Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 16 : Deux frères

5516 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/06/2023 21:03

Deux frères



Pendant ce temps, James, Sirius, Remus et Peter couraient dans la forêt, à en perdre haleine.

– Vite, vite, les enfants !

Le Portoloin n’était plus très loin. Ceux qui étaient les plus proches du pensionnat avaient été balayés par les énormes dragons, obligeant Sirius et ses amis à utiliser ceux que Dumbledore avait disposés un peu plus loin, en cas de problème avec les premiers. Intérieurement, Sirius adressa tous ses remerciements au directeur de Poudlard. Si celui-ci n’avait pas été aussi prévoyant, l’attaque aurait été un véritable massacre.

Encadrés par deux Aurors, ils avaient dû traverser la muraille de Tentagriffes, puis chercher le Portoloin dans la forêt, en priant pour ne pas tomber sur des Mangemorts en embuscade. Peter était absolument terrorisé et ne lâchait pas d'une semelle l'Auror qui semblait la plus vaillante de leur petite escorte. Remus n'en menait pas large non plus : il était pâle comme un linge et scrutait la forêt qui les entourait avec appréhension. Sirius devina qu'il pensait à la présence de Fenrir Greyback et à l'éventualité où ils croiseraient sa route ; il se rapprocha donc de lui et lui prit doucement le bras.

– Là ! En haut du rocher !

James venait de dénicher la vieille botte censée les amener en sécurité.

– Les enfants, venez vous mettre en cercle autour… Voilà, comme ça… Attention, prenez bien la botte tous en même temps !

Au moment de saisir la bottine, Sirius voulut regarder une dernière fois vers le pensionnat. Depuis le haut de la colline où ils se trouvaient, ils pouvaient voir au-dessus de la muraille de Tentagriffes. Sirius vit le pensionnat, donc un pan entier de mur s'était déjà écroulé. Les Aurors défendaient toujours le bâtiment, mais de temps à autre, un sortilège lancé par les Mangemorts atteignait les murs de pierre blanche, fragilisant chaque fois un peu plus la charpente du pensionnat. Dans la clairière, les Mangemorts avaient pris le dessus sur les Aurors, qui battaient en retraite vers le bâtiment. Le sapin de Noël et les arbres environnants brûlaient comme des torches immenses, les tentes violettes s'étaient écroulées sur elles-mêmes, et certains Mangemorts achevaient de les détruire en les piétinant sauvagement.

Sirius s'attarda un instant sur eux, envahi par une bouffée de haine. Qui étaient donc ces gens, pour agir de cette manière ? Comment pouvait-on être aussi cruel, pour détruire ainsi ce splendide havre de paix destiné à de jeunes enfants ? Fulminant de rage, il scruta à travers les flammes et la fumée noire les silhouettes qu'il apercevait près des tentes. La plupart des Mangemorts étaient grands, costaux... Sauf l'un d'entre eux, un peu à l'écart...

– Sirius ! Tu es prêt ?

– Oui, allons-y... Non !

Sirius se figea. Il venait de reconnaître cette silhouette de petite taille, qui achevait de piétiner la plus grande des tentes violettes.

– Allez-y sans moi, dit-il brusquement.

– Comment ? Sirius !

– J’y retourne, lança-t-il en s’éloignant. Occupez-vous des enfants !

– Sirius ! Arrête !

– Hé, toi ! Reviens ici immédiatement ! cria une des Aurors qui les avaient escortés jusqu'au Portoloin.

Mais Sirius ne les entendit pas. Et tout en courant vers le bas de la colline, puis vers les Tentagriffes, il espérait que sa vue lui avait fait défaut…

 

Près des restes calcinés des tentes violettes, Regulus contemplait l'incendie, presque aussi atterré que Sirius. Au loin, les Mangemorts s'en donnaient à cœur joie ; il vit même Yaxley lancer un sortilège au-dessus de la tête des Aurors et creuser ainsi un large cratère dans les murs de pierre blanche du pensionnat. Il reconnut également Bellatrix, d'abord à ses longs cheveux noirs et bouclés, mais aussi à la violence avec laquelle elle attaquait les Aurors. À plusieurs reprises, Regulus vit des éclairs verts et bruyants se décharger de sa baguette, frappant à chaque fois leur cible de plein fouet, avant que celle-ci ne s'écroule sur le sol.

