Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 18 : Le prétendant

4823 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/07/2023 16:30

Le prétendant


Au manoir des Malefoy, la voix stridente de Bellatrix continuait de retentir dans le salon :

– Aidez-moi, bande d'imbéciles ! Regulus est blessé !

Bellatrix semblait totalement paniquée : si elle ne manquait jamais d'imagination pour faire souffrir ses ennemis, en revanche, devoir prendre soin de quelqu'un la prenait totalement au dépourvu.

Regulus, étendu sur le tapis, arrivait à peine à ouvrir les yeux. Entre ses paupières entrouvertes, il voyait les lumières dansantes provenant du lustre suspendu au-dessus de sa tête, et quelques ombres penchées sur lui.

– Allez, remuez-vous ! Je vous dis qu'il risque de mourir ! cria la voix de Bellatrix.

Mourir ne lui paraissait pas une issue si abominable, si cela pouvait mettre fin à la douleur lancinante qui montait le long de l'épaule droite – celle qui avait émis un horrible craquement lorsqu'il avait atterri près des Tentagriffes – et celle, encore plus insupportable, qui lui lacérait le bras gauche. Malgré le fait que Bellatrix l'ait débarrassé des Tentagriffes, Regulus avait l'impression que le tentacule épineux était toujours enroulé autour de son bras, et rentrait de plus en plus profondément dans sa chair. Il aurait préféré que son bras soit arraché, plutôt que d'avoir à ressentir cette douleur qui ne faisait que s'amplifier.

Autour de lui, il entendait de nombreuses voix, et des pas qui s'approchaient avec curiosité.

– Ce sont les Tentagriffes qui lui ont fait ça ? demanda une voix féminine et hautaine.

– Oui, gémit Bellatrix.

– Ne t'en fais pas, nous allons le soigner, dit une voix plus douce. Emmenons-le dans la salle de bains.

Regulus reconnut la voix de Narcissa. Il sentit qu'on lui touchait le bras, sans doute pour le porter ; mais la douleur s'intensifia brutalement, et il poussa un long gémissement.

– Oh...

– Les épines de Tentagriffes sont pleines de venin, dit une voix faible et lointaine. Le pauvre, il doit souffrir le martyre... C'est une des pires douleurs qui soient.

Regulus reconnut la voix de Daisy, la meilleure amie de Narcissa. À en juger par sa voix tremblante, elle non plus n'était pas très en forme.

– Daisy, repose-toi, lui ordonna doucement Narcissa.

– Et il n'y a pas d'antidote ? demanda fébrilement Bellatrix.

– L'essence de Murlap peut soulager, dit Daisy.

– L'essence de Murlap ! Nous en avons sûrement ici...

– Malheureusement non, dit une voix glaciale.

Regulus entrouvrit les yeux, et aperçut le scintillement du pommeau argenté de la canne d'Abraxas Malefoy. Ce dernier l'observait avec mépris, comme si Regulus n'était qu'un vulgaire tas de détritus. Et aussitôt, Regulus fut persuadé qu'il mentait.

– Non ? s'indigna Narcissa. Allons, vous préparez des potions à longueur de journée, avec des ingrédients aussi compliqués les uns que les autres... Vous avez forcément de l'essence de Murlap quelque part !

– C'est malheureux, mais il ne m'en reste plus une seule goutte, poursuivit la voix glaciale d'Abraxas Malefoy en détachant soigneusement chaque mot du précédent. En revanche, il serait temps de retirer ce jeune homme du tapis. C'est une pièce qui me vient de mes ancêtres, et je ne voudrais pas qu'une tache de sang...

– Eh bien, donnez-nous un coup de main, au lieu de nous regarder bêtement ! le houspilla Bellatrix.

– Que s'est-il passé ? demanda alors une voix que Regulus connaissait parfaitement.

Au-dessus de lui, le visage de son père était agité de tics nerveux, comme lorsqu'il avait peur ou était en colère. Regulus avait du mal à déterminer s'il était inquiet, ou s'il était furieux que Regulus n'ait pas brillé au combat.

