Les Premiers Chasseurs

Chapitre 2 : I Philippe d'Estremer

4243 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/09/2021 09:43

CHAPITRE I : PHILIPPE D’ESTREMER


Le cheval s’ébroua dans l’air froid de ce matin de janvier. Ses sabots s’enfonçaient de quelques centimètres dans la boue du chemin. Une odeur lui chatouillait les naseaux. Une odeur d’eau et d’avoine. Son appétit s’en trouva éveillé et il le fit savoir en hennissant.

Une main le flatta à l’encolure alors que son cavalier se pencha à son oreille.

— Tu as faim, murmura-t-il. Moi aussi un peu.

Le cavalier aussi avait senti des fragrances, celles du feu et du purin. Et il percevait les bruits d’un village s’éveillant. Il n’y trouverait pas bonne nourriture, mais il cherchait autre chose qu’il pouvait s’y trouver : des renseignements.

Lorsqu’il pénétra dans le village, les paysans le regardèrent en s’interrogeant. Il devinait dans leurs chuchotements qu’ils commentaient son grand manteau marron de bonne facture, ses bottes de monte d’un cuir de qualité et son chapeau noir affublé d’un panache bleu. Forcément, ils avaient vu la longue rapière à la garde ouvragée qui pendait à son côté.

L’homme arrêta son cheval près du puits et en descendit. Il attacha les rênes à un arceau et avisa un garçon de neuf ans qui le regardait avec des yeux ronds.

— Petit, donne de l’eau et de quoi manger à mon cheval, ordonna-t-il en lui jetant une piécette.

— Bien mon seigneur, fit le garçon après avoir regardé la pièce sur ses deux faces. Voulez-vous aussi que je le peigne ? Un cheval aussi beau le mérite.

Le cavalier sourit et lança une nouvelle piécette au gamin. Il se dirigea vers l’auberge de passage. L’air y était vicié par la fumée. Les odeurs de cuisine s’entremêlaient à celles des voyageurs et des paysans en un cocktail déplaisant.

Sous leurs regards interrogatifs, il s’assit à une table libre, se découvrant et posant son chapeau. Une jeune femme s’approcha pour prendre sa commande.

— Qu’avez-vous de bon à me proposer ? demanda-t-il.

— De la potée de choux au lard mon seigneur, répondit-elle.

— Je prendrai ça. Avec un pichet de votre meilleur vin s’il vous plaît.

Alors que la serveuse s’éloignait, il se fit la réflexion que leur meilleur vin devait être une piquette innommable. Il devrait s’en contenter jusqu’à trouver un meilleur établissement.

Au bout d’un moment, les autres clients de l’auberge cessèrent de le dévisager par œillades qu’ils croyaient discrètes. Si certaines des conversations le prenaient comme sujet, d’autres se portèrent sur les dernières nouvelles de la région.

S’appliquant discrètement un sortilège suprasensoriel, Philippe d’Estremer put suivre les discussions des divers groupes, faisant passer son attention de l’un à l’autre en fonction de l’intérêt. Les histoires campagnardes ou les derniers ragots concernant le noble local et sa famille ne l’intéressaient pas.

— Il paraît que la fille du comte a été surprise par son père dans une position assez… inconvenante avec le palefrenier, dit un homme.

— Ouais, il lui expliquait la saillie en imitant l’étalon pendant qu’elle mimait la jument ! rit un autre.

Philippe allait passer à une autre conversation quand le troisième de la tablée se mit à parler :

— Le comte avait déjà eu une dure journée, il revenait à peine du village de Galy-sur-Ruis.

À ce nom, ses compères se crispèrent autant que Philippe redoubla d’attention. Ce village était connu pour être habité par plusieurs familles sorcières.

— Encore un problème avec cette engeance du diable ? s’enquit le premier.

— En fait, c’est une de ces familles qui a eu un problème. Les parents et le fils aîné ont été retrouvés morts. Il ne restait que la fille de quatorze ans et les deux fils les plus jeunes, tous effrayés.

