Les Premiers Chasseurs

Chapitre 6 : V Un royaume de papier et de poussière

3283 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/11/2021 02:50

CHAPITRE V : UN ROYAUME DE PAPIER ET DE POUSSIERE


Le lendemain matin, Philippe se leva tôt, grimaçant à l’idée de quitter la douceur des bras d’Isabelle. Il prit un rapide petit-déjeuner et transplana au Ministère de la Magie.

Il apparut dans une cour pavée de pierres grises et marrons, devant ce qui ressemblait à un pavillon de chasse. L’endroit était entouré d’une dense forêt et de divers enchantements le cachant aux yeux des Moldus. Rien n’indiquait ce qu’abritait ce lieu.

Dans la cour, il croisa quelques individus en robe de sorcier qui allaient et venaient. D’autres étaient habillés à la façon moldue.

Il se dirigea vers le parvis et entra sans cérémonie. Dans le hall, il avisa le portier, assis derrière un bureau devant lequel se pressaient quelques visiteurs. Il notait de manière procédurière leurs noms et la personne ou le service qu’ils souhaitaient voir. Pour certains, il devait écouter la raison de leurs venues pour pouvoir les guider de la façon la plus appropriée.

Philippe se mit dans la queue et attendit son tour. Ici, pas de passe-droit pour quelqu’un de sa naissance. La noblesse ne signifiait rien dans la société magique. Il aimait ça, être traité comme tout un chacun, cela lui donnait l’impression de réellement faire partie de ce monde. Tout comme son père avant lui, il ne s’était jamais complaît à survoler le peuple et appréciait de s’y mêler.

Il ne restait qu’une personne devant lui quand quelqu’un l’interpella :

— Monsieur d’Estremer !

Il reconnut l’archiviste personnel du ministre : Odon Marchas. Ce dernier lui fit signe de le suivre. Philippe sortit de la colonne et emboîta le pas du jeune homme qui faisait flotter devant lui un volume conséquent de parchemins et grimoires qu’il guidait du bout de sa baguette.

— Monsieur le Ministre attend de vos nouvelles, dit Odon. Il espère qu’elles seront bonnes.

— Je crains de le décevoir sur ce point, avoua Philippe. Je viens lui faire mon rapport, mais j’aurais aussi besoin d’informations.

— Je me tiens à votre disposition pour cela.

Odon Marchas ne posa pas de question, il savait que le ministre devait avoir la primeur des nouvelles qu’apportait le comte. Ils arrivèrent devant une porte double ouvragée en bois. Elle s’ouvrit sans action de l’archiviste à leur approche.

La pièce était un rectangle de dix mètres sur cinq dont les murs étaient tapissés d’étagères jusqu’au plafond soutenant une multitude de grimoires. Elle était haute d’au moins quatre mètres. En son centre se trouvait une vaste table rectangulaire couverte de documents divers. Une carte du Royaume de France, englobant une partie des pays limitrophes, s’étalait sur la seule partie d’un mur où il n’y avait pas de rayonnage.

— Je vais aller prévenir monsieur le Ministre de votre présence, veuillez attendre ici monsieur le comte, dit Odon après avoir déposé son chargement sur un coin de la table.

En attendant l’arrivée d’Étienne Courneuf, Philippe jeta un œil sur la carte. Plusieurs marques y avaient été faites à la baguette avec des annotations. Parmi les points désignés, il y avait Galy-sur-Ruis. La note disait : Famille Firminins assassinée (par des Moldus ?), seule survivante Yseult Firminins, a perdu l’esprit, confiée à Gardevie. Une autre concernait le village de Sainte-Cécile-les-Bois : Plusieurs moldus assassinés, d’autres enlevés, les coupables sont-ils les Corvus ?

Au moins, il pourrait éclairer le ministre sur ce point. Ce dernier arriva, précédé par Odon marchas.

— Monsieur d’Estremer, salua Étienne Courneuf. N’ayant pas de nouvelles de vous depuis que je vous ai demandé d’aller à Sainte-Cécile-les-Bois, je craignais qu’il ne vous soit arrivé quelque chose. Puis-je vous offrir à boire ou de quoi vous restaurer ?

— Non merci, monsieur le Ministre, répondit Philippe. J’aurais dû vous envoyer un hibou hier soir, mais la fatigue me l’a fait oublier.

— Peu importe, vous êtes là et je vous écoute.

Philippe commença par expliquer, avec un peu plus de détails que dans sa lettre, les impressions qu’il avait eues lors de ses investigations à Galy-sur-Ruis.