– Ce qu'il s'est passé ? explosa Bellatrix. Ce qu'il s'est passé ? Je vais vous le dire, moi ! C'est Sirius qui l'a mis dans cet état-là, voilà ce qu'il s'est passé ! Tout ça parce que vous avez été incapable de l'éduquer correctement...

– C'était surtout inconscient d'envoyer Regulus là-bas, corrigea Narcissa. Il n'a que quatorze ans, où aviez-vous la tête ? Ce n'est qu'un enfant !

– Je vous interdis de me parler sur ce ton, toutes les deux, répliqua Orion avec agressivité. Dois-je vous rappeler que je vous ai hébergées, pendant presque dix ans...

Regulus avait toutes ces disputes en horreur. Sa maison était déjà saturée de tensions, en permanence, alors s'il y avait bien une chose qu'il souhaitait éviter, c'était de nouvelles prises de bec.

Alors qu'il rassemblait ses forces pour dire quelque chose et interrompre les injures qui s'échangeaient lieu au-dessus de lui, le sol vibra de coups sourds, et un pas pesant s'approcha d'eux.

– Rodolphus ? dit la voix furieuse de Bellatrix. La bataille est terminée ?

– Non, mais je t'ai vue tomber, dit une voix bourrue. Je voulais être sûr que tout allait bien.

– Comme c'est touchant, railla Bellatrix. Eh bien oui, je vais très bien ! Tu peux faire demi-tour, et retourner d'où tu viens !

Il y eut un silence, et Regulus sentit la pointe d'une chaussure lui toucher les côtes.

– Je vois que ton petit protégé s'est fait avoir, ricana la voix bourrue de Rodolphus Lestrange.

– NE LE TOUCHE PAS ! rugit Bellatrix.

– Oui, ne le touchez pas ! renchérit Orion, de sa voix nasillarde et désagréable.

Entre ses paupières à demi closes, Regulus aperçut plusieurs baguettes se tendre vers Rodolphus Lestrange.

– Eh, c'est bon... J'ai entendu que vous vouliez le porter jusqu'à la salle de bains, non ? Je peux m'en occuper, c'est une vraie brindille...

– Pas besoin de toi, répliqua Bellatrix. Tu ferais mieux de retourner au combat !

– Tu veux de l'aide, oui ou non ?

– Allez, Bella, laisse-le faire, dit la voix de Narcissa. Nous serons plus tranquilles dans la salle de bains.

Il sentit quelqu'un lui attraper l'autre bras, mais au moment où son épaule se soulevait du sol, il eut l'impression que des milliers d'aiguilles chauffées à blanc lui transperçaient la peau, et il gémit à nouveau de douleur.

– Arrête, Rodolphus, arrête ! supplia Bellatrix.

Et Regulus s'affaissa à nouveau sur le tapis, le visage crispé.

– Endormons-le quelques minutes, ce sera plus simple, proposa Narcissa. Abraxas, vous avez au moins une Potion de Sommeil ?

Abraxas hésita à répondre, et dut juger qu'un deuxième mensonge serait de trop, car Regulus entendit ses pas s'éloigner lentement.

Pendant plusieurs minutes, personne ne parla ; puis Abraxas Malefoy revint.

– C'est tout ce que vous avez ? demanda Bellatrix, circonspecte.

– Il faudra s'en contenter, répondit sèchement Abraxas Malefoy.

Narcissa aida Regulus à se redresser légèrement, et porta la fiole à ses lèvres. En effet, elle était minuscule, et Regulus était assez doué en Potions pour estimer que l'effet ne durerait que quelques minutes. Il renifla la fiole pour s'assurer qu'il s'agissait bien d'une potion de Sommeil, puis la but avidement. Avec un immense soulagement, il sentit la torpeur l'envahir ; la douleur s'évanouit et il sombra dans l'inconscience.

Rodolphus se pencha, et souleva Regulus comme s'il s'agissait d'un vulgaire sac de provisions.

– Doucement ! s'écria Bellatrix en soutenant la tête de Regulus qui dodelinait dangereusement.

