Les Premiers Chasseurs

Chapitre 7 : VI Le jeu de la diplomatie

2182 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/12/2021 02:37

CHAPITRE VI : LE JEU DE LA DIPLOMATIE


Etienne Courneuf avait laissé Philippe d’Estremer aux bons soins d’Odon Marchas. Il savait que l’archiviste le tiendrait au courant de leurs découvertes et de leurs avancées. Cette affaire l’inquiétait. S’il ne connaissait pas les Corvus, cette famille ayant choisi de se tenir à l’écart du Ministère, il avait depuis longtemps noté le nom du village de Sainte-Cécile-les-Bois. Tout comme celui de Galy-sur-Ruis, il faisait partie de ces lieux listés pour potentiellement devenir des endroits sanctuarisés pour les Sorciers.

Il négociait depuis des mois avec le gouvernement du roi Louis XIV pour la création de ces havres de paix, pensant que gardé un lien avec le pouvoir moldu serait le meilleur moyen de garantir la sécurité des siens. Si maintenant ces villages et autres endroits étaient attaqués, si des Moldus y étaient tués, les négociations allaient s’avérer impossibles à conclure dans le sens qu’il souhaitait.

Une pensée terrible émergea, quelque chose qu’il ne voulait pas envisager, mais qui était du domaine de possible malgré tout : et si ces attaques étaient orchestrées par le roi ou quelqu’un de son gouvernement ? Mis à part les intuitions de Philippe d’Estremer, rien ne prouvait que l’agression de la famille Firminins ne soit pas le fait de moldus. Quant à l’assaut subi par les Corvus… Etienne Courneuf savait que l’aversion du roi pour la magie ne l’avait jamais empêché de faire usage de mercenaires sorciers par le passé.

Peut-être que le visiteur qu’il s’apprêtait à recevoir pourrait le renseigner… S’il le manœuvrait dans ce sens.

Trois coups furent frappés à la porte de son bureau. Sans attendre de réponse, le secrétaire du ministre ouvrit.

— Monsieur Colbert de Seignelay est arrivé, monsieur le Ministre, annonça-t-il.

— Faites-le entrer, ordonna Étienne Courneuf.

Jean-Baptiste Colbert de Seignelay[1] était un des ministres de Louis XIV. Il était en charge de deux portefeuilles : celui de secrétaire d’État à la marine, et de secrétaire d’État de la Maison du Roi. Le monarque l’avait chargé des relations avec les Sorciers dans le cadre de cette seconde fonction. Et donc, lorsque la mise en place du Code du Secret devint sérieuse, les deux hommes eurent plusieurs entrevues pour négocier les termes des relations entre Sorciers et Moldus à l’avenir.

Etienne Courneuf ne se faisait pas d’illusion, Colbert n’avait aucune sympathie pour les Sorciers et la Magie. Il pouvait cependant compter sur son pragmatisme.

Après les politesses d’usage, les deux hommes se mirent immédiatement au travail. Ils parlèrent dans un premier temps de l’impact commercial qu’aurait la séparation des communautés magiques et moldues.

— Les nôtres continueront à se nourrir et à acheter divers produits de l’artisanat, dit Courneuf. Il faudra, certes, trouver des solutions pour que ces échanges se passent dans le respect du Code du Secret, mais je gage que nous y arriverons.

— Cela ne sera pas sans mal, surtout que j’ai cru comprendre que vous parliez de créer votre propre monnaie.

— Une idée de certains de mes homologues. Personnellement, je n’y suis pas favorable, mais s’il faut en passer par là pour la sauvegarde des nôtres, je suis prêt à faire cette concession.

— Sa Majesté voit d’un mauvais œil qu’une communauté échappe à son autorité, alors si en plus elle bat sa propre monnaie…

— Nous restons des sujets de Sa Majesté, mais vous conviendrez que le contexte actuel et les crimes de l’Inquisition contre nous nous forcent à prendre des mesures.

— Nous en avons déjà parlé, monsieur Courneuf, je ne peux vous dire que ce que Sa Majesté veut : que cette transition se passe pour le mieux.

— Ce qui n’empêche pas Sa Majesté de soutenir ouvertement l’Inquisition…

Colbert lança un regard noir au ministre de la Magie.