— Comment ont-ils été tués ?

— ‘Sais pas. Certains disent à coups de fourches.

— Je ne pleurerais pas sur leur sort. Par contre, le palefrenier a été viré après avoir été fouetté, reprit-il. Tout ça pour avoir labouré le champ d’une petite noble dévergondée qui s’est déjà faite sauter par tous les serviteurs du domaine.

Philippe d’Estremer en avait assez entendu. Il paya l’aubergiste et sortit. Son cheval lui fut amené par le jeune garçon qui fut récompensé par une autre piécette. Il prit la direction de Galy-sur-Ruis, sachant pertinemment qu’il ne l’atteindrait qu’après le coucher du soleil.

Galy-sur-Ruis ne différait pas des autres villages de la région. Les masures entouraient une petite église et lui-même était encerclé par des champs et des prés où poussaient diverses cultures et paissaient des vaches et des moutons. La seule différence, vue de loin, était les quelques fermes formant comme un autre hameau à quelques pas du reste du village.

Avec l’arrivée du christianisme et ses enseignements anti-sorciers, ce genre de configuration était devenue courante au cours des siècles. Les villageois n’ignoraient rien de la nature de leurs voisins et maintenaient avec eux des relations relativement cordiales, bien que teintées de méfiance. Il leur fallait reconnaître que la présence de sorciers réglait quelques-uns de leurs problèmes quotidiens. D’un autre côté, les plus intégristes ne souhaitaient que les voir brûler dans les flammes purificatrices d’un bûcher.

Arrivé aux premières maisons, Philippe d’Estremer fut sommé de s’arrêter par un villageois placé en sentinelle. Il était armé d’une vieille lance rouillée qui devait bien avoir deux siècles.

— Puis-je savoir qui vous êtes et ce que vous venez faire ici si tard ?

— Je ne suis qu’un simple voyageur surpris par la nuit et qui souhaite s’arrêter à l’auberge, répondit Philippe.

— Nous n’aimons pas trop les étrangers par ici.

— Votre aubergiste est du même avis ?

La sentinelle se renfrogna et s’écarta pour lui laisser le passage.

— J’ai entendu dire qu’il y avait eu un drame dans ce village il y a peu.

— Vous voulez parler des Firminins ? Ouais, massacrés. Le comte est venu et il voulait savoir qui a fait ça, mais ce n’est personne du village. Aucun bon chrétien du moins…

Sous-entendu : si le coupable est au village, c’est parmi les autres sorciers qu’il faut chercher.

Philippe d’Estremer se rendit à l’auberge. Il dîna et prit une chambre, jouant son rôle de voyageur. Le lit était composé d’un matelas de paille enveloppé dans un drap sale, le tout sur un sommier grinçant au moindre mouvement.

Mais il n’était pas là pour dormir.

Il attendit que le village s’endorme pour se glisser hors de sa chambre et se rendre dans les fermes isolées du reste du village. Personne ne les gardait, personne ne se souciait de ce qui pouvait arriver aux familles vivant là, surtout depuis le malheur qui les avait frappés.

Ou au châtiment divin, selon l’opinion…

Il parvint sans mal à se glisser jusqu’au corps de ferme le plus proche. Ignorant laquelle des fermes était le lieu du crime, il décida d’aller frapper à la porte de la première. Il levait à peine la main quand une voix l’interpella :

— On ne bouge plus ! Retournez-vous doucement monsieur.

Philippe obéit. L’homme qui l’avait surpris était un quadragénaire rendu robuste par le travail de la terre. Il le menaçait d’une baguette magique. Malgré tout, il ne portait pas la traditionnelle robe des sorciers, il était habillé d’une chemise et d’une paire de chausses jaunies par la sueur du labeur, plus pratique pour le travail manuel.

— Qui êtes-vous ? Encore un de ces nobles qui veulent s’amuser en visitant un lieu de malheur ?

— Monsieur, vous vous trompez, dit Philippe en levant les mains en signe de paix. Sachez déjà que je ne suis pas un moldu.

