Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 14 : Un défi pour Lucius

8514 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/06/2023 18:07

Un défi pour Lucius



La première réunion rassemblant les premiers et les nouveaux partisans de Voldemort eut lieu le 20 décembre – la veille de la Fête Nationale des Sorciers.

Cette fête avait lieu le 21 décembre, tous les ans, et avait pour but de festoyer entre sorciers et de célébrer l'existence du monde magique. Toutefois, cette fête annuelle était trop souvent utilisée par certains sorciers pour célébrer leur supériorité sur les Moldus et pour aller les tourmenter, de façon plus ou moins cruelle : c'est pourquoi le Ministère, depuis de longues années, avait pour projet de l'abolir.

Mais Voldemort ne l'entendait pas de cette oreille et comptait bien marquer le coup en signifiant au Ministère que son camp était plus puissant que jamais. Il avait donc décidé de réunir ses partisans la veille de cette fameuse Fête Nationale, et Lucius avait été chargé de les convoquer. Ce dernier avait également pris soin de convier ses amis quelques heures en avance : après avoir copieusement dîné, il se prélassait donc à la grande table de la salle de bal, accompagné d'Evan Rosier, Balderic Parkinson et Damian Nott, et tous les quatre attendaient l'arrivée du reste des convives en devisant gaiement.

Bellatrix, elle, était occupée à s'apprêter le plus soigneusement possible, afin de resplendir aux yeux du Seigneur des Ténèbres. Dans la grande chambre de l'aile Ouest que lui avait attribuée sa petite sœur, elle avait revêtu la seule robe qu'elle possédait, une robe de cuir et de soie noire que lui avait offert la tante Walburga. Ainsi vêtue, elle essayait d'arranger tant bien que mal son épaisse tignasse brune et bouclée ; ça n'était pas une mince affaire, mais elle était plus déterminée que jamais à s'attirer les faveurs de Voldemort.

Quant à Narcissa, elle avait elle aussi prétexté le besoin de s'apprêter pour rester dans ses appartements. Elle avait pris exemple sur Daisy et avait passé autour de son cou le sifflet aux reflets verts qui lui permettait d'appeler son dragon à n'importe quel moment. Son amie avait raison : dès que ses doigts effleuraient le métal froid du sifflet, son courage se renforçait et elle se sentait de taille à tout affronter.

Il y avait bien longtemps qu'elle avait fini de peigner et de tresser ses longs cheveux blonds ; mais autre chose la retenait dans sa salle de bains. En effet, Abraxas Malefoy avait lui aussi convié quelques invités en avance et discutait avec Orion et Piscus Crabbe dans sa bibliothèque. Narcissa était donc postée devant le grand miroir de sa salle de bains, tout ouïe, curieuse de savoir quelles nouvelles découvertes elle allait faire en espionnant les trois hommes.

Mais depuis l'arrivée de ses deux invités, ils n'avaient échangé que des banalités, ponctuées de silences pesants pendant lesquels ils se contentaient de boire leur verre de vin en inhalant de longues bouffées de Fumesbire.

Et alors que Narcissa s'apprêtait à jeter l'éponge, Vera fit son entrée dans la bibliothèque, son ravluk Albert sur l'épaule.

– Vera, tu es venue, constata Abraxas Malefoy avec étonnement.

– Comme tu peux le voir.

– Pourtant, tu n'avais pas l'air enchantée de la tournure que prenaient les évènements, la dernière fois...

– Il faut bien que quelqu'un de censé soit là pour vous surveiller, dit Vera en regardant vers le portrait de Prisca Malefoy.

Elle était, comme d'habitude, habillée de couleurs vives ; mais pour la première fois, cette gaieté vestimentaire jurait avec la pâleur et l'expression préoccupée de son visage.

– En tout cas, tu as été assez sage pour laisser ton cerbère nain chez toi, remarqua Abraxas.

– Oh, je l'ai laissé jouer dans ton jardin... Il a un petit faible pour tes bosquets de roses...

Abraxas s'en étrangla avec son verre de vin, et son visage prit une inquiétante couleur violette.

– Mes roses ? Sotte que tu es ! Elles sont ce que j'ai de plus précieux ! Des imbéciles les ont déjà endommagées à la dernière réunion ! Athénaïs les adorait, j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux ! Sors d'ici, et rappelle ton chien monstrueux !

– C'était une plaisanterie, le rassura Vera sans entrain. Je l'ai attaché à la statue de ton ancêtre. Il ne touchera pas à tes précieuses roses.

Abraxas se dérida légèrement.

– Soit, cela distraira peut-être ce cher Armand, grogna-t-il en se détendant dans son fauteuil.

Vera s'apprêtait à s'asseoir, mais les lumières de la pièce vacillèrent et un sifflement inquiétant provint de la porte que Vera venait de franchir.

– Voldemort vient d'arriver, devina Vera, la mine sombre.

Orion se leva immédiatement.

– Je dois lui parler, dit-il.

– Moi aussi, dit Piscus Crabbe en l'imitant.

Les deux hommes sortirent précipitamment, et Abraxas et Vera échangèrent un regard étonné.

– Que d'empressement, commenta Abraxas.

Il finit son verre de vin d'un trait, et marcha vers la sortie en s'appuyant sur sa canne au pommeau d'argent.

– Tu ne viens pas ?

– Je prends juste un verre de vin... Je vous rejoins, dit Vera.

– Comme tu voudras.

Il se tourna vers la porte, mais interrompit son geste et se retourna vers Vera.

– Sois prudente, dit-il avec froideur. Le Seigneur des Ténèbres se méfie de toi.

– Merci de m'en avertir, répondit Vera d'une voix neutre.

– Je l'ai convaincu de ta bonne foi, car je sais que tu ne t'opposeras jamais au clan de ton fils... Ou à celui de Narcissa. Et puis, j'espère pouvoir tirer profit de quelques-uns de tes d'animaux magiques. Mais à la moindre suspicion...

– J'ai compris, Abraxas.

– Ta maison est sous surveillance, insista le vieil homme. Ainsi que ta cheminée et ton courrier...

– Oui, je l'ai remarqué.

– Bien.

Abraxas ferma la porte derrière lui ; Vera attendit quelques secondes, aux aguets, puis se tourna vers le portrait de Prisca Malefoy.

– Vera, comme je suis heureuse de vous voir, dit celle-ci d'une voix empreinte de tristesse. Je pensais que vous ne viendriez plus jamais, après les derniers évènements... Oui, Abraxas m'a tout raconté. Ces malheureux se sont jetés dans la gueule du loup !

– Je ne pensais pas revenir non plus, admit Vera. Nous avons même parlé de quitter le pays, avec mon mari et ma fille.

