Les Premiers Chasseurs

Chapitre 8 : VII La Guilde Royale des Alchimistes et Potionnistes

4217 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/12/2021 06:33

CHAPITRE VII : LA GUILDE ROYALE DES ALCHIMISTES ET POTIONNISTES


Mathias Corvus ne venait pas souvent à Paris. Il n’aimait pas l’odeur qui montait des rues des villes en général. Tout comme l’ambiance y régnant l’insupportait. Et pourtant, il trouvait certaines architectures magnifiques.

Il menait son cheval au pas dans les rues pavées, ne faisant pas attention aux regards curieux que lui lançaient les badauds, parfois suspicieux. Leurs yeux s’arrêtaient sur son épée et son pistolet à pierre glissés dans sa ceinture, ainsi que sur le mousquet qui dépassait de ses fontes[1].

Mathias était bien conscient de l’effet qu’il produisait ainsi équipé. Il s’en amusait en pensant que son arme la plus terrible, sa baguette magique, n’était pas visible, cachée dans la poche intérieure de son pourpoint. Malgré tout, il restait prudent, sentant certaines intentions violentes à son encontre. Les détrousseurs potentiels n’iraient pas plus loin en plein jour. Par contre, à la nuit tombée, il risquait d’être attaqué.

La prison du Temple se dressait, haute et arrogante. Formée d’une grande tour crénelée en son sommet et entourée de remparts, elle était à l’origine un fort construit par l’Ordre des Chevaliers du Temple. La rue de la Corderie jouxtait le mur sud de la prison. Mathias se tourna vers les maisons qui faisaient face au clos du Temple. Il s’approcha de la limite entre deux habitations mitoyennes, elles s’écartèrent alors qu’il avançait, faisant apparaître une ruelle dans l’ignorance la plus totale de la population moldue.

Sans hésitation, il s’y engouffra, passant du Paris moldu au Paris magique. Le mur se referma derrière lui, laissant ceux qui le filaient depuis son arrivée dans l’incrédulité. Pour eux, il s’était évaporé le temps d’un battement de paupières.

La rue pavée qui serpentait devant Mathias était aussi animée et encombrée que le reste de la ville. Les principales différences tenaient en la nature des étalages des boutiques et dans les vêtements des passants.

Tout ici rappelait la Magie.

Un apothicaire avait mis devant son magasin toute une collection d’ustensiles à potion sous la responsabilité d’un jeune garçon qui hélait les gens pour les inciter à acheter. La plupart des clients entraient dans la boutique dans le but d’acquérir des ingrédients et des potions sans lui accorder d’attention.

Plus loin se trouvait un établissement dont la façade arrondie était trouée de multiples ouvertures rectangulaires ou rondes, assujetties de perchoirs donnant au-dessus des badauds. Ceux-ci étaient chargés d’oiseaux de plusieurs espèces et de toutes les tailles. Profitant de quelques minutes sans visiteurs, l’oiselier remplissait les auges en faisant léviter divers aliments.

L’une des dernières boutiques avant d’arriver à une place où se dressait une fontaine était signalée par une enseigne en forme de baguette magique d’où s’échappaient des étincelles multicolores. La pancarte au-dessus de la porte indiquait : « Chez E. Silvaticus, Baguettes Magiques ».

Mathias se souvenait être venu ici avec son père bien des années auparavant, il ne devait avoir que cinq ou six ans. Il lui avait fallu sept essais avant de trouver celle qui lui convenait. L’artisan avait rechigné avant de lui faire essayer cette dernière, mais la nature et les résultats des précédentes tentatives l’avaient amené à cette baguette de neuf pouces[2] en bois de cerisier et contenant un crin de sombral, une association dangereuse dans les mains d’un sorcier au mental faible et n’ayant pas conscience de la mort.

Silvaticus avait essayé de convaincre Orion Corvus de chercher une autre baguette pour son fils, mais le patriarche s’était contenté de lui donner son or en concluant :

— La baguette choisit son sorcier, elle sait mieux que quiconque ce qu’il adviendra.

— Celle-ci ne peut mener son possesseur que sur le chemin de la mort, avait répondu Silvaticus.

