Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 17 : La fureur des trois Crabbe

7834 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/06/2023 22:52

La fureur des trois Crabbe



Encadré par les deux jumeaux Crabbe, Hector et Rascus, Lucius ne prenait pas encore part au combat. Tous les trois rendus invisibles par un Sortilège de Désillusion, ils flottaient une dizaine de mètres au-dessus du sol, perchés sur leurs balais respectifs. Ils survolaient l'arrière du pensionnat Wimbley, où ils avaient vu Eleanor et son frère disparaître.

En-dessous d'eux, les combattants étaient moins nombreux : seuls quelques Aurors s'étaient postés là pour repousser les éventuels Mangemorts qui auraient réussi à franchir les premières lignes. Certains surveillaient le ciel avec attention, aux aguets ; d'autres dressaient des Sortilèges de Protection supplémentaires autour des murs du pensionnat. Il fallait progresser doucement, car un mouvement trop brusque pouvait générer un miroitement visible par les Aurors et les faire repérer...

Lucius parcourait anxieusement le terrain des yeux. Il sentait de grosses gouttes de sueur froide couler le long de sa colonne vertébrale. Il fallait qu'il trouve Eleanor Wimbley, et qu'il la tue, il n'avait pas le choix. Sinon, il subirait le châtiment du Seigneur des Ténèbres... Et pourtant, à cet instant, Lucius redoutait encore davantage d'apercevoir sa cible...

Ses mains moites se crispèrent sur son balai. Il venait de reconnaître la tenue violette, la peau noire et les cheveux crépus d'Eleanor Wimbley. Elle était là, en partie dissimulée par les Tentagriffes, accroupie à côté de son frère recroquevillé sur le sol, qui plaquait ses mains sur ses oreilles en gémissant.

– Je... Je la vois, murmura Lucius à contrecœur. Là, en bas, près des Tentagriffes... Avec son frère.

Les deux jumeaux Crabbe ne réagirent pas avec l'enthousiasme attendu. Depuis leur départ du manoir, Lucius avait la désagréable impression qu'ils échangeaient des regards entendus derrière son dos.

Ils se rapprochèrent discrètement, tous les trois alignés. En tendant l'oreille, ils distinguaient les mots qu'Eleanor prononçait, d'une voix étrangement calme et assurée :

– Erik... Viens par-là, mon ange. Ne t'en fais pas, nous allons nous mettre à l'abri, en bas... Nous allons nous cacher, et tout ira bien.

– Vas-y, Lucius, siffla Hector Crabbe. Fais-le ! Ou bien je m'en charge moi-même !

Lucius ne le voyait pas, mais il sentait sa présence menaçante à côté de lui et pouvait très bien imaginer sa baguette tendue vers leur cible. Crabbe l'aurait tuée sans hésiter, c'était tout à fait certain.

– Je... Oui, bredouilla Lucius en levant sa baguette.

Sa main tremblait terriblement. Il ne parvenait pas à expliquer ni la peur qui lui tenaillait le ventre, ni la réticence qu'il éprouvait à l'idée de commettre ce crime. Il détestait cette femme, du plus profond de son être... Son père avait toujours souhaité sa perte, et tout ce que son père souhaitait, Lucius le souhaitait aussi... Et maintenant, elle était à sa merci, sans défense ; il suffisait de prononcer le sort... Deux petits mots, et tout serait terminé... Il aurait gagné la confiance de Lord Voldemort, et du même coup, la fierté de son père... Il lui suffisait d'ouvrir la bouche, et il obtiendrait ce dont il rêvait depuis toujours ; et pourtant, cette épreuve lui semblait insurmontable...

– Hé !

L'un des Crabbe venait de le bousculer violemment ; il avait bien failli en lâcher sa baguette.

– À quoi vous jouez, nom de nom ?

– Hector ! Reviens ! siffla la voix furieuse de Rascus Crabbe.

En regardant au loin, Lucius comprit ce qui avait provoqué ce brusque changement d'attitude : à une cinquantaine de mètres d'eux, là où la bataille faisait rage, on pouvait apercevoir un jeune homme blond qui se démenait aux côtés d'Alastor Maugrey et d'Adam Claring.

Ted Tonks. Évidemment.

Hector Crabbe n'avait pas oublié l'humiliation que lui avait infligée Andromeda en rompant leurs fiançailles pour s'enfuir avec Ted, se marier avec lui et fonder une famille. Depuis maintenant deux ans, Crabbe recherchait les Tonks sans relâche dans l'espoir d'obtenir vengeance ; et en apercevant Ted, il avait décidé de saisir cette occasion tant attendue.

– Laisse-le aller, dit Lucius en tâtonnant dans le vide pour retenir Rascus par le bras. Nous serons bien assez de deux.

Rascus poussa un grognement. Hector s'était déjà éloigné ; il était toujours invisible, mais en observant attentivement le ciel enfumé, on pouvait voir un miroitement étrange se déplacer en direction de Ted et de ses amis... Un éclair vert surgit du vide et frappa le sol juste à côté de Ted, le faisant tomber à la renverse... Adam Claring et Alastor Maugrey levèrent leurs baguettes et criblèrent le ciel d'étincelles rouges et bleues...

En d'autres circonstances, Lucius aurait été curieux d'observer l'issue de ce combat, mais il parvint à s'en détourner pour se concentrer sur Eleanor Wimbley. En-dessous d'eux, une jeune Auror accourait auprès d'Eleanor et de son frère.

– Vous ne devriez pas rester ici, Mrs Wimbley, dit la jeune Auror à toute vitesse. On pourrait vous attaquer depuis le ciel... Certains assaillants se sont rendus invisibles. Je vais vous aider à emmener votre frère.

– Merci, Meadowes, vous tombez à point nommé, soupira Eleanor Wimbley. Viens, Erik, lève-toi...

Les deux femmes relevèrent laborieusement Erik Wimbley, qui ressemblait à un petit enfant terrorisé enfermé dans un corps d'adulte, et l'emmenèrent à toute vitesse vers le pensionnat. Eleanor ouvrit une petite porte et s'y faufila avec son frère, pendant que l'Auror prénommée Meadowes resta monter la garde à l'extérieur.

– C'est malin, grommela Rascus Crabbe. Elle a filé !

