Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 10 : Amato Animo Animato Animagus

5706 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/05/2023 21:33

Amato Animo Animato Animagus



Il faisait nuit.

Dans la forêt, Remus courait à en perdre haleine. À travers les branches des arbres obscurs et menaçants qui se dressaient au-dessus de sa tête, la lune brillait avec une rondeur impitoyable ; ses jambes semblaient peser le triple de leur poids, et une force considérable le tirait vers l'arrière pour l'empêcher d'arriver à temps...

Il courut désespérément jusqu'à apercevoir la forme de sa maison se découper au sommet d'une colline. Il appela le nom de ses parents, mais personne ne répondit. Avec l'impression d'être vêtu de plomb, il se précipita vers la porte d'entrée, tout en priant pour que le pire ne se soit pas encore produit.

La porte s'ouvrit d'elle-même au moment où il tendait la main vers la poignée, et il s'arrêta net, le cœur battant à tout rompre : une créature monstrueuse se tenait sur ce qui restait du paillasson. Elle avait plus ou moins la forme d'un loup, avec une fourrure noire et épaisse, des yeux rouges et cruels, des crocs gigantesques et dégoulinants de sang frais.

Remus comprit aussitôt que ce qu'il craignait le plus était arrivé. Par la fenêtre du salon, il pouvait apercevoir la pièce ravagée, le mobilier accueillant réduit en poussière, mais surtout le sang qui éclaboussait les murs ; et maintenant, le loup monstrueux se dressait devant lui, prêt à le dévorer...

– Remus !

Quelque chose lui agrippa l'épaule ; par réflexe, Remus se dégagea brutalement, avant de réaliser que ça n'était pas une patte griffue mais la main secourable d'un de ses meilleurs amis.

– Tout va bien, Remus, murmura James. C'est nous.

Il mit quelques instants à revenir dans la réalité. Autour de lui, aucune trace d'une forêt menaçante : il se trouvait dans le dortoir des Gryffondor, plongé dans la pénombre à cette heure avancée de la nuit. Sous ses mains, ça n'était pas l'herbe de son jardin mais un drap trempé de sueur ; face à lui, il n'y avait aucune bête monstrueuse, seulement ses trois meilleurs amis assis sur son lit. Ses parents n'avaient pas été dévorés, ils étaient sans doute en train de dormir paisiblement, en sécurité.

– Encore un cauchemar ? demanda Sirius.

Remus hocha la tête, et essuya ses tempes d'un revers de manche avant de se redresser complètement.

– Quelle heure est-il ? C'est moi qui vous ai réveillés ?

Habituellement, seul Sirius avait le sommeil assez léger pour se rendre compte que Remus gémissait pendant ses cauchemars. James ouvrit la bouche pour lui répondre, mais un bruit de tonnerre lui coupa la parole. Simultanément, un éclair de lumière blanche venue du dehors illumina les visages de James, Sirius et Peter, tous les trois à la fois inquiets et surexcités. Et en voyant qu'ils avaient leurs baguettes en main, Remus comprit.

– Il y a de l'orage...

– Oui, chuchota Sirius. Il faut y aller maintenant !

– Et vite, renchérit James.

– Mais... Quelle heure est-il ?

– Trois heures du matin, dit Peter d'une voix craintive.

– Peu importe, ça fait des mois qu'on attend ça ! Il faut aller voir ! Cette fois-ci, nos potions sont devenues rouges, c'est sûr !

– Allez, mettez vos chaussures ! Et vos manteaux aussi, il va bientôt pleuvoir !

– Peter, n'oublie pas le parchemin avec la formule... Juste au cas où.

Encore trempé de sueur, Remus enfila en vitesse son manteau par-dessus son pyjama troué et son unique paire de baskets usées.

– C'est parti, murmura James. Serrez-vous bien contre moi sous la Cape d'Invisibilité. À cette heure, le nouveau concierge doit faire la ronde du côté des Serpentard : la voie devrait être libre, mais il vaut mieux éviter de réveiller les portraits.

Sans un bruit, à la file indienne, ils sortirent tous les quatre du dortoir assoupi, traversèrent la salle commune des Gryffondor et entrouvrirent le portrait de la grosse dame pour sortir dans le couloir.

– Je ne peux pas attendre, trépignait Sirius. Oh, les amis ! Cette fois c'est la bonne, je le sens !

