Secrets de Serpentard : La noble famille Black

Chapitre 20 : Le choix de Sirius

8244 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/09/2022 08:42

Dans la gare de King's Cross bondée, Narcissa s'élança d'un pas rapide vers le mur qui séparait la voie 9 de la voie 10, et redécouvrit avec plaisir le spectacle immuable des embrassades et des retrouvailles qui se tenait sur le quai du Poudlard Express.

Pour la première fois, Narcissa se rendait seule à Poudlard, sans aucune de ses sœurs. Elle allait y entamer sa sixième année, et était plus impatiente que jamais. En effet, après avoir rencontré Lucius, sa scolarité était devenue nettement plus agréable. Ils se pavanaient tous les deux dans les couloirs, se moquaient à voix basse des autres élèves et révisaient leurs cours en riant à la bibliothèque. Malgré le fait qu'ils ne s'étaient jamais embrassés, tout le monde les soupçonnait d'être ensemble, et Narcissa était toujours au cœur des conversations, ce qu'elle trouvait extrêmement appréciable. De plus, l'année précédente, Narcissa était devenue préfète à son tour, ce qui avait contribué à alimenter leurs vantardises et décuplé la proportion de temps qu'elle passait avec Lucius, au détriment de son amitié avec Daisy.

Sur le quai, Narcissa retrouva Sirius, qui se tenait aussi éloigné de sa mère que la largeur du quai le lui permettait, et qui scrutait la foule avec un peu d'appréhension. Les jours précédents, il était si excité qu'il ne tenait pas en place, et harcelait Narcissa de questions, auxquelles elle répondait de bon cœur.

– Je suis sûre que ça va aller, lui dit-elle en l'embrassant. Je te laisse, je dois rejoindre Lucius dans le wagon des préfets ! On se revoit au banquet !

Narcissa longea le Poudlard Express et salua rapidement Daisy qui se trouvait là, en train de tenir la chandelle entre son frère et Carla Avery, comme d'habitude. Ses yeux pétillaient moins depuis que Narcissa la délaissait, mais Narcissa avait fait le choix de ne pas y penser. Elle continua donc sa route en chantonnant, et monta en tête de train, dans le wagon des préfets, où Lucius avait déjà réservé un compartiment entier, rien que pour eux deux.

Lucius arrivait toujours seul, et avec une avance démesurée. Il avait expliqué à Narcissa que, lorsque son père avait concocté le poison destiné à leur ancien Ministre de la Magie, Nobby Leach, il s'était accidentellement contaminé avec du venin de serpent, et était depuis dramatiquement affaibli. Il avait fait passer cette faiblesse pour une Dragoncelle, une maladie courante chez les personnes âgées, et personne n'avait osé se montrer soupçonneux. Depuis, son père restait cloîtré dans leur manoir, envoyait Lucius faire des mondanités à droite et à gauche et se contentait de lui donner des consignes pour entretenir l'influence qu'il avait sur les décisions du Ministère. Lucius s'absentait donc souvent de Poudlard en prétextant une visite indispensable à son père souffrant, alors qu'en réalité, il se rendait à des fêtes splendides, afin que la famille Malefoy reste dans les petits papiers des notables du Ministère.

– Ah, te voilà, dit Lucius, rayonnant, en poussant ses affaires pour laisser Narcissa s'installer à côté de lui.

Narcissa s'assit contre lui, et l'embrassa rapidement sur la joue.

– Alors, comment s'est passé ton été ? demanda Narcissa.

– Horriblement ennuyeux, comme d'habitude, dit Lucius en haussant les épaules. J'ai pensé à toi tout le temps.

Narcissa fit un effort pour ne pas rougir. Lucius prenait un malin plaisir à lui faire des compliments au détour de n'importe quelle conversation, et à observer discrètement sa réaction, l'air de rien.

– Et toi ? enchaîna-t-il avec désinvolture.

Le sourire de Narcissa s'évanouit aussitôt. Chaque fois que Lucius lui posait des questions sur ce qui se passait chez elle, elle se trouvait totalement prise au dépourvu. En effet, là-bas, tout le monde était trop préoccupé par l'état de sa mère ou par les sorties nocturnes de Bellatrix pour lui demander à elle, Narcissa, ce qu'elle ressentait. Les moments où elle pouvait se confier étaient donc restreints aux soirées qu'elle passait avec Andromeda, mais les deux sœurs préféraient discuter d'autre chose et s'échapper ensemble des murs sinistres du 12, square Grimmaurd, plutôt que de ressasser leurs inquiétudes à propos de l'état de santé de leur mère.

En outre, de façon générale, Narcissa avait terriblement honte de tout ce qui se passait chez elle. Si Lucius apprenait qu'elle passait ses journées au chevet de sa mère, désemparée, à essayer de soulager ces douleurs interminables qui la clouaient au lit, il estimerait peut-être que ça n'était pas une activité digne d'une jeune fille de bonne famille...

– Ça allait, dit-elle en grimaçant un sourire.

Mais Lucius n'était pas dupe.

– Je voulais te parler de quelque chose, dit-il avec douceur. Tu sais, mon père est malade aussi, et tous les guérisseurs les plus savants défilent sans arrêt à son chevet, venus du monde entier... Bon, pour l'instant, ils n'ont pas trouvé de remède à son affection, mais tout de même, je me demandais... Enfin, je veux dire... Nous pourrions peut-être vous en faire profiter.

Narcissa fronça les sourcils, interloquée.

– C'est-à-dire ?

– C'est-à-dire qu'en allongeant un peu la somme que nous leur donnons, je pense que ces guérisseurs accepteraient de faire un détour par chez vous, dit Lucius. Peut-être qu'ils trouveraient quelque chose pour soulager ta maman...

Narcissa sentit ses joues devenir rouge cerise. Elle avait vaguement expliqué la situation à Lucius, mais il semblait toujours être informé bien au-delà des quelques réponses imprécises que Narcissa avait daigné lui donner, ce qui était parfois très désagréable.

– Tu sais, nos pères se connaissent bien, dit Lucius pour expliquer le fait qu'il en savait autant. Ils ont beaucoup collaboré, au Ministère, avant que mon père ne tombe malade. Ils continuent à correspondre, et j'ai réussi à convaincre mon père de lui proposer son aide... Mais je voulais t'en parler avant.