– Suivons-les, décréta Lucius.

Ils se rapprochèrent de l'Auror, toujours invisibles. Rascus Crabbe leva sa baguette vers elle ; son geste dut être trop brusque, et la dénommée Meadowes dut percevoir un déplacement de fumée dans leur direction, car elle leva vivement sa baguette et un éclair blanc frappa Rascus Crabbe de plein fouet. Celui-ci tomba lourdement de son balai ; un deuxième éclair lui atteignit l'épaule, et le Sortilège de Désillusion cessa de faire effet.

Rascus Crabbe se redressa, encagoulé et menaçant. Il leva sa baguette à son tour, et engagea le duel.

– Mes amis ! cria Meadowes en ripostant. Par ici !

Plusieurs Aurors se tournèrent vers eux, et firent pleuvoir les sortilèges sur Rascus Crabbe, qui se défendait tant bien que mal. Lucius, lui, n'avait pas été repéré, et pouvait se déplacer à loisir vers la porte qui donnait sur l'intérieur du pensionnat Wimbley.

Son balai se déporta doucement vers le bâtiment, et il posa un pied à terre. Ça ne pouvait pas être si facile... Et pourtant, la porte était ouverte, la voie était libre... Dans le couloir, les cris de détresse d'Erik Wimbley le guidaient vers sa cible...

Il regarda une dernière fois derrière lui pour constater que tous les Aurors se consacraient à neutraliser Crabbe. Personne ne faisait attention à la porte qui s'entrebâillait discrètement... Lucius fit quelques pas hésitants, puis parcourut les couloirs avec l'impression que les murs blancs du pensionnat Wimbley allaient se jeter sur lui. Malgré le vacarme du combat qui grondait au dehors, le bruit de ses pas et les battements de son cœur semblaient résonner en lui avec une force inouïe.

Tout en marchant, il s'imaginait ouvrir la porte du bureau, pointer sa baguette sur Eleanor Wimbley... Elle le regarderait, effrayée, et elle comprendrait qu'elle était perdue avant même qu'il prononce la formule...

Le couloir lui sembla soudain familier. Il pivota sur lui-même et constata qu'il était devant la porte du bureau d'Eleanor Wimbley. Lucius reconnaissait le hibou argenté qui brillait dessus, la poignée dissimulée dans la pierre. La dernière fois qu'il l'avait franchie, Eleanor Wimbley se trouvait derrière, en train de glousser à son sujet avec sa propre épouse. Ce jour-là, elle s'était ouvertement moquée de lui, elle l'avait humilié devant Narcissa : elle allait maintenant en payer le prix.

– Pas si vite, Malefoy, dit la voix brutale de Rascus Crabbe dans son dos.

Lucius ne l'avait pas entendu arriver. Il se retourna et constata que Crabbe portait plusieurs blessures sur le visage et sur le corps. Il ouvrit la bouche pour lui ordonner de rester silencieux, mais les yeux de Rascus Crabbe brillaient d'une lueur inquiétante. Il leva sa baguette et une sensation de chaleur indiqua à Lucius qu'il était redevenu visible aux yeux de tous. Avant qu'il n'ait pu faire le moindre geste, un énorme poing s'abattit sur sa tempe et il fut projeté en arrière. Sa tête heurta quelque chose de dur, et il s'écroula sur le sol.

– Dors bien, ricana Rascus Crabbe quelque-part au-dessus de lui.

***

Vera, elle, venait de transplaner aux abords du pensionnat Wimbley. Elle comptait s'approcher discrètement, mais était tombée nez-à-nez avec deux jeunes hommes qui en soutenaient un troisième, et s'était cachée derrière un arbre pour ne pas être vue.

– Oh, Adam, gémissait l'un d'eux. Il n'aurait pas dû s'interposer... Tout est ma faute...

– Ted, réponds-moi ! ordonna un autre, la voix tendue. Que s'est-il passé ?

Vera identifia aussitôt les trois jeunes hommes qui se trouvaient à quelques mètres d'elle : c'étaient Ted Tonks et Alastor Maugrey qui venaient de parler. Quant au jeune homme blessé et inconscient, il s'agissait très probablement d'Adam Claring.

– Tu as vu cet assaillant qui en avait après moi, murmura Ted. Celui qui était invisible...

– Oui, dit Maugrey avec impatience. Mais j'ai été distrait par d'autres Mangemorts.

– Je ne pourrais pas le prouver, mais je suis presque certain qu'il s'agissait d'Hector Crabbe... Je crois l'avoir entendu grogner... J'ai été visé par plusieurs sorts... Et quand tu as tourné la tête, Adam s'est interposé... Il en a reçu deux en pleine poitrine... Il s'est écroulé dans mes bras...

– Et Hector Crabbe ?

– Les autres l'ont chassé, sanglota Ted. Il s'est enfui.

– Ted, écoute-moi, dit fermement Alastor Maugrey. Il faut que vous alliez à Sainte-Mangouste.

– Il faudrait l'emmener en bas, bredouilla Ted. Pour le soigner...

– Non, c'est trop dangereux, décréta Alastor Maugrey. Le pensionnat va s'écrouler d'un instant à l'autre. Fais ce que je te dis, d'accord ?

Ted acquiesça en reniflant.

– Va dans cette direction, et tu trouveras d'autres Aurors, ordonna Alastor Maugrey. Ils t'aideront à l'emmener là-bas. Il s'en sortira, Ted, je te le promets. Souviens-toi, notre Adam a la peau dure.

– Oui, tu as raison... D'accord, je... Je vais essayer.

– Bien. Je retourne au combat.

– Alastor, attends... Tu... Tu as vu Eleanor ?

Il y eut un court silence.

– Non, admit-il. Je ne sais pas où elle est.

– Et le pensionnat...

– Nous allons faire de notre mieux, Ted. Mais je ne sais pas si nous pourrons le sauver. Ces sauvages sont enragés.

On entendit Ted déglutir avec difficulté.

– Je reviendrai immédiatement, dit-il d'une voix plus décidée. Je vais confier Adam aux guérisseurs, et ensuite... Je reviendrai. Je refuse qu'ils détruisent cet endroit.

