Secrets de Serpentard : La noble famille Black

Chapitre 22 : L'affaire du Collier d'Opale

7727 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/10/2022 09:30

Si cette année-là fut l'année où Andromeda commença à être réellement heureuse, elle resta gravée dans l'esprit de Narcissa comme la pire année qu'elle ait jamais vécue. En effet, tout ce qui avait jusqu'ici évolué insidieusement au sein de sa famille refit brutalement surface, de façon pour le moins explosive ; et en conséquence de cela, ce fut l'année où le délitement de la famille Black connut une brutale accélération, à commencer par l'amitié pourtant précieuse qu'entretenaient Sirius et Narcissa.

Sirius et son ami James, devenus rapidement extrêmement populaires au sein de Poudlard, s'obstinaient à maltraiter Severus Rogue à la moindre occasion, malgré les avertissements de Lucius, qui, fier de son nouveau rôle de Préfet-en-Chef, entendait bien défendre l'honneur de sa maison.

– Allez embêter qui vous voulez, mais pas un Serpentard, leur avait fermement préconisé Lucius.

Mais Sirius et James n'en avaient fait qu'à leur tête. Un jour, alors que Sirius et James avaient poursuivi Severus jusqu'au bord du lac de Poudlard pour lui faire avaler des Bonbons à hoquet de chez Zonko, cela avait conduit à un affrontement particulièrement désagréable opposant d'un côté Lucius, les deux jumeaux Crabbe, Edgar Goyle, Carla Avery et d'autres Serpentard, et de l'autre côté Sirius et ses amis, appuyés par toute une bande d'élèves de diverses maisons, ravis d'en découdre avec Serpentard.

Narcissa, aidée par Daisy, par un ami de Sirius prénommé Remus, et par une petite fille aux yeux verts et aux cheveux roux foncés, avait tenté d'apaiser la situation, mais James s'était ouvertement moqué de Lucius en imitant sa voix traînante, à la grande joie de Sirius, et la dispute avait rapidement dégénéré. Personne n'était sorti vainqueur de la bataille, tout le monde était également abîmé : notamment, James Potter avait perdu un bout de dent, et Lucius avait gobé par inadvertance un des Bonbons à hoquet.

Après cet épisode, Lucius avait promis des représailles à James Potter, qui s'en souciait autant que s'il lui avait offert une paire de chaussettes. Également soucieux d'assurer la sécurité de Severus Rogue, Lucius avait confié sa protection à deux Serpentard de première année qui se trouvaient là, Robin Mulciber et Liam Avery – le petit frère de Carla. Il pria Severus de ne pas les lâcher d'une semelle, et fit promettre aux deux autres garçons de le protéger face à ses tortionnaires. Robin Mulciber et Liam Avery n'étaient pas ravis de devoir jouer les gardes du corps, mais Lucius fit preuve d'une autorité implacable, épaulé par Narcissa, et Severus leur exprima toute la reconnaissance dont il était capable – c'est-à-dire un remerciement à peine intelligible, le regard fuyant.

Peu avant les vacances d'été, alors que Lucius s'apprêtait à achever sa scolarité à Poudlard, il annonça une grande nouvelle à Narcissa : pour se faire pardonner de leur bévue hibouesque concernant son admission, l'école de Durmstrang lui avait proposé de lui délivrer une année supplémentaire d'enseignements, l'année suivante, en complément de ses sept années passées à Poudlard.

– Tu seras loin, se plaignit Narcissa. Tu m'écriras ?

– C'est promis, lui assura Lucius.

Cette nouvelle ramena brutalement Narcissa à la dure réalité. Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, en quatrième année, elle avait évolué sur un petit nuage, et avait sciemment occulté de son esprit tous ses problèmes – la maladie de sa mère, la défaite de son père au Ministère, les absences répétées et le comportement incontrôlable de Bellatrix, l'influence que celle-ci commençait à exercer sur leur cousin Regulus... L'annonce du départ prochain de Lucius vers la péninsule scandinave lui rappela douloureusement que cette parenthèse enchantée allait prendre fin, et la perspective d'une septième année à Poudlard sans son agréable compagnie la rendait malade.

En plus des soucis personnels de Narcissa, l'actualité qui agitait le monde des sorciers devenait de plus en plus inquiétante, en raison d'agressions étranges et violentes envers les Moldus qui éclataient aux quatre coins de l'Angleterre, de plus en plus rapprochées, toujours signées par cette mystérieuse tête de mort au serpent qui flottait dans le ciel au-dessus du lieu du crime.

Les catastrophes qui allaient s'ajouter à ce tableau déjà menaçant furent annoncées par un article paru dans La Gazette du sorcier peu avant l'été, et qui, pourtant, ne semblait pas concerner Narcissa de si près :

Un collier ensorcelé cause la mort de dix-neuf moldus

Dans la nuit du 26 au 27 juin, lors d'une réception organisée à Londres par une célèbre actrice moldue, dix-neuf personnes ont été saisies d'une mort brutale et spectaculaire, défrayant la chronique de la presse moldue anglaise. D'après un inspecteur du Ministère des Affaires magiques, infiltré dans la police moldue londonienne, un collier d'opale ensorcelé récemment acquis aurait été retrouvé dans la demeure de la jeune célébrité, encore sous le choc. « Je peux affirmer, presque avec certitude, que ce collier est à l'origine de ce terrible évènement », nous confie l'agent infiltré, qui préfère rester anonyme. « Tous les sorciers qui ont œuvré, de près ou de loin, pour que ce collier se retrouve aux mains de moldus seront sévèrement punis », promet Eugenia Jenkins, notre Ministre de la Magie, qui œuvre depuis plusieurs mois pour apaiser les relations plus que tendues avec son équivalent moldu. En effet, cette catastrophe n'est pas sans rappeler les nombreux incidents similaires qui ont eu lieu ces derniers mois ; on rappellera notamment l'affaire de la Baignoire sans fond, ou de la Cravate étrangleuse. Alors comment cet objet, puissamment empreint de magie noire, s'est-il retrouvé dans une demeure moldue ? Y a-t-il un lien avec les évènements précédents ? Comment nos relations avec le gouvernement moldu vont-elles évoluer ? « De nombreuses questions restent aujourd'hui sans réponse », conclut savamment Margo Grapetou, notre experte en magie noire.