— Alors, pourquoi l’avoir fabriqué ?

L’artisan n’avait pas répondu, laissant Orion et son fils s’en aller avec l’artefact. Depuis, il n’y était jamais revenu.

Il passa devant la boutique et déboucha sur la place. La fontaine qui trônait en son centre était en marbre blanc et représentait un dragon aux ailes déployées. L’eau jaillissait de sa gueule. Des marchands avaient disposé leurs étals autour, vendant divers produits comme de la viande, des légumes, du poisson, des ustensiles de maison, des vêtements et même des armes.

Mathias, bien que hélé par un vendeur proposant tout un éventail d’épées et autres lames, traversa sans s’arrêter jusqu’à une maison à colombages. Il mit pied à terre et accrocha son cheval à l’anneau situé près de la porte. Il effectua un mouvement discret de sa baguette, entourant sa monture d’un enchantement.

Jetant un regard aux alentours, il actionna le heurtoir. Quelques instants plus tard, un elfe de maison vint lui ouvrir.

— Bonjour, monsieur, salua la créature.

— Bonjour, je souhaiterais voir monsieur Flamel, indiqua Mathias.

— Veuillez entrer, monsieur. Qui dois-je annoncer ?

— Mathias Corvus.

Laissant Mathias dans le vestibule, l’elfe alla prévenir son maître. Ce fut une femme arborant la soixantaine qui revint vers lui.

— Mathias ! s’exclama-t-elle. Cela faisait une éternité !

— Selon vous ou selon moi ? répliqua Mathias. Vous avez l’air d’aller bien, Pernelle.

— C’est le cas. Et vous-même ?

Une ombre passa sur le visage du jeune homme. Pernelle Flamel comprit que quelque chose s’était passé. Elle invita son visiteur à venir au salon. Celui-ci était modeste, mais confortable. Il prit place dans un siège alors que la maîtresse de maison lui offrait un rafraîchissement.

— Nicolas est dans son laboratoire, expliqua-t-elle. Il doit absolument finir son expérience avant de nous rejoindre.

Sachant qu’il ne comprendrait rien à la nature de cette expérience alchimique, Mathias s’abstint de poser la moindre question.

Nicolas Flamel les rejoignit une vingtaine de minutes plus tard. Il salua chaleureusement Mathias en s’excusant.

— Vous comprenez, on ne peut arrêter la distillation froide d’un extrait de gentiane, sinon on risque de corrompre le distillat.

— Euh… Oui, je comprends…

— Bien ! Qu’est-ce qui vous amène ? Et que devient Orion ?

— Mon père est mort.

Le couple Flamel demeura coi à cette nouvelle. Mathias entreprit de leur narrer les tragiques évènements survenus au Bois aux Corbeaux.

— Par Merlin et Viviane… souffla Nicolas Flamel. C’est horrible…

— Et donc, vous êtes à la recherche des enfants ? fit Pernelle.

— Oui, d’où ma présence ici. Je cherche une piste et vous avez des entrées dans plusieurs milieux. J’ignore si vous pourrez m’aider, mais je l’espère.

Nicolas Flamel baissa les yeux, réfléchissant, le front ridé.

— Je sais que vous ne les appréciez pas, mais peut-être que le Ministère…

— J’ai croisé un homme du Ministère, informa Mathias. Il m’a dit que sa mission était d’empêcher les exactions de Sorciers à l’encontre des Moldus.

— Vous êtes sûr qu’il vous a dit la vérité ? Qu’il n’était pas avec vos agresseurs ?

— Il m’a paru sincère. Je lui ai même confié ma belle-sœur.

— Vous a-t-il dit son nom ?

— Philippe d’Estremer.

— Ah… J’ai entendu parler de lui. C’est un né-moldu descendant d’un noble lignage. Il fut un excellent élève à l’Académie Beauxbâtons.

— Pour que vous en ayez entendu parler, je m’en doute.

— Je savais qu’il travaillait pour Courneuf, mais j’ignorais quel rôle il occupait. Bien ! s’exclama Nicolas Flamel en se levant. Je vais aller secouer quelques branches pour essayer d’obtenir des renseignements.