– Comme tu voudras, conclut Maugrey. Mais quoique tu fasses... Fais attention à toi.

– À plus tard, Alastor. Fais attention à toi aussi.

L'Auror était déjà reparti vers la zone de combat. Vera vit Ted prendre Adam Claring sur son dos et l'éloigner du pensionnat, puis disparaître dans l'obscurité.

Un peu chamboulée, elle sortit de sa cachette et essaya de chasser de son esprit ce qu'elle venait d'entendre pour évaluer correctement l'étendue des dégâts et élaborer une stratégie efficace : il était impératif d'extraire Ramia de là, afin qu'elle survive à cette monstrueuse attaque et qu'elle ne fasse pas davantage de blessés.

– Eh bien, c'est du propre, commenta-t-elle pour elle-même en observant l'ensemble de l'arène qui s'étalait sous ses yeux.

Elle essayait de parler avec légèreté, afin d'atténuer l'horreur de ce qui se passait devant elle. Certes, l'imposant bâtiment en pierre blanche était toujours debout : la charpente tenait bon, malgré les sortilèges d'Explosion que les Mangemorts lançaient impitoyablement contre ses murs.

Cependant, il ne restait que Dumbledore et une dizaine d'Aurors – dont Alastor Maugrey, qui semblait être le plus vaillant d'entre eux – qui se débattaient contre une bonne vingtaine de Mangemorts aux silhouettes encagoulées. Quelques corps étaient étendus sur la pelouse : Vera les regarda avec inquiétude, et constata avec un grand soulagement qu'aucun corps d'enfant n'était présent. Dumbledore et Eleanor Wimbley avaient sans doute mis au point une stratégie d'évacuation assez efficace pour que tous les petits pensionnaires s'en sortent sains et saufs. Quelques-uns des énormes crabes qui avaient l'habitude de tondre la pelouse du pensionnat Wimbley parcouraient le terrain d'un bout à l'autre, épars. Il manquait une patte à l'un d'entre eux, une pince à un deuxième. Ramia, elle, était prise entre les feux des Aurors qui essayaient de la neutraliser et ceux des Mangemorts qui voulaient la rabattre vers le pensionnat Wimbley, afin de causer le plus de dégâts possibles.

Vera résista à l'envie de se ruer sur eux et essaya de réfléchir calmement. Certains endroits de la clairière étaient déjà entièrement ravagés, et donc abandonnés par les Mangemorts qui se massaient devant les murs du pensionnat. Si Vera parvenait à attirer Ramia vers un de ces endroits, alors elle pourrait s'envoler sans faire trop de dégâts... Mais il faudrait le faire discrètement, sans être vue – ni par les Mangemorts ni par les Aurors...

En regardant vers les endroits déserts de la clairière, Vera aperçut son fils Edgar s'enfuir en courant, et en fut rassurée. Il était influençable, certes, mais il n'était pas fou au point de risquer sa vie pour détruire le pensionnat Wimbley...

L'instant d'après, un couinement attira son attention vers le bas de sa robe, et elle constata, stupéfaite, qu'Albert s'était agrippé à ses collants rayés et multicolores.

– Albert ! gronda-t-elle.

Le ravluk descendit dans l'herbe, et pencha sa tête sur le côté, avec un air coquin qui se voulait attendrissant.

– Je t'avais dit de rester là-bas, pesta Vera.

Albert accentua son expression penaude. Sous ses pattes, l'herbe givrée avait pris une belle couleur émeraude et s'était mise à pousser à toute vitesse.

– Bon, d'accord, capitula Vera. Allez, monte sur mon épaule, et accroche-toi bien !

Ravi, Albert poussa sur ses pattes, battit des ailes et grimpa sur l'épaule de Vera, sa place favorite. Vera lui lança un regard faussement sévère. Elle devait bien l'admettre, la présence de son petit ravluk favori la rassurait grandement.

– En avant, dit-elle entre ses dents.

Elle marcha à grands pas vers les restes d'une estrade, et les escalada pour se placer en hauteur et maximiser ses chances d'être aperçue par la dragonne ; puis elle siffla de toutes ses forces.

La dragonne leva la tête, aux aguets ; mais un Sortilège d'Aveuglement la frappa à la tête, et elle poussa un rugissement de protestation en balayant la clairière de son souffle enflammé.

En désespoir de cause, un Auror lança un Sortilège de Fumigation, et des volutes de fumée blanche se répandirent partout dans la clairière, plongeant tout le monde dans l'opacité.

Vera attendit quelques instants, puis elle leva sa baguette, prête à attirer l'attention de Ramia dès que l'occasion se présenterait de nouveau. Mais alors qu'elle s'apprêtait à en faire jaillir une grosse étincelle violette, une énorme main s'abattit sur son bras. Elle en lâcha sa baguette, qui roula dans les gravats, et se retrouva face à Piscus Crabbe, écumant de rage. De près, elle avait une vue imprenable sur ses quatre rangées de dents, ce qui était loin d'être plaisant.

– Espèce de garce, rugit-il. C'est moi qui ai eu l'idée d'amener ces dragons ici ! Et tu ne t'approprieras pas le mérite qui me revient !

Vera était tellement abasourdie qu'elle en resta sans voix.

– C'est MOI qui recevrai les faveurs du Seigneur des Ténèbres ! poursuivit Piscus Crabbe, fou de rage.

– Calme-toi, dit Vera en essayant de dégager son bras de l'énorme poing de Piscus Crabbe. Où sont tes deux fils ?

– TAIS-TOI ! Abraxas m'a déjà volé toutes mes idées, tu ne me prendras pas celle-ci !

De sa main libre, Vera essuya son visage couvert de postillons. Le père des deux jumeaux abattit son autre main sur son épaule, et la força à regarder Ramia, dont on distinguait à peine la silhouette à travers les volutes de fumée blanche et cotonneuse qui tourbillonnaient dans la clairière.

– Insensible à l'Imperium, hein ? On va voir ça... Je me suis entraîné pendant des jours... Je vais la forcer à détruire le pensionnat... Impero !

Il pointa sa baguette sur l'ombre de la dragonne.

– Allez, sale bête, regarde par ici...

Du coin de l'œil, Vera vit Albert sautiller parmi les gravats pour retrouver la baguette de sa maîtresse.