Narcissa, lasse de ses disputes avec Sirius et affligée à l'idée de passer l'année suivante seule à Poudlard, écouta d'une oreille maussade Lucius lui lire l'article avec animation, passionné comme il l'était par la magie noire. Et ce premier article fut rapidement suivi d'un deuxième, le lendemain :

Piscus Crabbe accusé de vente d'objets ensorcelés aux Moldus

Rebondissement dans l'affaire du Collier d'opale : après interrogatoire, il semblerait que la malheureuse actrice qui s'était retrouvée en possession de l'objet ensorcelé ait été naïvement abusée par un sorcier nommé Piscus Crabbe, actionnaire éminent et fortuné de la banque Gringott's. Les enquêteurs auraient retrouvé sa trace grâce à une technologie moldue tout à fait fascinante (à laquelle nous avons consacré un article en page 3). Les perquisitions menées au domicile du sorcier auraient été très fructueuses, révélant une quantité impressionnante d'objets ensorcelés, manifestement destinés à être vendus aux moldus à prix d'or. Après quelques arrangements nécessaires avec le gouvernement moldu, le sorcier est aujourd'hui retenu au Ministère, où il attend d'être jugé. Le Ministère aurait donc mis le doigt sur un véritable trafic organisé, impliquant un réseau étendu de sorciers, dont le rôle irait du transfert d'objets à la conversion non déclarée d'argent moldu en monnaie sorcière. Il est très probable que ces criminels soient également à l'origine des autres évènements récents, qui se sont enchaînés à une vitesse inquiétante ces dernier mois.

Les deux jumeaux Crabbe, Hector et Rascus, eurent l'autorisation de quitter Poudlard plus tôt que prévu pour rejoindre leur mère, ce qui mit Narcissa en joie – et ce fut bien la seule bonne nouvelle de cette fin d'année. Pendant le trajet du retour en Poudlard Express, alors qu'elle essayait de ne pas penser à tous les soucis qui l'attendaient chez elle, elle tenta de se distraire avec ceux qui inquiétaient le reste des sorciers :

Bartemius Croupton désigné pour juger l'affaire Piscus Crabbe

Nous apprenons aujourd'hui que le juge désigné pour diriger le procès de Piscus Crabbe, accusé de vente d'objets ensorcelés aux moldus, n'est autre que Bartemius Croupton, le fameux chef du Département de la Police Magique, bien connu pour sa poigne de fer et sa rigueur implacable. « Je n'aurai pas de pitié pour ceux qui ouvrent inconsidérément des portes entre le monde des Moldus et le nôtre », a-t-il déclaré en réaction à cette nouvelle.

Voilà qui est de mauvais augure, donc, pour Piscus Crabbe et ses éventuels complices. Le procès commence dès demain au Ministère, et sera suivi de près par notre rédaction.

Narcissa lut tous ces articles sans grand intérêt, sans se douter qu'elle les collerait rageusement dans son journal quelque temps plus tard, en remontant à l'origine de ce qui avait contribué à faire voler sa famille en éclats.

Et déjà, en arrivant au 12, square Grimmaurd, après avoir dîné avec Lucius à La Lyre enchantée – un restaurant très prisé par les hauts fonctionnaires du Ministère – Narcissa comprit que cette affaire la touchait de bien plus près qu'elle ne voulait le croire. Après avoir hissé sa valise en haut du perron, elle entra dans la maison en soulevant la clochette au-dessus du linteau de la porte, afin qu'elle ne sonne pas. À peine avait-elle fait un pas dans l'entrée qu'une masse de cheveux bruns obscurcit son champ de vision : Bellatrix venait de lui sauter au cou, excitée comme une puce.

– Cissy, on t'attendait ! dit-elle à voix basse. Ne fais pas de bruit, on essaie d'écouter ce que disent Orion et papa !

Il était minuit passé, mais Bellatrix était encore habillée. Elle portait une robe déchirée aux épaules, et une lueur étrange brillait dans son regard. Andromeda la suivait de près, et embrassa silencieusement Narcissa en lui faisant un grand sourire, qui signifiait bien à quel point elle était heureuse de retrouver sa petite sœur. Elle était également habillée et maquillée, ce qui la rendait encore plus ravissante que d'habitude ; ses cheveux étaient légèrement défaits, et une discrète odeur d'alcool se dégageait d'elle.

– Tu étais sortie ? demanda Narcissa.

– Oui, je viens de rentrer, dit Andromeda avec un sourire légèrement embarrassé.

– Chhht ! Ils vont nous entendre ! chuchota Bellatrix, excédée.

À l'aide de grands gestes hystériques, elle ordonna à ses sœurs de laisser la valise de Narcissa dans l'entrée, et de la suivre. Elles montèrent les escaliers à la file indienne vers le premier étage, d'où provenaient des éclats de voix masculines, et collèrent leurs trois oreilles sur la lourde porte qui fermait l'accès au salon.

Elle entendit la voix nasillarde d'Orion, très désagréable :

– Nous sommes différents, Cygnus. Très différents...

– Oh, voilà une belle analyse, répondit la voix calme et assurée de leur père. J’ajouterais même que nous ne sommes pas pareils.

– Tu sais, continua l'oncle Orion sur un ton affable, j'admire beaucoup ta détermination en ce qui concerne ce trafic d'objets ensorcelés. Mais dans ce cas précis, je te conseille vivement de m'obéir. Croupton et toi, vous vous attaquez à plus puissant que vous, et cela ne peut que vous nuire.