– Oh non, Vera, je vous en supplie ! J'ai besoin de vous ! Et Lucius a besoin de votre protection !

– Je ferai de mon mieux, soupira Vera. De toute manière, je ne pouvais pas abandonner Edgar et Cissy.

La voix de Vera s'enroua légèrement, et dans sa salle de bains, la vue de Narcissa se brouilla. Voir Vera ainsi éteinte lui causait bien plus de peine qu'elle ne voulait l'admettre.

– Voilà qui est noble de votre part, Vera, dit Prisca.

Vera haussa les épaules, indifférente.

– Oh, attention ! Une souris grimpe le long de votre jambe !

Vera baissa la tête, et ses lèvres s'étirèrent en un pâle sourire.

– Pas de panique... Ça n'est pas une souris, c'est ma toute dernière découverte, dit-elle.

Elle glissa sa main le long de sa robe orange vif et cueillit la minuscule bestiole qui lui grimpait dessus.

Narcissa approcha sa main du miroir et fit le même geste que si elle voulait attirer le miroir vers elle ; l'image de l'animal de Vera s'agrandit alors, et Narcissa découvrit un mammifère minuscule qui ressemblait à une souris, à la différence que son pelage était plus fourni, duveteux et coloré ; de même, ses oreilles étaient beaucoup plus grandes que celles d'une souris normale et lui donnaient l'air d'un éléphant.

– Voilà une Chuchouris, dit Vera Goyle.

– Une Chuchouris ? Qu'est-ce donc ?

– Leur ouïe est d'une finesse exceptionnelle : elles peuvent entendre une simple discussion à plusieurs dizaines de mètres de distance, ou un moustique qui se poserait sur le mur. Et elles sont particulièrement intelligentes, elles savent repérer ceux qui complotent quelque chose... Ah, justement, regardez, je crois qu'elle essaie de m'avertir...

Vera prit la Chuchouris qui couinait avec impatience sur la table, et la posa sur son épaule libre, tout près de son oreille. Au fur et à mesure qu'elle écoutait la souris lui répéter la conversation qu'elle venait d'entendre, son visage s'assombrissait.

– Vera, parlez-moi, vous me faites peur...

Vera leva la tête, encore plus pâle qu'auparavant.

– Orion mijote quelque chose, dit-elle. Piscus Crabbe aussi... Contre Abraxas, sans doute, ils sont tous les deux fous de jalousie depuis que Lucius s'est attiré la sympathie de Voldemort. Je vais voir de quoi il retourne. À plus tard, Prisca.

Et d'un pas un peu plus décidé, Vera sortit de la bibliothèque. Narcissa se leva d'un bond, effaça d'un geste l'image de la bibliothèque qu'elle avait faite apparaître dans le miroir et sortit de sa chambre. En arrivant sur le pallier, elle entendit très clairement les voix de Piscus Crabbe, d'Orion et de Voldemort provenir du hall d'entrée, au-dessous d'elle. Elle s'interrompit, et ouvrit grand ses oreilles, la main sur la rampe d'escalier.

– Maître, disait Piscus Crabbe de sa voix grave et menaçante, écoutez-nous...

– Tout le monde nous attend au salon, répondit la voix aiguë et sifflante de Voldemort. Nous aurons tout le loisir de parler plus tard.

– Non, Maître, vous ne comprenez pas...

Narcissa entendit un claquement de langue agacé.

– Ne partez pas... Maître, nous voulions vous avertir...

Il y eut un bruit d'étincelle, et Crabbe poussa un cri de douleur.

– Eh bien parle donc, Crabbe ! ordonna Voldemort, furieux. Mais fais vite, car mon temps est précieux !

– Soit, soit... C'est que... Vous semblez déjà avoir une confiance absolue en Lucius. On dit que vous lui confiez tous vos états d'âme, et qu'en retour, vous écoutez tous ses conseils... Que vous lui donnez des leçons particulières de magie noire...

Piscus Crabbe n'avait pas tort. Voldemort avait passé beaucoup de temps au sein du manoir, au cours du mois dernier ; et il avait notamment beaucoup discuté avec Lucius, dont il appréciait l'intelligence, la fourberie et la connaissance de tous les secrets intimes du Ministère. En échange de ses précieux conseils, Voldemort lui permettait d'approfondir son apprentissage de la magie noire, ce qui avait le don de rendre Bellatrix incroyablement jalouse.

– Vous êtes donc en train de gaspiller mon temps, et tout cela parce que vous êtes envieux de Lucius, résuma Voldemort.

– Ah, c'est que... La famille Malefoy, nous la connaissons bien, Maître, nous la côtoyons depuis toujours... Ils sont rusés, séduisants, oui, mais ce ne sont que des belles paroles... En réalité, ils sont d'une lâcheté sans pareille... Orion et moi souhaitions seulement vous mettre en garde, afin que vous ne soyez pas déçu.

– Tu deviens vexant, Crabbe. Penses-tu que moi, le Seigneur des Ténèbres, je me laisserais berner par un jeune garçon ? Cela dit, tu as raison, il est temps de le mettre à l'épreuve.

Narcissa tressaillit. Mettre Lucius à l'épreuve ? Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Ah, si seulement Narcissa avait eu la force d'étrangler l'énorme cou de Piscus Crabbe...

Orion s'éclaircit la gorge et prit la parole :

– Maître, j'ai moi-même quelqu'un d'autre à vous recommander.

– Oui, nous voulions vous parler de mes f.… commença Crabbe.

– Non, je ne parlais pas de tes fils, Crabbe.

– Pardon ? Orion, nous avions convenu...

– J'ai trouvé quelqu'un qui, je pense, sera tout à fait au goût du Seigneur des Ténèbres... Bien plus que tes deux lourdauds de fils.

– Mais j'en suis ravi, Orion, dit Voldemort d'une voix douce. C'est une excellente nouvelle.

Piscus Crabbe s'empourpra, furieux que son soi-disant allié se retourne contre lui et ajoute un concurrent à la compétition qui existait déjà entre Lucius et ses propres fils.

– Oui, Maître, il vous plaira, j'en suis certain, assura Orion. Il est en tout point comparable à Lucius, croyez-moi... Le courage en plus.

– Et quand aurais-je le plaisir de le rencontrer ?

– Oh, mais... D'un instant à l'autre. Il est en chemin. Je me suis permis...

– Tu as bien fait.

Comme pour confirmer les dires d'Orion, quelqu'un frappa à la porte.

– Ce doit être lui !

Et avec autant d'assurance que s'il se trouvait dans sa propre demeure, Orion pointa sa baguette vers la porte.

Ianua aperio ! Entre, entre, mon fils, nous parlions justement de toi !

