Secrets de Serpentard : La noble famille Black

Chapitre 24 : Cent potions pour dominer le monde

4602 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/10/2022 09:15

Pendant tout le trajet en Poudlard Express, Narcissa fut plongée dans le même état de torpeur que lorsque le Magicomage de Sainte-Mangouste lui avait annoncé que sa mère était gravement malade, et qu'elle ne guérirait jamais. Elle n'adressa pas un mot à Daisy, qui s'assit pourtant fidèlement à côté d'elle, rapidement suivie par Carla Avery et Juliet Selwyn.

Regulus, dont c'était la première rentrée, s'installa dans le même compartiment qu'elles et se contenta d'écouter Daisy et Carla discuter, en posant de temps à autre quelques questions sur les différents cours de magie. À onze ans, Regulus n'avait rien de l'élégance nonchalante de Sirius : il était bien plus petit que son frère au même âge, et surtout bien plus nerveux. En effet, il avait pris l'habitude de se défendre des moqueries de Sirius en s'abritant derrière sa mère, Kreattur ou bien Bellatrix, en fonction de ceux qui se trouvaient dans les parages ; en ce premier jour d'école, Regulus avait donc l'air parfaitement déboussolé. Lorsque Daisy lui suggéra gentiment de changer de wagon pour faire connaissance avec des élèves de son âge, Regulus prit une expression si terrifiée que Daisy revint aussitôt sur ses paroles et lui assura qu'il serait toujours le bienvenu à leurs côtés.

Mais une fois le train arrivé à destination, Regulus fut obligé de se séparer de leur présence protectrice pour rejoindre les première année, afin d'emprunter les barques qui s'apprêtaient à traverser le lac, conformément à la tradition. Sur le quai minuscule plongé dans la pénombre, Regulus s'approcha donc de l'attroupement qui se formait autour de Ogg, le garde-chasse, et de son nouvel assistant. Ogg était un homme solidement bâti, et pourtant, il faisait bien pâle figure à côté du nouveau venu, un homme prénommé Hagrid qui dépassait son instructeur d'au moins trois têtes. Celui-ci regardait les première année avec un air réjoui, tout en prenant garde à ne pas leur marcher dessus, et Regulus décida qu'il était bien plus sage de rester loin de lui.

Regulus avait mis sa robe de sorcier dans le train, qui était un peu trop longue pour lui car sa mère surestimait toujours sa taille. Et comme il avait très froid, il avait gardé son veston par-dessus – un veston en velours côtelé que son grand-père lui avait légué, également trop grand pour lui – et l'ensemble lui donnait une allure pour le moins étrange. Tout en soulevant sa robe pour ne pas marcher dessus, il suivit les autres première année sur un chemin étroit et escarpé qui s'enfonçait dans l'obscurité. Lorsqu'ils débouchèrent sur la rive d'un grand lac noir, il y eut un grand « Ooooh ! » devant le spectacle du grand château de Poudlard qui se découpait dans la nuit.

Mais Regulus ne partageait pas leur enthousiasme : il n'avait d'yeux que pour l'immense étendue d'eau noire qu'ils allaient devoir traverser pour rejoindre le château, et les embarcations qu'il voyait sur la rive lui semblaient bien trop petites pour ne pas se renverser.

Il regarda tous les première année s'installer dans les barques, tétanisé, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que lui sur le rivage ; et lorsqu'il entendit un hurlement lugubre sortir de la forêt, il se décida enfin à rejoindre ses camarades, et s'assit dans la seule barque où il restait une place de libre. Les trois élèves qui s'y trouvaient déjà lui adressèrent des sourires accueillants, mais Regulus était bien trop inquiet pour leur répondre.

Une fois que Regulus fut assis, la barque quitta le rivage, et malgré l'absence de vagues, Regulus se cramponna au bord de l'embarcation.

– Il paraît qu'il y a un calmar géant, dans le fond du lac, dit le garçon qui se trouvait devant Regulus.