– Tu sais très bien que je ne peux pas faire relaxer Crabbe, Orion. Tu connais l'intransigeance du Ministère sur ce sujet, surtout depuis que cette petite Jenkins a été nommée à sa tête. De plus, ce cher Barty est irréprochable, il ne se laissera jamais corrompre. Crabbe s'est fait prendre bêtement, et les témoignages sont édifiants. Je suis désolé, mais je ne peux rien faire pour lui.

– Bien sûr que tu pourrais, dit Orion. Des affaires comme celles-ci, il y en a des centaines. Tu es bien placé pour savoir qu'avec de belles promesses et quelques poignées de gallions, on obtient le verdict qu'on veut...

– Des centaines oui, mais elles ne font pas la une de la presse ! Même si j'en avais l'envie et le courage, as-tu seulement une idée des risques qu'il me faudrait prendre, moi, le juge le plus estimé du Ministère ? Si on me surprend en train de trafiquer ce procès, je perds tout, y compris la maigre fortune que je possède. Je sais que tu as en horreur la Justice, et que tu souhaiterais que tes clients puissent enfreindre impunément la Loi des Sorciers, simplement parce que leur portefeuille est bien rempli. Mais je ne suis pas de cet avis. Les Moldus sont une engeance pour le monde des Sorciers, et nous devons nous garder de toute relation avec eux, y compris commerciale.

– Quel dogme stupide, soupira Orion. Évidemment que c'est une engeance, un fléau. Loin de moi l'idée de relation : il ne s'agit que d'arnaques, de saisir l'opportunité d'épandre sa richesse en les soumettant encore davantage !

– Et en leur fournissant une porte d'entrée vers notre univers si bien gardé ? Orion, cette histoire a fait la une de tous les journaux d'Angleterre, et des centaines de scientifiques se bousculent pour étudier ce collier ! Tuer, ensorceler des Moldus, je ne m'y oppose pas, à condition de le faire sans laisser de traces ! Même nos confrères américains se sont mieux débrouillés que vous, quand ils ont voulu se débarrasser de leur président moldu !

– Si c'est la visibilité de cette affaire qui t'inquiète, j'en fais mon affaire. Fais ta part, et je veillerai à ce que ce collier soit mis en lieu sûr.

Les trois sœurs entendirent leur père soupirer.

– Cygnus, écoute-moi, insista Orion. Crabbe a autant de pouvoir sur la banque de Gringott’s que tous ces satanés gobelins réunis ! Si tu m'aides, si nous le tirons de là, il nous couvrira d'or ! Imagine, ce que tu pourrais faire avec toute cette fortune !

– C'est non. Le verdict d'un juge ne s'achète pas. N'insiste pas.

– Réfléchis, continua Orion. Pense à ces nouveaux guérisseurs si savants, chez nos amis d'outre-Atlantique, et à tous leurs coûteux remèdes auxquels tu n'as jamais osé songer... Peut-être, avec une fortune acceptable, y trouveras-tu enfin celui qui permettra à ta chère petite femme de combattre ce mal inconnu qui la dévore depuis des années ?

Malgré la chaleur étouffante de ce début d'été, Narcissa frissonna en entendant ces mots. Elle détestait la façon dont Orion parlait de sa mère, en soupesant chacune de ses syllabes gorgées de mépris, en parlant avec hypocrisie de sa maladie comme d'un fardeau dont il souffrirait autant qu'eux.

– Ah, mais quelle idée, aussi ! explosa Cygnus Black. Vendre des objets magiques aux Moldus ! Je sais bien qu'ils sont prêts à débourser des sommes astronomiques pour obtenir la moindre amulette, mais quelle folie ! Et un collier d'opale, par-dessus le marché ! Dix-neuf Moldus y ont laissé la vie, enfin, tu te rends compte ?

– Des Moldus, dit Orion avec un petit rire. Ne me dis pas que cela t'affecte.

– J'ai déjà trop agi pour ton compte au Ministère, Orion. Tu es un truand, et moi un homme de principe. Je tiens à le rester. Cette fois-ci, vous êtes allés trop loin : Crabbe ne pourra pas échapper à la justice.

La voix d'Orion se fit plus agressive.

– Tu sais ce qu'il se passera si Crabbe me dénonce. Sans moi, vous ne pourrez jamais vous en sortir. Je te rappelle que c'est moi qui permets à ces murs de tenir debout, moi qui permets à ce chaudron d'être rempli chaque soir, moi qui permets à tes filles d'aller étudier à Poudlard avec des robes neuves et des baguettes de chez Ollivander !

– Oui, je connais ta petite chanson. Ne t'en fais pas, j'ai bien vérifié : tu es doué, rien ne peut te compromettre dans cette affaire. Si c'était le cas, je serais déjà écarté du Magenmagot, le temps du procès.

– Tu sais, je pourrais aller leur dire que Crabbe et moi avons des intérêts en commun. En habitant sous le même toit que moi, tu perdrais alors toute crédibilité...

– Et je suppose que tu en profiteras pour leur expliquer comment tu pousses tes clients à renflouer illégalement leurs coffres avec ces trafics d'objets ensorcelés ? Que tu soudoies la moitié du personnel du Département Fiscal pour laisser ces malfaiteurs se remplir les poches ? Ou encore, que le jeune dragon que tu as chapardé aux Goyle est honteusement exploité et maltraité, afin d'assurer la sécurité de Gringott's ? Croupton se fera un plaisir de recueillir ton témoignage, je n'en doute pas un seul instant. Allons, Orion, sois raisonnable : laisse donc Crabbe plonger seul, et trouve-toi un autre client plus malin.

