Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 19 : Le favori

7518 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/07/2023 10:26

Le favori


– Lucius ! Tu es vivant ! exulta Narcissa en se levant d'un bond.

– S'il revient bredouille, ça ne va pas durer, ricana Yaxley, qui souriait malgré les écorchures qui recouvraient tout le côté de son visage.

Lucius tituba vers eux, et Narcissa se précipita pour le soutenir.

– Tu es vivant, répéta Narcissa en l'aidant à se tenir debout. Tu n'es pas blessé ?

– Non, non, dit Lucius d'une voix faible, en s'appuyant sur elle. Peut-être quelques côtes cassées... Rien de plus.

Narcissa se serra contre lui, tremblante de soulagement. Lucius avait le nez en sang et semblait complètement sonné, mais il était globalement indemne. Son regard était vague, mais lorsqu'il se posa sur Narcissa, il revint brutalement à la réalité.

– Narcissa... Que t'est-il arrivé ? Pourquoi es-tu couverte de terre ? Et... tu saignes !

Préoccupée par l'état de santé de Daisy, puis par celui de Regulus, Narcissa n'avait même pas pris la peine de se rincer le visage. En le voyant si surpris, elle réalisa que Lucius n'était même pas au courant de ses déboires : en allant combattre, il était persuadé qu'elle resterait au manoir, bien à l'abri, et n'avait aucune idée de ce que son père avait manigancé avec Piscus Crabbe et Rodolphus Lestrange.

– Ce n'est rien, dit Narcissa en cachant d'une main son arcade sourcilière ensanglantée.

– Ne me dis pas que tu es allée là-bas ? Mais... Pourquoi ? demanda Lucius avec colère.

– On l'y a obligée, déclara Vera d'une voix forte, debout près de la cheminée.

– Je te demande pardon ? Toi, on t'a envoyée là-bas ? Mais qui ? Dis-moi, que je l'étripe ?

– C'est moi, déclara fièrement Abraxas Malefoy depuis la table.

Lucius reçut un nouveau choc. Il se tourna vers son père, à la fois furieux et désarçonné, ne sachant quelle attitude adopter. Mais avant qu'il ait pu ouvrir la bouche, la voix aiguë et sifflante de Voldemort résonna au-dessus d'eux, semblant venir de tous les côtés à la fois :

– Lucius, approche donc, dit-il.

Lucius reprit rapidement ses esprits et s'approcha de la tablée des Mangemorts, Narcissa toujours accrochée à son bras. Comme tous ceux qui étaient présents dans la pièce, elle essayait de sonder son regard, afin de deviner s'il avait rempli sa mission avec succès – mais elle n'y parvint pas.

– Où sont mes fils ? gémit soudain Ursula Crabbe dans le fond de la pièce.

C'est le moment que choisit Hector Crabbe pour entrer dans le salon. Il était à peu près dans le même état que Lucius – couvert de sang et complètement hagard.

– Hector, mon fils ! s'écria Ursula en lui sautant au cou. Où est ton frère ?

– Je n'en sais rien, grommela-t-il.

Lucius et lui échangèrent un regard, et s'accordèrent silencieusement pour taire son abandon de poste.

– Rascus m'a aidé à vaincre Eleanor Wimbley, annonça Lucius. Il a été tué au cours du combat.

Ursula Crabbe poussa un hurlement désespéré, et tomba à genoux sur le sol. Il fallut quelques minutes pour la relever, et pour l'emmener dans une autre pièce ; et toute l'attention se reporta à nouveau sur Lucius.

– Alors, Lucius... As-tu de bonnes nouvelles à nous apporter ? demanda Voldemort une fois que le silence fut revenu.

– Eh bien... Oui... Excellentes.

Il s'essuya rapidement le visage à l'aide de sa manche, afin de paraître présentable. Maintenant que Voldemort le regardait, il semblait manquer d'assurance. Autour de la table, Yaxley et Dolohov échangèrent un sourire optimiste.

– Ta baguette, Lucius, dit Voldemort, totalement inexpressif.

Lucius sortit lentement sa baguette. Voldemort fit un signe à Bellatrix, qui la prit précipitamment et la posa sur la table, ravie.

Prior incanto, dit-elle en pointant sa baguette sur celle de Lucius, afin de savoir quel était le sort qu'il avait prononcé en dernier.

Aussitôt, une autre baguette s'échappa de la poche de Lucius et atterrit dans la main de Bellatrix.

– Comme c'est touchant, railla-t-elle en regardant Lucius. Tu as donc tué Eleanor Wimbley en lui piquant sa baguette ?

Lucius eut un demi-sourire.

– Recommence, dit-il. Avec la baguette de cette chère Mrs Wimbley, cette fois-ci.

Bellatrix hésita, et Yaxley en profita pour la devancer, nerveux :

Prior incanto ! cria-t-il en visant la baguette en bois brun.

Un nuage vert s'échappa de l'extrémité distale, et forma une tête de mort brumeuse au-dessus de la table. Le dernier sort jeté par la baguette d'Eleanor Wimbley était donc bien le sortilège de mort, Avada Kedavra.

– Rien ne prouve que c'est elle que tu as tué, remarqua Bellatrix.

– Cette baguette est la sienne, répliqua Lucius. Je l'ai tuée avec.

– Dommage que Mr Ollivanders ne soit pas là pour nous le confirmer, dit Yaxley. Cette baguette pourrait être celle de n'importe qui.

Lucius le regarda avec défi, puis renifla avec mépris. Il plongea à nouveau sa main dans son manteau et jeta sur la table, à la vue de tous, un petit poignard enveloppé dans un mouchoir blanc, abondamment imbibé de sang. Il s'approcha de Bellatrix, lui reprit brusquement sa baguette, et la pointa sur le mouchoir.

Un éclair blanc frappa le mouchoir, puis Lucius le déplia, et tout le monde put voir le visage d'Eleanor Wimbley, frappé de son propre sang sur le tissu.