Regulus frissonna, lâcha le bord de la barque et se tassa un peu plus contre sa voisine, qui lui adressa à nouveau un sourire bienveillant.

– N'aie pas peur, personne ne l'a jamais vu, dit-elle.

– Je n'ai pas peur, mentit Regulus. Juste un peu froid.

– Tu t'appelles comment ?

Regulus se tourna vers sa voisine, une petite fille asiatique, toute menue, et lui donna fièrement son nom complet :

– Regulus Arcturus Black. Et toi ?

– Je m'appelle Jian, répondit-elle avec un petit rire.

Regulus se demanda comment engager la conversation, et lui posa la question qui lui semblait être la plus importante :

– Tes parents sont des Moldus ou des sorciers ?

Jian parut surprise de la question, mais répondit néanmoins :

– Des Moldus...

– Les deux ?

– Oui, répondit-elle en commençant à froncer les sourcils.

– Oh, mince, je suis désolé, dit précipitamment Regulus.

– Désolé ? Pourquoi désolé ?

– Ce doit être terrible, dit Regulus avec une compassion sincère. Ils sont vraiment aussi stupides qu'on le dit ?

Jian ouvrit de grands yeux ronds, décontenancée, puis tourna le dos à Regulus et se mit à discuter avec son autre voisin. Regulus passa le reste de la traversée à réfléchir au meilleur moyen de s'excuser. Une fois arrivés au pied de la falaise qui supportait le château de Poudlard, les barques franchirent un rideau de lierre qui cachait une large ouverture taillée dans le roc. Les bateaux les emportèrent le long d'un tunnel sombre qui semblait les mener sous le château. Ils arrivèrent alors dans une sorte de crique souterraine et débarquèrent sur le sol rocheux. Là, Regulus se décida à parler de nouveau à Jian, qui avait désormais l'air furieux :

– Excuse-moi, je ne voulais pas te vexer, lui dit Regulus en sortant de la barque. Ça doit être très difficile pour toi, de t'intégrer dans notre monde...

– Ce qui est difficile, c'est de rencontrer des imbéciles comme toi, répliqua Jian, et elle s'éloigna au milieu des première année.

Regulus voulut la rattraper, mais il se prit les pieds dans sa robe de sorcier et faillit tomber. Il décida donc que lui courir après était bien trop dangereux, et resta sagement à l'arrière du groupe tandis qu'ils grimpaient le long d'un passage creusé dans la montagne. Lorsqu'ils arrivèrent à l'air libre, sur une vaste pelouse qui s'étendait à l'ombre du château, Regulus se sentit déjà un peu mieux. Ils montèrent une volée de marches et se pressèrent devant l'immense porte d'entrée en chêne massif. Ogg ordonna à Hagrid de frapper à la porte, mais le regretta rapidement car Hagrid faillit casser la porte en deux en y écrasant son énorme poing.

Le professeur McGonagall les fit rentrer dans le hall d'entrée du château. Regulus entra en dernier, et fut époustouflé par l'aspect chaleureux de l'intérieur de l'école. Les visages pleins de bonhommie qui remplissaient les portraits lui parurent presque irréels, en comparaison des mines sinistres qui peuplaient les murs du 12, square Grimmaurd. Il était tellement absorbé par la contemplation des lieux qu'il ne remarqua même pas que McGonagall avait ouvert la porte de la Grande Salle, et dut trottiner en tenant sa robe de sorcier à deux mains pour rattraper la file des première année qui étaient déjà quasiment au niveau de la table des professeurs.

En franchissant la double porte de la Grande Salle, Regulus se sentit immédiatement écrasé par l'océan de chapeaux noirs qui s'étendait devant lui, et par les innombrables regards narquois qui se posaient sur le bas de sa robe maculé de boue. En balayant les quatre tables du regard, Regulus aperçut son frère Sirius, qui se tenait debout sur son banc et riait avec un garçon aux cheveux ébouriffés qui portait des lunettes rondes. Quand Sirius aperçut Regulus, il donna un coup de coude à son voisin à lunettes et le montra du doigt. Aussitôt, Regulus baissa la tête et sentit ses joues devenir aussi rouges que les étendards sous lesquels se pavanait son frère.