– Chhht !

– Mon cœur bat tellement fort, renchérit Remus.

Ils se réprimandaient mutuellement, mais avaient tous les quatre une irrépressible envie de rire. Serrés les uns contre les autres sous la Cape d'Invisibilité, ils descendirent sur la pointe des pieds les escaliers de marbre, parcoururent quelques corridors déserts et glacés, et arrivèrent enfin à la porte qui donnait sur le domaine de Poudlard. James les arrêta d'un geste ; il sortit de sous la cape, fit quelques pas devant eux, scrutant les murailles et les tourelles de l'immense château.

– Attendez ! Je vérifie... Non, aucune lumière... Tout le monde dort ! On y va !

Dans le jardin, ils se mirent à courir, exaltés et nerveux. Un grand sourire aux lèvres, Remus sentait la présence de James devant lui, de Sirius à sa droite qui riait aussi, et de Peter, quelques mètres derrière eux. L'herbe humide lui fouettait les chevilles ; il ne pleuvait pas encore, mais le tonnerre roulait au-dessus des montagnes de l'autre côté du lac, faisant monter l'excitation d'un cran.

En quelques minutes, ils arrivèrent au pied du Saule Cogneur, où ils ralentirent le pas pour attendre Peter.

– Immobulus, dit James à voix basse.

Les branches de l'arbre se figèrent dans le ciel sans étoiles, et les quatre garçons se faufilèrent jusqu'au trou dissimulé par les racines de l'arbre. Une fois dans le tunnel souterrain, ils allumèrent leurs baguettes et s'encouragèrent mutuellement du regard ; puis ils avancèrent ensemble, leurs baguettes levées pour chasser l'obscurité devant eux.

Lorsque le tunnel remonta vers la surface, Remus sentit une boule d'angoisse familière se former au creux de son ventre. Ils s'extirpèrent du tunnel pour entrer dans une des pièces obscures et poussiéreuses de la Cabane Hurlante, et un vague malaise passa entre eux : la pièce dans laquelle ils se trouvaient était saccagée, les murs striés de griffures à la profondeur inquiétantes, et les fenêtres étroites étaient toutes cassées, sans exception.

C'était ici que Remus se transformait en loup-garou, une fois par mois, lors de la pleine lune. La Cabane Hurlante avait été construite spécialement pour lui, sur les ordres de Dumbledore. Elle n'avait pas de porte, et seulement des fenêtres étroites ; le passage secret qui y menait pouvait être verrouillé à clé ; de cette manière, une fois transformé, Remus y était emmuré et ne pouvait faire de mal à personne – sauf à lui-même. Sous son pyjama, les blessures qu'il s'était infligées la dernière fois qu'il s'était transformé en bête sanguinaire se mirent à picoter.

– Je déteste cet endroit, marmonna Remus en frissonnant.

– Ne restons pas là, décréta James. Sortons.

Avec beaucoup de précautions, ils passèrent à travers une fenêtre étroite et se rassemblèrent dans le jardin sinistre qui entourait la Cabane Hurlante. À l'instant où ils levaient leurs baguettes vers la cachette qui occupait leurs pensées depuis des mois, un énorme éclair zébra le ciel dans un bruit assourdissant.

– Remus, vas-y, dit James. Va voir.

– Vous êtes sûrs ?

– Oui, affirma Sirius.

Un peu tremblant, Remus obtempéra et fit quelques pas vers le fond du jardin, délimité par un petit muret qui était sur le point de s'effondrer. Il sentit à peine les ronces et les orties lui griffer les chevilles, et s'agenouilla dans le recoin sombre qu'il connaissait bien.

– Vous êtes vraiment sûrs que je peux regarder ?

– Oui, vas-y !

– D'après le livre, on peut regarder dès le premier éclair de l'orage, assura James. Il y en a déjà eu plusieurs. Et cette fois-ci, je suis certain que le reste du processus a fonctionné : nous avons bien senti le « second battement de cœur » dont ils parlaient.

Remus hocha la tête et se retourna vers la lourde dalle qui cachait leur fabuleux trésor.

– Bon, eh bien... Allons-y.

