour tout ce que tu as fait pour moi. Quelle que soit ta décision, saches que si un jour tu as besoin d'aide, je serai là.

 

Avec toute mon affection,

Alphard.

 

Au début, Walburga ne fit que remuer ses lèvres silencieusement ; puis elle murmura des paroles indistinctes, dans lesquelles Regulus crut entendre des insultes.

– Maman ?

Walburga sursauta : elle semblait avoir oublié leur présence depuis plusieurs minutes. Elle s'adossa au mur, tremblante, et froissa la lettre dans son poing, toujours muette, avec un regard d'animal piégé.

– Qu'est-ce qu'il y a ? insista Regulus. Qu'est-ce qu'il dit ?

La sonnette de la porte d'entrée retentit, empêchant Walburga de répondre. Elle se tourna vers la porte, en alerte, la lettre serrée dans son poing ; et sans crier gare, elle jeta la lettre, qui tomba sur le sol avec un bruit léger, et se rua sur la poignée pour ouvrir la première.

La porte s'ouvrit sur un petit homme rondouillet, coiffé d'un chapeau pointu, qui affichait un sourire jovial et portait sur son épaule un chevalet et un sac de petites fioles remplies de peinture.

– Bonjour bonjour ! dit le peintre avec entrain.

Regulus ramassa la lettre de son oncle Alphard et la défroissa soigneusement. Dès qu'il eut lu les premières lignes, il devint aussi blême que sa mère, et s'approcha de Vera en s'appuyant sur le mur.

– C'est Sirius, lui souffla-t-il, l'air affolé. Il... Il ne veut plus jamais revenir ici.

Vera pâlit à son tour, et ils se tournèrent tous les deux vers la porte d'entrée. Le peintre souriait toujours ; Walburga leur tournait le dos, mais ils pouvaient voir ses épaules minces se soulever et s'abaisser à toute vitesse.

– Ah, Mrs Black, vous tombez bien, dit le peintre avec enthousiasme. C'est vous que je venais voir ! Mais si, rappelez-vous, vous m'aviez commandé un portrait, il y a quelques semaines, pour le mettre dans votre entrée... Je viens pour esquisser les premiers traits ! Êtes-vous disponible pour une petite séance de pose ?

– Oh, là là, gémit Vera.

Le peintre entra en sifflotant, et Albert se cacha derrière la nuque de Vera pour ne pas assister au massacre. Dans les portraits du hall d'entrée, personne n'osait prononcer le moindre mot.

– Une séance de pose, répéta Walburga.

Le peintre émit un petit gloussement et accrocha une immense toile sur le mur de l'entrée, à l'endroit destiné à accueillir le portrait de Walburga.

– Exactement ! C'est charmant, n'est-ce pas ? Alors, où pouvons-nous nous installer ? Dans votre salon, peut-être ?

Walburga cligna des yeux. Sa main se crispa autour de la poignée d'argent, sculptée en forme de tête de serpent, et elle claqua la porte avec brusquerie.

VLAN !

Le peintre sursauta. Son sourire se figea, mais pour réapparaître aussitôt.

– Doucement, chère madame, vous...

– SILENCE !

Dans l'entrée, la lumière blafarde diffusée par les lampes à gaz vacilla un peu.

– Espèce de misérable ! cria Walburga. Comment osez-vous vous présenter devant moi aujourd'hui ? On vient de m'apprendre que mon fils, mon fils aîné, à qui je me suis évertuée à donner une bonne éducation... Oui, lui, vient de me trahir ! De me renier ! Au profit d'affreux traîtres à leur sang, de gobe-fange de la pire espèce...

Tout en vociférant, Walburga s'approchait du peintre, et se dressait de toute sa hauteur au-dessus-de lui.

– Et par-dessus le marché, aidé par mon propre frère, mon petit frère que j'ai protégé, défendu, gardé sous mon aile depuis qu'il est né ! Voilà comment il me témoigne sa reconnaissance ! Et vous, abominable avorton, freluquet putréfié, pouilleux déguenillé, avez l'audace de vous présenter devant ma porte...

– Mais, Mrs Black, c'est vous-même qui...

– TAISEZ-VOUS ! PLUS UN MOT !

– Allez, Wal... Il ne pouvait pas savoir...

Vera essaya de la retenir en lui prenant le bras, mais Walburga la repoussa brutalement, et sa colère se fit encore plus violente. D'un geste vif, elle saisit la sacoche du peintre, remplie de petits pots de peinture, lui arracha des mains, la fit voler au-dessus de sa tête et la fracassa sur la toile vide accrochée au mur. On entendit un tintamarre de verre brisé, et la toile se couvrit d'éclaboussures colorées.