— Puis-je vous accompagner ? demanda Mathias.

— Il faudra que vous vous montriez discret à certains moments, je pense.

— Ce n’est pas un problème.

— Alors, allons-y !

— Ça me rassure que vous alliez avec lui, il oublie parfois qu’il n’a plus cent ans, mais le triple passé depuis longtemps[3], dit Pernelle alors que son époux se préparait pour sortir.

— Il a des connaissances que je n’aurais jamais, il peut très bien se défendre, dit Mathias.

— Son dernier duel remonte à des décennies, et il n’a jamais été bon dans cet exercice.

— Je vous jure qu’il ne sera pas blessé.

Pernelle afficha un visage rassuré, elle savait que ce genre de serment n’était pas pris à la légère par les Corvus.

— On peut y aller ! annonça Nicolas Flamel. Par contre, j’ai entendu du bruit dehors, et quelques plaintes.

— Je crois savoir ce que c’est, sourit Mathias, narquois.

Il sortit de la maison et trouva deux jeunes hommes en train de flotter à deux mètres du sol. Leurs visages exprimaient l’incompréhension et l’inquiétude. Mathias s’approcha d’eux sans se presser.

— Messieurs, je crois que vous vous êtes approchés un peu trop de mon cheval, dit-il.

— On ne faisait que passer ! se défendit un des hommes. On n’a pas touché à votre cheval ! Faites-nous descendre !

— Mon enchantement ne se déclenche que si quelqu’un tente de voler ma monture ou de fouiller mes sacoches.

— Vous avez dû mal le lancer, on n’a rien touché on vous dit !

— Monsieur Flamel, nous y allons ? fit Mathias en se désintéressant des deux jeunes hommes.

— Vous n’allez pas nous laisser comme ça !

— Si cela peut vous apprendre à ne pas mentir effrontément.

— D’accord, laissa tomber le second. On a voulu fouiller vos fontes. Nous sommes désolés, monsieur.

— Oui, monsieur, nous le sommes, imita le premier.

D’un geste nonchalant de sa baguette, il annula son enchantement, laissant tomber brutalement les deux voleurs. Le premier se releva aussi sec et allait se jeter sur Mathias, mais celui-ci pointait son épée sur son crâne, tenant le second en respect avec sa baguette.

Le voleur plongea dans le regard sombre de Mathias. Il n’y décela aucune haine ni rancœur, juste qu’il ne gagnerait pas ce combat. Son collègue le tira par la manche pour l’inciter à partir. Ils prirent la fuite sans se retourner.

Pendant ce temps, Nicolas Flamel était allé chercher son cheval. Les deux hommes sortirent au pas du quartier magique.

Ils prirent la direction du nord et arrivèrent au bout d’une heure à Saint-Denis. Ils se rendirent à un ancien séminaire qui, caché par un voile de magie, abritait maintenant la Guilde Royale des Alchimistes et Potionnistes.

Nicolas Flamel y entra comme si c’était chez lui. Les gens s’inclinaient sur son passage, avec déférence et respect. Ces mêmes personnes posaient des regards interrogatifs sur Mathias Corvus. Ils ne devaient pas être habitués à voir un homme apprêté de la sorte, bardé de couteaux et d’armes diverses.

— J’ai l’impression de faire tache dans leur décor, dit-il.

— Ils sortent rarement de leurs laboratoires, fit remarquer Flamel. Même s’il m’arrive de rester plusieurs jours de suite enfermé, je fais l’effort de sortir pour ne pas m’étioler et rester intégré à la société.

— Vous pensez que nous allons trouver une piste en ce lieu ?

— N’arrêtez pas votre opinion sur les quelques spécimens de laborantins que nous avons croisés jusque-là. Nous allons rendre visite à un ami qui fut mon apprenti par le passé. Il a quelques accointances avec des individus peu recommandables.

Nicolas Flamel guida Mathias dans les méandres du bâtiment. Par certaines portes et ouvertures, ils virent des sorciers en pleine activité. Certains concentrés sur l’observation du bouillonnement d’un liquide ou le rythme d’un goutte-à-goutte, d’autres prenant des notes ou effectuant de savants calculs.