Dans son dos, James, Sirius et Peter se tenaient la main avec appréhension. Remus partageait largement les craintes de ses amis : cela faisait maintenant trois ans qu'ils avaient entamé la démarche complexe et exigeante qui devait leur permettre de devenir des Animagi, c'est à dire d'acquérir une seconde enveloppe charnelle – celle d'un animal – et d'en faire usage autant qu'ils le souhaiteraient.

Même s'il n'avait pas pris part à cette aventure, Remus en connaissait chaque étape sur le bout des doigts : conserver une feuille de mandragore dans la bouche pendant un mois entier, la placer dans une fiole exposée au clair de lune, y ajouter un de ses propres cheveux et une cuiller en argent de rosée recueillie dans un lieu qui n'a été ni exposé au soleil, ni foulé par l'homme pendant sept jours entiers... Y incorporer la chrysalide d'un Sphinx Tête-de-Mort, placer le mélange dans un endroit sombre et calme...

Remus ne put s'empêcher de retracer une dernière fois toutes les étapes qui avaient mené jusqu'à celle-ci, afin d'être certain que chacune d'entre elles avaient été réalisées avec rigueur. Car la moindre anicroche pouvait se solder par de terribles mutations, comme l'avait montré l'exemple de Piscus Crabbe, avec son globe oculaire entièrement noir et ses quatre rangées de dents.

– Alors ?

– Dis-nous !

Derrière lui, ses amis s'impatientaient sérieusement : après une ultime vérification mentale, il se décida donc à soulever la lourde dalle de pierre qui abritait de la lumière du jour et du bruit environnant les trois fioles qu'ils avaient dissimulé là plusieurs semaines auparavant. Si vous avez respecté scrupuleusement les étapes ci-dessus, vous y trouverez une potion rouge sang...

Durant un court instant, Remus ne vit rien dans la cavité obscure, et fut saisi de peur. Et si quelqu'un les avait dérobées ? Et si un petit animal les avait trouvées, et emportées loin d'ici ?

Mais aussitôt, un nouvel éclair zébra le ciel et éclaira le fond de la cavité pierreuse, faisant étinceler les trois petites fioles de cristal et révélèrent ainsi la couleur de leur contenu...

– C'est... je dirais que c'est...

– Bon sang, Remus ! s'impatienta Sirius.

– ...à peu près de la même couleur que James quand il croise Lily dans le couloir, sourit Remus en leur montrant les trois fioles, désormais remplies d'un liquide rouge sang.

L'incompréhension, la stupeur et enfin une joie inexprimable se succédèrent sur leurs visages. Sirius hurla de fierté, James se jeta dans ses bras, et tous deux happèrent Peter et Remus dans leur étreinte, au risque de faire tomber les trois précieuses fioles.

– Rouge ! C'est rouge ! On a réussi !

– Pas si vite, pas si vite, tempéra Remus. Maintenant... il faut essayer.

– Ici ?

– Oui, c'est mieux. Le livre disait que la première fois, il valait mieux être dans un endroit clôturé. Au cas où l'instinct animal prend le dessus.

Ils contemplèrent les trois fioles et leur contenu rouge sang avec un sourire extasié. Cette couleur tant désirée était le fruit de trois années de travail acharné, de quatre tentatives avortées respectivement par le manque de rigueur de Peter, par un clair de lune trop nuageux, par une ingestion de la feuille de mandragore lors d'un fou rire trop prolongé et par une rupture des chrysalides lors de l'incorporation à la potion.

– C'est rouge, répéta Peter, n'osant y croire.

Ils examinèrent les initiales gravées sur chaque fiole et s'emparèrent de celle qui leur appartenait. Sirius la serrait contre son cœur, tandis que Peter la tenait un peu éloignée de lui, les jambes flageolantes.

– Euh... Qui commence ? demanda-t-il d'une voix hésitante.

– Je dirais que l'honneur revient à James. C'est lui qui a eu l'idée des Animagi.

La proposition satisfit tout le monde, et James s'avança dans son pyjama rayé, sa fiole de cristal en main, pour se placer à l'endroit du terrain qui était le moins accidenté.

– C'est le moment de vérité, claironna-t-il.

Contrairement à Remus, il ne prit pas la peine de repenser à toutes les étapes qui l'avaient mené jusqu'ici. Il se contenta d'ouvrir la fiole, de la porter à ses lèvres et de la boire d'un trait, sans aucune hésitation. Face à lui, ses trois amis se serraient les uns contre les autres, prêts à lui venir en aide si nécessaire.