— Madame Duruis m’a dit que le brouillard est tombé d’un coup alors que le ciel était clair avant l’attaque, présenta Philippe. Et il y a cette rencontre qu’a faite la jeune Yseult en courant chez elle. Elle a dit que tout s’est mis à tourner, cela peut-être un sortilège de confusion.

— Donc, ce serait des sorciers et non des moldus… Du moins, si votre théorie s’avère exacte. Quoi qu’il en soit, pourquoi, après avoir tué toute sa famille, les assassins se seraient contentés de lui brouiller l’esprit ?

— Je n’ai que des suppositions… La plus simple c’est qu’elle soit tombée sur quelqu’un qui a eu des remords et ne voulait pas la tuer de sang-froid. Ou alors ils voulaient qu’il reste une survivante pour pouvoir colporter leur forfait… Je ne sais pas.

— Le saurons-nous un jour ? lâcha le ministre dans un soupir.

— J’y suis retourné hier soir. J’ai eu des informations disant que l’Inquisition se dirigeait vers ce village, j’ai prévenu la famille Duruis et ils ont dû quitter les lieux maintenant.

— Je vais voir s’ils ont besoin de quelque chose pour les aider à s’installer ailleurs.

Dans son coin, Odon Marchas prenait note, autant pour compléter ses procès-verbaux que pour permettre au ministre de ne pas oublier ce qu’il avait à faire. S’il n’y avait eu le crissement de sa plume, on aurait pu oublier sa présence. Il se montra particulièrement efficace quand Philippe poursuivit son rapport en narrant les évènements de Sainte-Cécile-les-Bois. Il se montra intrigué et demanda au ministre de pouvoir poser une question :

— Vu la proximité, aussi bien au niveau géographique que du temps, pensez-vous que l’attaque contre les Corvus à Sainte-Cécile-les-Bois soit du même groupe que celui qui a attaqué les Firminins à Galy-sur-Ruis ?

Le comte ne répondit pas tout de suite, réfléchissant à l’interrogation de l’archiviste.

— J’avoue ne pas y avoir pensé, dit-il. Aucun élément en ma possession ne me permet de répondre à cette question. Mais elle se pose… C’est du domaine du possible, je pense. Je demanderai à Rose Corvus s’ils avaient des liens avec les Firminins quand je rentrerai à Estremer, elle saura peut-être.

— Et ce Mathias Corvus, vous pensez qu’on peut se fier à lui ? questionna le ministre. Il ne va pas ajouter des problèmes à ceux que nous avons déjà ?

— Là aussi, je l’ignore, monsieur. Je peux juste vous faire part de mon impression personnelle le concernant.

— Et quelle est-elle ?

— Je pense que c’est quelqu’un qui fera tout pour protéger les siens. Il veut retrouver les membres de sa famille et les ramener sains et saufs chez eux. Ce faisant, il retrouvera les responsables de cette attaque, nous permettant de connaître la vérité sur cette affaire. Par contre, je pense qu’il ne reculera devant rien ou presque pour atteindre son but.

— Ce dernier élément n’est pas fait pour me rassurer. Nous avons des lois et j’entends les faire respecter.

— Il faut que j’en apprenne plus sur les Corvus, peut-être découvrirons-nous pourquoi ils ont été attaqués, ainsi que des indices sur leurs agresseurs.

— Maître Marchas va vous assister. Je dois prendre congé. Tenez-moi au courant des évolutions.

— Oui, monsieur.

Lorsque Étienne Courneuf fut sorti, Philippe se tourna vers l’archiviste Odon Marchas.

— Je peux faire vos recherches et vous prévenir ensuite, monsieur le comte, dit ce dernier.

— Autant que je vous aide, contra Philippe. Je suis bien moins efficace que vous pour ce genre de chose, mais nous irons tout de même plus vite à deux.

— Suivez-moi, nous allons nous rendre dans mon royaume de papier et de poussière.

Odon guida le comte dans une portion du ministère qu’il n’avait jamais arpenté, jusqu’à une porte de bois ferré. Derrière celle-ci, il découvrit la plus grande bibliothèque qu’il lui fut donné de voir. La pièce semblait si grande qu’il se douta que la magie y faisait son œuvre, car elle paraissait plus grande que le bâtiment lui-même. Des documents voletaient à travers l’espace pour se classer d’eux-mêmes ou se balader. La sensation d’immensité était amplifiée par le peu de personnes présentes, à peine quelques-uns pliés en deux sur des tables, s’aidant de loupes pour déchiffrer les textes.

Au début, ils cherchèrent dans les registres sorciers pour en apprendre plus sur la généalogie de cette famille, mais à part quelques allusions lorsqu’un des leurs épousait un membre d’une autre famille, ils ne trouvèrent rien. À croire que les Corvus souhaitaient ne pas se mêler outre mesure au reste de la communauté sorcière. Pourtant, Philippe n’avait pas eu l’impression qu’ils vivaient refermés sur eux-mêmes lors de sa rencontre avec Rose puis avec Mathias. De plus, d’après ce que lui avait dit le père Mathérius, ils n’hésitaient pas à nouer des relations avec les villageois moldus.