– Non ! gémit le peintre.

– Tenez ! cria Walburga. Regardez ce que j'en fais, de votre maudite peinture !

La sacoche tomba sur le sol avec un bruit misérable, et des gouttes de peinture dégoulinèrent le long de la toile. Le peintre se précipita sur sa sacoche, afin de récupérer les dernières fioles de peinture qui n'avaient pas été brisées. Il en extirpa un petit pot rose, plus épais que les autres.

– Oh ! Que Merlin soit loué, mon rose de Crimée est intact...

La réaction de Walburga fut immédiate. D'un coup de baguette, elle pulvérisa le pot de peinture rose, éclaboussa sa robe et le visage du peintre, qui en fut tellement sidéré qu'il ne réagit pas, et resta, pantois, à regarder les éclats de verre qui se trouvaient au creux de sa main.

– Vous êtes tous pareils, rugit Walburga. Des lèche-bouse ! Des vautre-en-bourbe !

– Wal ! protesta Vera.

– ARRÊTE AVEC CE SURNOM IDIOT ! hurla Walburga. ET DÉBARASSEZ TOUS LE PLANCHER ! JE NE VEUX PLUS VOUS VOIR !

Elle bouscula le peintre, qui tomba dans une flaque de peinture, et marcha droit vers l'escalier qui menait aux étages supérieurs. On l'entendit monter les marches quatre à quatre, une porte claqua violemment, puis le calme revint.

Le peintre, hébété et couvert de peinture, regardait ses mains avec obstination, comme s'il s'attendait à ce que ses précieux pots de peinture y réapparaissent.

– Mon rose... Mon rose de Crimée... Comment vais-je peindre des visages, maintenant ? Et ces peintures magiques, spéciales pour les portraits animés... Si vous saviez combien elles m’ont coûté... Mes économies, en mille morceaux...

Vera, sans écouter les jérémiades du peintre, se planta face à la toile éclaboussée de peinture, les mains sur les hanches. Les couleurs avaient dégouliné le long de la toile, s'étaient mêlées entre elles pour produire des dizaines de nuances différentes, et quelques morceaux de verre étaient restés collés à la toile, formant un étrange assemblage de reflets et de lumières multicolores.

– En tout cas, on ne peut pas lui retirer un certain sens artistique, commenta Vera.

Elle recula d’un pas pour mieux examiner la toile.

– Puis-je vous l’acheter ?

Le peintre cessa de regarder ses mains et se redressa, effaré.

– Me… Me l’acheter ?

– Eh bien oui, vous l’acheter, répéta Vera. Je trouve les portraits passablement ennuyeux, et vous autres peintres sorciers manquez dramatiquement d’imagination. En revanche, cette toile me paraît tout à fait intéressante, figurez-vous. Je la trouve… moderne.

Comme le peintre ne répondait pas, Vera sortit quelques gallions de sa poche et lui fourra dans la main.

– Voilà de quoi racheter des pigments… Et n’hésitez pas à passer par chez moi, mes petits animaux vous fourniront des couleurs tout à fait intéressantes. Mes Dopsidons, par exemple, ont une toison turquoise au niveau du postérieur qui ferait pâlir d’envie vos fabricants de couleurs magiques... Ma maison est facile à trouver, c'est celle qui domine la Colline d'Émeraude : mes voisins vous indiqueront le chemin ! Allez, mon bon ami, rentrez chez vous, prenez un petit remontant, et tout ira mieux !

Tout en parlant, elle le mena jusqu'à la porte, le fit sortir, et referma la porte derrière lui. Alors seulement, Regulus réalisa qu'il avait cessé de respirer depuis beaucoup trop longtemps. Il aspira de longues goulées d'air tiède, et essuya la sueur qui perlait sur son front. Il avait beaucoup de mal à réaliser ce qui se passait. Sirius ne reviendrait pas. Il se répéta la phrase plusieurs fois, sans parvenir à mesurer tout ce que cela impliquait.

Près de la porte, Vera se tourna vers lui, soudain très lasse.

– Mrs Goyle... commença Regulus.

La dernière fois que Regulus avait vu son frère, c'était dans la clairière enflammée du pensionnat Wimbley. Les souvenirs du combat affluaient dans son esprit, désordonnés, saccadés, mais terriblement intenses. Les braises brûlantes qui volaient dans le vent, l'expression furieuse et blessée de Sirius, le goût de sang dans sa bouche quand il l'avait frappé au visage, et toutes les horreurs qu'ils s'étaient dites...

