Lettockar, tome 2 : La Cour des Mirages
18. Un phénix à Lettockar
Près de deux mois passèrent. L’OASIS était toujours concentrée sur la recherche de la Cuillère de Lalaoud. Dans un premier temps, la fausse piste de Josette la Dyslexique avait fait rire tout le monde, mais ils avaient rapidement déchanté en se rendant compte qu’ils n’avaient pas avancé d’un pouce. Peter, connecté le plus souvent possible à la Boule de Bernardo Curcumo, était tiraillé entre la recherche de la Cuillère elle-même et la piste de la Tablette de l’Oujia, qui pourrait les aider… mais il craignait de perdre du temps en cherchant un objet supplémentaire alors qu’ils en avaient déjà trois extrêmement durs à localiser… d’autant qu’ils n’avaient pas beaucoup plus d’informations sur la mystérieuse Tablette que sur les Reliques des Fondateurs. Peter réussit à découvrir qu’elle se trouvait au milieu d’une espèce de grotte, une vaste salle grossièrement taillée dans la roche. Mais cet endroit, où se trouvait-il précisément ?
- Naomi, toi qui sait tout sur tout, tu as un avis sur la question ? demanda John, alors que le trio venait de sortir de la Cour des mirages après une des nombreuses séances de recherche de Peter.
- Oui, j’y ai réfléchi. Je pense que Lalaoud a caché la Tablette ailleurs qu’entre les murs du château, il y aurait trop de risques que les élèves tombent facilement dessus. Si elle l’a caché dans le domaine extérieur, ça n’est ni dans le Lago que vê longe, ni dans la Forêt Déconseillée : un type comme Viagrid l’aurait trouvée, il la connaît comme sa poche.
- C’est peut-être dans le désert ?
- Ce serait bizarre, contra Kelly. Elle aurait placé un objet qui indique l’emplacement de son temple dans le désert où ce temple se trouve déjà ? Non, ça colle pas. Par contre, elle pourrait être dans la Montagne Interdite, je l’ai déjà suggéré à Peter. Ça expliquerait la caverne qu’il voit dans la Boule de Curcumo. Et ça expliquerait pourquoi les élèves ont interdiction d’y aller...
- Sinon, Peter et Pavel craignent qu’elle se trouve dans un autre coin du Portugal, voire à l’étranger, rappela Naomi. Imène pourrait très bien être retournée dans son pays natal…
- Au Maroc, c’est ça ? Putain, ce serait bien notre veine, on pourra jamais la voir… dit John.
Alors, ils entendirent retentir derrière eux le bruit d’un objet métallique tombant à terre. Ils se retournèrent. Giovanna-Paola Martoni était juste derrière eux et ramassait maladroitement sa bouteille de jus de citrouille, ainsi qu’un flacon rempli d’une drôle de poudre. Ses yeux croisèrent une fraction de seconde ceux des trois comparses, avant qu’elle ne les détourne, l’air très fuyant. Kelly était certaine qu’elle les avait écoutés, ou au moins tenté de le faire. Instinctivement, elle effleura sa baguette magique dans sa poche, prête à lancer un mauvais sort ; et elle l’aurait fait si Doubledose n’était pas passé dans le coin juste à ce moment-là, la forçant à rester passive. Martoni en profita pour déguerpir dans l’autre sens. Kelly relâcha sa baguette, mais demeurait inquiète. Qu’est-ce que Martoni avait entendu, et qu’est-ce qu’elle avait compris ?
Le lendemain matin, il se produisit quelque chose de très bizarre. Alors que les trois amis étaient attablés à la Cantina Grande pour le petit déjeuner, des garçons de Dragondebronze de différents âges fixaient John avec insistance, un grand sourire aux lèvres, parfois en ricanant. Et ce n’était manifestement pas parce qu’il venait de leur raconter la meilleure blague du monde. Plusieurs d’entre eux passèrent près de lui, pour lui lancer des choses comme « pas trop froid, John ? » ou « tu veux bien nous la refaire, demain matin ? ». Et à chaque fois, John répondait par un regard noir ou une grimace…
- Pourquoi ils te disent ça, John ? demanda Kelly.