Entendant des éclats de voix provenant d’une salle dont la porte était entrebâillée, Mathias y jeta un œil et y trouva trois alchimistes pris dans un débat des plus animés. Il ne comprenait rien au sujet de leur discorde, une vague histoire d’extraction à chaud d’essence sélénique et de la meilleure température pour effectuer cette opération. Nicolas Flamel ne résista pas et poussa la porte pour leur lancer :

— L’extraction à chaud va dénaturer l’essence et vous obtiendrez un produit sans aucune propriété ! Regardez quand était la dernière pleine lune et effectuez l’extraction à la température ambiante alors qu’elle était à son zénith.

Sans rien ajouter, Nicolas Flamel reprit son chemin, suivi de Mathias.

— Vous connaissez la température qu’il a fait durant la dernière pleine lune ?

— Moi oui, répondit Nicolas Flamel. Je tiens des relevés précis, et je sais que d’autres ici le font également. Par contre, je ne suis pas sûr que ces imbéciles en aient ou savent où chercher.

— Sinon, ils pourront toujours attendre la prochaine pleine lune et relever la température à ce moment-là. Enfin… Je dis ça, mais c’est sûrement idiot.

— Pas du tout ! C’est une remarque particulièrement pertinente. Je ne suis pas sûr qu’ils y pensent.

Alors qu’ils discutaient tout en continuant à parcourir les couloirs, une porte s’ouvrit à la volée avec une déflagration terrible. Une fumée violette avec des reflets verts s’échappa de la pièce suivie de près par plusieurs individus se tenant pliés en deux et atteints d’une quinte de toux.

La nappe de fumée se répandait dans le couloir. Mathias sortit immédiatement sa baguette. D’un geste, il ouvrit une fenêtre donnant sur la rue, puis, imprimant une rotation à son poignet, il généra un tourbillon pour guider le nuage vers l’extérieur.

Les alchimistes intoxiqués le regardèrent faire sans rien pouvoir dire, continuant de tousser à s’en arracher les poumons. Quand il eut fini, un des chercheurs se releva et le toisa avec colère.

— Qu’est-ce qui vous a pris ? hurla-t-il. En ce lieu, on n’utilise pas de baguette ou tout autre artefact magique ! Espèce d’ignorant !

Mathias resta calme et allait répliquer, mais Nicolas Flamel le devança :

— Et depuis quand la magie est-elle interdite ici ? N’inventez pas de règlement ridicule à votre convenance ! Vous devriez plutôt remercier ce jeune homme qui vous a extirpé d’une situation dangereuse grâce à sa faculté de réaction ! Les seuls ignorants que je vois ici c’est vous trois ! On n’a pas idée de mélanger de l’armoise et de l’essence de murlap à chaud !

— C’était pour que la dilution soit plus rapide, balbutia le chercheur contrit.

— Si vous faites de la recherche, n’oubliez pas les bases ! Du vent maintenant ! Je pense que vous avez quelques heures de nettoyage devant vous. Et présentez vos excuses et vos remerciements à mon compagnon.

Les laborantins s’exécutèrent et les deux hommes continuèrent leur chemin.

— Ces potionnistes… grommela Nicolas Flamel. Ils oublient un peu trop souvent que la Magie fait partie de nous.

— Cette fumée était dangereuse ? questionna Mathias.

— En avez-vous respiré ? s’inquiéta l’alchimiste.

— Non, j’ai réussi à m’en garder.

— Tant mieux. Ces trois imbéciles, par contre, vont sûrement avoir la surprise de découvrir leur peau tomber par endroit, remplacée par de jolies écailles. Je ne vais pas perdre mon temps à aller leur dire que ça ne durera que quelques jours, ça leur apprendra à faire des recherches dans les grimoires en amont.

Les deux hommes atteignirent une porte étroite donnant sur un escalier en colimaçon qui descendait dans les caves du bâtiment. Ils allumèrent le bout de leurs baguettes pour l’emprunter.