– Je crois que c'est ma faute, bredouilla Regulus. Au pensionnat Wimbley... Je ne vous l'ai pas dit, mais Sirius était là... Nous nous sommes battus... Et il m'a dit... Il m'a crié qu'il ne voulait plus me voir, qu'il ne voulait plus revenir ici...

En entendant cela, Vera eut l'air encore plus accablé. Elle s'approcha de lui et posa une main réconfortante sur son bras.

– Tu n'as que quinze ans, Regulus, rappela-t-elle d'une voix douce. Tu ne peux pas – tu ne dois pas – porter toutes ces responsabilités sur tes épaules.

En disant cela, elle désigna d'un geste l'ensemble de la maison.

– Tes parents ont placé trop de choses entre tes mains, bien trop de choses. Tu n'aurais jamais dû te retrouver là-bas. Et je suis certaine que tu n'en avais pas la moindre envie.

Regulus haussa les épaules, gêné. Pendant la bataille, bien sûr, il avait été terrifié. Mais juste avant, il mourait d'envie de briller, de gagner un duel contre un Auror... Et quand les dragons avaient brisé le dôme, il avait été réellement émerveillé, et non catastrophé...

– Tu sais... Je crois que ça te ferait du bien, à toi aussi, de prendre un peu l'air. Je veux dire, de t'éloigner un peu d'ici. Tu ne crois pas ?

Regulus ne comprit pas tout de suite ce que Vera lui proposait.

– Cela fait longtemps que je pense à te le proposer, mais je n'en ai jamais trouvé l'occasion. Je ne veux pas que tu te sentes obligé... Mais nous serions ravis de t'accueillir quelque temps chez nous, si tu le souhaites. Bon, notre maison est un peu désordonnée, et nous prenons nos repas à des horaires assez inhabituels... Mais tu pourrais te reposer, te promener dans le jardin...

Regulus écarquilla les yeux. C'était une proposition involontairement cruelle, car terriblement tentante, mais absolument inenvisageable. Bien sûr, Regulus aurait tout donné pour passer quelques jours en compagnie des Goyle, sans entendre ses parents s'échanger des injures, sans manquer de se couper le pied sur des débris d'assiettes en entrant dans la cuisine, loin de cette moiteur étouffante... Mais imaginer la réaction de sa mère à cette proposition lui faisait dresser ses cheveux sur la tête.

– Ta mère comprendra, Regulus, insista Vera, comme si elle avait lu dans ses pensées. Elle sait que tu as besoin de repos, après tout ce que tu as traversé. Et je crois que tu as besoin de prendre un peu de recul sur ce qu'il s'est passé... Et surtout, sur ce que tu envisages pour ton avenir.

Posé sur l'épaule de Vera, Albert inclina la tête et regarda Regulus avec une expression attendrissante, très convaincante.

– Même Albert est d'accord avec moi, dit Vera en grattouillant affectueusement le petit ravluk sur le sommet de sa tête. Et pourtant, il n'aime pas beaucoup les invités.

Alors que Regulus était sur le point de céder, il entendit un crépitement à l'étage, puis un deuxième. En comprenant ce qu'il se passait, Regulus devint encore plus pâle qu’il ne l’était déjà.

– Oh non... La tapisserie, gémit-il.

Et il se précipita vers l'escalier pour monter à l'étage. Au bout de quelques marches, il s'interrompit et se retourna vers Vera.

– Je suis désolé, Mrs Goyle, dit-il avec sincérité. Mais... Vous le voyez bien, c'est déjà assez compliqué comme ça. Alors... S'il vous plaît... Il vaudrait mieux que vous partiez.

Et il disparut dans les escaliers, laissant Vera seule dans le vestibule.

Les épaules de cette dernière s'affaissèrent, et elle poussa un long soupir. Autour d'elle, les portraits, jusqu'ici pétrifiés par la fureur de Walburga, s'étaient remis en mouvement et chuchotaient entre eux en la regardant de travers.

– Qui est cette femme ?

– Je ne sais pas, mais elle ne doit pas être très fréquentable...

– Oui, c'est évident ! Vous avez vu ses collants rouges ? C'est d'une indécence...

– Une fille de mauvaise vie, c'est certain !

– Et elle a essayé de dépraver notre arrière-arrière-arrière-arrière-petit-fils !

– Heureusement qu'il l'a chassée, nous ne la reverrons pas de sitôt !

Albert leur jeta un regard furieux, et poussa des grognements menaçants dans leur direction, mais sans efficacité.

– Allons-y, Albert, soupira Vera.

