Secrets de Serpentard : La noble famille Black

Chapitre 30 : Celui qui reste

3535 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/12/2022 09:04

Il n'y eut pas un cri. Pas un son. Druella Black, qui, depuis des années, s'était effacée jusqu'à la transparence, passant de pièce en pièce sans émettre d'autre bruit que de discrets gémissements, venait, dans un éclair fulgurant d'énergie, de saisir sa vie à pleine mains pour la fracasser au beau milieu de cette journée déjà abominable.

Confusément, Narcissa se sentit traversée par un flot de sensations anarchiques, désarticulées. Un froid glacial se répandit dans ses veines, puis une brûlure intense, et une nausée violente la frappa au creux de l'estomac, la forçant à se plier en deux. Ses genoux ployèrent, elle s'affaissa lentement sur le plancher, s'assit sur le sol et appuya sa tête contre le métal froid des barreaux de la rampe d'escalier.

Dans son esprit, aucune forme de réflexion n'était possible. Des taches de couleur vives et des visages, des images et des mots la traversaient de toute part, sans qu'elle puisse s'en défendre.

Prends soin de toi, ma petite sœur, murmura Andromeda.

À ta place, j'aurais au moins eu la décence de disparaître, siffla Walburga.

Je t'aime si fort...

Narcissa voyait les visages, elle entendait les voix qui se superposaient, elle sentait le parfum délicat de sa mère et de sa sœur, et la caresse de leurs lèvres sur sa joue, mais aucun de ces souvenirs ne lui procuraient la moindre émotion. Elle avait le sentiment d'avoir un cratère à la place du cœur, une brèche obscure et béante où s'engouffrait un vent glacial.

Walburga resta quelques minutes à côté de Narcissa, penchée au-dessus de la rambarde d'escalier, aussi immobile qu'une statue de pierre. Puis, après cette courte phase de léthargie, elle se détourna sans dire un mot, et descendit les escaliers d'un pas pressé, presque allègre.

– Kreattur ! appela-t-elle, inflexible.

Narcissa entendit Kreattur accourir, puis pousser des gémissements horrifiés en découvrant ce qui venait de se passer ; Walburga le fit taire, et ils s'affairèrent tous les deux au rez-de-chaussée pendant un long moment. Lorsque Narcissa eut enfin la force de descendre, sa mère était allongée sur une longue table dans le hall d'entrée, l'air reposé, un petit bouquet de fleurs dans les mains. Son éternelle grimace anxieuse avait laissé place à un visage détendu ; son front toujours plissé ressemblait désormais à la surface d'un lac lisse et calme. Narcissa avait l'impression que d'un instant à l'autre, sa mère allait s'éveiller paisiblement, ouvrir ses grands yeux bleus, et se redresser en rejetant derrière elle ses longs cheveux blonds pour sourire à sa fille et la serrer dans ses bras. Narcissa fut même tentée de saisir sa main et de l'appeler, afin de l'arracher au sommeil, mais une douleur physique insupportable lui enserrait la gorge et les mains.

Comme si elle venait de terminer une quelconque tâche insignifiante, Walburga ordonna à Narcissa de l'aider à débarrasser la maison de tout ce qui avait appartenu à Andromeda, et Narcissa s'exécuta sans réfléchir, la tête vide, dans un état de sidération absolue. Tout ce qui pouvait brûler fut jeté dans la cheminée. Narcissa mit dans un sac tous les vêtements de sa sœur et retira son matelas du sol pour le mettre dans le débarras humide où dormait Kreattur. Voilà la place de tous nos souvenirs, pensa Narcissa sans ressentir la moindre émotion : dans ce débarras, à prendre la poussière et la pourriture.

Walburga revêtit sa grande cape de velours noir, son chapeau tout aussi noir, et lui dit avec le ton qu'elle employait avec Kreattur :

– Continue à faire le ménage, je vais chercher ton père.

Puis elle claqua la porte. Une fois seule dans la maison, Narcissa regarda autour d'elle, un peu perdue, et alla ramasser la myriade de bouts de papier dispersés sur le sol devant sa chambre pour les placer entre les pages de son journal. Avec la même intention, elle récupéra la robe bleu nuit brodée de feuilles d'argent qu'Andromeda avait portée la veille, et la cacha au milieu de ses propres vêtements.