À vrai dire, Regulus avait très envie de prendre ses jambes à son cou ; mais que dirait son père, s'il était surpris en train de fuir comme un lâche ?

Et pourtant, quelques heures plus tôt, malgré une appréhension certaine à l'idée de se battre, Regulus était tout de même excité et impatient de participer à cette époustouflante démonstration de puissance. Lui qu'on avait toujours moqué, et souvent regardé de haut, il faisait désormais partie du clan supérieur, de ceux qui allaient prendre le contrôle du pays, puis peut-être même du monde... Alors qu'ils attendaient, frigorifiés, tapis dans les fourrés, l'ouverture d'une brèche dans la muraille de Tentagriffes, il avait pensé à toutes les possibilités qui s'ouvraient à lui, maintenant qu'il faisait partie des grands... À l'arrivée des dragons, il s'était dressé sur la pointe des pieds pour observer le spectacle à travers les arbres, et il avait même souri béatement quand les dragons avaient détruit le dôme de protection. C'était un coup d'éclat grandiose, spectaculaire, qui serait à jamais inscrit dans les livres d'Histoire de la Magie... Et ces cris de terreur, c'était son camp qui les avait causés ! Regulus en avait eu des frissons.

Mais une fois les Tentagriffes franchies, il s'était retrouvé au milieu de la mêlée et avait rapidement déchanté. En réalité, il ne savait plus très bien ce qu'il faisait là. Son père lui avait parlé de présentations, de simples formalités, il n'imaginait pas passer à l'action si vite... Il était resté immobile, au milieu de la brèche créée dans la muraille de Tentagriffes, sans oser s'approcher du cœur de la bataille... Il aurait même probablement fait demi-tour, si MacNair et Travers ne l'avaient pas exhorté à les aider.

Regulus avait bien compris qu'il n'était pas le bienvenu parmi les Mangemorts ; il avait d'ailleurs essuyé plusieurs moqueries, pendant leur attente interminable dans les fourrés. Mais il comptait bien s'y faire une place... Après tout, s'il réussissait à gagner la confiance du Seigneur des Ténèbres, celui-ci pourrait bien lui confier un rôle aussi important que celui de Lucius Malefoy ; et alors, Regulus n'aurait plus à se frotter à ces malfrats.

Tout en réfléchissant à cela, il restait consciencieusement à l'écart du combat ; et dès qu'il sentait le regard d'un Mangemort se poser sur lui, il se mettait à arracher les fleurs, les piquets qu’il trouvait sur son passage, sans conviction, simplement pour faire bonne figure.

Toutes sortes d'objets jonchaient le sol, abandonnés par leurs propriétaires lors de la cohue : des chaussures, des sacs, des morceaux de déguisement... Au fur et à mesure de sa progression, les rêves de grandeur de Regulus lui paraissaient de plus en plus caduques. Il avait froid, il avait faim, la fumée lui brûlait les yeux et les poumons, sa cagoule noire le grattait, il avait peur d'être attaqué par un Auror... Bref, il n'avait qu'une idée en tête : partir d'ici.

Alors qu'il donnait un petit coup de pied dans un morceau de tente brûlée, il entendit des pas précipités se rapprocher de lui. Il eut un mouvement de recul, mais il ne fut pas assez rapide : sans avoir eu le temps d'identifier la nature du danger, un choc brutal le projeta à terre et il s'écrasa au milieu des débris enflammés, le souffle coupé. Il sentit un énorme poids lui écraser la poitrine ; puis une main lui arracha sa cagoule noire et lui découvrit le visage.

– TOI ! entendit-il hurler au-dessus de lui. Qu’est-ce que tu fabriques, nom de nom ?

Sirius le saisit par le col, le souleva sans ménagement et le plaqua contre un rocher.

– Qu’est-ce que tu fais là, imbécile ? RÉPONDS-MOI !

Regulus mit quelques secondes à balayer l'étourdissement qui l'empêchait de distinguer correctement le visage de son frère. Et même quand sa vision redevint nette, il eut beaucoup de mal à le reconnaître. Regulus n'avait jamais vu Sirius dans un tel état d'agressivité. Toute trace de sa nonchalance habituelle s'était envolée : tout son visage était contracté par la fureur, et ses boucles noires étaient parcourues de frémissements haineux.