Pendant tout le discours du professeur Dumbledore, Regulus sentit le regard moqueur de Sirius dans sa nuque, et ne parvint pas à en écouter un seul mot. Heureusement, dès le moment du Choixpeau magique venu, le professeur McGonagall abrégea rapidement ses souffrances en appelant son nom en premier :

– Black, Regulus !

Les Serpentard, qui se souvenaient amèrement de la déception que leur avait causé Sirius l'année précédente, se gardèrent bien de crier victoire trop vite, et se contentèrent de se redresser sur leurs sièges en jetant des regards craintifs vers la table des Gryffondor. Sous les étendards verts, Narcissa fixait obstinément son assiette pleine, mais Daisy adressa un petit signe encourageant à Regulus, auquel il répondit par un faible sourire.

McGonagall adressa un sourire pincé à Regulus et posa le Choixpeau, humide et rapiécé, sur ses cheveux noirs et ondulés. Il laissa échapper un petit cri lorsqu'une petite voix nasillarde lui marmonna à l'oreille :

– Oh ! Encore un Black ! Pour toi, le choix sera sans doute plus facile... Je vois une grande intelligence, beaucoup d'ambition... La volonté de marcher dans les traces de tes ancêtres...

À travers un trou du Choixpeau, Regulus aperçut son frère. Étrangement, il ne riait plus, et le regardait avec sérieux et intensité. Regulus tressaillit : pendant une demi-seconde, il avait cru voir la moquerie disparaître de son regard... Mais Regulus avait une mauvaise vue, et il se persuada aussitôt d'avoir rêvé.

– Attends un peu, marmonna le Choixpeau. Et si... Oh, et puis non... L'espace d'un instant, j'ai cru que tu voulais rejoindre ton frère... Mais j'ai dû me tromper... Je me fais vieux, tu sais... Enfin, pour toi, aucun doute, ce sera : SERPENTARD !

Le nom résonna sous les milliers de chandelles qui flottaient dans les airs, et aussitôt, les Serpentard se levèrent comme des ressorts pour l'acclamer bruyamment et l'applaudir à pleines mains. Même Narcissa, après un petit coup de coude de Daisy, revint furtivement à la réalité et se joignit à eux.

En revanche, un vacarme tout aussi assourdissant monta de la table des Gryffondor, et plus précisément de l'endroit où se trouvaient James et Sirius : des sifflets et des huées fusèrent vers lui, et le professeur McGonagall fut forcée de descendre de ses marches pour rappeler les élèves de Gryffondor à l'ordre.

Les premiers jours que Regulus passa à Poudlard restèrent gravés dans sa mémoire comme l'épreuve la plus difficile qu'il ait jamais eu à affronter. Ne jamais avoir quitté sa maison était un handicap majeur pour faire face aux grands espaces et à l'inconnu : aussi, il n'arrêtait pas de se perdre dans les couloirs et d'arriver en retard aux différents cours. Il écopait donc toujours d'une place au fond de la classe, d'où il avait du mal à déchiffrer les pattes de mouches que les professeurs écrivaient au tableau. Regulus n'avait jamais osé dire à sa mère qu'il avait des problèmes de vue, de peur qu'elle ne le trouve imparfait ; et dès qu'un professeur l'interrogeait, il ne pouvait s'empêcher de rougir et de bafouiller. Le seul professeur qu'il avait réussi à impressionner était le professeur Slughorn, les Potions étant la seule matière dans laquelle il n'était pas requis de parler ni de voir au loin.

