Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 21 : Les Maraudeurs

8598 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/07/2023 21:43

Les Maraudeurs



Depuis l'endroit où il prenait son petit-déjeuner, Remus regarda James entrer dans la Grande Salle avec un mélange de soulagement et d'agacement. Visiblement, les récents évènements n'avaient pas été suffisants pour bousculer ses habitudes : malgré les circonstances tragiques, son ami avait tout de même pris la peine d'ébouriffer soigneusement ses cheveux noirs, afin de se donner l'air encore plus séduisant qu'il ne l'était déjà. Il marchait d'un pas délibérément nonchalant, et son écharpe rouge et or était enroulée autour de son cou avec une négligence parfaitement maîtrisée.

Cette démarche coquette était tout à fait habituelle, bien sûr, mais elle n'en discordait pas moins avec l'atmosphère chagrinée qui régnait à Poudlard. À vrai dire, on y avait rarement vu un Noël aussi sinistre ; même les décorations suspendues à l'immense sapin de Noël semblaient avoir envie de disparaître.

Mais trois jours après le drame du pensionnat Wimbley, James n'y prêta strictement aucune attention. Il repéra immédiatement la table où Sirius, Remus et Peter étaient assis, et marcha droit vers eux.

Tous les trois affichaient une tête d'enterrement. Remus paraissait encore plus pâle et fatigué que d'ordinaire, et Peter regardait autour de lui comme si des Mangemorts étaient susceptibles de faire irruption dans la Grande Salle à tout moment. Cependant, Sirius était sans aucun doute le plus abattu de tous : ses beaux cheveux bruns et bouclés pendaient devant ses yeux sans qu'il prenne la peine de les balayer avec nonchalance, et il contemplait le toast beurré que Remus avait posé dans son assiette comme s'il s'agissait d'un morceau de cadavre. Il ne semblait même plus d'humeur à semer le trouble, ce qui était un signe de gravité majeur.

James interrogea Remus du regard, et d'un geste discret, celui-ci désigna Dumbledore, qui était en train de sortir de la Grande Salle et affichait un air préoccupé. En effet, Sirius avait été libéré de l'infirmerie à peine quelques heures plus tôt, et à cette occasion, Dumbledore l'avait accablé de remontrances pour avoir eu l'inconscience de revenir sur ses pas vers la bataille qui faisait rage, abandonnant ainsi ses amis et les quelques enfants qui avaient reçu la consigne de rester avec eux. Sirius avait écouté Dumbledore, les yeux dans le vague, les poings serrés, la mâchoire crispée, en donnant de temps en temps de petits signes d'assentiment, mais refusant catégoriquement d'expliquer son geste ou de raconter ce qu'il avait vu sur le champ de bataille.

– Hé, les amis ! lança James d'une voix tonitruante, afin de détendre l'atmosphère.

Remus et Peter le regardèrent, dépités ; et Sirius leva les yeux sans bouger d'un pouce, afin de l'observer à travers les mèches de cheveux bouclés qui tombaient sur son front.

Devant cette absence de réaction, James consentit à tempérer son enthousiasme, et s'assit à côté de Peter, en face de Remus.

– Je viens de recevoir un hibou de mes parents, dit James, un peu plus bas. Ils nous proposent de passer le reste des vacances à la maison. Je pense que ça nous changerait les idées. Ça vous dirait ?

– Euh... Ce n'est pas dangereux ? s'inquiéta aussitôt Peter, cherchant du regard le soutien de Remus.

James se tourna vers lui, furieux.

– Tu vois bien que tous les endroits sont dangereux, maintenant.

– Pas Poudlard, répliqua craintivement Peter.

– Eh bien, reste ici si ça te chante, répondit sèchement James. Lunard ? Patmol ?

Remus réfléchit un instant. Il regarda soigneusement autour d'eux, et se pencha en avant pour donner sa réponse à voix basse.

– La pleine lune était la semaine dernière, dit-il. Je veux bien venir.

Peter, Remus et James se tournèrent vers Sirius, qui se contenta de hocher imperceptiblement la tête en signe d'assentiment.

Après le petit-déjeuner, Remus, Peter et James firent leurs valises en un clin d'œil, puis collaborèrent pour faire celle de Sirius, qui resta assis sur son lit, le regard fixe, immobile comme une statue de cire. Ils se rendirent ensuite dans le bureau du Professeur McGonagall, qui accepta de les faire transplaner depuis Pré-au-Lard en fin d'après-midi, afin qu'ils voyagent en toute sécurité. Remus eut tout juste le temps d'acheter des chocolats de Noël chez Honeydukes avant qu'ils ne se retrouvent tous les quatre devant le portail des Potter.

La maison de James se trouvait au sommet d'une petite colline, et était « ni trop grande, ni trop petite, juste comme il faut », comme le disait si bien Euphemia Potter, la mère de James. C'était une maison de pierre confortable, sans prétention, avec une grande cheminée et des fenêtres encadrées de rideaux rouge et or. Quand James, Sirius, Remus et Peter franchirent le portail, ils virent les silhouettes des parents de James s'activer dans le salon. La maison était encore plus gaie qu'à l'ordinaire en raison des décorations lumineuses qui recouvraient chaque centimètre carré du jardin. Contrairement à celles qui se trouvaient à Poudlard, ces décorations ne paraissaient pas inappropriées : chez les Potter, l'humeur était toujours au beau fixe, quoiqu'il arrive.

Malgré tout, la vision de cette maison si chaleureuse ne fut pas suffisante pour redonner le sourire à Sirius. Il traversa le jardin sans un mot, à la suite de ses amis, et eut un pincement au cœur quand Euphemia et Fleamont Potter ouvrirent la porte d'entrée, s'exclamant d'une même voix :

– Les garçons ! Vous voilà !

Tous les quatre entrèrent, les joues rosies par le froid. Un grand feu réconfortant brûlait dans la cheminée de pierre, et éclairait d'une lueur dansante les vieux fauteuils et les innombrables photos de James accrochées sur chaque surface disponible. Dans le four, une énorme pièce de volaille émettait un grésillement prometteur et répandait une odeur alléchante dans toute la maison.

– Alors, le transplanage n'a pas été trop désagréable ? demanda Euphemia en aidant Remus à retirer son manteau. Allez, enlevez tout ça, et venez vous installer au coin du feu, vous devez être frigorifiés...

– Et prenez une tasse de chocolat chaud ! Je l'ai fait à l'instant, vous m'en direz des nouvelles, dit Fleamont Potter en soulevant le couvercle d'un chaudron en cuivre, dévoilant un liquide fumant et appétissant.

