Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 7 : Le fils prodige

10291 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/04/2023 16:25

Le fils prodige



À des kilomètres de là, au Ministère, la fête battait son plein : l'inauguration du nouveau Département des Accidents et Catastrophes Magiques avait attiré de nombreux sorciers, désireux d'oublier les évènements tragiques qui agitaient le monde extérieur.

Les locaux du Département venaient d'être refaits à neuf, en grande partie financés par la fortune des Malefoy. Lucius déambulait donc avec aisance dans les couloirs d'une propreté impeccable, tout en examinant avec attention la qualité des travaux effectués.

Le parquet sombre et rutilant était parfaitement ciré, et sur les murs carrelés de vert émeraude, aucun défaut n'était visible. Les locaux étaient situés au troisième étage du Ministère de la Magie, c'est-à-dire à plusieurs centaines de mètres sous terre ; mais ils étaient pourtant pourvus de fenêtres, qui montraient un paysage modifiable au gré des envies des employés. À intervalles réguliers, le symbole du Département était plaqué sur le mur ou au-dessus des portes : deux anneaux ovales imbriqués, au centre duquel brillait une étoile à sept branches flanquée des initiales D. A. C. M.

La salle centrale était immense, hexagonale, occupée en son centre par une grande table de la même forme. Une carte du Royaume-Uni aux inscriptions anciennes et à la couleur parcheminée était imprimée sur toute la surface de la table. Sur une estrade, une jeune femme vêtue de rouge en expliquait le fonctionnement à une foule de spectateurs impressionnés.

– Dès qu'un incident magique se produit, une alarme se déclenche dans cette pièce, disait-elle avec fierté. La carte indiquera aussitôt le lieu, le mécanisme, mais aussi le coupable éventuel de l'incident. Cela permet à la Brigade de réparation d'agir au plus vite...

Le regard de la jeune femme balaya son assistance du regard et croisa celui de Lucius ; aussitôt, ils échangèrent un sourire entendu. Tous les deux se connaissaient bien : deux années auparavant, Marla avait été renvoyée par le patron du Chaudron Baveur, qui trouvait qu'elle consacrait trop de temps à faire des tours de passe-passe pour impressionner ses clients. Par pure coïncidence, Lucius se rendait ce jour-là au Chaudron Baveur pour offrir quelques gallions à un de ses informateurs, en l'échange de révélations précieuses à propos des affaires qui agitaient le monde magique.

Il avait d'abord été impressionné par l'habileté magique de la jeune femme et par ses capacités à embobiner tous ceux qui l'observaient ; mais surtout, il avait reconnu chez elle l'absence totale de scrupules qui caractérisait tous ses potentiels associés. Il avait donc décidé de lui proposer son aide, ce qu'elle avait volontiers accepté. Lucius l'avait recommandé à quelques relations, et de fil en aiguille, la jeune femme s'était vue confier des postes de plus en plus avantageux d'Ingénieur Magique, jusqu'à être celle qui concevrait la pièce maîtresse du nouveau Département des Accidents et Catastrophes Magiques.

La jeune femme qui présentait sa nouvelle création était bien différente de celle qui qui amusait les clients en transformant les choppes de Bièraubeurre en clarinettes, renfrognée derrière son comptoir crasseux... Debout sur son estrade, adulée par une armée de regards admiratifs, elle rayonnait, éblouissante dans une longue robe de satin rouge ; et tout cela, c'était grâce à Lucius...

Après avoir terminé son discours, Marla serra de nombreuses poignées de main et reçut de nombreux bouquets de fleurs, tout en se frayant un chemin vers Lucius, tout sourire.

– Toutes mes félicitations, commenta Lucius en désignant les innombrables bouquets que Marla avait reçus. Votre carrière vient de décoller de façon spectaculaire.

– C'est sûr, ricana Marla, dont le passé vulgaire refaisait surface de temps à autre. J'aurais aimé que ce gros lourdaud de Glimpse soit là pour voir ça...

Lucius sourit en pensant à la manière dont le patron du Chaudron Baveur avait renvoyé Marla. Ce fameux Glimpse devait s'en mordre les doigts, désormais...

– Il entendra parler de vous, je n'en doute pas, dit Lucius en désignant Rita Skeeter qui se promenait dans un coin de la salle, sa Plume à Papote s'agitant frénétiquement au-dessus du calepin qui flottait dans les airs à côté d'elle.

Marla lui fit un clin d'œil appuyé.

– Tout ça, c'est grâce à vous, Mr Malefoy, dit-elle en saisissant deux coupes de champagne sur un plateau d'argent qui passait à côté d'eux.

– Je suis certain que vous saurez me remercier, dit Lucius en prenant la coupe que lui tendait Marla.

– C'est déjà le cas, dit-elle en caressant amoureusement les contours de la carte. J'y ai apporté quelques modifications de mon cru... Si, un jour ou l'autre, vous ou l'un de vos amis provoque un accident magique, la carte mettra un peu plus de temps à réagir que d'habitude... Et les coupables ne seront pas identifiés, bien évidemment.

Lucius haussa les sourcils, admiratif. Leurs coupes de champagne s'entrechoquèrent avec un tintement cristallin, et ils échangèrent un sourire satisfait. Marla but sa coupe d'un trait, avec un air de défi, et Lucius fit de même. Ils discutèrent quelques instants, puis Lucius se souvint qu'il avait d'autres interlocuteurs à solliciter, à féliciter et à menacer.

– Je vous laisse à vos admirateurs, dit-il pour mettre fin à leur conversation, en désignant un grand nombre de personnes qui attendaient leur tour pour parler à Marla.

– Dommage, commenta Marla en haussant les épaules et en s'éloignant d'une démarche chaloupée.

Lucius la regarda s'éloigner avec un sourire amusé, puis embrassa du regard le reste de la salle hexagonale. Tout autour de la table centrale, d'autres bureaux s'alignaient ; ils étaient destinés au travail, mais pour l'heure, ils étaient recouverts de grandes nappes couleur prune et de nombreux plats somptueux s'y alignaient.

Le Département des Accidents et Catastrophes Magiques, comme son nom l'indiquait, avait pour rôle de résoudre tous les problèmes qui découlaient d'un incident causé par la magie. L'immense panneau qui recouvrait tout un mur de la pièce hexagonale expliquait très bien la procédure à suivre. Ledit panneau se divisait en trois parties, qui correspondaient aux trois étapes du plan officiel : Secourir, Effacer, Apaiser.

La première était le travail de la Brigade de réparation des accidents de sorcellerie ; les Forces des tâches invisibles et le quartier général des Oubliators se chargeaient de la deuxième, qui consistait non seulement à réparer les dégâts mais également à modifier les mémoires des témoins moldus, afin que l'existence du monde magique reste bien secrète ; et enfin, le Comité des inventions d'excuses à l'usage des Moldus se préoccupait d'inventer toutes sortes d'excuses non-magiques pour expliquer les phénomènes étranges qui avaient eu lieu.

Voldemort ne leur facilitait pas la tâche, car chacune de ses victimes était agressée d'une manière différente, et le Comité des inventions d'excuses peinait à égaler l'inventivité du mage noir et de ses sbires quand il s'agissait d'expliquer aux moldus comment les chaussures d'un groupe de victimes avaient pris feu en pleine rue, sans aucun élément déclencheur apparent, ou comment les visages d'autres jeunes moldus s'étaient retrouvés couverts d'écailles.

Tout en serrant les mains et en prenant des nouvelles de ceux qui méritaient son attention, Lucius s'approcha de l'immense panneau qui regroupait toutes les situations envisageables et comment y remédier.

Dans la partie de gauche, celle qui concernait la première phase – Secourir – Lucius examina une affiche qui titrait : Que faire en cas d'incendie d'origine magique ? Les différentes étapes étaient ensuite détaillées avec précision et soigneusement illustrées, allant de Déterminer l'origine de l'incendie (dragon, Feudeymon ou explosion accidentelle) à Évacuer les différentes victimes, que celles-ci soient des sorciers ou des Moldus.