Environ une semaine après le jour de la rentrée, il se perdit à nouveau en essayant de regagner le dortoir de Serpentard, notamment parce qu'il ne pouvait pas s'empêcher de ruminer le cours qui venait de se dérouler : le professeur Flitwick lui avait posé une question toute simple sur le Sortilège de Lévitation, mais Regulus s'était laissé surprendre et avait bafouillé de la façon la plus ridicule qui soit. Alors qu'il tournait et retournait la scène dans sa tête, repensant à toutes les choses intelligentes qui auraient dû sortir de sa bouche au lieu du gargouillis incompréhensible qui avait déclenché l'hilarité de la totalité de la classe, il réalisa qu'il se trouvait dans un endroit de l'école où il ne s'était jamais rendu, un grand couloir au plafond haut où se trouvait une gigantesque statue de centaure qu'il était certain de n'avoir jamais vue.

En s'attardant un instant sur l'aspect imposant de la statue, il fut percuté de plein fouet par un garçon aux cheveux noirs et gras qui s'enfuyait dans la direction opposée. Tout en reprenant ses esprits, Regulus identifia ce qui avait fait fuir le garçon : un groupe d'élèves arrivait dans leur direction, et même si leurs visages étaient flous pour Regulus, il pouvait distinguer leurs écharpes rouges et or, et songea qu'il n'avait pas très envie de s'approcher d'eux. Il fit donc demi-tour, mais, avant qu'il n'atteigne la statue du centaure, il entendit avec effroi des pas précipités se rapprocher de lui, et une main se referma sur son épaule.

– Hé, toi ! lui dit une voix.

Regulus se retourna en espérant que son interlocuteur l'ait confondu avec quelqu'un d'autre, mais hélas, c'était bien lui qui était visé, et par la dernière personne qu'il avait envie de voir – James Potter, l'âme damnée de Sirius.

– Ne pars pas si vite, dit-il.

Il affichait le même sourire moqueur que le jour de la rentrée, et jetait des regards furtifs autour de lui pour bien s'assurer que toute l'attention était fixée sur lui. Regulus se redressa pour paraître aussi grand que possible, mais James mesurait une bonne tête de plus que lui.

– Tu es bien le frère de Sirius ?

Derrière l'épaule de James, Regulus vit avec effroi une douzaine de paires d'yeux intrigués se poser sur lui. Il parvint à rassembler le peu d'aplomb nécessaire pour articuler :

– Euh... Oui, c'est moi...

– Sirius m'a dit que tu n'étais pas très gentil avec lui, enchaîna James.

– Je...

– Il m'a dit que tu le dénonçais à vos parents dès qu'il faisait la moindre bêtise, et qu'il se faisait souvent punir à cause de toi... C'est vrai, ça ?

Regulus sentit ses joues se couvrir de vilaines plaques rouges. Il chercha du secours parmi les autres élèves, mais personne n'avait l'air d'avoir envie de bouger le petit doigt pour l'aider. Désespéré, il reconnut Jian parmi eux, qui l'observait avec un air désolé.

– Il m'a dit aussi que...

– Sirius est un abruti ! explosa Regulus, au bord des larmes.

James prit un air faussement choqué, et se tourna vers les autres élèves qui observaient la scène.

– Vous avez entendu ? Tu viens d'insulter mon meilleur ami, dit-il à Regulus avec sévérité. Et moi, s'il y a bien une chose que je ne supporte pas, c'est qu'on dise du mal de mes amis...

James saisit un des livres qui se trouvait dans le sac de Regulus, et tira dessus d'un coup sec, faisant tomber une grande partie de ses affaires sur le sol.

– Hé ! protesta Regulus en voyant sa bouteille d'encre s'éclater par terre et tacher ses livres de cours.

Cent potions pour dominer le monde, lut James à voix haute. Tu lis ça, toi ? Ce n'est pas du tout au programme des première année...

Regulus était catastrophé. Avant qu'il ne parte à Poudlard, Bellatrix lui avait donné ce livre en lui faisant promettre qu'il le lirait. La connaissant, Regulus se doutait bien qu'il s'agissait de magie noire, et que cela pourrait lui attirer des ennuis, mais il n'avait pas osé contrarier sa cousine. Il fit un pas vers James pour récupérer son livre, mais celui-ci l'esquiva avec agilité et se mit à le feuilleter.