— Vous ! Un sorcier ! Habillé ainsi !

— Je suis né-moldu, et dans une maison noble de surcroît, mais j’ai fait mes études à l’Académie Beauxbâtons et suis ici sous l’autorité du ministre de la Magie monsieur Courneuf.

— Et quel est votre nom, monsieur ?

— Philippe d’Estremer.

Le fermier baissa sa baguette en acquiesçant.

— Ah, j’ai entendu parler de vous monsieur. Vous êtes loin de votre comté.

— Comme je vous l’ai dit, je travaille pour le ministre. Puis-je également connaître votre nom, monsieur ?

— Jean Duruis, en un mot. Vous êtes sur ma propriété.

— Veuillez pardonner mon intrusion nocturne, je ne voulais pas vous effrayer, je voulais surtout que ma visite passe inaperçue auprès des moldus.

— Vous venez pour les Firminins ? Je ne pensais pas que le Ministère était au courant.

— Je l’ignore aussi. Je suis dans la région pour une autre affaire et j’ai entendu parler de celle-ci au hasard. Peut-être que ma tâche et ce crime sont liés, je suis venu pour me faire mon idée. Et si je peux faire quelque chose pour retrouver le ou les coupables, alors tant mieux.

— Suivez-moi, je vous emmène chez les Firminins.

Philippe emboîta le pas du fermier. Il le guidait en direction d’une autre ferme un peu plus éloignée.

— Pouvez-vous me dire ce qu’il s’est passé ? questionna-t-il. Je n’ai entendu que des rumeurs d’auberge disant qu’il n’y avait eu que la fille et ses deux petits frères qui avaient survécu.

— C’est donc ce qui se dit… La fille a survécu effectivement, grâce au fait qu’elle était dans les collines au moment des faits, elle gardait les moutons.

— Et les deux enfants ?

Duruis se contenta de hocher la tête négativement, les yeux abattus.

— Mais je comprends que la rumeur de leur survie se soit propagée, elle les aimait ses petits frères. Lorsqu’elle est rentrée et qu’elle a découvert le massacre, elle est devenue folle. Elle a pris les cadavres de ses cadets et les a mis au lit. Elle s’est assise sur une chaise et s’est mise à tricoter comme elle le fait souvent. Quand je suis venu, elle m’a dit de faire silence, car ses petits frères dormaient.

Le fermier soupira, visiblement accablé par ce souvenir trop récent.

— Elle a hurlé comme une damnée quand on est venu les chercher pour les enterrer. Nous avons dû la stupéfixer. Elle n’a même pas pu assister aux obsèques dans l’état où elle était. Il a fallu jeter un sort d’impassabilité sur leurs tombes, car elle a essayé de les déterrer, disant qu’on leur faisait du mal, qu’ils avaient peur dans le noir.

— Elle n’a pas assisté à l’attaque.

— Non, je pense donc qu’elle ne pourra pas vous aider.

— Et vous ? Avez-vous vu ou entendu quelque chose ?

— J’étais avec mes fils dans mes champs de l’autre côté. Je suis venu quand mon épouse est venue nous chercher, elle était en panique. Quand mes fils et moi sommes arrivés, c’était déjà fini. Et les meurtriers s’en étaient allés. Tout ce que j’ai vu, ou cru voir plutôt, c’est quelques silhouettes noires disparaître dans les collines. Il y avait de la brume ce jour-là, on y voyait très mal, les poursuivre aurait été une perte de temps, on ne les aurait jamais retrouvés.

— Pourrais-je m’entretenir avec votre épouse ensuite ? Peut-être pourra-t-elle me donner d’autres détails qui m’aideront à trouver les coupables.

Duruis ne répondit que par un grognement affirmatif.

Ils arrivèrent devant la ferme des Firminins. Aucune lumière ne filtrait par les volets. Duruis apprit à Philippe que depuis l’attaque, sa femme venait s’occuper de la jeune fille à l’occasion, la faisant souper entre autres, avec une dose de somnifère dans le plat. Malgré tout, il entra, baguette allumée à la main et trouva la jeune fille allongée dans son lit, dormant d’un lourd sommeil.