– Allez...

Albert poussa une petite exclamation victorieuse en trouvant la baguette de Vera. Aussitôt, il lui lança, et en quelques battements d'aile, sauta sur la tête de Crabbe pour lui cacher les yeux.

– ARGH ! Maudit singe !

Vera pointa sa baguette sur Crabbe, et une explosion bleue le fit rouler en bas des restes de l'estrade. Puis Vera descendit de son promontoire et se mit à courir dans une direction hasardeuse. Elle avait perdu tout sens de l'orientation. L'ombre de Ramia se projetait un peu partout, au gré des flammes et des écrans de fumée. Vera avait l'impression qu'elle se trouvait à la fois devant elle, à sa gauche, à sa droite...

Des vibrations dans son dos lui indiquèrent que Piscus Crabbe s'était lancé à sa poursuite. Vera réfléchit à toute vitesse : si Piscus Crabbe parvenait à soumettre Ramia au sortilège de l'Imperium, tout était perdu... Certes, les dragons étaient réputés pour ne pas être sensible à se sortilège, mais Ramia était jeune... Et le combat l'avait peut-être affaiblie, rendant son esprit moins résistant... Dans ce cas, il n'y avait qu'une seule solution pour éviter le désastre : neutraliser Piscus Crabbe.

Résolue, Vera raffermit sa prise sur sa baguette et fit volte-face.

Stupéfix ! cria-t-elle.

Protego ! riposta Crabbe.

Et il attaqua à son tour :

Coudemassue !

Une longue matraque apparut dans le prolongement de son bras et frappa Vera sur la tempe.

Reducto ! cria Vera, sonnée, et la matraque explosa en confettis.

Des étincelles bleues, rouges, jaunes, vertes, violettes, oranges, faisaient des allers-retours entre les deux duellistes. Sous les pieds de Crabbe, un sortilège lancé par Vera avait rendu le sol extrêmement glissant, le faisant tituber ; mais malgré cela, il parvenait à tenir debout et à lancer des sortilèges contre lesquels Vera avait de plus en plus de mal à se défendre. À travers la brume, on entendait d'autres bruits de luttes endiablées : en plus de combattre Piscus Crabbe, Vera devait donc rester vigilante aux sortilèges qui avaient manqué leur cible et pouvait jaillir de la brume à n'importe quel moment.

Au bout d'un moment, Vera réussit à lui lancer un Maléfice Cuisant qui fit gonfler la partie gauche de son visage de façon spectaculaire, et lui arracha un cri de douleur. Albert en profita pour lui sauter dessus et pour lui mordre le doigt, afin de lui faire lâcher sa baguette. Mais Crabbe fit un grand geste du bras, et Albert fut projeté contre un rocher, d'où il roula sur le sol, assommé.

– Albert ! s'écria Vera.

Piscus Crabbe se redressa, le visage enflé, la bave aux lèvres, son œil noir rempli par le reflet des flammes qui dansaient autour de lui. Il pointa sa baguette sur Vera, et elle s'apprêta à lancer le charme du bouclier, mais Piscus Crabbe dévia légèrement sa baguette et visa quelque chose qui se trouvait derrière elle.

Kapturika !

Vera se retourna juste à temps pour voir le sortilège frapper une petite rampe en métal qui se trouvait derrière elle, à côté d'un escalier de pierre. La rampe s'anima, l'extrémité spiralée se détendit, s'allongea, s'enroula autour de son poignet et se rétracta à nouveau, forçant Vera à s'agenouiller à côté de la rampe.

Elle voulut aussitôt se dégager, mais la rampe de métal était redevenue rigide et lui serrait étroitement le poignet. Elle saisit sa baguette pour s'en défaire, et essaya plusieurs manières d'attaquer le métal, mais sans succès.

– C'est peine perdue, Vera, ricana Piscus Crabbe.

Vera se retourna vers lui. Il y eut une rafale de vent, et la brume se dissipa légèrement. Derrière Crabbe, Vera distingua un mur de pierre blanche, et réalisa qu'ils se trouvaient au pied du pensionnat Wimbley.

Tournicoti ! lança alors Piscus Crabbe.

Immédiatement, Vera eut le sentiment que la Terre se mettait à tourner comme une toupie. Sous elle, le sol tanguait tellement qu'elle avait l'impression qu'elle pouvait tomber vers le ciel à tout moment, et s'agrippait de toutes ses forces aux barreaux de métal qui soutenaient la rampe d'escalier qui se trouvait à côté d'elle. Sa baguette lui échappa des mains, et elle appuya son front contre le métal froid de la rampe pour ne pas s'évanouir.

Elle regrettait amèrement de ne pas avoir été plus attentive en cours de Sortilèges et de Défense contre les Forces du Mal. Elle s'était toujours entièrement consacrée aux Soins aux Créatures Magiques, en négligeant le reste ; et elle était sur le point d'en payer le prix.

– Lève la tête, Vera, lui ordonna la voix retentissante de Piscus Crabbe. Je ne voudrais pas que tu rates la suite du spectacle !

À contrecœur, et tout en continuant de se cramponner à la rampe, Vera risqua un regard vers Piscus Crabbe. Celui-ci pointait sa baguette vers Ramia, qui ne regardait pas dans leur direction.

– Regarde, Vera... Allez, sale bête ! Maintenant, tu vas m'obéir ! Impero !

Vera avait du mal à regarder la dragonne violette, d'abord parce que tout ce qui l'entourait semblait danser la ronde autour d'elle et que cela lui donnait la nausée ; mais aussi parce qu'elle était terrifiée en pensant à ce qui allait se passer.

Elle distingua vaguement la silhouette de Ramia changer de comportement. La dragonne commença par s'ébrouer, comme pour se débarrasser d'un insecte parasite qui aurait élu domicile entre ses écailles ; puis elle poussa un rugissement de colère, et se mit à chercher autour d'elle l'origine de ces désagréments.

– Elle ne se laisse pas faire, pesta Crabbe en agitant sa baguette comme pour entourer Ramia de liens invisibles.

Et puis, Ramia les vit. Ses grands yeux violets s'arrêtèrent d'abord sur Vera, qui était misérablement recroquevillée contre la rampe en métal, puis sur Crabbe, qui pointait sa baguette sur elle.