La ressemblance entre James et son père était presque insolente, à tel point qu'on pouvait légitimement se demander s'il ne s'agissait pas de la même personne qui aurait utilisé un Retourneur de Temps. Les seules différences notables entre le père et son fils étaient les cheveux gris qui parsemaient la tignasse noire de Fleamont, ses traits plus marqués et la grosse moustache que celui-ci entretenait au-dessus de sa lèvre supérieure.

Euphemia, elle, avait des yeux bruns, des joues rondes et un visage très doux qui donnait envie de se réfugier dans ses bras.

– Pour vous remercier de votre invitation, dit Remus en tendant la boîte dorée à Euphemia Potter.

– Oh ! Merci, Remus, c'est adorable, se réjouit Euphemia en posant la boîte de chocolats sur le comptoir de la cuisine, derrière elle.

James eut un ricanement moqueur, se faufila jusqu'au comptoir, déchira d'un coup sec l'emballage du paquet d'étoiles en chocolat et en engloutit une pleine poignée.

– James ! le gronda Euphemia.

– Merchi, Rémuche, ch'est adorable, lui lança James, la bouche engluée par le chocolat fondu.

Il se tourna vers Sirius, pour voir si sa plaisanterie lui avait arraché un sourire, mais celui-ci avait disparu dans le petit escalier qui menait à la chambre de James. Il fit donc un signe discret à Remus et Peter, et s'éclipsa discrètement.

Quand il entra dans sa chambre, dont les murs étaient couverts de posters à l'effigie de Gryffondor, Sirius était assis sur l'un des deux lits jumeaux qui se trouvaient dans la chambre, les genoux repliés contre sa poitrine, buté. James se laissa tomber de tout son poids à côté de lui, et s'appuya sur son coude pour le regarder.

– Eh ben, cache ta joie, dit James. C'est à cause de ton petit frère que tu fais une tête d'enterrement depuis trois jours ?

Sirius haussa les épaules.

– En partie, oui...

Sirius desserra légèrement l'étreinte de ses bras autour de ses jambes, et ses épaules s'affaissèrent. Depuis l'incendie du Pensionnat Wimbley, une seule image régnait nuit et jour dans son esprit : celle de son petit frère encagoulé, piétinant impitoyablement les restes calcinés du jardin du pensionnat aux côtés d'hommes que Sirius avait toujours rêvé de vaincre... Cette voix si semblable à la sienne qui lui crachait des horreurs à la figure, cette main livide qui le menaçait de sa baguette, ce visage si familier et pourtant tellement hostile, incompréhensible, étranger...

– Ça me donne le cafard, murmura-t-il. Je savais qu'il adhérait aux idées stupides de mes parents, mais de là à penser qu'il avait rejoint les rangs des Mangemorts... Je ne le croyais pas aussi naïf.

– Oh, allez, c'est un idiot, dit James, agacé. Ça n'est pas pour rien qu'il traîne tout le temps avec Servilus ! Ce sont deux tordus, voilà tout ! N'y penses plus, proposa-t-il.

– Comme si c'était facile ! Tu te rends compte que j'ai grandi avec une... Une raclure comme lui ! Nos chambres étaient voisines, James, nous avons dormi l'un à côté de l'autre pendant toutes ces années... Si j'avais su...

Sirius était en colère, à présent.

– Et Bellatrix, alors ! Tu aurais vu son regard, elle est devenue complètement cinglée... Je suis sûre que c'est elle qui lui a retourné le cerveau ! Quand je pense qu'elle dort dans sa chambre que Regulus, dans son lit ! Non, franchement... Il doit penser que la magie noire l'aidera à ne plus se comporter comme une poule mouillée... Et mes parents qui lui ont demandé ça... Cet idiot a toujours fait tout ce qu'ils voulaient, comme un bon toutou, sans jamais se poser de question...

James lui posa une main sur l'épaule, et le secoua un peu, mais Sirius se dégagea, renfrogné.

– Et dire que je t'ai demandé de ne pas trop l'embêter, soupira Sirius.

– Et quand je pense que j'ai obéi, pendant toutes ces années, renchérit James avec une pointe de regret dans la voix.

Sirius serra les poings, furieux. James avait raison, il n'aurait jamais dû lui demander ça... Il aurait dû le laisser tourmenter son frère, aussi cruellement qu'ils avaient tourmenté Severus. Après ce qu'il avait fait, Regulus ne méritait certainement pas d'avoir été gracié de la sorte.

– Tu sais...

Sirius s'extirpa de ses sombres pensées et se tourna vers James. Son ami semblait impatient de lui parler de quelque chose, tout en se demandant comment aborder le sujet.

– Tu... Tu pourrais dire adieu à cette famille-là, dit James. Je te l'ai déjà proposé en plaisantant, mais c'était sérieux. Si tu venais vivre ici, tu serais accueilli à bras ouverts.

Sirius secoua la tête, renversant ses cheveux bouclés vers l'arrière, et poussa un long soupir.

– Franchement, James... Ça n'est pas si simple.

– Allez, Patmol...

Gentiment, James le bouscula du coude.

– Regarde ce lit, dit-il en désignant le deuxième lit jumeau.

Sirius tourna la tête. Il avait toujours connu ce lit, la douceur de ses draps un peu défraîchis, son énorme oreiller de plumes couverts de motifs colorés, son parfum légèrement humide. Il était déjà là lors de sa première venue, et c'était dans ce lit qu'il avait toujours dormi, lorsqu'il venait chez les Potter.

– Ma mère l'a fait déplacer dans ma chambre juste avant que tu viennes ici pour la première fois, dit James. Elle savait que tu étais mon meilleur ami, et elle voulait que tu te sentes bien ici... Que tu te sentes chez toi, en fait.

Sirius sentit sa gorge se serrer. Pourquoi sa mère ne pouvait-elle pas être comme celle de James ? Pourquoi fallait-il que tout soit si compliqué dans sa famille, alors que tout pouvait être si simple ?

– Si tu venais vivre ici, ma mère serait sans doute encore plus heureuse que moi, poursuivit James. Quand je rentre ici sans toi, elle me gronde d'abord pour mes retenues, et ensuite pour ne pas t'avoir invité.

– Ta mère ne te gronde jamais, James, répondit Sirius, de nouveau acerbe. En fait, je ne crois pas que tu saches vraiment ce que signifie le mot gronder.

James prit un air embêté, et Sirius regretta aussitôt ses paroles.

– Excuse-moi, marmonna-t-il. C'est juste que... Parfois, quand je vois tes parents, ta maison, tout ça... Je réalise tout ce que je n'ai pas eu, avec ma famille de crétins.

