Lettockar, tome 2 : La Cour des Mirages
19. Les douches communes
Le lendemain après-midi, ils avaient cours de métamorphose. Aujourd'hui, chaque élève avait un bocal rempli d'eau sur son pupitre : ils devaient transformer les poissons rouges qui y nageaient en nœuds papillon. Malgré tous ses efforts tout au long du cours, Kelly ne brilla guère : son nœud avait toujours une nageoire caudale qui barbotait nerveusement dans l'eau. Elle renonça à obtenir un résultat plus satisfaisant ; il ne restait que trois minutes avant la fin du cours. Laps de temps qu'elle passa en scrutant distraitement le paysage par la fenêtre… quand quelque chose attira son regard.
L'immense porte d'entrée s'était ouverte lentement, et deux silhouettes descendaient nonchalamment le bref escalier de pierre qui constituait le parvis du château. C'étaient Doubledose et le professeur Dumbledore. Les deux mages bifurquèrent sur leur droite, et se mirent à déambuler dans le parc l'un à côté de l'autre, s'éloignant des quelques élèves qui s'y promenaient également. Une épaisse fumée entourait Doubledose, signe qu'il fumait un de ses éternels cigares.
Kelly se contracta. Elle ne pouvait les entendre, mais elle devinait que les deux directeurs étaient plongés dans une intense discussion. Elle voulut aussitôt en savoir plus : il y avait de fortes chances qu'ils parlassent de ce qui se passait à Poudlard, ou bien dans le monde de la sorcellerie en général. Hélas, trop captivée par le dehors, elle ne vit pas que le professeur McGonnadie avait remarqué qu'elle ne suivait plus le cours ; tout comme elle ne le vit pas agiter sa baguette en direction de son bocal. L'eau en jaillit tel un raz-de-marée miniature et lui aspergea violemment la tête et le visage. Dégoulinante, Kelly se mit à tousser. A son regard outré, McGonnadie déclara en guise de réponse :
- Pour t'apprendre à rester concentrée.
Puis il tourna le dos et s'en alla livrer ses derniers commentaires sur les prestations des autres élèves et leur ôter des points à tour de bras pour des broutilles.
- Pauv' con... marmonna Kelly à voix basse en essorant ses cheveux au-dessus de son bocal vide.
Après la fin du cours, elle prétexta devoir se rendre à la bibliothèque pour terminer un devoir d'histoire afin de ne pas suivre ses camarades dans leur salle commune. En fait, elle se rua au troisième étage : il y avait un moyen de savoir ce que Dumbledore et Doubledose se disaient.
Après avoir donné le mot de passe au tableau de l'oasis, Kelly pénétra dans la Cour des mirages qui, à cette heure-ci, était déserte. La Boule de Curcumo, en revanche, était bien là, légèrement scintillante, reposant sur son piédestal. Kelly était contente qu'il n'y ait personne du groupe : les chefs préféraient que la Boule ne soit pas utilisée pour autre chose que la localisation des Reliques des Fondateurs, alors il valait mieux qu'il n'y ait aucun témoin de ce qu'elle allait faire maintenant.
Légèrement anxieuse, Kelly retroussa ses manches et posa doucement ses mains sur la Boule. Puisqu'elle savait précisément où se situait ce qu'elle voulait voir, le pouvoir de la Relique s'activa beaucoup plus rapidement et facilement. Comme à chaque fois, les innombrables points blancs sur sa surface se mirent à briller de mille feux, et l'esprit de Kelly fut comme éjecté hors de son corps, quittant brutalement le local de l’OASIS.
Son champ de vision fut d'abord occupé par une image de la tour d'Ornithoryx. Puis, comme si Kelly avait des ailes, elle descendit en piqué vers le parc, pour se retrouver pile en face des deux directeurs, qui se promenaient toujours. La vision de Kelly suivait leurs mouvements. Dumbledore marchait les mains jointes derrière le dos, sa robe pourpre ondulant avec grâce, et semblait à la fois serein et affairé. Doubledose le regardait du coin des yeux, soucieux lui aussi. Les lèvres des deux hommes bougeaient, mais Kelly n'entendit d'abord que des voix caverneuses et inintelligibles. Ce ne fut qu'au bout de quelques secondes qu'elle put entendre distinctement Doubledose dire de sa voix rocailleuse :
- … bien eu quelques bribes d'informations, mais on a jamais su précisément ce que cette Ombrage foutait à Poudlard…
- Et bien, avant de me prendre ma place de directeur, elle cumulait deux fonctions, répondit Dumbledore. Celle de professeur de Défense contre les Forces du Mal et celle, créée spécialement par le ministère de la Magie, de Grande Inquisitrice de Poudlard.