– C'est peine perdue, soupira Narcissa en secouant la tête. Les Goyle et la famille de ma mère ont déjà déboursé des fortunes pour que les Magicomages les plus renommés du monde sorcier viennent l'examiner. Ils ont proposé d'autres remèdes, à des prix exorbitants, mais aucun n'a été efficace. En fait, ils ne sont pas du tout d'accord à propos du diagnostic, et pensent qu'il s'agit plutôt d'un Struptus ou d'une Cauchemardia... D'autres affirment qu'il s'agit plutôt d'une nouvelle maladie, qu'ils ont baptisé la Druellose... Un médecin a même eu le culot de publier un article sur son cas dans la revue Maléfices rares et irrécupérables.

– Oh, je ne savais pas, dit Lucius.

En voyant son air embarrassé, Narcissa le remercia chaleureusement pour sa proposition et l'embrassa à nouveau sur la joue. En deux mois, elle avait oublié à quel point il était agréable de se sentir soutenue. Alors qu'elle regardait pensivement par la fenêtre, la joue posée sur l'épaule de Lucius, la sonnette du Poudlard Express retentit, le train s'ébranla, et quitta le quai dans un grand vacarme d'adieux et d'exclamations excitées.

– As-tu réfléchi à tes choix d'ASPIC[1] ? demanda Lucius lorsque le paysage devint verdoyant. J'espère que tu vas choisir les Potions, il ne faudrait pas t'arrêter en si bon chemin...

Il eut un sourire gentiment moqueur, et Narcissa lui donna une petite tape sur la main. Grâce à lui, elle avait obtenu un Acceptable en Potions, l'année précédente, mais elle n'appréciait pas la matière au point de la choisir comme ASPIC. Au contraire, elle se réjouissait de ne plus avoir affaire à Slughorn et à son énorme moustache de morse.

Et soudain, en admirant rêveusement la veste flambant neuve et parfaitement coupée de Lucius, elle s'aperçut que son insigne de préfet était encore plus brillant que l'année passée. Son étonnement n'échappa pas à Lucius, qui se tourna vers elle en bombant légèrement le torse.

– Ah, je savais que tu remarquerais, dit-il en tapotant fièrement son insigne.

– Ne me dis pas que...

– Eh si, exulta Lucius. Tu as devant toi le nouveau Préfet-en-Chef ! Bon, ça n'a pas été facile, Dumbledore était assez réticent, mais Slughorn a fini par le convaincre... Après tout, ça fait au moins dix ans que le Préfet-en-Chef est de Gryffondor, ça commençait à devenir louche.

– J'en étais sûre ! s'exclama Narcissa, au comble de l'excitation. Oh, Lucius, c'est formidable !

Narcissa s'imaginait déjà en train de se pavaner dans Poudlard, au bras du Préfet-en-Chef : l'année ne pouvait pas mieux commencer.

– Et qui est la Préfète-en-Chef ?

– Cassandra Wiscrisp... Une Poufsouffle, dit Lucius avec dédain.

– Tiens, ça me fait penser... J'ai oublié de mettre le mien...

Elle sortit de son sac son propre insigne de préfète, rouge et brillant, et voulu l'épingler à son tour, mais dans la précipitation, elle se piqua le doigt.

– Aïe ! cria-t-elle en voyant une goutte de sang rouge vif perler au bout de son doigt.

– Attends, laisse-moi faire, dit Lucius en avançant sa main vers l'insigne de Narcissa.

Narcissa consentit à lâcher son insigne, et tendit le tissu de sa veste pour faciliter la tâche à Lucius. Leurs doigts s'effleurèrent, et Lucius, faussement concentré sur l'épingle de l'insigne, rapprocha délibérément son visage de celui de Narcissa, à tel point, qu'elle pouvait sentir son souffle léger sur ses mains et son parfum agréablement familier.

– Et voilà, dit Lucius en se redressant, comme si de rien n'était.

Il tapota fièrement l'insigne de Narcissa, et tous les deux échangèrent un sourire entendu : ils savaient pertinemment que leur attirance était partagée, et ce petit jeu de séduction leur plaisait beaucoup.

Toc ! Toc ! Toc !

Au grand désespoir de Narcissa, la porte du compartiment s'ouvrit, et un garçon passa sa tête dans l'entrebâillement. Il était très pâle, ce qui lui donnait l'air faible et malade. Narcissa devina à sa robe de sorcier vêtue à l'envers qu'il était en première année, et lui adressa un sourire compatissant. Le garçon s'apprêta à parler, mais Lucius ne lui en laissa pas le temps.

– C'est le wagon des préfets, ici, dit-il sèchement en désignant l'écriteau qui était accroché dans le couloir. Tu ne sais pas lire ?

Le garçon devint encore plus blême qu'auparavant, et s'enfuit sans répondre.

– Le pauvre, il était sûrement en première année, le gronda gentiment Narcissa.

– Tu as raison, admit Lucius. Il ne sait pas encore qui commande à Poudlard... Mais franchement, tu as vu sa robe ? Je n'en ai jamais vu d'aussi miteuse...

Toc ! Toc ! Toc !

La porte s'ouvrit à nouveau sur Cassandra Wiscrisp, la nouvelle Préfète-en-Chef. C'était une fille à la peau brune, de taille moyenne, dont la carrure impressionnante en disait long sur ses années passées à la tête de l'équipe de Quidditch de Poufsouffle. À en juger par son air furieux, elle venait sans doute de croiser le petit garçon qui avait frappé à leur porte quelques instants plus tôt.

– Ah, Malefoy, je te cherchais, dit-elle, l'air renfrogné. Je vais faire un petit tour dans le train, pour vérifier que les première année sont bien installés... Tu viens ?

Lucius et Narcissa échangèrent un sourire narquois. Le jour où on les verrait remplir leurs obligations de préfets n'était pas encore venu...

– Il faut que tu viennes avec moi, c'est notre rôle, en tant que Préfets-en-Chef, insista Cassandra. Et Narcissa, je te signale que c'est le rôle des préfets aussi ! Vous feriez mieux de me suivre, au lieu de terroriser les première année qui se sont perdus !

– Je suis sûr que tu te débrouilleras très bien toute seule, répondit Lucius en posant ses pieds bottés de cuir sur la banquette rouge et moelleuse qui se trouvait en face de lui.

Wiscrisp contempla le reste du compartiment, où Lucius et Narcissa avaient consciencieusement étalé leurs affaires afin que personne d'autre ne vienne s'asseoir à côté d'eux.