Puis, en attendant que le reste de sa famille arrive, elle s'assit sur le lit d'Andromeda, duquel elle avait changé les draps ; mais le vide qui remplissait la chambre était trop vertigineux. Elle descendit donc et s'installa près de sa mère, mais ce sentiment de vide la suivit jusqu'à son chevet.

Narcissa essaya de se rappeler leurs moments de bonheur et de complicité, mais ses pensées déviaient invariablement vers ce choc sourd et violent, qui avait retenti dans la cage d'escalier à peine une heure auparavant, et qui semblait avoir englouti tout ce qui l'avait précédé. Elle chercha désespérément dans sa mémoire une image douce qui puisse représenter sa mère, mais la seule image qui lui venait était ce corps inerte au bas de l’escalier. Pour y remédier, elle relut les premiers mots qu'elle avait inscrits dans son journal, dans l'espoir d'y retrouver quelque heureux souvenir : mais de sa mère, Narcissa ne retrouva que des mots brusquement abandonnés de tout leur sens. Et de même, toute émotion l'avait subitement quittée, et son cœur sonnait creux dans une poitrine vide.

Elle resta là un moment, assise au chevet de sa mère, laissant la torpeur envahir progressivement l'espace immense et stérile qu'Andromeda et sa mère venaient de laisser derrière elles en l'abandonnant.

– Je ne comprends pas, finit-elle par dire à voix haute.

Sa voix était neutre, atone, comme celle de sa tante Walburga. En effet, elle ne comprenait pas. Ainsi donc, seule Andromeda comptait aux yeux de sa mère ? Sa propre présence, sa loyauté sans faille envers elle ne lui procurait donc pas assez de joie pour la retenir du bon côté de la balustrade ? Comment sa mère avait-elle pu aboutir à cette décision absurde ? Pensait-elle que son devoir était accompli, et que ses filles n'avaient plus besoin d'elle ? Non, elle ne pouvait pas se tromper à ce point, alors que c'était précisément le moment où Narcissa et Bellatrix auraient eu le plus besoin de ses paroles si douces, si bienveillantes... Oui, sa mère savait cela pertinemment, Narcissa en était persuadée, et pourtant, elle avait malgré tout décidé de mettre un terme à son existence. Comment avait-elle pu leur faire une chose pareille ? Était-elle arrivée à un état d'épuisement si avancé qu'elle s'était trouvée incapable de surmonter cette énième épreuve ? Et à propos, que dirait Andromeda en apprenant la nouvelle ? Narcissa n'avait pas la force d'y penser.

Un flot continu de visiteurs interrompit bientôt ces ruminations. Bellatrix arriva en premier, et en voyant leur mère, elle se mit à trembler comme une feuille sous son châle noir et déchiré, les yeux exorbités sous ses paupières lourdes, et se jeta dans les bras de Narcissa sans réussir à prononcer le moindre mot. Machinalement, Narcissa l'entoura de ses bras et passa une main dans son dos, afin d'apaiser sa respiration saccadée.

Cygnus Black arriva ensuite, sans force, son torse compact vidé de toute puissance. Il s'assit lentement sur la chaise que Narcissa lui cédait et prononça ces mots, dont Narcissa avait pourtant remué ciel et terre pour éviter qu'ils ne sortent un jour de sa bouche :

– Comment, dit-il, effaré, mais comment mes filles peuvent-elles me causer autant de malheur ?

En entendant ceci, Bellatrix se crispa et renforça encore davantage son étreinte autour de Narcissa, qui fut obligée de la repousser doucement pour ne pas étouffer.

Puis ce fut au tour d'Orion de faire son entrée dans la maison. Narcissa fut surprise de constater que ses yeux étaient humides et bouffis. Il se plaça à leurs côtés, en reniflant bruyamment et en retirant sa cape avec de grands gestes superflus.

– Pauvre femme, déclara-t-il hargneusement. Elle aurait pourtant pu être heureuse... Si elle avait su choisir le bon mari.

À ces mots, Cygnus Black se leva d'un bloc, et alors qu'il surplombait Orion de plus de vingt centimètres, Narcissa espéra une réplique cinglante, un acte qui, enfin, ne serait pas soumis ; mais il ne dit rien, et quitta la maison avec une lenteur chagrinée, murmurant tout juste qu'il partait s'occuper de la cérémonie.