– Sirius, tu fais partie de ma famille, insista James. Sérieusement, mes parents t'adorent ! Tu l'as bien vu, ils nous traitent exactement de la même manière ! Je suis sûr que si tu me remplaçais à une fête de famille, ils ne verraient même pas la différence... Ou feraient semblant de ne pas la voir.

Pour la première fois depuis le début de la journée Sirius sourit timidement, et les deux amis restèrent silencieux quelques instants.

– Tu as croisé Lily, avant les vacances ? demanda Sirius, qui avait besoin de parler de quelque chose de plus léger.

Le visage de James s'éclaira d'un large sourire.

– Aaah, je n'osais pas t'en parler ! Oui, je l'ai vue au moment où elle partait, et... Elle ne m'a même pas traité de gros imbécile prétentieux et arrogant !

– Alors on progresse, sourit Sirius.

– Évidemment qu'on progresse ! Ça ne pouvait que se passer ainsi, voyons... Tu vois, mon charme est tout simplement irrésistible.

– Je te rappelle qu'il y a moins d'un mois, elle disait à Mary Macdonald qu'elle aurait préféré être envoyée dans une autre maison, juste pour te croiser moins souvent...

– Oui, mais elle a arrêté de me lancer un de ses regards assassins à chaque fois qu'elle me croise, dit James en levant l'index.

– C'est vrai... Tant mieux, c'était vraiment effrayant.

James fronça ses sourcils bien dessinés pour imiter l'air furieux de Lily quand elle le réprimandait pour sa vantardise.

– Grrrr, dit-il en approchant son visage de celui de Sirius.

– Haha ! Arrête ça, je vais faire des cauchemars...

La porte s'ouvrit à cet instant. Remus et Peter entrèrent, d'abord timidement, puis, en voyant que les deux amis étaient hilares, Remus alla s'asseoir à côté de Sirius, et Peter s'installa prudemment sur le lit voisin.

– Ravi de voir que tu as retrouvé le sourire, dit Remus.

– Ça n'est pas grâce à vous, bande de fayots, dit James en lançant un petit coussin sur Peter.

– Il fallait bien donner quelques détails à tes parents sur la soirée de Noël, James, répondit Remus.

À l'évocation des terribles évènements qui avaient eu lieu à peine trois jours plus tôt, les sourires de Sirius et James s'évanouirent et un silence pesant s'établit entre les quatre amis.

– Qu'est-ce que tu leur as dit ? demanda James, dont la voix avait soudainement perdu toute trace d'euphorie.

– J'ai essayé de minimiser les risques qu'on a pris, dit Remus en haussant les épaules. Je leur ai dit qu'on n'avait pas vu grand-chose, car on avait été évacués dès les premiers signes d'alerte.

Ils se turent tous les quatre. Dans leurs regards vagues, on pouvait presque voir danser les flammes dévastatrices qui avaient ravagé le pensionnat Wimbley. Sirius devint livide et ramena ses genoux contre sa poitrine, sous le regard inquiet de ses trois camarades.

– Sirius...

– Ce ne sera plus jamais comme avant, dit-il d'une voix sourde. Ni chez moi, ni chez vous, ni chez personne d'autre. C'est... C'est la guerre, maintenant.

Remus hocha la tête avec gravité.

– Le plus frustrant, dans tout ça, c'est qu'on ne peut même pas se battre, soupira James.

– Pas encore... Mais dès qu'on sortira de Poudlard, on se battra avec les autres, promit Sirius, résolu.

– On pourrait devenir des Aurors...

– Pour ça, il faut avoir d'excellents résultats, remarqua Remus.

James et Sirius se tournèrent vers lui, interloqués.

– Mais nous avons d'excellents résultats, dit Sirius.

– Oui, c'en est presque insolent, renchérit James.

– Il faut aussi avoir une conduite irréprochable...

– Petit détail insignifiant, le coupa James en remuant son index de droite à gauche.

Et soudain, il se figea, comme s'il venait de penser à quelque chose d'extraordinaire.

– Qu'y a-t-il ? demanda Remus.

Dans un premier temps, il ne dit rien ; son visage s'éclaira d'un sourire radieux, et il se leva d'un bond sur le lit, soudain surexcité.

– Oh, là là, murmura Remus.

– Mes amis, j'ai une nouvelle ab-so-lu-ment-fan-tas-tique à vous annoncer, dit James en écartant les bras.

– Je crains le pire, soupira Remus en réprimant un sourire.

Sirius s'était redressé et l'écoutait avec le plus grand intérêt. Peter le regardait avec une admiration proche de l'adoration. Remus, lui, savait pertinemment que James n'atteignait ce niveau d'enthousiasme que lorsqu'il s'apprêtait à transgresser effrontément le règlement de Poudlard.

– Nous sommes sur le point de devenir les rois de l'école, dit James, en articulant soigneusement chaque mot pour alimenter le suspense qui régnait autour de ce qu'il était sur le point de révéler.

Il observa chacun de ses amis avec attention, se délectant de leur attente.

– Bon, allez ! Dis-nous ! s'impatienta Sirius en frappant dans ses mains, surexcité lui aussi.

James attendit encore quelques instants, et son sourire rayonnant s'élargit encore davantage.

– Vous n'êtes pas prêts pour entendre ce qui va suivre, dit James en levant l'index.

Et soudain, le visage de Sirius s'éclaira du même sourire radieux.

– Tu l'as terminée, devina-t-il. Tu l'as terminée ! Tu as réussi !

Aussitôt, James laissa pleinement éclater sa joie.

– OUI ! Exactement ! Je l'ai finie, Patmol ! J'ai enfin trouvé le sortilège parfait ! Et maintenant, nous pouvons l'utiliser sans risquer de nous la faire confisquer !

James tomba à genoux sur le lit et sauta au cou de Sirius. Tous les deux se cognèrent contre le mur avec un bruit sourd, mais ils s'en fichaient éperdument.

– Ne me dites pas que vous parlez de ce à quoi je pense, dit Remus avec stupéfaction.

Sirius et James se redressèrent aussitôt. Sirius secoua la tête avec nonchalance pour balayer ses cheveux bouclés de son champ de vision, et James rajusta ses lunettes sur son nez en se frottant le sommet de la tête – là où il s'était cogné.

– Oh que si, se réjouit James.

– Nous parlons précisément de ça, en fait, dit Sirius.

Avec cérémonie, James porta sa main vers l'intérieur de sa veste et en sortit un morceau de parchemin soigneusement plié.

– La voilà, dit-il.

Remus n'en revenait pas.

– Je ne pensais pas que tu parviendrais à la camoufler aussi vite...

– Eh bien, tu m'as dramatiquement sous-estimé, claironna James.