– Potion d'Envoûtement, Philtre Explose-Cervelle... Nom d'un crapaud, c'est de la magie noire ! s'exclama James en refermant le livre d'un coup sec.

– Rends-le moi, supplia Regulus.

Il regarda autour de lui, affolé. À l'évocation de la magie noire, les élèves, qui avaient l'air initialement indécis, commençaient à manifester de la crainte, voire de l'hostilité. Regulus tendit la main vers son livre, mais James parvint à le maintenir hors de sa portée.

– Tu es comme tous ces tarés de Serpentard, alors ? Comme Servilus, Avery et Mulciber ? Tu vas les aider à jouer des mauvais tours aux élèves ?

Regulus ne connaissait pas les noms que James venait de citer, mais en voyant les visages des spectateurs se crisper, il devina qu'ils n'étaient pas très aimés.

– Allez, attrape-ça, si tu peux, dit James en balançant le livre sous le nez de Regulus.

– Arrête ça, James.

James s'interrompit et se retourna, car la voix qui venait de lui donner un ordre était la seule à laquelle il daignait obéir de temps en temps.

– Hé, Sirius ! Je disais justement à ton frère...

– Arrête ça, répéta Sirius.

– Regarde ce qu'il lisait ! insista James en lui montrant le livre.

Sirius s'empara du livre, et en examina la couverture avec un dégoût et une consternation manifestes.

– Parfois, je me demande si nous sommes bien frères, dit-il à Regulus avec un mépris assassin. Allez viens, James, allons brûler ce bouquin. Et ne perds pas trop ton temps avec mon frère, il n'en vaut pas la peine.

James obtempéra en haussant les épaules, et les deux amis tournèrent les talons. La foule des élèves s'écarta docilement devant eux, et plusieurs filles essayèrent d'attirer leur attention en se tortillant des mèches de cheveux ou en leur faisant des petits signes de la main.

– Salut James, salut Sirius, minaudèrent certaines d'entre elles.

James leur répondit en faisant des clins d'œil appuyés. Sirius, lui, ne leur accorda pas un regard, se contentant de balancer ses cheveux bouclés avec un mouvement de tête nonchalant lorsqu'il passa à côté d'elles.

Dès que Sirius et James eurent disparu, les autres élèves se dispersèrent. Dans le couloir désormais silencieux, Regulus ramassa ses livres en maudissant sa propension à devenir rouge écarlate à la moindre contrariété. Il remit rageusement son livre sur les Sortilèges dans sa sacoche, mais un léger picotement dans la nuque lui donna l'impression d'être observé. Il se redressa et regarda l'extrémité du couloir où Sirius avait disparu, mais celle-ci était déserte. Il tourna sur lui-même, détailla les différents portraits qui étaient retournés à leurs activités habituelles, puis la statue de Centaure, mais il n'y avait pas âme qui vive.

Regulus continua donc de ramasser ses livres sans cesser de bouillonner. Il s'était senti humilié comme il l'avait rarement été, et pour la première fois de sa vie, personne n'était venu à se rescousse.

– Alors, Servilus, encore en train d'espionner les autres ?

Regulus fit un bond en arrière en reconnaissant la voix de James Potter, et ses livres s'étalèrent à nouveau sur le sol de pierre. Il regarda autour de lui, affolé ; mais, à son grand soulagement, il n'y avait aucune trace de James dans son champ de vision. En revanche, un garçon très pâle aux cheveux noirs et gras venait de jaillir de derrière la statue de centaure, effrayé par le fantôme d'un petit homme rondelet, coiffé d'un chapeau en forme de cloche, qui imitait la voix de James Potter à la perfection.

Quand est-ce que tu te laves les cheveux, Servilus ? Hahaha ! Belle performance d'acteur, n'est-ce pas ?