– Décidément, murmura Bellatrix en sortant de sa torpeur, ces Sang-de-Bourbe sont prêts à tout pour nous faire disparaître... Ils sont rusés, et fourbes... Mais ils n'y arriveront pas, je te le promets...

Narcissa secoua la tête, consternée. C'était donc là tout ce qu'elle trouvait à dire, devant la perte simultanée de leur sœur et de leur mère ?

Hector Crabbe et son père arrivèrent tard dans la soirée, exigeant sans détour qu'Andromeda soit retrouvée sur-le-champ, afin que la famille Black honore ses engagements. Cygnus garda lâchement le silence, et c'est Walburga qui se chargea de les renvoyer, en leur expliquant sèchement qu'Andromeda était désormais bannie de leur famille, que les promesses qu'elle avait faites ne les concernaient plus et qu'aucun effort ne serait déployé de leur part pour la retrouver.

Après cela, Narcissa remonta dans sa chambre, sortit son journal et commença à écrire :

Cher journal,

J'ai bien du mal à écrire ces lignes. Et pourtant, il le faut...

Des heures durant, sa plume courut fiévreusement sur le papier. Avec une rigueur méthodique, Narcissa relata la journée qu'elle venait de vivre et toutes les pensées qui l'avaient froidement traversées ; et, alors que ses yeux brûlaient de sommeil, elle conclut sur ces mots :

Me voilà donc dans ma chambre, à reconstituer la lettre qu'Andromeda m'a laissée à partir des morceaux que Walburga a déchirés. La tentation était grande de m'en débarrasser, mais je suis contente de l'avoir récupérée, et d'avoir eu la force de raconter tous ces évènements tant que les détails sont encore vifs dans ma mémoire.

Voilà à quoi me serviront ce récit, cette lettre et cette robe : à chaque fois que je sentirai revenir la nostalgie des jours passés, à chaque fois qu'un soupçon d'affection pour Andromeda tentera de m'envahir – et je sais bien que tôt ou tard, cela arrivera, inévitablement – je relirai ces pages et me souviendrai de toute la souffrance qu'elle a su causer, des innombrables raisons qui me poussent à la détester de toutes mes forces. Et ainsi, j'espère réussir à ne jamais lui pardonner.

Puis elle referma son journal, s'allongea dans son lit, très droite, et sombra immédiatement dans un sommeil lourd et sans rêves.

***

L'enterrement de Druella Black eut lieu deux jours plus tard, dans la partie magique du cimetière de Londres. C'était une parcelle un peu en retrait réservée aux sorciers, que les Moldus croyaient abandonnée, et percevaient comme telle depuis les allées de gravier où ils déambulaient. L'endroit était partiellement dissimulé par des rangées de chênes qui, en hiver, semblaient étendre leurs branches griffues vers les visiteurs. Leur écorce nue, rendue sombre et luisante par la pluie qui tombait du ciel, leur donnait la même allure endeuillée que tous ceux qui se trouvaient là. À leurs pieds, les tombes ne portaient ni croix ni artifices, mais restaient toujours fleuries et immaculées, malgré les intempéries et la course du temps.

Le cercueil fut placé rapidement dans le caveau des Black, et ceux qui étaient présents restèrent silencieusement sous la pluie pénétrante et glacée, à méditer sur tous les bouleversements qui venaient d'avoir lieu.

De tous, Sirius était le plus désespéré. Peu lui importait le scandale, il venait de perdre du même coup Andromeda, qui était la seule de la famille à ne pas lui reprocher d'avoir choisi Gryffondor comme maison, et sa tante qui, à ses yeux, était une figure maternelle alternative à la sienne, et que malgré sa discrétion, il préférait largement. Il pleura silencieusement pendant toute la durée de l'enterrement, malgré les réprimandes exaspérées de Bellatrix. Regulus, lui, observait attentivement sa mère, et comme celle-ci se montrait impassible, il déployait des efforts considérables pour adopter la même attitude.