James et Sirius déplièrent partiellement le parchemin, qui était totalement vierge, le posèrent sur les genoux de Remus, et firent signe à Peter de s'approcher. James sortit sa baguette et Sirius l'imita.

– Tu as fait comme on a dit ?

– Bien sûr, dit James.

Sirius se mordit la lèvre avec gourmandise, et tous les deux pointèrent leur baguette sur le centre du parchemin vierge.

Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises, dirent-ils en chœur, tous les deux rayonnants de bonheur.

Remus les regarda avec de gros yeux.

– On a vraiment voté pour cette phrase ?

– Mais oui, mais oui...

Sur le parchemin, des lettres écrites à l'encre verte apparurent progressivement. Tous les quatre observèrent avidement le processus, jusqu'à ce que tous les mots soient parfaitement dessinés.

– Vas-y, lis-le, dit Sirius à Remus.

Tout en essayant de contrôler sa propre excitation, Remus leva le parchemin devant ses yeux.

– Messieurs Lunard, Queudver...

– Vous m'avez mis dessus, constata Peter avec une infinie reconnaissance.

– Bien sûr, dit Sirius en haussant les épaules. Que ferait-on sans notre petit rat préféré ?

– ...Patmol et Cornedrue, spécialistes en assistance aux Maniganceurs de Mauvais Coups, sont fiers de vous présenter...

Remus leva les yeux vers Sirius et James, qui l'écoutaient avec des yeux brillants.

– ...La Carte du Maraudeur, achevèrent-ils tous les quatre d'une même voix.

– N'est-ce pas fantastique ?

Ils se penchèrent à nouveau sur le parchemin. Des petits traits d'encre se répandirent sur le reste de la Carte et se joignirent, se croisèrent et s'étendirent aux quatre coins du parchemin pour former un plan détaillé du château de Poudlard. Puis des petites traces de pas se mirent à se mouvoir sous leurs yeux, chacune accompagnée d'une banderole portant le nom et le prénom de l'individu en question, permettant ainsi de connaître la position et l'identité de chaque personne, esprit ou animal qui se déplaçait dans le château.

– Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau, murmura Sirius avec émotion.

– Regardez, on voit les professeurs réunis dans le bureau de Dumbledore... Il y a aussi Alastor Maugrey et Adam Claring...

– Ils doivent être en train de parler du pensionnat Wimbley, dit sombrement Remus.

– Oh, je vois Peeves, près des cachots ! remarqua Peter. Finalement, vous avez réussi à tracer les fantômes aussi ?

– Oui, et d'ailleurs, c'était grâce à toi, Peter... Ton idée de détecter toute forme de pensée, plutôt que les déplacements de matière, était tout simplement brillante !

Les oreilles de Peter semblèrent s'agrandir tant il les tendait vers James et Sirius dans l'espoir d'entendre d'autres compliments. Mais ils n'ajoutèrent rien, et les quatre amis contemplèrent à nouveau avec ravissement l'aboutissement de leur étroite collaboration.

– Quand je pense que nous avons commencé à la dessiner il y a à peine quelques mois...

– C'est grâce à toi, Remus, dit Sirius. C'est parce que tu es préfet que nous avons pu avoir accès aux plans détaillés de l'école... Et c'est pendant nos escapades nocturnes que nous les avons complétés.

Remus repensa furtivement aux dernières nuits de pleine lune qu'ils avaient passé ensemble. Il avait fortement redouté la première, avec la crainte atroce de dégoûter ses amis, ou pire, de s'en prendre à eux sans en avoir conscience. Mais tous les quatre avaient été agréablement surpris : entouré d'animaux, le loup que devenait Remus s'était adouci. Il n'avait pas hurlé, il ne s'était pas mordu. C'était un véritable miracle.

La fois suivante, ils étaient sortis en douce de la Cabane. Sous son apparence canine, Sirius avait fait diversion pour qu'ils puissent échapper à la surveillance de l'Auror posté là pour assurer la protection de Remus ; puis, sous leurs formes animales respectives, ils avaient arpenté les environs, tout en s'assurant que Remus ne leur faussait pas compagnie.

– Il manque encore quelques rues et quelques détails, dit James en désignant le plan de Pré-au-Lard. Nous y retournerons la prochaine fois.

– Ce sortilège, Monticulus...

– Homonculus, corrigèrent Sirius et Remus en chœur.

– Est-ce qu'il est... Est-ce qu'il est vraiment fiable ? poursuivit Peter.

Sirius poussa un soupir exaspéré.

– Bon sang, Peter... Nous l'avons étudié ensemble ! C'est un charme difficile, mais maintenant que nous l'avons parfaitement exécuté, il permet de suivre avec précision les déplacements de chaque personne présente dans ce périmètre...

– Souviens-toi des différentes étapes pour ensorceler la carte, Peter, dit gentiment Remus. Tu n'as pas remarqué certaines similitudes avec la fabrication du Veritaserum ? Tout comme cette potion, il n'y a aucun moyen de contourner ce sortilège.

Peter hocha la tête, toujours un peu perplexe.

– Alors... Si quelqu'un utilise du Polynectar... Se transforme en Animagus, ou porte une cape d'invisibilité... On le verra quand même ?

– Personne n'a la moindre chance de nous échapper, assura Sirius.

– Cette carte est infaillible, renchérit James, le menton levé. Voldemort lui-même...

– James, non ! protesta Peter d'une voix aiguë en se bouchant les oreilles.

– ...serait incapable de la tromper, même dans l'éventualité où il connaitrait son existence.

Sirius, James et Remus échangèrent un regard triomphant, et Peter se déboucha lentement les oreilles.

– Imaginez tout ce qu'on va pouvoir faire, maintenant, dit rêveusement James. Sortir du dortoir toutes les nuits... Savoir quand le bureau du concierge est vide pour récupérer nos affaires... Éviter Servilus dans les couloirs...

– Ou bien partir à sa recherche, ricana Sirius.

– J'ai tellement hâte de l'utiliser ! s'exclama James, de plus en plus excité. Il va falloir profiter des vacances pour planifier nos prochaines farces...

Remus essaya de les regarder avec sévérité – mais c'était peine perdue.

– En tant que préfet de Gryffondor, je devrais être catastrophé par cette nouvelle création, dit-il.

– Mais tu ne l'es pas, devina Sirius.

– Non, tu es absolument enchanté, dit James. Et tu es littéralement transporté de fierté devant tant d'ingéniosité et de savoir-faire.

– Et de modestie...

– Cela va de soi, approuva James.

– Vous êtes impossibles, soupira Remus en réprimant un sourire.

