Les Premiers Chasseurs

Chapitre 17 : XVI Là où on se pose des questions

3805 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 31/07/2022 21:12

CHAPITRE XVI : LÀ OÙ ON SE POSE DES QUESTIONS


Taran se matérialisa dans la cour d’un vieux château de pierres grises. Une partie de l’édifice était en ruine, certaines de ses tours menaçant de s’effondrer. Juchés sur les toits et les remparts, des corbeaux observaient le nouvel arrivant, croassant comme pour se moquer de lui. Il tourna son regard torve vers eux en une sourde menace. Sa main s’approchait lentement de sa baguette.

— Maître ! Vous êtes revenu ! s’écria un de ses fidèles en surgissant d’une porte.

Le jeune homme s’inclina devant Taran avec déférence.

— Y a-t-il eu le moindre problème ici pendant mon absence, Hector ? questionna-t-il.

— Un seul, maître, répondit Hector. Nous n’avons pas reçu le message quotidien du monastère de Pontoy depuis les deux derniers jours, j’allais me rendre sur place pour leur rappeler les consignes.

— Inutile, il n’y a plus rien là-bas. Nous avons été attaqués, ils sont tous morts.

— Mais qui a fait ça ?

— Deux hommes, l’un d’eux travaille pour le ministre, c’est la conclusion à laquelle ses paroles me mènent. L’autre s’est associé à lui par opportunisme, je pense, un Corvus.

— Mais… nous avons tué tous les Corvus ! s’exclama Hector d’une voix blanche. Nous avons payé un prix élevé dans ce combat ! Il ne reste que ceux que nous gardons pour les éduquer.

— Il faut croire que non…

— Pardonnez-nous, maître, supplia-t-il en se jetant à genoux devant lui. Nous payerons pour notre erreur.

— Relève-toi, il devait simplement être absent. Vous n’êtes pas fautif. Après tout, nous ignorions combien de membres comptait la famille Corvus. Nous pensions l’avoir anéanti, ce sera bientôt le cas. Surtout que ce Mathias s’est mis en tête de nous arrêter. Si nous ne le trouvons pas, il viendra à nous. Enfin, s’il n’est pas mort après le dernier coup que je lui ai porté.

Le silence s’installa, uniquement troublé par quelques croassements des corbeaux. Les oiseaux noirs s’attirèrent de nouveau un regard mauvais de la part de Taran.

— J’ai fait le tour de nos autres lieux de récolte, Pontoy est le seul qui ait été attaqué. Dorénavant, je veux que quelqu’un fasse le tour pour vérifier tous les jours qu’aucun autre n’a été découvert.

— Bien, maître.

— Et je promets une récompense à celui qui me rapportera la tête du dernier des Corvus, ainsi que de son acolyte, Philippe d’Estremer.

— Je vais m’en occuper personnellement, maître.

Les corbeaux croassèrent de plus belle, certains agitant leurs ailes violemment. Taran dégaina sa baguette et la tendit vers les volatiles. Un éclair vert balaya les remparts, les faisant taire, ceux des toits s’envolèrent sans demander leur reste.

— Et débarrasse-moi de ces oiseaux, je ne veux plus en voir un seul.

 

Hermès et Chan buvaient tranquillement un godet de vin, assis à la table de la taverne. Ils faisaient semblant de ne pas remarquer les regards curieux que leur adressaient les badauds. Ils n’étaient pas habitués à voir une femme originaire des confins de l’orient dans leur occident chrétien, ce devait être la première.

Une autre femme entra, attirant tout de suite la même attention. Sa peau était brune, comme celle des habitants d’Arabie et d’Afrique du Nord tels qu’on leur avait décrit dans les récits des marchands. Certains se souvenaient de la visite d’un émissaire du sultan Mehmed IV et de sa suite bigarrée en 1669.

La femme s’assit à la table d’Hermès et Chan. Elle héla le tenancier pour qu’il lui apporte un godet de vin. Une fois qu’elle eut bu une gorgée, grimaçant de l’âcreté de la boisson, Hermès lui demanda :

— Alors Néféri ? Sais-tu où est Taran ?

— Malheureusement non, déplora Néféri. Ce fut une bonne idée d’envoyer le dernier Corvus libre et de lui octroyer l’assistance d’un partenaire, ça a attiré Taran. Mais il a appris à brouiller ses pistes. Après la fuite des deux hommes, il s’est assuré qu’il n’y avait plus rien pouvant nous mener à lui, et il est parti. Au final, on n’est pas plus avancé. Tu ne vois toujours rien, Chan ?