— Je vais essayer de prendre le problème autrement, finit par dire Odon. Vous m’avez dit que les Corvus ont une devise, monsieur le comte.

— Oui : Quid Iudices Diffidam, renseigna Philippe.

— Qui me juge me défie… Intéressante comme devise. Et un blason ?

— Un corbeau aux ailes déployées sans autre ajout. N’y a-t-il pas une ressemblance avec le blason des Lestrange ?

— Chez les Lestrange, c’est un corbeau aux ailes repliées, posé sur une branche. Si vous saviez le nombre de familles sorcières ayant le corbeau comme emblème… C’est pour ça qu’il faut se fier aux détails, les autres éléments, le fond…

Odon Marchas s’engouffra dans une autre allée et revint avec plusieurs pesants volumes. Il commença par en étudier la table des matières sous les yeux de Philippe qui ressentait pleinement les limites de ses propres compétences pour ce genre d’activité. Son domaine c’était plutôt le terrain, la recherche d’indice et les interrogatoires.

L’archiviste usa plusieurs grimoires dont les pages étaient couvertes de textes entourant des blasons divers. Dès qu’il reconnaissait un oiseau ressemblait tant soit peu à un corbeau, il s’arrêtait et l’étudiait plus en détail avant de continuer sans rien dire.

Au bout d’un long moment, il leva les yeux, passablement déçu de ne pas avoir trouvé.

— Je ne comprends pas… souffla Odon. J’ai ici les blasons et les devises de toutes les familles sorcières françaises, et je ne les trouve pas.

— Peut-être n’ont-ils jamais été répertoriés, dit Philippe. Mathias Corvus m’a dit qu’ils avaient gardé le corbeau comme emblème, mais avoir traduit leur devise à l’époque de l’occupation romaine.

— Redite-moi ça !

— Eh bien… Ils ont traduit leur devise en latin du temps des Romains…

Sans rien dire, Odon renvoya les volumes se ranger dans les rayonnages d’un coup de baguette et repartit à la recherche de nouvelles sources d’informations. Il revint non pas avec des grimoires, mais avec des rouleaux de parchemin. Il y en avait tellement qu’heureusement qu’ils étaient maintenus en place par magie, car ils se seraient répandus autour de la table lorsqu’il les posa dessus.

— Ce sont des archives héraldiques datant de la fin de l’Empire Romain pour la plupart, certaines traitent des périodes plus anciennes, mais toujours durant leur domination, expliqua Odon. On n’a rien d’antérieur. Donc si les Corvus ne sont pas là-dedans, c’est qu’on n’en a aucune trace.

Avec précaution, Odon déroula un premier rouleau et se mit à l’étudier. Philippe fit de même. Il allait bien moins vite que l’archiviste dans ses recherches, ce dernier étudiait trois parchemins, les renvoyant se ranger dès qu’il était sûr de ne rien y trouver, lorsque le comte n’en finissait qu’un.

Finalement, Odon Marchas émit un murmure intrigué.

— Avez-vous trouvé quelque chose, maître Marchas ?

— Je n’en suis pas sûr… répondit l’archiviste sans lever les yeux du document. Ce parchemin ne parle pas des Corvus, mais d’un clan celte appelé Brandrez. Ils ont la même devise, mais dans une langue peu ou plus usitée de nos jours. De même, le nom de ce clan peut se traduire par : « Guerrier Corbeau ».

— C’est peut-être eux.

— Possible… À l’époque, beaucoup de familles sorcières ont changé de nom pour être bien vu des occupants. Ceux dont la tradition magique différait de celle des Romains tentèrent ainsi de passer inaperçus.

Remarquant la curiosité dans les yeux du comte d’Estremer, Odon alla plus loin dans ses explications historiques :

— Les mages et sorciers romains, à l’instar de l’Empire, considéraient que toute magie qui n’était pas la leur était « barbare ». Ils ont donc essayé de faire disparaître ces cultures magiques. Ce fut à cette époque que fut inventée la notion de « Magie Noire ». En fait, à l’origine ça désignait toute forme de magie non latine et non grecque. Il est ironique de se rendre compte que ce qu’on appelle « Magie Blanche » de nos jours a été « créée » par des sorciers prônant des idéaux que l’on retrouve maintenant chez les mages noirs : la pureté du sang, la domination des Moldus par les Sorciers…

— L’Histoire est une succession d’ironies… soupira Philippe.