Elle s'apprêtait à quitter le salon à leurs côtés, mais Abraxas lui saisit le bras d'une poigne de fer.

– Pas si vite, jeune fille, dit Abraxas en désignant le tapis où on pouvait voir de larges traînées rouge sombre. Je vous prie de réparer les dégâts que vous venez d'infliger à mon précieux tapis...

– Oh, vous et votre maudit tapis ! explosa Bellatrix. Je ne sais pas ce qui me retient...

– Bella, nettoyons ça, et n'en parlons plus, décréta Narcissa.

 

Regulus reprit conscience dans la salle de bains. Pendant une fraction de seconde, il se demanda quel était le liquide froid qui coulait dans ses cheveux, dans sa nuque et sur son visage, avant de réaliser qu'on lui versait de l'eau froide sur la tête.

– Ah, te voilà réveillé, dit une voix bourrue.

Regulus toussa, car quelques gouttes d'eau étaient passées dans ses voies respiratoires, et sentit deux énormes mains empoigner sa veste et le plaquer au mur. Il était assis sur le carrelage d'une immense salle de bains, et Rodolphus Lestrange se tenait face à lui avec un sourire mauvais. Il émanait de lui une odeur de sueur rance et de mauvais alcool qui donnait la nausée ; ses cheveux noirs étaient gras, sa barbe hirsute, et son manteau était fait d'un étrange assemblage de pièces de fourrure, de morceaux d'écailles et de bouts de tissu.

Regulus tourna la tête, parcourut du regard les quatre lavabos en émail d'un blanc immaculé, les robinets savamment sculptés en forme de têtes de serpent, les serviettes moelleuses, la baignoire en marbre, les galets et les orchidées installées sur les étagères, les patères en serre d'hippogriffe... Mais à son grand désespoir, il ne vit que le luxe étourdissant du mobilier qui l'entourait : en dehors de Rodolphus Lestrange, la pièce était déserte.

– Alors, comment t'y es-tu pris ? demanda Rodolphus avec agressivité.

Regulus le regarda sans comprendre, et essaya de se dégager, mais sans succès. Son bras droit, qui avait émis un horrible craquement lorsqu'il avait atterri près des Tentagriffes, ne répondait plus, et son épaule était déformée de façon inquiétante. Quant à son bras gauche, qui avait été lacéré par les Tentagriffes, il lui faisait atrocement mal.

– Je te lâche si tu me dis ce que tu lui as fait, dit Rodolphus Lestrange en resserrant sa prise.

– De q... De qui parles-tu ? haleta Regulus, qui avait du mal à reprendre son souffle.

– De Bellatrix, grinça Rodolphus en resserrant sa prise.

En comprenant ce que Rodolphus Lestrange sous-entendait, Regulus fut tellement abasourdi qu'il mit un certain temps à répondre.

– Bella ? Mais tu n'y es pas du tout, protesta Regulus d'une voix étranglée.

– Ne me prends pas pour un imbécile, rugit Rodolphus Lestrange. Elle parle sans cesse de toi ! Regulus par-ci, Regulus par-là... Et j'ai bien vu comment elle te regardait... Il n'y a que toi qu'elle regarde de cette manière... Alors, quel est ton petit secret ? Un envoûtement ? Un philtre d'amour ? Je ne peux pas croire que tu aies réussi à la séduire sans faire appel à la magie...

– La séduire ? Mais... C'est ma cousine ! Nous avons grandi ensemble !

– Le fait d'être cousins ne vous arrête pas, dans la noble famille Black, cracha Rodolphus Lestrange avec mépris. Tes parents sont cousins, non ?

– Tu es complètement fou ! s'indigna Regulus. J'ai quatorze ans, et elle vingt-quatre !

Rodolphus le lâcha, et Regulus put enfin respirer librement.

– Écoute-moi bien, petit morveux, dit Rodolphus Lestrange en pointant sa baguette sur son visage. Est-ce que tu sais seulement depuis quand je suis amoureux de Bellatrix ? Non ? Eh bien, je suis tombé amoureux d'elle dès que je l'ai vue ! J'avais douze ans, elle en avait onze ! Tu étais probablement encore au berceau, à cette époque... Alors ne t'avise pas de t'en approcher, c'est compris ? Je n'ai pas attendu toutes ces années pour que tu me la piques !