— Désolé, j’ignore comment il fait, mais il parvient à se dérober à ma vision, répondit-elle.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant, Hermès ?

— On attend, répondit-il. Nous n’avons pas le choix, nous allons devoir nous en remettre à Mathias Corvus et, d’après Nicolas, à son allié, le comte Philippe d’Estremer.

— Ils vont se faire tuer, lâcha Néféri.

— Peut-être… N’oublions pas la force du clan Brandrez dont les Corvus sont les descendants. Et d’après Nicolas, Philippe d’Estremer est quelqu’un de compétent.

— Je les ai vus se battre, ils sont doués. Mais face à Taran…

— S’il le faut, nous agirons, conclut Hermès.

— En attendant, continua Néféri après avoir acquiescé d’un hochement de tête, si on trouvait un autre endroit où se restaurer. J’ai faim, et si la nourriture d’ici est du même acabit que la boisson, je vais être de fort méchante humeur !

— Je connais un endroit où nous mangerons correctement, sourit Hermès en se levant tout en posant quelques pièces sur la table.

Tous trois se levèrent pour quitter la taverne. Lorsqu’ils furent dans la rue, plusieurs hommes se dressaient devant eux.

— Excusez-nous, étrangers, êtes-vous des marchands ? demanda l’un d’eux en s’avançant d’un pas. Ou peut-être des pèlerins ?

— Ni l’un ni l’autre, juste de simples voyageurs, répondit Hermès.

— Voyager coûte cher, quelle que soit la raison, je suppose donc que vos bourses sont bien remplies.

— Avec tout mon respect, monsieur, cela ne vous regarde pas.

— Oh que si ! Car vous allez tout de suite nous donner tout votre or et tous vos bijoux. Cela peut se faire sans violence ou avec. Et ici, vous ne trouverez nulle part où vous plaindre, les étrangers ne sont pas bien vus. Allez, soyez raisonnable, donnez, fit-il en tendant la main vers eux.

Le mouvement fut si rapide que le voleur mit plusieurs secondes à remarquer que sa main venait d’être tranchée nette et gisait maintenant sur le sol. Il finit par ramener contre lui son moignon sanglant et jeta un regard haineux à Néféri qui s’avançait en levant une étrange épée dont la forme rappelait un C avec une cédille.

— L’un de vous veut encore de notre or ? questionna-t-elle. Qui veut tâter de mon khépesh[1] ?

Malgré un mouvement de recul, certains des hommes leur faisant face dégainèrent leurs armes. Néféri souriait de contentement, elle avait besoin de se défouler.

— Tuez cette étrangère ! hurla le chef de la bande entre deux gémissements.

Le combat fut des plus brefs malgré le nombre de belligérants. Néféri démontra sa maîtrise quasi parfaite de son khépesh en estropiant et tuant plusieurs agresseurs sans être touchée une seule fois. Un des hommes tenta de s’en prendre à Hermès et Chan, mais cette dernière lui saisit le poignet au vol et le projeta d’une torsion avant de l’assommer d’un coup de talon alors qu’il était à terre.

Une fois le combat terminé, faute d’agresseur encore debout, Néféri s’approcha du chef de la bande. Elle posa sa lame encore dégoulinante de sang sur sa gorge.

— Vous allez le regretter, dit-il. Ici, le meurtre de chrétiens est puni de mort.

— Ai-je l’air d’avoir peur de la mort ? contra l’Égyptienne.

— Néféri, allons-nous-en, je pense qu’ils ont eu leur compte, dit Hermès.

— Il n’a pas tort, affirma Chan. Avec tous ces témoins, nous risquons d’être poursuivis par la garde.

Hermès sortit sa baguette et la dressa au-dessus de sa tête. Il ferma les yeux pour se concentrer. Une légère lueur apparut à l’extrémité de l’artéfact, s’intensifiant jusqu’à générer une vague lumineuse qui enveloppa tout sur une centaine de mètres aux alentours.

Lorsqu’ils reprirent leurs esprits, les passants eurent l’horrible surprise de découvrir plusieurs cadavres encore chauds et plusieurs hommes gémissants dans leur propre sang. Aucun ne se souvenait de ce qui s’était passé, et personne ne remarqua les trois étrangers qui s’éloignaient tranquillement.

