Promesse de sang

Ce fut avec beaucoup d'incrédulité que Severus entendit Dumbledore pester après Harry Potter devant lui, sans le moindre complexe. Il ressassa pendant presque une dizaine de minutes les propres reproches de son maître des potions, transformant le petit héros qu'il avait voulu modeler en un gamin égoïste et suffisant.

Avec un léger choc, Severus se rendit compte qu'à une époque, il aurait foncé tête baissée sur l'occasion et il aurait profité de ces mots cruels pour malmener encore plus le garçon.

Il afficha une grimace écoeurée, ce qui sembla donner des ailes au directeur. Pour une fois, cependant, Severus n'en voulait pas à Potter. Il ouvrait les yeux sur ses propres péchés et sur son idiotie qui l'avait amené à se prosterner devant un second maître juste après avoir pris la marque.

Des années d'entraînement lui permirent de garder son calme et de répondre d'un ton tranchant aux exigences du vieil homme. Dumbledore voulait Potter, livré pieds et poings liés. Il marmonnait cherchant où le gosse avait pu se cacher et Severus leva un sourcil concerné, ne retenant même pas son mépris.

— Pourquoi pas chez sa famille moldue ? Il y est traité comme un coq en pâte, non ?

Il avait des soupçons sur ce point et c'était l'occasion en or pour s'assurer de ce que Dumbledore savait ou non. Le vieil homme pinça les lèvres et détourna le regard, aveu de culpabilité suffisant pour Severus. Finalement, Dumbledore grogna.

— Je ne pense pas. Il… ne semble pas satisfait de la façon dont il est traité.

Severus grogna à son tour, laissant Dumbledore penser que c'était au sujet de l'ingratitude de Potter. Il hésita avant de décider de prendre un risque calculé.

— Chez son chien galeux de parrain ? Je peux y passer si vous le souhaitez.

Dumbledore souffla et secoua la tête.

— Non plus. Il ignore qu'il en a hérité. Il pense que c'est cette chère Bellatrix qui va récupérer la maudite baraque. Je ne l'ai pas détrompé pour ne pas le laisser penser qu'il pourrait avoir un endroit où aller en cas de caprice… Non, je pense que nous devrions chercher du côté de ce maudit Malefoy. Harry est… une tête brûlée, mais il est incapable de prendre une décision seul. Vous le connaissez, il manque de bon sens. Dans leur petit duo, c'est forcément ce Mangemort raté qui décide de tout.

Severus en grinça presque des dents, alors qu'il se demandait si Dumbledore avait déjà parlé de lui de cette façon à d'autres personnes.

Probablement.

Il avait été ce Mangemort raté à une époque, alors qu'il était perdu et désespéré… la seule différence était que lui n'avait pas eu un Harry Potter prêt à lui tendre la main et à lui offrir une seconde chance. Il n'avait eu personne pour le défendre et le guider, pour l'empêcher de s'enfoncer dans ses erreurs et dans la culpabilité.

Le maître des potions se força à cacher sa colère, mais il ne put s'empêcher de grimacer lorsqu'il posa la question suivante.

— Vous pensez que Drago Malefoy aurait pu le piéger pour le livrer au seigneur des ténèbres ?

Dumbledore soupira en lissant sa longue barbe, probablement en essayant de calculer quelle réponse serait la plus bénéfique pour lui. Finalement, il haussa les épaules avec un ricanement désabusé.

— Qui sait ? Après tout, il est un Serpentard, n'est-ce pas ? Empli de duplicité et prêt à tout pour un peu de gloire…

Severus se renfrogna, mais il ne broncha pas. Dumbledore était parfaitement conscient de l'avoir insulté et mieux valait pour lui rester silencieux. La moindre protestation de sa part serait immédiatement sanctionnée par un rappel de la longue liste de ses péchés, et Severus n'était pas certain de pouvoir l'endurer sans tenter d'étrangler le vieux fou avec sa propre barbe.

À la place, il croisa les bras sur sa poitrine, les sourcils froncés, et attendit silencieusement d'être congédié.

Après de longues minutes à bouillir intérieurement tout en affichant un visage lisse de tout sentiment, Severus fut finalement libéré d'un vague geste de la main. Au moment de passer la porte, Dumbledore le rappela.

— Severus ? Vous devriez aller faire un tour chez Sirius, effectivement. Par acquit de conscience.

Il ouvrit la bouche comme pour protester et la referma aussitôt en hochant nerveusement la tête. Avec un peu de chance, Dumbledore n'enverrait personne d'autre sur place. Dans le pire des cas, l'elfe acariâtre des Black se chargerait des indésirables… Il avait juste à s'assurer d'être prévenu au plus vite pour assurer les arrières des deux gamins.

De retour dans son bureau, il lui fallut un long moment pour se calmer. Heureusement pour les élèves, il n'avait plus de cours avant le lendemain… sans quoi, les points de chaque maison auraient connu une baisse drastique vu son état de nerfs.

Il était parfaitement conscient d'être un piètre professeur, partial et manquant de pédagogie et de patience. Il s'en moquait totalement cependant : il apprenait le minimum aux élèves, mais il n'avait pas l'intention de s'impliquer davantage.

Enseigner était la punition que Dumbledore avait trouvée pour lui faire payer d'être un Mangemort repenti. Certains jours, il envisageait sérieusement d'aller se livrer à Azkaban, persuadé que les Détraqueurs ne pourraient pas être plus cauchemardesques que les adolescents qu'il devait supporter à longueur de temps.

Sur les nerfs, Severus finit par se souvenir de ce que Kreattur lui avait apporté. Il était trop tard pour étudier tous les documents, mais il lui avait semblé voir quelques explications des deux gamins fugueurs.

Il reconnut sans peine l'écriture brouillonne de Potter et il lut les mots du jeune homme avec attention et curiosité.

En découvrant qu'ils avaient finalement découvert ce qui était arrivé à Régulus Black, Severus sentit son cœur se serrer. Ils n'avaient pas été amis tous les deux. Juste des connaissances. Ils étaient dans la même maison et ils étaient les cibles des Maraudeurs.

Malgré tout, Severus avait essayé de dissuader Régulus de s'engager chez les Mangemorts immédiatement, le pressant d'attendre un peu pour sa sécurité. Bien évidemment, Régulus ne l'avait pas écouté et il avait disparu trop vite pour qu'ils deviennent proches au sein des Mangemorts.

Sa disparition soudaine l'avait perturbé, parce qu'aucun des deux camps ne s'en était préoccupé. Voldemort avait été furieux de perdre un homme de main et Dumbledore avait déclaré que c'était une perte acceptable et sans importance.

Personne n'avait cherché à découvrir ce qui lui était arrivé et Severus savait que ce serait la même chose pour lui, s'il devait disparaître brusquement.