Narcissa entendit un juron, et un bruit de verre brisé. Puis Orion parla d'une voix sèche et tranchante :

– J'en conclus, mon cher beau-frère, qu'au lieu de te rallier sagement à ceux qui dirigent le monde, tu préfères t'entêter et te mettre en travers de mon chemin. Ça ne t'a jamais réussi, tous tes petits principes, tu aurais pu aller beaucoup plus loin, si tu m'avais écouté... Et crois-moi, j'en suis vraiment navré, pour toi, pour ta femme et pour tes filles, que tu condamnes allègrement à une vie de dépendance et de misère. Mais, cela t'importe peu, je l'ai bien compris.

Orion se leva, et claudiqua vers la porte de la salle à manger. Précipitamment, les trois sœurs se réfugièrent dans leur chambre et claquèrent la porte juste à temps. Heureusement, Orion était trop préoccupé pour les entendre : il passa sur leur pallier en faisant traîner sa jambe vexée, et en poussant des soupirs excédés.

Dans la chambre, Bellatrix, Andromeda et Narcissa s'affalèrent sur leur lit, toutes habillées.

– Qu'est-ce que ça veut dire ? chuchota Narcissa.

– Ça veut dire qu'Orion trempe dans ces affaires de trafic d'objets ensorcelés, dit Bellatrix, presque admirative. Je me demandais bien qui pouvait faire ça !

– Et il veut que Papa influence le procès en faveur de Crabbe... Il avait l'air vraiment furieux. J'espère qu'il ne va pas lui faire un de ses coups tordus.

– Et ces agressions sauvages de moldus à Londres ? Vous pensez que c'est lui, aussi ? Vous pensez qu'il sait...

– Non, non, ça, c'est autre chose, dit Bellatrix, pensive.

Andromeda se redressa, inquiète. Cette affirmation ressemblait terriblement à l'aveu que ses deux sœurs redoutaient d'entendre.

– Comment ça, Bella ? Tu... Tu connais ceux qui ont fait ces choses horribles ?

– Horribles ? On parle de Moldus !

Andromeda et Narcissa échangèrent un regard affolé.

– Bella, tu n'es pas sérieuse... N'est-ce pas ?

– Il fallait bien que ça arrive, répliqua Bellatrix. Vous ne voyez pas que les sorciers – je parle des vrais sorciers, évidemment – se font déposséder de tous leurs biens par des êtres répugnants ? On dit même que Dumbledore a accepté un loup-garou à Poudlard, vous vous rendez compte ? Il est temps de faire quelque chose, les filles !

– Mais toi, tu... Tu as participé à ces meurtres ? Bella, réponds !

– Oh, tu m'énerves ! De toute manière, je dois partir, il est l'heure...

– L'heure de quoi ? demanda Andromeda en la retenant par le poignet.

– Lâche-moi, dit Bellatrix en la menaçant de sa baguette. Lâche-moi, je te dis !

Son visage fut brusquement animé par un rictus féroce, presque reptilien. Andromeda eut un mouvement de recul, et Bellatrix en profita pour se ruer hors de la pièce. Ses sœurs entendirent ses pas désordonnés dans l'escalier, et le petit ricanement qu'elle émit en partant leur glaça le sang.

– Je te jure, elle me terrifie, chuchota Andromeda. Qu'est-ce qu'on peut faire ? J'ai essayé de la suivre, mais elle transplane au bout de trois minutes, et refuse de me dire où elle va...

Narcissa poussa un long soupir, abattue par sa propre impuissance. Résignée, elle retira les bijoux luxueux et la superbe robe en flanelle bleue que lui avait offerts Lucius récemment, et revêtit avec un pincement au cœur son unique chemise de nuit, qui était fanée, terne, et bien trop grande pour elle. Puis elle posa sa tête sur son oreiller jauni, et remarqua soudain un amoncellement de lettres sous le lit d'Andromeda.

– Qu'est-ce que c'est que toutes ces lettres ? demanda-t-elle en en prenant l'une d'entre elles.

Elles étaient toutes couvertes de la même écriture bâclée, grossière et maladroite.

– C'est Hector Crabbe, soupira Andromeda. Il n'a toujours pas renoncé ! Pour l'instant, il n'en a toujours pas parlé à ses parents, mais le jour où il le fera...

Narcissa repensa avec amusement au jour où elle avait tenu tête à Hector Crabbe, et où elle les avait brillamment souffletés, lui et Lucius.

– Tu trouveras quelqu'un d'autre entretemps, j'en suis sûre. Et puis, tant que Piscus Crabbe est emprisonné au Ministère, tu ne risques rien !

Andromeda eut l'air un peu rassuré, mais le pli soucieux sur son front ne disparut pas pour autant.

– N'en parlons plus... Il y a trop de choses qui me tracassent. Heureusement qu'il y a la librairie !

– Ah oui, c'est vrai ! Alors, raconte-moi !

Et comme toujours, Andromeda entreprit de raconter avec passion la librairie et son travail si captivant, puis elle décrivit à Narcissa la minuscule Mrs Painswick, ses bijoux qui gazouillaient à chacun de ses pas comme une mélodie et sa voix qui vous enveloppait comme un châle réconfortant.

Depuis toute petite, Narcissa adorait qu'Andromeda lui raconte les choses : avec elle, tout avait une couleur, une texture et une odeur, tout était décrit si justement que Narcissa avait connu les différents professeurs sans jamais les avoir rencontrés, et avait commencé à appréhender Poudlard bien avant d'y venir pour la première fois. Quand Andromeda racontait, les murs de la chambre se transformaient en horizons clairs, en ruelles sombres ou en banquets somptueux, avec encore plus de réalisme depuis qu'elle avait commencé à travailler au Chat qui souris. Et ce soir-là, alors qu'Andromeda décrivait la librairie, Narcissa eut l'impression d'être transportée avec elle au milieu des pupitres et des plumes qui grattaient sur le papier, d'entendre autour d'elle le clapotis des bassines pleines de souvenirs imaginaires et le tintement des bracelets de Mrs Painswick lorsqu'elle rangeait les livres.

– Et il n'y avait pas un assistant, aussi ? demanda Narcissa, qui avait inconsciemment senti qu'une pièce manquait à l'édifice. Ted, je crois ? Comment est-il ?