Regulus essuya l'eau qui ruisselait sur son visage, et regarda avec dégoût les mains velues et le corps trapu de Rodolphus Lestrange. Il était très familier avec ce genre de déclaration, puisque son propre père avait longtemps tenu exactement le même discours à propos de Druella Black, née Rosier, que Cygnus Black lui aurait « dérobée » dans de mystérieuses circonstances. Aux yeux de Regulus, ces obsessions orgueilleuses n'étaient que la transformation désastreuse d'un amour déçu, et n'avaient absolument rien d'attrayant, ni d'héroïque, comme certains semblaient le croire.

– Tu parles d'elle comme si elle pouvait t'appartenir, dit Regulus. On voit bien que tu ne la connais pas...

Rodolphus Lestrange saisit Regulus à la gorge, mais quelqu'un frappa à la porte, et tous les deux se retournèrent d'un même geste.

– Rodolphus ? Regulus, vous êtes là ? dit la voix de Narcissa.

La poignée de la porte s'actionna vigoureusement, plusieurs fois d'affilée, et on frappa à nouveau à la porte, avec beaucoup plus de force.

– OUVREZ ! cria Bellatrix. Rodolphus ! Ouvre la porte, ou je t'étripe !

Regulus eut un sourire de triomphe. D'ici quelques instants, ses cousines entreraient dans la pièce, et il serait sauvé.

– Tu sais quoi ? Bella te déteste, déclara-t-il avec hardiesse. Elle préfèrerait lécher un paillasson plutôt que de t'approcher ! Alors si tu l'aimes vraiment, tu ferais mieux de la laisser tranquille !

Il fut étonné par sa propre audace. Rodolphus Lestrange devint rouge écarlate, et une énorme veine se mit à palpiter sur son front.

– Tu ne vas pas t'en tirer comme ça, dit-il entre ses dents.

Sans prévenir, il donna un violent coup de poing dans l'épaule droite de Regulus – celle qui avait émis un craquement inquiétant lorsqu'il était tombé sur le sol. Regulus sentit une douleur indescriptible parcourir son bras, et poussa un cri. Rodolphus Lestrange frappa à nouveau de toutes ses forces à l'endroit où son os semblait déplacé, et Regulus crut qu'il allait s'évanouir de douleur.

Alohomora ! cria Bellatrix derrière la porte.

Bellatrix et Narcissa firent irruption dans la pièce. Bellatrix tendit sa baguette vers Rodolphus, une vive lumière bleue envahit la salle de bains, et Rodolphus tomba lourdement sur le côté, libérant Regulus de son poids étouffant.

– Je remettais juste son épaule en place, grogna Rodolphus en redressant son buste trapu.

– Bien sûr, ironisa Bellatrix.

Elle se pencha vers Regulus, qui ne la voyait même pas, la main crispée sur son épaule, aveuglé par les étoiles rouges qui dansaient devant ses yeux. Bellatrix pointa sa baguette sur son épaule et prononça quelques formules. Regulus sentit une chaleur intense remplacer la douleur, son os fit un ressaut, se remit en place, et la douleur s'évanouit. Regulus en aurait pleuré de reconnaissance.

Et soudain, il sentit son estomac se contracter violemment. Il eut un haut-le-corps ; Rodolphus Lestrange se recula précipitamment, mais Regulus se tourna vers lui et lui vomit sur les genoux.

– Argh !

– Regulus ! s'affolèrent Bellatrix et Narcissa.

Il venait de vomir un torrent de sang et d'épines.

– Va-t'en, Rodolphus ! cria Bellatrix en le bousculant.

Rodolphus Lestrange s'apprêtait à protester, mais Narcissa pointa sa baguette sur lui.

– Dehors, répéta-t-elle avec une immense froideur.

