Secrets de Serpentard : La noble famille Black
Ma chère Narcissa, ma petite sœur,
Je pars.
La neige tourbillonne, la nuit est silencieuse, la maison paisiblement endormie. Je pars sans me retourner, laissant derrière moi une armée de souvenirs qui ne cesseront jamais de m'attaquer ; tant pis, il faudra que j'aie la force de tenir ce siège.
S'il te plaît, ne perds pas ton temps à m'attendre, car je ne reviendrai pas. Je sais que tu seras en colère contre moi, mais je ne pouvais pas prendre le risque de t'introduire dans la confidence ; et même si je souffre que nos adieux se fassent par écrit, c'était pour moi la seule manière d'être sûre de pouvoir partir avant qu'on me prive définitivement de toute liberté.
Tu sais, j'aurais souhaité t'emmener avec moi, te faire valser dans ce vent de liberté, dans la grande furie du monde. J'aurais souhaité te garder à mes côtés, rester cette épaule sur laquelle tu pouvais pleurer, cette oreille à qui tu pouvais tout dire sans jamais hésiter.
Mais je ne pouvais plus. Loin de lui, loin de Ted, mes tympans bourdonnaient et refusaient de t'écouter. J'aimerais pouvoir te dire que ta compagnie suffisait à mon bonheur, que ta présence pouvait réparer tout le reste, mais je me suis toujours promis de ne jamais te mentir, et même par écrit, je n'y consens pas d'exception.
Je n'ai jamais eu l'occasion de te le dire, de te l'expliquer, de te le raconter comme il le faudrait ; mais j'aime Ted bien davantage que tu n'as jamais voulu le croire. Tu as pris notre histoire à la légère, c'est bien là la seule erreur que tu aies jamais faite ; tu pensais que j'allais pouvoir l'oublier, pouvoir me fondre dans un moule qui conviendrait mieux à notre famille. Mais l'amour que je ressens pour lui me grandit le cœur, et aujourd'hui je ne le sens plus capable d'être contenu dans la moindre cage : Cissy, je t'assure, il n'y a qu'auprès de lui que je peux vivre désormais.
Si je te dis tout cela, avec une telle exaltation, c'est simplement pour que tu comprennes que rien de moins fort n'aurait pu me séparer de toi. Je te souhaite de tout cœur d'avoir cette chance avec Lucius, toi aussi, de connaître cette ivresse si douce. Je t'envie, d'avoir pu jeter ton dévolu sur une personne convenable aux yeux de nos parents ; car crois-moi, il n'est rien de plus douloureux que de devoir choisir entre renier son passé et sacrifier son avenir, que d'avoir des espérances que les êtres qui te sont chers refusent de comprendre.
Je me désole de t'abandonner dans cet univers qui me révulse, mais je sais que tu trouves déjà en toi la force de t'y plaire. Je l'ai toujours su, tu es la plus robuste de nous trois, le pilier sur lequel nous nous sommes toujours reposées. Je te confie la dure tâche de prendre soin de Bellatrix, comme tu as su prendre soin de moi : s'il te plaît, ne la laisse pas s'éteindre complètement.
Je t'embrasse en pensée, et mes lèvres brûlent déjà de tous ces baisers que je ne te donnerai plus. Je n'emporte rien avec moi, si ce n'est le souvenir impérissable de la sœur drôle et délicate que tu as été.
Merci d'avoir toujours été là, merci d'avoir été toi.
Merci d'être née à mes côtés.
Je t'aime tendrement et pour toujours,
Andromeda
***
Le matin qui suivit le bal chez Lucius, Narcissa fut tirée de son sommeil à peine quelques heures après y avoir plongé, par des coups secs sur la porte de leur chambre, et par la voie stridente de la tante Walburga :
– Andromeda ! ANDROMEDA ! Tu as oublié de te lever, petite sotte !