En lisant cette étape, Lucius fronça les sourcils, contrarié : c'était précisément ce qu'il espérait ne pas lire.

– Ah, Mr Malefoy, vous voilà, dit une voix féminine en l'interrompant dans sa lecture.

Elza Toothil était une femme de taille moyenne, à la peau mate et aux grands yeux noirs, dont le menton toujours levé et les gestes énergiques en disaient long sur l'autorité et sur l'ambition qui l'animaient.

– Mrs Toothil, la salua Lucius en s'inclinant. Je vois que vous venez inspecter le résultat ?

– Oui, le déménagement commence demain, confirma la directrice du Département des Accidents et Catastrophes Magiques. Je voulais à nouveau vous remercier pour votre don...

Lucius sourit intérieurement. Ceux qui le craignaient prenaient toujours soin de le flatter lorsqu'ils avaient quelque chose à se faire pardonner. Quand un échange commençait ainsi, Lucius savait que son interlocuteur était à sa merci.

– Je ne l'ai pas fait par charité, vous le savez bien, répondit-il avec froideur.

Eugenia Jenkins avait été extrêmement réticente à accepter la donation de la famille Malefoy, mais lorsque le plafond de l'ancien Département avait commencé à tomber en poussière et que les Oubliators et les Excusateurs s'étaient mis en grève, Jenkins n'avait pas eu d'autre choix que celui de revenir sur ses paroles.

– Bien entendu, bien entendu, assura Mrs Toothil avec un sourire crispé. Vous savez, j'ai choisi mon agent le plus compétent pour s'occuper du Wiltshire. Et le deuxième, pour la partie de Londres où se trouve la Colline d'Émeraude. Les accidents qui ont lieu là-bas seront les mieux pris en charge, je peux vous l'assurer.

– Tant mieux, tant mieux, dit Lucius.

Il attendait la suite avec impatience, et de délectait de voir les mains d'Elza Toothil trembler face à lui, alors qu'elle avait le double de son âge.

– Cependant... En ce qui concerne votre deuxième requête...

Elza Toothil regarda le sol, embarrassée.

– Je ne crois pas pouvoir la satisfaire, dit-elle d'une toute petite voix.

– C'est ce que j'ai constaté, en effet, dit froidement Lucius en désignant l'affiche. Je croyais pourtant avoir été clair : vous deviez spécifier dans vos directives que les sorciers devaient être secourus en priorité, avant les Moldus... Nous avions pourtant un marché.

– J'ai fait tout ce que j'ai pu, Mr Malefoy, dit Elza Toothil d'une voix suppliante. Mais, vous savez... Par les temps qui courent... Faire ce genre de distinction peut être source d'ennuis... On pourrait croire que je cautionne ces meurtres affreux...

– Ça, c'est votre problème, répliqua Lucius. Je vous pensais pourtant avertie du sort qui est réservé à ceux qui me déçoivent... Il serait regrettable qu'un tragique incident vienne ravager ces locaux si rutilants, n'est-ce pas ?

Lucius regarda autour de lui, les yeux plissés.

– Les murs sont particulièrement fins, ici, dit-il. Un Feudeymon se propagerait en un clin d'œil... Et cette pauvre affiche ne vous serait d'aucune utilité, dit Lucius en désignant avec un sourire ironique l'affiche qui détaillait la marche à suivre en cas d'incendie.

– Mr Malefoy...

– Vous avez jusqu'à demain pour refaire tout ce panneau, et y inscrire ce que nous avons convenu, dit Lucius. Si j'étais vous, je ne prendrais pas le risque d'avoir du retard.

Il grimaça un demi-sourire, et, sans prendre la peine d'écouter la réponse d'Elza Toothil, il s'éloigna à grands pas, à la recherche de ses quelques amis qui se promenaient dans les locaux.

Sur son passage, on le saluait avec crainte et respect, en inclinant la tête et en rajustant sa tenue. Comme il était agréable de décider de toute chose, d'avoir le pouvoir de briser des carrières et d'en forger d'autres, de tenir tous ces destins à la merci de sa bourse, de faire vibrer le monde à la force de ses menaces...

Tout en se délectant de ces agréables pensées, Lucius poursuivit son chemin et rejoignit un petit groupe de jeunes gens presque aussi bien vêtus que lui, en train de converser gaiement assis autour d'une table. Toute la jeunesse dorée du monde magique était là : l'élite des Sang-Pur, les fines fleurs de la Colline d'Émeraude, la plupart des Collinards, comme les désignaient ceux qui en étaient jaloux. Tous ces jeunes gens avaient à peu près le même parcours que Lucius : ils étaient habitués à orchestrer des manigances en secret, et à récolter les honneurs au Ministère en dispensant quelques infimes portions de leur fortune démesurée.

– Et voilà le roi de la soirée ! exulta le plus grand d'entre eux en voyant Lucius approcher.

Le grand jeune homme blond leva son verre dans sa direction, imité par ses voisins.

– Bonsoir, Rosier, le salua Lucius.

Evan Rosier était le fils aîné d'Opportus Rosier, l'oncle maternel de Narcissa. Il était vêtu d'un pardessus bleu, et comme d'habitude, une rose aux pétales denses provenant de son splendide jardin était épinglée sur sa poitrine. Il tira une chaise à côté de lui, et Lucius s'y laissa tomber. À sa gauche se trouvait Damian Nott, un jeune homme asiatique aux longs cheveux noirs et lisses qui portait un pardessus doré avec une abeille brodée de fils noirs sur la poitrine. Ils discutèrent avec animation, et tous félicitèrent Lucius pour avoir réussi à financer la réparation des locaux, étendant ainsi davantage l'influence des Sang-Pur au sein du Ministère.

Cependant, après quelques coupes de champagne, les pensées de Lucius se mirent à dériver vers Narcissa et sa mine s'assombrit. Il avait beau remporter tous ces succès, son épouse n'y accordait aucune importance, et ne pensait qu'à une chose : avoir un enfant. Lucius ne comprenait pas très bien cette obsession étrange, et en réalité, cette idée l'effrayait plus qu'autre chose. Il comprenait que l'enfance de Narcissa avait été la plus belle période de sa vie, et qu'elle souhaitait ardemment la revivre à travers la maternité ; mais quand on parlait d'enfance à Lucius, une armée de souvenirs douloureux venait l'assaillir, et il sentait son estomac se cabrer... Ainsi, lorsque Narcissa racontait les jeux qu'elle avait partagé avec Daisy, et cette belle insouciance qu'elle avait connue sur la Colline d'Émeraude, Lucius faisait de son mieux pour la comprendre, mais malgré ses efforts, il ne parvenait pas à concevoir ce bonheur-là, qui ne lui avait jamais été accordé. Alors que ferait-il d'un enfant, lui qui avait tant détesté en être un ?

– Eh bien, Lucius, de quoi rêves-tu ? l'interrompit Evan Rosier en lui donnant une tape sur l'épaule.

Lucius sursauta ; il renversa un peu de champagne, que Rosier vint aussitôt compenser en remplissant sa coupe à ras bord.

– Nous nous sommes un peu disputés, avec Narcissa, avoua Lucius. Rien de grave, ajouta-t-il aussitôt en voyant Juliet Selwyn regarder vers lui, pleine d'espoir.

Rosier haussa les épaules, comme si cela n'avait aucune importance. Lucius se tourna donc vers Damian Nott, qui était le seul, avec lui, à être déjà marié.

– Ça ne vous arrive jamais, avec Magdalena ?

Nott eut un petit rire, comme si l'idée était totalement absurde.

– Pour se disputer, encore faut-il se parler, dit-il à voix basse, afin que ses proches voisins soient les seuls à l'entendre. Et Magdalena ne parle pas : elle déblatère. Je ne l'ai jamais entendue dire quelque chose d'intelligent !

Il disait cela avec fierté, comme si c'était quelque chose d'appréciable.

– Et cela te satisfait ? demanda Lucius.

Nott haussa ses épaules étroites.