– Ta baguette, vite ! couina Peter.

James lui adressa un sourire serein, puis pointa solennellement sa baguette sur sa poitrine et déclama la formule fatidique :

– Amato Animo Animato Animagus, dit-il d'une voix claire.

Comme si James avait invoqué le tonnerre, une lumière blanche et crue inonda leurs visages fébriles et la déflagration leur vrilla aussitôt les tympans. Une bourrasque violente fit grincer les volets cassés de la Cabane Hurlante et fit frissonner les quatre garçons dans leurs pyjamas ; l'instant d'après, de grosses gouttes de pluie se mirent à tomber du ciel, crépitant sur leurs cuirs chevelus, sur les tuiles qui recouvraient le toit de la Cabane et sur les gravats qui se trouvaient autour d'eux.

Face à eux, le sourire fanfaron de James s'évanouit. Soudain très pâle, il lâcha sa baguette et crispa ses deux mains sur sa poitrine.

– James ! s'écria Sirius en se précipitant à son secours.

James leva le bras vers lui pour le tenir à distance, incapable de parler.

– Ne le touche pas, ordonna Remus en retenant Sirius. Tant qu'il ne se met pas en danger, ne le touche pas !

James opina du chef, ferma les yeux et tomba à genoux sur la pierre en se tordant de douleur.

– Tout est normal, affirma Remus à voix basse pour rassurer Sirius et Peter. Souvenez-vous des instructions : la première transformation est généralement douloureuse et effrayante...

Et en effet, ce qui se passait sous leurs yeux était passablement terrifiant. Pendant que James continuait de gémir, ses quatre doigts fusionnèrent entre eux et prirent une teinte obscure, tandis que son pouce rapetissait le long de son bras ; les pans de son manteau fusionnèrent avec son pyjama, puis avec sa peau, qui se couvrit progressivement d'un pelage brun-roux. Mais surtout, et c'était ce qui horrifiait le plus ses trois amis, son visage se déformait de façon inquiétante : ses beaux yeux noisette grossissaient à vue d'œil, ses lunettes se plaquaient sur son visage et y disparaissaient comme par magie, ses traits séduisants s'allongeaient et se couvraient de poils, ses narines s'élargissaient, son cou se tordait dangereusement vers l'arrière...

– Quelque chose pousse sur sa tête, gémit Peter en regardant entre ses doigts.

– Des cornes, dit Sirius. C'est peut-être un taureau, ou un bélier... Ouille, ça doit lui faire tellement mal...

– Non, ce ne sont pas des cornes... Regardez...

Devant eux, James se redressa complètement et cligna des yeux. Mais ça n'était plus vraiment James – ou en tout cas, ça n'était pas l'apparence qu'ils lui avaient toujours connue.

– Garde ton calme, James, murmura Remus. Tu as réussi.

– Ouah, souffla Sirius. C'est magnifique.

James avait désormais quatre pattes, un magnifique plastron brun-roux, deux gros yeux noisette situés de part et d'autre de sa tête, des naseaux tachetés de blanc ; mais surtout – surtout – il était couronné par deux bois de taille respectable, gracieusement courbés et élégamment ramifiés, qui se découpaient nettement dans le ciel orageux et lui conféraient un panache éclatant.

James fit quelques pas vers ses amis, un peu maladroitement ; il pencha la tête d'un côté, puis de l'autre afin de voir ce qui pesait si lourd ; puis il se redressa fièrement, ouvrit la bouche et poussa une espèce de grognement rauque et sonore qui retentit avec force dans la forêt environnante et fit sursauter Sirius, Remus et Peter.

Une fois remis de leur frayeur, ils s'approchèrent de James et caressèrent sa fourrure avec des sourires béats, incrédules devant la preuve palpitante de leur réussite. Enfin, après plusieurs minutes, James regarda autour de lui, se replia légèrement sur lui-même, et après un effort manifeste, il retrouva son apparence humaine par le procédé inverse, qui fut un peu plus long que le premier. Lorsque ses bois eurent entièrement disparu, il se trouvait à quatre pattes ; ses lunettes nouvellement apparues chutèrent sur le sol, puis lui-même toussa faiblement et s'écroula sur le côté.

– James !

