Secrets de Serpentard : La noble famille Black

Drago, lui, n'est pas fatigué. Il devrait continuer sur sa lancée, et raconter la tragique journée du 25 décembre qui a suivi ce merveilleux bal de Noël, mais il n'arrive pas à s'y résoudre. Après avoir fixé la feuille blanche qui se trouve devant lui pendant plusieurs minutes, il prend le journal de sa mère sous le coude, saisit la chandelle qui éclaire le bureau de sa lumière vacillante, se lève résolument et décide d'aller se dégourdir les jambes.

En descendant les escaliers en colimaçon de la tourelle Est où il s'est installé pour écrire à son fils, Drago peut voir les ruines de celle de l'aile Sud, où ses parents se sont embrassés pour la première fois. Celle-ci s'est écroulée il y a des années, frappée par la foudre à une époque à laquelle Drago ne préfère pas penser.

Arrivé en bas de l'escalier, Drago emprunte le long couloir où sont accrochés les portraits de ses ancêtres. La flamme vacillante qu'il tient dans sa main fait danser les ombres autour de lui, et fait scintiller les noms de tous les Malefoy, écrits en lettres d'or. Cependant, il n'est plus nécessaire de marcher sans bruit, car de tous ces imposants tableaux, on ne voit plus que les cadres finement ouvragés : tous les portraits sont invisibles, recouverts par plusieurs couches de colle et de papier.

Après avoir traversé plusieurs pièces, dépouillées de toutes les précieuses œuvres d'art qu'elles contenaient autrefois, Drago pousse la porte de la salle de bal, plongée dans le froid et l'obscurité depuis des années. Les cendres de la cheminée se sont depuis longtemps dispersées dans les courants d'air ; la grande table qui a soutenu tant de banquets est renversée, et brisée net en son milieu. Les mezzanines qui permettaient aux convives d'admirer les danseurs sont envahies de toiles d'araignées, dont le maillage serré miroite paisiblement dans le clair de Lune.

Drago plisse les yeux pour voir le centre de la pièce à travers les nuages de buée qu'il dégage en expirant. Il s'avance, faisant quelques pas dans l'obscurité. Il marche sur le tapis rongé par l'humidité, et écrase du pied un morceau de verre, dont le craquement paraît aussitôt assourdissant dans le silence du manoir. Quelques mètres plus loin, il manque de trébucher sur ce qu'il recherchait : le squelette métallique du grand lustre aux cristaux scintillants, détaché du plafond des années plus tôt par un elfe rebelle, git sur le sol au milieu des éclats translucides et des taches de moisissure. En repensant à la manière dont les morceaux de verre lui ont griffé les joues, lorsque le lustre grandiose lui est tombé dessus, Drago se crispe légèrement.

Tout en serrant un peu plus le journal de sa mère contre lui, il contourne soigneusement le lustre, et s’approche de l’imposante cheminée de marbre. Le volumineux manteau sculpté a été éraflé par divers sortilèges qui, après avoir raté leur cible, sont venus s’échouer là, et y ont laissé de vilaines traces noires. Quant au grand miroir qui surplombait autrefois la cheminée, il n'en reste guère que des confettis dorés éparpillés dans la poussière.

Drago tourne le dos à ce triste spectacle et se retourne vers le canapé de cuir, qui avait été déplacé le jour du bal, mais qui, à part pour cette grande occasion, s’est toujours trouvé dans la pièce. Il prend bien soin de s’asseoir sur l'extrémité gauche du canapé, car la moitié droite est abondamment éclaboussée de sang ; puis il pose sa chandelle sur l'accoudoir, et ouvre le journal de sa mère. Entre les pages qui menacent de se détacher de la reliure, Drago trouve immédiatement ce qu'il cherchait : une lettre pliée en quatre, initialement déchirée en morceaux puis consciencieusement réassemblée. Le parchemin est couvert d'une écriture tremblante, dont les mots progressivement oblitérés par le temps ont été réécrits maintes et maintes fois par la main de Narcissa, afin de ne jamais perdre une miette des derniers mots que sa sœur lui a adressés avant de la quitter.