Dans un premier temps, John resta silencieux, tortillant ses petits pains entre ses mains. Il dodelinait de la tête, en proie à une grande hésitation. Ce n’est qu’après avoir affronté un regard moqueur de Stephen Borntobewaïld qu’il consentit à répondre :
- Ben… c’est à cause de ce matin, quand je me suis réveillé. J’étais glacé parce que… quelqu’un, ou quelque chose a volé ma couverture pendant que je dormais.
- Hein ? fit Naomi. Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
- Et… c’est pour une couverture volée que tout Dragondebronze se fout de ta gueule ce matin ? questionna Kelly, ouvertement dubitative.
John se crispa un peu plus. Il ne put mentir très longtemps.
- Non. C’est parce que quand je me suis réveillé, j’avais aussi le caleçon baissé.
Kelly et Naomi eurent la même réaction : la bouche grande ouverte, les yeux écarquillés, elles lâchèrent un glapissement étranglé. La vision de John les parties à l’air devant tout le monde les frappa d’horreur.
- Mon dieu ! Mais alors… tout le monde t’a vu ? demanda Naomi un peu stupidement.
- A ton avis ? répliqua amèrement John. J’ai pas eu le temps de me rhabiller… en fait, j’ai été réveillé par les éclats de rire des autres.
- Oh non, mon pauvre John… gémit Kelly. C’est horrible, comment ça s’est produit ? Celui qui t’a fait ça est vraiment un connard ! Euh… j’suis désolée de t’avoir mal parlé, aussi, quand je t’ai demandé si c’était pour la couverture que… enfin… je t’aurais laissé tranquille si j’avais su, juré.
John haussa les épaules. Kelly l’avait rarement vu aussi humilié, même en prenant compte les cours avec McGonnadie. Elle lui caressa gentiment le dos. Tout à coup, Huffö Gray, qui était assis à côté de lui et qui avait écouté la conversation, s’approcha légèrement et dit d’une voix peinée :
- John, je voudrais m’excuser, parce que moi aussi, j’ai rigolé.
- T’inquiète pas, Huffö, c’est pas à toi que j’en veux, assura John. J’en veux à personne qui a rigolé, d’ailleurs. Celui à qui j’en veux, c’est celui qui m’a fait cette saloperie ! gronda-t-il d’une voix forte. Je jure que je vais le faire payer !
Huffö, Kelly et Naomi approuvèrent à grands coups de hochements de tête. De l’autre côté de la table, Ludmilla et Gudrun avaient écouté, elles aussi. Elles ne dirent rien par respect pour John, mais on les sentait embarrassées, elles aussi, et solidaires de lui. Soudain, Milosz débarqua en trottinant à la table de Dragondebronze et s’adressa à voix basse à John :
- Hé John ! J’ai retrouvé ta couverture, elle se trouvait dans les buissons contre le mur du château, tout en bas. Quelqu’un l’a sûrement balancé par la fenêtre. Suis-moi !
- Ah cool, merci Milosz ! dit John, en se levant de table, soulagé. Les autres, à tout de suite, je vous retrouve en cours.
Les deux garçons sortirent illico de la Cantina Grande. Et dès la fin de la journée, Huffö, Milosz et John se mirent en tête d’enquêter et démasquer celui qui lui avait joué ce tour de cochon. Même si bien sûr, ils n’avaient pas grand espoir. Bien que John assurait ne pas lui en tenir rigueur, Kelly s’en voulait de ne pas pouvoir l’aider, lui qui avait été avec elle jusque dans la Forêt Déconseillée chercher ses culottes. Car hélas, son emploi du temps ne le lui permettait pas…
Le dernier match de Crève-Ball de l’année, Dragondebronze contre Ornithoryx, approchait. C’était l’occasion pour Dragondebronze d’obtenir une quatrième coupe d’affilée, selon Iossif, qui se ne privait pas d’essorer son équipe à chaque séance. Kelly ne pouvait se permettre de rater aucun entraînement, et pourtant il y avait au moins une semaine par mois où elle se ferait bien porter pâle. Elle se souvenait de son premier entraînement alors qu’elle avait encore ses règles : un véritable cauchemar, et elle n’en avait pas terminé. La deuxième fois avait été aussi pénible que la première, aussi elle redoutait à présent ses prochains cycles… pour les 40 ans à venir, comme l’avait dit Madame Patatchaude.