– Laisse... moi ! grogna Regulus en essayant de se dégager.

Les mains de Sirius crispées autour de son col l'empêchaient de formuler une réponse plus pertinente. Sirius resserra encore sa prise, à tel point que pendant quelques secondes, Regulus crut que son frère allait l'étrangler. Puis il sentit ses mains se desserrer, Sirius l'arracha du rocher et commença à l'entraîner à l'écart du combat.

– Ça suffit, déclara-t-il. Je te ramène à la maison !

Aussitôt, Regulus essaya de se dérober.

– Non ! Arrête ! Je fais ce que JE veux !

– Ah, mais tais-toi un peu ! Allez, dépêchons-nous... Baisse la tête, avant qu'on nous voie... Vraiment, comment as-tu pu te fourrer là-dedans...

Sirius le traînait par le col, toujours furieux. Regulus résistait de toutes ses forces, mais bien évidemment, Sirius était plus fort que lui. Regulus lui donna des coups dans les côtes, en vain. Fou de rage, il saisit sa baguette et prononça le premier sort qui lui vint à l'esprit :

– Endoloris !

Regulus n'avait jamais utilisé ce sortilège, mais il était suffisamment en colère pour obtenir un petit effet ; une minuscule étincelle rouge jaillit du bout de sa baguette et frappa la main de Sirius. Immédiatement, il cria de douleur et de surprise. Regulus sentit la main de Sirius faiblir autour de son cou, et il en profita pour se dégager brutalement. Il se redressa, le dos ankylosé, et pointa sa baguette sur son frère.

Regulus aurait souhaité avoir l'air sûr de lui, mais en réalité, il avait bien piètre allure : son col était complètement déformé, et son bras était tellement secoué de tremblements que sa baguette menaçait de lui échapper.

Face à lui, Sirius frottait sa main endolorie, hébété. Puis il leva les yeux sur Regulus, et parut seulement réaliser pleinement la raison – pourtant évidente – de sa présence dans la clairière du pensionnat Wimbley.

– Tu... Tu es des leurs, dit Sirius. Tu savais ce qui allait se passer... N'est-ce pas ?

Regulus essuya d'un revers de main la terre qu'il avait sur la joue, et releva le menton, essayant de paraître fier de lui.

– Oui, exactement, clama-t-il. Ça te pose un problème ?

Son bras tendu tremblait toujours terriblement.

– Qu'est-ce que ça peut bien te faire, de toute manière ? Tu te soucies de moi, maintenant ? Ce que je fais te semble important, tout à coup ?

Sa voix s'était mise à chevroter, elle aussi. Il sentait quatorze ans de frustration et de jalousie pulser dans ses artères. Il aurait voulu que Sirius le supplie de l'épargner, ou bien qu'il essaie de s'enfuir en courant, ou au moins qu'il ait peur de lui, juste un peu...

Mais rien de tout cela ne se produisit. Sirius restait debout, face à lui, simplement sidéré.

Furieux de cette absence de réaction, Regulus marcha droit sur Sirius dans l'intention de le secouer, ou même de le frapper ; mais avant même de l'avoir touché, Sirius s'anima brutalement. Il fit un geste du bras, sa baguette fendit l'air, et une étincelle bleue frappa Regulus au visage. Celui-ci eut l'impression d'être percuté par un énorme poing et tomba à genoux. Lorsqu'il se redressa, il avait l'impression que sa mâchoire s'était détachée de son visage ; mais il n'eut pas le temps de s'attarder sur cette inquiétude, car Sirius marchait vers lui, baguette en avant. Par réflexe, Regulus se protégea le visage ; et entre ses doigts, il vit Sirius s'immobiliser au-dessus de lui.

Ils restèrent ainsi, sans bouger, et au fur et à mesure que les secondes s'égrenaient, Regulus se sentait de plus en plus humilié. Puis finalement, Sirius baissa sa baguette, et secoua la tête, absolument consterné.

– Tu es vraiment... Tu me fais pitié, cracha Sirius.

Et il tourna résolument les talons. Regulus le regarda s'éloigner, avec sa grâce habituelle. Il était d'autant plus en colère qu'il savait pertinemment que Sirius disait la vérité.

– Je te rappelle que tu es mon grand frère, renifla Regulus, assez fort pour que Sirius l'entende. Tu es censé me protéger ! Pas me maltraiter !