La bouche sèche et l'œil ensommeillé, Narcissa se leva pour ouvrir la porte. Sa tante Walburga apparut, les lèvres pincées, les narines frémissantes, vêtue de son habituelle robe de dentelle noire au col étroit.
– Andromeda est attendue à Gringott’s depuis deux heures ! Où est-elle ?
– Elle n'est pas là, répondit laconiquement Narcissa.
– Comment ça ? Qu'est-ce qu'elle peut bien fabriquer, cette écervelée ?
Walburga entra dans la chambre, furieuse, et Narcissa étouffa un long bâillement.
– Tu es rentrée tard, lui reprocha-t-elle.
Narcissa n'était pas d'humeur à supporter ses remontrances, et croisa les bras sur sa poitrine, attendant patiemment que Walburga ait fini son inspection.
– Qu'est-ce que c'est que ça ? dit-elle en saisissant la lettre qu'Andromeda avait laissé sur son lit.
– C'est pour moi ! s'exclama Narcissa en voyant son prénom inscrit sur l'enveloppe.
– Je le vois bien, c'est écrit dessus.
Walburga déchira l'enveloppe d'un geste sec et commença à lire.
– J'en étais sûre, commenta-t-elle.
Narcissa tenta de lui arracher la lettre, mais la tante Walburga l'esquiva.
– Elle s'est enfuie avec le Sang-de-Bourbe, l'informa-t-elle.
– Quoi ? Impossible.
– C'est pourtant ce qu'elle t'écrit.
– Montrez-moi !
Narcissa lui retira la lettre, mais ne parvint pas à lire au-delà de la deuxième phrase tellement la situation lui semblait folle. C'était une plaisanterie, il n'y avait aucun doute possible.
– Où vas-tu ? lui demanda sa tante en la voyant s'habiller.
– Je vais la trouver, et la ramener ici.
Walburga eut un rire mauvais.
– Tu perds ton temps : je l'avais bien senti, moi, que ça n'était qu'une traînée.
Narcissa se rendit à la librairie Painswick, au pas de course : si elle ne la trouvait pas, au moins trouverait-elle ce fameux Ted. En plein mois de décembre, le Chemin de Traverse était désert et lugubre, bien loin des souvenirs heureux que Narcissa en avait.
En arrivant devant la librairie Painswick, elle découvrit une minuscule devanture couverte de lourds rideaux, exactement semblable à ce qu'elle avait imaginé quand Andromeda lui avait décrit l'endroit. Lorsqu'elle poussa la porte, les notes cristallines d'un carillon se dispersèrent dans les airs, rompant le caractère figé de la pièce qui semblait avoir gardé la même odeur et le même aspect depuis des siècles. Narcissa perçut tout de suite ce charme mystérieux et romantique qui avait tant plu à Andromeda. Tout semblait en suspension, à tel point que le moindre mouvement lui coûtait, comme si elle allait faire fuir la magie qui habitait jusqu'au dernier grain de poussière flottant dans la pièce.
Pop !
– Bonjour bonjour, belle demoiselle ! Que puis-je faire pour vous ?
Le cœur de Narcissa se cogna contre sa cage thoracique : une minuscule femme aux longs cheveux argentés venait d'apparaître devant elle, potelée et enjouée, les mains jointes derrière son dos.
Narcissa se ressaisit :
– Bonjour, je... Je cherche ma sœur, Andromeda, elle travaillait ici... Ou bien, un jeune homme, qui s'appelle Ted...
– Oui oui oui, je vois très bien, voyons ! Alors ça c'est drôle, vous les manquez de peu, tous les deux ! Figurez-vous que Ted vient de me présenter sa démission. Je suis bien triste, il était très doué pour la littérature voyageuse, je pensais le voir reprendre la librairie. Déjà, quand Andromeda est partie il y a quelques jours, j'ai eu un choc...
– Vous les avez vus ? Tous les deux ?