Affolée, Narcissa descendit quelques marches d'escaliers, afin de voir l'ensemble du hall d'entrée. Orion, Piscus Crabbe et Voldemort se tenaient au milieu de la pièce et lui montraient leurs dos, tournés vers la porte d'entrée qui venait de s'ouvrir. Et c'est avec un saisissement presque maternel que Narcissa vit apparaître son cousin Regulus, qu'elle n'avait pas vu depuis des mois.

Son visage d'enfant était en train de se métamorphoser à une vitesse stupéfiante : ses joues rebondies avaient disparu, la douceur de ses traits s'était estompée, sa mâchoire était devenue plus anguleuse. Il ressemblait un peu plus à Sirius qu'auparavant, et avait les mêmes yeux gris ; mais il avait le teint plus pâle, le visage plus émacié et ses cheveux, au lieu d'être naturellement bouclés comme ceux de son frère, étaient seulement légèrement ondulés. Il portait toujours le même veston de velours vert aux bordures argentées et d'élégantes bottes de cuir, dans lesquelles il semblait un peu à l'étroit.

Il retint un sursaut quand il aperçut Lord Voldemort à quelques mètres de lui, et sa voix trembla lorsqu'il s'inclina devant lui :

– Le... Le Seigneur des Ténèbres, bredouilla Regulus. Je suis Regulus Arcturus Black... pour vous servir.

Le visage de Voldemort resta neutre pendant qu'il détaillait Regulus de la tête aux pieds.

– Relève-toi, mon garçon... Tu me sembles bien jeune. Quel âge as-tu ?

– Je viens d'avoir quatorze ans, Maître.

– Quatorze ans, répéta Voldemort avec lenteur. Tu es donc encore plus jeune que ma première élève, lorsqu'elle m'a rejoint.

– Si vous parlez bien de ma cousine Bellatrix, c'est elle qui m'a parlé de vous, dit précipitamment Regulus. C'est elle qui m'a convaincu de vous rejoindre. Et... elle m'a aussi donné quelques leçons de magie noire.

Une expression indéchiffrable passa sur le visage de Lord Voldemort.

– Je devrai donc la remercier de t'avoir mené jusqu'à moi, dit-il simplement.

Orion observait l'échange avec un air réjoui, tandis que Piscus Crabbe fulminait.

– Retournons au salon, dit Voldemort en se détournant. Tu pourras rencontrer le reste de mes alliés.

N'y tenant plus, Narcissa dévala le reste des marches de l'escalier.

– Regulus ! appela-t-elle.

Regulus se retourna vers elle, et son visage s'illumina en l'apercevant.

– Cissy !

Narcissa courut à sa rencontre et lui sauta au cou. Regulus semblait incroyablement soulagé de la retrouver, et en le voyant de près, Narcissa remarqua qu'il avait le front moite et les mains tremblantes, et en déduisit qu'il déployait des efforts immenses pour ne pas montrer à quel point il était mort de peur.

– Je suis surprise de te voir ici, dit Narcissa avec un mélange d'affection et de reproche. Tu es si jeune, Reggie !

Regulus haussa les épaules, visiblement embarrassé.

– Regulus, grogna Orion, ça n'est pas le moment...

– En effet, nous aurons tout le loisir de discuter plus tard, dit Voldemort avec froideur.

Le jeune garçon adressa un sourire à Narcissa, et se laissa entraîner vers le salon.

– Allons-y, dit-il à voix basse.

Et ils entrèrent dans la pièce où se trouvaient tous les partisans de Voldemort réunis, attablés à la longue table ouvragée.

Abraxas Malefoy, le premier, posa sur Regulus ses yeux pâles et glacés. Il était installé sur le siège qui se trouvait au centre de la table, dont le dossier était plus large et les accoudoirs plus confortables ; et de la place centrale qu’il occupait, il tenait chacun sous son regard.

Lucius, assis à sa gauche, se tourna également vers les nouveaux arrivants, en même temps qu'Evan Rosier, Balderic Parkinson, Damian Nott et Orpheus Flint, tous rassemblés auprès de lui. Enfin tous les anciens Embrumés, assis de l'autre côté de la table, se tournèrent d'un même geste vers le jeune garçon qui venait de faire irruption dans la pièce aux côtés de Lord Voldemort.

– Mes chers amis, j'ai le plaisir de vous présenter un nouvel élève, dit Voldemort en entrant dans le salon.

– Un morveux, commenta aussitôt quelqu'un, entraînant un concert de gloussements.

Les joues de Regulus rosirent légèrement ; mais heureusement pour lui, quelqu'un vint aussitôt le tirer d'affaire.

– Reggie ! s'exclama une voix féminine.

Bellatrix bondit sur ses pieds. Elle se rua vers lui, et lui sauta au cou avec effusion.

– Toi, ici ! Mais c'est formidable !

Regulus la gratifia d'un beau sourire.

– Bella ! Je suis content de te voir...

Alors que Bellatrix l'embrassait sur la joue en l'étranglant à moitié, les autres hommes présents se montrèrent nettement moins accueillants.

– C'est qui, ce moufflet ?

– Le rejeton d'Orion...

– Encore un petit prince qui n'a rien dans le ventre !

Rodolphus Lestrange, notamment, qui convoitait les faveurs de Bellatrix depuis de longues années, voyait d'un très mauvais œil l'arrivée de ce nouveau venu.

– Bientôt, nous irons cueillir les Mangemorts au berceau, dit-il à voix haute, et l'ensemble de ses voisins hochèrent la tête avec affliction.

En guise de réponse, Regulus s'écarta légèrement de Bellatrix, et adressa un sourire embarrassé à l'ensemble de la tablée.

– Euh... Bonjour à tous, déclara-t-il, encouragé par le regard admiratif de Bellatrix. Je suis, eh bien... Très flatté de faire votre connaissance... On m'a dit que...

– Épargne-nous tes courbettes, petit ! le coupa Yaxley sans ménagement. Nous savons que vous autres Collinards excellez en la matière... Mais qu'en est-il de ton habileté au combat ? As-tu au moins déjà gagné un duel contre un sorcier digne de ce nom ?

Regulus ne sut que répondre. Il y eut un moment de flottement, puis Voldemort reprit la parole avec un sourire sarcastique.

– Je te félicite, Yaxley, tu viens d'introduire l'objet de notre réunion... Laissons Regulus prendre ses marques, et installons-nous, que je puisse vous dire de quoi il retourne.