– Qu'est-ce que ça veut dire ? chuchota Regulus à l'oreille de Bellatrix.

– Ça veut dire que c'est le sang d'Eleanor Wimbley, grimaça Bellatrix. Alors, il l'a peut-être vraiment fait...

– Eleanor Wimbley ne nous importunera plus, déclara Lucius.

Il y eut un murmure parmi les Mangemorts, et tous se tournèrent vers Voldemort pour guetter sa réaction.

– Jolie mise en scène, Lucius, je te l'accorde, dit Voldemort.

Il le fixait toujours de son regard brûlant, et ne semblait pas entièrement convaincu. Lucius, lui, essayait de paraître sûr de lui, mais ses mains tremblaient de façon incontrôlable et il évitait toujours soigneusement le regard de Voldemort.

– Lucius, regarde-moi, et dis-moi la vérité, dit calmement Voldemort.

Lucius gardait ses yeux obstinément fixés sur le mouchoir blanc imbibé de sang, comme s'il s'attendait à ce que la réponse que Voldemort souhaitait entendre y apparaisse.

– Ne t'avise pas de mentir, Lucius, je le sentirai... Cette femme est bien morte ? Et c'est bien toi qui l’as tuée ?

Au moment où Voldemort prononçait ces mots, Lucius ouvrit la bouche, et son visage s'éclaira, comme s'il venait d'être frappé par une évidence mystérieuse. Il eut un petit rire, puis leva les yeux vers Voldemort.

– Oh, oui, répondit Lucius. Oui, elle est bien morte.

Il jeta un rapide coup d'œil à son père, qui le scrutait de son regard gelé, puis se redressa complètement et ajouta :

– Et oui, c'est bien moi qui l'ai tuée.

Voldemort s'approcha de Lucius, avec des pas silencieux comme si ses pieds volaient au-dessus du sol, et le prit calmement par l'épaule. Leurs visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre.

– Tu l'as tuée ? De tes propres mains, Lucius, tu en es sûr ?

À nouveau, Lucius regarda son père, puis reporta son attention sur Voldemort.

– De mes propres mains, oui, c'est exactement ça.

– Il ment, grommela Corban Yaxley.

– Impossible, soupira Bellatrix, dépitée. Personne ne peut mentir au Seigneur des Ténèbres.

Voldemort plissa les yeux, et observa attentivement Lucius. Tout le monde devina qu'il cherchait à s'insérer dans ses pensées, et à y déceler la moindre trace de mensonge.

Au bout de quelques secondes, Voldemort commença à ricaner, doucement d'abord, puis avec beaucoup de force, et son rire fit tinter les cristaux du lustre qui se trouvait au-dessus de leurs têtes.

– Lucius, exulta-t-il. Dans mes bras !

Face à Narcissa, tous les visages se décomposèrent.

– Oui, tu l'as fait, tu l'as vraiment tuée, poursuivit Voldemort, qui semblait au comble du bonheur. Tes pensées sont encore confuses, et je ne peux pas y voir d'image claire, mais... Une chose est sûre, je n'y vois aucune trace de mensonge... Un peu de culpabilité, bien sûr... Ce doit être ton premier meurtre, mais tu verras, tu t'y feras, j'en suis certain... Ah, Lucius, je savais bien que tu m'obéirais ! Quand je pense que Crabbe m'avait mis en garde à ton égard ! Mais je ne m'étais pas trompé sur ton compte, tu m'es bel et bien fidèle...

Lucius, qui avait retrouvé toute son assurance, s'inclina avec déférence :

– Je ferai tout ce qui plaira au Seigneur des Ténèbres.

– Oh, redresse-toi donc, dit Voldemort.

Il se tourna vers le reste de la tablée. Evan Rosier, Igor Karkaroff, Balderic Parkinson, Andy Selwyn et Damian Nott exultaient, et adressaient à Lucius des regards admiratifs. Les autres Mangemorts, en revanche, étaient manifestement dépités. Bellatrix regardait Lucius de haut en bas avec scepticisme, Antonin Dolohov tapotait nerveusement sur la table et Yaxley avait relevé le col de son manteau pour cacher son expression furieuse.

– Une idée m'est venue pendant que j'observais la bataille, annonça Voldemort. Je vous ai vus combattre avec vaillance, tous autant que vous êtes ; et j'ai beaucoup apprécié l'apparition de la Marque des Ténèbres, c'est une excellente signature... Cependant, il nous manquait quelque chose...

Il laissa sa phrase en suspens, appréciant la quantité de regards suspendus à ses lèvres.

– Certains d'entre vous ont peut-être déjà deviné de quoi il s'agissait ?

Les Mangemorts échangèrent des regards perplexes.

– Des armes ? osa Andy Selwyn.

– Bonne idée, Selwyn, répondit sèchement Voldemort. Si tu connais une arme plus effrayante que les dragons que nous avons utilisés cette nuit, je serais ravi d'entendre tes propositions.

Andy Selwyn se renfrogna, vexé. À son tour, Bellatrix s'éclaircit la voix, et Voldemort se tourna vers elle, tout ouïe.

– Nous parlions l'autre jour d'un signe distinctif, dit-elle en s'inclinant progressivement vers Voldemort. Une marque, pour nous reconnaître... Et un moyen de ralliement...

Voldemort adressa un signe de tête approbateur à Bellatrix.

– Ma chère Bellatrix, toujours si prévenante... Toujours si attentive, dit Voldemort d'une voix caressante.

À côté de Regulus, Bellatrix frémit de reconnaissance, et se pencha encore davantage vers Voldemort, les lèvres entrouvertes.

– En effet, c'était bien à ça que je pensais, dit Voldemort. Et j'ai déjà une petite idée en tête...

Il se détourna lentement de Bellatrix, qui se pencha encore un peu en avant, comme pour essayer de retenir son attention – mais sans succès. Voldemort balaya l'ensemble de la table du regard, puis se tourna vers Lucius, qui se trouvait juste à côté de lui.