– Mais oui, ils étaient là, il y a une heure à peine ! C'est votre sœur, vous dites ? C'est vrai, vous lui ressemblez un peu. Quelle charmante jeune fille, n'est-ce pas ? C'est bien dommage qu'ils soient partis. Mais enfin, ils font un couple vraiment merveilleux, vous ne trouvez pas ?
Narcissa sentit un goût acide se répandre dans sa bouche.
– Où sont-ils allés ?
– J'allais vous poser la question ! Malheureusement, ils n'ont pas voulu me dire. Je suis bien triste, moi qui les ai tellement choyés, tous les deux... Si gentils, si efficaces... Ils avaient l'air drôlement pressés, je dois dire. Enfin, j'espère qu'ils seront heureux, là où ils vont !
Narcissa se mit à trembler, et regarda de tous les côtés, à la recherche d'une échappatoire. Alors c'était vrai, Andromeda était partie ? Et c'était ici, dans cette librairie vieillotte, que tout avait commencé ? Narcissa les imagina, enlacés devant elle, près des livres, époussetant les étagères en riant. Peut-être l'embrassait-il sur la main, caché derrière la bibliothèque, ou peut-être même dans le cou. Peut-être que cela la faisait rire, avec ce joli rire que Narcissa n'entendrait plus. Peut-être qu'ils avaient joué ensemble sur le petit piano qu'elle voyait dans un coin, avec leurs deux corps qui se touchaient. Et dire que c'était pour lui qu'elle se faisait si belle, depuis tout ce temps ! C'était lui, quand elle rentrait le soir, le sourire aux lèvres et sa chevelure défaite ! Où l'avait-il emmenée, ces soirs-là ? Oui, sûrement dans un endroit pour Moldus, pour ne pas être repérés... Ou bien peut-être restaient-ils ici, blottis l'un contre l'autre, et c'était cette vieille dame qui les avait abrités, alors qu'ils préparaient secrètement ce grand crime !
Narcissa éprouva soudain une souffrance tellement grande et tellement violente qu’elle ne se contenta pas de la dévorer et s’attaqua à ce qui l’entourait ; et dans un grand fracas, tous les miroirs qui se trouvaient dans la librairie volèrent en éclats.
– Oh ! s'écria Mrs Painswick en se protégeant le visage. Ça, alors !
Narcissa quitta précipitamment la librairie, le cœur en miettes, sans écouter les protestations de la bibliothécaire, et rentra au 12, square Grimmaurd d'un pas incertain, bousculant à plusieurs reprises les passants qui se trouvaient sur son chemin.
Elle monta les escaliers quatre à quatre jusqu'à sa chambre, et ouvrit frénétiquement tous les placards : Andromeda était partie sans rien emporter, pas même sa splendide robe bleu nuit brodée de feuilles d'argent, ni le peigne Démêltout que Narcissa lui avait offert sur le Chemin de Traverse, lorsqu'elles s'y étaient rendues toutes les trois pour la première rentrée de Narcissa. Celle-ci relut à nouveau la lettre d'Andromeda, et chaque mot s'inscrivit douloureusement dans la réalité. Elle la pressa contre sa poitrine qui se tordit violemment, et entendit la voix glaciale de sa tante Walburga dans les escaliers.
Quand Narcissa sortit de sa chambre, pantelante, hagarde, Walburga l'attendait sur le palier, impassible. Avec des gestes calmes et mesurés, elle prit la main de Narcissa et en retira la lettre. Sans avoir la force de faire le moindre geste, Narcissa la regarda, horrifiée, déchirer le billet en petits morceaux qui s'éparpillèrent sur le plancher.
– Viens avec moi, ordonna Walburga en marchant vers les escaliers.
Elle monta au deuxième étage, et frappa trois coups rapides sur la porte de la chambre des parents de Narcissa.
– Druella ! glapit-elle. Sors d'ici, et vite !
Narcissa entendit sa mère se mouvoir dans la pièce avec difficulté, mais sa tante ne les attendit pas, et redescendit les escaliers. Narcissa lui emboîta le pas, inquiète, jusqu'au salon du premier étage, où se trouvait la tapisserie de leur arbre généalogique.