 

Philippe d’Estremer apparut en un claquement de fouet dans la cour du Ministère de la Magie. En y entrant, il apprit de la bouche du concierge que le ministre était absent.

— Et maître Marchas ? questionna-t-il.

— Il doit être à la bibliothèque, estima le concierge.

Philippe s’y rendit immédiatement. Il trouva l’archiviste penché sur un vieux volume de parchemin jauni, s’aidant d’une loupe pour regarder les détails d’une enluminure.

— Bonjour, maître Marchas, salua-t-il.

Odon se releva et se tourna vers son visiteur.

— Monsieur le comte ! Je ne m’attendais pas à vous voir !

— J’ai besoin de renseignements.

— Vous auriez dû m’écrire plutôt que de vous déplacer en personne, fit remarquer Odon.

— Je voulais vous faire part de quelques évolutions et informations que j’ai pu recueillir dernièrement et qui pourront vous aider à aiguiller vos recherches. Et surtout, je veux que ça reste secret, un courrier, ça peut toujours être intercepté.

— Quand vous dîtes secret, vous voulez dire que je ne dois rien dire à monsieur le Ministre également ? questionna-t-il.

— En effet, je souhaiterais que certaines choses restent entre nous.

Odon semblait dubitatif, il n’avait jamais rien caché au ministre Étienne Courneuf. Il avait en lui une loyauté absolue, jusqu’à maintenant, il n’imaginait pas penser à lui mentir.

— Si vous trouvez que c’est trop vous demander de garder le secret, dites-le-moi, je comprendrai, assura Philippe. Je chercherai seul, cela prendra juste plus de temps, car ici, c’est votre royaume, comme vous me l’avez dit.

Odon soupira. Il ne voulait rien cacher au ministre, mais d’un autre côté, il voulait savoir. Il était conscient que si quelqu’un comme Philippe d’Estremer lui demandait de passer sous silence certaines informations, ce devait être important. Sa curiosité était piquée.

— Bien, monsieur le comte, je vous aiderai et garderai le secret, promit-il. Je peux faire le Serment Inviolable, si vous voulez.

— Ce sera inutile, vous faites déjà un grand sacrifice en promettant de ne rien dire, et je sais que vous êtes un homme de confiance, dit Philippe. Par contre, pouvons-nous aller dans un endroit plus discret, que je vous expose la situation et les demandes que je dois vous faire.

Odon guida Philippe jusqu’à un cabinet d’étude dont la porte était dissimulée derrière une tenture représentant Merlin et Viviane se promenant en Brocéliande. La figure de l’illustre enchanteur salua les deux hommes qui lui répondirent poliment. L’archiviste referma consciencieusement le passage derrière le comte, puis, levant sa baguette, il insonorisa la pièce d’un sortilège.

— Personne ne viendra ici, et personne ne nous entendra, annonça-t-il. Je vous écoute, monsieur le comte.

Philippe lui révéla tout ce que Nicolas Flamel leur avait révélé concernant Taran et les autres sorciers vivants depuis des siècles. Odon l’écouta avec attention sans l’interrompre malgré la surprise et le nombre de questions qui se bousculaient dans sa tête. Lorsque le comte eut fini, il garda le silence quelques instants, le temps de mettre de l’ordre dans ses idées.

— Quel âge avez-vous dit qu’ils avaient ? demanda Odon.

— Je ne l’ai pas dit, car même maître Flamel l’ignore exactement, répondit Philippe. Plusieurs siècles de plus que lui, c’est tout ce qu’on peut déduire, combien reste un mystère. Inutile de me poser la moindre question, je vous ai dit tout ce que je savais. S’il s’avère que j’acquiers de nouvelles informations, je vous en ferai part au plus vite.

— Bien, et de mon côté, je vais élargir mes recherches. La botte de foin vient de prendre des dimensions étonnantes et inattendues.

— Une dernière chose : comme je l’ai dit dans ma dernière missive, il est possible qu’il y ait un lien entre Taran et les Corvus, c’est peut-être une piste à explorer pour en apprendre plus sur lui.