Quant à Narcissa, essayant d'ignorer les longs doigts osseux de sa tante serrés sur son épaule, et Bellatrix qui se pendait à son autre bras, elle fixait, comme anesthésiée, le misérable bouquet de roses posé sur la tombe. Elle s'était doutée que Walburga n'allait pas se ruiner pour la cérémonie, mais le bouquet pitoyable ressemblait davantage à une insulte qu'à un hommage. Le sortilège de Protection supposé entourer les fleurs magiques avait dû être bâclé, car les pétales s'abîmaient déjà sous la pluie battante. Décidément, pensa Narcissa, Walburga l'aura humiliée jusque dans sa mort...

Alors que la famille Black se trouvait là depuis une heure, leur recueillement silencieux fut troublé par l'arrivée de Daisy et de sa mère, Vera Goyle. À en croire la trace d'oreiller qui barrait la joue de Vera, elle avait été brutalement sortie du lit.

– Tu m'as donné la mauvaise date, murmura Vera en regardant Walburga avec mépris. Heureusement, Theodora Nott m'a fait chercher ! Ta rancœur n'a donc aucune limite, Walburga, et toi, tu n'as aucune décence.

Celle-ci n'accorda pas un regard à Vera, et leur tourna le dos.

– Partons, Regulus, dit Walburga sans se retourner.

Regulus la regarda s'éloigner, hésita à la suivre, interrogea silencieusement Narcissa, Daisy et Bellatrix, mais celles-ci ne lui donnèrent aucune réponse ; et il suivit sa mère en trottinant.

Vera et Daisy vinrent enlacer Bellatrix et Narcissa. Celle-ci essaya de leur exprimer de la reconnaissance, mais elle ne se sentait même pas triste, seulement vide de bonheur et de toute autre forme d'émotion. Elle remarqua, indifférente, que les Goyle étaient bien plus émues qu'elle : Daisy versa quelques larmes – ce que Narcissa n'avait pas encore fait depuis le terrible évènement ; quant à Vera, Narcissa voyait bien qu'elle essayait de paraître forte afin de mieux la soutenir, mais ses mains tremblaient terriblement, ses yeux verts étaient délavés par le chagrin et sa respiration devenait saccadée quand elle regardait le trou où se trouvait le cercueil de son amie d'enfance.

– Demain, je la couvrirai de fleurs, promit Vera.

Malgré tout, sa voix restait douce et claire. Narcissa hocha la tête : elle n'arrivait pas à sourire, ni à pleurer. Elle resta ainsi une heure durant, à regarder Vera fixer la tombe avec intensité, visiblement perdue dans de lointains souvenirs.

– Quelqu'un t'attend dehors, Cissy, lui souffla gentiment Daisy alors qu'elles s'apprêtaient à partir.

Et en effet, en sortant du cimetière, Narcissa découvrit une agréable surprise : enveloppé dans une superbe cape noire au col d'hermine, abrité sous un grand parapluie, Lucius l'attendait. Un énorme bouquet de fleurs blanches était posé sur le muret à côté de lui.

La première réaction de Narcissa fut de se réjouir de sa présence ; mais presque immédiatement, elle se reprit, catastrophée à l'idée qu'il la voie ainsi, avec sa cape posée de travers, ses joues hâves, ses yeux cernés et ses cheveux trempés ; et surtout, qu'il la voie aux côtés de cette famille ravagée et désargentée, si éloignée du faste dont il lui avait fait la démonstration trois jours plus tôt.

Cependant, Lucius n'avait pas l'air de se soucier de tout cela. Narcissa lâcha donc le bras de Bellatrix et ignora le regard noir que celle-ci lui lançait pour aller rejoindre Lucius.

Il vint à sa rencontre, et dès qu'elle fut assez proche, il inclina son parapluie pour l'abriter avec lui. Dès qu'elle se tint face à lui, elle se sentit écrasée par sa cape parfaitement sèche, par ses cheveux blonds impeccablement lissés et ses bottes de cuir immaculées. Elle retira le capuchon de sa cape détrempée de pluie, et regretta aussitôt son geste en sentant que ses mèches blondes étaient collées sur ses joues et sur son front.

La raison de la venue de Lucius lui apparut aussitôt évidente : il était venu lui dire adieu. La situation de Narcissa était bien trop compliquée, il préférait donc mettre fin à leur relation et se tourner vers d'autres jeunes filles, qui auraient une famille équilibrée et une réputation irréprochable.