— Comment s’appelle-t-elle ?

— Yseult, répondit Duruis. Peut-être faudra-t-il attendre demain, elle dort.

— Ça n’en sera que plus simple. Je ne vais pas la réveiller entièrement.

Philippe fouilla dans sa besace et en sortit deux fioles. Il en posa une sur la table de chevet et déboucha l’autre. Il demanda à Duruis de bien vouloir l’éclairer pour pouvoir libérer son autre main. Relevant sa tête avec délicatesse, Philippe fit couler quelques gouttes de potion entre les lèvres d’Yseult. Il posa ensuite la fiole sur le sol et, reprenant sa baguette, éclaira son visage.

Il ne fallut attendre que quelques instants pour que le breuvage fasse effet. La jeune fille ouvrit paresseusement les yeux, son regard embrumé par le demi-sommeil dans lequel elle se trouvait.

— Yseult, appela Philippe. Yseult, dis-moi ce que tu as vu et entendu le jour de la mort de ta famille.

— Ils ne sont pas morts… soupira-t-elle. Ils dorment, mais les Duruis leur font peur en les plongeant dans le noir. Il faut les sortir de sous terre…

— Même là elle continue dans ses délires, souffla Duruis derrière Philippe.

— As-tu vu qui a attaqué ta famille ? Des moldus ou des sorciers ? continua Philippe.

— J’ai entendu des cris. Mes parents et mon grand frère se battaient, le bruit faisait peur aux moutons, mes petits frères pleuraient, ils avaient peur. Je n’ai pas bougé, je devais rester avec mes moutons. Puis le silence tomba, et il m’inquiéta plus que le fracas précédent. Alors, j’ai couru, abandonnant mes moutons. Et là, je les ai vus.

— Ta famille ?

— Non, j’étais encore sur le chemin. C’étaient des hommes que je ne connaissais pas. Le brouillard me cachait à leurs yeux. Ils étaient armés de fourche… je crois.

— C’étaient donc bien des moldus, grogna Duruis. Peut-être même ceux du village.

— Aucun ne t’a vue ? reprit Philippe.

— Si, celui qui passait le plus près de moi, continua Yseult. Il s’est arrêté, son visage était aussi effrayé que le mien.

— Peux-tu me le décrire ?

— Je ne sais plus… Il était jeune. Quelqu’un l’a appelé, il s’est tourné une seconde. Lorsqu’il m’a refait face, il a levé une main vers moi et tout s’est mis à tourner autour de moi. Tout tournait si vite ! J’ai cherché le chemin de la maison.

— On a dû arriver à ce moment-là et elle est parvenue à rentrer, compléta Duruis. Ensuite, je vous ai déjà raconté.

— As-tu entendu par quel nom a été appelé cet homme ?

— Je ne me souviens plus… Elric, je crois… J’ai mal entendu. Ils ne sont pas morts, n’est-ce pas ? Mes petits frères, ils ne sont pas morts ?

Philippe reposa sa baguette et se saisit de la fiole qu’il avait posée sur la table de chevet. Il obligea la jeune fille à en boire une gorgée et la reposa délicatement sur son oreiller. Ses yeux se refermèrent alors qu’elle sombrait de nouveau dans le sommeil.

Il ramassa ses fioles dans sa besace et il sortit à la suite de Duruis. Il lui demanda de l’emmener là où les corps avaient été retrouvés. Le fermier indiqua que les deux plus jeunes gisaient juste devant la porte de la masure. Quant aux deux parents et le plus âgé des enfants, ils étaient tombés un peu plus loin. La mère dans la basse-cour au milieu des poules, le père et le fils autour du puits.

Philippe d’Estremer examina les endroits que lui indiquait Duruis. Avec les multiples passages – des voisins puis du comte local et sa suite –, aucune des traces subsistantes ne lui donnerait le moindre indice.