Sirius, Remus et Peter s'agenouillèrent auprès de lui. Il était conscient, mais il tremblait terriblement ; sa peau était brûlante et il respirait avec difficulté, comme s'il avait du mal à se réhabituer au corps qu'il avait toujours connu. Sirius le redressa doucement et Remus l'aida à soutenir sa tête, qui dodelinait dangereusement.

– Un cerf, haleta James, trempé de sueur et de pluie. Je suis un cerf.

– Le roi de la forêt, renchérit Sirius. Tiens, prends ça.

D'une main tremblante, James remit les lunettes que lui tendait Sirius. Tout en reprenant sa respiration, il observa tour à tour ses trois amis, leurs pyjamas imbibés de pluie, leurs cheveux qui gouttaient sur leurs joues et leurs regards inquiets.

– Ne prenez pas cet air si pitoyable, protesta-t-il derrière ses lunettes couvertes de buée. J'ai réussi, oui ou non ?

Il éclata d'un rire victorieux, et Remus et Sirius l'imitèrent aussitôt, laissant éclater leur joie et leur soulagement. À l'inverse, Peter avait bien du mal à se remettre de ses émotions.

– Tu... Tu as eu mal ? demanda-t-il craintivement.

– Horriblement, confirma James avec un grand sourire. J'avais l'impression que mon cœur allait exploser, que ma peau était en train se déchirer... Que mon crâne était en train de se fendre sur les côtés...

– Oh, là, là, gémit Peter, dont le teint avait pris une teinte cireuse.

– Tu nous as fait peur, avoua Remus. J'ai vraiment cru que tu tombais dans les pommes.

– Vous me sous-estimez, claironna James. J'étais juste un peu étourdi, voilà tout.

– Oui, bien sûr, ironisa Sirius. C'est exactement ça.

James rit de nouveau et lui donna une tape sur l'épaule.

– Allez, debout ! C'est ton tour, maintenant !

Sirius frissonna d'excitation et se leva d'un bond, sans même penser à proposer à Peter de prendre la deuxième place.

– Vous allez voir, dit Sirius en brandissant sa fiole. Je suis sûr que je serai un lion !

Remus sourit, attendri. Depuis leur première année, il n'y avait rien que Sirius désirait davantage que de prouver son appartenance véritable à la maison Gryffondor.

Sirius se campa donc devant eux sous la pluie battante, la poitrine gonflée d'espoir et d'impatience. Dans sa main, la petite fiole de cristal gravée de ses initiales S.B. semblait battre à l'unisson avec son cœur ; ses jambes flageolaient légèrement, même s'il essayait de ne rien laisser paraître. Il échangea un sourire de défi avec James, accueillit le regard encourageant de Remus et se sentit enhardi par l'appréhension que manifestait Peter.

Il ouvrit la fiole et la but sans hésitation. Et tout comme James, il pointa sa baguette sur sa poitrine et prononça d'une voix claire la formule :

– Amato Animo Animato Animagus !

La réaction fut immédiate. Sirius comprit pourquoi James avait été incapable de parler dès les premières secondes de sa transformation : une vive douleur dans la poitrine lui coupa le souffle, se propagea dans tout son corps et le fit tomber à genoux. Son cœur se mit à battre à une vitesse et une intensité jamais atteintes, à tel point que Sirius eut l'impression qu'il s'agissait d'un animal galopant vers lui à toute allure...

Et en effet, en dehors de ses trois amis, il commença à percevoir une autre présence à ses côtés, à la fois inconnue et profondément familière... Oui, quelque chose approchait, mais ça n'était pas derrière lui, ni devant lui, mais plutôt en lui ; une ombre, d'abord indistincte, émergea douloureusement de ses pensées ; puis elle se précisa, le laissant voir deux pattes, puis quatre, des oreilles, une épaisse toison noire...

Un loup ? Sirius en aurait été ravi, cela l'aurait rapproché de Remus ; mais ça n'était pas un loup, il le sentait...

Ailleurs, James l'appelait, mais Sirius se sentait éloigné de tout. La douleur faisait siffler ses oreilles, et l'animal – un chien, c'était un chien – enflait en lui, lui écartelait les côtes, lui écrasait les doigts, lui transperçait la peau...

Au moment où la souffrance physique fut telle que Sirius fut tenté d'interrompre le processus, tout s'arrêta. La douleur lancinante qui lui parcourait le corps s'atténua peu à peu ; Sirius cligna des paupières pour chasser les larmes qui lui brûlaient les yeux, et regarda autour de lui.