Elle décrocha la toile colorée du mur, empoigna fermement le cadre doré et transplana vers la Colline d'Émeraude, laissant le vestibule gris et morne du 12, square Grimmaurd se remplir d'exclamations indignées.

 

Au premier étage, en entrant dans le salon, Regulus faillit percuter sa mère, qui sortait en trombe.

– Maman ! s'écria Regulus en essayant de l'arrêter.

Mais Walburga ne sembla même pas le remarquer et continua de monter les escaliers d'un pas vif, vers le dernier étage, où Regulus la vit disparaître dans un tourbillon de dentelle noire.

Dans le salon, la tapisserie avait été brûlée à deux endroits : au niveau du nom de Sirius, juste à côté de celui de Regulus ; et au niveau de celui d'Alphard, à côté de celui de Walburga. Leurs noms avaient disparu, mangés par deux cratères de fils calcinés.

Et face au spectacle, assis sur un fauteuil moelleux, plongé dans La Gazette du Sorcier, Cygnus Black lisait tranquillement. Il n'avait absolument rien remarqué.

– Oncle Cygnus ! s'indigna Regulus.

Celui-ci ne leva même pas la tête. Il continuait à lire avidement les articles sur les mises en gardes vis-à-vis des Mangemorts, tout en murmurant pour lui-même :

– Ils vont me rappeler, c'est certain... Le Magenmagot ne s'en sort pas... Ils vont me réclamer à nouveau, c'est inévitable, il leur faut quelqu'un de compétent...

– Oncle Cygnus ! répéta Regulus, excédé.

Cygnus Black leva la tête, et regarda Regulus par-dessus ses lunettes, l'air sincèrement surpris.

– Ah ! Regulus, tu m'as fait peur... Eh bien qu'y a-t-il ? Quelque chose ne va pas ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette...

Cygnus Black ne semblait jamais se soucier de ce qu'il se passait dans la maison. Le matin, il se préparait soigneusement, toujours tiré à quatre épingles, comme lorsqu'il travaillait encore au Magenmagot ; seulement, il ne quittait jamais la maison, et passait ses journées assis sur le fauteuil du salon, à lire La Gazette du Sorcier comme si sa vie en dépendait.

Regulus regarda la tapisserie encore fumante. Était-ce seulement possible qu'il n'ait pas remarqué le passage de sa sœur en furie, à quelques mètres de lui ?

– Laissez tomber, répondit Regulus avec lassitude.

Il fit demi-tour et Cygnus Black se replongea dans son journal sans jeter un regard à la tapisserie. Regulus monta les escaliers en colimaçon jusqu'au dernier étage. Là, se trouvaient trois immenses chambres : la sienne, celle qui avait été celle de Sirius, et enfin la chambre de ses parents, d'où provenait un grand bruit de remue-ménage. Regulus s'approcha discrètement de la porte entrebâillée, et vit sa mère arracher nerveusement du mur toutes les photos de Sirius. Avec des gestes secs et pleins de détresse, elle décrochait, déchirait, retirait des cadres, effaçait toute trace du visage insolent de Sirius. Elle accumulait les photos dans ses mains, en les serrant contre elle ; puis, quand elle eut terminé, elle s'assit sur son lit, livide, et contempla les traces claires qu'avaient laissées les photos accrochées au mur. Elle resta plusieurs minutes ainsi, puis, d'un geste précipité, presque affolé, elle glissa toutes les photos sous son matelas.

Regulus serra les dents, et se détourna. Bien sûr, il devait s'y attendre...

Cela faisait longtemps que Regulus avait compris. Il était encore petit lorsqu'il avait lu dans le comportement de sa mère tout autre chose que de la haine et de la jalousie. Il y avait plutôt lu un désir, un rêve désespéré : celui d’être libre, enfin. Un rêve qui restait tenace, malgré les dizaines d’années au cours desquelles Walburga avait tenté de le faire disparaître en demeurant dans le même lieu pour y dormir, y manger, pour y marteler des phrases afin de mieux se persuader elle-même et répéter les mêmes gestes méthodiques, tout le jour durant. Elle avait dressé, entre elle et ses propres désirs, un mur insurmontable de gestes secs et de méchanceté intangible, et seul Regulus parvenait, parfois, à voir furtivement au travers, et à comprendre la signification de ces regards nerveux qui glissaient vers les vêtements colorés de Vera Goyle, de ces remarques sifflantes dont elle accablait Sirius, et de ces spasmes de dégoût lorsque son mari se tenait à côté d'elle.

– La maîtresse est de nouveau furieuse, croassa une voix derrière Regulus. Ah, comme Kreattur est malheureux...