Il regarda de nouveau la carte. Ses amis avaient raison. Du haut de leurs quinze ans, et sans aucune aide, ils venaient de fabriquer un objet magique d'une valeur inestimable.

– Vous êtes sans doute les élèves les plus doués de cette école, dit-il.

Sirius éclata de rire.

– Doués ? dit James. Le mot est faible.

– Et pour faire disparaître les lettres, maintenant ?

James et Sirius échangèrent un regard complice et pointèrent leur baguette sur le parchemin, précipitamment imités par Peter.

– Méfait accompli ! scandèrent-ils.

Aussitôt, l'encre s'estompa progressivement, et le parchemin reprit son aspect vierge et usé. Remus l'inspecta sous tous les angles, et dut admettre que la Carte était parfaitement dissimulée.

– J'ai commencé par un Charme de Camouflage, mais je me suis rappelé que c'était détectable par les Capteurs de Dissimulation... Alors, j'ai utilisé de l'encre invisible, mais un peu modifiée par mes soins...

Avec un sourire malicieux, il pointa à nouveau sa baguette sur la Carte du Maraudeur.

– Regardez... Aparecio, dit-il.

Cette fois-ci, le plan de Poudlard n'apparut pas, mais l'écriture ronde et verte dessina une nouvelle phrase de présentation.

Messieurs Lunard, Queudver, Patmol et Cornedrue... lut à nouveau Remus.

...présentent leurs salutations au vénérable James Potter, et le remercient de leur faire l'immense honneur... poursuivit Peter.

...de poser son regard divin sur notre humble parchemin, acheva Sirius dans un éclat de rire.

James bomba le torse, extrêmement fier de lui.

– Vas-y, Remus, essaie, dit-il en faisant un clin d'œil à Sirius.

Remus obtempéra, un peu méfiant, et pointa sa baguette sur le parchemin.

Aparecio, dit-il.

L'encre se déplaça sur le parchemin pour former une nouvelle phrase, que les autres lurent avec avidité.

Messieurs Lunard, Queudver, Patmol et Cornedrue...

Remus s'interrompit, et leva vers James un regard exaspéré.

...saluent Remus Lupin, le préfet le moins autoritaire que Poudlard ait jamais connu, acheva à nouveau Sirius.

Et il explosa de rire, rapidement imité par Peter et James.

– D'accord, c'est de bonne guerre, concéda Remus, rapidement gagné par l'hilarité de ses camarades. Mais en même temps, ça vous arrange bien...

– Quand je pense que les professeurs espéraient que tu arriverais à nous raisonner, simplement parce que tu portes un joli petit insigne brillant, soupira Sirius en essuyant des larmes de rire aux coins de ses yeux.

– De toute évidence, ils se sont lamentablement trompés, approuva Remus. Votre mépris des règles est tout simplement incurable.

Alors que James et Sirius s'apprêtaient à fanfaronner de nouveau, Fleamont et Euphemia Potter les appelèrent à table, et les quatre garçons, absolument affamés, se ruèrent dans l'escalier en se battant pour passer le premier. Ils rejoignirent les parents de James dans la salle à manger, où six couverts étaient mis. Fleamont Potter était en train de servir de généreux morceaux de volaille dans les assiettes, tout en les ensevelissant sous des louches entières de sauce aux morilles.

– Joyeux Noël, les garçons ! dit Euphemia en s'asseyant en bout de table, à côté de Fleamont.

Encore de la dinde farcie ? gémit James. Tous les ans, c'est la même chose ! Vous ne pouvez pas varier un peu ?

– Si tu as d'autres idées, sens-toi libre de nous éblouir les papilles l'année prochaine, mon chéri, dit Fleamont en découpant amoureusement la dinde qu'il avait dans son assiette.

Tous les six mangèrent avec enthousiasme, oubliant, pour quelques instants, les terribles évènements qui venaient d'avoir lieu.

– Papa, qu'est-ce que c'est que ce truc ridicule que tu as dans la bouche ? demanda James lorsque lui et son père eurent englouti la totalité de leur assiette en un temps record.

Fleamont Potter sortit de sa bouche et regarda avec attention l'objet courbé et vernis qu'il venait d'en sortir.

– Ça s'appelle une pipe, dit Fleamont. Ça me donne un petit style, non ? Les Moldus mettent des herbes enflammées dedans, mais je trouve ça trop dangereux.

– Ça fait ringard, grimaça James.

– James, s'indigna Euphemia, on ne parle pas comme ça à son père, voyons !

– Laisse, ma chérie, dit Fleamont en continuant de mâchouiller sereinement sa pipe. Il pensera à moi, quand ses propres enfants le traiteront de ringard, lui aussi !

– Ça n'arrivera pas, assura James. Tu vas voir, je serai le père le plus cool de la terre. Tout le monde sera jaloux de mes enfants.

– Je demande à voir, sourit Fleamont. Tu sais, on est toujours le ringard de quelqu'un.

– Pas moi, insista James. J'ai l'élégance dans la peau. C'est comme ça, ne m'en voulez pas, je ne peux rien y faire. Même si j'essayais d'être médiocre, je n'y arriverais pas.

Tout le monde éclata de rire. En regardant James lécher son assiette en riant sans essuyer de remontrances, Sirius pensa furtivement que s'il avait osé montrer ne serait-ce qu'un dixième de cette impertinence chez lui, il aurait été envoyé au lit sans dîner, avec en prime un énième discours à propos du fait qu'il était le raté de la famille.

– Avant d'être un bon parent, il faut déjà trouver quelqu'un de bien pour l'être avec toi, rappela Euphemia en passant une main affectueuse dans les cheveux noirs et ébouriffés de Fleamont.

– J'ai déjà trouvé, affirma James.

– Mais c'est mal engagé, tempéra Remus.

– Non, c'est faux, répliqua James. Elle n'arrête pas de raconter partout que je suis un crétin arrogant. Ce qui signifie...

– Que tu es un crétin arrogant, sourit Remus.

– Mais non, enfin, tu n'y es pas du tout ! Ce qui signifie qu'elle est absolument dingue de moi.

Fleamont et Euphemia secouèrent la tête avec un accablement amusé.

– Bon, d'accord, je galère, admit James. Enfin, pour l'instant ! rectifia-t-il aussitôt.

– Et si tu cessais de faire le pitre de temps en temps ? Peut-être que ça l'agace, si tu n'es jamais vraiment toi-même.

– J'y réfléchirai, Maman, c'est promis... Bon, on passe au plat ?

– James, enfin, c'était le plat !