- Je sais pas quel titre me fait le plus gerber, dit très tranquillement Doubledose. Et Grande Inquisitruc, ça consistait en quoi ?
- Veiller à ce que Poudlard remplisse ses devoirs selon les critères du ministère de la Magie. Pour cela, elle a multiplié des « Décrets d'éducation » qui ont petit à petit modelé le règlement de l'école à sa convenance. La plupart du temps, elle inspectait les cours de mes professeurs, pour voir s'ils avaient le niveau et la personnalité requis, et si leurs enseignements étaient adaptés à l'âge des élèves, restaient dans les conventions dictées par le ministère et se déroulaient en parfaite sécurité...
Doubledose eut un ricanement malveillant.
- J'aurais beaucoup aimé la voir inspecter un cours de Fistule, ça aurait été mémorable…
- A vrai dire, pendant quelques secondes, j'ai songé à l'emmener ici avec moi, au moment où je me suis téléporté depuis mon bureau grâce à Fumseck, dit Dumbledore, les yeux pétillants.
- Mais pourquoi vous l'avez pas fait ? soupira Doubledose avec un sourire carnassier. On se serait bien marrés, et vous aussi !
- Peut-être, mais l'heure n'est pas vraiment à la plaisanterie, Niger.
Dumbledore avait interrompu sa marche en disant cela, le ton soudainement grave. L'expression de Doubledose redevint aussitôt très sérieuse. L'air pensif, il expulsa de sa bouche quelques ronds de fumée avant de demander :
- Que fait Voldemort, actuellement ?
- Il reforme discrètement son armée, répondit Dumbledore. La plupart des Mangemorts sont revenus vers lui, mais il ne se cantonne pas aux humains : ce n'est qu'une question de temps avant que les Détraqueurs d'Azkaban ne se joignent définitivement à lui, et il a d'ores et déjà envoyé ses ambassadeurs auprès des loups-garous et des géants…
- Et vous, alors ?
- J'essaie de faire de même. Mon agent parmi les loups-garous, Remus Lupin, fait de son mieux pour dissuader ses semblables de se joindre à Voldemort… La tâche n'est pas facile, vous vous en doutez : pour des individus évités et rejetés impitoyablement par la communauté des sorciers, les discours enflammés de Voldemort qui leur promet une révolution et un bain de sang s'ils viennent grossir les rangs de son armée sont très tentants…
- Tu m'étonnes, dit Doubledose d'une voix lugubre. Et les géants ?
- L'été dernier, j'ai envoyé mon garde-chasse, Rubeus Hagrid, ainsi que notre chère confrère Madame Maxime, parlementer avec le Gurg de ce qui reste des géants pour qu'ils soutiennent notre cause. Mais j'ai bien peur qu'encore une fois, les Mangemorts se soient montrés plus convaincants...
Dumbledore plissa les yeux, apparemment surpris, et dit d'un ton prudent :
- Je m'étonne qu'Olympe ne vous ait pas parlé de ça...
- Vous savez, vous êtes le directeur avec qui Lettockar a les contacts les plus fréquents, Albus. C'est vous dire à quel point j'ai pas beaucoup de nouvelles des autres… répondit le balafré d'un ton joyeux.
- Je vois, mais cela peut nous porter préjudice. Il y en a précisément un dont nous devons nous méfier…
- On a déjà pris des mesures pour ce bouffon de Karkaroff, l'interrompit Doubledose. En fait, le jour même de sa première visite à Lettockar, après son intronisation comme directeur de Durmstrang, on l'a forcé à faire un Serment Inviolable. Il a interdiction de révéler à qui que ce soit l'existence de l'école, sous peine d'en crever. Or, vu qu'il a même pas eu les couilles de revenir vers Voldemort après sa résurrection, je le vois mal donner sa vie pour lui livrer cette information, vous croyez pas ?