— Comme vous dîtes… La magie celte, pourtant, n’était pas maléfique. Elle s’entremêlait avec les forces naturelles plus intimement que la nôtre. L’animagie vient d’eux, du moins ils la pratiquaient, on l’a retrouvé chez d’autres peuples. Au final, ce que nous désignons maintenant sous l’appellation « Magie Noire » est plus proche d’une part de la « Magie Blanche » des Romains. Du moins, elle en est une évolution… ou une corruption… Certains érudits remettent en question cette partition des Arts Magiques.

— Cela est un sujet très intéressant, maître Marchas, mais peut-être pourrions-nous nous recentrer sur l’objet de nos recherches ? coupa-t-il, sentant qu’il allait continuer sur sa lancée dans les digressions.

— J’aurais plaisir à parler de divers sujets avec vous quand l’occasion se présentera. Que dit ce parchemin ?

— Pas grand-chose, j’en ai peur, du moins sur ce qui nous intéresse, répondit Odon. Leur nom de l’époque, leur devise, leur blason… Ça n’évoque même pas leur changement de nom. Soit ce ne sont pas eux, soit ils en ont profité pour disparaître… Ce qui n’est guère étonnant…

— Pourquoi ?

— Il y a peu de renseignements, mais il est écrit – attendez que je sois sûr de le traduire correctement – qu’ils ont combattu les Romains en Bretagne avant de venir en Gaule pour faire de même, s’alliant à un druide qui menait les siens à l’époque. Ensuite, quand la révolte fut vaincue, les Brandrez disparurent.

— Et les Corvus apparurent ?

— Possible, cela n’est pour le moment qu’une supposition. Attendez… il est dit que les Brandrez se sont retournés contre le chef de la révolte avant sa chute. C’est écrit que ce chef s’en prenait à tous les Romains et leurs alliés, sans distinction, et que les Brandrez ne s’en prenaient pas aux populations civiles.

— Comme les Corvus, de ce que j’en sais…

— Aucune de ces informations ne nous aide à comprendre pourquoi ils ont été attaqués, malheureusement, conclut Odon. Je continuerai à chercher quand j’en aurai le temps, mais j’ai d’autres tâches qui m’attendent.

— Tout comme moi ! On est là depuis des heures !

Aussitôt qu’il fut rentré chez lui, Philippe alla voir Rose Corvus. Il la trouva avec son épouse au petit salon. Au-dehors, la nuit régnait déjà.

— Vous êtes enfin rentré mon cher, dit Isabelle d’Estremer.

— Je n’ai pas vu le soleil de la journée ! s’exclama Philippe. J’ai passé tout mon temps dans une bibliothèque sans fenêtre à respirer de la poussière et l’odeur de vieux parchemins…

— Qu’avez-vous cherché ?

— Je voulais essayer de savoir qui voudrait s’en prendre aux Corvus et pourquoi. L’archiviste et moi n’avons rien trouvé de probant. Sauriez-vous quelque chose, Rose ?

— Je suis désolé, rien qui ne pourrait vous aider, répondit-elle.

— Et avez-vous déjà entendu parler de la famille Firminins ?

— Non, ce nom ne me dit rien. Qui est-ce ?

— Une famille sorcière qui a été attaquée à Galy-sur-Ruis.

— Les rares fois où j’ai quitté Sainte-Cécile, c’était pour me rendre au marché de Nancy. Je sais que Galy-sur-Ruis n’est pas loin de Sainte-Cécile-les-Bois, mais ce n’était pas une direction que nous prenions.

— Je me doutais qu’il y aurait peu de chance que vous ayez connaissance d’un lien, si bien sûr il y a un, conclut Philippe. Je repartirai demain.

Une fois qu’ils furent seuls dans leur chambre, Isabelle demanda à son mari :

— Quelque chose te préoccupe ?

— Pas vraiment… répondit-il. Deux attaques n’ayant aucun lien entre elles… Des actes isolés qui n’auront aucune conséquence sur le Secret Magique et la vie du reste de la communauté sorcière du Royaume de France… S’il n’y avait pas les enfants de la famille Corvus qui ont été enlevés, n’importe qui estimerait inutile de repartir pour creuser un peu plus cette affaire.

— Mais ton intuition te dit autre chose…

— Oui. Je ne sais pas encore où cette histoire va me mener, mais elle n’est pas terminée. Déjà, il y a Mathias Corvus, je ne sais pas ce qu’il va faire. Si je peux l’aider à retrouver les enfants, je n’hésiterai pas. Et il faut que je trouve pourquoi les Firminins et les Corvus ont été attaqués, et par qui. Ensuite, il faudra que je mette fin à leurs agissements.




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