Elles chassèrent donc impitoyablement Rodolphus Lestrange, couvert d'un liquide nauséabond, installèrent Regulus au-dessus de la cuvette des toilettes et s'agenouillèrent à côté de lui. Bellatrix lui tint les cheveux pendant qu'il vomissait à nouveau, et Narcissa lui caressait le dos.

– Ce doit être un autre effet du venin de Tentagriffes, devina Bellatrix, anxieuse.

– Espérons que ça ne dure pas trop longtemps...

– Eh bien ! Ici non plus, ça n'est pas la grande forme...

Narcissa et Bellatrix se retournèrent, et Regulus vomit un nouveau jet de sang et d'épines.

– Vera ! s'exclama Narcissa en se levant d'un bond.

Vera et Daisy Goyle se tenaient dans l'encadrement de la porte. Daisy avait repris des couleurs ; Vera, en revanche, était dans un piteux état. Elle devait s'appuyer sur sa fille pour marcher, car elle tanguait dangereusement, comme si elle était complètement ivre ; elle avait du sang séché sur le front, son manteau était couvert de cendres et de terre, ses collants rayés étaient filés de haut en bas ; l'extrémité de sa longue tresse était roussie, tout comme le pelage vert d'Albert.

– Que s'est-il passé ? demanda Narcissa.

Le regard de Vera s'assombrit encore davantage, et Daisy baissa les yeux.

– Ramia... ?

– Ramia est vivante, dit Vera. Je lui ai ordonné de s'enfuir. En revanche...

Vera et Daisy échangèrent un regard.

– Oui... ?

– Le pensionnat a été détruit, acheva Vera. Il n'en reste rien.

– C'est une bonne nouvelle, déclara Bellatrix avec hargne, tout en caressant les joues de Regulus avec de petits gestes nerveux.

Vera ne releva pas. Narcissa, elle, avait tout autre chose en tête.

– Et Lucius ? Où est-il ?

– Je ne l'ai pas vu, dit sombrement Vera. J'espère simplement qu'il n'était pas dans le pensionnat au moment de l'explosion.

Narcissa se tordit les mains, en proie à une nouvelle bouffée d'angoisse.

– Ne t'en fais pas, dit Daisy en lui prenant les mains, je suis sûre qu'il va bien...

Un nouveau bruit de vomissement coupa court à leur conversation, et toutes les trois se tournèrent vers Regulus.

– Que lui est-il arrivé ? demanda Vera.

– Les Tentagriffes, répondit Bellatrix.

– Diable ! s'exclama Vera en examinant les plaies béantes qui couvraient le bras gauche de Regulus. Pauvre bonhomme ! Vous n'avez pas d'essence de Murlap, dans cette maison ?

– Abraxas dit que non, dit Narcissa sur un ton lourd de sous-entendus.

– Bien sûr, soupira Vera en levant les yeux au ciel. Attendez une minute, je vais faire un petit aller-retour à la maison... Je vous ramène de quoi le revigorer.

Vera transplana, et revint quelques minutes plus tard, tenant fermement une bouteille remplie d'un liquide ambré. Elle tanguait toujours dangereusement et manqua de renverser la bouteille sur le sol.

– Doucement, doucement, dit Narcissa en l'aidant à se stabiliser.

– Merci... Il faut vite l'appliquer sur les blessures, afin de limiter le risque de cicatrices, dit Vera en s'asseyant sur un petit tabouret en osier.

Daisy, Narcissa et Bellatrix s'empressèrent de s'exécuter, et enduisirent Regulus d'essence de Murlap. Regulus ressentit aussitôt un immense soulagement, et en regardant son avant-bras couvert de liquide jaune, il constata que le saignement s'était tari.

– Tu ne t'es pas raté, mon pauvre enfant, dit Vera en sortant une petite fiole orange de sa poche. Tiens, bois ça, c'est un Philtre Antidégueuli... Très utile pour les lendemains de fête...

– Maman ! gronda Daisy.

Regulus but presque entièrement la fiole que lui tendait Vera, et la nausée s'envola aussitôt. Il en laissa quelques gorgées pour Bellatrix, qui, en venant à son secours, avait eu l'épaule légèrement éraflée par une Tentagriffe ; elle était d'une pâleur inquiétante, et se rapprochait discrètement de la cuvette des toilettes.