- Oh, lâcha Dumbledore, les yeux ronds. Et bien, je n'approuve pas vraiment ces méthodes agressives, mais…
- Les guerres ne se gagnent pas à coups de bons sentiments, Dumbledore, je vous l'ai déjà dit, coupa sèchement Doubledose.
Pour toute réponse, Dumbledore détourna le regard. Doubledose laissa tomber le mégot de son cigare au sol et l'écrasa sous sa chaussure.
- Ce qui m'étonne, marmonna-t-il, c'est que cette année, Voldemort n'ait pas fomenté un énième plan foireux pour buter Harry Potter…
- Il n'a aucun intérêt à la mort de Harry, ces derniers temps…
Kelly entendit alors la voix de Dumbledore s’estomper, se perdre au loin, pour devenir inaudible. En même temps, sa vision devint plus floue… elle comprit que le pouvoir de la Boule de Curcumo lui échappait…
« Non, non, me lâche pas ! S’il te plaît, encore un peu... » pensa-t-elle avec force.
Au prix d’un grand effort, elle parvint à reprendre le fil de la conversation et entendit Doubledose demander :
- Alors il fouille dans la cervelle de Potter ? Et pourquoi ça ?
- Je n'ai aucune certitude, mais je le soupçonne de chercher à espionner l'Ordre du Phénix, dit Dumbledore d'un air sombre. C'est pourquoi Harry suit une fois par semaine un cours d'occlumancie avec mon professeur de potions, Severus Rogue, pour faire barrage aux incursions de Voldemort dans son esprit.
- Rogue ? Vous confiez un gamin que Voldemort cherche à manipuler à un ancien Mangemort ? Vous vous foutez du monde ? le railla Doubledose.
- J'ai une totale confiance en Severus Rogue, Niger. Et vos sarcasmes n'y changeront rien.
Et Dumbledore reprit sa lente marche. Agacé, Doubledose eut un reniflement sonore, puis emboîta le pas de son homologue. Les deux chefs d'établissement restèrent un instant silencieux, puis Dumbledore murmura enfin d'une voix triste :
- A vrai dire, le véritable problème à ce cours d'occlumancie, c'est que Harry et Severus… ont une relation difficile…
- Tiens donc ? Pourquoi ?
Mais Kelly n'entendit jamais la réponse. Sa vision se stoppa d'un seul coup et son esprit revint aussitôt dans son corps, dans le QG : elle avait perdu le contrôle de la Boule. Il faut dire qu'elle n'avait pas une connexion avec elle aussi étroite que celle qu'avait Peter…
Lâchant la Relique, elle fit quelques pas en arrière. Elle se sentait étrangement fatiguée. Les muscles de ses bras étaient légèrement engourdis, et elle entendait d'infimes acouphènes dans ses oreilles. Ses yeux se fermèrent malgré elle et elle bâilla comme un ours ; elle aurait bien fait une petite sieste, si elle n'avait pas eu un entraînement de Crève-Ball à 16 heures…
Aujourd'hui, il concernait uniquement les Crevards et les Épuisatiers ; par conséquent, Iossif Cvetkev leur avait épargné le fait d'avoir à s'entraîner sur la planche basculante, et ils jouaient sur le terrain de terre. Pourtant, ils souffrirent atrocement durant cette séance : un orage éclata au bout d'un quart d'heure. Le sol se transforma rapidement en un vaste bourbier dans lequel Jorg, Rick et Bender furent si enlisés qu'ils manquaient de s'arracher la jambe à chaque fois qu'ils faisaient un pas. Depuis son balai, Kelly les entendait proférer des jurons plus imagés les uns que les autres, et était impressionnée qu'ils parviennent malgré tout à se lancer à la poursuite des boules numérotées que la machine crachait inlassablement.