– Ah, voilà, elle a compris à qui elle avait affaire... Impero ! Allez, incline-toi devant moi !

Ramia tressaillit. Horrifiée, Vera la vit cligner des yeux une fois, deux fois, puis courber légèrement l'échine. Piscus Crabbe poussa un rugissement de triomphe.

– Enfin ! Approche, maintenant, et montre-nous ce dont tu es capable !

La dragonne violette s'approcha d'un pas lourd, faisant trembler le sol et soulevant des gerbes de terre et de gravats, interrompant sans s'en rendre compte quelques duels sur son passage. Elle fixait intensément Piscus Crabbe, comme hypnotisée.

– Je savais bien que j'y arriverais, exulta Piscus.

Vera chercha à toute vitesse un moyen d'empêcher ce qui était en train de se produire. Elle tendit désespérément la main vers sa baguette, malgré le vertige qui la saisissait, mais celle-ci avait roulé hors de sa portée.

– Tu es complètement fou ! cria-t-elle au-dessus du vacarme.

Mais Piscus Crabbe ne l'entendait pas. Il promenait sa baguette de droite à gauche, et Ramia le suivait docilement des yeux.

– Crabbe ! ARRÊTE !

Piscus Crabbe lui jeta un regard furtif, et aussitôt, Ramia sembla se défaire légèrement de son emprise : elle cligna des yeux et cessa de regarder la baguette de Piscus Crabbe.

– NON ! Elle m'échappe ! rugit-il.

– Ramia ! appela Vera, désespérée. Résiste, je t'en supplie !

Ramia semblait en effet se rebeller. Malgré les hurlements furieux de Crabbe qui lui ordonnaient de détruire le pensionnat, Ramia regardait alternativement Vera et Crabbe sans bouger d'un millimètre.

Après plusieurs tentatives, il se tourna vers Vera, écumant de rage.

– Très bien, tu l'auras voulu, dit Piscus Crabbe. Je comptais te laisser en vie, mais puisque tu persistes à vouloir me dérober la victoire...

Il lui adressa un sourire dément.

– Voyons ce que vaut la loyauté de ton maudit dragon, face à la toute-puissance de l'Imperium, proposa Piscus Crabbe.

Il pointa à nouveau sa baguette vers Ramia, avec une détermination nouvelle.

– Et maintenant, on va dire au revoir à son ancienne maîtresse, dit Piscus Crabbe.

Ramia tourna son énorme tête vers Vera. Ses grands yeux violets étaient remplis de tristesse.

– Voilà, ma belle, tu m'as bien compris, la félicita Piscus Crabbe. Allez, vas-y, montre-lui que c'est à moi que tu appartiens, désormais...

Ramia s'approcha de Vera et se pencha vers elle. Vera essaya désespérément de dégager son poignet du lacet métallique et rigide qui l'entourait, mais elle ne réussit qu'à érafler sa peau sans pouvoir s'échapper.

Elle était prise au piège. Ramia se rapprochait de plus en plus. Piscus Crabbe allait sans doute lui ordonner de la dévorer, ou bien de la carboniser sur place, comme une vulgaire pièce de viande... Quelle mort atroce... Elle qui avait consacré sa vie aux animaux, être tuée par l'un d'entre eux... Que diraient Daisy, et Edgar ? Et Cissy ? Et que deviendraient-ils ? Qui prendrait soin d'eux, une fois que Vera ne serait plus de ce monde ?

Les pensées défilaient à toute vitesse dans son esprit, à tel point que tous les mouvements autour d'elle semblaient ralentis : le bondissement des flammes, les sorciers qui se battaient au loin, les mouvements de Ramia... Même la voix de Piscus Crabbe était lointaine, assourdie.

Le museau fusant de Ramia s'immobilisa à quelques centimètres de Vera, qui n'osait plus bouger d'un millimètre.

– Allez, brûle, dit la voix de Piscus Crabbe.

Vera entendit la dragonne prendre une grande inspiration, elle vit sa cage thoracique s'élargir, son énorme gueule s'ouvrir... Autour d'elle, la température monta en flèche... Vera vit le fond de son gosier, et l'énorme brasier dont la chaleur brûlante s'apprêtait à déferler sur elle...

Et pourtant, en un éclair, au moment où Vera s'apprêtait à mourir, la dragonne poussa un rugissement terrible et se tourna vers Piscus Crabbe.

Le jet de flammes frappa le colosse de plein fouet et le transforma immédiatement en une gigantesque torche humaine. Il poussa un hurlement, qui se transforma aussitôt en gargouillement, puis en râle. Sa peau devint noire et une horrible odeur de chair brûlée parvint aux narines de Vera. Il s'écroula sur le sol, mais Ramia ne semblait pas vouloir se détourner de lui, et continuait de projeter son haleine enflammée dans sa direction, avec une puissance disproportionnée, à la hauteur de la détresse qui animait la dragonne ; et elle ne s'interrompit que lorsque ce qui restait de Crabbe cessa complètement de bouger.

Le souffle court, Vera se redressa légèrement et, de sa main libre, rabattit son capuchon sur son visage pour ne pas être reconnue. Autour d'elles, c'était à peine si on se souciait de leur présence : partout, les Mangemorts étaient largement supérieurs en nombre, même s'ils semblaient incapables de terrasser les derniers défenseurs du pensionnat – dont Dumbledore, Maugrey et Ted Tonks, qui venait de revenir sur le champ de bataille.

– Oh, Ramia...

La dragonne fixait les restes calcinés de Piscus Crabbe, visiblement épuisée. Son souffle était rauque : tuer était contre sa nature. Cela lui avait terriblement coûté.

– Ramia, écoute-moi...

La dragonne se tourna vers Vera. Ses grands yeux violets brillaient de détresse et de culpabilité.

– Viens, approche-toi... Ne t'inquiète pas...

Sans l'écouter vraiment, Ramia s'approcha d'elle. Vera tendit la main pour la caresser, mais Ramia l'esquiva ; et d'un coup de croc, elle cassa en morceaux la rampe de métal qui retenait Vera prisonnière.