– Allez, bois ça, lui dit Regulus en voyant qu'elle était réticente à avouer sa faiblesse.

À contrecœur, Bellatrix prit la fiole orange et en renifla le contenu.

– Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle avec méfiance.

– Si je te le disais, tu n'en voudrais pas, sourit Vera. Mais je t'assure que c'est d'une efficacité redoutable... Il serait malvenu d'avoir des régurgitations devant Voldemort, n'est-ce pas ?

Bellatrix eut un haut-le-cœur, et consentit à boire le reste de la fiole, puis à mettre un peu d'essence de Murlap sur son épaule.

– À propos de Voldemort...

– Ne prononcez pas son nom, protesta Bellatrix. Vous êtes censées en avoir peur !

– Eh bien, c'est loupé, rétorqua Vera. Tu disais, Daisy chérie ?

– Est-ce qu'il était là ? Je veux dire, sur le champ de bataille ?

– Non, répondit Narcissa. Il devait nous observer de loin.

– Il est arrivé à la fin, corrigea Vera. C'est lui qui a détruit le pensionnat.

– Taisez-vous, j'entends quelqu'un, dit Daisy en se tournant vers la porte ouverte sur le couloir.

En effet, des bruits de pas leur signalèrent que quelqu'un s'approchait. Narcissa tendit le cou, dans l'espoir de voir Lucius apparaître, mais ça n'était qu'Edgar Goyle, essoufflé et couvert de terre.

– Le Seigneur des Ténèbres vous attend, dit simplement celui-ci, en évitant le regard de Vera. Il veut un rapport complet sur la bataille.

– Nous arrivons, s'empressa de dire Bellatrix en se relevant d'un bond.

Elle aida Regulus à se relever, lui mit une épaisse couverture sur les épaules et l'aida à marcher vers le salon. Narcissa voulut leur emboîter le pas, mais Vera la retint.

– Cissy, il faut que tu le saches, lui glissa-t-elle à toute vitesse. Ramia a craché du feu sur Voldemort, pendant la bataille. Il pense peut-être que c'est moi qui lui ai ordonné de le faire. Je ne sais pas comment il va réagir, mais surtout, si ça tourne mal... N'intervenez pas. Je saurai me débrouiller.

Et sans laisser à Narcissa et Daisy le temps de protester, elle les entraîna toutes les deux vers le grand salon, qui ressemblait désormais lui aussi à un champ de bataille.

Les Mangemorts étaient rassemblés en petits groupes autour des blessés. Les Tentagriffes leur avaient infligé des dégâts : Narcissa releva plusieurs flaques de sang et d'épines sur le sol, que Prunnas et Lidelys s'acharnaient à nettoyer sous le regard furieux d'Abraxas Malefoy. Plusieurs Mangemorts avaient des plaies béantes sur le corps et se vidaient de leur contenu gastrique au-dessus de récipients en argent.

Les Aurors avaient tout aussi ardemment défendu le pensionnat. Plusieurs Mangemorts étaient raides, ce qui indiquait qu'ils avaient été stupéfixés récemment ; et même les plus robustes d'entre eux portaient de nombreuses égratignures sur le visage. Antonin Dolohov, par exemple, semblait avoir le visage encore plus tordu que d'habitude, et sa mâchoire faisait un bruit inquiétant lorsqu'il parlait. Dans un coin, Narcissa reconnut Travers, dont une jambe était devenue arquée et griffue. MacNair, qui avait des connaissances étendues en matière d'animaux dangereux, essayait d'y remédier, mais sans grand succès.

Quant à Corban Yaxley, la moitié de son visage était complètement écorchée, ce qui ne l'empêchait pas d'échanger à voix basse avec d'autres Mangemorts en regardant Narcissa avec un sourire entendu. Narcissa crut entendre le prénom de Lucius, et déglutit avec difficulté.

À l'autre bout de la pièce, Carla s'efforçait de réconforter Ursula Crabbe, qui poussait des cris de colère et de désespoir.