D’un point de vue tactique, Iossif s’était rangé à la stratégie de Gudrun : « objectif 0 balle perdue », un maximum de buts marqués. De fait, il misait beaucoup sur les Épuisatiers, qu’il convoquait plus que tous les autres joueurs en séance spéciale pour du travail de détail. Bien qu’il se prosternât volontiers devant Gudrun, il avait aussi de l’attention pour Kelly. Il la fit prendre conscience qu’elle avait développé son propre style de jeu. Bien que Gudrun était meilleure buteuse qu’elle, Kelly avait une plus grande agilité sur son balai : capable d’ingénieuses figures et acrobaties aériennes, elle savait surprendre par ses manœuvres inattendues et ses tours audacieux, et éviter bien mieux les chutes de mannequins catcheurs et les joueurs volants adverses. Selon Iossif, c’était une excellente chose, les Épuisatiers de Dragondebronze avaient des styles complémentaires, contrairement à ceux des autres équipes qui avaient un jeu uniforme et donc plus prévisible.
Lors d’un entraînement au complet deux semaines avant le match, le professeur McGonnadie vint inspecter l’équipe.
- Bien, bien, bien, ça m’a l’air solide, tout ça… déclara-t-il à la fin de la séance. Cvetkev, quelles sont nos chances, d’après toi ?
- Eh bien, répondit Iossif d’une voix pompeuse, on a une excellente force de frappe avec nos Épuisatiers et un soutien de qualité avec nos Indics : donc, on domine dans les cieux. Au sol, nos Crevards sont increvables, et nos Équilibristes parfaitement équilibrés. Donc, je ne vois pas ce qu’on peut craindre d’une équipe qui a perdu contre un adversaire qu’on a vaincu au premier match.
- Méfiance, mon cher, récusa McGonnadie. Je vous défends de vous relâcher une seule seconde, ce n’est pas parce qu’Ornithoryx a perdu contre PatrickSébastos qu’ils seront faciles à battre. Au contraire, vu le savon que leur a passé le professeur Fistwick, ils sont prêts à tout pour se rattraper. Je ne veux pas revivre le tristement célèbre match d’avril 1972… 240 à 9. Mon capitaine a fait une tentative de suicide juste après ça.
- Votre capitaine ? Parce que vous avez fait du Crève-Ball ? lui demanda Gudrun.
- Oui, quand j'étais en troisième et quatrième année ; ensuite, j'ai préféré laisser ma place quand je suis devenu préfet. J'étais Crevard.
- Et tu l’es toujours… ne put s'empêcher de marmonner Kelly.
- Tu as dit quelque chose ? lui lança McGonnadie en haussant un sourcil.
- Non, non, rien… et, hum... y'a d'autres profs qui ont fait du Crève-Ball ? demanda-t-elle pour changer de sujet.
- Oui, le professeur Morgana a été Épuisatière. Et le professeur Pourrave a été dans l'équipe de PatrickSébastos pendant 6 ans : il est unanimement considéré comme le plus mauvais Indicateur de toute l'histoire de Lettockar.
- Hein ? Mais alors pourquoi il est resté dans l'équipe pendant 6 ans ? dit Akira.
- Parce qu'à chaque match, le directeur de l'époque le changeait d'équipe, dit McGonnadie avec un rictus. Du coup, il faisait perdre le camp adverse en lui donnant des instructions sans queue ni tête. PatrickSébastos lui en était reconnaissant à chaque fois…
Il y eut un silence interdit, durant lesquels les coéquipiers se regardèrent les uns les autres d’un air médusé.