– Lucius... Ce soir, tu mérites d'être le premier. Tends ton bras, mon ami.

– Mon... mon bras ?

– Oui, ton bras gauche. Vite ! ordonna Voldemort en lui tendant sa main à la peau nacrée.

Mais Lucius n'obéit pas immédiatement. Il semblait évaluer Voldemort à toute vitesse, et, à la surprise générale, une lueur de défi s'alluma dans son regard.

– J'ai dit, vite, répéta Voldemort.

La mâchoire de Lucius se contracta légèrement, puis sa voix s'éleva, assurée et autoritaire.

– Je ne le ferai qu'à une condition, dit-il.

Un murmure indigné parcourut l'assistance, et on entendit Abraxas Malefoy s'étrangler de fureur. Pour qui se prenait-il, pour refuser l'honneur que lui donnait le Seigneur des Ténèbres ? Et pourtant, Voldemort ne semblait pas vouloir se mettre en colère. Il parut simplement intrigué, et Lucius en profita pour poursuivre sur sa lancée.

– Je veux la garantie que Narcissa restera en-dehors de tout cela, dit Lucius. Il est hors de question qu'elle soit à nouveau mise en danger.

Narcissa, toujours accrochée à son bras, se tourna vivement vers lui, surprise. C'était une requête osée, quand on savait quel niveau de sacrifice Voldemort exigeait de ses partisans. Mais après tout, il semblait hésitant, prêt à accorder n'importe quelle faveur à Lucius... Narcissa réfléchit à toute vitesse, et décida de sauter sur cette précieuse occasion :

– De même pour Daisy et pour Vera, ajouta-t-elle précipitamment. Qu'on les laisse en paix.

Sur le canapé, Daisy et Vera se serraient l'une contre l'autre, visiblement affligées d'apprendre qu'Eleanor Wimbley avait perdu la vie. Voldemort se tourna lentement vers elles, l'air suspicieux.

– Vera, dit-il d'une voix doucereuse. Il me semble t'avoir aperçue tout à l'heure, sur le champ de bataille... Était-ce bien toi qui gesticulait à côté de ce dragon, juste avant qu'il n'essaie de me transformer en charbon ardent ?

– C'était moi, Maître.

Narcissa s'agrippa au bras de Lucius, prête à intervenir ; mais Vera ne semblait pas effrayée.

– Si vous m'aviez consultée avant de vous servir de mes dragons, je vous aurais tous avertis de leur imprévisibilité et de leur aversion absolue pour la violence, expliqua-t-elle avec aplomb. Tout à l'heure, j'essayais simplement d'empêcher Ramia de vous nuire, Maître. Après les sortilèges monstrueux que vous avez utilisés, je me doutais qu'elle essayerait de vous neutraliser. Si vous aviez été plus proche, vous m'auriez entendue supplier Ramia de s'arrêter.

– Elle dit vrai, intervint Evan Rosier. Je n'étais pas très loin. Je l'ai entendue.

Voldemort plissa les yeux, toujours soupçonneux.

– Et qu'en est-il de Piscus Crabbe ? Dolohov m'a rapporté que vous vous êtes férocement battus, avant qu'il ne soit réduit en cendres.

– Crabbe a essayé de soumettre Ramia à l'Imperium, répondit aussitôt Vera. C'était de la folie : les dragons sont indomptables. J'ai voulu l'en empêcher, je l'ai mis en garde, je lui ai crié que Ramia allait se rebeller... Et ce que j'avais prédit s'est réalisé. C'est aussi simple que ça.

Voldemort hocha lentement la tête et regarda autour de lui pour sonder l'assemblée du regard. Les Mangemorts étaient partagés : les Embrumés restaient hostiles et méfiants, tandis que les Collinards, qui appréciaient depuis leur plus tendre enfance la famille Goyle et leur merveilleux jardin, penchaient plutôt du côté de l'indulgence.

– Soit, dit-il finalement. Après ce qu'il s'est passé ce soir, je crois que Mrs Goyle et sa fille méritent de se reposer. Et il me semble préférable qu'à l'avenir, elles restent à leur domicile... Sous bonne garde, dit-il en faisant un signe appuyé à Carla.

Le visage sournois de cette dernière s'éclaira aussitôt.

– Nous vous avons à l'œil, mesdames, siffla Voldemort. Sachez qu'à l'avenir, le moindre comportement suspect aurait des conséquences regrettables.

Vera hocha à peine la tête, soutenant le regard de Voldemort. Quant à Daisy, elle resta de marbre.

– Et en ce qui concerne Narcissa...

Voldemort reporta son attention sur les deux époux. Son regard les parcourut de haut en bas, s'arrêta sur leurs deux mains étroitement enlacées, et il se concentra intensément pour prendre sa décision ; puis son visage se détendit et il leur adressa un sourire aimable.

– Après ce qu'il s'est passé ce soir, je crois que Narcissa largement payé ses tributs, déclara-t-il. J'accepte ta demande, Lucius : ton épouse ne sera plus jamais inquiétée.

Malgré cela, Lucius semblait toujours réticent.

– J'en fais la promesse, insista Voldemort.

Narcissa lâcha prudemment le bras de Lucius, et enfin, il se décida à relever sa manche, avant de tendre son bras devant lui avec appréhension. Voldemort lui saisit fermement le poignet, avide ; et avec une délectation manifeste, il posa la pointe de sa baguette sur sa peau parfaitement lisse. Ses yeux rouges s'écarquillèrent, ses pupilles semblables à des fentes s'élargirent.