– Oh, très gentil... Je t'en parlerai demain, je tombe de sommeil, dit Andromeda en mimant un bâillement. D'ailleurs, Maman était très impatiente de te voir... Elle s'est endormie avant que tu n'arrives, mais elle m'a fait promettre que je te t'embrasserais pour elle.

– J'irai la voir demain, dès mon réveil, dit Narcissa, plus pour elle-même que pour sa grande sœur.

Elle s'endormit immédiatement, épuisée et bercée par les doux récits d'Andromeda. Cette dernière, en revanche, fixa le plafond pendant un long moment, se demandant comment elle allait bien pouvoir annoncer à sa petite sœur qu'elle était tombée folle amoureuse d'un homme que toute sa famille méprisait, ou pire, souhaitait voir disparaître.

Le lendemain matin, Cygnus Black se réveilla aux aurores pour se rendre aux Ministère, où allait s'entamer le procès de Piscus Crabbe. Alors qu'il prenait en sifflotant sa grande robe rouge sur la patère du hall d'entrée, Bellatrix poussa la porte en boitillant. Elle avait le regard imprécis, la jambe éraflée et la pommette enflée – comme d'habitude.

– 'jour, Père, marmonna-t-elle, la voix pâteuse.

– Bellatrix ! Tu es encore sortie, alors que je te l'ai strictement interdit ! Quand te montreras-tu enfin raisonnable ? gronda-t-il.

Bellatrix émit un grognement, et essaya de l'esquiver, mais Cygnus se mit en travers de son chemin.

– Les pires rumeurs commencent à circuler à propos de toi, et de ce groupe d'Embrumés que tu fréquentes...

Bellatrix grimaça en entendant cette appellation. Pour certains Sang-Pur, dont son père faisait partie, ne compter aucun Moldu dans ses ancêtres n'était pas suffisant pour être considéré comme fréquentable : il fallait également posséder une fortune respectable et occuper un statut convenable dans la société. Les Embrumés étaient un qualificatif méprisant pour désigner ceux qui passaient du temps dans l'Allée des Embrumes, et qui, quel que soit le degré de pureté de leur sang, étaient répudiés par les sorciers qui souhaitaient garder une réputation immaculée au sein du monde magique.

Du côté des Embrumés, justement, on nourrissait une haine semblable envers tous ceux qui les méprisaient ; et on appelait Collinards, en référence à la Colline d'Émeraude, les riches Sang-Pur qui, publiquement, montraient un visage respectable et prétendaient condamner l'usage de la magie noire, tout en missionnant, dans l'ombre, ces mêmes Embrumés pour accomplir de sombres besognes et servir leurs intérêts, sans se gêner pour les trahir et les dénoncer à leur place si cela les arrangeait.

– Dois-je te rappeler, une fois de plus, que tu es l'aînée de cette famille, et que notre réputation repose sur tes épaules ? poursuivit Cygnus Black. Ton devoir est de me faire honneur, et non de me nuire comme tu le fais...

Bellatrix avait le don pour adopter, en toute circonstance, l'attitude qui provoquerait la susceptibilité de son père. Dans le cas présent, elle s'appliquait à s'appuyer négligemment sur le mur, sans réagir d'aucune façon, signifiant à son père que ses remontrances n'avaient absolument aucun effet sur elle.

– Bellatrix, regarde-moi quand je te parle ! Ta sœur Andromeda commence à suivre ton exemple, et à se débaucher le soir comme tu le fais déjà ! Je veux que tu cesses définitivement de fréquenter ces jeunes gens peu recommandables ! Quand te décideras-tu...

– À trouver un bon parti, et à l'épouser pour lui faire de jolis enfants ? acheva Bellatrix dans une imitation convaincante de la voix de tonnerre de Cygnus Black. Père, ne vous fatiguez pas : depuis le temps, je connais la chanson ! Toujours la même question, à laquelle je donnerai toujours la même réponse : JAMAIS ! Je serai seule, et libre, que ça vous plaise ou non ! Vous méprisez ceux que je fréquente, mais eux, au moins, ne me voient pas comme une poulinière !

Surpris par ce regain de vivacité, Cygnus Black ne trouva rien à répliquer, et Bellatrix profita de sa stupeur pour le contourner et monter d'un pas rageur jusqu'au premier étage, dans la chambre qu'elle partageait avec ses deux sœurs. Elle alla directement s'écrouler sur son lit, en trébuchant sur Narcissa, qui, étendue sur son matelas jauni posé sur le sol, poussa un grommellement ensommeillé.

Un peu plus tard dans la matinée, le réveille-matin d'Andromeda sauta sur l'épaule de sa propriétaire et entreprit de la secouer bruyamment : c'était l'heure pour elle de se rendre au Chat qui souris, la librairie de Mrs Painswick. Puis, après ces deux dérangements successifs, Narcissa se rendormit paisiblement, sans entendre l'oncle Orion déposer deux valises remplies d'objets ensorcelés dans la chambre de Cygnus et Druella Black.


***

Cygnus poussa un petit soupir d'aise en entrant dans la salle d'audience principale du Magenmagot, à neuf heures moins cinq. C'était, sans hésitation, l'endroit sur terre où il se sentait le mieux. Dans ce grand amphithéâtre circulaire coiffé par un immense dôme de verre, pourvu de bancs en bois vernis et étagés, tout était en ordre, Cygnus avait un rôle précis à tenir, des convictions à défendre : il s'y sentait utile et puissant.

Bien sûr, il avait essuyé deux défaites lors des dernières élections du Ministre de la Magie, mais Cygnus Black ne s'était jamais avoué vaincu : un jour, il serait Ministre, il en était absolument certain. Il était né pour l'être, il en avait la carrure, le charisme, la poigne, il était taillé dans le même roc que tous les ministres qui avaient marqué l'Histoire : sa famille et ses professeurs le lui avaient suffisamment répété pendant son enfance pour qu'il en soit, à son tour, absolument convaincu. Ces deux défaites n'étaient que des contretemps fâcheux, son jour viendrait, n'en déplaise à ses détracteurs.