– Tu es vraiment irrécupérable, Malefoy, dit-elle en secouant la tête. Quand je pense que tu as été nommé Préfet-en-Chef...

– Si ça ne te convient pas, tu n'as qu'à aller te plaindre au professeur Slughorn, rétorqua Narcissa.

Wiscrisp les regarda l'un après l'autre, et leva les yeux au ciel.

– Non, mais vraiment... Pas un pour rattraper l'autre, grommela-t-elle en quittant le compartiment des préfets.

Aussitôt la porte refermée, Lucius et Narcissa éclatèrent de rire.

– Quelle idiote, soupira Lucius. Ah, si seulement nous pouvions gagner à nouveau la Coupe des Quatre Maisons, cette année... Si c'est le cas, je n'aurais pas connu une seule défaite ! Cela dit, Gryffondor n'était pas loin de nous surpasser, l'an dernier, et je n'aimerais pas que cela se produise pendant ma dernière année à Poudlard...

Narcissa reposa sa tête sur son épaule.

– Je suis sûre que nous allons encore gagner. Mon cousin Sirius rentre à Poudlard cette année, tu te souviens ?

– Bien sûr que je me souviens.

Le sourire de Narcissa s'élargit encore davantage.

– Il est si intelligent, tu verras ! s'enthousiasma-t-elle. S'il ne fait pas trop de bêtises, il va nous ramasser un nombre de points considérable ! Face à nous tous réunis, Gryffondor n'a aucune chance...

Quelques instants plus tôt, à l'arrière du train, seul dans son compartiment, Sirius regardait par la fenêtre avec nervosité. Il avait attendu ce jour depuis tant d'années ! Et les derniers mois au 12, square Grimmaurd avaient été particulièrement difficiles à supporter. Bellatrix passait son temps avec Regulus, et tous les deux n'arrêtaient pas de chuchoter des choses étranges, tout en ayant l'air de conspirer constamment contre Sirius.

Assis sur la banquette, il ébouriffait soigneusement ses cheveux bouclés, que sa mère s'était pourtant obstinée à discipliner, des heures durant, afin de « limiter les dégâts », avait-elle dit. Sirius était monté dans le train dès que les portes s'étaient ouvertes, sans adresser un regard à sa mère. Il était déjà soulagé de ne plus sentir son regard sur lui.

Sur le quai, les familles s'embrassaient, se donnaient les dernières recommandations pour l'année à venir. Il entendit du bruit dans le couloir du train :

– Allez, amuse-toi bien, mon chéri...

– M'man !! M'appelle pas comme ça ici, c'est la honte !

– Et prends soin de tes affaires, d'accord ?

– Pour quoi faire ? On peut les réparer !

– James, enfin, ça n'est pas comme ça que tu dois réfléchir !

– Je plaisante, m'man... Allez, c'est bon, vous pouvez descendre, maintenant !

– Pas si vite, mon Jamichou, dit une voix masculine et cordiale. Je veux être sûr que tu sois bien installé !

Jamichou ? répéta la voix d'enfant, catastrophée. Pitié, papa !

La porte du compartiment s'ouvrit, et un homme d'une quarantaine d'années entra, accompagné d'une femme au regard très doux.

– Regarde, mon chéri, ici tu seras très bien ! Oh, bonjour, mon garçon ! lança aimablement l'homme à Sirius.

– Bonjour monsieur, répondit Sirius, comme sa mère le lui avait appris.

Un garçon mince aux cheveux noirs particulièrement ébouriffés, qui ressemblait à son père comme deux gouttes d'eau, entra à leur suite, et lança un regard désespéré à Sirius.

Après quelques embrassades et de multiples recommandations, les parents du dénommé James sortirent. Ils se postèrent sur le quai, de l'autre côté de la vitre, et continuèrent d'adresser des signes à leur fils, avec le même sourire béat.

– Désolé, mes parents ont vraiment un grain, dit James en répondant aux signes enthousiastes de ses parents avec un petit geste de la main embarrassé. Au fait, moi c'est James. James Potter.

– Ah bon ? J'avais cru comprendre que c'était Jamichou.

James le scruta quelques instants, essayant de décrypter si la boutade était malveillante ou non.

– Je plaisante ! Je m'appelle Sirius. Moi aussi, mes parents ont un vrai grain, ajouta-t-il en souriant.

James eut l'air soulagé. Il lui rendit son sourire, et se laissa tomber sur la banquette à côté de lui. Puis le train s'ébranla, et se mit en route. Deux autres enfants entrèrent dans le wagon, mais Sirius ne leur prêta aucune attention. James lui offrit des petits hiboux en sucre d'orge qui voletaient dans sa bouche en lui chatouillant la langue, et les deux jeunes garçons discutèrent avec enthousiasme.

– Tu as eu quoi, comme baguette ?

– De l'acajou...

– Sans blague ? Moi aussi ! Ollivander m'a dit que c'était très efficace pour la métamorphose. Fais voir ?

Alors que Sirius cherchait sa baguette, il entendit une bribe de la conversation de leurs deux voisins :

– .... Il vaut mieux être à Serpentard...

– Serpentard ?

James avait bondi, interrompant la conversation entre les deux autres élèves – un garçon aux cheveux noirs et gras, et une fille aux yeux verts en amande, et aux cheveux roux foncés.

– Qui a envie d'être un Serpentard ? Moi, je préférerais quitter l'école, pas toi ? dit-il en prenant Sirius à parti avec un sourire railleur.

Sirius se sentit pâlir. Si James savait...

– Toute ma famille était à Serpentard, réussit-il à articuler.

Mais, au grand soulagement de Sirius, le sourire de James fut loin de se dissiper :

– Nom de nom ! Et moi qui croyais que tu étais quelqu'un de bien !

James lui tapa sur l'épaule en riant, et Sirius lui sourit en retour. Que ce soit à Serpentard ou ailleurs, désormais, Sirius ne désirait plus qu'une chose : devenir l'ami de James.

– Peut-être que je ferai une entorse à la tradition, concéda Sirius. Où veux-tu être, si tu as le choix ?

James souleva une épée invisible.

Si vous allez à Gryffondor, vous rejoindrez les courageux ! Comme mon père.

Leur voisin d'en face émit un petit ricanement, et Sirius et James reportèrent leur attention sur lui. Sirius le détailla un peu mieux : il était maigre et noueux, et était habillé comme un épouvantail. Son allure maladroite lui faisait penser à son petit frère.

– Ça te pose un problème ? lui lança James.