– Tout ce que je demande, c'est une bonne épouse qui me fasse de beaux enfants... et qui ne me résiste pas trop au moment du coucher, s'esclaffa-t-il.

– Coquin !

Evan Rosier éclata d'un rire sonore, mais Lucius haussa les sourcils avec mépris et but une gorgée de champagne.

– Tu oublies le sang pur, fit remarquer Balderic Parkinson, qui était assis à côté de Damian Nott.

– C'était tellement évident que je n'ai pas jugé utile de le préciser, répliqua Nott.

– Bon, Lucius, raconte-nous... À propos de quoi vous êtes-vous disputés ? s'enquit Evan Rosier.

Lucius hésita un instant, puis, enivré par le champagne, leur livra ce qu'il avait sur le cœur.

– Narcissa rêve d'être enceinte, dit Lucius. Depuis le mariage, elle ne pense qu'à cela, et elle s'impatiente de plus en plus... Et hier, elle m'a accompagné, quand je suis allé au pensionnat Wimbley... Alors, elle a vu tous ces jeunes enfants... Ça s'est mal passé, voilà tout.

– Quelle idée tu as eu, aussi, d'épouser une Black, commenta Parkinson en levant les yeux au ciel. C'est bien connu, ce sont de vraies tigresses !

– Moi, je suis d'accord avec Lucius, déclara Rosier en lui secouant vigoureusement l'épaule. Il me faut une femme de caractère ! Hélas, l'éducation qu'on leur donne sur la Colline d'Émeraude n'y est pas très propice.

– Tu n'as qu'à épouser la Ministre, railla Parkinson en désignant la petite femme en robe bleue qui était entourée de tous les notables du Magenmagot.

– Jenkins ? Ah, j'aurais adoré ! s'exclama Rosier sans saisir l'ironie du propos. Elle, au moins, je suis sûr qu'elle a de la poigne ! Mais malheureusement, ne sommes pas tout à fait compatibles sur le plan des convictions politiques...

À ces mots, le sourire de Damian Nott se figea. Alors que Lucius replongeait dans ses sombres pensées, Nott regarda tour à tour Balderic Parkinson et Evan Rosier, avec le plus grand sérieux, et tous les deux acquiescèrent d'un signe de tête.

– Lucius...

– Hmm ?

– Nous voulions te parler de quelque chose, dit Evan Rosier en remplissant à nouveau le verre de Lucius à ras bord.

Lucius se redressa et fit un geste du menton pour les inciter à parler.

– Oui ? Je vous écoute.

Rosier, Nott et Parkinson s'entreregardèrent, afin de décider lequel d'entre eux allait se dévouer pour expliquer leur plan ; puis ce fut Evan Rosier qui prit la parole.

– C'est à propos de... Tu sais... Ce mage noir...

Malgré la gravité de son interlocuteur, Lucius émit un petit rire moqueur.

– Toi non plus, tu n'oses pas prononcer son nom ? Tu sais, nous autres Sang-Pur n'avons rien à craindre de lui...

– Nous n'en sommes pas convaincus, coupa Evan Rosier.

Lucius haussa un sourcil, peu habitué à être contredit par ses pairs.

– Ici, au Ministère, Jenkins et ses conseillers déploient des efforts considérables pour minimiser la menace qu'il représente. Mais nous avons eu d'autres informations contradictoires de la part des Crabbe, qui ont toujours un œil sur l'Allée des Embrumes... On dit qu'il ranime les morts et connaît des envoûtements qui dépassent notre imagination... Qu'il est de la même stature que Gellert Grindelwald... Non, Lucius, nous pensons qu'il est puissant, assez puissant pour renverser le pouvoir en place.

– En fait... Écoute, Lucius, nous... Nous voudrions le rejoindre.

Lucius s'en étrangla avec son champagne, et se mit à rire.

– C'est une plaisanterie ?

Mais aucun de ses trois amis n'avait l'air de plaisanter.

– Vous n'êtes pas sérieux...

D'un geste, il désigna la myriade de vêtements somptueux qui virevoltaient autour d'eux, les plats exquis qui s'alignaient sur les tables et les sorcières plantureuses qui les regardaient du coin de l'œil.

– Vous voulez renoncer à tout ce luxe, à tous ces succès, pour rejoindre une bande de mécréants sanguinaires qui, de toute manière, nous riraient au nez ?

– Oh, je ne crois pas qu'ils nous riraient au nez, dit Parkinson en secouant la tête.

– Au contraire, assura Nott. Ils seraient ravis que nous venions renflouer leurs rangs, et surtout financer leur guerre... Ils sont puissants, mais furieux de voir que leur projet n'enthousiasme pas l'entièreté des Sang-Pur...

– Et pourtant, leur projet m'enthousiasme, rectifia Lucius. Mes ancêtres et moi-même luttons pour ce même projet depuis des siècles...

– Mais sans efficacité, fit remarquer Parkinson.

– ...Cependant, leur manière de lutter ne me convient pas, soutint Lucius en secouant la tête. Pourquoi se salir les mains, quand on peut influencer le monde depuis son fauteuil ?

– Parce que c'est bien plus efficace, susurra Nott.

– Et que c'est parfois nécessaire, appuya Parkinson.

Evan Rosier se pencha encore vers Lucius, et lui saisit le bras, mais Lucius s'écarta de lui.

– Pourquoi êtes-vous si empressés, tout à coup ? demanda Lucius, irrité. Nous avons tous les moyens de nous protéger. Laissons ce mage noir faire le ménage si ça lui chante, cela ne peut nous être que profitable... Mais ne nous en mêlons pas trop, ce serait prendre des risques inutiles. Attendons un peu, et rejoignons-le quand la victoire sera assurée !

– Je crains que nous n'ayons plus le choix, dit Parkinson avec gravité. Tu l'as bien vu, ils ont commencé à assassiner des sorciers...

– Nous ne serons pas en tête de liste, répliqua Lucius. S'il est assez intelligent pour mériter notre intérêt, cet Homme-Serpent éliminera d'abord le fond du panier.

– Cassandre Shabby était une Sang-Pur, rappela Nott. Non, Lucius, tu te trompes... Quiconque refuse de se soumettre à lui subira le même sort.

– En revanche, pour ceux qui le rejoignent...

– C'est la gloire assurée, conclut Rosier dans un souffle.

Lucius regarda tour à tour ses trois voisins, qui le regardaient avec un espoir fiévreux.

– Je ne comprends pas votre insistance, s'agaça Lucius. Pourquoi n'allez-vous pas le rencontrer vous-mêmes ?

Il avait la désagréable impression que ses amis voulaient l'envoyer en éclaireur, afin qu'il brave tous les dangers à leur place. Or, s'il y avait bien une chose que Lucius avait en horreur, c'était le danger.

– Lucius, tu ne comprends pas, dit Rosier en se penchant vers lui pour lui prendre le poignet. Tiens, allez, reprends donc un peu de champagne... Nous avons besoin de quelqu'un qui puisse unir tous les Sang-Pur derrière lui ! Crabbe a commencé à nous convaincre, mais les Goyle, les Selwyn et les Flint sont encore réticents... Et je refuse que la Colline d'Émeraude s'entredéchire. Les Sang-Pur pourraient se trahir, se dénoncer entre eux... Non, non, il nous faut une figure de proue, quelqu'un qui annihile toutes nos petites querelles internes, et qui décide l'intégralité de notre camp à s'unir d'un même mouvement à Tu-Sais-Qui !

– Et tu es tout désigné pour cela, assura Parkinson.

– Vous perdez la tête, les coupa sèchement Lucius.

Il fit mine de se lever, mais d'un même geste, Nott, Parkinson et Rosier le retinrent.

– Lucius, tu ne réalises pas... Toi et Narcissa, vous êtes tout simplement iconiques, murmura Evan.

Résigné, Lucius se laissa à nouveau tomber dans son fauteuil avec un soupir de lassitude.

– Enfin, pourquoi crois-tu que nous sommes si nombreux à nous presser auprès de toi, et à rechercher ton attention ? À ton avis ? Eh bien, c'est parce que tu nous inspires, parce que tout le monde, ici, rêve de te ressembler...