Narcissa alla s'asseoir à côté de Lucius, qui lui avait gardé une place à côté de lui. Bellatrix prit Regulus par la main et le fit asseoir entre elle et Voldemort, qui présidait la tablée. Piscus Crabbe, lui, échangea avec ses deux colosses de fils un regard lourd de sous-entendus ; et Vera Goyle, enfin, s'assit dans un coin de la pièce, les bras croisés, en observant attentivement tous les membres de la sinistre assemblée.

Voldemort leur fit part de ses projets : maintenant qu'ils étaient assez nombreux, il souhaitait célébrer leur nouvelle alliance par un attentat spectaculaire, quelque chose qui marque les esprits : et la Fête Nationale des Sorciers, qui célébrait historiquement la puissance de la magie, était l'occasion idéale pour ce coup d'éclat.

Chacun soumettait sa proposition, en rivalisant de cruauté. Certains souhaitaient s'attaquer directement au Ministère ; d'autres, moins nombreux, émirent l'idée d'assiéger Poudlard, mais ils furent aussitôt rabroués par ceux qui estimaient cela imprudent en la présence de Dumbledore.

Le débat commençait à s'enliser sérieusement quand Abraxas Malefoy prit la parole :

– Si je peux me permettre, je pense que toutes vos propositions sont vouées à l'échec, dit-il d'une voix tranchante.

Tout le monde se tourna vers lui. De son siège légèrement plus haut que les autres, il dominait toute la tablée. Ses yeux gris pâle ressemblaient à deux billes de métal glacé, et sa voix était comme un tintement d'acier. Le brouhaha indiscipliné s'évanouit aussitôt, remplacé par un silence pesant.

– Le Ministère sait pertinemment que la Fête Nationale des Sorciers est pour nous une occasion idéale, expliqua Abraxas. Ce serait bien trop prévisible. D'après mes sources au Ministère, tous les lieux symboliques seront sous surveillance renforcée. Partout où nous irons, il sera impossible de les prendre par surprise.

– Justement, c'est parfait ! répliqua Bellatrix. Nous ne demandons qu'à nous mesurer à eux !

– Mais les dégâts infligés seraient moindres, insista Abraxas Malefoy.

– Que nous conseilles-tu, Abraxas ? demanda Voldemort.

– Laissons passer la Fête Nationale des Sorciers. Ne tentons rien à cette occasion, exceptés peut-être quelques actions mineures, distractives...

Voldemort échangea un regard furtif avec Piscus Crabbe.

– Dois-je comprendre que tu t'opposes à mon idée d'attaque de grande ampleur ?

Au vu du sourire qui se dessina sur les lèvres d'Abraxas Malefoy, c'était précisément la réaction qu'il attendait de la part de Lord Voldemort.

– Au contraire, Maître... Au contraire. Une fois la Fête Nationale des Sorciers passée, le Ministère se croira sauvé pour l'année ; eux qui essaient de rassurer la population à tout prix, ils ne manqueront pas de crier victoire dans La Gazette du Sorcier... Ce qui sera l'occasion pour nous de les ridiculiser, lorsque nous passerons vraiment à l'action.

Voldemort plissa les yeux : il commençait à comprendre.

– Continue, ordonna-t-il.

– Je ne comptais pas abandonner ce projet de coup d'éclat, assura Abraxas Malefoy. Mais je pensais à un autre évènement, qui a lieu dans quatre jours...

– Vous ne parlez quand même pas de Noël ? bondit Thorfinn Rowle.

– Cette immonde fête moldue, grimaça Dolohov.

Abraxas Malefoy fit lentement pivoter sa tête à droite, puis à gauche, pour montrer son sourire menaçant à l'ensemble de la tablée.

– Je pensais à un Noël bien particulier, dit-il. J'imagine que vous avez tous entendu parler du pensionnat Wimbley ?

À l'évocation du pensionnat, Narcissa tressaillit ; le silence se fit plus dense, et des sourires carnassiers illuminèrent les visages autour d'elle.

– La directrice de cet établissement scandaleux organise une grande fête à l'occasion de la veillée de Noël, annonça Abraxas. Tous les sorciers de bas étage qui sont friands de coopération avec les Moldus seront là, l'humeur sera parfaitement insouciante... La cible parfaite, en somme...

Plusieurs personnes approuvèrent vigoureusement.

– Et qui plus est, je suis certain qu'il y aura une garderie pour notre nouvelle recrue, dit Abraxas en levant son verre en direction de Regulus.

La plaisanterie plut beaucoup ; on rit grassement, on frappa la table du poing, on tapa du pied sur le sol. Regulus s'empourpra, mais Bellatrix lui saisit le poignet et lui fit signe de ne pas réagir.

– Alors, pourquoi ne pas nous joindre à cette charmante petite veillée ?

Tout le monde applaudit – ou presque.

– Je ne suis pas d'accord, dit cependant une autre voix, qui ressemblait à s'y méprendre à celle d'Abraxas.

Tout le monde fut surpris que quelqu'un s'oppose au maître de maison ; et la surprise fut d'autant plus grande qu'il s'agissait de son propre fils.

– Lucius, tais-toi donc, ordonna sèchement Abraxas.

– Le pensionnat Wimbley est, de toute manière, sur le point de fermer, insista Lucius. Une enquête est en cours au Ministère : s'y attaquer serait enfoncer une porte ouverte. Nous y gaspillerions nos forces.

La tablée se renfrogna.

– Ahem... Excusez-moi, dit Yaxley en faisant semblant de lever timidement une main tremblante. Je me suis peut-être trompé de réunion... Je cherchais les Mangemorts, mais j'ai bien peur d'être tombé sur de véritables poules mouillées !

Il acheva sa phrase avec férocité. Tous ceux qui se trouvaient autour de lui éclatèrent de rire. Amycus Carrow, son voisin de table, lui donna une tape dans le dos pour le congratuler.

– Notre but ne doit pas être de répandre inutilement la violence, mais de prendre le pouvoir en économisant nos forces, répliqua Lucius.

Mais malgré son aplomb et cette formule séduisante, ses interlocuteurs rirent de plus belle.

– Voilà une belle phrase de lâche, commenta Bellatrix.

– Bien dit, approuva Rodolphus Lestrange.

– Arrête d'approuver tout ce que je dis, cracha Bellatrix.

– Du calme, mes chers amis, du calme, dit Voldemort en élevant la main.

Aussitôt, tous les rires s'évanouirent.

– Je crois qu'il nous faut consulter une âme innocente pour prendre cette décision, continua Voldemort. Après tout, ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ?

Cette fois-ci, personne ne rit. Voldemort tourna lentement la tête, et posa ses pupilles incandescentes sur Regulus, qui se trouvait juste à côté de lui.

– Regulus, dit Voldemort de sa voix sifflante, aurais-tu l'amabilité de nous donner ton avis sur le débat actuel ?