– Non... Si tu préfères le biceps à l'intellect... dit le garçon efflanqué avec un petit rictus méprisant.

Ce mépris, Sirius ne le connaissait que trop bien, car il l'avait vu défiler sur les visages de tous les membres de sa famille. Et, après onze années à le supporter, il en avait plus qu'assez.

– Et toi, où comptes-tu aller, étant donné que tu n'as ni l'un ni l'autre ?

La réplique avait glissé entre ses lèvres, spontanément. James éclata de rire, et Sirius se sentit plus euphorique que jamais.

Les années précédentes, Narcissa avait beaucoup apprécié le moment du Choixpeau, car elle revivait à travers l'excitation des première année celle qu'elle avait ressentie, elle aussi, en entrant dans ce lieu mystique sous le regard attentif des élèves et des professeurs.

Quand les première année entrèrent dans la Grande Salle, le scintillement des milliers de chandelles qui flottaient dans les airs s'intensifia. Ils étaient une petite trentaine, encore soudés pour quelques instants avant d'être éparpillés dans les quatre maisons. Narcissa aperçut Sirius qui parlait avec animation avec un garçon ébouriffé et malicieux, et s'attendrit de le voir, lui aussi, goûter au plaisir des amitiés nouvelles. Il ne me semblait pas le moins du monde intimidé par la foule d'élèves environnante, avançant le front haut sous ses boucles brillantes. Narcissa chercha à intercepter son regard, mais il semblait absorbé tout entier par la conversation qu'il menait avec son voisin.

– Voilà Sirius ! Tu reconnais l'autre garçon ?

Lucius tendit le cou.

– Non, je ne crois pas.

Ils présidaient tous les deux la table des Serpentard, fidèles à leur rôle de préfets. Narcissa continuait d'annoncer autour d'elle l'arrivée de Sirius, et ordonnait aux élèves qui se trouvaient autour d'elle de faire bon accueil à son cousin lorsqu'il s'installerait à leur table.

– Abbot, Tony ! appela le Professeur McGonagall après le discours habituel.

– Les Abbot vont toujours à Poufsouffle, dit Lucius à l'oreille de Narcissa.

Et en effet, à peine le Choixpeau avait-il effleuré les cheveux du jeune garçon qu'il beugla :

– POUFSOUFFLE !

– Tu vois, triompha Lucius.

– Avery, Liam !

Narcissa devina qu'il s'agissait du petit frère de Carla, non seulement grâce à son nom de famille, mais également à son air idiot et au regard féroce qu'ils avaient en commun. Le garçon à la mâchoire proéminente s'avança, et McGonagall posa le Choixpeau sur sa tête.

– SERPENTARD !

– Il n'a pas l'air commode, commenta Lucius en applaudissant à pleines mains.

Mais Narcissa ne l'écoutait plus, car Sirius venait d'être appelé à son tour. En entendant son nom, d'autres Serpentard échangèrent des regards entendus. Il était reconnu et attendu ; Narcissa se redressa, fière comme un paon, toute prête à entendre le verdict, et joignit ses mains pour applaudir la première.

À côté du professeur McGonagall, Sirius sentit le Choixpeau se poser sur ses cheveux. Il était trop grand, et tombait un peu sur ses yeux.

– Ah ! Encore un Black !

La petite voix nasillarde qu'il entendit à son oreille le fit à peine sursauter.

– Si je voulais économiser mon énergie, continua la voix, je t'enverrais à Serpentard, comme le reste de ta famille... Mais je sens que ton cœur désire autre chose... Et du courage, oui, décidément, je vois beaucoup de courage...

Sirius repensa à James et à son épée invisible, puis au garçon efflanqué, avec son rictus méprisant. Son choix était fait.

Dans la Grande Salle, l'exclamation qui sortit de la bouche du Choixpeau arrêta Narcissa dans son élan, et claqua comme un coup de fouet au-dessus du brouhaha ambiant :

– GRYFFONDOR !

Pendant quelques secondes, Narcissa ne comprit pas ce qui se passait. Pourquoi le Choixpeau s'était-il trompé ? Pourquoi Sirius allait-il s'installer sur une autre table que la sienne ? Pourquoi les Gryffondor applaudissaient-ils ainsi alors que ça n'était qu'une lamentable erreur ?

Puis elle perçut le murmure de déception qui se répandait sous les étendards verts, et vit un Gryffondor lui faire un pied de nez. Et soudain, le feu lui monta aux joues, sa vue se brouilla, elle se planta les ongles dans ses cuisses et se retint d'aller chercher Sirius par la peau du cou.

Elle n'écouta plus aucune des affiliations, les yeux rivés sur Sirius. Les autres Serpentard étaient écœurés d'avoir été privés de celui qu'ils convoitaient ; et ils applaudirent du bout des doigts, comme une bien faible compensation, l'arrivée d'un petit garçon appelé Severus Rogue, qui ressemblait davantage à un épouvantail en porcelaine, avec son teint d'une pâleur maladive et ses cheveux gras. Celui-ci, d'ailleurs, regardait déjà la tablée des Gryffondor avec envie. Personne ne se déplaça pour lui laisser une place, et Lucius dut lui faire signe de s'asseoir à côté de lui. Il passa le dîner à présenter à Severus Rogue leur maison avec fierté, tout en jetant à Narcissa des regards de côté.

Ainsi Sirius, par son désir stupide de se distinguer, s'était détourné d'elle. Narcissa fulmina durant toute la durée du repas, enfermée dans une étouffante bulle de colère, voyant que Sirius ne manifestait absolument aucun regret, et que lui et son nouvel ami étaient déjà au centre de l'attention. Elle enrageait de le voir s'intégrer avec autant d'aisance dans cet univers qu'elle lui avait si passionnément raconté.

Aussitôt le banquet terminé, Narcissa quitta la Salle Commune sans adresser un mot à ses camarades de Serpentard, et en évitant leurs regards gênés ou teintés de reproche. Elle alla se réfugier dans son lit, avec son dépit pour seule compagnie. C'était la première fois qu'elle recevait un affront aussi sévère, et il lui était d'autant plus difficile à supporter qu'il lui venait de Sirius, que jusqu'ici elle chérissait beaucoup. Le terme de « trahison » lui vint à l'esprit, aussitôt associé à celui de « vengeance ». Et c'était précisément cette idée de vengeance qui lui faisait le plus mal, le fait qu'elle ne pourrait plus se montrer affectueuse avec lui, au risque de perdre la face devant toute l'école, et au risque qu'il croie être pardonné et autorisé à la blesser de nouveau.