Elle aurait aimé pouvoir affirmer que son poste d'Epuisatière était plus commode, mais il n'en était rien. Les lourdes gouttes de pluie frappaient comme des coups de marteau sur sa tête, et elle ne voyait pas à 10 mètres devant elle. En voulant attraper une balle fraîchement sortie marquée du chiffre « 10 », elle se cogna violemment contre Gudrun qu'elle n'avait même pas vu venir. Kelly tomba de son balai et s'effondra dans la boue, manquant de se faire trancher en deux au passage par le nodachi de Bender qui avait voulu crever la boule qu'elles avaient manquée. Elle se releva dans la douleur, couverte de terre, et remonta sur son balai presque à contrecœur.
Elle entendait très difficilement les instructions que Iossif leur criait depuis les airs, que ce soit à cause du bruit de la pluie ou des éclairs. L'un d'eux s'abattit sur un des buts alors que Kelly s'apprêtait à y lancer une balle. Effrayée, elle perdit le contrôle de son balai et alla se fracasser contre le poteau, et elle tomba une nouvelle fois par terre ; elle ne se cassa pas la colonne vertébrale uniquement parce que le monticule de gadoue qui faisait à présent office de sol amortit sa chute.
Seule Gudrun réussissait à voler correctement. A terre, Kelly la vit rattraper de justesse la balle qu'elle avait perdue avec son épuisette et, d'un tournemain virtuose, marqua un but dans la seconde qui suivit. Kelly était sincèrement admirative : rien, ni la pluie ni le vent, ne sapaient le moral de Gudrun. Au contraire, elle paraissait stimulée par ce défi ; elle redoublait d'efforts et d'enthousiasme. Elle seule parvenait à réaliser les stratégies que Iossif essayait de mettre en place.
Le vent glacial et la pluie torrentielle ne cessèrent qu'au bout d'une heure et demie, laissant échapper de très maigres rayons de soleil. Kelly avait eu le temps de chuter encore une fois à cause d'un catcheur tombé du ciel qui s'était jetée sur elle – elle avait intérieurement insulté Iossif qui avait tenu à activer le piège malgré les conditions déjà insupportables. Durant le dernier quart d'heure, elle zigzagua mollement dans les airs, se contentant de faire des passes aux autres Épuisatiers, n'étant elle-même plus capable de tenter le moindre but...
Enfin, Iossif siffla la fin de l’entraînement.
- Allez, j’pense que vous avez eu votre compte pour aujourd’hui ! Bravo à tous, au vu des circonstances, vous vous en êtes bien sortis. Donc au prochain entraînement, on réunit l'équipe au complet !
Depuis son balai, Kelly poussa un soupir de soulagement qui ressemblait davantage à un râle. C’était l’entraînement le plus éprouvant qu’ils avaient connu depuis le début de l’année : chaque muscle de son corps était fourbu, et ses yeux la brûlaient à cause de la transpiration. Entre l’averse qu’ils avaient subie pendant toute la séance, ses trois chutes qui l’avaient maculée de boue et la sueur qui faisait coller sa tenue de sport, Kelly n’avait plus qu’une seule envie : se décrasser. Tout à coup, depuis les airs, elle vit une énorme silhouette rentrer dans le stade et s’avancer à pas lourds vers eux. C’était Viagrid. Kelly atterrit précipitamment et rejoignit ses camarades, qui dévisageaient le gigantesque bonhomme avec une légère inquiétude. Ce dernier s’adressa à eux avec son éternelle mauvaise humeur :
- Les chiards, Madame Binouze m’envoie vous prévenir que vous ne pouvez pas utiliser les douches individuelles : y’a des canalisations pétées, elles ne seront réparées que demain.
- Mais comment on va se laver, alors ? questionna Jörg.
- Il va falloir utiliser les vieilles douches communes, répondit le demi-ogre.
- Les douches communes ? répéta Gudrun.
- Ouais, celles de l’ancien terrain de Crève-Ball. D’ordinaire on s’en sert pas, mais elles n’ont pas été enlevées et elles fonctionnent toujours. Elles sont prévues pour les cas d’urgence, comme maintenant.
- Mais… on ne va quand même pas se doucher tous ensemble, quand même ? intervint timidement Kelly.