Narcissa scruta l'avant-bras de Lucius avec inquiétude, et tressaillit en même temps que lui lorsqu'une tache obscure apparut sur son avant-bras. Lucius se crispa et serra les dents de toutes ses forces pour s'empêcher de gémir de douleur. La tache s'étendit, et prit la forme d'une affreuse tête de mort, dont la bouche béante laissait échapper un serpent qui s'enroulait autour d'elle comme un rire maléfique. Lorsque la langue fourchue du serpent apparut, Lucius voulut se retirer, mais Voldemort maintint sa prise autour de son poignet jusqu'à ce que les contours du motif soient parfaitement nets.

Quand ce fut terminé, il montra le bras de Lucius aux autres Mangemorts, qui avaient observé le spectacle avec un silence fasciné.

– La Marque des Ténèbres, dit Voldemort sur un ton solennel. Et maintenant, venez... Chacun votre tour.

Pendant que les autres Mangemorts présentaient leurs avant-bras à Voldemort, Narcissa voulut toucher le dessin, mais Lucius se dégagea vivement : sa peau devenait rouge autour de la Marque des Ténèbres, comme marquée à vif, et lui-même n'osait pas l'effleurer, ni rabaisser sa manche. Il se contentait d'observer le dessin, hypnotisé, comme s'il doutait de la réalité de celui-ci.

Ils restèrent silencieux jusqu'à ce qu'Abraxas Malefoy s'approche d'eux. Lucius se redressa, et essaya de sonder ses intentions, mais son visage restait de marbre.

– Montre-moi, ordonna-t-il en tendant sa main sèche et ridée.

Lucius s'exécuta, avec encore plus d'appréhension que lorsqu'il s'était agi de Lord Voldemort. Son père lui saisit le bras, et observa longuement la Marque des Ténèbres. Il était impossible de savoir s'il ressentait de l'admiration ou du dégoût : son expression était tout simplement indéchiffrable.

– C'est bien, dit-il au bout d'un long moment.

Et il s'éloigna, quitta la pièce et ferma la porte derrière lui.

Au fur et à mesure que les Mangemorts recevaient la Marque des Ténèbres, Regulus sentait l'étau se refermer autour de lui. D'un instant à l'autre, Voldemort allait se tourner vers lui et lui demander de tendre l'avant-bras gauche, pour y apposer cette Marque... Regulus n'avait aucune envie d'être ainsi marqué au fer rouge, et de porter sur sa peau le souvenir cuisant de cette horrible nuit. En réalité, la seule chose qui l'empêchait de s'éclipser discrètement était la présence de son père à côté de lui. Celui-ci lui tenait fermement l'épaule, et observait la progression de Voldemort, l'air de plus en plus surexcité au fur et à mesure que celui-ci s'approchait d'eux.

– C'est le moment de faire bonne impression, mon fils, disait Orion.

– Papa, je... Je pourrais être renvoyé de Poudlard, protesta faiblement Regulus.

– Nous trouverons un moyen de la cacher, répondit Orion avec désinvolture. Tu vas être le plus jeune d'entre tous, mon fils, tu vas entrer dans l'histoire... Allez, prépare-toi, il s'approche de nous...

Regulus se tourna vers Bellatrix, qui était assise à sa droite. Il aurait aimé que sa cousine lui vienne en aide, mais celle-ci semblait préoccupée par autre chose.

– Bella ? l'appela Regulus.

Elle ne répondit pas, et Regulus dut lui toucher le bras pour obtenir une réaction.

– Je devais être la première, dit-elle d'un air absent.

Regulus ne comprit pas tout de suite ce qu'elle voulait dire.

– La première à quoi ?

– À recevoir la Marque, bien sûr ! dit-elle avec colère. J'étais la première à le rejoindre, Reggie, tu te rends compte ? Et cette Marque, c'est moi qui l'ai imaginée... J'ai passé des nuits entières à trouver le symbole parfait... Et voilà comment il me remercie !

Bellatrix prit sa tête entre ses mains.

– Parfois, on dirait qu'il le fait exprès, simplement pour me tourmenter...

Aussitôt, elle sursauta, comme si elle avait reçu une décharge électrique ; et, sans que Regulus n'ait le temps de réagir, elle s'administra une gifle retentissante.

– Bella ! s'exclama Regulus, choqué.

– Je ne devrais pas penser ça, gémit Bellatrix, catastrophée.

Elle voulut recommencer, mais Regulus lui retint le poignet.

– Arrête !

– Tu ne te rends pas compte ! s'exclama Bellatrix. Je me suis défiée de lui ! Je l'ai soupçonné de me tourmenter ! Tout ça parce qu'il s'intéresse à d'autres que moi... Mais je lui fais entièrement confiance, Regulus, je t'assure... Cet intérêt qu'il a pour Lucius n'est que passager... Il finira par me revenir, j'en suis certaine... Il finira par réaliser que je suis la seule à lui être vraiment dévouée...

Regulus l'écouta parler, pétrifié. Il s'apprêtait à l'interrompre et à la supplier de partir loin d'ici, mais progressivement, Bellatrix sembla revenir à la réalité. Le gris de ses yeux se fit moins sombre, sa peau moins pâle. Elle reprit son souffle, se tamponna le coin des yeux, et adressa un sourire affectueux à Regulus.

– Au moins, je suis contente que tu sois là, dit-elle en lui caressant la joue. Nous allons recevoir la Marque ensemble... Oh, Reggie, c'est formidable !

Regulus lui répondit par un faible sourire, et n'eut pas le courage de lui dire qu'il comptait sur elle pour l'aider à se défiler.

– Et... Alors, cette Marque... Tu... Tu crois que ça fait mal ? demanda-t-il.

Il jeta des regards inquiets à ceux qui avaient déjà reçu leur récompense : tous évitaient soigneusement de toucher leur avant-bras, et le teint de certains était devenu dangereusement pâle.

– Peut-être, murmura rêveusement Bellatrix. Mais tu verras, tu seras tellement heureux que tu ne sentiras rien...

Au même instant, Voldemort s'approcha d'eux. Bellatrix se leva d'un bond, et lui tendit fièrement son avant-bras, que Voldemort saisit délicatement, le sourire aux lèvres.