La partie encore lucide de son esprit lui suggéra qu'il s'agissait d'un simple concours de circonstances. Elle savait, au fond d'elle, qu'elle devait aller le voir, lui parler calmement, et l'écouter à son tour ; mais elle avait trop mal, elle ne pouvait pas s'empêcher de fulminer, de penser aux instants qu'elle avait imaginé partager avec lui dans la Salle Commune et qu'ils ne vivraient jamais, à toute cette complicité manquée, et la colère qu'elle ressentait était incapable de s'écouler sagement.

Narcissa s'endormit avec l'espoir infime que Sirius trouverait un moyen de se faire pardonner, et que malgré l'aspect irréversible de la distance qu'il venait de mettre entre eux, ils connaîtraient d'autres moments de complicité. Elle espérait ainsi ne jamais avoir à reprendre tout ce qu'elle lui avait donné. Elle espérait qu'elle ne serait jamais contrainte d'oublier ces après-midis où, tous les deux, ils combattaient l'ennui avec enthousiasme, et tous ces soirs où elle l'avait rassuré, câliné et regardé s'endormir.

Mais hélas, comme trop souvent, la colère et l'incompréhension l'emportèrent sur la raison.

***

Le lendemain, Andromeda, de son côté, marchait d'un pas vif le long du chemin de traverse. En effet, quelques jours plus tôt, en accompagnant Narcissa acheter ses fournitures pour sa sixième année, Andromeda avait remarqué pour la première fois une minuscule librairie, écrasée par l'énorme enseigne de Mr Ollivander. Intriguée, elle s'était approchée : la devanture n'était pas beaucoup plus large que la porte, et à travers la vitrine, on pouvait voir des rangées de livres anciens. Au-dessus de l'entrée figurait un écriteau minuscule, aux inscriptions à peine lisibles : Le Chat qui souris, librairie et voyages.

Intriguée par cette appellation, elle s'était promis de revenir. Elle longea donc la rue encombrée de sorciers affairés, jusqu'à la minuscule librairie, et poussa la porte, dont la poignée était couverte de cuir usé, poli par le temps. Elle fut aussitôt accueillie par les notes cristallines d'un carillon constitué de tubes argentés, situé au-dessus du linteau de la porte d'entrée. Aussitôt la porte refermée derrière elle, la rumeur du Chemin de Traverse s'évanouit, et la petite librairie replongea dans le silence.

L'endroit, pour Andromeda, se rapprochait de l'idée qu'elle se faisait du paradis. La pièce était immensément longue, et s'élargissait au fur et à mesure, à tel point qu'Andromeda n'en voyait pas le bout. Plusieurs plafonniers diffusaient une lueur douce, comme s'ils avaient peur de déranger les ouvrages paisiblement endormis. Des livres anciens, aux couvertures soigneusement reliées, s'alignaient sur les étagères en bois irrégulier. En s'approchant des tranches des livres, Andromeda fut surprise de constater qu'elle connaissait la plupart des titres : Le bal des elfes, La sorcière prodigieuse, Bonnie contre les géants, En attendant Merlin, Les contes de Beedle le barde... Un peu plus loin, elle s'aperçut avec ravissement que la librairie comportait des livres moldus : Notre-Dame de Paris, Les Milles et Une Nuits, Don Quichotte de la Manche, Le petit Prince, Dix Petits Nègres... Autant de livres que sa famille aurait immédiatement jeté aux ordures, mais dans lesquels Andromeda mourait d'envie de se plonger.

– Bonjour, belle demoiselle !

Avec un « pop » sonore, une minuscule petite femme apparut devant elle. Elle devait avoir du sang de lutin dans les veines, car sa tête arrivait à peine à la hauteur de la taille d'Andromeda. Ses longs cheveux argentés ondulaient jusqu'à sa taille, ses volumineuses boucles d'oreilles et ses innombrables bracelets cliquetaient au moindre de ses mouvements, et ses nombreuses rides dessinaient des soleils autour de ses yeux lorsqu'elle souriait.

– Bienvenue dans la librairie voyageuse ! Je suis Mrs Painswick, la propriétaire de l'établissement ! C'est la première fois que je vous vois, il me semble ? J'ai une excellente mémoire visuelle. Vous connaissez le principe des Livres Voyageurs ?

Andromeda n'avait jamais entendu parler d'une telle chose, mais l'idée d'associer les livres et les voyages lui plaisait déjà.

– Bonjour madame, je... Je m'appelle Andromeda. Non, je ne connais pas...

Le sourire de Mrs Painswick s'élargit encore.

– Alors, je vous montre ?

– Oui, avec joie.

Mrs Painswick frémit d'excitation, et se mit à parcourir les étagères.

– Voilà Le Petit Prince ! s'exclama-t-elle en saisissant un livre minuscule coincé entre deux grimoires. Allez-y, lisez !

Andromeda parcourut quelques pages, intriguée. J'ai ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu'à une panne dans le désert du Sahara... Elle fronça les sourcils. Ce livre n'avait rien de magique. En revanche, elle se mit à avoir très chaud, et une odeur désagréable lui fit froncer le nez. En levant la tête pour interroger Mrs Painswick, Andromeda sursauta : la vieille dame avait disparu, et la librairie entière avec elle. Autour d'Andromeda, il n'y avait qu'une étendue dorée et onduleuse, à perte de vue, sous un ciel d'un bleu impitoyable. Il n'y avait pas âme qui vive, à l'exception d'un homme d'une quarantaine d'années qui ne prêtait aucune attention à Andromeda, plongé dans le ventre d'une étrange machine métallique. Andromeda fit un pas vers lui, et constata qu'elle ne marchait plus sur du parquet, mais sur de minuscules grains qui formaient une surface instable et brûlante. Elle se baissa, prit une poignée de grains dorés, qui étaient chauds et presque aussi fins que de la poussière ; elle les fit couler entre ses doigts, et trouva cela agréable. Elle se souvint de la plage des Cornouailles où elle s'était rendue avec sa mère, ses sœurs et ses cousins, près de la Chaumière aux Coquillages, et se souvint du nom de cette étrange matière : le sable. Puis elle reporta son attention sur l'homme qui se trouvait à quelques mètres d'elle, et s'approcha de lui prenant garde à ne pas se tordre la cheville sur le sable.