- Ne sois pas débile, Kelly, répliqua Iossif. Les filles vont y aller d’abord, donc ensuite ce sera au tour des mecs.
- Euh… ouais mais quand même…
- On va pas y passer la nuit, grogna Viagrid. Allez, magnez-vous, on y va !
Kelly regarda un à un ses aînés avec un air mortifié, mais aucun ne réagit et ils suivirent le garde-chasse. Elle se rabattit vers Gudrun, mais celle-ci haussa les épaules et emboîta les pas des garçons.
Kelly n’eut d’autre choix que de les suivre ; il n’empêche qu’elle était angoissée et embarrassée. De nature, elle était extrêmement pudique. Elle n’avait aucune envie de se déshabiller et encore moins de prendre sa douche en compagnie de quelqu’un, même s’il était du même sexe qu’elle. Sur le chemin, elle essaya à nouveau de convaincre ses coéquipiers de faire autrement :
- Au pire, on n’a qu’à aller jusqu’à la tour de Dragondebronze, pour se doucher au château ?
- Mais non… dit Bender, agacé.
- En plus, Madame Binouze m’a dit que les anciennes douches ont été nettoyées exprès en matinée. Alors tu vas pas faire ta chieuse et tu vas y aller, rien que pour respecter le travail des elfes ! décréta Viagrid en buvant une gorgée de whisky.
- Tu te prends trop la tête, Kelly. Y’ a pas de soucis, on sera entre filles ! lui chuchota Gudrun.
- Tu as sans doute raison... dit-elle à mi-voix.
Ils parcoururent donc sans décrocher un autre mot les cinq cents mètres pour parvenir à la zone où s’érigeait jadis l’ancien terrain de Crève-Ball. Ce fut Iossif qui les y guida : Viagrid avait la mémoire trop ravagée par l'alcool pour se souvenir du chemin. Kelly s’était déjà rendue quelques fois à cet endroit, et elle s’était toujours demandé à quoi servait le petit bâtiment rectangulaire qui restait toujours fermé : elle avait à présent la réponse. Ses murs étaient d’un gris foncé peu engageant et on voyait clairement qu’il n’avait été utilisés depuis des années. Viagrid fouilla dans sa poche et en retira son habituel énorme trousseau de clefs. Il sélectionna une des plus rouillées et ouvrit la porte d’entrée.
- Allez les girls, à vous l’honneur ! proclama Iossif.
- N’y passez pas des plombes, hein, la nuit tombe ! lança Rick.
Gudrun et Kelly laissèrent leurs balais volants contre les murs de la bâtisse et s’y engouffrèrent. Les murs et le sol carrelé étaient d’un jaune très clair, contrairement au blanc crème des vestiaires actuels. L’intérieur était divisé en deux salles, séparées par un mur percé d’une ouverture de la taille d’une double porte : un vestiaire et, Kelly le devinait, la salle de bain. Les deux camarades posèrent lourdement leurs sacs – qui contenaient leurs tenues d’écolières – sur le long banc en bois contre le mur, et commencèrent à ôter leurs robes de Crève-Ball. Kelly, très pudique, fit bien en sorte de tourner le dos pendant qu’elles se déshabillaient. Elle était fatiguée, mourait d’envie de prendre une douche, mais chacun de ses gestes pesaient une tonne. Alors qu’elle enlevait à peine son tee-shirt, elle sentit sa camarade passer derrière elle. Un bref instant plus tard, elle entendit la tuyauterie s’actionner, suivi du bruit d’un jet d’eau qui tombait sur le sol dur. Elle se dépêcha de finir de se déshabiller, en se disant qu’il valait mieux ne pas trop faire poireauter les gars dehors, ni énerver Viagrid. Une fois ses derniers habits ôtés, elle expira longuement, saisit son gel douche et pénétra dans la salle de bain.