Il était assis sur son arrière-train, face à Remus, James et Peter qui le regardaient béatement. Il voulut les interpeller, mais seul un jappement enthousiaste s'échappa de sa bouche – de sa gueule, désormais. Ses deux pattes avant étaient couvertes d'un beau pelage lustré, aussi soigné que sa crinière de cheveux bouclés. Une nouvelle bourrasque le fit frissonner et Sirius se rendit compte qu'il était trempé jusqu'aux os. Avant même qu'il ait pu analyser cette information, il s'était redressé sur ses pattes arrière et s'ébrouait vigoureusement pour chasser les litres d'eau de pluie infiltrés dans son beau pelage noir.

– Il se prend vraiment pour un chien ! s'extasia James.

– Sirius, non ! protesta Remus. Tu nous arroses !

En entendant les voix et les rires de ses amis, Sirius se sentit soudain envahi pour une tendresse immense et irrépressible, qui ne lui laissait pas d'autre choix que de leur manifester. C'est donc avec une euphorie incontrôlable qu'il se mit à courir et à sauter autour d'eux, sa queue fouettant l'air derrière lui, ses aboiements sonores retentissant dans la nuit.

– On va nous entendre, gémit Peter en regardant vers le château.

– On s'en fiche, le rabroua James, aux anges.

– Il est déjà agile, commenta Remus en tournant vivement la tête pour le suivre du regard.

Sirius se jeta sur eux, en proie à de toutes nouvelles pulsions, absolument incapable de maîtriser son enthousiasme à l'idée de se frotter contre eux, de se rouler sur leurs jambes, de leur lécher le visage... Il se sentait absolument ravi, émerveillé par leur simple présence, baigné dans une gratitude incroyable à l'idée de se trouver à leurs côtés. Il y avait James, avec qui il entretenait une amitié fusionnelle et inaltérable... Remus, dont le courage n'avait d'égal que la gentillesse... Et puis Peter, dont la maladresse et la naïveté avaient tout de même quelque chose de touchant... Quelle joie, quel bonheur ! Les avoir ainsi, tous les trois auprès de lui !

Pendant plus d'un quart d'heure, il se laissa aller à cet élan subit provoqué par son nouvel instinct animal ; puis sans pouvoir s'en empêcher, il se mit à courir autour de la Cabane Hurlante et à se rouler dans les herbes hautes qui se trouvaient autour, enhardi par les rires de ses amis.

– Il est temps de te retransformer, Sirius, tempéra Remus au bout d'un moment. Peter attend son tour.

N'ayant, à cet instant, aucun désir plus cher que de faire plaisir à Remus, Sirius obtempéra docilement. La douleur fut tout aussi intense, et l'effort encore plus important ; mais après quelques minutes, il parvint à retrouver sa forme humaine.

– Oh ! Oh ! haleta Sirius en riant. Un chien !

Allongé au milieu d'un bosquet, épuisé et pantelant, il fut pris d'une terrible quinte de toux, rapidement transformée en éclats de rire.

– Oh, les amis... C'était incroyable ! En vous regardant, j'ai eu comme... un élan d'affection pour vous...

– Oui, j'ai l'habitude de provoquer ce genre de réaction, dit James, hilare.

– J'avais tellement envie de vous renifler ! De jouer avec vous, de me frotter contre vous ! C'était énorme !

– Sirius... Tu ferais mieux de sortir des orties, fit gentiment remarquer Remus.

C'est seulement à ce moment-là que Sirius prit conscience des brûlures qu'il avait sur les mains et des feuilles d'orties qui s'étaient glissées sous son pyjama. Il poussa un juron, et tenta de s'extirper tant bien que mal du bosquet dans lequel il se trouvait ; mais ses jambes étant trop faibles pour le porter, il dut se contenter de se faire traîner par Remus en s'égratignant les genoux et en déchirant son pantalon.

– Je ne peux pas me lever, soupira Sirius en s'écroulant sur James. Je suis trop faible.

– Viens là, mon gros toutou, rit James en le prenant dans ses bras.

Tous les deux avachis par terre, ils se tournèrent vers Peter, qui essayait tant bien que mal de camoufler la peur panique qui le submergeait.