– PEEVES ! explosa le garçon qui venait de sortir de sa cachette. Va-t’en !

Servilus, Servilus, chantonna l'esprit frappeur. Tu ne sens pas très bon, Servilus, tu ne voudrais pas aller faire un petit plongeon dans le lac ?

Le fantôme passa à travers le garçon aux cheveux noirs, s'enfonça dans un mur en riant, et le calme revint dans le couloir. Partiellement remis de ses émotions, Regulus eut le loisir de détailler plus précisément le garçon qui l'observait sans doute depuis un certain temps. Il était maigre, très pâle ; ses cheveux noirs et gras pendaient de chaque côté de son visage, comme deux rideaux sales, et ses yeux tout aussi noirs scrutaient Regulus avec un mélange d'intérêt et de méfiance.

– C'est toi, Servilus ? demanda timidement Regulus.

– Je m'appelle Severus ! explosa le garçon en reculant d'un pas.

– Oh, pardon... Severus comment ?

– Severus Rogue.

Regulus remarqua seulement à ce moment-là que le garçon était habillé de façon très étrange, avec une sorte de blouse qui flottait autour de lui, une veste élimée et un pantalon trop court. De plus, il n'arrêtait pas de se gratter le coude droit, ce qui faisait un bruit assez désagréable.

– Tu es le frère de Sirius ? demanda Severus.

– Oui.

– Je le déteste.

Regulus songea que c'était une drôle de manière d'engager la conversation, puis se remémora sa rencontre avec Jian, et se dit qu'il n'avait aucune leçon à donner à ce sujet.

– Ton veston est bizarre, ajouta Severus. On dirait celui d'un vieillard.

Regulus sentit ses joues rosir légèrement, et faillit répliquer que c'était une remarque étonnante de la part d'un garçon habillé comme un épouvantail, mais il se retint de le faire. Il décida plutôt d'essayer de s'attirer la sympathie du garçon, et en voyant l'écharpe vert émeraude enroulée autour de son cou, Regulus eut une idée.

– Je suis le frère de Sirius, mais je suis aussi le cousin de Narcissa. Tu sais, la préfète qui est grande et blonde, en septième année...

– Je sais très bien qui est Narcissa ! répliqua Severus en relevant un peu le menton.

Regulus ne savait plus quoi dire. Heureusement, Severus poursuivit, sur un ton un peu moins hostile :

– Elle, elle est gentille. Elle me défend, parfois, quand James et Sirius me cherchent des noises. L'an dernier, il y avait aussi son ami, Lucius Malefoy. Dommage qu'il soit parti, celui-là.

– Il est à Durmstrang pour un an, l'informa Regulus. C'est Narcissa qui me l'a dit...

– Je sais, Lucius m'a envoyé lui-même une lettre pour me raconter, dit fièrement Severus. Il en a de la chance...

– Oui, quelle chance, approuva Regulus en souriant.

Tous les deux se regardèrent comme deux animaux de la même espèce qui rencontraient pour la première fois un de leurs semblables.

– Tu lisais vraiment Cent Potions pour dominer le monde ? demanda finalement Severus.

– Eh bien... C'est ma cousine Bellatrix qui me l'a conseillé, dit Regulus, un peu honteux. J'étais en retard, ce matin, et je l'ai confondu avec mon livre de Potions...

– C'est un livre génial, coupa Severus. On n'y trouve quasiment aucune erreur. Il y en a juste une, page trois cent douze, pour la Potion d'Aveuglement : il faut éviscérer l'anguille avant de le mélanger à la sève d'algues rouges. J'ai essayé d'envoyer un courrier à l'auteur pour le prévenir qu'il avait oublié ce détail, mais il a écrit sous un faux nom pour ne pas s'attirer d'ennuis...

Regulus n'avait aucune idée de ce dont Severus parlait, car il n'avait lu que les premières pages du livre, mais il était impressionné par les connaissances qu'il semblait posséder malgré son jeune âge – Regulus estima qu'il devait être en deuxième année, comme Sirius et James.