– Bonjour, dit Andromeda. Bonjour ! Monsieur ? Pouvez-vous me dire où nous sommes ?

L'homme ne répondit pas, mais lorsqu'il remua ses mains couvertes d'un liquide huileux, l'odeur désagréable devint encore plus forte. Machinalement, Andromeda referma le livre, et le décor, la chaleur et l'odeur désagréable s'effacèrent, remplacé par Mrs Painswick qui l'observait, toute souriante. Andromeda regarda ses pieds, puis sa main, et constata qu'ils ne contenaient pas le moindre grain de sable.

– Alors ? Qu'est-ce que tu as vu ?

– Que s'est-il passé ? Il y avait une grande étendue de... De sable, je crois, et un homme qui avait l'air soucieux...

Mrs Painswick l'observa avec des yeux brillants.

– Tu as réussi ! s'exclama-t-elle. C'est formidable ! En général, la première fois, les gens n'arrivent pas à lâcher prise, et ont simplement des espèces de visions...

Mrs Painswick referma les doigts d'Andromeda autour du livre.

– Garde-le, si tu veux, je te l'offre ! C'est ce qui s'appelle un Livre Voyageur, et c'est un objet très précieux. Assieds-toi, je vais tout t'expliquer...

Deux petits tabourets en bois vernis apparurent à côté d'elles. Andromeda prit place sur le plus grand, et Mrs Painswick sauta pour s'installer sur le plus petit, ses mollets minuscules se balançant dans le vide.

– Le principe est à peu près le même qu'avec une Pensine, expliqua-t-elle. Pour donner ce résultat, le lecteur initial doit imaginer la scène, de la façon la plus réaliste et la plus précise possible, comme si c'était un de ses propres souvenirs... Puis, il extrait les souvenirs de son esprit, et les dépose dans une sorte de Pensine un peu modifiée. Et enfin, il faut imprégner les pages de toutes ces scènes imaginées... Et voilà le travail ! Les lecteurs suivants peuvent se plonger dans les décors, ressentir à leur tour les textures et les odeurs, et observer les personnages dialoguer entre eux.

– Mais, alors... De cette manière, on ne lit plus vraiment ?

– Oh, bien sûr, tout le monde n'apprécie pas cette façon de faire ! Mais il suffit de retirer cette couverture en cuir, et le livre redeviendra tout à fait normal. Moi-même, j'aime beaucoup alterner les deux ! Quoiqu'il en soit, c'est une forme de magie très ancienne... Depuis la nuit des temps, vois-tu, les Hommes imaginent, racontent, écoutent, se transmettent... Alors il faut respecter certains codes. Ce sont ces vieilles couvertures qui leur permettent de nous faire voyager.

– Mais pourquoi est-ce si méconnu ?

– Pour plusieurs raisons, ma petite. Premièrement, c'est un travail extrêmement fastidieux, et exigeant ! Pour donner corps à l'histoire, il faut imaginer tous les détails, se mettre complètement dans la peau des personnages, et tout voir, tout sentir à travers leurs yeux ! Nous manquons donc de sorciers qui soient assez poétiques et créatifs, et ça ne s'arrange pas ! Sans compter la restauration des dorures, des mors et des nerfs du livre, qui sont absolument essentiels pour empêcher la magie de s'en échapper... Deuxièmement, certains considèrent ces objets comme dangereux, et à juste titre ! Des sorciers se sont perdus dans leurs mondes imaginaires, en oubliant de refermer leur livre, en refusant de revenir à la réalité, qu'ils jugeaient trop fade...

Andromeda essaya de digérer toutes les informations que Mrs Painswick lui avait données.

– Cet endroit, dans le livre...

– C'était un désert.

– Un désert, répéta Andromeda, charmée. Il y avait aussi une odeur assez désagréable...

– Oh, tu as aussi senti l'odeur ? Mais c'est formidable !

– Qu'est-ce que c'était ?

– Dans ce chapitre, le personnage répare un moteur. Ce que tu as senti, c'est de l'essence, ce qui fait fonctionner les machines moldues.

Andromeda hocha la tête, ravie d'apprendre quelque chose de nouveau sur les moldus.

– Ce doit être un travail fastidieux, en effet... Combien de temps met-on pour faire un tel livre ?

– Oh, cela dépend de la longueur, de la vitesse de lecture, de l'expérience du lecteur qui décide de s'en occuper... Pour ce livre, mon employé n'a mis que quelques jours... Mais tiens, j'y pense, puisque tu es intéressée par la littérature voyageuse, voudrais-tu visiter l'atelier ?

– Oui, bien sûr !

Mrs Painswick l'entraîna au fond de la boutique, enjouée. Tout le long des murs couraient des enfilades interminables de livres, de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de toutes les langues, mais toujours avec cette même reliure mate, en vieux cuir souple. À intervalles réguliers, des petits miroirs rectangulaires interrompaient la bibliothèque, et en regardant son reflet dans l'un d'entre eux, Andromeda constata qu'elle s'était mise à sourire sans même s'en rendre compte.

– Et ces miroirs, pour quoi est-ce fait ?

– Ah ! Oui ! Plusieurs de mes fidèles clients m'en ont fait la demande. C'est pour être sûr d'être bel et bien revenu dans la réalité, vois-tu ! Car dans les Livres Voyageurs, on ne peut pas se regarder dans un miroir, le lecteur ne verrait rien...

Au fur et à mesure qu'Andromeda avançait, elle entendit une sorte de ronronnement, et en s'approchant, elle comprit que c'était tout simplement le bruit familier et réconfortant de feuilles qui se tournaient et de dizaines de plumes qui grattaient contre le papier. Ledit atelier se trouvait derrière une porte vitrée, et dès qu'Andromeda entra, elle sut qu'elle voulait passer tout son temps dans ce lieu magique. La pièce faisait la taille d'une grande salle de classe et était baignée d'une lumière agréable, chaleureuse, confortable. Les murs étaient couverts de tableaux, représentant des paysages sublimes des quatre coins du monde. Il régnait une odeur de cuir et de vieux papier. Juste devant Andromeda, plusieurs pupitres en bois vernis soutenaient une demi-douzaine de livres, au-dessus desquelles de longues plumes bleues s'agitaient, infatigables.

– Ce sont des Plumes Interprètes, l'informa Mrs Painswick. Ici, je reçois des livres du monde entier. Je les traduis, je restaure les originaux, je les convertis parfois en Livre Voyageur selon l'envie du propriétaire ; puis je les renvoie dans leurs pays d'origine...