Walburga se plaça devant la tapisserie en inclinant légèrement la tête, comme si elle se trouvait devant une vieille personne extrêmement respectable. Elle sortit sa baguette avec un geste solennel, et Narcissa crut voir un petit sourire se dessiner au coin de ses lèvres. Derrière, Druella peinait à les rejoindre, essoufflée. Narcissa l'aida à descendre les dernières marches, et trouva sa mère plus pâle et plus maigre que jamais.
– Narcissa, ma chérie, que se passe-t-il ? lui demanda-t-elle, alarmée.
Mais Walburga ne lui laissa pas le temps de répondre.
– Il se passe, ma chère belle-sœur, qu'à force de négliger tes filles en me laissant tenir cette maison à bout de bras, tu as failli à leur éducation. Après le comportement outrageux de Bellatrix, Andromeda s'est enfuie avec un Sang-de-Bourbe, en nous laissant une lettre pleine de sottises et de mièvreries. Vraiment, si elle avait voulu nous nuire, elle n'aurait pas fait mieux : à cause d'elle, nous aurons bientôt à affronter non seulement la fureur des Crabbe, mais aussi les rumeurs et l'humiliation du scandale qui va s'ensuivre. J'entends déjà les gens se moquer de notre mésaventure, et mes amis murmurer dans mon dos ! En tout cas, ta chère fille doit être fière d'elle, à l'heure qu'il est, vautrée dans le vice, attendant de nous voir empêtrés dans la boue gluante dont elle nous a couverts !
Elle cracha ces mots sur Druella, implacable, l'accablant de toutes les fautes ; et Druella encaissa sans ciller, cramponnée à la rampe d'escalier, très droite et très pâle. Lorsque Walburga eut terminé, elle demanda simplement :
– Où est sa lettre ?
– Je l'ai déchirée, répondit fièrement Walburga.
La main de Druella se crispa encore davantage sur la rampe d'escalier, mais elle resta silencieuse.
– Il est urgent de minimiser les dégâts, poursuivit Walburga. Nous devons à tout prix effacer toute trace d'elle, de nos esprits et de cette maison.
Druella lâcha la rampe, s'approcha de la tapisserie en chancelant légèrement, et passa une main le long de ses innombrables branches. Narcissa la regardait avec appréhension : elle n'avait jamais vu les yeux de sa mère briller aussi fort.
– Andromeda est partie, murmura Druella en caressant son portrait brodé de fils d'or sur la tapisserie. Ma fille, ma petite fille... Je ne la reverrai plus...
Elle se tourna vers Walburga, qui la jaugeait avec sévérité.
– Tu y prends beaucoup de plaisir, n'est-ce pas ?
Walburga se contenta de hausser un sourcil. Le reste de son visage resta parfaitement immobile.
– Tu ne nies même pas, murmura Druella en secouant la tête. Ah, comme tu dois jubiler, de me voir aussi malheureuse, de pouvoir me juger, et m'accuser à nouveau de tous les maux...
Walburga ouvrit la bouche, mais Druella était bien décidée à décharger ce qu'elle avait sur le cœur depuis longtemps.
– N'ai-je pas raison, Walburga ? Oh, tu peux me le dire, maintenant, à quel point tu étais contente quand je suis tombée malade. Tu ne trompais personne, avec ton petit air satisfait, quand tu nous as dispensé tes quelques pièces avec l'air de celle qui fait la charité... Et quand nous avons emménagé ici... Quel bonheur, pour toi, de contrôler tous nos faits et gestes ; n'est-ce pas ?
– J'ai accompli mon devoir envers cette famille, voilà tout. On ne peut pas en dire autant de toi.