– Tous les habitants de la Colline d'Émeraude ont le portrait d'un Malefoy dans leur salon... Et dans un coin de leur tête, renchérit Nott. Tout le monde espère avoir un jour avoir ta richesse, ta prestance, et surtout ton pouvoir ! Et ils pensent naïvement qu'en gravitant autour de toi, ils pourront s'en approprier quelques fragments...

– Voyez-vous ça, lâcha Lucius.

– Tu n'auras aucun effort à faire ! Ils te tomberont tous dans les bras ! Je le ferais bien à ta place, crois-moi, mais la moitié des habitants de la Colline d'Émeraude croit que je suis fou à lier, dit Evan Rosier avec un petit rire qui légitimait largement ce soupçon. Tandis que toi, tu mettrais tous les Sang-Pur d'accord ! Tu es le seul qui en ait le pouvoir !

Lucius attendait patiemment la fin de leur éloge, les yeux dans le vague, essayant de ne pas montrer l'effet que lui faisaient toutes ces flatteries.

– Imagine un peu, lui murmura Evan Rosier à l'oreille. Tous les Sang-Pur d'Angleterre, ralliés sous la bannière des Malefoy... Imagine ton portrait, dans la galerie de tes ancêtres, et ce qu'il y aurait écrit au-dessous, si tu devenais le bras droit de Tu-Sais-Qui...

Comme Lucius ne répondait pas, Evan Rosier glissa un regard vers Parkinson et Nott, qui lui signalèrent d'un mouvement de tête qu'ils étaient à court d'arguments.

– Allons, mes amis... Trinquons à nouveau, déclara Nott avec un enthousiasme feint.

Lucius tendit sa main vers sa coupe de champagne et Rosier lui agrippa à nouveau le poignet.

– Lucius, mon bon ami... Promets-moi d'y réfléchir.

– C'est tout réfléchi, répliqua Lucius en se dégageant. C'est non.

– Allons, allons, encore un verre, dit Parkinson en remplissant ceux de ses amis. À la santé de Lucius !

– À la santé de Lucius, approuva Nott en levant sa coupe.

– Doucement, mes amis, tempéra Lucius en portant la sienne à ses lèvres. La fête ne fait que commencer...

 

***

 

Aussitôt Vera, Orion et Piscus Crabbe partis du manoir des Malefoy, Daisy s'en alla elle aussi ; Narcissa l'embrassa avec enthousiasme et les deux amies se promirent de se revoir au plus vite.

Après l'avoir vue disparaître dans la nuit sur sa moto volante, Narcissa sortit son journal rose et pailleté, et entreprit d'y inscrire tout ce qu'elle venait d'entendre, afin de n'oublier aucun détail de toutes les nouvelles informations qui tourbillonnaient dans son esprit. En une seule journée, Narcissa avait appris plus de choses sur la famille Malefoy qu'en deux années entières passées dans le manoir.

En refermant son journal, Narcissa fit tomber sur le sol la photo qu'elle avait prise avec ses deux sœurs sur le Chemin de Traverse, juste après l'acquisition de sa nouvelle baguette et du sublime peigne Démêltout qu'elle avait offert à Andromeda. Sur la photo, les trois sœurs étaient fidèles à elles-mêmes : Andromeda souriait sagement, Bellatrix grimaçait un sourire renfrogné en essayant de sortir du cadre de l'appareil photo et Narcissa essayait de les rapprocher l'une de l'autre tout en regardant Bellatrix avec une admiration éperdue. En voyant leurs trois visages ainsi côte à côte, la nostalgie lui brouilla la vue.

Depuis son mariage, Narcissa n'avait eu aucune nouvelle de Bellatrix. Si impétueuse qu'elle fût, et même si Narcissa avait initialement refusé de l'admettre, sa sœur aînée lui manquait. Que devenait-elle ? Était-elle en bonne santé ? Qui prenait soin d'elle, en l'absence de Narcissa ? Sans surveillance, Bellatrix était capable du pire envers les autres, mais aussi envers elle-même...

Accueillir, c'est contrôler, avait dit Piscus Crabbe. Et cette phrase commençait à faire son chemin dans l'esprit de Narcissa... Mais elle fut interrompue par des cris qui provenaient du rez-de-chaussée. Aussitôt, elle s'approcha de son miroir ; le reflet se transforma et elle découvrit qu'Abraxas était en train de se disputer avec Prisca.

– Abraxas ! disait Prisca avec sévérité. J’espère que vous ne songez pas à faire ce à quoi je pense !

Abraxas Malefoy se resservait un énième verre de vin, visiblement exaspéré par l'inquiétude de son ancêtre.

–  Il est temps pour Lucius de devenir un homme, Prisca… Il s’épanouit orgueilleusement dans ces réceptions fastueuses, mais il ne reste pas sur ses gardes ! La preuve : il ne prête aucune attention à ce… ce Vous-Savez-Qui, alors que c’est précisément lui qui devrait concentrer toute notre attention ! Je repense à toutes les histoires que j'ai entendues à son sujet, et auxquelles je n'ai pas accordé assez d'importance... Pour une fois, je crois que je me suis fourvoyé, et que Crabbe a raison : nous avons peut-être affaire à un véritable mage noir, au moins aussi puissant que Gellert Grindewald… Et si celui-ci met ses menaces à exécution, il pourrait donc renverser le Ministère ! Il faut rencontrer cet homme, Prisca, au moins pour savoir de quoi il retourne. Lucius doit partir à sa recherche.

– Abraxas ! gronda Prisca. Cet homme est un meurtrier ! Et Lucius n’a que vingt ans !

– Vingt et un ans ! corrigea Abraxas. Et c’est plus qu’assez pour sortir de son espace de confort et se mesurer aux dangers du monde extérieur !

– Et vous, que faisiez-vous, à son âge ? Vous faites le fier, mais vous n’étiez qu’un jeunot ! Vous veniez de vous marier avec Athénaïs et vous ne pensiez qu’à roucouler dans le jardin ! Lucius et Narcissa ne se voient qu’en pointillés, vous ne leur laissez même pas le temps de profiter l’un de l’autre ! Ne vous étonnez pas si vous n’avez pas encore de petits-fils ! Je vous rappelle que c'est par votre faute que vous ressemblez à un mort-vivant, et que ça n'est certainement pas une raison pour priver Lucius de sa jeunesse !

Prisca venait de dire tout haut ce que Narcissa pensait tout bas depuis plus d'un an. Intérieurement, elle se promit d'aller dans le jardin déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de Prisca Malefoy, dès le lendemain.

– Un homme digne de ce nom est capable d'honorer ses obligations conjugales tout en participant aux luttes de pouvoir qui ont lieu au-dehors ! répliqua Abraxas Malefoy. Et de toute manière, le temps presse : l’urgence n’est pas de fonder une famille, mais d’anticiper les conséquences du bouleversement qui se prépare, afin de ne pas être pris au dépourvu…

– Et lorsque Lucius l’aura rencontré ? Vous comptez aider Voldemort ? Soyons honnêtes, notre contribution sera probablement décisive dans le conflit qui l’opposera au Ministère. Réfléchissez avant de l’aider à atteindre son but : si Voldemort gagne, c’est un monde de chaos qui nous attend. Est-ce là ce que vous souhaitez ?

Abraxas balaya la remarque d’un revers de main.

– La question n’est pas de défendre le bien, ou de maintenir la paix, mais d’être toujours du côté du vainqueur. Et entre une Ministre désemparée et un mage noir aux pouvoirs possiblement stupéfiants, à votre avis, qui a le plus de chance de remporter la partie ? Peu importe le résultat : un Malefoy doit faire le nécessaire pour rester au sommet de la pyramide, que celle-ci soit d’or ou de cendres. Autrement, il ne mérite pas de porter ce nom.

Abraxas posa son verre sur la table avec un geste qui scellait la fin de la conversation. Narcissa ne voyait pas Prisca, mais au cliquetis de perles qu’elle entendait, la matriarche devait secouer la tête avec accablement.