Puis la dragonne se redressa pour regarder le champ de bataille. Elle semblait transie d'effroi ; ses yeux violets sautaient d'un camp à l'autre, incapables de comprendre la raison pour laquelle ils s'entretuaient de cette manière. Son souffle rauque s'accéléra ; elle secoua la tête, se redressa, tendit le cou vers le ciel et poussa un rugissement déchirant, sans doute dans le but de faire cesser le combat qui faisait rage.

Quelques regards inquiets ou surpris se tournèrent vers elle, et Vera s'empressa de se cacher derrière l'une de ses ailes. Plusieurs Aurors distraits par la dragonne furent terrassés par des sortilèges provenant du camp adverse ; mais cette courte diversion permit également à Dumbledore de réagir.

D'un grand geste du bras, il fit apparaître un énorme disque lumineux, qui s'arrondit en dôme au-dessus des Mangemorts et se referma sur nombre d'entre eux. Aussitôt, ces derniers tentèrent de le détruire, mais ils semblaient incapables d'en sortir ; les sortilèges qui jaillissaient de leurs baguettes s'échouaient lamentablement contre la paroi lumineuse, qui étouffait jusqu'au son de leurs voix.

– Stupéfixez-les ! ordonna la voix puissante de Dumbledore. Capturez-les !

Il semblait devoir fournir un effort surhumain pour maintenir l'intégrité du dôme. Les Aurors s'empressèrent de réagir et pointèrent leurs baguettes sur les Mangemorts emprisonnés, puis les criblèrent de sorts.

Profitant de cette accalmie, Vera se cramponna à la patte de Ramia pour la secouer, la supplier de s'envoler, mais la dragonne ne parvenait pas à détacher son regard de cette terrible démonstration de violence.

– Ramia ! appela-t-elle désespérément. Va-t'en !

– Nous y sommes presque ! cria Dumbledore pour encourager les Aurors. Tenez bon !

Il ne restait plus que quelques Mangemorts encore valides dans le dôme formé par Dumbledore quand une formidable secousse ébranla la terre. Plusieurs Aurors titubèrent, tombèrent à genoux. Une deuxième secousse fit voler en éclats le dôme argenté qui emprisonnait la plupart des Mangemorts, tandis qu'une puissante rafale de vent fit vaciller les flammes qui dansaient dans la clairière.

– Oh non, gémit Vera.

Progressivement, au milieu des volutes de fumée qui continuaient de tourbillonner, elle distingua une silhouette encapuchonnée, un visage blafard et émacié, le rougeoiement de deux pupilles verticales... Et une voix sifflante s'éleva, venant de partout à la fois...

– Je me doutais que nous finirions par nous affronter, Dumbledore, dit Lord Voldemort.

L'atmosphère se fit soudain plus sombre, plus oppressante. Un mouvement de recul parcourut les rangs des Aurors ; à l'inverse, Dumbledore ne trembla pas.

– Hélas, dit-il simplement.

– Vous n'avez aucune chance, et tu le sais, Dumbledore. De nombreux guerriers sont tombés. À l'heure qu'il est, Eleanor Wimbley doit être morte. Vous êtes donc prêts à périr pour défendre un tas de ruines fumantes ?

– Il ne s'agit pas de ça, dit calmement Dumbledore.

Il n'ajouta rien. Sa voix paisible résonna dans la clairière avec autant de force que celle de Voldemort. Non loin de lui, Maugrey, Ted et quelques Aurors se tenaient prêts à engager le combat.

– Quel entêtement, siffla Voldemort. Et quel gâchis.

Il fit un geste de la main, et les Mangemorts qui avaient été stupéfixés furent libérés de leurs liens invisibles. Ils se relevèrent précipitamment, remettant leurs masques et leurs cagoules en place, essoufflés et honteux. Autour d'eux, les flammes s'intensifièrent, rendant l'atmosphère étouffante.

Voldemort remua sa baguette ; derrière lui, les fragments d'armature métallique qui se trouvaient proches de tentes saccagées s'animèrent et fendirent l'air en direction des Aurors, prêts à les transpercer ; mais d'un geste, Dumbledore les réduisit en poussière avant qu'ils n'atteignent leur cible.

Comme s'il s'attendait à échouer, Voldemort avait déjà lancé un autre sortilège. Un jet de flammes noires jaillit de sa baguette et fondit droit sur Dumbledore, mais s'écrasa sans l'atteindre sur un bouclier invisible qui se trouvait juste devant lui. Les flammes noires se tarirent, puis réapparurent avec une intensité plus grande encore.

– Tu n'es pas de taille à lutter, Dumbledore ! cria Voldemort au-dessus du crépitement assourdissant. Regarde ce que je suis devenu, malgré tous tes efforts pour me détourner du pouvoir !

Dumbledore tenait bon, mais les flammes persistaient, de plus en plus intenses, comme nourries par la colère grandissante de Voldemort. Elles étaient sur le point de fendre le bouclier quand un chant mélodieux envahit la clairière du pensionnat...

Quelques Mangemorts levèrent la tête et aperçurent un grand oiseau au plumage rouge et or déployer ses ailes au-dessus de Dumbledore. Le phénix survola la gerbe de flammes noires pendant quelques instants, puis y plongea délibérément. Là, ses ailes se mirent à brûler dans un sifflement terrible, transformant les flammes noires qui l'atteignaient en flammèches inoffensives ; puis il ouvrit le bec et se consuma dans un jaillissement enflammé qui absorba toute l'énergie obscure contenue par le sortilège de Voldemort. Les flammes noires tombèrent en poussière au moment où Fumseck roulait sur le sol sous la forme d'un petit oisillon dépourvu de plumes.

– NON ! rugit Voldemort.

Pour toute réponse, Dumbledore remua légèrement sa baguette magique et produisit un jet de lumière qui ébouriffa les cheveux de ceux qui se trouvaient près de lui ; une expression incrédule passa sur le visage de Voldemort, puis il disparut dans un tourbillon de tissu noir avant de réapparaître une dizaine de mètres plus loin, hors de la trajectoire du sortilège. Le jet de lumière alla s'échouer sur un arbre à moitié calciné, qui s'illumina avec un bruit à glacer le sang et s'éteignit aussitôt.

– AVADA KEDAVRA ! cria Voldemort avec fureur.