- En vrai, ça se défend, commenta Gudrun.
Kelly se demanda si cette position privilégiée n’avait pas conforté Pourrave dans son incapacité à donner des instructions correctes, car plus de vingt ans après, il ne s’était toujours pas amélioré. En effet, quelques jours plus tard...
- Kelly, John… on va bientôt franchir la Barrière de Dissimulation ! Et c’est interdit ! les avertit Naomi, anxieuse.
- Pourrave n’avait qu’à pas nous envoyer cueillir des plantes qui poussent aussi loin, rétorqua John avec amertume.
Kelly approuva John, rageuse. Leur professeur de botanique les avait envoyés chercher des fleurs de moly pour leur prochain cours. Or, il n’en poussait pratiquement plus à cette période de l’année, et le peu qu’il restait ne se trouvait que loin dans la Forêt Déconseillée. Encore une absurdité dont il était un grand spécialiste.
- Si ça s’apprend, les profs ne s’empêcheront pas de nous enlever des points, insista Naomi en grimaçant.
- Qu’ils aillent se faire mettre, fulmina John, les dents serrées.
Ils n’eurent pas d’autre choix que de poursuivre leur route. Ils devaient faire vite, ce serait bientôt l’heure du déjeuner. Effectivement, ils ne trouvèrent aucune fleur dans les limites autorisées et, malgré l’angoisse grandissante de Naomi, ils prirent le risque de sortir de la Barrière de Dissimulation. Après cinq minutes de recherche, ils tombèrent enfin sur un bouquet de molys et le cueillirent presque fébrilement, pressés de retourner à Lettockar.
- Allez, on a ce qu’il faut, dit Kelly. Maintenant, on s’en v…
Mais soudain, une énorme gerbe de flammes explosa en plein milieu de la forêt, faisant hurler John, Kelly et Naomi qui coururent à toutes jambes se réfugier derrière un épais tronc d’arbre. Ils entendirent ensuite des bruits étranges provenant de l’endroit qui s’était subitement embrasé. On aurait dit des battements d’ailes… Prudemment, ils firent un pas en avant pour voir de quoi il s’agissait.
Là où avaient éclaté les flammes voletait maintenant en cercle un magnifique oiseau, de la taille d’un cygne, aux plumes d’un rouge écarlate. Il avait une longue queue, semblable à celle d’un quetzal, de la même couleur dorée que son bec et ses serres. Il était baigné d’une aura mystérieuse et son plumage éclatant semblait rendre plus rassurante la sombre Forêt Déconseillée.
Il se posa alors sur l’épaule d’un vieil homme de haute taille, maigre, vêtu d’une extravagante robe de sorcier, avec une barbe démesurément longue et une cascade de cheveux argentés. Il regardait tout autour de lui par-dessus ses lunettes en demi-lune, de ses yeux d’un bleu éclatant qui respiraient l’intelligence. C’était Albus Dumbledore.
Surmontant son ébahissement, Kelly articula :
- Pr… professeur Dumbledore ?
Le directeur de Poudlard se tourna vers elle et, après un instant de surprise, son visage s’illumina d’un sourire ravi.
- Naomi, Kelly, John ! Mais quelle bonne surprise!
Bien que toujours hébétés, les trois adolescents, pris d’une bouffée de bonheur, se précipitèrent vers le vénérable sorcier. Rayonnant et même triomphant, il posa ses mains ridées sur leurs têtes d’un geste paternel.
- Je suis si heureux de vous revoir… Vous tombez à pic !
- Professeur Dumbledore… que faites-vous ici, si loin de Poudlard ? demanda Kelly, folle de joie.
Elle était surexcitée. Le magicien qu’elle admirait le plus était présent, et apparemment venu exprès à Lettockar. Elle espéra tout de suite qu’il allait rester longtemps.