– Ton devoir ! se moqua Druella. Non, franchement ! Le pire, c'est que je suis sûre qu'au fond de toi, tu es du même avis que moi : tu sais pertinemment que tout cela est grotesque. Tu n'es pas idiote, tu vois bien que tout cela n'est qu'une immense mascarade. Mais tu as déjà sacrifié tellement de choses pour la divine famille Black... Tu as vanté auprès de tellement de personnes le mérite de notre formidable éducation... Tu ne peux plus faire marche arrière, n'est-ce pas ? Oh, non, tu préfèrerais mourir plutôt que d'avouer que tu t'es trompée...
Elle eut un petit rire d'une tristesse infinie, et reporta son attention sur la tapisserie, ponctuée de cratères brûlés.
– Ah, Walburga, si tu savais comme je te trouve pitoyable... Avec cet arbre généalogique dont tu prétends être si fière... Tu n'en as pas assez de le transformer en gruyère ? Honnêtement, je suis presque curieuse de savoir jusqu'où tu iras, au nom de cette devise insensée... Toujours purs, lut Druella avec mépris. Quelle hypocrisie ! Tu sais, quand j'ai accepté d'épouser Cygnus, j'ignorais qu'en réalité, c'était à votre famille de fous qu'on m'enchaînait. Mes parents étaient tellement comblés, tous les deux ! La famille Rosier, enfin unie à la famille Black ! S'ils me voyaient, dans cette bicoque humide, jetée au rebus, à te laisser me prendre peu à peu tout ce qui m'appartient...
Druella pâlit brusquement, prise de vertige ; elle ferma les yeux, posa une main sur son front et dut s'appuyer sur le mur pour ne pas tomber. Walburga attendit la suite pendant quelques instants, puis demanda posément :
– Ça y est, tu as fini ?
Druella acquiesça, livide, ses yeux toujours fermés. Walburga se redressa légèrement, et se décida à riposter.
– Voilà le problème, avec vous, les femmes qui sont trop belles : vous vous permettez tout. Tu as toujours tout transgressé, Druella, et rien respecté. Et pourtant, tout le monde fermait les yeux, et les hommes continuaient à se battre pour obtenir ta main. Certains y ont perdu la raison, tu en as conscience ? Tu as vu ce que tu as fait d'Orion ? Tu devrais avoir honte.
Narcissa voulut interrompre ce flot d'accusations, mais elle ne parvenait pas à bouger d'un millimètre, ni à émettre le moindre son.
– Mais ce n'est pas ta pire faute, enchaîna Walburga, implacable. Non, vois-tu, ce que je te reproche avant tout, c'est d'avoir accepté pendant toutes ces années de tirer ta famille vers le bas. As-tu une idée de ce qu'ont subi tes filles, à causes de toi ? Les moqueries, la misère, et tout ça pour quoi ? Pour t'entretenir, toi qui méprises nos valeurs et qui vis à nos crochets ? À ta place, j'aurais au moins eu la décence de disparaître.
– Assez ! explosa Narcissa.
Les deux femmes se tournèrent vers elle. Narcissa vit deux grosses larmes rouler sur les joues de sa mère, et sa haine pour sa tante Walburga en fut décuplée. Elle marcha vers sa mère et la prit dans ses bras, le souffle court, tremblante de colère.
– Au moins, dit Walburga en la regardant avec satisfaction, j'ai réussi à sauver une de tes filles de ton influence désastreuse.
– Taisez-vous ! cria Narcissa, hors d'elle. Je vous déteste !
Cette fois-ci, Walburga parut étonnamment troublée. Quant à Druella, elle se ranima, cessa de s'appuyer sur le mur, et prit délicatement le visage de sa fille entre ses mains.
– Regarde-moi, ma chérie...
Tétanisée, Narcissa n'osait plus bouger d'un millimètre. Sa mère plongea avec émotion ses grands yeux bleus dans les siens, et remit une de ses mèches blondes derrière son oreille. Puis elle l'embrassa sur la joue, et la serra dans ses bras avec une force étonnante.
– Maman, je...