— Oui, même si le problème demeure : à quelle époque Taran et les Corvus se sont-ils rencontrés ? Et vous imaginez si cela date du temps où…

L’archiviste s’interrompit soudainement, son regard vola dans toutes les directions, comme s’il relisait des manuscrits visibles uniquement pour lui seul.

— Maître Marchas ? risqua Philippe.

— Je crois que j’ai une piste… souffla Odon sans se départir de son expression d’intense réflexion. Je vous recontacte dès que j’en sais plus, monsieur le comte.

Et sans ajouter un mot de plus, il ouvrit le passage secret et quitta le cabinet d’étude, laissant Philippe seul et interdit. Ce dernier décida de rentrer au domaine d’Estremer.

Lorsqu’il rentra chez lui, il se rendit dans un premier temps à la chambre de Mathias, pour lui faire part de sa visite au Ministère. Il arrivait au niveau de la porte quand celle-ci s’ouvrit, faisant apparaître la silhouette arrondie de Rose Corvus. Elle s’inclina légèrement en une révérence.

— Madame Corvus ! Je vous ai déjà dit qu’il était inutile de vous incliner devant moi ! sourit Philippe en lui rendant son salut.

— Veuillez m’excuser, monsieur le comte, dit-elle. Les habitudes ont la vie dure. Veniez-vous voir mon beau-frère ?

— En effet, est-il réveillé ?

— Il est absent.

— Absent ! Mais où est-il parti ?

— Pas loin, monsieur le comte, rassura Rose. Maître Flamel lui a suggéré que marcher au grand air lui permettrait de se remettre plus vite du poison, sans forcer, bien entendu. Je l’ai vu partir il y a de cela deux heures, faire le tour de votre parc. Je suis venu, pensant qu’il serait rentré maintenant.

— Est-il parti seul ?

— Non, je souhaitais l’accompagner, mais je ne m’en sentais pas la force. Charlotte s’est immédiatement proposée pour lui tenir compagnie.

Le visage de Rose semblait démontrer une certaine contrariété à ce souvenir. Philippe ne savait comment continuer cette conversation, heureusement pour lui, son fidèle Noé arriva, lui annonçant qu’un homme envoyé par le Ministre Étienne Courneuf demandait audience concernant les réfugiés du monastère.

Philippe suivit son valet jusqu’au petit salon où l’attendait un homme d’une cinquantaine d’années vêtu d’une robe de sorcier. Le comte demanda à Noé d’apporter des rafraîchissements et invita l’envoyé du Ministre à s’asseoir.

— Monsieur Ubéric Valrand, je présume, dit Philippe, se souvenant de la dernière lettre du Ministre.

— Oui, monsieur le comte, confirma-t-il. Je m’excuse d’avoir mis tant de temps avant de venir, mais je voulais d’abord avoir une solution pérenne à vous soumettre concernant les réfugiés que vous abritez. Je pense pouvoir vous dire qu’ils ne vous encombreront plus très longtemps.

— Ils ne me gênent absolument pas, se défendit Philippe. S’il le faut, je suis prêt à leur offrir le gîte et le couvert durant encore longtemps, si cela s’avère nécessaire, ce qui sera le cas si votre proposition ne me semble pas à l’avantage de ces malheureux. Ce n’est pas moi, ma famille ou mes gens qui sont à plaindre, mais eux.

— Bien sûr, monsieur le comte, veuillez excuser les mots que j’ai choisis. J’ai pris contact avec diverses familles moldues – vos réfugiés n’étant pas des sorciers – que nous savons peu enclines à aider l’Inquisition, et pour cause, certaines sont liées à des Sorciers de près ou de loin. Elles sont prêtes à recueillir vos réfugiés, que ça soit pour leur offrir un travail et un toit, voire à les adopter pour les plus jeunes.

— Quelle générosité !

— Comme quoi, tout n’est pas perdu en ce monde… soupira Valrand. Ceci explique le temps qu’il m’a été nécessaire, j’ai dû contacter chaque famille l’une après l’autre et attendre leurs réponses. Si je suis venu aujourd’hui, c’est que j’ai une solution pour chacun des réfugiés.

— Cela me semble satisfaisant. À partir de quand pensez-vous que ces familles pourront les accueillir ?

— Dès demain pour certaines, je vais assurer le transport par portoloin moi-même, promit le fonctionnaire.

— Imaginons, par exemple, que certains des réfugiés déclinent cette offre.

— Pour quelles raisons refuseraient-ils ?