Regulus se retourna vivement, de peur d'être surpris en train d'observer sa mère ; mais Kreattur n'était pas visible. En se penchant discrètement par-dessus la rampe d'escalier, Regulus aperçut la silhouette courbée de son elfe de maison en train d'astiquer les têtes réduites de ses ancêtres clouées dans la cage d'escalier. Il parlait tout bas, s'adressant à lui-même, comme il en avait l'habitude lorsque quelque chose le tracassait.

– Kreattur aimerait faire quelque chose pour sa maîtresse, mais avec ce garnement qui ne pense qu'à lui faire du mal... Maintenant, il est parti pour de bon, il ne reste plus que M. Regulus...

Regulus sentit son cœur se serrer.

– Oh oui, heureusement que M. Regulus est là, continuait de croasser l'elfe à voix basse. Si noble, si sage... Kreattur sait que le maître se prépare à devenir un Mangemort... Ses parents vont être si fiers de lui, et cela les fera bien vite oublier l'ingratitude de ce sacripant... Seize ans, oui, c'est ce qu'a dit le Seigneur des Ténèbres... Comme M. Regulus doit être impatient de pouvoir se consacrer à cette honorable mission...

Regulus déglutit avec difficulté et se détourna de la cage d'escalier. Avec l'impression que ses membres pesaient plusieurs tonnes, il traversa à nouveau le palier, le plus silencieusement possible, et franchit la porte de sa chambre, sur laquelle figurait un écriteau frappé d'une écriture maladroite :

 

Défense d’entrer

sans l’autorisation expresse

de Regulus Arcturus Black

 

Quand il entra, la chambre de Regulus lui parut plus vide que jamais. Il s’en rendait compte maintenant, il avait construit sa vie entière en contrepied de celle de Sirius, et maintenant que celui-ci avait disparu, il avait l'impression d'être la moitié d'une échelle qu'on aurait sciée en deux : privé de tout équilibre et de toute utilité, comme cet écriteau qui, en l'absence de son rival de toujours, n'avait plus de raison d'être.

Il ouvrit un tiroir de son bureau et en extirpa la seule photo qu'il possédait de son frère. On les y voyait tous les deux, côte à côte, lors d'une de ces séances photos obligatoires que Sirius détestait tant. Sirius devait y avoir sept ans, et Regulus, six ; Sirius était déjà beau, et Regulus grimaçait parce que son frère était en train de lui écraser le pied.

Regulus se pencha doucement vers la photo, comme s'il pouvait s'adresser directement à Sirius.

– Vraiment tu es... Espèce d'imbécile, murmura Regulus avec colère. Tu crois que je suis le préféré, hein ? Tu en es tellement persuadé... Tu ne te doutes pas que tu es le seul sujet de conversation de cette maison...

Il se sentit soudain terriblement oppressé par les tapisseries de sa chambre. Il se leva, se jeta sur son lit, ferma d'un coup sec les rideaux de velours vert de son lit à baldaquin afin de ne plus rien voir d'autre, et s'allongea sur le dos.

À côté de lui, il trouva le livre que Vera Goyle lui avait offert et le débarrassa d'un coup sec de son emballage parfumé. Le livre n'avait rien à voir avec les ouvrages obscurs que Regulus avait empilé sur son bureau : c'était un livre à la couverture étrangement souple, dépourvu de runes ou de tout autre dessin inquiétant.

– Éloge de l'humilité, lut Regulus, intrigué.

Il ouvrit le livre, pensant y trouver du réconfort ; mais dès les premières pages, il comprit qu'il s'agissait d'un de ces maudits ouvrages qui prônaient l'égalité et le mélange des sorciers et des Moldus.

Regulus secoua la tête, referma le livre d'un coup sec et reprit la photo de Sirius et lui. Dans la semi-obscurité, on ne distinguait que deux visages d'enfants, presque identiques.

– Tu sais ce qui me rend le plus dingue ? murmura Regulus, s'adressant à la photo de Sirius. C'est le fait que, malgré tout ce que tu nous as fait, et malgré tous ces mots ignobles que tu nous as dits, Maman arrive encore à t'aimer. Elle ne se l'avouera jamais, bien sûr... Mais de voir qu'elle se rend malade pour toi, qui depuis le début, ne rêve que de nous quitter... Oh, je ne sais pas pourquoi je m'étonne, ça a toujours été comme ça ! Tu sais, Sirius, elle a toujours voulu être libre, comme toi ; c'est pour ça qu'elle te grondait autant !

Et, pris d'un soudain accès de colère, il froissa la photo dans son poing et l'envoya valser dans l'obscurité.


Laisser un commentaire ?