Guérir ensemble
Le temps passait, lentement. Monotone.
Harry s’éloigna des Weasley, surtout de Ron, petit à petit, sans s’en soucier. Ils lui reprochaient de ne pas partir à la recherche de Ginny, de ne rien faire pour la ramener et réparer leur couple.
Harry refusait d’aborder le sujet, mais il était clair qu’il ne ferait rien. Il avait signé les papiers du divorce sans sourciller et il avait ôté son alliance, sans la moindre émotion.
Pourtant, ce ne fut pas une cassure brutale dans les cris et les larmes. Ce fut plus insidieux, tout doucement, discrètement.
Il allait toujours aux regroupements familiaux, Molly l’invitait systématiquement, mais il restait un peu à l’écart, surveillant ses enfants jouer avec leurs cousines et cousins. Il ne passait plus « par hasard » et vivait sa vie sans se soucier d’eux.
Le jeune homme s’isolait et ne semblait reprendre vie qu’auprès de ses enfants. Le reste du temps, il se perdait dans sa tristesse, plongeant dans une dépression de plus en plus profonde.
Pourtant, il s’estimait heureux. Après tout, il était vivant, il avait la famille dont il avait rêvé. Il était un père aimant, très proche de ses enfants, prêt à tout pour les protéger et pour leur offrir tout ce qu’il n’avait pas eu. Bien qu’il soit seul pour s’occuper d’eux, Albus Severus et Lily Luna ne manquaient pas d’amour ou d’attention.
Année après année, Harry regardait ses enfants grandir avec fierté. Il était terriblement seul, incapable de se lier avec d’autres adultes, n’arrivant même pas à faire confiance à ses collègues. Il ne voyait Ron et Hermione que pendant les fêtes familiales désormais, et il y avait une fêlure entre eux qui semblait impossible à combler. Leur trio si soudé avait été rattrapé par la vie et ils avaient pris des chemins différents.
Après avoir âprement débattu avec Shakelbolt, Harry avait obtenu de ne plus avoir à venir à chaque commémoration de la fin de la guerre, refusant d’être exposé encore et encore chaque année, pour y entendre les mêmes discours et serrer les mêmes mains, de personnages hauts placés qui ne s’étaient même pas battus.
Il avait cependant accepté de participer au dixième anniversaire de la paix lorsque le moment serait venu, acceptant que le symbole était fort. Sa seule exigence était bien évidemment que ses enfants ne soient pas exposés, peu importait les désirs de la Gazette ou des sorciers.
*
Cette année, Albus Severus allait sur ses sept ans, alors que Lily Luna venait de fêter ses cinq ans. Harry profitait de quelques jours de vacances pour se promener sur le chemin de Traverse en compagnie des enfants, décidé à trouver le cadeau parfait pour sa petite princesse. Son fils le suppliait de leur prendre un animal — pourquoi pas un fléreur — et Harry refusait avec amusement, laissant le garçonnet supplier et argumenter, attendant de voir ce qu’il allait trouver comme raison vitale d’adopter une boule de poils… Il adorait l’imagination débordante de son fils et sa détermination à toujours vouloir négocier pour obtenir ce qu’il voulait.
Harry tenait la main des enfants, écoutant Albus Severus en souriant, quand une main se posa sur son épaule, le faisant sursauter. Il se tourna brusquement, poussant ses enfants dans son dos d’un geste vif, baguette en main alors qu’il faisait face à le personne qui l’avait abordé.
Il lui fallut quelques secondes pour que les battements de son cœur ralentissent et qu’il revienne à la réalité, alors qu’il avait un sort de défense sur le bout des lèvres, prêt à le lancer sur l’inconnu qui s’était imposé à lui si imprudemment.
Il se détendit légèrement en voyant les yeux écarquillés de l’inconnu, un homme d’âge mûr, un peu bedonnant dont le large sourire s’était mué en grimace craintive. Harry marmonna une vague excuse, gêné, alors qu’il notait le morceau de parchemin dans la main serrée de l’homme. Visiblement, il faisait face à un admirateur qui désirait un autographe de sa part.
Il s’excusa de mauvaise grâce, à la fois gêné de sa réaction trop vive et furieux que des inconnus se permettent toujours de l’aborder, tant d’années après la fin de la guerre, comme s’il était toujours la propriété du monde magique.
Il arracha presque le papier de la main de l’homme et griffonna son nom, les sourcils froncés, sans un mot. Il se refusait à être plus aimable, à l’encourager. Sa réputation lui importait peu, il aspirait juste à la paix.
L’inconnu sembla déçu, le fixant comme s’il attendait plus, comme s’il espérait quelque chose de différent du Sauveur, du garçon qui avait survécu pour tous les sauver. Mais Harry se retournait déjà, indifférent, oubliant l’homme pour repartir.
Albus Severus était juste derrière lui, un peu effrayé, agrippé à sa robe sorcière. Cependant, Lily Luna n’était plus là.
*
Depuis qu’elle savait marcher et qu’elle était assez grande pour tenir le rythme des enjambées de son père, Lily Luna savait qu’elle ne devait surtout pas s’éloigner. Elle avait l’habitude de tenir la grande main solide de son père et il ne lui serait jamais venu à l’idée de le lâcher.
Ce jour-là pourtant, la petite fille écoutait son frère plaider pour qu’ils adoptent un animal et elle piaffait presque d’impatience, consciente que leur père finirait par céder, lorsque son frère aurait terminé de donner tous ses arguments.
Lorsque son père sursauta soudain et la poussa brusquement derrière lui, en lui lâchant la main, elle échangea un regard perplexe avec son frère et attendit sagement, sans vraiment comprendre ce qui se passait. Elle n’aurait jamais bougé, en temps normal.
Cependant, elle vit un petit chat passer un peu à l’écart, maigre comme un clou et louvoyant entre les sorciers comme s’il en avait l’habitude. Aussitôt, elle imagina qu’il était abandonné, seul, et qu’il avait besoin d’être sauvé.
Elle leva les yeux vers son père, mais il semblait très occupé et elle avait comme consigne de ne jamais déranger les adultes lorsqu’ils parlaient. Alors, elle profita de l’inattention de son frère pour filer ventre à terre, à la poursuite de l’animal, persuadée de pouvoir l’attraper et revenir près de son père sans qu’il se rende compte de sa disparition.
Elle pensait pouvoir le rejoindre facilement, mais le chat était agile et rapide. Il se faufila dans une fissure entre deux bâtiments, disparaissant ainsi de sa vue.
Lily s’immobilisa, perplexe, attendant quelques secondes pour voir si l’animal revenait. Puis elle soupira tristement et se retourna, persuadée que son père était dans son champ de vision.
Cependant, elle s’était éloignée, bien plus qu’elle ne l’imaginait, et la foule l’empêchait de retrouver son père et son frère. Perdue, elle regarda autour d’elle, les yeux écarquillés, la peur montant en elle.
Elle n’osait pas bouger, ni même demander de l’aide aux inconnus, immenses à ses yeux, qui passaient sans la voir.
Lorsqu’une vieille femme se pencha vers elle, avec un sourire édenté, la petite fille se crispa, apeurée, et détala immédiatement, sans se rendre compte qu’elle s’éloignait un peu plus de son père et de son frère.
Sans cesser de courir, elle tourna la tête pour s’assurer que la vieille femme qui lui avait fait peur n’était pas à sa poursuite, et elle entra sèchement en contact avec des jambes immenses.