- Disons que mon gouvernement m’a imposé un congé exceptionnel, répondit-il d’un ton dégagé. Et j’ai besoin d’un refuge quelques temps…
- Professeur Dumbledore… c’est un phénix ? demanda Naomi en montrant du doigt l’oiseau de Dumbledore.
- Tout à fait. Je vous présente Fumseck, un de mes plus fidèles amis.
Le grand volatile s’inclina alors, tendant sa tête vers eux. Kelly hésita, puis leva la main pour lui caresser la tête. Fumseck émit une sorte de hululement appréciateur, et aussitôt Naomi et John se mirent également à lui ébouriffer le plumage. Attendri, Dumbledore sourit et leur déclara :
- Chers enfants, j’ai besoin de voir votre directeur au plus vite. Pourriez-vous me faire entrer dans votre école ? J’ai besoin que quelqu’un m’autorise à passer la Barrière de Dissimulation. Vous savez comme moi que nul ne peut entrer à Lettockar sans y avoir été invité…
John, Naomi et Kelly se consultèrent du regard. Ils sentaient que leurs professeurs n’allaient pas être très chaleureux envers le directeur de Poudlard et qu’il y avait un risque à être ceux qui l’auraient amené dans le château. Mais ils n’allaient certainement pas refuser pour autant : la présence du professeur Dumbledore était bien trop enthousiasmante ! Ils acquiescèrent tous ensemble et John déclara :
- Il faut partir tout de suite alors, il y a du chemin jusqu’au château…
- Mais pourquoi perdre du temps à marcher, alors que j’ai ici même un moyen de transport bien plus rapide ? sourit Dumbledore en caressant le bec de son oiseau.
- Un moyen de transport ?
- Vous ne connaissez pas les extraordinaires pouvoirs des phénix ? Ils peuvent par exemple…
- Porter des charges extrêmement lourdes, acheva Naomi, les yeux ronds. Professeur Dumbledore, vous voulez dire que… que Fumseck va nous porter tous les quatre ?
- Mais certainement, affirma le vieil homme, radieux. Prenons-nous fermement par la main, vous allez voir.
Décontenancés, ils joignirent leurs mains. Dumbledore attrapa celle de Kelly et produisit deux sifflements aigus. Fumseck commença à battre des ailes, et quitta l’épaule de son maître. Au moment où il s’envolait, son maître lui saisit sa magnifique queue et, à la grande stupeur de Kelly, le phénix les souleva dans les airs avec une facilité déconcertante.
- Surtout cramponnez-vous bien, les prévint Dumbledore alors qu’ils s’élevaient de plus en plus haut. Je ne garantis pas de pouvoir rattraper in extremis trois personnes tombant d’aussi haut !
Ils furent très vite au-dessus des plus grands arbres et foncèrent droit vers le château. La terre défilait sous leurs pieds à toute vitesse. Même pour Kelly, qui avait désormais l’habitude de se déplacer dans les airs avec un balai, cette sensation était particulièrement bizarre et même effrayante, et elle préférait ne pas imaginer ce que vivaient John et Naomi qui n’étaient guère rompus à cet exercice.
Une fois passée la Barrière de Dissimulation, le château apparut. Le plan de Dumbledore avait fonctionné : invité par Kelly et ses amis, il pouvait pénétrer dans le domaine. Quand la forêt fut derrière eux, ils purent alors apercevoir des silhouettes au sol, sur l’herbe. Des cris en tout genre leur signalèrent qu’ils attiraient le regard. Kelly vit les élèves de Lettockar se rompre le cou à apercevoir cette chaîne humaine insolite, où trois de leurs très jeunes condisciples suivaient un vieillard, pour beaucoup inconnu, suspendus à la queue d’un oiseau aux couleurs tape-à-l’œil. Beaucoup les pointaient du doigt, d’autres éclataient d’un rire impressionné. Bien qu’elle fût secouée et que le vent lui fouettait le corps tout entier, Kelly sourit. Rien que pour cela, elle ne regrettait pas d’avoir choisi le moyen de transport du professeur Dumbledore. Une arrivée par les airs au bout d’un phénix, quoi de mieux pour mettre un peu de piment à Lettockar ?