Au bout d'un long moment, Abraxas Malefoy se tourna vers la fenêtre, car un bruit métallique venait de leur signaler l'ouverture du portail en fer forgé.

– Ah, le voilà qui rentre, dit-il.

Et le ton de sa voix ne laissait planer aucun doute sur le fait que les supplications de Prisca n'avaient eu strictement aucun effet.

Quelques instants plus tard, depuis son poste d'observation, Narcissa vit l'ombre élancée de Lucius apparaître dans le rectangle lumineux que l'éclairage du couloir projetait sur la moquette verte de la bibliothèque.

– Entre donc, dit la voix glaciale d'Abraxas Malefoy.

– Père, lui répondit celle de Lucius, bien plus enjouée. Vous êtes encore réveillé, quelle bonne surprise !

– Tu vas voir si c'est une bonne surprise, marmonna Abraxas Malefoy, sans que Lucius ne l'entende.

Puis il haussa la voix pour poursuivre :

– Approche, et assieds-toi... J'ai à te parler.

Lucius rentra donc dans la pièce avec entrain, la démarche légèrement bancale, les joues roses, sa cape posée de travers sur ses épaules. Il saisit le siège qui se trouvait à côté de son père et s'y laissa tomber en soupirant d'aise.

– Quelle soirée, murmura-t-il, les yeux dans le vague.

– Oui, j'ai l'impression que tu as passé un agréable moment, dit Abraxas Malefoy avec un sourire pincé.

– Vous auriez adoré, Père ! Des soirées comme on n'en a plus fait depuis longtemps... Décidément, le Ministère est prêt à tout pour nous faire oublier la situation actuelle ! Des chants, des danses, et tout cela à leurs frais... J'en suis fourbu !

Il se pencha sur la table, tendit sa main vers la crête acérée qui formait l'anse de la carafe de vin, mais Abraxas Malefoy l'écarta de lui.

– J'ai l'impression que tu as déjà bu plus que de raison, dit-il en imitant le ton enjoué de son fils.

La main de Lucius se referma dans le vide, et il continua de fixer la carafe inaccessible pendant plusieurs secondes, l'air déçu.

– Hmm... Malheureusement, le vin du Ministère est loin d'être aussi bon que le nôtre, soupira-t-il.

– Cela ne m'étonne pas, gronda Abraxas Malefoy. Leurs finances sont au plus mal, et pourtant ils continuent de jeter l'argent par les meurtrières ! Et tout ça pour entretenir des choses aussi absurdes que le pensionnat Wimbley...

Lucius poussa un petit gloussement, et Abraxas Malefoy le regarda avec exaspération.

– À propos, où en es-tu de ce côté ? Est-ce que l'enquête avance ? Va-t-on enfin en finir avec ce maudit pensionnat ?

Lucius écrasa sa joue sur son poing, les yeux mi-clos, et haussa mollement les épaules.

– Ne peut-on pas attendre demain pour parler affaires ? Il est deux heures passées, et j'aimerais retrouver Narcissa...

– Non, justement, nous ne pouvons pas attendre ! dit Abraxas Malefoy en frappant un grand coup sur le sol avec sa canne.

Lucius sursauta et se redressa brusquement contre le dossier de son siège.

– Hein ? Pardon, vous disiez... ? Ah, oui, le pensionnat Wimbley... Ahem, où en étais-je... Oui, donc, j'ai revu tout à l'heure cette petite femme qui nous a mariés, Narcissa et moi... Comment s'appelle-t-elle, déjà ? Flores, non, Agnès...

– Dolores Ombrage, dit Abraxas Malefoy entre ses dents, la main crispée sur le pommeau de sa canne.

– Oui, c'est cela, merci... Dolores Ombrage, donc. Une jeune femme parfaitement odieuse, délicieusement exécrable, qui déteste Eleanor Wimbley probablement plus que tous les Sang-Pur d'Angleterre réunis...

Lucius s'interrompit pour étouffer un long bâillement.

– Enfin, peu importe...

– En effet, peu importe.

– Cette charmante Ombrage, donc, travaille au Ministère depuis cinq ans, et cherche désespérément à faire décoller sa carrière. Hélas, elle a été chassée du Département de l'Administration Magique après le mariage de Carla et Edgar Goyle, où elle s'est montrée, disons, un peu trop intrusive avec la famille Goyle... Vera l'a dénoncée, elle est désormais contrainte de travailler au Bureau des Plaintes Magiques...

– Excuse-moi, Lucius, mais en quoi les déboires de cette petite écervelée sont-ils censés m'intéresser ?

– Eh bien, ils nous intéressent justement parce que la plainte de l'inspecteur a été reçue par ce fameux Bureau des Plaintes, et que Dolores Ombrage s'est engagée à traiter ce dossier avec la plus grande sévérité...

– Bien, dit Abraxas Malefoy. J'espère qu'elle sera plus efficace pour régler cette affaire qu'elle n'a été discrète pour fouiller dans le secrétaire de Vera Goyle !

Lucius acquiesça mollement – ou en tout cas, trop mollement au goût de son père.

– Tu n'as pas l'air enchanté par cette perspective, remarqua Abraxas. Je sais que Narcissa a été attendrie par ces immondes petits Sang-de-Bourbe, mais ça n'est pas une raison pour te montrer indulgent avec Eleanor Wimbley. C'est une plaie pour notre pays : il faut abattre cette négresse, Lucius.

– Oui, Père, je le sais... Mais Narcissa n'est pas aussi engagée que nous dans cette lutte – enfin, pas encore... Et puis, elle ne s'est pas encore remise du décès de sa mère : elle reste fragile, et je préfèrerais ne pas la brusquer.

– Gouverne ta femme comme tu l'entends, mon fils, répondit Abraxas Malefoy avec agacement. En revanche, ne la laisse pas te mener par le bout du nez. Si nous attendons encore davantage, Eleanor Wimbley pourrait trouver un moyen de nous échapper ! Vingt ans que cela dure, Lucius ! Vingt ans que les Sang-de-Bourbe accèdent avec autant de facilité que nous à Poudlard et aux privilèges qui, jusqu'ici, n'appartenaient qu'aux véritables sorciers ! Et si tu restes les bras croisés pour satisfaire les pleurnicheries de ton épouse...

– Narcissa ne pleurniche pas, corrigea fermement Lucius.

Mais Abraxas Malefoy ne lui prêta aucune attention.

–  ...Il ne restera plus rien de notre belle culture sorcière, et de notre prestige ! Déjà, le Magenmagot veut supprimer la Fête Nationale des sorciers, pour ne pas froisser ces imposteurs...

– À ce propos, le coupa Lucius en changeant habilement de sujet, la question est réglée. Le Département des Évènements Magiques a désespérément besoin d'argent, et je leur ai proposé un large prêt, en échange de l'annulation de ce décret. Cette nouvelle loi ne passera jamais.

Abraxas Malefoy resta silencieux, et Lucius en profita pour poursuivre sur sa lancée.

– J'ai également rencontré le Directeur du Département de la Coopération Magique Internationale... Je crois que je me suis attiré sa sympathie. Cela peut nous être fort utile, par les temps qui courent...

Lucius s'interrompit pour attendre une réaction de la part de son père, qui l'observait en plissant les yeux, et en caressant la tête de serpent argentée qui se trouvait sur le pommeau de sa canne.

– Tu es donc satisfait de toi, constata Abraxas Malefoy.

Sa voix était encore plus glaciale que d'habitude, mais Lucius, enivré par le champagne et par sa folle soirée, ne remarqua rien et continua de foncer tête baissée dans le piège que lui tendait son père.

– Oui, plutôt, répondit-il, fier d'avoir retrouvé son assurance habituelle.

Comme s'il espérait que son père serait redevenu plus clément, il étendit à nouveau sa main vers la carafe de vin. Mais cette fois-ci, son père saisit sa canne, et, à l'aide du pommeau en forme de serpent, il lui écrasa brutalement la main sur la table.