— Dans quel état se trouvaient les corps ? interrogea-t-il.

— Pas beau à voir, soupira Duruis après une grimace de dégoût. Ils étaient lardés de coups de fourches et de couteaux.

— En êtes-vous sûr ?

— Ce n’était malheureusement pas la première fois que je voyais ce genre de blessure. Un coup de fourche, entre fermiers, ça arrive, mais d’habitude c’est juste entre deux hommes en conflit. Là, ça avait tout du massacre organisé et décidé.

— Avaient-ils toujours leurs baguettes ?

— Elles étaient près d’eux.

— À côté d’eux ou dans leurs mains ?

— À côté, à quelques mètres… Qu’est-ce que ça change ?

— Les avez-vous gardées ou les avez-vous enterrées avec leurs propriétaires ?

— Elles sont dans un coffret sur le linteau de la cheminée. On s’est dit qu’Yseult souhaiterait les garder pour se souvenir d’eux, quand elle aura repris ses esprits.

Philippe entra de nouveau dans la maison et se saisit du coffret. Il examina attentivement les baguettes. Elles avaient été nettoyées, mais des taches, restes d’éclaboussures de sang, étaient toujours visibles sur l’une d’elles, signe de la violence de la scène.

— Est-ce que quelqu’un s’en est servi depuis ?

— Non, répondit simplement Duruis qui ne comprenait pas où Philippe voulait en venir.

Il sortit sa propre baguette et la pointa sur l’extrémité d’une des Firminins.

— Prior Incanto, incanta-t-il.

Un éclair rouge fugace apparut un instant. Il se saisit de la deuxième et répéta l’opération avec le même résultat. À la troisième, une forme bleue transparente apparut.

Il réfléchit à ses observations. Les derniers sortilèges des deux premières baguettes étaient des Stupéfix. Basique, simple et efficace en combat. La dernière avait lancé un sort de bouclier. Là encore, rien d’extraordinaire, à part que la majorité des sorciers s’en servent pour contrer des maléfices. Ce sort fonctionne contre les attaques physiques, mais à moins de tomber sur un combattant chevronné, un sorcier ne se laisserait pas approcher autant. Alors, soit il était tombé sur quelqu’un sachant se battre, assez rare chez les paysans, soit il avait contré un sortilège.

Philippe rappela à Duruis qu’il souhaitait s’entretenir avec sa femme. Réticent, le fermier le guida tout de même jusqu’à chez lui. Celle-ci se leva quand elle vit que son mari n’était pas seul et s’inclina respectueusement.

— Veuillez pardonner mon intrusion, madame, dit Philippe. Je suis au service du ministre de la Magie, monsieur Courneuf. J’ai entendu parler du malheur qui a frappé vos voisins. Sans entrer dans les détails, peut-être est-ce en lien avec ma mission. Je souhaiterais vous poser quelques questions sur ce qu’il s’est passé.

— Je… je préférerai oublier ce jour… balbutia-t-elle. Mais je comprends, je vous aiderai du mieux que je peux mon seigneur.

— Racontez-moi ce dont vous vous souvenez, s’il vous plaît.

— Il faisait beau ce jour-là, froid, mais le ciel était clair. Je m’occupais du ménage ici, mon mari et mes garçons étaient partis dans les champs. Et sans prévenir, un brouillard dense est tombé, c’est rare en milieu de journée. J’ai entendu des éclats de voix venir de chez les Firminins. Reconnaissant les voix de Jules et de son fils, je me suis dit qu’il devait juste se disputer.

— Cela arrivait souvent ?

— Non, pas plus qu’ailleurs je pense. J’ai entendu d’autres voix que je ne connaissais pas. Et ensuite le bruit du combat, des incantations…

— Pouvez-vous me dire quels sorts avez-vous entendus ?

Madame Duruis fronça les sourcils pour chercher dans sa mémoire.

— Des Stupéfix, des boucliers, un bloque-jambe, je crois, des Expelliarmus aussi.