Au fur et à mesure qu’ils descendaient, des élèves les suivaient en courant, apparemment désireux de les cueillir à leur arrivée. Par chance, la grande porte d’entrée était ouverte : ils purent donc atterrir directement au milieu du grand hall. Une masse d’élèves accourut de toute part : de l’extérieur du château pour ceux qui les avaient vu dehors, et de l’intérieur pour ceux qui les avaient aperçus par les fenêtres. Surexcités, ils se mirent à les féliciter pour leur entrée spectaculaire, à les interroger sur ce qu’il venait de se passer, et qui était donc ce mystérieux sorcier à l’air à la fois loufoque et à la fois si sympathique...
- Écartez-vous ! aboya alors une voix familière.
La foule se fendit, apeurée, pour laisser place au professeur McGonnadie qui s’approchait du quatuor avec un air stupéfait. Il s’arrêta devant eux et resta silencieux un instant, les balayant du regard. Puis, il ordonna à la masse des élèves :
- C’est bon, dispersez-vous.
De mauvaise grâce, les étudiants lui obéirent : tous savaient à quel point il avait la baguette magique légère. Néanmoins, beaucoup continuaient de jeter des regards fascinés à la petite bande et chuchotaient avec entrain à l’oreille de leurs amis. Le professeur McGonnadie croisa les bras et déclara de sa voix grinçante :
- Quand depuis ma fenêtre, j’ai entendu Pepino crier qu’il y avait Mary Poppins à Lettockar, j’ai compris qu’il y avait un excentrique dans le coup… Je ne pensais pas tomber sur le roi...
- J’ai pensé qu’il serait judicieux d’offrir une distraction à vos élèves, Poséidon, dit Dumbledore en s’inclinant légèrement. Leur quotidien doit être parfois un peu routinier, eux qui sont si loin de tout...
- Vous êtes quand même un sacré frimeur.
- Disons… inconventionnel. Poséidon, comme je le disais à Kelly, John et Naomi, j’ai besoin de voir le professeur Doubledose. Pouvez-vous m’annoncer à lui ?
McGonnadie se tourna vers ses trois élèves et plissa les yeux, calculateur. Bien que pas très rassurés, ceux-ci soutinrent son regard et ne cillèrent pas. Le professeur de métamorphose caressa sa moustache et dit :
- Vous avez le chic pour vous faire remarquer, tous les trois, à toujours vous trouver au bon endroit au bon moment… très bien Albus, je vais le prévenir.
Plongeant ses mains dans les poches de son manteau noir, il se rendit d’un air morne vers le bureau de son chef. Dumbledore le suivit brièvement des yeux, affichant une expression satisfaite. Puis, il revint vers Kelly, John et Naomi et engagea la conversation d’un ton chaleureux :
- Alors, dites-moi… comment allez-vous, depuis la dernière fois ? Vous vous en sortez, à l’école ?
- On se débrouille comme on peut… répondit John en haussant les épaules.
- Toujours à brandir le drapeau de la révolte ? ajouta Dumbledore, les yeux brillants.
- Mettez-vous à notre place, intervint Kelly d’un ton légèrement boudeur devant la légèreté avec laquelle Dumbledore semblait prendre ce sujet. Ça n’a pas changé depuis la dernière fois que nous nous sommes vus… On nous donne toujours autant de raison de se révolter ! Alors, pourquoi est-ce que nous courberions l’échine ? Il faut bien que nous nous défendions !
- Oh, je serais bien mal placé pour reprocher aux élèves de Lettockar de ne pas s’incliner devant l’autoritarisme de ses dirigeants, surtout au vu de ce qui se passe dans ma propre école, dit Dumbledore en lâchant un léger soupir, amusé par le visage de Kelly qui commençait à rougir.
- Ah bon ? Qu’est-ce qu’il s’y passe ? questionna-t-elle, intriguée.