Cette fois-ci, il n'avait même pas visé Dumbledore. L'éclair de lumière verte manqua de s'abattre sur une Auror qui se trouvait à côté de Maugrey, mais elle s'écarta avec agilité, et la lumière verte ne fit qu'enflammer l'herbe qui se trouvait sous ses pieds.

– Quel manque d'imagination, railla la jeune femme à l'intention de Voldemort.

– En effet, commenta paisiblement Dumbledore. Je dois avouer que je m'attendais à des sortilèges plus inventifs.

– Je vous aurais prévenus, coupa Voldemort de sa voix glaciale. Il est encore temps de vous incliner.

Dumbledore n'eut pas l'occasion de répondre ; car, hélas, c'est le moment que choisit Ramia pour prendre part au combat.

Bouillonnante, révoltée, elle frappa le sol de ses ailes puissantes pour attirer l'attention des combattants. Cachée derrière elle, Vera la vit prendre une grande inspiration. Sa cage thoracique s'élargit, laissant voir entre ses côtes la lueur violette émise par son cœur ; les pics rocheux qui hérissaient son corps frémirent ; elle ouvrit sa gueule, montrant aux combattants ses multiples rangées de dents ; et tout en rugissant, elle cracha une immense gerbe de flammes en direction de Voldemort.

– Ramia ! glapit Vera.

Plusieurs Mangemorts se jetèrent de côté, de peur d'être brûlés vifs ; le feu roula jusqu'à Voldemort, crépitant, incandescent ; mais, nullement effrayé, celui-ci leva ses mains devant lui et l'arrêta à quelques centimètres de ses longs doigts effilés.

– Ramia, arrête ! supplia Vera, effrayée.

En effet, le feu que crachait la dragonne ne faisait aucun mal à Voldemort ; au contraire, il s'accumulait devant lui, entre ses mains, formant un gigantesque globe enflammé qui éclairait de plus en plus puissamment le rictus cruel qui animait son visage.

Voyant cela, Ramia s'arrêta de cracher du feu – mais il était trop tard. Le globe enflammé ne disparut pas. Au contraire, les flammes qui le constituaient s'intensifièrent, puis s'élevèrent dans les airs, tandis que Voldemort arrondissait souplement son bras vers l'arrière, comme pour lancer quelque chose au-dessus de sa tête...

– À terre ! cria la voix retentissante de Dumbledore.

De sa baguette, il fit tomber à la renverse ceux qui se trouvaient proches de lui. Avec une exclamation victorieuse, Voldemort propulsa la boule de feu sur le pensionnat. Dumbledore et Maugrey levèrent leur baguette au même instant pour tenter de la faire dévier de sa trajectoire ; mais puisqu'ils se trouvaient face à face, de part et d'autre de la porte du pensionnat, leurs efforts contradictoires s'annulèrent et la sphère atteignit sa cible de plein fouet.

Les flammes ouvrirent les deux battants de l'imposante porte en chêne et s'engouffrèrent à l'intérieur du pensionnat Wimbley, avec un fracas et une violence inouïs. Le brasier féroce roula le long du couloir en spirale qui faisait le tour du pensionnat. Catastrophée, Vera vit les fenêtres s'illuminer une par une, et les rares vitres qui étaient encore intactes volèrent en éclat. Puis l'air enfermé dans le pensionnat se dilata, la charpente déjà fragilisée céda complètement et l'ensemble du bâtiment explosa.

Une onde de choc se répandit dans toute la clairière, jetant tout le monde à terre. Vera vit les pans de murs de pierre blanche fuser dans toutes les directions. Les combattants encore vaillants parvenaient à se protéger des jets meurtriers en criant des Protego à tort et à travers, mais les blessés étendus sur le sol n'avaient pas cette chance. Vera elle-même manqua d'être percutée par un énorme bloc de pierre, avant que Ramia n'en dévie la trajectoire d'un coup de patte ; et Albert qui était revenu à lui, les rejoignit de justesse et se blottit contre Vera, absolument terrifié.

La pluie de pierre dura quelques secondes, pendant lesquelles Vera serra Albert contre elle de toutes ses forces. Le sol cessa progressivement de vibrer, les chocs sourds que Vera percevait autour d'elle s'estompèrent ; et enfin, elle ouvrit lentement les yeux, abasourdie.

Le sortilège de Tournis commençait à s'estomper. Vera avait la tête qui tournait, mais elle pouvait regarder autour d'elle sans avoir l'impression de se trouver à l'intérieur d'une toupie. En revanche, elle n'entendait strictement rien, à part un sifflement aigu qui semblait provenir de l'intérieur de son crâne et qui empêchait les autres sons de parvenir jusqu'à elle.

Ramia, qui l'avait entourée de ses ailes pendant toute la durée de l'explosion, s'écarta légèrement et la laissa apprécier l'ampleur du désastre. À la place du bâtiment blanc et lumineux qui se dressait au milieu de la clairière quelques heures plus tôt, une gigantesque colonne de fumée noire montait vers le ciel. Sur le champ de bataille, Voldemort avait disparu. Vera vit un Auror appeler ses alliés à battre en retraite, et les survivants transplanèrent piteusement, emportant les quelques blessés avec eux. Dumbledore marcha vers Fumseck sans qu'aucun Mangemort n'ose l'attaquer, prit délicatement l'oiseau entre ses mains et transplana à son tour. Une fois qu'il eut disparu, les Mangemorts qui restaient en lice levèrent leur poing ou leur baguette vers le ciel, et une nouvelle Marque des Ténèbres éclaira le terrain dévasté d'une sinistre lueur verte.

À côté de Vera, Ramia poussa un gémissement plaintif et désolé. La pauvre dragonne était en piteux état. Des marques de craie blanche s'étaient ajoutées aux stries dégoulinantes de sang noir qui marquaient sa peau écaillée, et une de ses ailes était lamentablement déchirée.

– Ramia, écoute-moi, dit Vera d'une voix tremblante.

La dragonne la regardait avec des yeux coupables et suppliants.

– Je sais que tu n'as pas fait exprès, dit Vera. Tu as essayé de l'arrêter, tu as fait que ce que tu pouvais... Mais il est trop puissant, Ramia, bien trop puissant pour toi... Tu m'as sauvé la vie, tu as été forte... Mais maintenant, il faut que tu t'en ailles... Va-t'en, ou bien tu auras des ennuis...