– Père ! protesta Lucius en essayant vainement de retirer sa main.

– Je me demande ce que j'ai fait pour avoir un fils aussi dépourvu d'intelligence, siffla Abraxas en appuyant encore davantage sur la main de Lucius.

Quelques étages plus haut, dans sa salle de bains, Narcissa venait de sursauter, et mobilisait toute sa volonté pour se retenir de descendre dire le fond de sa pensée à Abraxas avant de lui faire manger sa canne.

– Je... Aïe ! Je ferai fermer le pensionnat, Père... Ce n'est... Ce n'est plus qu'une question de temps, je vous assure...

– Justement, c'est bien là le problème ! Maintenant, nous ne pouvons plus faire le moindre arrangement sans que le Ministère enclenche une procédure qui durera assez longtemps pour que je n'en voie jamais la fin ! Du temps, je n'ai plus beaucoup devant moi, Lucius. Je m'affaiblis de jour en jour. Je ne peux pas me permettre d'attendre la résolution de ces affaires que tu fais tant traîner ! Quant au prêt que tu as proposé au Département des Évènements Magiques, c'est une idiotie ! Nos dépenses ont déjà quasiment doublé ces derniers mois, tout ça parce que tu es incapable de résoudre le moindre problème sans faire des promesses démesurées à tous nos entremetteurs !

Lucius s'apprêtait à répliquer quelque chose, mais son père le fit taire d'un geste de la main et pointa sur lui un index accusateur.

 – Et je crois que depuis tout ce temps, la solution à tous nos problèmes était sous notre nez, mais que tu l'as volontairement écartée, parce que tu en avais peur !

– Abraxas, cela suffit, gémit Prisca depuis son portrait.

Mais celui-ci ne lui accorda aucune importance.

– Mais... De quelle solution parlez-vous, Père ?

– Ah, ce que tu peux être sot, parfois ! Enfin, Lucius, à ton avis ? Quelle est la seule chose qui puisse effrayer le Ministère davantage que les menaces d'un Malefoy ?

Au fur et à mesure qu'Abraxas parlait, il rapprochait son visage de celui de Lucius à tel point que ceux-ci se touchaient presque lorsque Lucius finit par comprendre que son père parlait de Voldemort.

– Père, vous n'y pensez pas... Vous-même disiez que nous ne pouvions pas l'envisager... Ce sont des Embrumés, des mécréants de la pire espèce...

– J'ai dit ça parce que je me suis fondé sur tes informations, qui provenaient du Ministère ! Mais j'ai découvert aujourd'hui que tous les habitants de la Colline d'Émeraude s'apprêtaient à les rejoindre ! Si je n'avais pas été aussi vigilant, ils nous seraient tous passés devant, par ta faute !

– Les Collinards, vous dites ? Euh... Vous devez vous tromper, mentit Lucius d'une toute petite voix.

– Les Crabbe sont en train de les convaincre, et quand ce sera le cas, tu seras le dernier à rejoindre le camp de la victoire, et tu nous feras passer pour des imbéciles !

– Mais si le Ministère l'apprend...

– Oh, secoue-toi un peu, Lucius ! Le pouvoir, désormais, ne se joue plus au Ministère ! Tu veux peut-être finir comme Cygnus Black ?

– Je... Je croyais que vous l'appréciiez.

– C'est le cas. C'est un homme admirable. Mais son entêtement lui a coûté sa carrière et son honneur : ne commets pas la même erreur que lui.

Lucius soupira, sonné.

– Je pensais que vous seriez fier de moi, après tout ce que j'ai fait pour être dans les petits papiers de la Ministre...

– Si ce qu'on dit est vrai, Eugenia Jenkins n'aura bientôt plus aucun pouvoir. Non, crois-moi, il vaut mieux miser sur ce mage noir... Et tu as intérêt à le trouver rapidement, car tu n'auras aucune chance d'attirer son attention, une fois qu'il aura rencontré les deux fils Crabbe, ces colosses...

– Mais comment voulez-vous que je...

– Mais je ne sais pas, débrouille-toi ! Ah, ce que tu peux manquer d'initiative... Fais le nécessaire, Lucius, voilà tout. Il faut que ce mage noir soit de notre côté, coûte que coûte.

Lucius voulut dire quelque chose, mais son père l'en empêcha de nouveau.

– Cette conversation est close, dit-il en se levant. Tu peux aller roucouler avec ta bien-aimée, puisque c'est manifestement la seule chose que tu sois capable de faire.

Et il partit d'un pas raide, en s'appuyant sur sa canne.

Après son départ, Lucius resta pendant plusieurs minutes dans la bibliothèque. Il massa sa main endolorie et regarda les objets qui se trouvaient dans la pièce avec une expression sidérée, comme s'ils étaient tous complices de ce qui venait de se passer. Prisca essayait de le réconforter depuis son portrait, mais Lucius ne semblait pas l'entendre.

Lorsqu'il se décida quitter la pièce, Narcissa fit un geste vers le miroir, et l'image de la bibliothèque disparut, remplacée par son propre reflet. Elle se leva, rangea précipitamment son journal intime sous une latte du parquet de leur chambre, nettoya d'un coup de baguette magique les flaques d'eau savonneuse qui restaient sur le sol, enfila sa chemise de nuit satinée et s'installa devant son miroir pour peigner ses cheveux blonds, encore un peu humides.

 

Malgré l'impatience qu'il avait ressenti toute la soirée à l'idée de serrer Narcissa dans ses bras, Lucius ne monta pas tout de suite se coucher. Tout d'abord, il fit un détour par le couloir de ses ancêtres, celui dont les murs étaient recouverts de portraits grandeur nature. Dans les cadres finement ouvragés, accrochés sur le mur avec une régularité irréprochable, ses innombrables ancêtres sommeillaient, confortablement installés dans de somptueux habits de soie et de fourrure.

Au fur et à mesure que ses yeux s'acclimataient à la pénombre, Lucius distingua les inscriptions de lettres d'or qui se trouvaient au bas de chaque portrait. On y trouvait le nom de l'ancêtre représenté, ainsi que les faits notables que chacun pouvait se vanter d'avoir accompli au cours de sa vie.

 

Armand Malefoy

A jadis aidé le roi Guillaume Ier d'Angleterre dans sa conquête de l'Angleterre

S'est établi dans le Wiltshire, et y a acquis un large domaine

 

Nicholas Malefoy

A ingénieusement profité de la peste noire pour chasser définitivement les derniers moldus qui vivaient sur ses terres

 

Septimus Malefoy

Premier conseiller du Ministre Unctuous Osbert

A empêché l'adoption du Code de protection des Moldus

 

Arrivé au bout de la galerie, après avoir lu pensivement les titres des dizaines de portraits qui s'alignaient, Lucius s'arrêta, tout en tanguant légèrement sur ses jambes à cause de tout le champagne qu'il avait bu. Il restait encore quelques portraits vides, dont la toile était restée noire. Face à l'un d'eux, Lucius observa le reflet imprécis de son visage pâle et de ses beaux vêtements dans le vernis de la toile, et se mit à imaginer ce qu'il y aurait écrit au bas de son portrait, quand son heure serait venue...

 

Lucius Malefoy

Fidèle associé du plus grand mage noir de tous les temps

A rassemblé une armée de Sang-Pur et a rétabli la domination des sorciers sur le monde

A étendu l'emprise des Malefoy au-delà des frontières

 

À cette pensée, Lucius se surprit à frémir d'excitation. Son père avait raison : jusqu'ici, il préférait rester tranquillement au Ministère, là où tout lui était déjà acquis ; mais après tout, peut-être que ses amis disaient vrai... Il s'était sans doute sous-estimé, il était capable de voir plus grand... Oui, il était peut-être celui que tous les Sang-Pur attendaient, depuis tout ce temps... Alors, finalement... Et si le jeu en valait la chandelle ?