Il rejoignit sa place, qui se trouvait en hauteur, à côté de Bartemius Croupton. Celui-ci, ayant été désigné pour diriger le procès, présidait l'assemblée depuis un imposant pupitre en bois verni. Tout en traversant les rangées de bancs, Cygnus toisait de sa haute taille les autres membres du Magenmagot, tout en les prenant en pitié : les pauvres bougres n'avaient pas encore accepté l'idée qu'il serait Ministre, mais ils y seraient contraints, et ils devraient se soumettre à ses ordres, enfin...

– Bonjour, Bartemius, dit Cygnus sur un ton affable en s'asseyant à côté de Bartemius Croupton.

Celui-ci ne répondit pas, plongé dans les notes qu'il avait prises à propos du procès à venir. Pauvre homme, pensa Cygnus, lui aussi convoite le poste de Ministre ; il ne sait pas qu'il va échouer, puisque je suis en tout point meilleur que lui...

Autour d'eux, la salle d’audience était bondée. Ayant jugé nécessaire que Piscus Crabbe serve d'exemple à ses semblables, Croupton avait ouvert l'accès du procès au public. Un quart de l'assemblée circulaire était réservé aux éminents juges du Magenmagot, mais le reste de l'amphithéâtre était plein à craquer, et les employés du Ministère avaient beaucoup de peine à empêcher les sorciers en surnombre de rentrer de force.

À neuf heures précises, Bartemius Croupton rajusta son chapeau de juge, saisit son petit marteau de bois, et frappa trois coups secs sur son pupitre pour réclamer le silence. Et lorsque toutes les bouches furent closes, il demanda aux Aurors de faire entrer l'accusé ; une large porte s'ouvrit donc en bas des bancs étagés, et Piscus Crabbe entra.

Certaines mauvaises langues disaient que Piscus Crabbe avait du sang de troll dans les veines, et en le voyant passer son encolure de taureau dans la porte d’entrée, faisant trembler l’amphithéâtre de son pas lourd et dépassant ses geôliers de plusieurs têtes, il était difficile de les contredire. Les Aurors avaient essayé de lui passer les menottes les plus larges qu’ils avaient trouvées, mais elles restaient trop étroites : ils s’étaient donc contentés de lui lier les poignets à l’aide d’une grosse corde.

Cependant, cet ascendant de troll n’était pas la première chose que l’on disait lorsqu’on venait à parler de Piscus Crabbe. En effet, il était de notoriété publique que le colosse avait un jour souhaité être un Animagus, mais que son orgueil et son impatience l’avaient conduit à faire des erreurs pendant le processus, ce qui avait abouti à d’horribles mutations. Plus que par sa carrure colossale et par son expression patibulaire, Piscus Crabbe effrayait donc encore davantage par sa mâchoire énorme qui abritait quatre rangées de dents, et par son œil droit, dont le globe oculaire était entièrement noir et ne semblait être qu’une immense pupille qui fixait quiconque se trouvait dans son champ de vision.

Piscus Crabbe s'approcha de la chaise de l'accusé, et Cygnus remarqua que celui qui l'y menait semblait lui chuchoter quelque chose à toute vitesse. Tout en hochant la tête, et en lorgnant la foule de son regard torve, Piscus Crabbe s'assit sur la chaise, qui émit aussitôt un long gémissement de bois. Il avait l'allure du parfait coupable, pensa Cygnus avec satisfaction.

Au premier rang, sur le banc des témoins, on pouvait voir les trois silhouettes massives des autres membres de la famille Crabbe. La moins haute était celle d'Ursula Crabbe, la femme de Piscus, surnommée Ursaula par quelques plaisantins en référence au Saule Cogneur, en raison de ses poings puissants et de son buste large comme le tronc de l'arbre en question. Elle était encadrée par ses deux fils, Hector et Rascus, qui, comme les deux énormes pitbulls aux babines écumantes qu'ils tenaient en laisse, semblaient prêts à bondir sur le premier inconscient qui les provoquerait.

Pendant un long moment, Croupton énuméra tous les chefs d'accusation, et rappela les éléments majeurs de l'enquête, ainsi que le lien présumé entre ce trafic d'objets ensorcelés et les meurtres successifs de Moldus. Il cita notamment le témoignage de Maxence Cain, l'inspecteur qui était remonté à Piscus Crabbe grâce à l'enquête menée par la police moldue, et également celui de Margo Grapetou, l'experte en magie noire qui avait étudié le Collier d'Opale. Tous les deux s'accordaient pour dire que la culpabilité de Piscus Crabbe ne faisait aucun doute.

– Mr Piscus Crabbe, avez-vous quelque chose à déclarer ? demanda Croupton lorsqu'il eut terminé.

Piscus Crabbe commença par nier toute implication dans les meurtres directs de Moldus, ainsi que dans l'affaire du Hibou Jacasseur. Son élocution était rendue difficile par sa mâchoire déformée, et il postillonnait abondamment.

– Et en ce qui concerne ce trafic d'objets ensorcelés, j’ai été victime d’une odieuse machination, dit Piscus Crabbe d’une voix monocorde, comme s’il récitait un texte appris par cœur. Je ne suis pas le coupable que vous recherchez.

– Intéressant, commenta Croupton. Qui est-il, d'après vous ?

– Vous allez être étonné, Barty, ricana Piscus Crabbe.

Le teint de Croupton prit une teinte plus soutenue, et sa moustache fut parcourue par un léger frémissement.

– Tâchez de m'appeler Monsieur le Juge, Crabbe, lui conseilla-t-il. Avez-vous un nom à nous donner ?

Piscus Crabbe sourit en dévoilant ses quatre rangées de dents pointues, et l'assemblée frissonna de peur et de dégoût.