Regulus eut l'impression d'être figé sur place. Il n'avait rien écouté du tout, trop occupé à éviter de croiser les regards féroces des hommes patibulaires qui l'entouraient, et à serrer les poings pour empêcher ses mains de trembler.

– Je...

Il aurait voulu que quelque chose arrive, que le mur derrière lui explose, que le lustre tombe du plafond, n'importe quoi pourvu que l'attention de la tablée se détache de lui. Mais les secondes passaient, le silence s'épaississait, et Voldemort continuait de le fixer. Plongé dans ses pupilles incandescentes, Regulus avait l'impression que son propre corps prenait feu. Il n'en avait rien montré, mais il avait été choqué par l'apparence de Voldemort : Bellatrix lui avait parlé d'un professeur fascinant, et quelques rumeurs avaient mentionné ses yeux rouges comme de la braise ; il s'attendait donc à rencontrer un homme, peut-être effrayant, mais tout de même un homme ; or cette silhouette au visage reptilien et à la peau luisante comme de la nacre n'avait rien, strictement rien d'humain.

– Regulus, je t'ai posé une question, dit Voldemort.

Bien qu'il fût à un mètre de lui, Regulus avait l'impression que la langue fourchue de Voldemort sifflait à quelques centimètres de ses oreilles. Il sentait même son souffle lui brûler la peau.

Et soudain, alors qu'il s'abandonnait progressivement à la panique, il sentit la main de Bellatrix se poser sur son genou, et cela lui donna la force de se ressaisir.

– Je... Je suis d'accord avec Bellatrix, dit-il, dans un sursaut de lucidité.

Il n'avait aucune idée de ce que cela signifiait. Voldemort continua de le fixer, et Regulus eut l'impression que des filaments de méduse se glissaient dans son esprit. Il essaya de les repousser, mais ils attaquaient de tous côtés, s'insinuaient dans les innombrables failles de son esprit mal exercé.

Il vit se succéder devant ses yeux, comme des images imposées, les visages de ses deux parents qui lui expliquaient comment se tenir devant le Seigneur des Ténèbres, comment s'attirer ses faveurs...

Attention à toi, Regulus, entendit-il très nettement. C'était la voix de Voldemort qui avait parlé. Pourtant, face à Regulus, ses lèvres n'avaient pas remué. Je sens ta réticence... Je sens qu'une part de toi souhaiterait partir loin d'ici...

Puis il vit, en pensée, l'image de la main de Bellatrix sur son genou, il la vit allongée sur son lit, au 12 square Grimmaurd, en train de lui raconter ses exploits, les yeux brillants... Bellatrix est ma plus fidèle associée, et je ne voudrais surtout pas que tu la distraies...

Regulus sentit des grosses gouttes de sueur perler le long de sa colonne vertébrale. Il mourait d'envie de s'enfuir, mais tous ses muscles étaient tétanisés. Elle et tes parents seraient tellement déçus, s'ils savaient à quel point tu manques de courage... Toi qui fais tant d'efforts pour les impressionner, pour leur prouver ta valeur...

D'autres images se succédèrent dans son esprit. Il se vit en train d'attraper le Vif d'Or au-dessus du stade de Quidditch, en train de fabriquer des potions, caché dans les toilettes du troisième étage avec Severus, puis en train de recevoir les congratulations du professeur Slughorn. Il essayait d'interrompre le défilement de ces images, car il savait pertinemment que Voldemort les voyait aussi. Si tu crois que je suis aussi facile à satisfaire que le professeur Slughorn, tu te trompes lourdement, dit la voix de Voldemort à l'intérieur de sa tête. Fais attention, Regulus... Fais attention à toi... Ne t'avise pas de me causer du souci, ou bien tu le regretteras amèrement...

Sur ces mots, Voldemort se détourna et Regulus respira enfin librement. Il regarda furtivement autour de lui, mais personne n'avait rien remarqué de l'échange qui venait d'avoir lieu. Et, faisant effectivement semblant de rien, Voldemort se mit à converser avec les autres membres de la tablée.

– L'idée du pensionnat Wimbley me plaît, déclara Voldemort. Comment est-il protégé ?

– Par un mur de Tentagriffes, Maître, dit Abraxas Malefoy. Une plante redoutable, sans tronc ni feuille, simplement des tentacules couverts d'épines acérées et prêts à déchiqueter quiconque s'en approche, en dehors de ceux qui y ont été autorisés par sa directrice... Et pour la fête de Noël, Eleanor Wimbley y ajoutera sans doute un puissant Sortilège de Protection.

– Très bien... Que proposez-vous pour les franchir, dans ce cas ?

– Je crois que j'ai la solution, Maître, lança Piscus Crabbe avant que quiconque ait pu proposer quoique ce soit d'autre.

Tout le monde se tourna vers lui, sauf ceux qui avaient peur de regarder son globe oculaire entièrement noir et ses quatre rangées de dents.

– Mais je ne peux vous l'exposer devant tout le monde... Il faut que cela reste entre vous et moi, Maître... Vous comprendrez lorsque je vous aurai expliqué.

– Soit, accepta Voldemort. Approche, et explique-moi.

Piscus Crabbe se leva et s'approcha de Voldemort de son pas lourd, en faisant traîner derrière lui son long manteau de cuir doublé de fourrure. Le miroir qui surplombait l'immense cheminée de marbre trembla dans son cadre lorsqu'il passa devant.

Il se pencha vers Voldemort, et lui murmura des mots inintelligibles à l'oreille pendant une bonne minute ; et au fur et à mesure qu'il parlait, le visage de Voldemort s'illuminait d'un éclat malveillant.

– Tu es plus intelligent qu'on ne le croirait, Crabbe, le félicita Voldemort lorsqu'il eut terminé. Très bien, je te confie la réalisation de ce plan si ingénieux.

Il balaya l'assistance du regard ; et Narcissa crut le voir s'attarder sur elle, puis sur Vera Goyle, mais se persuada d'avoir rêvé. Il prononça quelques mots à voix basse, pour lui-même :

– Le pensionnat Wimbley, donc... Oui, cela me semble être une bonne idée... Mais alors, il faut choisir quelqu'un pour... Hmm... Et si... Oui, après tout pourquoi pas, je serai fixé...

Autour de lui, personne n'osait parler, car chacun craignait d'être à son tour la cible de son regard flamboyant.

– Lucius !

Trop occupé à fulminer à propos de la raillerie que lui avait lancée Yaxley quelques minutes plus tôt, Lucius sursauta.

– À toi de nous éclairer de ta divine intelligence, continua Voldemort. Qui devrais-je choisir, à ton avis ?

– Je vous demande pardon, Maître ?