— Ne nous égarons pas sur ce chemin, monsieur Courneuf, nous savons, vous et moi, qu’il est déconseillé de critiquer Sa Majesté. Le roi tient son pouvoir de Dieu, il est donc tenu de soutenir l’Inquisition qui en est le bras juste et armé.

Etienne Courneuf avait bien envie de couper court à l’entretien et de jeter Colbert hors de son ministère, mais cela aurait de fâcheuses répercussions sur les Sorciers français. Il ne pouvait se le permettre.

Ce que voulait Étienne Courneuf, c’était conserver des liens avec le reste du pays et son gouvernement. Mais s’il sentait que ce pouvait être préjudiciable à la communauté magique française, il n’hésitera pas à couper tout lien. Il savait que des relations entre les deux communautés, au niveau diplomatique, pourraient être rétablies quand un roi plus conciliant serait sur le trône.

— Sa Majesté est prête à se montrer clémente et à vous laisser mener votre communauté à deux conditions, continua Colbert.

— Lesquelles ? questionna Courneuf.

— Sachez déjà qu’il n’y aura pas d’autres concessions de la part de Sa Majesté. Si vous refusez, votre engeance en payera le prix.

Conservant son calme, Courneuf ne releva pas et attendit que Colbert expose les conditions du roi.

— La première condition est celle que vous souhaitez ardemment : que plus jamais les bonnes gens n’entendent parler des Sorciers et de magie, et ceux jusqu’à la fin des temps.

Courneuf ne pouvait promettre que le Secret Magique tiendrait aussi longtemps. Certains gouvernements magiques exigeaient la mise en place d’un texte permettant de le dissoudre dans certains cas extrêmes impliquant l’Humanité ou si les Sorciers étaient sûrs que les Moldus seraient prêts à les accepter. Pour sa part, Courneuf, bien que croyant peu probable de pareilles opportunités, y était favorable. Une manifestation de son éternel optimisme…

— La seconde condition est que vous prouviez être capable de tenir les vôtres dans le droit chemin.

— Que voulez-vous dire ?

— Dernièrement, plusieurs attaques de la part de sorciers contre d’honnêtes gens ont eu lieu. Sa Majesté exige que vous mettiez fin à ces actes ou il appuiera l’Inquisition de manière plus… directe.

En d’autres termes, comprit Courneuf : Louis XIV déclarerait ouvertement la guerre à la communauté magique. Colbert n’évoquait pas les attaques contre les Sorciers, car les considérant légitimes en son for intérieur.

— Sachez que j’ai déjà pris des dispositions dans ce sens. Et concernant les lieux secrets dont nous avions parlé ? interrogea Courneuf. Je parle des villages pour les Sorciers, sont-ils compris dans cet accord ?

— Oui, Sa Majesté accepte que les lieux de la liste que vous m’avez donnée la dernière fois soient réservés aux seuls Sorciers. À condition que des Sorciers y vivent au moment où votre Code du Secret Magique sera effectif.

— Je souhaiterai l’assurance que Sa Majesté ne tentera pas de faire fuir les Sorciers vivant dans ces endroits.

— Pourquoi Sa Majesté irait s’abaisser à s’en prendre à de simples villageois ? demanda Colbert avec un ton mielleux en guise de réponse.

Courneuf savait maintenant à quoi s’en tenir. Le roi ne s’attaquerait pas directement aux Sorciers. Par contre, rien ne lui interdisait d’encourager des attaques à l’encontre des siens par l’Inquisition ou d’autres individus. La liste des lieux à sanctuariser devait avoir été transmise à l’institution catholique, pas officiellement bien entendu…

Colbert et Courneuf continuèrent de débattre de divers sujets plus ou moins importants sur la séparation des deux communautés. Quand le ministre moldu repartit, il croisa Odon Marchas qui venait apporter des documents à Étienne Courneuf. Colbert ne lui accorda pas un regard.

— Monsieur le Ministre, j’aurai une question, avança Odon après avoir déposé les papiers devant Courneuf. Le Secret Magique n’est pour le moment pas décidé, n’est-ce pas un peu trop s’avancer que de parlementer avec les Moldus ?