– Son cher mari Piscus a été carbonisé sur place par Ramia, souffla Vera à l'oreille de Narcissa.

Narcissa se tourna vers elle, horrifiée.

– Nous nous sommes battus, précisa Vera. Il est devenu enragé... Il a voulu me tuer. Ramia m'a sauvé la vie.

Dans d'autres circonstances, Narcissa se serait peut-être réjouie de la mort de Piscus Crabbe, qu'elle détestait de tout son être ; mais elle était tellement angoissée à l'idée que Lucius ait pu subir le même sort qu'elle ne songea même pas à sourire.

– Oh, Abraxas, gémit Ursula Crabbe alors que ce dernier passait près d'elle. Comment faites-vous pour être aussi calme ? Vous n'avez pas peur que Lucius ne revienne pas ?

Abraxas haussa les épaules, et regarda sa montre de gousset.

– J'ai surtout peur qu'il revienne bredouille, dit-il sur un ton menaçant.

Narcissa serra les poings, et sentit Daisy lui attraper la main en signe de soutien.

Assis en bout de table, près de la cheminée de marbre, Voldemort contemplait le spectacle avec satisfaction. Son capuchon noir était rabattu sur son visage, mais ses pupilles rougeoyaient dans l'ombre, et sa bouche sans lèvres était étirée par un demi-sourire.

– Bien, je crois que nous sommes au complet...

– Lucius n'est pas là, fit remarquer Narcissa d'une voix tremblante.

Voldemort se tourna lentement vers elle. Il semblait bouger sans effort, sans qu'aucun de ses muscles ne se contracte, comme un spectre.

– Nous sommes donc presque au complet, dit-il d'une voix doucereuse. Ne t'en fais pas, Narcissa, j'attends Lucius avec autant d'impatience que toi... Mais nous pouvons toujours commencer sans lui. Asseyons-nous, mes amis...

Il étendit les bras pour désigner les sièges autour de la table. Les Mangemorts prirent place ; Bellatrix entraîna Regulus à côté d'elle, malgré les regards moqueurs que les autres jetaient à son teint verdâtre, au sang séché qui se trouvait sur son visage, à sa chemise imbibée de liquide jaune et à l'épaisse couverture posée sur ses épaules.

– Un coup de mou, mon p'tit ? l'interpella Rabastan Lestrange, le frère de Rodolphus. Ta nourrice a été méchante ?

Plusieurs Mangemorts s'esclaffèrent. Rodolphus Lestrange, en revanche, ne riait pas du tout, et observait Bellatrix et Regulus avec une hargne non dissimulée.

Ursula Crabbe, Juliet Selwyn, Carla Goyle et Magdalena Nott laissèrent leurs places aux guerriers, et s'installèrent sur des petits sièges proches de la fenêtre. Vera et Daisy s'assirent sur le canapé qui était proche la cheminée, et Narcissa alla s'asseoir à côté de la place vide de Lucius, afin que personne ne se l'approprie.

– Bien, très bien, dit Voldemort. Alors, mes amis... Racontez-moi.

– Nous sommes victorieux, annonça brutalement Yaxley. Le pensionnat est entièrement détruit... Grâce à vous, Maître.

– Oui, c'est bien ce que j'ai vu, dit Voldemort, sans manifester la moindre joie. Mais qu'en est-il des pensionnaires ?

Les quelques sourires qui avaient accompagné la déclaration de Yaxley s'évanouirent aussitôt. Les Mangemorts échangèrent des regards interrogateurs, à la recherche d'une main levée qui annoncerait une bonne nouvelle au Seigneur des Ténèbres. En voyant que personne ne se manifestait, quelques Mangemorts remuèrent sur leurs sièges, embarrassés.

– Eh bien ? insista Voldemort. Personne ?

Un silence pesant lui répondit.

– Vous me dites qu'avec cinquante hommes et deux dragons, vous n'avez pas réussi à attraper le moindre petit Sang-de-Bourbe ? siffla Voldemort. Et vous appelez ça une victoire ?

Yaxley détourna le regard.