– Eh bien, je vois que notre conversation n'est pas digne de ton intérêt... Nous allons attaquer le pensionnat Wimbley dans quatre jours, déclara Voldemort. Il faut donc que quelqu'un soit désigné pour la noble tâche de tuer la directrice, la fameuse Eleanor Wimbley... À ton avis, Lucius, qui devrais-je choisir ?

Lucius se tourna furtivement vers Narcissa, l'air sincèrement embarrassé.

– Ce n'est pas à Narcissa que je pose la question, rappela Voldemort sur un ton faussement aimable.

– Il se dégonfle, coassa Yaxley.

Lucius se redressa donc, et déglutit avec difficulté. À côté de lui, son père restait soigneusement immobile, afin de ne pas être accusé d'avoir influencé sa décision – mais chacun devinait que, par sa simple présence, il pesait de tout son poids sur le verdict qui allait tomber. Hector et Rascus Crabbe, les deux jumeaux, s'agitaient sur leurs sièges pour attirer l'attention de Voldemort et avoir une chance d'être désignés pour cette mission prestigieuse, dans le cas où Lucius serait écarté.

Lucius prit plusieurs inspirations, puis, une fois qu'il eut rassemblé tout son courage, il se décida à parler.

– Si vous m'accordez cet honneur, Maître, je... Je serais ravi de m'en occuper personnellement, dit-il en essayant de ne pas regarder Narcissa.

Voldemort leva le menton, l'incitant à argumenter sa décision.

– Je connais déjà les lieux, appuya Lucius. Je m'y suis déjà rendu, pour une simple visite d'intimidation. Mrs Wimbley est une puissante sorcière, mais grâce aux précieuses leçons que vous m'avez données, je crois pouvoir l'affronter.

Voldemort le regarda intensément pendant plusieurs secondes, et Regulus devina qu'il le mettait en garde, lui aussi. Lucius tressaillit de façon presque imperceptible, mais soutint son regard.

– C'est parfait, dit finalement Voldemort. Et puisque les Crabbe voulaient tant participer à cette noble tâche, ils se joindront à toi, Lucius, et auront pour mission de te protéger, et de t'aider à atteindre ton but.

Les deux jumeaux échangèrent un regard entendu, et leurs lèvres charnues dessinèrent le même sourire malveillant.

– Puisque tout est convenu, nous nous retrouverons ici, dans quatre jours, quelques heures avant notre exploit... D'ici là, tâchez de prendre des forces, mes amis ! Les heures du pensionnat Wimbley sont comptées...

 

***

 

Les Mangemorts partirent un par un, excités pour certains, angoissés pour d'autres. Bellatrix se proposa pour raccompagner Regulus au 12, square Grimmaurd, car il était pâle comme un linge et ne semblait pas vraiment réceptif aux arguments que Bellatrix avançait pour le rassurer.

Lorsqu'il ne resta plus que les trois autres habitants du manoir autour de la table, Abraxas Malefoy frappa du poing sur la table et se tourna vers son fils pour laisser éclater sa colère :

– Maintenant que nous sommes seuls, mon fils, explique-toi ! Puis-je savoir quelle mouche t'a piqué, pour me contredire ainsi devant tout le monde ?

La peau ridée de son visage était agitée de spasmes, et ses cheveux blancs comme neige frémissaient de fureur. Au cours des longues années passées à subir ses accès de colère, Lucius avait compris qu'il ne servait à rien de répliquer, et garda patiemment le silence. En revanche, Narcissa n'était pas aussi avertie que lui, et s'interposa immédiatement.

– Ses arguments étaient sages ! s'écria-t-elle. Détruire ce pensionnat ne nous mènera à rien ! À rien du tout ! Et maintenant, par votre faute, la vie de Lucius est en danger !

– SILENCE ! hurla Abraxas. Apprends à rester à ta place, femme ! Et cesse de manipuler mon fils comme tu le fais ! Par ta faute, il s'est ridiculisé devant le Seigneur des Ténèbres !

– Je vous interdis de parler à Narcissa de cette manière, protesta Lucius en se levant.

Abraxas Malefoy se leva à son tour, et toisa les deux époux qui lui faisaient face.

– Vous êtes tellement puérils, tous les deux, cracha-t-il. Vous vous prenez pour des rois, mais vous n'êtes que deux gamins pathétiques qui prétendez jouer à la guerre ! Et toi, Lucius, tu es un faible, un lâche, c'est lamentable ! Crois-moi, de toute ma vie, je n'ai jamais eu aussi honte.

Lucius accusa le coup. Narcissa resserra sa prise autour de son bras, mais il ne sembla pas s'en apercevoir. Abraxas leur tourna le dos, et s'éloigna en s'appuyant sur sa canne et en marmonnant des paroles indistinctes.

– Je ne vous décevrai pas, Père, dit Lucius alors qu'Abraxas s'apprêtait à sortir de la pièce. Je le ferai, je vous le promets.

Abraxas s'arrêta sur le seuil de la porte, sans se retourner.

– C'est dans ton intérêt, car si tu échoues, ça n'est pas la peine de revenir ici, déclara-t-il.

Et il disparut dans le couloir.

 

Pendant que Lucius et Narcissa se remettaient difficilement de leurs émotions, Abraxas se rendit directement dans sa bibliothèque, afin d'y trouver un peu de calme. Mais à son grand déplaisir, Prisca l'accueillit par une flopée de remontrances :

– Abraxas ! piailla-t-elle de sa voix haut perchée. Vous voici ! Vera vient de me raconter ce qui vient de se passer... Je suis outrée !

– Taisez-vous, Prisca, murmura Abraxas d'une voix très lasse. Par pitié, taisez-vous.

– Vous allez donc sacrifier votre fils pour cette quête insensée ! Avez-vous perdu la tête ?

– Il me remerciera plus tard, Prisca... Oui, s’il réussit, le Seigneur des Ténèbres fera de lui son favori... Et ce, durablement...

– Et s’il échoue ? Imaginez qu’il soit tué !

– Eh bien, c’est qu’il devait en être ainsi ! s'énerva Abraxas. C’est qu’il n’était pas digne de porter mon nom !

– Abraxas ! Non, vous ne pouvez pas dire ça ! Vous ne pouvez pas penser quelque chose d’aussi horrible ! Vous devez ressentir de l’amour pour lui, au fond de vous !

– Je crois bien que non, soupira Abraxas Malefoy. L’idée est difficile à accepter, mais après toutes ces années, il faut faire face à l’évidence : je n’aime ce garçon d’aucune façon.

– Enfin ! s'emporta Prisca. Mais c’est insensé ! Il s’agit de votre fils unique ! Il est tout ce qu’il vous reste d’Athénaïs !