– Comment tu sais tout ça ?

– Parce que j'ai essayé la recette, dit Severus comme si c'était une évidence. Il y a des toilettes, au deuxième étage, qui sont toujours en réparation... C'est parfait pour être tranquille.

– Mais, les potions, tu... Tu les fais boire à des élèves ?

– Non, je me ferais renvoyer, répondit Severus avec une pointe de regret dans la voix. J'essaie sur des animaux, il y a des tas de rats dans le château.

Regulus écarquilla les yeux, à la fois dégoûté et impressionné. En face de lui, Severus se mit à se gratter le coude gauche avec autant d'ardeur que le droit.

– Tu veux que je te montre ? Les toilettes ne sont pas loin. J'allais justement finir un Philtre de Confusion, avant de croiser ce crétin de James Potter.

Regulus jeta un regard derrière son épaule, effrayé par l'idée que Sirius puisse le surprendre en train d'avoir une telle conversation.

– Dans les toilettes du deuxième étage, personne ne viendra nous déranger, dit Severus, comme s'il avait lu dans ses pensées.

Puis Severus regarda les livres de Regulus étalés par terre, et désigna ceux qui trempaient dans la flaque d'encre.

– On pourra faire sécher tes livres, si tu veux.

Ce fut cette dernière idée qui décida Regulus. Il s'empressa de ramasser ses livres en se tachant les doigts, et emboîta le pas à Severus qui avait déjà commencé à s'éloigner.

– Pourquoi tu te grattes le coude comme ça ? osa-t-il lui demander une fois qu'il l'eut rattrapé.

– Je crois que James et Sirius ont mis du Gratopoil dans ma veste, grommela Severus. Parfois, je regrette vraiment qu'on ne puisse pas se servir de la magie noire sur d'autres élèves...

– C'est sûr, approuva Regulus en pensant que James Potter ferait un excellent cobaye pour le Philtre Explose-Cervelle. Dis, tu penses qu'il existe une potion pour corriger la vue ? En classe, je n'arrive jamais à voir le tableau.

– Rien de plus facile, assura Severus. Il faut juste qu'on trouve de la lutéine et du verre pilé. C'est un mage noir du XVe siècle qui a trouvé cette recette, car il trouvait que porter des lunettes le rendait moins crédible. Mais comme il a assassiné des centaines de Moldus, personne ne veut entendre parler de cette potion. Si tu veux mon avis, c'est complètement stupide.

– Entièrement d'accord, assura Regulus.

Et, pour la première fois depuis la rentrée, il sourit sincèrement.

Par la suite, la scolarité de Regulus devint bien plus facile à supporter. Il passa beaucoup de temps avec Severus Rogue, qui était ravi de pouvoir enseigner ses multiples connaissances à l'élève appliqué qu'était Regulus. Sirius continuait de l'ignorer superbement, et Regulus avait appris à éviter les endroits où il pouvait tomber sur James Potter.

En se rapprochant de Severus Rogue, Regulus fit également la connaissance de Robin Mulciber et Liam Avery, deux garçons que Severus côtoyait pour la seule raison qu'ils avaient promis l'année précédente à Lucius Malefoy qu'ils le défendraient contre James Potter. Contrairement à Liam Avery et Robin Mulciber, Severus et Regulus ne jouaient pas de mauvais tours à d'autres élèves innocents – ils étaient assez occupés à esquiver les mauvaises farces qui leur étaient destinées – et n'avaient pas le même sens de l'humour sadique que leurs deux camarades. Cependant, ils avaient en commun une immense fascination pour la magie noire, pour l'invulnérabilité que celle-ci permettait d'atteindre, et pour le charisme de ceux qui l'exerçaient ; et, alors qu'ils faisaient connaissance et se convainquaient tous les quatre d'avoir raison, un certain évènement vint alimenter leurs fantasmes de puissance...


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