Gudrun se lavait tranquillement, passait ses mains dans ses cheveux pour éviter de trop les emmêler. Kelly vint à côté d’elle et un jet d’eau d’abord froid, puis tiède, puis chaud, vint l’arroser. Elle poussa un petit râle, à quoi Gudrun répondit « Ouais, moi aussi ». Kelly rit, elles s’échangèrent un regard complice puis le détournèrent. Cependant, Kelly eut plus de mal, tant elle n’était pas habituée à être vue nue par quiconque. Gudrun continuait tranquillement de se savonner. Kelly fit de même, mais de temps en temps, elle jetait des petits regards furtifs sur sa camarade, histoire d’affronter un peu sa peur et d’être plus à l’aise. Ce qui l’étonnait, c’était de voir un corps d’une fille de son âge, différent du sien, dénudé. Elle ne pouvait pas s’empêcher machinalement de comparer les différentes parties de leurs anatomies. Elle luttait intérieurement entre la curiosité qui la dévorait et le dégoût qu’elle ressentait à espionner sa camarade. Mais il fallait bien dire que les épaules musclées de Gudrun, ses jambes arquées, son ventre plat, attiraient inexorablement le regard de Kelly, à qui une petite voix dans sa tête murmurait qu’elle n’aurait pas souvent l’occasion de voir ça. Réalisant qu’elle n’aimait pas ce qu’elle était en train de faire, Kelly se gifla.
- Ça va pas, ma belle ? interrogea Gudrun.
- Je… quoi ? balbutia Kelly d’une voix plus grave qu’à l’ordinaire.
- Tu t’es prise quelque chose ?
- Euh… non non. J’ai juste la tête dans le cul !
Gudrun sourit en fronçant légèrement les sourcils, puis retourna à sa toilette. Kelly fit de même, tournant le dos à Gudrun, afin que cette dernière ne remarque pas qu’elle était rouge comme une tomate.
Le rhabillage fut silencieux. Kelly ne fut pas fâchée de mettre fin à ce bref instant d’embarras et de retrouver la présence rassurante de son uniforme scolaire. Elles quittèrent enfin le vestiaire : le ciel s’était légèrement assombri, et un vent calme et frais soufflait à présent dans tout le parc. Les garçons, dont certains s’étaient vautrés par terre en attendant Gudrun et Kelly, les accueillirent avec un vague sourire, gentiment moqueur. Il est vrai qu’elles n’offraient pas une vision très élégante : elles étaient encore toutes rouges, et leurs cheveux – qu’elles n’avaient pas eu le temps de sécher correctement – étaient raides et tombaient assez misérablement sur leurs visages. Viagrid se frotta les mains et déclara :
- Parfait. Allez les gars, à vous, et pas trop d’enculades, hein ! Les gonzesses, si vous voulez rentrer, vous avez le droit.
Kelly ne se fit pas prier. Elle reprit son balai et partit d’un pas vif en direction du château. Gudrun la rattrapa quelques secondes plus tard, pour son déplaisir – elle aurait préféré être toute seule. Kelly venait de vivre quelque chose de particulièrement dérangeant avec elle, elle voulait passer à autre chose très rapidement. Pour ne rien arranger, une fois qu’elles furent à bonne distance des garçons, Gudrun lui dit avec un sourire sincère :
- Tu vois, c’était pas si terrible !
- Euh… non, non, mentit Kelly. C’est juste que… j’ai pas l’habitude… Ça te fait pas bizarre, à toi ?
- Oh non. Avec Ludmilla, on se douche très souvent toutes les deux, donc j’ai aucun problème avec ça. C’est un peu comme un rituel, ça nous détend en fin de journée !
- Ah...
Rougissant bien malgré elle, elle accéléra le pas, devançant Gudrun et tâchant de mettre le plus de distance entre elles.
- Hé, attends-moi ! s’écria cette dernière quand Kelly fut à une vingtaine de mètres devant.
- Désolé Gudrun, mais j’ai vraiment froid, claironna-t-elle sans se retourner, improvisant une excuse. Je voudrais vraiment être revenue au plus vite dans le château.
- Roooh...
Kelly aurait même aimé courir, mais cela aurait paru suspect. Cependant, une fois qu’elle serait rentrée et qu’elle serait toute seule, elle s’efforcerait de faire le point et de comprendre ce qu’elle venait d’éprouver, ce qui avait bien pu lui passer par la tête sous ces foutues douches communes.