Ils débouchèrent dans une galerie. Celle-ci était sombre malgré les quelques torches magiques placées à intervalles réguliers. Les portes qui se trouvaient de part et d’autre étaient en bois massif, souvent bardées de fers. Mathias se doutait que quelques sorts devaient en compléter la protection.

— C’est ici que l’on pratique les expériences les plus pointues, renseigna Nicolas Flamel, et les plus dangereuses donc. Ne touchez à rien.

Mathias acquiesça. Il préférait sortir de cet endroit dans le même état qu’en y entrant.

Arrivé devant une porte que Mathias ne jugea pas différente des autres, Nicolas Flamel sortit sa baguette. Il effleura le bois de haut en bas, générant des cliquetis caractéristiques d’une serrurerie.

La porte pivota sur ses gonds, dévoilant un caveau sombre où les seules lueurs venaient d’un feu modeste ronflant sous un chaudron et de quelques chandelles flottant en l’air au-dessus de tables couvertes de fioles et autres instruments. Un homme arborant une barbe grise était penché sur un parchemin, le front plissé par la concentration. Ses rides paraissaient plus profondes sous la lumière chevrotante des bougies, lui donnant vingt ans de plus. Mathias estima son âge à cinquante ans en prenant en compte cette donnée.

Les deux visiteurs restèrent immobiles en silence, attendant que l’occupant du caveau remarque leur présence. Finalement, il leva les yeux de son document, pas surpris de voir du monde devant lui, mais étonné de trouver Nicolas Flamel parmi ses visiteurs.

— Maître Flamel ! s’exclama-t-il. Je ne m’attendais pas à vous voir aujourd’hui.

— Attendais-tu quelqu’un d’autre ? demanda Nicolas Flamel.

— En effet, tout en ignorant si ceux que j’attends arriveront aujourd’hui ou dans les prochains jours. Qui est votre ami ?

— C’est sans importance, Gédéon. Je souhaiterais savoir si tu as entendu parler d’enlèvements de sorciers et de moldus, adultes et enfants, ces derniers jours.

— Où ça ?

— Dans l’est du pays en particulier, il y a aussi eu des meurtres. Malgré toutes mes recommandations, je sais que tu as toujours des contacts dans des milieux illégaux.

— Le fait d’avoir des contacts ne veut pas dire que j’en fasse partie. Pourquoi voulez-vous que je sois au courant de ce genre de chose ?

Nicolas Flamel s’approcha de la table où étaient disposés plusieurs fioles et autres contenants. Il les parcourut et finit par lire le parchemin.

— La dernière fois que je suis venu ici, ce genre d’ingrédients n’était pas disponible dans les réserves, dit-il. Si le Grand Maître de la guilde a vent de la nature de tes expériences, tu risques beaucoup.

Gédéon pâlit, reculant d’un pas comme pour se mettre hors de portée d’une attaque.

— Vous… vous n’allez pas lui dire, maître ?

— Cela dépend de toi, Gédéon.

— Que voulez-vous de moi ?

— Deux choses. Premièrement : que tu arrêtes cette expérience et que tu te débarrasses convenablement de ces ingrédients avant de commettre l’irréparable.

Gédéon parut un instant vouloir manifester un refus, mais il acquiesça d’un discret hochement de tête. Mathias se disait qu’il pensait pouvoir simplement délocaliser son laboratoire ailleurs, où il ne blesserait personne en cas d’accident.

— Deuxièmement : tu vas me dire tout sur la provenance de ces ingrédients, en particulier ceux d’origine humaine.

Mathias crut un instant avoir mal entendu. Il s’approcha à son tour de la table. La plupart des récipients des matières qui lui étaient inconnues. D’autres servaient pour des viscères, de la chair et des fragments d’os dont l’origine aurait pu tout aussi bien être animale.

Il ne put, toutefois, retenir des pensées horrifiques de l’envahir en reconnaissant des yeux humains dans un bol et des doigts desséchés dans une assiette. Il se retint in extremis de sortir sa baguette contre l’alchimiste. Nicolas Flamel devait l’avoir deviné, car il lui intima le calme d’un geste de la main. Il se contenta donc – la main tremblante de ne pouvoir dégainer – de fusiller Gédéon d’un regard empli de mépris.