– Tout ce chemin parcouru, ma chère Bellatrix, murmura Voldemort. Crois-moi, j'ai attendu ce moment avec autant d'impatience que toi.

Bellatrix jeta un regard à Regulus qui signifiait : Tu vois ? Et pendant que la Marque prenait forme sur l'avant-bras de sa cousine, Regulus déglutit avec difficulté. Il regarda son propre avant-bras gauche, qui était couvert de plaies infligées par les Tentagriffes. L'essence de Murlap avait fait cesser l'écoulement du sang, mais sa chair à vif semblait attendre la première occasion pour se remettre à saigner. Le simple fait d'imaginer la baguette de Voldemort se poser sur l'une d'entre elle lui donnait la nausée... Que fallait-il faire ? Se laisser emporter par l'euphorie générale, sans faire de vagues ? Ou bien refuser, et risque de contrarier son père, Voldemort, et surtout, surtout, sa cousine Bellatrix ?

Il se surprit à se demander ce que ferait Sirius à sa place. Oh, bien sûr, Sirius n'hésiterait pas à tout envoyer valser... Après tout, contrarier son entourage ne l'avait jamais dérangé, c'était même un de ses passe-temps favori... Et faire ce qu'on attendait de lui était sa hantise la plus absolue...

– Regulus !

Il remarqua soudain que tous les regards s'étaient posés sur lui. Il se retourna d'un bloc, et se retrouva face à Voldemort, qui le fixait de ses yeux brûlants.

– À ton tour, Regulus, dit la voix faussement affable de Voldemort.

– Lève-toi, lui ordonna Orion en lui prenant le bras.

Une simple pression sur son bras le fit sursauter de douleur. En regardant sa chemise déjà colorée de jaune par l'essence de Murlap, il constata que certaines plaies s'étaient déjà rouvertes. Décidément, il était bien loin de la grandeur qu'il pensait atteindre en rejoignant Voldemort...

Ce qui le décida fut l'espoir de devenir puissant, lui aussi, comme tous les Mangemorts qui l'entouraient, comme sa cousine Bellatrix, qui faisait mordre la poussière à tous ceux qui se trouvaient sur son chemin. Il pensa au sourire goguenard de James Potter, perché sur son balai, et à la satisfaction qu'il avait éprouvée quand il avait attrapé le Vif d'Or à sa place, lors du dernier match de Quidditch. Regulus se persuada donc qu'un jour viendrait où il serait craint, par James et par tous ceux qui l'avaient un jour regardé de haut.

Tous ces rêves de revanche lui firent avancer son bras, et relever sa manche sans qu'il ne s'en rende vraiment compte. Il entendit à peine Vera Goyle protester dans son dos, et ne revint à la réalité que lorsque Voldemort posa la pointe de sa baguette sur sa peau écorchée.

Pendant une fraction de seconde, il ne se passa rien, et Voldemort fronça les sourcils. Puis l'encre noire se répandit à toute vitesse le long de ses blessures, jusqu'à son épaule, et Regulus eut l'impression que Voldemort versait de la chaux brûlante dans ses veines. Une douleur fulgurante le parcourut du poignet jusqu'à la base du cou ; tout aussi brutalement, un voile obscur tomba devant ses yeux, et il s'écroula.

***

Lorsque Regulus reprit conscience, il ne ressentait plus aucune douleur. Au contraire, il se sentait divinement bien. Il réalisa progressivement qu'il se trouvait chez lui, dans sa chambre, dans la chaleur familière de ses épaisses couvertures, et en éprouva un immense soulagement.

Quelques bribes de disputes parvenaient jusqu'à lui. Il distingua aisément la voix de ses deux parents :

– Cette guerre est historique, Walburga ! disait la voix nasillarde d'Orion. Les véritables sorciers que nous sommes sont en train de reprendre le dessus sur la vermine qui nous menace... Ceux qui se battront entreront dans l'histoire ! Et notre fils doit en faire partie !

– C'est bien dommage que tu ne puisses pas te battre toi-même, répondit la voix glaciale de Walburga Black. À l'avenir, nous veillerons à ce que notre fils prenne part au combat de façon plus... cérébrale. Et qu'il ne se mêle pas aux mécréants que Bellatrix aime tant fréquenter.

Sa voix était chargée de mépris. Les yeux toujours fermés, Regulus voulut se réveiller complètement pour défendre sa cousine, mais il découvrit qu'elle se trouvait également dans la pièce.

– Reggie a été très courageux, rétorqua donc Bellatrix. Tout ça est la faute de Sirius ! Et de la vôtre, car vous ne m'avez pas laissé le former comme il le fallait ! Vous auriez dû me prévenir que vous souhaitiez le présenter au Seigneur des Ténèbres, je lui aurais appris à se battre convenablement !

– Attention à toi, jeune fille, siffla Walburga. Il est absolument hors de question que tu entraînes mon fils dans l'Allée des Embrumes, comme tu lui as proposé plusieurs fois ! Je refuse qu'il côtoie des voyous et des brigands !

– Mmh...

Regulus venait d'essayer de dire quelque chose.

– Taisez-vous ! glapit Bellatrix. Il se réveille !

En-dessous de lui, Regulus sentit son matelas remuer. Une main lui caressa le front ; il entrouvrit les yeux, et aperçut une masse familière de cheveux bouclés.

– Reggie, tu nous as fait peur, dit Bellatrix avec un mélange de soulagement et de reproche.

Regulus cligna des yeux. Il ne voyait pas encore tout à fait nettement, mais il pouvait distinguer les colonnes de son lit à baldaquin, les murs de sa chambre drapés de vert et d'argent... Son père était debout derrière Bellatrix, et Regulus aperçut du coin de l'œil la silhouette longiligne de sa mère dans l'encadrement de la porte.

– Kreattur, va donc lui chercher un peu d'eau, dit la voix glaciale de cette dernière.