Mais Dumbledore n’eut pas le temps de répondre, car ils entendirent un bruit sec et régulier se faire de plus en plus proche.
Clac. Clac. Clac.
Ils se retournèrent et virent le professeur Fistwick, appuyé sur sa canne dont les bruits de pas résonnaient dans le hall, qui les observait, une main dans le dos.
- Tiens, tiens, Dumbledore… marmonna-t-il avec un sourire en coin. Vous êtes sorti de Poudlard en dehors d’une période de vacances… qu’est-ce que ça signifie ? Ils se sont enfin décidés à vous virer ?
- Il semblerait, admit Dumbledore avec un sourire. J’ai eu le mauvais goût de prendre la défense de l’irrévérence de mes élèves devant mon propre Ministre de la Magie...
- Pauvre Albus, toujours occupé par vos minables querelles, dit Fistwick, les lèvres retroussées. Vous voyez que ça a des avantages d’être coupés du monde, on se fait pas emmerder par les bureaucrates…
Il dévisagea alors le trio d’un air soupçonneux, et interrogea Dumbledore.
- Comment êtes-vous entré ici ?
- Ce sont John, Naomi et Kelly qui m’ont trouvé à la lisière de votre domaine. Grâce à eux, j’ai pu passer la Barrière de Dissimulation, expliqua posément Dumbledore.
- Ah vraiment ? marmonna pensivement Fistwick. Et bien, vous trois, je pense que je vais retirer 20 points à Dragondebronze pour être sortis du domaine de Lettockar et y avoir fait entrer un étranger sans autorisation.
Les concernés l’assassinèrent du regard, scandalisés. Il était absolument ridicule qu’on puisse leur reprocher d’avoir fait entrer une personne aussi importante et qui, de surcroît, était parfaitement connue à Lettockar. Mais l’aversion de Fistwick pour les autres écoles avait visiblement pris le dessus sur son bon sens. Fumseck, le phénix, émit un piaillement de mécontentement. Dumbledore leva un sourcil et scruta leur professeur de sortilèges d’un air profondément méprisant.
- Votre orgueil mal placé vous infantilise, Fistule, sachez-le.
- Dumbledore ! héla une voix depuis les escaliers tandis que Fistwick rougissait de colère.
C’était le professeur McGonnadie qui était de retour. Kelly trouva qu’il s’était déplacé bien vite...
- C’est bon, Niger accepte de vous recevoir. Il vous invite à déjeuner dans son bureau. Ça vous va ?
- Je n’ai jamais pu refuser une invitation à manger, répondit aimablement Dumbledore. Je vous remercie.
- Et bah mangez vos morts ! persifla Fistwick, tout bas.
- Vous dites ? demanda Dumbledore.
- Rien, rien. Ah, Poséidon, Pepino vient de me dire qu’il avait vu la famille Totoro voler dans les airs. Il parlait de notre ami, ou il y a autre chose ? interrogea Fitswick en levant le menton.
- Totoro, rien que ça ? Vous devriez songer à perdre du poids, Albus, envoya McGonnadie à Dumbledore avec un sourire venimeux.
- Voilà une excellente idée, maintenant que je vais avoir du temps devant moi. Je vous souhaite une bonne journée à tous. Kelly, Naomi, John, merci encore, j’espère vous revoir plus tard !
Dumbledore gravit alors les marches et s’en alla d’un pas vif en direction du donjon de Lettockar, sous leur regard curieux. Tout à coup, le professeur McGonnadie aperçut un garçon et une fille d’Ornithoryx qui se tenaient tout près, et leur brailla :
- Zuma, tu es mal coiffée, 10 points en moins pour Ornithoryx ! Et toi Fischer, 10 points en moins parce plus je te vois, plus je trouve que t’as une tête de con !
- Mais qu’est-ce que tu fais ? s’exclama Fistwick, stupéfait, tandis que ses deux élèves ouvraient la bouche d’un air outré.
- Je t’ai bien vu enlever gratuitement des points à ma maison, répliqua McGonnadie avec hargne. Moi aussi, je peux le faire !