– Sois forte, mon petit ange, lui murmura sa mère à l'oreille. J'espère que tu pourras un jour me pardonner pour tout ça. J'aurais voulu mieux faire, je te le promets.
– Maman, ce n'est pas vrai... Je n'ai pas honte de toi, c'est complètement faux... Je...
Narcissa ne trouvait rien à dire de plus convaincant. Druella s'écarta d'elle, et lui sourit à travers les larmes qui inondaient ses joues.
– Je t'aime si fort, dit-elle.
Puis elle se détacha d'elle, sortit de la pièce et monta les escaliers d'un pas étonnamment rapide et décidé. Narcissa, décontenancée, fut tentée de la suivre, mais déjà, sa tante Walburga se tournait vers la tapisserie, et pointait sa baguette sur le portrait brodé d'Andromeda.
– Lacarnum inflamare, dit-elle sans que sa voix trahisse la moindre émotion.
Une flammèche jaillit au bout de l'extrémité de sa baguette, qu'elle approcha du tissu, les phalanges blanchies par la détermination.
– Non ! supplia Narcissa. Elle va peut-être revenir !
– Eh bien, nous la chasserons, répondit Walburga sans prendre la peine de se retourner. C'est trop tard, elle a déjà commis l'impardonnable : nous ne devons plus rien attendre d'elle.
Narcissa fut saisie de nausée quand elle vit les traits délicats de sa sœur noircir, se distordre, formant d'abord une figure hideusement déformée, puis un cratère béant de fils calcinés.
– Arrêtez ! Arrêtez, par pitié ! supplia Narcissa en lui agrippant le bras.
Walburga s'écarta et, sans ciller, lui administra une gifle monumentale qui la fit tituber jusqu'au mur du salon. Furtivement, sa tante regarda sa main, l'air étonné par sa propre audace. Puis elle se ressaisit, reprit sa froideur habituelle, et déclara :
– Je fais ça pour ton bien, Narcissa. Il faut que tu apprennes à te détacher de ceux qui ne te méritent pas.
Appuyée contre le mur, une main plaquée sur sa joue cuisante, Narcissa sortit brutalement de sa sidération et finit par réaliser pleinement ce qui se passait. Mais cette lucidité fut de courte durée, car un autre évènement aussi terrible qu'insoupçonné se produisit quelques secondes plus tard.
BOUM !
Narcissa entendit un choc sourd et violent derrière elle, provenant de la cage d'escalier, et qui sembla réduire au silence tous les autres bruits de la maison. Narcissa attendit que sa mère s'inquiète de la cause du tapage, mais aucun signe de vie ne leur parvint des étages supérieurs.
– Maman ? murmura Narcissa.
Alors que le silence accueillait son appel, une crainte atroce s'empara d'elle. Elle regarda sa tante, et vit qu'elle pensait la même chose qu'elle. Walburga se rendit sur le palier, et se pencha pour regarder vers le bas de la cage d'escalier. Narcissa la supplia intérieurement d'infirmer immédiatement le terrible pressentiment qui l'étreignait ; mais Walburga se retourna vers elle avec une lenteur désespérante, et lorsque Narcissa vit que sa tante gardait les yeux baissés, elle sut qu'elle avait deviné juste.
– Non... Non, ce n'est pas possible...
En quelques pas incertains, Narcissa rejoignit Walburga près de la rambarde, sans oser croire ce qui venait de se produire. Elle s'agrippa fermement à la rampe métallique et se pencha lentement au-dessus du vide, mais ce qu'elle aperçut fut tellement insoutenable qu'elle ferma les yeux de toutes ses forces, en espérant qu'en les ouvrant à nouveau, sa mère serait revenue à ses côtés.
Au bas de la cage d'escalier, le corps de Druella Black gisait, inerte. Submergée par le chagrin et la culpabilité, elle venait d'utiliser ses dernières forces pour se rendre au dernier étage de la maison, puis pour enjamber la barrière et jeter son corps frêle dans le vide, se donnant ainsi la mort quatre étages plus bas.