Apeuré par cet homme qu’il ne connaissait pas, mais qui était armé plus que de raison selon lui, plus que par la perspective d’être renvoyé de la guilde, Gédéon décida de livrer les renseignements demandés par son ancien mentor.

— J’ignore d’où ils proviennent à l’origine, dit-il. Je ne peux que vous donner mon fournisseur. Il se fait appeler le « Rat Rouge ». Il a un rat écarlate tatoué sur l’avant-bras. Et il a plusieurs hommes de main très dangereux.

— Où peut-on le trouver ? interrogea Mathias.

La voix, aussi froide qu’une nuit d’hiver, le fit trembler. Gédéon sentit toute l’envie de cet homme de le tuer sur le champ.

— À Compiègne, je les ai rencontrés dans une auberge appelée « Le Chaudron Bouillonnant ». C’est tout ce que je sais, je vous le jure. J’ignore si cela a un rapport avec les disparitions dont vous avez parlé, mais ils avaient d’importantes quantités de marchandises.

Nicolas Flamel ne jaugea du regard et estima qu’il n’avait pas menti.

— Je te laisse la journée pour t’occuper de ça, indiqua-t-il en désignant la table des ingrédients. Tu sais ce qui se passera sinon.

Nicolas Flamel et Mathias Corvus allaient sortir quand Gédéon interpella le vieil alchimiste :

— Vous m’avez appris que la Magie n’est ni noire ni blanche, qu’elle dépendait de ce qu’on en faisait. Je veux la faire avancer.

— Effectivement, confirma-t-il. Mais ce que tu fais là, en utilisant ce genre de ressources, c’est un crime, quelle que soit la justification que tu lui trouves. Tu es abject.

— Je suis votre ami.

— Non, plus maintenant, je ne peux donner mon amitié à quelqu’un qui a si peu de moralité. Adieu.

En remontant à l’extérieur, Mathias conserva un silence haineux. Nicolas Flamel attendit qu’ils fussent de nouveau à cheval pour lui adresser la parole :

— Gédéon a raison : on ignore si la piste de ce « Rat Rouge » vous mènera jusqu’à ceux qui ont été enlevés. Mais il est vrai qu’il est rare de trouver autant d’ingrédients de cette nature et avec cette fraîcheur. D’habitude, ils sont pris sur les cadavres dans les cimetières.

— Ce qui veut dire que ça a été prélevé récemment et sur de nombreuses victimes. Effectivement, nous ne sommes pas sûrs, mais il y a une présomption malgré tout au vu des récents évènements. Et puis, je ne peux pas rester les bras croisés avec ce genre de crime.

— Je m’en doute. C’est une des choses que j’apprécie avec les Corvus : vous ne fermez pas les yeux. Je suis d’ailleurs bien conscient que vous chercherez Gédéon plus tard.

— Je veux bien – par respect pour vous et pour les liens que vous avez eus avec lui – ne pas lui faire de mal s’il ne continue pas ses expériences et se débarrasse des extraits humains qu’il a en sa possession.

— Je ne vous donnerai aucune consigne ni ne vous demanderai aucune faveur. Faites ce que vous avez à faire. Je ne vous accompagnerai pas à Compiègne, je vais chercher ailleurs d’autres pistes pour vous.

— Ne souhaitez-vous pas que je vous accompagne ?

— Je sais que ma chère Pernelle serait rassurée de vous savoir avec moi, mais l’urgence c’est de sauver les enfants et les autres victimes. Il n’y a pas de temps à perdre. Revenez chez moi si cette piste ne donne rien, j’aurai peut-être quelque chose, sinon je vous enverrai un hibou.

Mathias salua Nicolas Flamel et prit la route vers Compiègne.


[1] Sacoches attenantes à la selle d’un cheval.

[2] Un pouce faisant à l’époque environ 2,707 cm, cette baguette mesure donc un peu plus de 24 cm.

[3] Nicolas Flamel est né aux alentours de 1330.


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