Dans le fond de la pièce, on voyait plusieurs fauteuils confortables, destinés à la lecture. Mrs Painswick s'en approcha, et désigna les marmites argentées qui scintillaient juste à côté des fauteuils, dans chacune desquelles trempaient une page de livre. Andromeda se pencha sur le contenu des deux bassines la plus proche : autour des pages flottaient des volutes argentées, ni liquides, ni gazeuses, qui correspondaient sans aucun doute aux différents passages du même livre. Certaines volutes crépitaient ou émettaient des étincelles, tandis que d'autres ronronnaient gentiment. Les volutes s'approchaient de la page qui trempait au centre de la bassine, parfois sans la toucher ; mais il arrivait qu'une volute traverse la page, et l'imprègne de sa lueur argentée.

– La clé d'un bon Livre Voyageur, c'est le temps de trempage, expliqua Mrs Painswick en plongeant sa main dans une des marmites.

Elle remua légèrement la main, laissant filer entre ses doigts les volutes argentées.

– S'il est trop court, tout est flou, continua Mrs Painswick ; et s'il est trop long, les sons risquent d'être trop forts, et les odeurs trop puissantes...

La vieille dame regarda l'ensemble de l'atelier, et son visage enthousiaste se voila brusquement de nostalgie.

– Malheureusement, je manque de main-d’œuvre... Je n'ai qu'un employé, et nous avons un travail considérable, mais le poste n'est pas très attractif... Le salaire n'est pas très conséquent, et les jeunes préfèrent les métiers d'avenir... Tout comme vous, j'imagine ?

Lorsqu'Andromeda exprima son souhait de se joindre à eux, Mrs Painswick faillit bien pleurer de joie.

Pour son premier jour de travail, Andromeda se changea une bonne dizaine de fois, finit par opter pour la tenue la plus sobre qu'elle avait trouvée, et se rendit à la librairie au pas de course. Elle aurait difficilement pu rêver mieux comme travail : un environnement calme, loin des tensions qui étouffaient le 12, square Grimmaurd, au cœur des livres qu'elle avait toujours adorés. Elle trépignait d'impatience à l'idée de découvrir les innombrables univers qui s'ouvraient devant elle.

Elle arriva devant le Chat qui souris avec quelques minutes d'avance. Elle poussa la porte, et dès que les premières notes du carillon argenté retentirent, Mrs Painswick se matérialisa devant elle avec un « pop » sonore.

– Andromeda ! Ah, quel bonheur ! J'avais si peur que tu ne viennes pas !

Elle saisit la main d'Andromeda dans la sienne, ridée et réconfortante, et Andromeda sentit l'angoisse desserrer son étreinte autour de sa poitrine. Tout se passerait bien. Elle aperçut son reflet dans une des vitrines : quelques mèches de ses cheveux bruns étaient collées sur son front, et son chemisier s'était froissé lors du trajet.

– Tu as fait bon voyage ? demanda Mrs Painswick, comme si Andromeda arrivait d'un pays lointain. Viens, suis-moi ! Je vais te présenter l'autre garçon, il était en congé l'autre jour. Il est un peu sauvage, mais je suis sûre que vous vous entendrez très bien !

Elle se tourna vers le fond l'atelier, où régnait un désordre indescriptible.

– Ted ? Où te caches-tu ?

Un jeune homme sortit de derrière un rayonnage, derrière lequel il semblait se cacher. Il avait des cheveux blonds, une chemise mal boutonnée, et une attitude étrangement farouche.

– Voilà ! dit Mrs Painswick, très fière. Ma petite Andromeda, je te présente Ted Tonks !

***

Quelques jours après la rentrée, alors que Narcissa marchait dans les couloirs, accompagnée de Daisy, de Carla et de Juliet, la voix fluette de Sirius l'interpella :

– Hé, Cissy !

Il agita sa main et courut vers Narcissa, avec un sourire désarmant. Celle-ci fit un signe de tête à ses trois camarades, qui continuèrent d'avancer à contrecœur.

– On compte sur toi pour lui faire regretter son choix, glissa Carla en s'éloignant.

Narcissa n'avait aucune envie de faire plaisir à Carla Avery, mais cette petite remarque la rendit encore plus irritable. Et quand Sirius s'approcha d'elle, elle fut incapable de se calmer.

– C'est trop bien, ici, s'exclama Sirius avec entrain. Tout est comme tu me l'as décrit, mais en mieux !

Narcissa resta muette, les poings serrés, et Sirius continua de s'extasier avec une assurance naïve. Il lui parla de ses cours de magie passionnants, de la liberté d'aller et venir sans avoir au-dessus de lui les remarques sèches et strictes de sa mère, et surtout de ses trois nouveaux amis : James, Remus et Peter.

Si Narcissa avait eu la sagesse de s'adoucir, elle aurait sûrement compris son désir de s'émanciper de cette famille qui l'avait toujours muselé. Mais alors que Sirius lui chantait les louanges de ses amis avec un enthousiasme qu'elle ne lui avait jamais connu, elle se mit en tête que leurs jeux partagés n'avaient été pour lui qu'une triste consolation, et que tous les détails qu'elle lui avait rapportés sur Poudlard ne lui avaient servi qu'à rêver d'un monde où il pourrait s'éloigner d'elle autant que possible.

Alors que Sirius achevait le récit de ses premiers pas à Poudlard, James Potter jaillit derrière lui, comme pour appuyer ses propos. Sirius les présenta mutuellement ; James adressa un sourire insolent à Narcissa, et lui tendit la main avec un air arrogant qui n'avait rien d'avenant.

Narcissa serra les poings encore plus étroitement. Elle ignora délibérément James, et se tourna vers son cousin :

– Sirius, je ne comprends pas, commença-t-elle. Pourquoi... Pourquoi tu as fait ça ?

Elle avait parlé froidement, en essayant tant bien que mal de dissimuler sa tristesse et sa déception. En face d'elle, toujours enthousiaste, Sirius semblait ne pas comprendre.

– De quoi tu parles, Cissy ?

Narcissa sentit ses joues prendre une teinte plus soutenue.

– À ton avis ? De ça, évidemment, dit-elle en désignant avec dégoût l'écharpe rouge et jaune de Sirius.

Sirius écarquilla les yeux, surpris.