 

Après avoir englouti de délicieuses mousses au chocolat – James en dévora trois en quelques minutes – ils s'éternisèrent tous les six auprès de la cheminée, enroulés dans des couvertures moelleuses, et se laissèrent lentement envahir par la torpeur en buvant des tasses d'infusion de fleur d'oranger. Puis quand Remus se mit à somnoler, James et Sirius lui proposèrent d'aller se coucher, ce que Remus accepta volontiers.

– James, tu habites au paradis, marmonna Remus en s'étendant à côté de Peter sur le grand matelas posé entre les deux lits jumeaux.

James et Sirius s'allongèrent dans leurs lits respectifs, surplombant Remus et Peter de toute la hauteur de leurs sommiers. Il y eut quelques minutes de silence, pendant lesquelles les respirations de James, de Sirius et de Remus devinrent de plus en plus lentes. Mais rapidement, la voix de Peter interrompit leur cheminement vers le sommeil :

– Euh... James... Dis-moi... Tu es vraiment sûr que ta maison est bien protégée ?

– Silence, Peter, soupira Sirius avec lassitude.

James poussa un grognement approbateur et ensommeillé.

– Les Mangemorts nous ont peut-être vus, au pensionnat Wimbley, gémit Peter. Peut-être qu'ils sont à notre recherche, en ce moment même...

On entendit un bruissement des draps du côté du lit de James, signifiant qu'il se redressait sur son matelas.

– Patmol, est-ce que tu peux me rendre un petit service ? marmonna-t-il à mi-voix.

– Avec plaisir, dit aussitôt Sirius, qui savait déjà de quoi il retournait.

– Comment ça ?

– Merci mille fois, dit James.

On entendit à nouveau un froissement de draps, mais du côté de Sirius ; puis un sifflement rapide, un son mat, et la voix étouffée de Peter.

– Hé ! protesta-t-il en repoussant l'oreiller de plumes que Sirius venait de lui écraser sur la figure.

– Ça t'apprendra à être un trouillard, rit Sirius.

Et, emporté par son propre enthousiasme, il frappa à nouveau.

– Arrête un peu, le supplia Remus, à moitié endormi.

James, gagné à son tour par l'excitation, donna une petite tape sur la tête de Remus.

– Bande de ramol... Aïe !

Il venait de recevoir l'oreiller de Remus sur l'épaule.

– Toi, tu ne perds rien pour attendre, dit James en se redressant dans la pénombre.

Sirius et James étaient absolument ravis de la tournure que prenait la soirée. Tous deux saisirent leurs oreillers à pleines mains, et s'engagèrent dans la lutte. Les oreillers volèrent pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce que celui de James se déchire et répande une marée de plumes à travers la chambre.

– Oh non ! gémit Remus en commençant à ramasser des poignées de plumes.

– On fera ça demain, décida James en éparpillant les plumes que Remus avait dans la main. Allez, au lit !

– C'est ma place, remarqua Remus en le voyant s'écrouler sur le matelas.

– On dort avec vous, répliqua James sans bouger d'un pouce. Sinon, vous nous manquerez trop.

– Bien sûr, sourit Remus en se frayant un passage entre les épaules musclées de James et le ventre rond de Peter.

Sirius s'allongea en travers des matelas qui se trouvaient sur le sol, la tête sur James et les pieds sur Peter.

– Cornedrue, tu es sûr que tu es sous ta forme humaine ? grogna Remus. Tu prends au moins autant de place qu'un cerf adulte...

– Absolument sûr... Regarde, en voici la preuve, rit James en lui pinçant le nez.

– Hé !

– Chhht, Remus, dit Sirius en pouffant de rire. Tu ne vois pas que nous sommes en train de dormir ?

Remus poussa un soupir, à la fois résigné et amusé.

– Décidément, vous voulez ma mort, tous les deux...

Le silence se fit progressivement, parfois troublé par un petit gloussement lorsque l'un d'entre eux se remémorait un des fous rires de la soirée, ou par un éternuement lorsqu'une plume venait leur chatouiller le nez. Et un par un, James, Peter, Remus et Sirius s'endormirent.

 

Le lendemain, lorsqu'Euphemia Potter vint ouvrir les sortir du lit pour le petit-déjeuner, elle les trouva tous les quatre enchevêtrés et couverts de plumes. James ronflait, la bouche grande ouverte, et Remus était contorsionné sous Sirius, entre James et Peter, mais dormait malgré tout.

– Oh, les garçons ! s'exclama Euphemia, à moitié attendrie et à moitié exaspérée, en allant ouvrir les volets.

James répondit par un grognement, enfonça son visage dans ce qui lui restait d'oreiller, et se rendormit profondément. Sirius, lui, était tout à fait réveillé, et ce depuis plusieurs heures. Il fixait le plafond ; ses angoisses lui avaient laissé un peu de répit pendant la soirée de la veille, mais elles étaient revenues à la charge au milieu de la nuit, et depuis l'aube, il s'évertuait – sans succès – à chasser de son esprit l'image de son petit frère encagoulé en train de piétiner les débris de tentes au pensionnat Wimbley.

Après le passage d'Euphemia Potter, il attendit un peu, puis, voyant que ses amis ne bougeaient pas d'un pouce, il se décida à descendre dans le salon.

Quand il fut en bas des escaliers, il vit Euphemia et Fleamont Potter, tous les deux accoudés au comptoir de la cuisine. Devant eux, une radio énonçait les nouvelles du jour :

– Commençons notre Bulletin Matinal avec une bonne nouvelle : le petit Nino, qui était porté disparu depuis l'attaque du pensionnat Wimbley, a été retrouvé sain et sauf. Il a sonné hier soir à la porte de sa maison, légèrement chamboulé mais en pleine santé. Nous ne savons pas comment il s'est retrouvé là, ni comment il s'est sauvé du pensionnat Wimbley, ni où était-il caché pendant ces quelques jours, car le petit Nino lui-même n'a aucun souvenir de ce qu'il s'est passé. La supposition la plus probable est qu'il ait pu transplaner quelque part grâce à ses pouvoirs, extrêmement puissants pour un enfant de cet âge...

– Je suis soulagé, soupira Fleamont. Cette attaque était bien assez horrible pour qu'on y ajoute le décès d'un enfant. Les parents doivent être fous de soulagement.

– En plus, ce sont des Moldus, renchérit Euphemia. Ils n'ont probablement pas compris grand-chose à ce qu'il s'est passé. Heureusement que leur enfant a réapparu.

– Tu as raison. Oh, à ce propos... Je pensais à ces pauvres enfants qui étaient hébergés au pensionnat. Que vont-ils devenir, maintenant qu'il est détruit ?