- Ah ouais ? s’écria Fistwick, furibond. Et ben moi, j’enlève 30 points à Dragondebronze parce que Powder n’a pas les yeux de la même couleur !
- Et moi, 30 points à Ornithoryx parce que vous avez perdu au Crève-Ball contre PatrickSébastos, et c’est franchement la honte !
- 50 points de moins à Dragondebronze parce que votre tour nous gâche la vue vers les montagnes !
- Venez, on s’en va, murmura Naomi, affligée.
Ils prirent congé des professeurs qui vociféraient inlassablement, s’ôtant impitoyablement des points pour des raisons de plus en plus abracadabrantes.
Le soir, au dîner, Dumbledore avait pris place à la table des professeurs, juste à côté de Doubledose. Il était au centre de l’attention de toute la salle. Les élèves ne le quittaient pas du regard, intéressés voire admiratifs, se chuchotant des paroles surexcitées. Avant que la nourriture ne soit servie, Doubledose se leva et réclama l’attention de tout le monde.
- J’ai plusieurs annonces à faire ce soir. Premièrement, vous aurez remarqué que nous avons un invité. Le professeur Dumbledore va loger quelques jours à Lettockar, le temps pour lui de s’occuper de quelques affaires personnelles. Je vous prierai de l’importuner le moins possible si vous le croisez dans le château.
Tandis que les élèves murmuraient toujours plus intensément, encore plus intrigués par sa présence sur laquelle on ne leur fournissait guère d’explication, Dumbledore sourit et s’inclina légèrement vers Doubledose, sans prêter attention au professeur Jar Jar Binns qui avait laissé échapper une petite exclamation dédaigneuse. Doubledose répondit par une sorte de grognement.
- Deuxièmement, les élèves de Dragondebronze et d’Ornithoryx auront remarqué que leurs maisons ont perdu quelques 220 points sur le temps de midi, suite à une altercation entre les directeurs, reprit-il, indifférent à Fistwick et McGonnadie qui se fusillaient du regard.
Doubledose s’éclaircit la gorge.
- Il faut être honnête, il n’est pas très juste que vous soyez pénalisés parce que vos professeurs sont des peigne-culs. Malheureusement, on ne peut pas réattribuer 220 points à deux maisons sans raison valable : donc le seul moyen de rééquilibrer les scores, c’est d’enlever le même nombre de points aux deux maisons restantes.
Des murmures abasourdis s’élevèrent des tables de Dragondebronze et d’Ornithoryx, vite remplacés par des cris de protestations des élèves de PatrickSébastos et Becdeperroquet. Sans sourciller le moins du monde, Doubledose scruta toute la Cantina Grande et débuta :
- C’est parti… Pour commencer, j’enlève 20 points à Becdeperroquet parce qu’il fait trop sombre dans leurs quartiers et que c’est pas pratique pour faire le ménage. Ensuite, 20 points sont retirés à PatrickSébastos parce que vous avez gagné au Crève-Ball contre ma maison. Petrov, je suis sûr que t’as grossi du cul, ça mérite bien 30 points en moins pour Becdeperroquet. Toi, là, 50 points en moins à PatrickSébastos parce que tu ressembles à la Kagoule et que ça m’énerve...
- Mais c’est n’importe quoi ! s’écria un élève de première année de Becdeperroquet.
- Et bah tiens, 30 points en moins à parce que tu contestes !
Et Doubledose poursuivit sa razzia de points, invoquant, à l’image de McGonnadie et Fistwick, des prétextes tous plus absurdes les uns que les autres. Grog et Pourrave, dépassés par les événements, se regardaient d’un air médusé. Kelly, depuis la table des Dragondebronze, échangea un regard complice avec Dumbledore qui souriait jusqu’aux oreilles et avait l’air de s’amuser beaucoup.
Kelly n’en revenait pas tellement tant sa simple arrivée avait déclenché un réjouissant chambardement à Lettockar…