À ces mots, Abraxas Malefoy se redressa avec une vigueur étonnante, et pointa un doigt menaçant vers le portrait de Prisca :

– Arrêtez d’invoquer Athénaïs comme prétexte pour justifier tous vos reproches ! Ma femme bien-aimée est morte pour mettre au monde ce garçon, qui, quoiqu’il fasse, restera le fruit des pires heures de mon existence ! Et il ne tient rien d’elle, Prisca, rien ! Pas le moindre trait ! Il l’a faite disparaître !

Sa canne frappa le sol avec tant de force qu'une maquette de voilier tomba de l'étagère et se brisa en morceaux sur le sol, sans que Prisca ni Abraxas ne s'en rendent compte.

– Mon dieu, murmura Prisca. Vous êtes en train de le punir pour un crime qu’il n’a pas commis… Abraxas, mon pauvre ami, qu’est-ce que le chagrin a fait de vous ?

– Assez, Prisca, ASSEZ !

D'un geste sec et imprévisible, Abraxas saisit le pommeau de sa canne, et tira fermement dessus pour extraire sa baguette de son étui. Prisca n'eut même pas le temps de protester : il fit un mouvement du poignet et pointa sa baguette sur le portrait.

Abolesco ! cria-t-il.

Et, dans un concert de crépitements, la toile du portrait prit feu, le visage de Prisca fut avalé par l'obscurité, et une cascade de perles et de pierres précieuses tomba du portrait noirci. Presque immédiatement, l'elfe Lidelys ouvrit la porte, inquiète :

– Maître, j'entendais du bruit... Oh ! Maître ! Le portrait de votre ancêtre ! Qu'est-il arrivé ?

– DEHORS ! hurla Abraxas. QU'ON ME LAISSE EN PAIX !

Il fit un geste vers la porte, et elle se ferma d'elle-même avec fracas, manquant d'écraser les doigts de Lidelys.

Abraxas chancela sur ses jambes et dut s'appuyer sur la table pour ne pas tomber. D'une main tremblante, il tira une chaise et s'y laissa choir en gémissant. Il regarda la porte pour s'assurer que personne ne l'avait rouverte, puis tira sur une petite médaille cachée dans son col, la fit rouler entre ses doigts pour mieux observer le visage féminin qui y était gravé.

Un instant, ses traits se crispèrent, comme s'il allait pleurer, et il posa une main sèche et ridée sur ses yeux ; mais il se ressaisit, serra les dents, releva la tête, regarda le trou béant et noirci qui se tenait à la place du portrait de Prisca Malefoy ; et d'un coup sec, il arracha le médaillon et le jeta dans la cheminée.

 

***

 

Les jours qui suivirent se passèrent, évidemment, dans une atmosphère plus que tendue. Abraxas Malefoy ne leur adressa plus la parole ; Lucius était silencieux, concentré, ses pensées dirigées tout entières vers l'échéance à venir et vers la terrible mission qu'on lui avait confiée.

Quant à Narcissa, elle restait prostrée, catastrophée par l'imminence de l'attaque, incapable de réfléchir à un moyen d'empêcher le carnage ou de convaincre Lucius de renoncer. Elle essaya plusieurs fois de le raisonner, mais l'angoisse rendait ses propos incohérents et contradictoires. Et de toute manière, l'orgueil de Lucius avait déjà pris le dessus sur la prudence : il ne supporterait pas d'admettre qu'il avait peur. Par ailleurs, même après leur violente dispute, il restait prêt à tout pour satisfaire les désirs de son père.

Le soir du 24 décembre, les deux jumeaux Crabbe vinrent le chercher devant le manoir. Ils étaient tous les deux encagoulés et tout de noir vêtus, mais reconnaissables à leurs carrures hors du commun, à leurs petits yeux noirs et à leurs lèvres charnues.

– C'est l'heure, Malefoy, dit Hector, le plus féroce des deux.

– Veillez sur lui, les supplia Narcissa. Par pitié, faites qu'il ne lui arrive rien !

– Ne t'en fais pas, on ne le lâchera pas d'une semelle, ricana Rascus Crabbe.

Lucius embrassa Narcissa sans s'attarder, puis revêtit une cagoule noire et prit la tête des Crabbe pour s'enfoncer dans la nuit, sa silhouette élancée encadrée par les deux colosses.

 

Après le départ de Lucius, Narcissa resta un long moment dans le hall d'entrée, assise sur une chaise, anéantie. Elle n'accordait aucune attention aux Mangemorts qui affluaient chez elle et repartaient après avoir discuté de leur stratégie d'attaque. Au bout d'un temps indéfini, elle entendit des pas se rapprocher d'elle et une voix agréablement familière la sortit de sa léthargie :

– Cissy ?

Elle mit quelques secondes à réagir, et lorsqu'elle leva les yeux, elle aperçut le visage souriant de Daisy.

– Daisy ? Tu... Tu es revenue ?

Daisy eut un petit rire.

– Ne me regarde pas comme ça, j'ai l'impression d'être un fantôme ! Oui, je suis revenue... Maman m'a raconté ce qui s'était passé il y a quelques jours. On ne pouvait pas te laisser, Cissy !

Il aurait été difficile pour Narcissa d'exprimer à quel point elle lui était reconnaissante, à ce moment précis.

– Vera est là aussi ?

– Elle est en chemin.

Narcissa hocha la tête, hébétée.

– Lucius est là-bas, dit-elle finalement.

C'était la seule phrase que son esprit parvenait à formuler.

– Oui, nous nous sommes tous embarqués dans une sale affaire, dit Daisy. Mais l'attaque ne peut qu'échouer, le pensionnat est bien trop protégé. Tu verras, ils ne tarderont pas à rentrer, tout penauds... Et dans quelques heures, tout sera derrière nous.

– Et Lucius sera peut-être mort, dit Narcissa d'une voix éteinte.

– Mais non... Il saura se défendre, j'en suis sûre. Allez, viens, allons nous installer près du feu.

Elle se leva, et Daisy la complimenta à propos du sifflet vert qui pendait à son cou.

– Tu as bien fait de porter ton sifflet aujourd'hui... Ça te donnera du courage.

– J'appellerai bien Balaur, pour qu'il carbonise tous ces imbéciles, murmura Narcissa.

– Ne dis pas de bêtises, je te rappelle que nos dragons ont la violence en horreur... Ce serait contre leur nature. Pense plutôt aux promenades aériennes que nous irons faire, peut-être même dès demain, si nous en avons le courage ! Allez, viens !