Un être de petite taille remua aux pieds de Walburga et sortit de la pièce en marmonnant des paroles indistinctes. Encore engourdi, Regulus tenta de remettre en ordre ses souvenirs les plus récents. La première image qui lui vint à l'esprit fut celle de Sirius et de son regard enragé, dans la clairière du pensionnat Wimbley... Ensuite, les bras velus de Rodolphus Lestrange qui le plaquaient contre le mur... Et enfin, les pupilles incandescentes de Voldemort, et le bout de sa baguette qui touchait son bras...

Regulus se redressa un peu et constata que son bras gauche restait étendu le long de son corps, engourdi, inerte. Il était enveloppé de bandages imprégnés de pommade violette, de la paume de sa main jusqu'en haut de son cou.

– Je... Je ne peux plus bouger mon bras, gémit Regulus.

– Du calme, ça ne va pas durer, le rassura Bellatrix. C'est Vera qui a fait ça pour que tu n'aies plus mal.

De son autre main, Regulus essaya de soulever les bandes de gaze pour y jeter un œil, mais Bellatrix lui donna une tape sur la main pour l'en empêcher.

– Ne regarde pas. Ça fait peur à voir.

– Vraiment ?

– Le venin de Tentagriffes et le sortilège de la Marque n'ont pas fait bon ménage, l'informa Bellatrix, contrite. Tout ton bras est entièrement zébré de noir, et Vera dit que tu vas probablement avoir de grosses cicatrices. Elle va devoir revenir ici tous les jours, pour refaire les pansements et essayer de limiter les dégâts...

Au vu de la mine renfrognée de sa mère, Regulus devina que la perspective de recevoir la visite quotidienne de Vera Goyle ne plaisait pas à tout le monde.

– Que s'est-il passé... après ? demanda-t-il.

Sa bouche était pâteuse, et il avait le plus grand mal à articuler correctement. Face à lui, Bellatrix se tordait les mains, embarrassée, et son père dardait sur lui un regard amer et déçu.

– Les autres se sont moqués de nous, murmura Bellatrix. Et le Seigneur des Ténèbres... Il a trouvé que tu manquais de bravoure...

Elle ne parvenait pas à cacher son dépit.

– Tu ne le reverras pas de sitôt, grommela Orion avec amertume. Il a décrété que tu étais trop jeune pour le servir... Qu'il faudrait attendre que tu aies seize ans.

– Seize ans ?

– J'ai essayé de le faire changer d'avis, gémit Bellatrix. Mais il n'a rien voulu entendre.

Regulus fit un calcul rapide. Seize ans, c'était l'âge qu'avait Sirius depuis quelques semaines... Et lui, Regulus, en aurait bientôt quinze...

– C'est dans un an... et quelques, murmura-t-il. D'ici là, j'aurai le temps de progresser...

Il sentait que c'était ce qu'il fallait dire pour alléger la lourde déception qui planait dans l'air. Après ses innombrables succès à Poudlard, en tant qu'élève et en tant qu'attrapeur, ses parents avaient sans doute pensé qu'il en serait de même pour Voldemort... Mais cette fois-ci, la plus importante de toutes, il avait lamentablement échoué.

– Espérons que la guerre ne soit pas finie d'ici-là, décréta sèchement Orion en quittant la pièce.

Sa mère quitta la pièce à son tour, sans dire un mot. Regulus déglutit avec difficulté ; il se sentait honteux et furieux contre lui-même. Certes, la dispute qu'il avait eue avec Sirius y était pour quelque chose, mais le regard penaud de Bellatrix était encore plus difficile à supporter. À cause de lui, sa cousine et toute sa famille avaient été la cible des railleries et des quolibets, et cette idée lui était insupportable.

– Maître Regulus.... Kreattur vous a apporté un peu d'eau.

Regulus tourna la tête et aperçut la silhouette courbée de son elfe de maison, vêtu de son habituel chiffon sale. Il tenait à bout de bras un petit plateau d'argent, sur lequel était posés une carafe et un verre en cristal remplis d'eau.

– Merci, Kreattur, murmura Regulus en prenant le verre en cristal. Tu peux poser le plateau sur ma table de chevet... Merci.

Kreattur posa le plateau et s'attarda un instant pour regarder son maître avec émotion.

– Kreattur était très inquiet pour toi, dit Bellatrix, assise sur le rebord du lit.

L'elfe tressaillit, surpris d'être ainsi remarqué ; puis il s'inclina à nouveau, à tel point que son nez en forme de groin effleura le tapis précieux qui se trouvait sur le sol.

– Kreattur a eu peur pour son maître Regulus, dit l'elfe de sa voix grinçante. Oh, la maîtresse a raison, le sang de la famille Black est bien trop pur pour être versé au combat... Mais M. Regulus trouvera un autre moyen de servir la noble cause des Sang-Pur, Kreattur n'en doute pas. Le Seigneur des Ténèbres sera fier de lui, et cela rattrapera les erreurs commises par son frère, qui ne pense qu'à nous causer du tort.

Il se redressa légèrement et sortit de la pièce à reculons, laissant Bellatrix souriante et Regulus pensif.

– Ne t'inquiète pas, Reggie, dit Bellatrix à côté de lui. Une fois que ton bras sera de nouveau fonctionnel, je te donnerai quelques cours particuliers. Lorsque tu te joindras de nouveau à nous, tu seras plus puissant que tous ces imbéciles réunis.

Regulus hocha la tête. Cette perspective lui redonnait un peu de vigueur. Bellatrix avait raison, il ne s'était pas assez préparé. Il n'était pas encore à la hauteur du statut de Mangemort, mais cela allait changer. Voldemort lui donnait une seconde chance, et il ne la gâcherait pas comme il venait de le faire si lamentablement. Il allait travailler dur pour faire oublier cette humiliation, et Bellatrix allait l'y aider.