– C'est ton tour, chantonna James avec un sourire démoniaque.

– J'ai hâte de voir quel animal tu seras, renchérit Sirius. Je te verrais bien en petit cochon...

– Arrêtez un peu, coupa Remus. Viens, Peter, je vais rester à côté de toi.

Le processus fut bien plus laborieux que pour James et Sirius. Malgré les encouragements de Remus et la retenue dont Sirius et James firent preuve, Peter ne parvenait pas à se résoudre à boire la potion. Il fallut plus d'un quart d'heure et toute la réassurance dont ils étaient capables pour le convaincre ; ensuite, ils durent s'y reprendre à trois fois pour qu'il accepte de prononcer la formule à l'unisson avec eux.

Et quand, enfin, les quatre mots furent sortis de sa bouche, Peter se mit à couiner de façon affreusement ridicule et se mit à rapetisser à toute vitesse.

– Attention !

– Il a disparu !

– Remus, tu le vois ?

– Attendez... Non, je...

Remus avança avec inquiétude sa baguette devant lui et sursauta. Aussitôt, quelque chose tressaillit dans l'herbe et un nouveau couinement se fit entendre, plus faible et beaucoup plus aigu...

– Là ! C'est lui !

Juste derrière un caillou, un petit mammifère aux longues moustaches les regardait en tremblant de peur et en couinant de façon pitoyable. Sous son pelage grisâtre, on pouvait voir qu'il respirait à toute vitesse, manifestement effrayé.

– Un rat, s'esclaffa James. C'est un rat !

– Arrête ! Tu vas lui faire peur !

– Regardez sa queue ! On dirait un gros lombric !

S'ensuivit un long moment de panique : Peter disparut dans les hautes herbes et il fut impossible de le retrouver car il s'enfuyait dès qu'il les voyait approcher. Après plusieurs rondes autour de la Cabane Hurlante, ils se décidèrent à donner des instructions à voix haute, et ils retrouvèrent Peter sous sa forme humaine, roulé en boule et tremblant de peur dans le coin obscur où ils avaient dissimulé les fioles.

– Quelle poule mouillée, lâcha Sirius avec mépris.

– Hé, Peter !

Peter continuait de les regarder avec crainte, et faisait des mouvements saccadés en fronçant le nez, comme le petit rongeur qu'il était quelques instants plus tôt.

– Tu n'es plus un rat, idiot, se moqua James. Tu peux nous parler normalement.

– J'ai cru qu'on ne te retrouverait jamais, dit Remus, soulagé. Alors, comment c'était ?

Peter mit quelques instants à retrouver l'usage de la parole, et Sirius ne manqua pas de manifester son impatience à plusieurs reprises.

– Il... Il y avait... Un poids énorme qui m'écrasait de tous les côtés, dit Peter, la voix tremblante d'émotion. Quand ma queue s'est mise à pousser, j'ai cru que j'allais m'évanouir de douleur... Et après... Vous étiez tous les trois gigantesques ! J'avais peur que vous m'écrasiez !

– C'est justement ce que j'essayais de faire...

– Sirius !

– En tout cas, tu as réussi, coupa James. Bienvenue au club des Animagi, Peter.

C'était exactement ce qu'il fallait dire pour que leur ami ait la volonté de retrouver une certaine contenance. Il se redressa tant bien que mal entre Sirius et James et bomba discrètement le torse : il avait surmonté l'épreuve avec succès. Il était devenu un Animagus. Il était désormais l'égal des deux garçons les plus drôles, les plus séduisants et les plus populaires de l'école.

– Il faudra revenir ici souvent pour s'entraîner, dit Sirius. Comme ça, on sera prêts pour la prochaine nuit de pleine lune.

Leurs quatre regards se tournèrent vers la Cabane Hurlante et leurs pensées convergèrent vers ce qui avait motivé leur démarche : avoir la possibilité de rester aux côtés de Remus pendant les nuits d'épouvante où il subissait sa terrible transformation. Car, en théorie, les loups-garous se s'en prenaient qu'aux êtres humains...

Remus avait à la fois espéré et redouté ce moment. Bien sûr, avoir la compagnie de ses trois amis pour attendre le lever de lune était préférable à l'attente angoissée et solitaire qu'il subissait chaque mois dans ce sinistre taudis. Mais ensuite...

– Remus, ça va ?