Daisy l'emmena vers le salon. En ouvrant la porte, Narcissa réalisa que certains Mangemorts n'étaient pas encore partis pour le pensionnat Wimbley. Elle aperçut Abraxas Malefoy et Rodolphus Lestrange penchés sur un papier froissé, l'air très content d'eux-mêmes. Piscus Crabbe était à côté d'eux, mi-satisfait, mi-grognon ; et enfin, Bellatrix leur faisait face, révoltée.

– C'est hors de question qu'elle aille là-bas ! s'insurgea violemment Bellatrix au moment où elles entraient. Allons plutôt trouver ces deux bestioles, et soumettons-les au sortilège de l'Imperium... Ce sera bien plus simple !

– C'était mon idée initiale, râla Piscus Crabbe.

Ses joues étaient rougies par le vent, ses mains récemment éraflées, et son manteau était trempé : il venait manifestement de passer beaucoup de temps à l'extérieur. Mais il semblait surtout fâché d'avoir dû partager cette mystérieuse idée avec Abraxas et Rodolphus Lestrange.

– J'ai sillonné les falaises toute la nuit, dit-il avec amertume. Mais ces deux monstres sont absolument introuvables !

– Même si tu les avais trouvés, leur esprit est extrêmement résistant au sortilège de l'Imperium, ajouta sèchement Abraxas Malefoy. Ils n'obéissent qu'à leur maître, ou leur maîtresse...

Bellatrix se renfrogna, et croisa ses bras sur sa poitrine.

– Quoiqu'il en soit, Rodolphus n'avait pas le droit de fouiller dans ses affaires, grommela-t-elle.

– Je lui en ai donné l'autorisation, répliqua Abraxas Malefoy.

Lorsque Narcissa et Daisy entrèrent dans leur champ de vision, tous les regards se tournèrent vers elles et Narcissa comprit qu'elle était concernée par les dernières phrases qui venaient d'être prononcées.

– Que se passe-t-il ? demanda-t-elle. De quoi parlez-vous ?

Personne ne répondit, mais tous ceux qu'elle détestait avaient le sourire aux lèvres, ce qui n'augurait rien de bon.

– Tiens, mais Daisy est là aussi, se réjouit Piscus Crabbe. C'est encore mieux.

– Et pourquoi donc ? Bella, explique-nous !

Bellatrix prit un air coupable et détourna le regard.

– Qu'est-ce que c'est que ce papier ? demanda Narcissa en désignant le parchemin froissé qui attirait tant l'intérêt des trois hommes.

– Venez voir par vous-même, lui proposa Abraxas Malefoy.

En s'approchant, Narcissa sentit le sang quitter son visage. Elle avait reconnu le sceau en forme de hibou : il s'agissait de l'invitation qu'Eleanor Wimbley avait glissée dans sa poche le jour où elle s'était rendue au pensionnat avec Lucius.

Daisy s'empara du parchemin, et après l'avoir lu en diagonale, elle devint aussi pâle que Narcissa.

– Cissy, dit-elle, sous le choc. Tu ne m'avais rien dit ! Je ne savais même pas que tu avais visité cet endroit !

L'existence de ce parchemin était complètement sortie de l'esprit de Narcissa ; mais à force de fouiller les poches des vestiaires, Rodolphus Lestrange et son frère avaient dû finir par la trouver dans la cape qu'elle avait mise ce jour-là...

– Voilà notre billet d'entrée pour le pensionnat Wimbley, commenta Abraxas Malefoy avec un sourire glacé.

– Je ne comptais pas accepter cette invitation ! protesta Narcissa.

– Et pourtant, tu vas y être obligée, ricana Rodolphus Lestrange.

– Comme quoi, il est parfois utile de pactiser avec l'ennemi, renchérit Abraxas Malefoy.

– Je n'irai pas là-bas ! se révolta Narcissa. C'est absolument hors de question !

– Ah bon ? Tu ne voudrais pas recevoir une autre médaille de courage ? s'esclaffa Rodolphus Lestrange en sortant de sa poche une médaille argentée.

– Rendez-moi ça !

Narcissa essaya de s'emparer de la médaille, puis du parchemin, dans le but de le déchirer en morceaux ; mais Rodolphus Lestrange l'esquiva, et Piscus Crabbe roula soigneusement le parchemin et le glissa dans sa poche.

– Bella, aide-moi ! ordonna Narcissa, furieuse.

Bellatrix secoua la tête, les yeux vissés sur le tapis.

– C'est la seule solution, Cissy, capitula-t-elle. Il faut détruire ce pensionnat.

– Je vous préviens, si vous voulez rentrer en même temps que nous, c'est peine perdue, les Tentagriffes vous déchiquèterons en quelques secondes ! Et qu'est-ce que vous voulez que nous fassions, quand nous serons rentrées dans le pensionnat ? Une fois à l'intérieur, nous ne vous serons plus d'aucune utilité ! Pour ma part, je n'ai quasiment pas pratiqué la magie depuis ma sortie de Poudlard, j'ai très certainement perdu la main...

– Oh, loin de nous l'idée de forcer les Tentagriffes, gloussa Abraxas Malefoy. Et en effet, vos talents magiques vous seront parfaitement inutiles. En réalité, vous n'aurez même pas besoin de vos baguettes.

– La seule chose que vous devrez faire, c'est détruire le Sortilège de Protection qui entoure le pensionnat, cracha Rodolphus Lestrange. Nous nous occuperons du reste.

– Ah oui ? Et peut-on savoir comment nous allons nous y prendre ? D'après La Gazette du Sorcier, le Sortilège a été mis en place par Dumbledore lui-même ! On ne peut rien imaginer de plus puissant !

Narcissa se tourna vers Daisy et s'aperçut que celle-ci était pâle comme un linge. Et pour cause, elle venait de comprendre quel rôle atroce les trois hommes avaient décidé de leur donner...

– La réponse à vos questions se trouve autour de votre cou, Narcissa, l'informa Abraxas Malefoy. C'est ce cher Piscus qui a eu cette idée brillante.

Piscus Crabbe s'avança vers Narcissa. Ses quatre rangées de dents paraissaient encore plus pointues que d'habitude, et son globe oculaire entièrement noir luisait d'un éclat malfaisant. Tétanisée, Narcissa le vit saisir entre ses énormes doigts le sifflet aux reflets verts qu'elle avait suspendu à son cou et l'agiter devant elle.

– Voilà notre arme secrète, exulta-t-il avec un sourire mauvais. Qui oserait affronter des Tentagriffes doublées d'un Champ de Protection surpuissant, à part deux énormes dragons prêts à tout pour retrouver leurs maîtresses adorées ? Allez, en voiture, toutes les deux !

Il abattit ses deux énormes mains sur les épaules de Daisy et de Narcissa, et malgré leurs protestations virulentes, il les entraîna vers l'extérieur.


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