 

Pendant ce temps, Narcissa peignait ses cheveux blonds avec lenteur, tout en réfléchissant à toute vitesse. Dans quelques instants, Lucius allait entrer, et, elle en était désormais certaine, allait lui proposer de se joindre à Voldemort.

Elle essayait donc de réfléchir posément aux deux choix qui s'offraient à elle.

Il fallait refuser, bien sûr, c'était ce qu'il y avait de plus raisonnable. Rejoindre Voldemort n'avait aucun sens, c'était un assassin, un être profondément mauvais, qui n'avait rien à voir avec l'image que Narcissa se faisait d'elle-même... Alors, pactiser avec lui... Non, c'était impensable...

Mais tout de même... Après tout... Si Crabbe disait vrai, si les habitants de la Colline d'Émeraude s'apprêtaient réellement à franchir le pas, alors il leur faudrait suivre le mouvement, ce serait inévitable... Ne valait-il pas mieux prendre les devants, plutôt que de faire partie des suiveurs qui ne récolteraient jamais aucun mérite ? Ce serait risqué, c'est vrai, mais Narcissa s'ennuyait tellement que ce risque lui semblait presque attrayant...

Narcissa entendit la porte de la chambre s'ouvrir. En regardant derrière elle, elle vit Lucius pousser la porte avec lenteur, et sa confusion était si flagrante que Narcissa en eut de la peine pour lui. Elle regrettait de lui avoir parlé avec froideur lorsqu'ils avaient quitté le pensionnat Wimbley. Il lui apparaissait désormais évident que Lucius n'y était pour rien et qu'Abraxas Malefoy était coupable de toutes les fautes.

Lorsque Lucius vit Narcissa dans la salle de bains, un sourire affectueux illumina son visage, et il s'approcha d'une démarche légèrement incertaine.

– Tu ne dors pas, dit-il, les yeux brillants, en s'appuyant contre le mur de la salle de bain.

Narcissa laissa sa brosse à cheveux sur l'émail rutilant de l'évier, et rejeta ses longs cheveux blonds en arrière en s'approchant de lui.

– Daisy m'a rendu visite aujourd'hui. Elle est partie il y a seulement une demi-heure.

Lucius hocha la tête, ses yeux pâles rivés sur les lèvres de son épouse. Manifestement, il mourait d'envie de l'embrasser.

– Comment s'est passé ta soirée ? demanda Narcissa en dénouant le cordon argenté qui retenait la cape de Lucius autour de ses épaules.

Lucius regarda sa cape glisser sur le sol, pensif.

– C'était à mourir d’ennui, comme d’habitude quand tu n’es pas là, dit-il en titubant un peu.

Cette remarque arracha un sourire à Narcissa.

– Allons, je suis sûre que tu t’es amusé, dit-il. Tu as encore du rouge à lèvres sur la joue.

Lucius haussa un sourcil, interloqué, leva sa main pour se frotter la joue, puis interrompit son geste et sourit à nouveau en replaçant une mèche de cheveux blonds derrière l'oreille de Narcissa.

– Tu essaies de me faire marcher ? gloussa-t-il. Bien joué, mais ça ne prend pas.

Il se pencha vers elle, puis s'interrompit.

– Je voulais te dire... Je suis désolé à propos d'hier, dit-il en articulant approximativement. Au pensionnat Wimbley... J'ai été trop rude avec toi.

Narcissa n'avait pas pensé au pensionnat de la journée. Ce problème lui apparaissait désormais totalement secondaire, et elle avait été tellement confuse pendant la visite que ses souvenirs en étaient imprécis.

– N'en parlons plus, dit-elle en secouant la tête.

Lucius acquiesça, soulagé. Il se pencha encore et ils s'embrassèrent enfin.

– J'ai détesté me disputer avec toi, lui dit Lucius à l'oreille. Cette journée a été la plus longue de ma vie. Ne recommençons plus jamais.

– Marché conclu, approuva Narcissa en souriant.

Narcissa l'attira vers le grand lit à baldaquin et se laissa tomber sur les innombrables oreillers de plume. Lucius retira maladroitement sa veste et ses bottes de cuir, et s'allongea à côté d'elle en soupirant d'aise.

– Alors, raconte-moi... Comment allait Daisy ?

– Plutôt bien, même si l'état du pays l'inquiète et que Carla leur rend la vie impossible... Enfin, pour nous changer les idées, nous sommes monter Ramia et Balaur...

– Ah oui ?

– Oui, ça m'a fait beaucoup de bien. Je pense que j'irai là-bas plus souvent, à l'avenir... Nous pourrions y aller ensemble, si tu veux.

– Ce serait bien, oui...

Narcissa soupira intérieurement : Lucius avait acquiescé sans y croire une seule seconde. Son père lui laissait à peine le temps de dormir, alors pour une après-midi entière de divertissement...

– Ensuite, je lui ai fait visiter le jardin, poursuivit Narcissa sans entrain. Et puis, nous sommes montées ici car ton père avait des invités.

– Des invités ? demanda vivement Lucius. Qui donc ?

– Je ne sais pas, mentit Narcissa. Je ne les ai pas vus. Pourquoi cette question ?

– Oh... Non, ce n'est rien... Simplement... Mon père semble avoir changé d'avis sur beaucoup de choses, ce soir.

Lucius haussa les épaules, pensif. Narcissa lui caressa doucement les cheveux, et il parut se sentir mieux pendant quelques instants – puis il fut regagné par ses préoccupations.

– À propos de quoi a-t-il changé d'avis ? demanda innocemment Narcissa.

Perdu dans ses pensées, Lucius mit un moment à répondre.

– Eh bien... Il pensait initialement que rejoindre Tu-Sais-Qui était imprudent... Mais maintenant, il soutient que c'est indispensable.

Il marqua une pause, tout en observant Narcissa du coin de l'œil.

– Qu'en penses-tu ? demanda-t-il.

Narcissa battit des paupières. Avait-elle vraiment le choix ? Ou bien, ce choix était-il vraiment celui de rejoindre Voldemort ou de s'en tenir à distance ?

Non, en réalité, il se résumait plutôt à celui-ci : soit elle s'arc-boutait pour essayer d'empêcher Lucius d'accomplir ce que tout le monde l'encourageait à faire, soit elle jouait le jeu et l'accompagnait docilement dans sa démarche.

Si elle optait pour la première solution, il fallait être lucide : elle n'avait pratiquement aucune chance de parvenir à le raisonner. À sa connaissance, Lucius n'avait jamais désobéi à son père. Malgré ses supplications, il irait se joindre à Voldemort ; et, lassé par les reproches de Narcissa, il agirait sans jamais la consulter, sans même l'avertir de ses manigances... Et elle, à force de réprimandes, deviendrait une épouse aigrie, irascible, exactement comme la tante Walburga...

À l'inverse, si elle choisissait de soutenir Lucius, celui-ci aurait l'impression d'être compris, soutenu, aimé. Ils pourraient alors discuter ensemble de chaque décision, que Narcissa pourrait sagement influencer. Elle pourrait se tenir à ses côtés en permanence, veiller à ce qu'il ne lui arrive rien...

– Alors ?

Narcissa déglutit avec difficulté et se redressa pour s'asseoir en tailleur sur le lit. Lucius l'observait toujours.

– J'ai entendu des cris, en bas, dit-elle pour retarder le moment où elle devrait donner son avis. Tu sais, Lucius... Tu devrais arrêter de te laisser faire.

Lucius se détourna aussitôt, mal à l'aise.

– Tu te rends compte de la manière dont il te traite ?

– Il a raison d'agir ainsi, soutint Lucius. Il m'endurcit, il me prépare. C'est grâce à lui que je suis à cette place, aujourd'hui.

– Oh non, Lucius, je t'en prie... Ta réussite, c'est à ton travail acharné que tu la dois ! À tout le temps que tu y as consacré ! Et maintenant, tu es le maître des lieux, tout autant que lui... Garde à l'esprit que tu pourrais le chasser, si tu le voulais !

– Jamais je ne ferais une chose pareille, protesta Lucius. Je lui ai déjà causé assez de tort...