Il ne savait pas pourquoi il avait dit ça. Il avait conscience que cela le rendait encore plus pitoyable qu'il ne l'était déjà, mais les mots s'étaient échappés de sa bouche sans qu'il puisse les retenir.

Au loin, Sirius s'arrêta net. Il hésita, serra les poings, fit encore quelques pas, puis s'arrêta de nouveau. Il frémit de colère, fit volte-face et revint sur ses pas pour se rapprocher de Regulus, en pointant sur lui un index accusateur.

– Te protéger ? Te protéger ? Alors ça, c'est la meilleure ! Et toi, est-ce que tu m'as défendu, quand nos chers parents me répétaient du matin au soir que j'étais le raté de la famille ? Non, hein ! Tu te contentais de savourer le spectacle, en silence ! Avec ton petit air satisfait...

Regulus se redressa en grimaçant. Pour une raison étrange, il ressentait le besoin irrépressible de paraître encore plus détestable, d'énerver Sirius encore davantage, et de le faire sortir de ses gonds.

– Ah, les parents, grinça Regulus. Parlons-en... Tu verras ce qu'ils diront, quand ils apprendront que tu défends ces... Ces Sang-de-Bourbe !

Sans préambule, Sirius lui administra une énorme gifle.

– TAIS-TOI ! aboya Sirius. Je ne verrai rien du tout ! Je ne reviendrai plus jamais, tu m'entends ? Vous me débectez tous ! Et toi le premier ! Je ne veux plus vous voir, PLUS JAMAIS...

Avec un bruit énorme, un éclair rouge le frappa de côté, et vint lui couper la parole. Sirius fut projeté à plusieurs mètres de là, et tomba sur le dos avec un son mat. Affolé, Regulus tourna la tête et aperçut une silhouette s'approcher à grands pas, à travers les flammes et les volutes de fumée qui tourbillonnaient dans la clairière.

Endoloris ! hurla Bellatrix lorsqu'elle fut assez proche d'eux.

La puissance de ce sort était sans commune mesure avec celui que Regulus avait lancé sur la main de Sirius, quelques minutes plus tôt. Sirius poussa un hurlement et son corps entier se cambra de douleur.

– Arrête, Bella ! cria Regulus.

Mais le rugissement du dragon violet, qui se trouvait à quelques dizaines de mètres d'eux, couvrit ses protestations ; Bellatrix ne l'entendit pas, ou crut qu'il l'encourageait.

Endoloris ! rugit-elle à nouveau.

Elle y puisait une jouissance manifeste. Un sourire carnassier était dessiné sur ses lèvres, ses yeux étaient écarquillés de gourmandise. Regulus la trouvait méconnaissable, et absolument effrayante.

Entre deux salves, Sirius reprit difficilement son souffle, et se redressa, le visage toujours crispé par la douleur.

– Espèce de timbrée, gémit-il à l'intention de Bellatrix. C'est toi qui l’as entraîné là-dedans !

– ENDOLORIS !

Bellatrix était déchaînée, et ne semblait pas vouloir s'arrêter, ni ralentir la cadence. Le corps de Sirius, en revanche, semblait peu à peu lâcher prise : au lieu de se contracter complètement au moment où le sort le frappait, il restait inerte, parcouru de spasmes. Horrifié, Regulus se décida à se relever sur ses jambes chancelantes, et à se ruer sur Bellatrix pour la secouer aussi brutalement que possible.

– Bella, ARRÊTE !

Bellatrix sursauta, et s'interrompit en clignant des yeux. Son visage redevint progressivement semblable à celui que Regulus lui connaissait, mais elle semblait engourdie, hébétée, comme si elle venait de se réveiller. Sa respiration était précipitée, rauque, comme si elle avait passé plusieurs minutes en apnée, et sa main était tellement crispée autour de sa baguette que Regulus eut le plus grand mal à la détourner de Sirius.

– Partons, Bella, supplia Regulus en la prenant par les épaules.

Il jeta un regard inquiet à son frère. Sirius se redressa à nouveau, et leurs regards se croisèrent. Alors qu'ils avaient ressenti la même colère quelques instants plus tôt, ils partageaient désormais la même frayeur.