La prochaine fois, ce serait différent.

La prochaine fois, il serait prêt.

***

Au-dessus du domaine des Malefoy, le soleil avait déjà bien entamé sa course à travers le ciel, et éclairait d'une lumière douce l'immense chambre de Lucius et de Narcissa. Sur les murs, des feuilles de vignes peintes en trompe-l’œil se balançaient doucement au gré d'une brise imaginaire. Contrairement au 12, square Grimmaurd, on n'entendait aucun cri, seulement quelques chants d'oiseaux et le clapotis lointain du lac qui se trouvait dans le domaine. Tout était, en apparence, semblable au jour précédent.

Et pourtant, sur l'écritoire en bois verni incrusté d'ivoire, quelques indices trahissaient les terribles évènements de la nuit, et indiquaient que le jour qui se levait était en tout point différent de ceux qui l'avaient précédé.

Au milieu de l'écritoire, tout d'abord, se trouvait un morceau de parchemin froissé, couvert d'une écriture précipitée. Il s'agissait d'une lettre que l'aigle Cléopâtre avait interceptée non loin du pensionnat :

Madame la Ministre,

C'est avec une grande tristesse que je vous informe qu'Eleanor Wimbley a été assassinée.

Ted Tonks et moi-même sommes retournés en éclaireurs sur les lieux du pensionnat, et avons retrouvé son corps ainsi que celui de son frère, là où se trouvait son bureau. Nous les avons extrait des décombres et les avons confié aux Longdubat. Je me suis permis d'emmener Ted Tonks à Sainte-Mangouste, car il était totalement sous le choc. Son épouse et sa fille sont saines et sauves, et averties de la situation. Adam Claring a été grièvement blessé, mais d'après les Médicomages, il devrait s'en tirer.

À votre service,

Alastor Maugrey

Sous le parchemin se trouvait un Bulletin Spécial de La Gazette du Sorcier, ouvert en grand. Les titres des articles qui étaient lisibles étaient tous plus désespérants les uns que les autres. Eleanor Wimbley sauvagement assassinée, titrait le premier ; Le pensionnat entièrement détruit ; Bartemius Croupton dénonce l'incompétence d'Eugenia Jenkins et réclame sa démission... Des photos des victimes défilaient dans un coin du journal ; l'une d'elle, un peu plus grande que les autres, montrait un petit garçon souriant. L'article central s'étalait sur plusieurs colonnes :

Cette nuit de Noël restera, assurément et malheureusement, gravée à tout jamais dans nos mémoires. Hier, donc, Eleanor Wimbley célébrait le vingtième anniversaire de son établissement, refuge historique pour les jeunes sorciers aux pouvoirs trop envahissants. Hélas, vers vingt heures, deux énormes dragons ont attaqué le pensionnat et ont détruit le Sortilège de Protection qui l'entourait. Dans la pagaille et en l'absence de connaisseur présent sur place, l'espèce des créatures n'a pas pu être identifiée, mais elles ont permis à une cinquantaine d'attaquants cagoulés de faire irruption dans la clairière. Fort heureusement, les Moldus et les enfants présents sur les lieux ont été très rapidement évacués, du moins en grande majorité. Une bataille inégale s'est alors engagée entre les Aurors et des Mangemorts, qui étaient trois fois supérieurs en nombre. Pendant toute la nuit, les Aurors ont courageusement défendu le pensionnat ; mais malheureusement, c'est l'arrivée de Voldemort qui a fini par avoir raison de leur ténacité. Aidé par l'un des monstrueux dragons, le mage noir a projeté une gigantesque boule de feu sur le bâtiment et l'a réduit en poussière, obligeant les Aurors à abandonner définitivement les lieux ; puis l'apparition de la Marque des Ténèbres dans le ciel nous a confirmé l'identité des coupables. Un seul Mangemort, du nom de Thorfinn Rowle, a pu être capturé, mais celui-ci semble avoir été victime d'un puissant Sortilège de Confusion, et n'est donc pas en mesure de révéler les noms de ses complices. De notre côté, nous avons bien plus de victimes à déplorer, et notamment la directrice du célèbre pensionnat, dont le corps a été retrouvé dans les ruines, près de celui de son frère, Erik Wimbley. L'inquiétude se cristallise également autour d'un petit pensionnaire âgé de cinq ans, du nom de Nino (photographie ci-jointe), qui demeure introuvable. Certains témoins affirment l'avoir vu courir vers le pensionnat au moment de l'attaque, mais pour l'instant, aucun corps n'a été trouvé aux côtés de celui des deux Wimbley, ni ailleurs dans les décombres. Excepté Nino, les seules victimes sont des Aurors et des membres de la Brigade de la Police Magique, dont nous avons tenu la liste non exhaustive en page 4. Un hommage sera rendu demain au Ministère pour ces courageux combattants et la rédaction de La Gazette du Sorcier se permet d'adresser toutes ses condoléances à leurs familles.

À l'heure qu'il est, plusieurs questions restent donc encore sans réponse : tout d'abord, le petit Nino est-il encore en vie ? Quelle est la réelle identité de ces Mangemorts ? Possèdent-ils d'autres dragons ? Pouvons-nous encore espérer retrouver ces criminels, afin de leur administrer une sentence à la hauteur de leur ignominie ?

À quelques mètres de là, dans l'immense lit à baldaquin, Lucius dormait paisiblement. Son visage était parfaitement détendu, sa bouche légèrement entrouverte, et sous les draps blancs, sa poitrine se soulevait à un rythme lent et régulier.

Et, debout au milieu de sa chambre, les bras ballants, flottant dans une longue chemise de lin blanc, Narcissa regardait Lucius dormir, incapable de comprendre comment il pouvait être si serein.