Ramia secoua la tête, butée, et Vera devina ce qui la tracassait. Elle posa sa main sur la grosse pierre violette qui ornait le front de la dragonne, et leurs pensées fusionnèrent aussitôt. Leurs frayeurs et leurs culpabilités se reconnurent, et s'apaisèrent mutuellement. Vera rassembla ses esprits et appela à elle l'image de sa fille Daisy, allongée sur un canapé, en sécurité, avec Narcissa à ses côtés.

 – Tu vois, Daisy est saine et sauve, murmura Vera, essoufflée. Et Narcissa aussi. Tu peux partir, maintenant... Alors envole-toi, le plus loin possible... Et surtout, ne reviens pas, ne reviens plus jamais...

Vera sentit sa voix se briser, et Albert se crispa sur son épaule. Ramia hocha tristement la tête et se décida à reculer de quelques mètres. Dès que la main de Vera se détacha du front de la dragonne, elle se sentit atrocement seule et frigorifiée. En voyant Ramia s'envoler laborieusement, puis disparaître derrière les arbres enflammés, Vera dut serrer Albert dans ses bras pour ne pas pleurer.

Elle regarda l'anneau de métal grossier qui entourait son poignet, mais qui ne la retenait plus à rien. Puis elle épousseta son long manteau dont la couleur violette était devenue difficilement perceptible. Elle regarda une dernière fois les restes calcinés de Piscus Crabbe, puis le spectacle désolant des ruines fumantes du pensionnat Wimbley ; elle poussa un long soupir, imitée par Albert, puis transplana et disparut.

La clairière dévastée se vida progressivement de ses derniers occupants. Les Mangemorts retournèrent vers le manoir des Malefoy, afin de célébrer leur écrasante victoire, et rapidement, on n'entendit plus que le crépitement des flammes et le murmure du vent. Une aube farouche éclaircissait timidement le ciel, mais à des kilomètres à la ronde, aucun oiseau ne chantait.

Au bout d'un long moment, deux voix d'hommes vinrent troubler ce silence pesant.

– TED ! Il est encore trop tôt, nous reviendrons plus tard ! REVIENS ! Il y a peut-être encore des Mangemorts !

– Eh bien, je les étriperai !

Ted Tonks marchait à vive allure vers les décombres du pensionnat, enjambant avec agilité les morceaux de tentes et les débris qui jonchaient le sol. Après avoir confié Adam aux guérisseurs de l'Hôpital Sainte-Mangouste, il était aussitôt revenu sur les lieux du combat et s'était battu avec bravoure, jusqu'au bout ; une large déchirure dans son pull de Noël laissait voir une plaie sanguinolente sur son épaule, et sa jambe gauche était un peu raide à cause d'un sortilège de Stupéfixion qui l'avait effleuré.

L'homme qui lui courrait après avait une carrure nettement plus impressionnante que la sienne. Ses traits étaient grossiers, son pas était lourd, et il portait l'insigne des Aurors épinglé sur sa poitrine. On devinait qu'il s'était battu en voyant sa main serrée autour de sa baguette, et ses cheveux en bataille, mais à l'inverse de Ted, il ne portait pas la moindre égratignure. Alastor Maugrey avait fait mordre la poussière à de nombreux Mangemorts, et même à six contre un, aucun sortilège n'était parvenu jusqu'à lui.

– Pense à ta famille, Ted ! cria-t-il à son ami. Andromeda doit être folle d'inquiétude !

– Je le sais bien, Alastor ! Mais Eleanor est peut-être là-dessous ! Elle est peut-être encore vivante, nous pouvons peut-être encore la sauver... ELEANOR ! appela-t-il.

Maugrey renonça à empêcher Ted de fouiller les décombres fumants du pensionnat, et se contenta de le rejoindre pour garder un œil vigilant sur les environs.

Tout en toussant à cause de la fumée, Ted fouillait frénétiquement les gravats, éparpillait les restes de mur et de mobilier, écartait les énormes blocs de pierre en s'abîmant les mains.

– Eleanor ! ELEANOR ! appelait-il à tort et à travers, d'une voix de moins en moins forte et de plus en plus désespérée.

Il reconnaissait les endroits qu'il fouillait aux morceaux d'objets qu'il trouvait sur son passage : des gants brodés et des chaussures spéciales autour de l'atelier de Romeald, des oreillers éventrés au niveau des dortoirs, des couverts tordus vers le réfectoire, des fragments de ciel étoilé et de frises chronologiques animées près des salles de classe... À chaque pas, il craignait de découvrir le corps d'Eleanor, ou bien celui d'un enfant.

Alors qu'il avait déjà ratissé une partie des ruines du pensionnat, la voix de Maugrey s'éleva dans son dos.

– Ted...

Ted ne l'entendit pas et continua ses fouilles.

– Ted ! l'appela à nouveau Maugrey, d'une voix plus autoritaire.

Ted, enfin, consentit à s'interrompre et se tourna vers lui. Maugrey était immobile, le visage grave, et désignait quelque chose qui se trouvait sur le sol. Quelque chose... ou quelqu'un.

– Non, souffla Ted.

Maugrey hocha la tête avec gravité et baissa les yeux. Ted eut soudain l'impression que son cœur allait éclater en morceaux – car l'expression chagrinée de son ami ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose. Il courut vers Maugrey et le rejoignit en quelques enjambées. Là, les quelques forces qui lui restaient le quittèrent subitement, et il tomba à genoux. Maugrey posa une main ferme sur son épaule, mais Ted ne la sentit même pas, tant ce qu'il voyait était insoutenable.

Un peu plus loin, sans être vu, Lucius Malefoy émergeait des décombres, sonné. Il tremblait de tous ses membres, ses vêtements étaient en lambeaux et il avait le visage en sang. En entendant les cris déchirants de Ted, Lucius serra sa main autour de sa baguette, et en sentant deux cylindres de bois lisse au creux de sa paume, il se rappela qu'il tenait non seulement la sienne, mais également celle d'Eleanor Wimbley, qu'il avait arraché à sa propriétaire quelques instants plus tôt.


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