Et soudain, Regulus distingua quelque chose d'étrange derrière Sirius. Une forme s'approchait d'eux, une forme bien différente des silhouettes humaines qui livraient bataille près du pensionnat. Regulus mit quelques instants à mettre le doigt sur le nom de l'espèce en question.

– Un cerf ? dit-il à voix haute.

L'animal bondissait entre les flammes et sautait au-dessus des obstacles avec une agilité remarquable. Il fondit sur eux à une vitesse stupéfiante, et avant que Regulus et Bellatrix aient pu faire le moindre geste, le cerf baissa la tête et les chargea, tous bois dehors. En une fraction de seconde, il leur donna à chacun un violent coup de ramure, et tous les deux tombèrent à la renverse.

Quand Regulus se redressa, le cerf avait disparu. En revanche, quelqu'un d'autre venait d'apparaître, et c'était probablement la personne que Regulus détestait le plus au monde.

James Potter, donc, était penché sur Sirius, qui remuait difficilement.

– Sirius ! Hé, Sirius !

Avec un vague soulagement, Regulus vit Sirius se redresser lentement. Mais ce soulagement s'éteignit immédiatement lorsque Sirius passa un bras autour des épaules de James pour se relever.

– Allez, viens, disait James. C'est bon, c'est terminé, je suis là... On s'en va...

Regulus fut envahi par une nouvelle bouffée de jalousie. Il vit Bellatrix se relever, un peu sonnée. Elle pointa sa baguette sur James, et voulut le désarmer, mais il riposta avec agilité, plusieurs fois d'affilée. Cette fois-ci, Regulus ne fit rien pour empêcher sa cousine de l'attaquer. Il hésita même à imiter Bellatrix, et tendit sa baguette vers James, sans se décider pour autant.

Bellatrix s'apprêtait à passer à la vitesse supérieure quand la dragonne, non loin d'eux, poussa un rugissement un peu plus puissant que les autres. Les flammes qu'elle cracha balayèrent la clairière sur un large périmètre, s'approchant dangereusement de Bellatrix, qui fit un bond en arrière.

James profita de cette diversion pour attaquer à son tour, mais il ne choisit pas la cible attendue.

– Tiens, prends ça ! cria-t-il à l'intention de Regulus. Stupéfix !

Regulus réagit avec trop de lenteur et le sort le frappa de plein fouet. Il se sentit projeté en arrière, et lorsqu'il voulut tendre un bras derrière lui pour se réceptionner, il se rendit compte que tous ses muscles étaient tétanisés. Il s'écrasa lourdement sur le sol, et malgré le craquement inquiétant qu'avait produit son épaule, il ne parvint même pas à gémir de douleur.

En revanche, il réalisa avec horreur qu'il était tombé juste à côté de la muraille de Tentagriffes. Aussitôt, les tentacules d'épines qui se trouvaient en face de lui se mirent en mouvement, avec des cliquetis et des frémissements menaçants. Il tenta d'appeler Bellatrix à l'aide, mais il ne parvenait ni à ouvrir la bouche, ni à produire le moindre son, seulement à écarquiller les yeux, terrorisé. Un premier tentacule jaillit du buisson, s'abattit sur lui et s'enroula autour de son bras inerte. Regulus sentit les épines tranchantes déchirer ses vêtements et lui lacérer la peau. Un autre tentacule suivit et s'enroula autour de son cou pour l'entraîner vers la muraille d'épines. Une griffe pointue se planta juste sous son oreille, et Regulus sentit des larmes de douleur lui monter aux yeux.

Il n'eut pas le temps d'avoir peur de mourir, car Bellatrix surgit au-dessus de lui, en proie à une nouvelle crise de fureur.

– Arrière ! ARRIÈRE ! Dégagez de là ! rugissait-elle comme si les plantes pouvaient l'entendre.

Regulus n'avait jamais été aussi heureux de la voir. En quelques coups de baguette, elle trancha net les tentacules qui s'enroulaient autour de Regulus et repoussa ceux qui voulaient les attaquer, sans pouvoir les détruire. Regulus sentit l'étreinte végétale se défaire autour de son bras, il sentit Bellatrix lui saisir le poignet, et ils transplanèrent tous les deux vers un lieu moins hostile.

