Guérir ensemble

Ils commandèrent plusieurs bièraubeurres, laissant les enfants jouer près d’eux et faire connaissance, continuant leur conversation décousue sans en être gênés. Entre eux, les silences semblaient avoir plus de sens que leurs mots, comme s’ils se décryptaient ou se réapprenaient.

En un clin d’œil, les dix années qui venaient de passer disparaissaient, alors qu’ils se retrouvaient, qu’ils reprenaient leurs habitudes de s’observer et de se défier. Cependant, il n’y avait ni haine ni colère. Ils souriaient et s’amusaient, appréciant ce timide embryon d’amitié qui ne demandait qu’à s’installer.

La nuit tombait presque lorsqu’ils se levèrent enfin pour rentrer chez eux. Lily s’était endormie contre Harry et il la tenait contre son torse, protecteur. Albus et Scorpius murmuraient, collés l’un à l’autre, visiblement devenus les meilleurs amis du monde durant les quelques heures où ils s’étaient découverts.

Ils se dévisagèrent une dernière fois, peinant à se séparer. Harry tendit la main, avec un sourire sincère, semblant être revenu à la vie pour quelques instants. Drago n’hésita pas cette fois, souriant lui aussi, sans quitter Harry des yeux.

   — Merci encore Malefoy. Pour Lily. Si tu as besoin… de quoi que ce soit, n’hésite pas à me contacter.

Le blond sourit, retenant la main chaude quelques instants.

   — Pareil pour toi, Potter. Si tu as besoin d’une potion… ou même de parler, ma porte t’est ouverte. Tu seras le bienvenu.

Harry cligna des yeux, légèrement surpris de l’invitation spontanée, et il hocha la tête. Presque malgré lui, il ne put s’empêcher de murmurer, presque avec ferveur.

   — Je ne compte pas te perdre de vue encore une fois.

Drago hocha la tête comme s’il était d’accord avec cette déclaration et ils se séparèrent, repartant chacun dans une direction différente à pas lents.

Le temps du trajet, Harry resta silencieux, serrant Lily autant que possible sans la réveiller et écoutant son fils lui parler de son nouveau meilleur ami. Il avait bu plus qu’à son habitude, sans pour autant être ivre. Il se sentait juste un peu grisé, comme si toute la fin de journée depuis la disparition de Lily était teintée d’irréalité.

Il décida qu’il était heureux d’avoir revu Malefoy et il espéra que c’était réciproque.

Lorsqu’ils arrivèrent dans leur petite maison, Albus Severus resta près de son père, l’aidant à préparer un dîner tardif, sans cesser de parler de Scorpius. C’était amusant de voir à quel point leur rencontre avait fait forte impression sur son fils et Harry se souvint de sa première visite dans le monde magique, lorsqu’il avait croisé Drago Malefoy pour la première fois chez madame Guipure.

Lui aussi avait été fasciné par ce garçon à la blondeur d’ange et si ce dernier n’avait pas insulté Hagrid, puis Ron les choses auraient pu être très différentes entre eux…

Il réveilla en douceur sa petite princesse pour que les enfants mangent et la petite fille cligna des yeux, encore perdue dans les limbes du sommeil. Une petite phrase de Lily, marmonnée en bâillant, le fit se figer, le cœur douloureux.

   — C’est cool. Scorpius il est comme nous, il a pas de maman.

Harry leva les yeux sur ses enfants, cherchant la moindre trace de tristesse ou de douleur, mais ils semblaient juste accepter la situation, comme un fait. Ça faisait partie de leur vie et ils s’en étaient accommodés, tout simplement.

Il se passa la main sur le visage en repoussant son assiette, soudain nauséeux et empli de culpabilité. La rencontre avec Drago Malefoy avait remué beaucoup de souvenirs du passé et il se sentait étrange. Il avait l’impression de se réveiller après un long sommeil et il n’aimait pas vraiment ce qu’il avait fait de sa vie. Le poids de ses erreurs pesait sur ses épaules plus que jamais alors que le brouillard qui l’avait entouré toutes ces années se dissipait peu à peu.

Cependant, il masqua son mal-être — avec les années il était devenu excellent pour dissimuler son état d’esprit réel — discutant tranquillement avec ses enfants, constatant que Scorpius et son père revenaient souvent dans la conversation. Lorsqu’ils eurent mangé, il les passa sous la douche, leur enfila un pyjama chaud et les envoya se coucher. Même si Lily avait pris un peu d’avance en s’endormant pendant l’après-midi, ça avait été une longue journée riche en émotions pour une si petite fille… et ses enfants étaient visiblement exténués.

Une fois les enfants couchés, il se laissa tomber dans son fauteuil et regretta de ne pas avoir d’alcool chez lui. Il aurait bien eu besoin de se noyer dans l’oubli, au moins pour la soirée… L’afflux de souvenirs le laissait aussi faible qu’un nouveau-né et hautement perturbé.

À la place, il se laissa aller en arrière et ferma les yeux, résigné à passer une nuit blanche, perdu dans le passé, pour éviter les cauchemars…

Harry ne pensait pas avoir de nouvelles de Drago Malefoy si rapidement. Cependant, il ne pouvait pas dire qu’il était réellement étonné venant de son ancien camarade. Après tout, le Serpentard n’avait jamais été vraiment patient.

Un hibou inconnu lui déposa un paquet alors qu’il préparait le petit déjeuner et il découvrait l’écriture douloureusement familière. Une fois encore, il fut assailli de souvenirs de Poudlard et il ferma les yeux, après avoir caressé les lettres soigneusement calligraphiées de son nom.

Il ne put s’empêcher de sourire en lisant les quelques mots, retrouvant le style incisif de Drago.

   « Je me doute qu’un père célibataire comme toi et moi n’a pas l’habitude d’abuser autant de la bièraubeurre, alors je t’envoie une potion contre la gueule de bois. Tu verras par toi même que je propose des potions d’une qualité excellente… DM »

Harry secoua la tête, amusé et il but la fiole avec reconnaissance sans se méfier un seul instant. C’était probablement étrange compte tenu de leur passé, mais il avait confiance en son ancien camarade. Le mal de tête qui lui battait les tempes était particulièrement désagréable et le petit cadeau de Malefoy était le bienvenu.

Il ferma les yeux et sourit largement en sentant les effets immédiats et bienfaisants, alors que son début de migraine s’estompait rapidement pour disparaître.