— La diplomatie, vous avez dû vous en rendre compte, est un processus très long. C’est encore plus le cas avec le roi Louis XIV et son gouvernement. Si le Secret Magique ne devait pas se faire, je prendrais sur moi toute la responsabilité et ferai en sorte que Colbert, le roi et tous ceux au courant au sein de leur entourage oublient cela. Certes, c’est un pari de ma part, mais un pari nécessaire si on veut un avenir paisible pour les nôtres.

— Et vous pensez qu’ils tiendront leurs engagements ? L’Église ne risque-t-elle pas de leur imposer de nous faire la guerre, et ce malgré le Secret Magique ?

— En effet, c’est un risque à courir. Je n’ai pas toutes les réponses, nous verrons en temps voulu. Vous feriez un excellent ministre un jour, vous vous posez les bonnes questions, maître Marchas !

— Oh… La politique ne m’intéresse pas… Enfin, en faire mon métier ne m’intéresse pas, son étude est par contre très instructive.

— Alors peut-être conseiller, proposa Courneuf.

— Je préfère assister, comme je le fais avec vous, monsieur, avoua Marchas. Je sais poser des questions, mais pour ce qui est des réponses… il faut soit me les donner, soit que je les cherche dans des documents.

— Et quelle réponse avez-vous trouvée avec le comte d’Estremer ?

L’archiviste lui exposa le résultat de leurs recherches sur les Corvus. À la fin, Courneuf se montra dubitatif.

— Je peux comprendre que cette aura de mystère puisse fasciner, mais il ne faut pas oublier les véritables enjeux actuels, dit-il.

— Je ne pense pas que le comte les oublie, lança Odon. Mathias Corvus a laissé entendre qu’il avait un ou des moyens de retrouver la trace des assaillants. Je pense que le comte d’Estremer veut se saisir de cette opportunité pour faire de même. Pour le moment, leurs objectifs convergent.

— Oui, c’est ce qu’il semble pour le moment…

 

Lorsque Colbert fut de retour à Versailles[2], il alla rendre compte immédiatement au roi. Ce dernier se trouvait dans son bureau. D’un geste nonchalant, le monarque congédia le personnel pour rester seul avec son ministre.

— Alors Colbert, je vois que vous rentrez en un seul morceau et apparemment sans ayant subi de désagréments.

— En effet Sire, répondit le ministre. Monsieur Courneuf a été, comme à son habitude, d’un accueil parfait.

— Cela ne m’étonne pas, cette engeance diabolique tient son pouvoir de la séduction sur les faibles. Heureusement, vous n’êtes pas de cette catégorie. Dites-moi tout.

Colbert fit un récit complet de ses échanges du jour avec Étienne Courneuf. Le roi écouta attentivement, posant juste quelques questions pour se faire préciser un point par moment.

Une fois le rapport terminé, le roi Louis resta quelques instants silencieux, réfléchissant.

— Que le peuple ne se souvienne plus de l’existence des Sorciers est une bonne chose, finit-il par dire. Mais nous devons nous protéger de leur influence démoniaque. Qu’ils se terrent dans le secret s’ils le veulent, mais je veux savoir où ils sont exactement, où se tient leurs assemblés, que nous puissions les frapper quand Dieu nous le demandera ou quand ils passeront à l’attaque contre la chrétienté, pensant que nous les avons laissés de côté.

— Nous ne connaîtrons malheureusement que les villages faisant partie de notre accord et l’emplacement de leur ministère, Sire, fit remarquer Colbert. Le reste sera oublié.

— Créez et sécurisez des archives notifiant tout ce que l’on sait d’eux, ordonna le roi.

— Le fait est, Sire, que nous ignorons comment ils comptent s’effacer de la mémoire de vos gens. Peut-être que la mesure que vous préconisez se montrera inefficace.

— Nous devons savoir. Heureusement, certains sorciers sont vénaux. Faites appeler ce sorcier qui a déjà travaillé pour nous. Comment s’appelle-t-il déjà ?

— Quildas Hautfaucon, Sire, renseigna Colbert.

— Oui, il nous dira comment les siens comptent s’y prendre et comment s’en protéger.

— Je m’y attelle tout de suite, Votre Majesté.


[1] Né le 1er novembre 1651, mort le 3 novembre 1690.

[2] Le roi Louis XIV changea de demeure royale en 1682, passant du Louvre à Versailles.


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