– Eh bien ? Qu'est-ce que ça fait ? D'accord, on se voit moins souvent, c'est vrai... Mais de toute façon, tu es avec tes copines, non ?

Narcissa prit un air outré.

– Tu as trahi toute notre famille, dit-elle froidement.

Sirius recula légèrement. Il semblait seulement réaliser à quel point Narcissa était furieuse.

– Alors, pourquoi ? insista Narcissa. Pour te faire remarquer, comme d'habitude ?

Sa propre colère la submergeait à mesure qu'ils parlaient, éperonnée par le sourire de James qui ne se dissipait pas. Sirius, lui, semblait sincèrement déconfit.

– Cissy, tu me fais peur, dit-il aussitôt en fronçant les sourcils. Là, sérieusement... Tu parles comme ma mère !

Narcissa fut piquée au vif.

– Comme ta mère ? Justement, tu sais très bien comment elle va réagir ! Et à cause de toi, la maison va être invivable ! Elle va forcément trouver un moyen d'être encore plus méchante avec nous, comme toujours !

Le visage de Sirius se décomposa : visiblement, il n'avait absolument pas envisagé ce genre de conséquences.

– Mais... Ce n'est pas ce que je voulais, Cissy, je t'assure... C'est juste que...

Il fit un effort manifeste pour retrouver une contenance.

– Je ne voulais pas aller à Serpentard ! résuma-t-il, comme un cri du cœur. Le Choixpeau me l'a dit lui-même, je serai beaucoup mieux à Gryffondor ! Il a dit que j'étais courageux !

Narcissa devina que Sirius avait espéré son approbation ; mais loin de s'apitoyer, elle se sentit encore plus furieuse.

– Ah oui ? Eh bien moi, je trouve que c'est complètement égoïste, et ingrat, de provoquer toutes ces disputes autour de toi !

À côté de Sirius, James gloussa bruyamment, et Narcissa reporta son attention sur lui.

– N'importe quoi, gloussa James. Il faut te calmer, hein... Je t'avais dit, Sirius, les Serpentard sont tous des causes perdues.

Furieuse, Narcissa les observa tous les deux. Sirius se rapprocha de James, et leur complicité évidente donna à Narcissa l'envie d'être méchante.

– De toute façon, je perds mon temps, cracha Narcissa. Vous n'êtes que deux petits morveux irresponsables. En tout cas, Sirius, j'espère que tes nouveaux amis si géniaux sauront te consoler, quand tu viendras les réveiller au milieu de la nuit parce que tu as mouillé ton lit !

Elle avait un peu haussé la voix, et quelques élèves se tournèrent vers eux, intrigués. James, enfin, s'arrêta de sourire ; et Sirius écarquilla les yeux, pétrifié.

Narcissa tourna les talons avant qu'il ne trouve de quoi répliquer, et s'éloigna à grand pas, la gorge serrée. Ses mains tremblèrent quand elle entendit James s'exclamer :

– Mon pauvre Sirius, décidément ! Ils sont tous complètement tarés, dans ta famille !

Narcissa resta de méchante humeur pendant les semaines suivantes : seule la compagnie de Lucius arrivait à l'apaiser et à lui changer les idées.

– Tu n'as pas besoin de lui, lui dit Lucius pour la centième fois, par un long jour de pluie.

Ils étaient tous les deux dans la salle de bains des préfets. Lucius se prélassait au milieu de la mousse multicolore, et Narcissa était assise sur le bord de l'immense baignoire. Maussade, elle dessinait des petits ronds dans l'eau avec ses pieds.

– Allez, insista Lucius en se rapprochant d'elle. Tu l'oublieras vite, ce n'est qu'un garnement, après tout... Je sais que tu l'aimais bien, mais c'était surtout quand vous étiez petits, non ?

Narcissa haussa les épaules. Comme toujours, Lucius avait deviné la raison de sa tristesse. Et elle savait pertinemment qu'il ne la laisserait pas tranquille avant qu'elle ne retrouve le sourire.

– De toute manière, tu n'allais pas fréquenter ses amis, dit Lucius avec dédain. Sérieusement... James Potter est déjà aussi arrogant que leur imbécile de préfet... Ce Petigrow m'a l'air idiot comme un Veracrasse, je suis sûr qu'il n'arrive pas à aligner trois mots... 

Lucius imita brillamment le regard vide de Peter Petigrow, et Narcissa lui répondit par une ébauche de sourire.

– Et Lupin ? Tu aurais peut-être aimé être amie avec Remus Lupin ?

Narcissa eut un petit rire. Elle, la muse du Préfet-en-Chef, saluer ce garçon pâle et chétif, aux vêtements toujours rapiécés et miteux ? Non, décidément, poursuivre son amitié avec Sirius n'aurait servi qu'à ternir sa réputation ; cette affirmation n'atténuait pas sa tristesse, mais avait au moins le mérite de la conforter dans sa décision.

– Tu as raison, dit résolument Narcissa. N'y pensons plus.

Et elle rejoignit Lucius dans l'eau brûlante, au milieu des bulles multicolores qui s'envolaient autour d'eux.

Quant à Sirius, s'il avait pu ressentir de l'affection pour sa cousine, la découvrir dans l'environnement de Poudlard lui fit passer l'envie de lui pardonner : elle passait son temps à se pavaner au bras de Lucius Malefoy, qui, d'après des Gryffondor plus âgés, n'était qu'un imbécile arrogant, manifestement persuadé que son nom de famille faisait de lui un être supérieur. Tous deux regardaient de haut l'ensemble des autres élèves, et Sirius ne tarda pas à approuver vigoureusement les critiques acerbes que les Gryffondor faisaient à leur égard.

Cette dispute fut pour Sirius la confirmation de ce qu'il avait toujours pressenti : tous ceux qui méprisaient les Moldus, de quelque manière que ce soit, n'étaient absolument pas dignes de confiance, et devaient être évités à tout prix. Le désir d'être apprécié par sa propre famille, qu'il avait parfois ressenti de manière fugace, disparut complètement, remplacé par l'envie féroce de tout mettre en œuvre pour leur déplaire.

Il voulut correspondre à ce sujet avec sa cousine Andromeda, qui avait secrètement le même avis que lui, même si elle n'arrivait pas à se défaire de l'affection qu'elle éprouvait pour sa mère et sa petite sœur ; mais les réponses qu'il reçut d'Andromeda étaient étrangement vagues et évasives.

Et pour cause, Andromeda avait l'esprit ailleurs...


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