Afin d'obtenir un peu de répit, elle essayait de se persuader que les évènements récents n'étaient que d'innocents cauchemars ; et en regardant le visage apaisé de Lucius, elle y parvenait presque, mais son regard déviait invariablement vers le motif sinistre qui était désormais tatoué sur son avant-bras gauche. Juste en-dessous de sa main lascivement posée sur les draps, tout près de son visage, la Marque des Ténèbres se découpait sur sa peau lisse avec une extrême netteté.

Debout au milieu de la chambre, Narcissa frissonna. Autour d'elle, tout était donc parfaitement calme, ce qui contrastait douloureusement avec la tempête qui agitait son esprit. Elle ne pouvait même pas dire à quoi elle pensait, tant les images affreuses qui lui venaient à l'esprit s'y succédaient rapidement. Trop de choses s'étaient passées, trop de personnes et de créatures avaient souffert à cause d'elle.

Elle déglutit avec difficulté. Depuis combien de temps se tenait-elle ici, figée au milieu de sa chambre, paralysée par une émotion qu'elle ne parvenait même pas à décrire ? Au prix d'un effort immense, elle essaya de remettre ses souvenirs dans l'ordre. La Marque des Ténèbres... Elle était en train de regarder l'avant-bras de Lucius quand Regulus s'était évanoui... Et à partir de là, tout était confus... Le bras de Regulus s'était couvert de monstrueux sillons noirs... Bellatrix, Vera et Daisy avaient emporté Regulus pour s'occuper de lui... Et ensuite... Tout le monde se moquait de Regulus... Voldemort avait décrété que les nouveaux Mangemorts devraient avoir au moins seize ans avant de se présenter devant lui...

Puis il avait demandé à Lucius de raconter comment il avait réussi à tuer Eleanor Wimbley, et Lucius avait raconté... Il n'avait pas beaucoup donné de détails, mais son récit concordait bien avec ce qu'avait constaté Alastor Maugrey dans sa lettre...

Lucius, justement, marmonna dans son sommeil.

– Hmm... C'est vrai, dit-il.

Narcissa se pencha sur lui, tout ouïe. Si seulement il pouvait avouer qu'il avait menti... Si seulement il n'était pas devenu un assassin...

– C'est... Grmbl... C'est moi qui l'ai tuée, dit-il en mâchonnant dans le vide. C'est moi. Oui, oui, c'est moi.

Il déglutit dans son sommeil, puis se tut. Narcissa frissonna à nouveau, plus longuement. Elle était à bout de forces, mais même après un long bain et un pansage minutieux de ses plaies, elle n'arrivait pas à se résoudre à se glisser dans son lit.

Elle ne voulait pas admettre que la nuit était terminée. Pour le moment, elle flottait dans un brouillard irréel, qui lui permettait de croire que rien n'était vraiment arrivé ; en revanche, elle savait pertinemment que, lorsqu'elle se réveillerait quelques heures plus tard, elle aurait retrouvé la lucidité nécessaire pour réaliser que Balaur était mort, que la plupart des personnes chères à ses yeux avaient failli l'être, et qu'elle devrait désormais partager le lit d'un assassin. Et elle savait également que lorsqu'elle chercherait quelqu'un sur qui elle pourrait déverser sa colère, lorsqu'elle tirerait sur les fils qui la mèneraient au coupable de toutes ces catastrophes, elle ne trouverait personne d'autre qu'elle-même.

Narcissa pensa à quelque chose qui était susceptible de la soulager. Elle pivota doucement, en prenant bien garde à ne pas faire de bruit ; puis elle fit glisser ses pieds nus sur le parquet soigneusement vernis, afin de repérer la latte mobile sous laquelle était cachée son journal.

Elle se baissa, souleva la latte de parquet, et prit dans ses mains tremblantes le journal à la couverture rose, puis alla le poser sur l'écritoire en bois vernis incrusté d'ivoire. Elle repoussa le billet d'Alastor Maugrey et le Bulletin Spécial de La Gazette du Sorcier, puis y ouvrit son journal là où elle l'avait refermé quelques semaines plus tôt. Les derniers mots qu'elle avait écrit dans son journal concernaient ses doutes quant au choix de rejoindre Lord Voldemort.

Mais finalement, je crois que j'ai bien agi, avait-elle conclu.

Narcissa eut un petit rire silencieux en voyant ses mots. Elle pouvait désormais se répondre à elle-même : ma pauvre idiote, tu t'es trompée sur toute la ligne.

Elle avança sa main tremblante vers l'encrier. Lorsque sa main fut éclairée par sa baguette, elle la regarda, surprise ; sans savoir expliquer pourquoi, il lui semblait que cette main était celle d'une étrangère. Elle regarda sa paume blanche et lisse pendant plusieurs minutes, interdite. Puis elle se décida à saisir la plume qui trempait dans l'encrier, et à l'amener au-dessus de son journal.

Narcissa posa pensivement sa plume sur le papier parcheminé. Elle s’était forcément trompée quelque part, mais où ? Elle était incapable de le dire. Et si elle n’arrivait pas mettre le doigt sur ce qui était allé de travers, cela signifiait qu’elle était aussi mauvaise que tous les choix qu’elle avait faits…

 Lorsqu’elle baissa les yeux, elle avait appuyé si fort que la plume avait transpercé le papier, au centre d’une grosse tache d’encre qui s’était répandue autour de la plume.

Elle la retira en sursautant, et contempla à nouveau la page envahie d'encre qui s'étalait sous ses yeux. Que pouvait-elle écrire ? Qu'elle sentait son cœur noircir comme cette feuille de papier, sans qu’elle n’ait ni la force ni même l'envie de l'en empêcher ?

Elle leva à nouveau les yeux, perplexe, et contempla le mur lambrissé qui lui faisait face. Quand elle baissa les yeux, elle avait écrit quelques mots sans même s'en rendre compte, d'une écriture désordonnée :

Je me déteste

Et, devant l'écrasante vérité de ce constat, la plume lui échappa des mains, et tomba sur sa chemise de lin blanc en y laissant une fine traînée d'encre noire.


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