– Narcissa, murmura-t-il, visiblement mal à l'aise. Je voulais... Je tenais à t'apporter mon soutien.

D'un geste, il désigna le splendide bouquet.

– J'ai apporté quelques fleurs. Ce sont des roses que ma mère adorait... paraît-il.

Ce geste venait confirmer les craintes de Narcissa. Il se doutait bien qu'elle serait désespérée, il avait donc apporté ce superbe bouquet pour la consoler de leur séparation.

– C'est gentil de ta part, répondit Narcissa d'une voix étranglée. Elles sont splendides.

Lucius la regarda avec inquiétude, mais sembla mettre sa détresse sur le compte des récents évènements.

– Quand repars-tu à Poudlard ?

– Dans trois jours.

– Ah, déjà ?

Narcissa hocha la tête et ils restèrent silencieux quelques instants.

– Tu... Tu viens me dire adieu, n'est-ce pas ? demanda finalement Narcissa essayant de maîtriser sa voix.

Lucius fronça les sourcils.

– Je te demande pardon ?

– Eh bien, ma famille vient d'éclater en morceaux... Il y aura des rumeurs, à propos de nous, de moi... Tu préfères sans doute choisir une autre fiancée, qui te causera moins de soucis, dit Narcissa en sentant que sa voix s'éraillait.

Mais contre toute attente, Lucius prit un air sincèrement stupéfait, et éclata de rire.

– Ah, Narcissa... Tu dois avoir une bien piètre opinion de moi, pour penser que je serais capable de faire une chose pareille, dit-il.

Il prit délicatement sa main gelée entre ses doigts gantés de cuir, et lui sourit avec tendresse.

– Tu crois vraiment que c'est pour la renommée de la famille Black que je m'intéresse à toi ? Pour être franc, ce serait vexant pour nous deux... La famille Black est une famille respectable, bien sûr – comme tant d'autres ! Mais tu l'as bien vu, en ce qui concerne la fortune et la gloire, j'en ai déjà plus que nécessaire. Franchement, entre nous... Contrairement à ce qu'on raconte, la famille Black, même à son apogée, n'est jamais arrivée à la cheville des Malefoy. Non, au contraire, je t'assure que je suis d'autant plus admiratif à ton égard, et je continue à me demander comment quelqu'un d'aussi extraordinaire a pu se construire au milieu d'une pareille zizanie... Et puis, si tu n'as pas changé d'avis, et que malgré les circonstances, tu es toujours d'accord pour ce dont nous avons parlé l'autre jour, tu n'auras pas à te soucier des médisances : je les ferai taire d'un claquement de doigts.

Au fur et à mesure que Lucius parlait, Narcissa sentit un immense soulagement se frayer un chemin jusqu'à son cœur. Elle essaya de lui sourire, mais avec ce soulagement affluèrent tous les sentiments qu'elle avait si sévèrement refoulés depuis plusieurs jours – la colère, bien sûr, la culpabilité également, mais surtout un chagrin inexprimable, une douleur dévorante, qui profita de ce relâchement pour déferler en elle avec une violence surprenante.

– Tu sais, ajouta pensivement Lucius, quand j'y pense, je suis sûr que ma mère t'aurait appréciée.

Alors que ses yeux se remplissaient de larmes de façon incontrôlée, Narcissa éclata de rire, et sa voix se brisa :

– Lucius, vraiment... Tu es ridicule !

En guise de réponse, Lucius ouvrit très légèrement les bras, et cela suffit à Narcissa pour s'y engouffrer et se blottir contre lui avec reconnaissance. Elle s'y sentit enfin en sécurité, ainsi bercée par la jolie résonnance du parapluie, alors que le reste de sa famille s'éloignait : et, alors qu'elle n'avait pas versé la moindre larme depuis le départ de sa mère et de sa sœur, ses traits se crispèrent, et elle s'autorisa enfin à pleurer, d'abord tout doucement, puis de plus en plus fort ; et elle sanglota longuement, laissant ses larmes rouler sur la poitrine de Lucius, tandis qu'il caressait délicatement ses joues et ses cheveux trempés.

Voilà au moins quelqu'un, pensa Narcissa au bout d'un long moment, alors qu'elle sentait une chaleur réconfortante envahir son for intérieur, qui ne me procurera jamais ni chagrin ni déshonneur.

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