 

***

 

Au manoir des Malefoy, l'atmosphère n'était guère moins détendue. Narcissa et Vera étaient les premières à revenir de la bataille. Elles portèrent Daisy à l'intérieur, à travers le splendide hall d'entrée, puis dans le grand salon. Dès leur entrée, tous les regards se tournèrent vers elles. Albert, le petit ravluk vert et ailé de Vera qui venait d'arriver, poussa des exclamations inquiètes et vola jusqu'à elles pour se poser sur l'épaule de sa maîtresse. Abraxas et Orion étaient attablés autour d'une carafe remplie de vin, sous le grand lustre lumineux.

– Vera ? s'étonna Abraxas Malefoy. Que faisais-tu...

– Edgar m'a prévenue, figure-toi, répliqua-t-elle sèchement.

Il y avait également Carla Goyle, Juliet Selwyn et Magdalena Nott, qui attendaient le retour des combattants en discutant tranquillement près de la cheminée.

– Poussez-vous ! leur ordonna sèchement Vera en se dirigeant vers elles à grands pas, portant Daisy dans ses bras.

Les trois jeunes filles prirent tout leur temps, en regardant avec une petite moue dégoûtée le sang qui coulait de l'oreille de Daisy et l'état lamentable dans lequel se trouvait Narcissa.

– Et sortez de mon salon, ajouta aussitôt Narcissa d'une voix sourde.

Sans écouter les petits couinements outrés des trois jeunes filles qui s'éloignaient, Vera et Narcissa allongèrent Daisy sur le canapé de cuir qui était proche de l'imposante cheminée de marbre. Narcissa scrutait son amie avec appréhension : et si elle ne se réveillait pas ? Et si son ouïe était gravement endommagée ? Narcissa ne se le pardonnerait jamais. Elle arrangea nerveusement les coussins autour de Daisy, afin d'atténuer la culpabilité qui la dévorait.

– Daisy, murmurait Vera à côté d'elle. Daisy, ma petite fille...

Elle passa ses mains sur sa poitrine, sur son cou, sur son front.

– Elle n'a rien, soupira-t-elle finalement. Elle est seulement assommée.

Narcissa eut l'impression de fondre de soulagement. Aussitôt, Vera se tourna vers elle et la saisit par le bras.

– Et toi !

Narcissa se crispa, prête à être couverte d'injures ; mais au lieu de ça, Vera la prit dans ses bras et la serra de toutes ses forces.

– Cissy, ma chérie, tu n'as rien ?

Stupéfaite, Narcissa ne répondit pas tout de suite.

– Euh... Pardon ?

– Tu n'es pas blessée ?

– Pas... Pas blessée... Non, je ne suis pas blessée... Quelques éraflures, rien de plus...

– Que s'est-il passé ? On vous a obligées à siffler ? Est-ce que quelqu'un vous a fait du mal ?

Narcissa essaya de rassembler les fragments de souvenirs qui se télescopaient dans sa tête. Il lui semblait que les coups de sifflets avaient retenti un siècle auparavant – ou en tout cas, Narcissa se sentait vieillie de plusieurs dizaines d'années. Maintenant qu'elle se trouvait en sécurité, les sensations corporelles que la panique avait balayées revinrent au galop, et elle se rendit compte que chaque centimètre carré de son corps tirait la sonnette d'alarme : elle avait une cheville tordue et enflée, les jambes griffées, le dos ankylosé, les bras râpés et brûlés, l'épaule écorchée. En fronçant les sourcils, elle sentit un léger picotement au-dessus de son œil et réalisa que quelque chose de chaud coulait sur sa joue. Elle porta une main à son front et constata que son arcade sourcilière saignait abondamment.

– Nous n'avons pas sifflé, dit-elle avec une petite grimace de douleur. Nous avions caché les sifflets, mais un oiseau étrange et un petit enfant les ont trouvés et ont soufflé dedans.

Elle ne précisa pas qu'elle avait voulu le faire elle-même et que Daisy l'en avait empêchée. Elle sentait que derrière elle, Abraxas et Orion l'écoutaient avec attention, l'air de rien. Carla, Juliet et Magdalena s'étaient également arrêtées dans l'encadrement de la porte, avides de savoir ce qu'il se passait au pensionnat Wimbley. Vera hochait la tête, l'incitant à poursuivre.