– Le coupable se tient juste à côté de vous, Monsieur le Juge, déclara-t-il.


***

Lorsque Narcissa ouvrit un œil, tard dans la matinée, elle remarqua la jambe éraflée de Bellatrix, et essaya d'y remédier avec quelques sortilèges de cicatrisation. Malheureusement, la blessure avait dû elle-même être causée par un sort, car les sortilèges n'eurent aucun effet.

– Laisse tomber... On a eu une petite entourloupe avec des Aurors, hier, rien de plus, grogna Bellatrix avant de se rendormir. Ne t'en fais pas, personne ne m'a reconnue, j'ai fait le nécessaire...

Narcissa poussa un soupir résigné, et descendit piquer des fruits dans la cuisine. Elle passa devant le salon, sans remarquer que tous les objets relatifs à la magie noire avaient été retirés des étagères en cristal pendant la matinée. Elle parvint à la cuisine et s'étonna de ne croiser ni Kreattur, ni la tante Walburga, ce qui était très inhabituel, puisque l'un comme l'autre tenaient absolument à savoir tout ce qui se passait dans la maison, comme deux araignées qui auraient tissé ensemble une étroite toile de surveillance.

Elle considéra, morose, la grande pièce caverneuse qui leur servait de cuisine, les chaises en pierre rudimentaires, les ustensiles en fer qui pendaient du plafond, la vaisselle en porcelaine et la large cheminée qui trônait contre le mur du fond. Les lampes à gaz peinaient à éclairer les extrémités de la pièce, et donnaient à chaque objet un aspect figé, morne et terne. Narcissa prit une pomme dans un saladier qui faisait la taille d'une baignoire, et la posa sur le bois irrégulier de la table. Elle s'assit sur une des chaises rugueuses, et se perdit dans la contemplation de la pomme qui s'épluchait toute seule devant elle.

Tout en tapotant sur la table du bout des doigts, elle réfléchit au programme de sa journée. Elle irait voir sa mère, d'abord : elle ne l'avait pas vue depuis Noël. Elle lui parlerait de ses inquiétudes à propos de Bellatrix, et elles trouveraient une solution pour la ramener dans le droit chemin, car il était plus que temps de s'en préoccuper. Ensuite, elle irait peut-être se promener, et rendre visite à Andromeda, pour découvrir enfin cette charmante petite librairie dont elle lui avait tant parlé.

Après avoir mâchonné sa pomme, elle remonta les escaliers jusqu'au deuxième étage, où se trouvait la chambre de ses parents, et toqua prudemment à la porte.

– Maman ? C'est moi, Cissy...

Après quelques secondes de latence, elle entendit la voix de sa mère, entrecoupée de hoquets :

– Une... Une petite minute, ma chérie...

Inquiète, Narcissa poussa doucement la porte en essayant de l'empêcher de grincer, sans grand succès. Dans la chambre, les deux lits jumeaux étaient vides ; la mère de Narcissa se relevait en s'appuyant sur l'évier, dans lequel elle venait visiblement de vomir.

– Maman !

Narcissa accourut pour soutenir sa mère, manquant de se tordre la cheville sur deux énormes valises noires posées devant la porte. Narcissa lui retint les cheveux pendant qu'elle buvait de l'eau, puis lui donna une pastille de menthe et l'aida à s'asseoir sur son lit.

– Maman, tu es glacée, constata Narcissa avec effroi.

– Je ne suis pas très en forme, ces temps-ci, avoua sa mère, qui se remettait peu à peu de ses émotions. Mais ne t'en fais pas, ma chérie, je ne vais pas tarder à aller mieux. Je commence à connaître par cœur les allées et venues de cette satanée maladie, même si les périodes de rémission se font de plus en plus rares...

Narcissa enveloppa sa mère dans un châle épais, et replaça ses oreillers pour qu'elle soit mieux installée. Après quelques mois de répit, elle se sentit de nouveau assaillie par un constat bien trop familier, qui lui glaçait le cœur et faisait trembler ses mains : elle était faible, insuffisante, incapable de combattre la détresse qui accablait sa mère.

– Ne t'en fais pas, mon ange, murmura sa mère. Je me sens déjà mieux depuis que tu es entrée. Allez, n'y pensons plus... N'y pensons plus.

Elle attira Narcissa contre elle, et celle-ci s'assit sur le lit à ses côtés, adossée aux oreillers. Elle saisit la couverture rêche, avec un pincement au cœur en pensant que c'était la seule chose que Walburga avait donné à sa mère pour se réchauffer. Vera Goyle avait livré à plusieurs reprises des édredons moelleux pour améliorer le confort de son amie d'enfance, mais ils finissaient toujours par disparaître mystérieusement – Narcissa suspectait fortement Walburga de les revendre en cachette.

Narcissa tira la couverture à elles, et prit bien soin de se pelotonner contre sa mère, afin de la réchauffer le mieux possible. Puis elle prit ses mains gelées, et entreprit de les frictionner entre les siennes.

– Merci beaucoup, murmura Druella Black en posant sa tête sur son épaule. Ma petite Cissy, si tu savais comme tu m'as manqué...

Elles restèrent silencieuses pendant quelques minutes, et Druella cessa progressivement de grelotter, même si elle respirait avec difficulté.

– Alors, raconte-moi un peu, demanda Druella Black lorsqu'elle eut reprit des forces. Comment vas-tu, depuis Noël ?

Druella retira gentiment ses mains de celles de Narcissa, et entreprit de caresser doucement les cheveux blonds de sa fille. Et progressivement, Narcissa se sentit un peu mieux, elle aussi.

– Je vais bien, dit-elle. Mais je m'inquiète pour toi... Et pour Bellatrix...

– Oui, Bellatrix m'inquiète aussi, acquiesça Druella. Mais avant que nous discutions de ta grande sœur, je voudrais que tu me parles de toi, et seulement de toi.