— S’ils veulent tenter de s’en sortir par eux-mêmes par exemple…

— Eh bien… Je leur souhaite bonne chance. Je ne suis pas là pour forcer quiconque. Vous pensez que certains refuseront ?

— Peut-être une personne… Si c’est le cas, je la garderai ici tant qu’elle le voudra. Dans tous les cas, je vais leur présenter votre proposition. Voulez-vous m’accompagner auprès d’eux ?

— Volontiers, monsieur le comte, acquiesça Ubéric Valrand.

Les réfugiés écoutèrent attentivement ce qu’avait à leur dire le chargé de mission du ministre, plusieurs posèrent des questions :

— Et si les hommes qui nous ont enlevés nous retrouvent ?

— Je puis vous jurer que je mets tout en œuvre, avec l’appui du Ministère, pour que les scélérats qui vous ont fait du mal soient arrêtés et jugés au plus vite, promit Philippe.

— J’aurais préféré rentrer chez moi… soupira un autre.

— Si vous voulez rentrer chez vous, ce sera à vos risques et périls, intervint Valrand. Du moins, pour le moment… Comme monsieur le comte vient de vous le dire, il travaille à mettre hors d’état de nuire vos tourmenteurs. Tant qu’il n’est pas arrivé au bout de sa tâche, il ne serait pas prudent pour vous de rentrer chez vous. Par contre, quand il en aura fini avec eux, plus rien ne vous empêchera de rentrer chez vous si vous le souhaitez. Les familles à qui je vais vous confier savent que pour certains d’entre vous, ce ne sera qu’une solution temporaire.

— Je ne veux pas être séparé de mon frère et de ma sœur ! lança un jeune homme de quinze ans.

— J’ai pu négocier que les familles ne soient pas divisées. C’était une des exigences de monsieur le comte et de monsieur le Ministre.

Son ton laissait entendre que cette consigne ne lui avait pas facilité la tâche. D’autres questions fusèrent, certaines auxquelles Valrand ne pouvait pas répondre comme « leur domaine est grand ? » ou « est-ce près de la mer ? ». Au final, tous trouvèrent les conditions acceptables et il put ainsi faire la répartition des réfugiés.

— Monsieur le comte, je viens de faire le compte et il manque une personne, annonça Valrand. Savez-vous où se trouve mademoiselle Charlotte Lehel ?

— Je suis là.

Charlotte entra, suivit par un Mathias visiblement las de sa longue promenade, mais dont le teint était déjà plus rassurant, il s’appuyait sur une canne que Philippe reconnut comme étant celle de son défunt père. Le comte s’approcha de lui.

— Je suis heureux de vous voir debout, Mathias, dit-il.

— Moi aussi, répondit-il sobrement. Je vous ai emprunté cette canne, j’espère que cela ne vous dérange pas.

— Elle appartenait à mon père, je pense qu’il serait content de savoir qu’elle est utile à quelqu’un.

Plus loin, Charlotte s’entretenait avec Valrand. À plusieurs reprises, elle lança un regard implorant en direction de Mathias. Une fois que l’envoyé du Ministre eut terminé, la jeune femme revint vers les deux hommes.

— Monsieur le comte, l’offre que vient de me présenter monsieur Valrand est très généreuse… dit-elle.

— Mais ? invita Philippe alors qu’elle n’osait pas continuer.

— Si vous le permettez, je souhaiterais rester, pour aider monsieur Corvus à se rétablir. Ensuite, je partirai si c’est ce que vous voulez.

— Vous vous méprenez, mademoiselle Lehel, je ne veux qu’une chose : que vous puissiez reprendre une vie normale, en sécurité. Si vous souhaitez rester, je n’y vois aucun inconvénient, et monsieur Valrand ne vous obligera à rien. Qu’en pensez-vous, Mathias ?

Ce dernier haussa les sourcils en une interrogation muette. Faisait-il mine de ne pas voir le regard empli d’espoir de Charlotte ? Philippe ne pouvait le dire.

— Je ne vois pas en quoi je suis concerné, finit-il par dire en se retournant pour partir. Vous êtes chez vous, Philippe, vous faites ce que vous voulez.


[1] Épée d’origine Ouest-Asiatique qui fut adoptée à l’antiquité par les Égyptiens, elle devint leur arme emblématique sous Ramsès II.


Laisser un commentaire ?