– Quand les dragons sont arrivés, les Aurors les ont attaqués, en pensant qu'ils étaient là pour détruire le pensionnat. J'ai voulu les en empêcher, j'ai couru vers Balaur et Ramia... Mais les Mangemorts sont arrivés, et Rosier m'a écartée. J'ai réalisé que Daisy était blessée, alors je... Je suis allée auprès d'elle... Et puis, Balaur nous as vues...

La voix de Narcissa se mit à trembler, et elle s'interrompit.

– Que s'est-il passé ensuite ? l'encouragea doucement Vera.

– Balaur s'est approché pour nous protéger, mais les Tentagriffes l'ont attrapé, bredouilla Narcissa. J'ai essayé de le sauver... Mais il a été englouti...

Vera était devenue blême.

– La muraille de Tentagriffes a explosé... Et ensuite... J'ai cru que nous allions mourir... Mais tu es arrivée. Tu nous as sauvées.

Vera regarda dans le vide pendant quelques secondes, puis se tourna à nouveau vers Narcissa.

– Tu dis que Balaur est... Balaur est mort ? demanda-t-elle d'une voix faible.

Narcissa entendit Carla pousser un petit gloussement satisfait. Elle se mordit la lèvre et acquiesça à contrecœur. Vera se laissa tomber sur un petit fauteuil, abattue, et Albert frotta sa tête verte contre ses cheveux cuivrés avec compassion. C'est seulement à ce moment-là que Narcissa remarqua que Vera était trempée de la tête aux pieds et que sa longue tresse était totalement en désordre.

– J'ai essayé de les empêcher de venir, lui chuchota Vera en surprenant le regard interrogateur de Narcissa. Je suis allée sur la côte, et j'ai essayé de les enfermer dans une grotte... Mais je n'ai pas été assez rapide...

Narcissa s'assit à côté d'elle et lui prit la main. Toutes les deux avaient grandement besoin de réconfort.

– Au moins, tu es saine et sauve, dit Vera. Tu as été très courageuse.

Narcissa ne réagit pas : elle ne voulait tirer aucune gloire, aucune reconnaissance de ce récit tronqué.

Puis Vera sembla être frappée par une révélation soudaine, et se leva d'un coup, faisant tomber Albert de son épaule.

– Je dois y retourner, dit-elle. Il faut sauver Ramia, et Edgar... Et surtout limiter les dégâts sur le pensionnat, avant qu'il ne soit trop tard, acheva-t-elle à voix basse.

Narcissa acquiesça.

– Je reste avec Daisy, dit-elle.

– Je ne devrais pas t'autoriser à partir, Vera, dit Abraxas Malefoy de sa voix glaciale. Te connaissant, tu pourrais bien perturber le cours de la bataille.

– Je sais ce que je risque si j'avais la bêtise de le faire, répliqua Vera. Je vais seulement veiller sur mon fils.

Elle serra brièvement Narcissa dans ses bras, l'embrassa sur le front, puis recula de quelques pas. Albert revint se percher sur son épaule mais Vera le reposa sur un fauteuil.

– Reste ici, je te l'ai déjà dit, dit-elle avec fermeté au ravluk.

Elle ferma les yeux et se concentra pour transplaner. Au dernier moment, Narcissa vit Albert se faufiler sous la robe de sa maîtresse et lui agripper la jambe. Elle n'eut pas le temps de réagir : ils disparurent tous les deux dans pshiiiit très mélodieux.

Dès que la présence intimidante de Vera eut disparu, Carla, Juliet et Magdalena entrèrent à nouveau dans le salon à la file indienne.

– Alors ?

– Le pensionnat est détruit ?

– Je vous ai dit de sortir, répliqua Narcissa sans les regarder, en prenant la main gelée de Daisy.

– Et moi, je les autorise à rester, dit la voix glaciale d'Abraxas Malefoy. Asseyez-vous, mesdames...

Il fixait Narcissa de ses deux yeux pâles, dénués de toute indulgence. Lasse, Narcissa regarda Carla, Juliet et Magdalena s'installer autour de la table avec des petites moues satisfaites. En voyant Orion s'agiter sur son siège, Narcissa devina qu'il hésitait à lui demander si elle avait aperçu Regulus, mais qu'il rechignait à montrer son inquiétude devant Abraxas.

Narcissa ne s'en préoccupa pas davantage, car la main de Daisy venait de remuer dans la sienne.

– Daisy ?

Ses paupières frémirent, et un petit tressaillement naquit au coin de ses lèvres.