Narcissa fut heureuse que sa mère dise cela. Parfois, elle avait l'impression que son propre bonheur n'avait pas sa place dans cette maison.

– Andromeda m'a dit que tu étais au restaurant avec Lucius, hier soir, l'encouragea Druella.

– Oui... C'était délicieux. Je suis désolée d'être rentrée tard, hier soir, mais... Je n'ai pas vu le temps passer.

– Tu as eu tout à fait raison de t'attarder, mon cœur. Ce garçon a l'air de beaucoup t'aimer, n'est-ce pas ?

Narcissa acquiesça avec fierté.

– Et je le comprends, sourit Druella. Qu'en est-il de toi ?

Narcissa prit quelques instants pour réfléchir.

– Il est très attentionné, dit Narcissa. Il est intelligent, et talentueux. Il me fait rire. Quand nous sommes ensemble, je me sens... Je me sens bien.

Elle voulut ajouter qu'il était riche, mais elle se retint de le faire.

– Alors oui, je suppose que je l'apprécie, dit-elle en souriant.

Sa mère passa à nouveau ses doigts gelés dans les cheveux blonds de sa fille, et lui caressa tendrement la joue.

– Tu as l'air d'être heureuse avec lui. Si tel est le cas, je serai heureuse aussi. Je voulais simplement être sûre que tu ne le fréquentais pas pour faire plaisir à ton père.

Narcissa haussa les épaules. Pas uniquement, pensa-t-elle. Et soudain, elle posa ses yeux sur les deux énormes valises posées près de la porte d'entrée, sur lesquelles elle avait failli trébucher en rentrant.

– Qu'est-ce que c'est que ces valises ?

Druella tourna la tête.

– Oh, tiens, je ne les avais même pas remarquées... Ce doit être à ton père, je dormais déjà quand il est rentré hier soir.

Narcissa se demanda ce que son père pouvait bien faire avec ces valises, lui qui n'achetait jamais rien. Et puis, ça ne lui ressemblait pas de cacher quelque chose, même pour le compte de quelqu'un d'autre... Elle s'apprêtait à se lever pour en examiner le contenu quand elle aperçut une dent crochue de la taille d'un poing, posée sur la table de nuit de sa mère.

– Et ça, qu'est-ce que c'est ?

Druella eut un petit rire, et caressa la pointe acérée de la dent.

– Une dent de lait de dragon, dit-elle. C'est Vera qui me l'a apportée il y a quelques jours. Elle fait beaucoup d'aller-retours sur la côte irlandaise, pour y étudier les dragons qui vivent là-bas... Mais dès qu'elle est à Londres, elle vient me rendre visite.

Alors que Narcissa remerciait intérieurement sa marraine, le son clair de la cloche de la porte d'entrée la fit sursauter, suivi par les exclamations excitées de tous les portraits qui occupaient l'entrée.

– Tiens, c'est peut-être elle, dit Druella en souriant. Tu veux bien aller lui ouvrir ? Elle sera ravie de te voir, nous parlons souvent de toi.

Alors que Narcissa se levait, sa mère la retint par la main.

– Merci, ma chérie, dit-elle en souriant. Je suis ravie de voir que tu es bien entourée. Tu le mérites amplement...

Prise d'un élan d'affection, Narcissa se rassit et serra sa mère dans ses bras jusqu'à ce que la cloche de la porte d'entrée retentisse à nouveau.

– Tu m'as manqué, mon petit ange, lui souffla Druella en la couvrant de baisers comme si le temps leur était compté.

Rassérénée, Narcissa l'embrassa à son tour, puis se releva, enjamba les deux énormes valises noires, sortit de la chambre et descendit les escaliers, étonnée que la tante Walburga ne se précipite pas pour accueillir elle-même la personne qui venait de sonner une troisième fois. Dans le hall d'entrée, elle saisit une cape au hasard sur une patère, pour ne pas montrer sa chemise de nuit transparente au reste de la rue, et tira sur la poignée avec enthousiasme, prête à sauter au cou de Vera.

En ouvrant la porte, Narcissa fut aveuglée par une dizaine de flashes de journalistes, qui lui crièrent des injonctions qu'elle ne comprit pas. Elle voulut refermer la porte aussi sec, mais l'homme qui se tenait le plus proche d'elle la repoussa en arrière et entra de force, accompagné de trois autres personnes, qui claquèrent la porte derrière eux et mirent un terme au vacarme des journalistes, qui continuèrent de frapper violemment sur la porte.

– Satanés journalistes, grogna l'un des hommes qui avaient réussi à entrer. Je me demande qui a bien pu faire fuiter l'information ! Quand il s'agit de nous compliquer la vie, ils n'en manquent pas une ! Ils ont bien failli faire rater cette perquisition !

Narcissa détailla les nouveaux venus, trois hommes et une femme, tous coiffés du même chapeau melon et gantés du même cuir noir. Ils ne semblaient aucunement désolés de s'être introduits de cette manière aussi inconvenante dans la maison. La femme était probablement celle qui dirigeait le groupe, car elle avait un insigne brillant épinglé sur sa poitrine, et les trois autres semblaient attendre son signal pour agir.

– Qu'est-ce que vous voulez ? demanda Narcissa.

– Oui, qu'est-ce que vous voulez ? renchérirent plusieurs portraits dans son dos.

– Vous êtes ici dans la noble demeure des Black, bande de malotrus ! dit le portrait d'un homme maigre à faire peur, en pointant un index menaçant sur les intrus.

– Nous vous sommons de vous présenter ! dit une femme replète à la voix atrocement aiguë, dans un autre portrait.

– Bonjour, répondit la femme d'une voix hostile. Je suis Maria Ogden, cheffe de la Brigade de Police Magique. Je viens perquisitionner le domicile de Mr Cygnus Black, accusé de trafic d'objets ensorcelés, avec violences illégitimes envers les Moldus.


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