– Eh bien, j'imagine qu'ils vont réintégrer leurs familles, avec tous les désagréments que cela implique... Les employés du pensionnat qui ont survécu vont faire de leur mieux pour continuer à les aider, mais je doute que ça soit aussi efficace. Ils vont peut-être essayer de reconstruire une structure semblable, mais pour l'instant, ce n'est pas vraiment la priorité du Ministère...

– C'est terrible, dit gravement Fleamont. Tous ces enfants en détresse... Et l'enquête qui piétine ! Tu sais, j'étais au Ministère hier matin, pour proposer notre aide... Ils étaient tous en train de s'entredéchirer. Ce pauvre Adam Claring était là, il était absolument dévasté. Je crois qu'il s'est échappé de Sainte-Mangouste malgré ses blessures, Maugrey était furieux contre lui. Et c'est vrai qu'il était méconnaissable, amaigri, ravagé par le chagrin...

– Ce pensionnat était sa maison, et Eleanor l'a élevé comme une mère, soupira Euphemia. Pour la deuxième fois de sa vie, il a tout perdu. C'est tellement injuste.

– Malgré sa faiblesse, il était très remonté contre Croupton. Il l'accusait de ne pas tout mettre en œuvre pour retrouver les coupables... Mais il faut dire que la tâche n'est pas aisée. Aucun agresseur n'a été reconnu, ils étaient tous encagoulés ou encapuchonnés. Aucun indice n'a été retrouvé sur le terrain, et les deux dragons ont disparu.

– Mais il a tout de même interrogé des suspects, n'est-ce pas ? Tous ceux qui avaient déjà envoyé des lettres de menace à Eleanor Wimbley, ou qui s'étaient prononcé pour la fermeture du pensionnat...

– Oh oui, bien sûr. Il s'agissait principalement de Collinards, et ils ont tous donné la même version des faits : eux aussi célébraient Noël chez les Selwyn quand ils ont été attaqués de la même manière par des individus encagoulés, qui ont fait apparaître la Marque des Ténèbres au-dessus de la Colline ! Ce qui expliquerait leurs blessures et le décès d'Arcadius Flint...

– Quel culot, s'indigna Euphemia. Ce sont des mensonges, n'est-ce pas ?

– Sans doute. J'ai du mal à croire que les partisans de Voldemort aient choisi la Colline d'Émeraude pour cible... Et puis, ces Collinards auraient très bien pu endommager volontairement la maison des Selwyn pour faire croire à leur innocence... Ah, si seulement l'homme qui a été capturé n'avait pas perdu l'intégralité de sa mémoire, il aurait peut-être pu nous donner quelques indices ! Sans compter que les réserves de Veritaserum du Ministère ont mystérieusement disparu...

– Et les deux dragons ? On dit que Narcissa Malefoy et Daisy Goyle en possédaient deux semblables. Elles pourraient être impliquées, elles aussi...

– Elles ont été interrogées également, et ont rapporté avoir perdu toute trace de leurs dragons il y a plusieurs mois. Il paraît que l'interrogatoire de Narcissa a duré des heures, malgré les protestations de Lucius... Mais les inspecteurs n'ont rien pu en tirer. D'après eux, elle était véritablement en état de choc. Va savoir pourquoi...

Tous les deux échangèrent un regard accablé.

– Et, au Ministère... Est-ce que Dumbledore était là ?

– Oui, bien sûr. Comme tout le Magenmagot.

– Est-ce qu'il a dit quelque chose ?

– Il a essayé de se faire entendre, mais personne ne s'écoutait. Et puis... Ça a dégénéré quand Croupton a accusé Dumbledore d'être incompétent face à la montée des idées extrêmes au sein des élèves de Poudlard...Tu aurais vu Dumbledore ! Son regard est devenu glacé. Il a rétorqué à Croupton que son fils y était sans doute pour quelque chose...

– Dumbledore a dit ça ? À Croupton ? Devant tout le Magenmagot ? Alors qu'il ne supporte pas la moindre critique !

– Oui. Et à partir de là, comme tu peux l'imaginer, le débat est devenu complètement stérile. Malheureusement, je ne crois pas que Croupton ait pris au sérieux la mise en garde de Dumbledore concernant son fils... Vraiment, ce spectacle était décourageant.

De nouveau, ils retombèrent dans le silence. Devant eux, la radio continuait de grésiller :

– Et maintenant, parlons de l'annonce qui vient d'être faite : après avoir été désavouée par la majorité du Magenmagot, Eugenia Jenkins a présenté sa démission...

– Pauvre Jenkins, commenta Euphemia. Elle était de bonne volonté, mais elle était si mal entourée... Tous ses conseillers ont totalement sous-estimé l'ampleur de la menace.

– Le Magenmagot vient d'élire son nouveau Ministre : il s'agit d'Harold Minchum ! Dans son premier discours, notre nouveau Ministre a déclaré que la communauté magique entrait bel et bien en guerre, et que l'heure était à la mobilisation. Il a annoncé les premières mesures qu'il allait mettre en place : proposer à tous les sorciers qui le souhaitent de s'engager aux côtés des Aurors, accélérer la formation de ces derniers...

– Je n'arrive pas à y croire, souffla Fleamont. Et notre James qui va grandir dans ce monde... Qu'allons-nous faire ?

– Nous allons nous battre, dit Euphemia, résolue. Nous allons faire tout ce qui est possible pour protéger notre pays.

Entre leurs silhouettes, Sirius pouvait voir leurs mains étroitement entrelacées sur le comptoir. Il se demanda s'il avait déjà vu ses propres parents se toucher, s'effleurer, ou même se parler sans s'insulter copieusement, mais il dut admettre qu'il n'en avait pas le moindre souvenir.

– Tu as raison, dit Fleamont. Dès que possible, nous irons directement demander conseil à Dumbledore : il saura ce qu'il faut faire.

Au bout d'un moment, Sirius toussota timidement pour signaler sa présence, et les deux parents Potter se retournèrent d'un même mouvement.

– Sirius, mon garçon ! s'exclama Fleamont sur un ton jovial qui avait perdu toute trace d'inquiétude. As-tu bien dormi ?

Sirius regarda autour de lui, soudain désarçonné. Il venait d'être frappé par une évidence terrible : ici, chez James, où il n'avait pourtant passé que quelques vacances éparses, il se sentait infiniment plus chez lui que dans sa propre maison, où il avait passé onze années de sa vie.