Il s'interrompit, les lèvres pincées. Narcissa fronça les sourcils, sceptique.

– Je te demande pardon ?

Lucius détourna son regard, et ses pensées semblèrent dériver vers de lointains souvenirs.

– De quoi parles-tu, Lucius ? insista Narcissa. Tu as toujours été un fils exemplaire... Bien trop exemplaire, selon moi.

Lucius continua de fixer le mur pendant quelques secondes, puis reporta son attention sur Narcissa.

– Je n'ai pas très envie d'en parler maintenant, soupira-t-il.

Narcissa en fut désappointée, mais elle jugea que Lucius avait déjà essuyé suffisamment de réprimandes et décida de ne pas insister davantage.

– Parlons plutôt de ce Volde... Enfin... Ce Tu-Sais-Qui, reprit Lucius. Qu'en penses-tu ?

Ils se faisaient face, tout proches, assis sur les édredons moelleux. Chacun observait avec attention le comportement de l'autre, guettant le moindre signe d'assentiment ou de désaccord.

Après des mois d'ennui et de lassitude, l'esprit de Narcissa s'était remis en marche. Plus que jamais, elle refusait de prolonger cette situation où Lucius était absent et obéissait à son père à la baguette. Il fallait changer cela. Par n'importe quel moyen.

– Je suis partagée, dit-elle prudemment.

Elle hésitait à parler. Elle avait peur : peur de Voldemort et de le rencontrer à nouveau, bien sûr, mais encore davantage de ce qu'il pourrait lui faire, à elle qui connaissait leur repaire, qui avait vu les visages des Mangemorts, qui connaissait la plupart de leurs noms depuis le jour où Bellatrix l'avait emmenée dans le sous-sol du Serpent qui Fume. À ce moment-là, Narcissa n'avait pas songé aux conséquences de cette rencontre, mais depuis que Cassandre Shelby avait été assassinée dans sa propre demeure, elle avait commencé à craindre pour elle-même. Il ne faisait aucun doute que les Mangemorts ne tarderaient pas à considérer qu'elle en savait trop, et qu'elle représentait donc une menace à éliminer. Bellatrix la protégerait sans doute, mais pour combien de temps ?

Quant à l'aspect global de la guerre, Narcissa ne s'y était jamais réellement intéressée, trop préoccupée par ses propres soucis. Elle n'avait jamais mesuré la gravité de ce qui se tramait, et l'idée que des gens pourraient perdre la vie à cause de la décision qu'ils étaient en train de prendre ne l'effleura même pas.

– Avant tout, je voudrais te dire quelque chose, dit-elle. Quelque chose que j'aurais dû te dire depuis longtemps.

Lucius ne cilla pas. Ses yeux pâles la fixaient avec intensité.

– Je sais où trouver Tu-Sais-Qui, avoua-t-elle. Je sais où les Mangemorts se réunissent.

Lucius fronça les sourcils.

– Comment cela ?

– Grâce à Bellatrix. Elle combat à leurs côtés depuis des années. Un jour, peu après la mort de ma mère, elle m'a menée jusqu'à leur lieu de rendez-vous. Elle voulait que je me joigne à eux.

– Attends, attends... Tu y es allée en personne ?

– Oui.

– Tu as rencontré les Mangemorts ? Tu as vu leurs visages ? Tu connais leurs noms ?

– Oui, certains...

– Bellatrix voulait que tu te joignes à eux ?

– C'est cela.

– Et tu as refusé ?

– Oui. Cela me répugnait.

Lucius plissa les yeux, de plus en plus attentif.

– Je sais que j'aurais dû t'en parler plus tôt, mais je n'y ai pas vraiment accordé d'importance, à ce moment-là. Et depuis, je n'y ai pas beaucoup repensé.

Lucius hocha la tête, l'incitant à poursuivre.

– J'avais aussi terriblement honte, poursuivit Narcissa. Je n'en ai parlé à personne, pas même à Daisy. C'était un moment douloureux... Je voulais oublier tout ça.

– Je comprends, dit simplement Lucius. Mais ça ne répond pas tout à fait à ma question. À l'époque, donc, tu as refusé la proposition de Bellatrix. Mais aujourd'hui, qu'en penses-tu ?

Narcissa ne savait pas quoi répondre. Que pensait-elle ? C'était une bonne question. Cela faisait bien longtemps qu'on ne lui avait pas demandé son avis pour quoique ce soit. Que pouvait-elle bien penser, depuis son grand manoir isolé de la réalité, alors que Lucius se tenait chaque jour informé de tous les enjeux de la guerre qui se préparait ? Après tout, ce qu'elle pensait de la situation n'avait pas réellement d'importance. Contrairement à elle, Lucius était avisé et infaillible. Il fallait s'en remettre à lui. C'était là l'ordre des choses.

– Quoique nous fassions, je veux que nous le fassions ensemble, dit-elle finalement.

Elle avait parlé calmement ; et pourtant, elle sentait son cœur battre avec force dans sa poitrine, résonner dans ses tempes, comme s'il essayait de protester. En face d'elle, Lucius acquiesça. Ses yeux pâles brillaient de plus en plus fort.

– Dis-moi ce que tu comptes faire, proposa Narcissa. Il me semble que tu as déjà ta petite idée là-dessus.

Lucius se redressa, pressa sa main dans la sienne. Il prit son temps, choisissant soigneusement les mots qu'il s'apprêtait à prononcer. Narcissa sentit les battements de son cœur accélérer la cadence.

– J'ai longtemps été partagé, dit-il. J'avais du mal à envisager l'idée de rejoindre un clan de brigands et de malfaiteurs, mené par un mage noir d'une puissance incertaine... Mais aujourd'hui, avec les nouvelles informations que je possède... Oui, je pense que nous rapprocher de Tu-Sais-Qui peut nous être profitable. Je pense qu'il aura de bonnes raisons de nous écouter, et que nous pourrions influencer ses décisions pour servir nos intérêts. Et surtout... Je pense que cela nous mettrait à l'abri de toute menace.

Il parlait avec une diction impeccable, assuré et séduisant, exposant un argumentaire aussi éloquent que superflu : Narcissa était déjà vaincue. Lucius avait raison – il avait toujours raison, de toute manière. Il ne se trompait jamais, ne commettait aucune erreur. Il savait toujours exactement ce qu'il fallait faire, en toutes circonstances.

– Tu sais tout cela mieux que moi, murmura Narcissa lorsqu'il eut terminé. Ta décision sera la bonne, j'en suis certaine.

Lucius lui sourit avec tendresse. La victoire était proche.

– Je ne veux pas te brusquer, dit-il. C'est vrai que c'est une décision un peu précipitée. Mais après avoir discuté avec Rosier, Nott, Parkinson... Et avec mon père... Je pense qu'ils ont raison. Je pense que c'est le choix le plus sûr.

Il baissa ses yeux pâles vers le ventre de Narcissa et l'effleura d'une main affectueuse.

– Je veux dire : le plus sûr pour nous deux... mais aussi pour notre future descendance. Quand le moment sera venu. Et il viendra, je te le promets.

Narcissa acquiesça, soudain émue.

– Je te fais confiance pour cela, dit-elle en posant sa main sur celle de Lucius.

Lucius lui caressa le ventre, radieux. Narcissa lui prit la main, l'embrassa sur le bout des doigts et se pencha vers lui, le sourire aux lèvres.

– Dois-je comprendre que tu approuves mon plan ? sourit Lucius.

– Disons plutôt notre plan, corrigea Narcissa.

N'y tenant plus, ils s'embrassèrent tendrement, puis de plus en plus avidement. Lucius passa une main sur sa joue, derrière son oreille, dans sa nuque. Puis il pressa sa peau le long de ses cuisses, de ses hanches, de son ventre. Narcissa déboutonna sa chemise avec habileté et l'embrassa dans le cou, où son souffle chaud le fit frémir d'impatience.

Et tout en s'embrassant, ils se dévêtirent mutuellement et s'unirent aussi étroitement que possible, heureux de se retrouver enfin.


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