Il haussa les épaules, la gorge serrée.

– Tu ne seras plus seul, maintenant, dit doucement Sirius. On sera là.

Remus secoua la tête.

– Vous ne savez pas ce que c'est, murmura-t-il. Ça n'a rien à voir avec ce que vous venez de faire. Je... Je ne serai plus moi-même, vous comprenez ? Je serai un monstre ! Vous allez être horrifiés, dégoûtés !

Face à lui, James et Sirius s'étaient départis de leurs airs fanfarons. Quant à Peter, comme d'habitude, il faisait de son mieux pour les imiter.

– Pour l'instant, en dehors de Severus Rogue, mes parents sont les seules personnes qui m'ont vu me transformer, poursuivit Remus. Et je les terrifie. Je vois très bien comment ils me regardent, les lendemains de pleine lune, et... S'il y a une seule chose que je craigne, c'est que vous me regardiez de la même manière.

– Ça ne sera pas le cas, assura Sirius.

– Comment peux-tu en être sûr ?

– Il faut nous faire confiance. Nous savons que ce n'est pas toi, Remus.

– Et si je vous fais du mal ? Si je vous griffe, si je vous mords ? Je ne me le pardonnerais jamais.

– Ça n'arrivera pas, dit James. Les loups-garous n'attaquent que les humains, souviens-toi.

– Vous en êtes absolument sûrs ? Je ne ferais qu'une bouchée de Peter.

– Peter restera sur mon dos, promit James. Il n'y aura aucun danger.

Sirius s'avança et posa une main sur l'épaule de Remus.

– On sera là, répéta-t-il. On a toujours été là.

– Ça va aller, tu verras, renchérit James.

Peter, lui, se contenta de faire un geste maladroit pour lui toucher le bras.

– C'est tellement injuste, murmura Remus. Je voudrais tant être libre comme vous. Ce Greyback... Je voudrais le tuer.

En prononçant ce nom, Remus tressaillit. Il n'avait pas encore cinq ans quand le redoutable loup-garou s'était introduit dans sa chambre pour se venger de l'offense que son père lui avait faite. Le souvenir du bruit que Fenrir Greyback avait fait en défonçant sa fenêtre et de sa silhouette massive qui se dressait au-dessus de son lit lui donnait encore de terribles frissons.

– Et nous donc, rit James. Attends un peu que nous soyons des Aurors aguerris, et nous irons lui régler son compte illico.

Cette perspective arracha un faible sourire à Remus.

– N'en parlons plus, soupira-t-il. Désolé d'avoir gâché ce moment.

Sirius eut un petit rire.

– Tu ne gâches rien du tout, voyons. Je t'assure, c'est vraiment l'endroit idéal pour avoir ce genre de conversation déprimante.

– Tout à fait, rit James. Avec un peu de chance, grâce à toi, nous allons tous attraper une pneumonie qui nous permettra de louper nos retenues de la semaine prochaine...

– ...et de nous faire bichonner par Mrs Pomfresh à la place, compléta Sirius.

Remus regarda autour de lui. Ils étaient tous les quatre frigorifiés et trempés jusqu'aux os. Les cheveux bouclés de Sirius dégoulinaient de pluie, James grelottait dans son pyjama trempé, les chaussures de Peter faisaient un bruit grotesque quand il se déplaçait et leurs lèvres avaient pris une teinte bleutée. Et pourtant, personne ne songeait à se plaindre.

– Merci, les amis, dit Remus.

– Oooh, fit Sirius en se rapprochant de lui.

– Arrête ça tout de suite ou je vais me mettre à pleurer, dit James en les prenant tous les trois dans ses bras.

Après plusieurs minutes d'embrassades maladroites, ils regagnèrent la Cabane Hurlante et son tunnel souterrain. Dans la pente qui montait vers le château, ils glissèrent plusieurs fois dans les rigoles de boue formées par l'orage ; ils étaient donc dans un état absolument pitoyable lorsqu'ils furent de retour dans le dortoir et durent réprimer un fou rire en comparant l'état catastrophique de leurs pyjamas.

Frigorifiés, ils se frictionnèrent avec des serviettes chaudes et sèches, revêtirent des pyjamas propres puis s'affalèrent tous les quatre dans le lit de Remus, désireux de prolonger ce précieux moment de complicité jusqu'au lever du jour.


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