L'espace d'un instant, Sirius s'imagina retourner au 12, square Grimmaurd, et réalisa que ce serait tout bonnement impossible. Il ne pourrait plus jamais croiser le regard de ses parents, ni celui de son petit frère. Sa vie venait de prendre un tournant décisif. Tous ses repères venaient de s'écrouler, et même s'il avait toujours eu ces mêmes repères en horreur, l'incertitude de l'avenir le terrorisait. Où pourrait-il bien aller, une fois qu'il aurait coupé les ponts avec tous ceux qui partageaient son nom de famille ? Bien sûr, les Potter l'accueilleraient à bras ouverts. Mais s'ils changeaient d'avis, s'ils se lassaient de lui ? S'il se disputait avec James ? Ils n'avaient aucune obligation de l'héberger, après tout. Et il serait sans argent, sans ressources...

Fleamont et Euphemia semblèrent remarquer son désarroi, car ils se levèrent tous les deux d'un même mouvement.

– Désolé... Je...

La suite resta bloquée dans sa gorge.

– Oh, Sirius, dit Euphemia en s'approchant de lui. Viens là, dit-elle en le prenant doucement dans ses bras.

Sirius fut bouleversé par cette marque d'affection. Il ne put retenir ses larmes plus longtemps : malgré lui, ses yeux débordèrent, et deux traînées brûlantes lui sillonnèrent les joues.

– Je ne veux pas rentrer chez moi, Mrs Potter, hoqueta Sirius en secouant la tête. Je ne veux pas... Je ne peux pas.

Euphemia s'écarta de lui, et Fleamont lui posa une main affectueuse sur l'épaule.

– Sirius, tu as tout notre soutien...

– Et toute notre admiration, ajouta Euphemia.

Euphemia et Fleamont Potter avaient l'habitude touchante de compléter les phrases de l'autre.

– Tu as grandi dans une famille autoritaire, aux valeurs plus que discutables...

– Et tu as eu le courage, la force d'esprit...

– De remettre en question ce qu'on t'apprenait, et de le contester, pour défendre le bien...

– La paix, et la tolérance...

– Tu auras toujours ce mérite-là, assura Fleamont.

– Toujours, approuva Euphemia. Tu peux en être fier.

– Et regarde ce que tu es devenu, en dépit de toutes les brimades que tu as subies ! dit Fleamont en lui donnant une petite tape sur l'épaule.

– Un jeune garçon formidable...

– Brillant...

– Généreux...

– Drôle...

– Et fidèle, conclut Euphemia. Tes amis en ont parfaitement conscience. James en a parfaitement conscience.

– Malgré ses airs fanfarons, il t'admire énormément, renchérit Fleamont.

– Tout comme nous, répéta Euphemia.

Ils serrèrent à nouveau Sirius dans leurs bras, qui se calma peu à peu.

– Merci, dit-il en reniflant, et en s'essuyant les joues.

Il se sentait tout drôle, à la fois très triste et très heureux.

– C'est nous qui te remercions, dit Fleamont.

– James n'a jamais été aussi épanoui depuis votre première rentrée à Poudlard, dit Euphemia.

Fleamont s'écarta légèrement et lui tendit un mouchoir.

– Voilà pour toi, dit-il en souriant.

Sirius se moucha bruyamment, et émit un bruit étrange, entre le rire et les sanglots.

– En tout cas, sache que notre proposition tient toujours, dit Fleamont.

– Tu es le bienvenu ici, Sirius...

– Aussi longtemps qu'il le faudra.

– Tu es comme un fils pour nous, tu le sais déjà.

La pièce devint plus claire, sans que Sirius ne sache s'il s'agissait d'un rayon de soleil ou d'un effet de son imagination.

– Alors, si tu souhaites passer l'été ici...

– Pour cette année, et pour toutes celles à venir...

– Notre porte te sera toujours ouverte.

– Nous te réservons le petit lit, dans la chambre de James...

– Ou bien, nous mettrons une tente dans le jardin.

– Va pour la tente, rit Sirius. Parce qu'entre nous, l'odeur des pieds de James...

– Ah, oui ! Bien sûr ! Une horreur ! rit Euphemia en levant les yeux au ciel.

Elle-même avait du mal à contenir son émotion.

– On parle de moi ? demanda une voix pâteuse.

James venait de sortir de la chambre, ses lunettes posées de travers sur son nez. Ses cheveux ébouriffés et ses vêtements étaient couverts de plumes qui tourbillonnaient vers le sol à chacun de ses pas.

– James, nous avons une bonne nouvelle à t'annoncer, dit Euphemia, tout sourire.

– Laquelle ?

– Sirius passera l'été avec nous, dit Fleamont.

James s'arrêta, soudain totalement réveillé.

– Sans blague ?

– Sans blague, confirma Sirius.

– Tu ne veux plus retourner au square Grimmaurd ?

Sirius secoua la tête.

– Plus jamais.

James éclata d'un rire joyeux, sauta au cou de Sirius et le serra dans ses bras de toutes ses forces, surexcité.

– Prépare-toi à vivre le meilleur été de ta vie ! lui dit-il.

Puis il se tourna vers ses parents, toujours un bras autour du cou de Sirius.

– Et vous, le pire !

Euphemia et Fleamont rirent de bon cœur, et James se pencha discrètement vers l'oreille de Sirius.

– Je te préviens, quand Lily acceptera enfin mes avances, je te mettrai dans la cave, lui glissa-t-il, hilare.

– On a le temps, alors, répliqua Sirius.

Il sentait son cœur s'alléger de minute en minute, et se demandait maintenant pourquoi il n'avait pas pris cette décision plus tôt.

– Que se passe-t-il ? demanda la voix de Remus, qui venait d'apparaître.

Il était décoiffé lui aussi, et tenait dans la main une taie d'oreiller remplie de plumes qu'il venait de ramasser sur le sol de la chambre.

– Sirius a accepté, claironna James.

Remus, qui savait pertinemment de quoi il s'agissait, sourit largement et s'approcha pour congratuler Sirius.

– Je crois que c'est une bonne chose, dit-il simplement.

Peter apparut à la suite de Remus, remettant en place ses cheveux châtains ébouriffés. Tous les six se contemplèrent pendant plusieurs minutes, sans savoir que dire ; et finalement, ce fut Euphemia qui rompit le silence, en désignant la fenêtre.

– Oh ! Regardez, les garçons... Il neige !

Et en effet, de gros flocons blancs tourbillonnaient à l'extérieur et commençaient à saupoudrer le jardin. James, Sirius, Remus et Peter échangèrent des regards émerveillés ; mais plus encore que les quatre garçons, ce fut Fleamont qui montra le plus d'enthousiasme. Il courut jusqu'au porte-manteaux, revêtit une lourde veste écarlate, et courut en chaussons vers la porte d'entrée.

– Allez, les garçons ! leur lança-t-il en ouvrant la porte. Tout le monde dehors ! Il est encore temps de fêter Noël !


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