— Pas d’Impardonnable ?

— Non, mais parfois je ne comprenais pas les incantations, quand plusieurs parlaient en même temps par exemple. Dans le brouillard, je voyais la lueur des éclairs. J’avais ma baguette à la main au cas où le combat se porterait chez nous. Puis quand la bataille cessa, j’ai pris mes jambes à mon cou pour aller chercher mon mari. Ensuite, il a dû vous raconter comment on a découvert les corps et la petite Yseult.

— Merci madame, ce que vous venez de me raconter va m’aider, fit Philippe. Vous aussi monsieur, merci. Je ne vous dérange pas plus. Pouvez-vous juste m’indiquer la direction qu’ils ont prise pour s’enfuir ?

Duruis sortit dans la cour et lui montra une colline qui surplombait le groupe de fermes, son sommet était couronné d’un bosquet d’arbres. Philippe aurait pu s’y rendre en transplanant, mais il voulait repérer d’éventuelles traces des agresseurs. Partant de la ferme des Firminins, il gravit la pente en scrutant le sol à la lumière de sa baguette.

Il trouva un endroit où deux paires de marques de pied se faisaient face, une paire bien plus petite et moins profonde que l’autre. Sûrement l’endroit où Yseult avait croisé un des assaillants s’enfuyant. Ils s’étaient arrêtés à environ deux mètres l’un de l’autre. Puis l’homme avait repris sa course vers le sommet.

Philippe arriva au bosquet. Les traces de pas étaient nombreuses, il évalua à sept ou huit le nombre d’agresseurs. Bien sûr, il n’oubliait pas que des villageois pouvaient être montés ici depuis, brouillant les pistes. Il chercha quelle direction avaient prise les meurtriers, mais aucune trace ne quittait la colline. La piste s’arrêtait là.

Il balaya plusieurs fois les alentours à la lumière de sa baguette et ne trouva rien. Il ne voyait qu’une seule explication logique : les agresseurs étaient des sorciers et avaient usé d’un moyen magique pour s’en aller. Transplanage, portoloin ou balais, peu importe, ce n’était pas des moldus.

Philippe savait qu’il ne trouverait rien de plus, il transplana pour retourner à sa chambre à l’auberge. Ouvrant son écritoire de voyage, il nota ses observations et ses déductions.

 

À partir des indices trouvés sur le terrain, mais surtout des différents témoignages, j’en viens à la conclusion que les assassins sont des sorciers, et non des moldus.

En premier lieu, le brouillard décrit par madame Duruis est tombé d’un coup alors que la météo était clémente et sans signe avant-coureur. Les tueurs ont certainement fait tomber ce brouillard pour couvrir leur forfait et leurs identités.

De plus, l’état de la jeune Yseult Firminins, après sa rencontre avec le dénommé Elric, ressemble au résultat d’un sortilège de confusion. Je pense que le sort ne fait plus effet et que la jeune fille souffre maintenant réellement de folie due à la perte de ses proches et à ce sort.

Pour finir, le fait que les baguettes des membres de la famille Firminins aient été retrouvées à plusieurs mètres des corps peut laisser penser qu’ils ont été désarmés par le sortilège Expelliarmus. De même, l’usage d’un Protego comme dernier sort d’une des baguettes examinées laisse plutôt penser à un combat de sorcellerie plutôt qu’une altercation entre moldus et sorciers.

Sans examen des lieux et des corps en l’état, il m’est impossible de savoir si les coups de couteaux et de fourches décrits par monsieur Duruis sont la cause de la mort. Lui-même pense que les meurtriers sont des moldus. Je pense plutôt à une mise en scène pour faire accuser des moldus.

La question étant : qui souhaite l’ouverture d’un conflit entre les Moldus et les Sorciers ?


 

Philippe fit une copie de ses notes. Il accrocha la missive à la patte du hibou qu’il avait emprunté à la famille Duruis, et fit partir l’oiseau dans la nuit.

Il moucha sa chandelle et se coucha pour prendre quelques heures de repos.


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