– J'espère que vous avez d'autres bonnes nouvelles à m'annoncer, dit Voldemort d'une voix cruelle. Ou bien... Certains d'entre vous devront servir d'exemple pour subir ma colère.

À en juger par le frémissement de ses narines verticales, ceux qui seraient désignés risquaient de ne pas en sortir indemnes. Narcissa était fascinée par la terreur qu'il semblait infliger à ceux qui le servaient depuis longtemps. Les recrues plus récentes, en revanche, ne semblaient pas aussi averties. Evan Rosier, par exemple, était négligemment affalé sur son siège, et retirait soigneusement le sang séché qu'il avait sous les ongles. Balderic Parkinson et Andy Selwyn, quant à eux, comparaient leurs égratignures en fanfaronnant.

Narcissa n'était pas la seule à l'avoir remarqué. Inquiète, elle vit Voldemort lancer un regard cuisant à ceux dont il n'avait pas l'attention pleine et entière.

– Rosier ! Selwyn ! Parkinson ! Nott ! siffla Voldemort.

Les intéressés sursautèrent, et se dressèrent sur leur siège, droits comme des piquets. Voldemort les regarda un à un, et ses pupilles rougeoyèrent plus intensément. Il caressa sa baguette, hésitant ; et Narcissa vit de la sueur perler sur le front d'Andy Selwyn.

– À l'avenir, soyez plus attentifs, dit-il enfin.

Et les quatre jeunes hommes se détendirent légèrement, en s'épongeant le front.

– Où en étions-nous ? demanda Voldemort.

– Nous avons tué de nombreux Aurors, et des membres de la Police Magique, dit Yaxley afin d'argumenter l'optimisme de sa déclaration initiale.

– Mais encore ? Je veux des noms, dit Voldemort.

Il n'avait pas haussé le ton, mais sa voix s'était faite plus autoritaire.

– Fanny Dearborn, dit Antonin Dolohov en levant la main.

– Tu l'as tuée, tu en es sûr ?

– Absolument sûr, affirma Dolohov sans la moindre émotion dans la voix.

– Elias Bones, dit Evan Rosier à son tour.

– Camilla Bicwick, dit Fenrir Greyback en caressant rêveusement son menton couvert de sang séché.

– Gracchus Cosper, dit Alecto Carrow en repoussant une mèche de cheveux gras qui tombait devant ses yeux.

Les Mangemorts égrenèrent ainsi une quinzaine de noms.

– Bien, c'est très bien, dit doucement Voldemort lorsqu'ils eurent terminé. Et de notre côté... Quelles sont les pertes ?

– Thorfinn Rowle a été capturé, gémit Gibbon.

– Arcadius Flint a été tué, dit Balderic Parkinson sur un ton tragique.

– Arcadius ? Et... Qu'est devenu son frère, Orpheus ?

– Seulement blessé... Il est rentré chez lui, avec son épouse.

– Pauvre Arcadius, gémit Magdalena Nott à côté de la fenêtre.

À ces mots, Voldemort se tourna brutalement vers elle, et un nouveau silence pesant s'établit.

– Apprenez qu'il n'y a pas de mort plus glorieuse que celle de mourir pour la cause que nous défendons, dit lentement Voldemort. Vous devriez être heureux pour lui, et lui envier son sort.

Magdalena acquiesça, apeurée ; mais de toute évidence, elle était loin de partager l'avis de Voldemort.

– J'ai réussi à atteindre Rowle avec un Sortilège de Confusion, au moment où il a été capturé, se vanta Corban Yaxley. Ainsi, quand les Aurors voudront l'interroger... Il ne se souviendra de rien. Et le corps d'Arcadius Flint a été réduit en poussière : personne ne pourra l'identifier.

Tout le monde se tourna vers Voldemort pour observer sa réaction, mais celui-ci ne les écoutait plus. Il regardait par-dessus leurs têtes, vers la porte du salon. Les Mangemorts firent volte-face : la poignée tourna avec une lenteur extrême, les deux battants s'ouvrirent et Lucius apparut, couvert de sang et de poussière blanche.



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