– Cissy...

– Je suis là, dit Narcissa en se penchant fébrilement sur elle.

Daisy entrouvrit les yeux.

– Cissy... Tu...

– Tout va bien, assura Narcissa. Tu es en sécurité, maintenant.

– Non, tu... Tu es en train de me broyer la main, murmura-t-elle.

Narcissa suivit son regard et réalisa que sa main était crispée autour de celle de son amie, à tel point que le sang avait cessé d'y circuler.

– Oh ! Excuse-moi, dit précipitamment Narcissa en relâchant sa prise.

Daisy reprit progressivement ses esprits. Elle cligna des yeux et regarda autour d'elle. Narcissa posa ses mains sur ses genoux, et se sentit soudain embarrassée. La dernière fois que Daisy lui avait pris la main, Narcissa était en plein accès de colère, et Daisy voulait lui arracher le sifflet aux écailles vertes pour l'empêcher de faire une énorme bêtise.

– Tu... Tu te souviens de tout ? demanda timidement Narcissa au bout de quelques minutes.

Daisy acquiesça en silence, et Narcissa se tordit les mains avec appréhension. Son amie devait avoir une bien piètre opinion d'elle, maintenant...

– Tu t'es un peu égarée, je crois, murmura Daisy, assez bas pour que personne d'autre ne l'entende. Ça a dû te faire un choc de la revoir...

Narcissa déglutit avec difficulté.

– Excuse-moi de t'avoir giflée, dit-elle d'une voix étranglée, tout aussi bas.

Daisy la rassura d'un regard, et sourit à nouveau :

– J'ai entendu ce que tu as raconté à maman... Merci de m'avoir sauvée.

Narcissa comprit que Daisy ne révèlerait rien de ce qui s'était passé, et fut envahie par une bouffée de reconnaissance inexprimable. Narcissa avait parfaitement conscience que les Goyle avait toujours été trop indulgentes avec elle. Vera ne l'avait jamais grondée ; même lorsque, à six ans, malgré de multiples mises en garde, elle avait ouvert un bocal de Vomiteurs par curiosité, et que les répugnants insectes s'étaient répandus dans toute la maison des Goyle, dégorgeant sur le sol et sur les murs leurs sécrétions nauséabondes. En découvrant le spectacle, Vera s'était mise en colère ; mais en apprenant que c'était Narcissa la responsable, elle avait immédiatement passé l'éponge. Depuis, et jusqu'à ce qu'elle quitte la Colline d'Émeraude, Narcissa se dénonçait toujours à la place de Daisy, car Vera lui pardonnait tout, ce qui évitait à son amie de se faire gronder.

Quant à Daisy, elle semblait toujours prête à lui trouver des excuses. À Poudlard, alors que Narcissa la délaissait pour passer tout son temps avec Lucius, Daisy ne lui avait jamais rien reproché, même si Narcissa voyait bien qu'elle se sentait seule. Et lorsque Lucius était parti à Durmstrang, Daisy avait tout naturellement repris sa place auprès d'elle, comme si de rien n'était.

Narcissa avait eu peur que cette impunité prenne fin lorsqu'elle avait décidé de pactiser avec Voldemort, mais de toute évidence, les Goyle continuaient de lui rester fidèles, en dépit du bon sens.

– C'est ta mère qui nous a sauvées, rectifia Narcissa.

Daisy se redressa légèrement pour la chercher du regard, mais elle pâlit dangereusement et porta une main à son front.

– Elle est retournée là-bas, dit Narcissa en forçant Daisy à se rallonger. Ne t'en fais pas, Albert est avec elle, je suis sûre qu'il ne lui arrivera rien... Repose-toi un peu, je vais te faire du thé.

Daisy hocha la tête avec appréhension, reposa sa tête sur l'oreiller et ferma de nouveau ses grands yeux verts. Narcissa se leva et se dirigea vers la cuisine. Elle pensa furtivement à Lucius, et sentit une bouffée d'angoisse l'envahir...

Mais alors qu'elle s'apprêtait à sortir du salon, elle entendit un crac sonore, et la voix stridente de Bellatrix retentit dans tout le manoir :

– Reggie ! Reggie, réponds-moi ! Et vous, là, aidez-nous, bandes d'imbéciles ! VITE ! Regulus va peut-être mourir !


Laisser un commentaire ?