Le Parfum du Air Salonpas
Kuroo avait bien senti tout l'après-midi que Bokuto hésitait à lui dire quelque chose. Il fallait dire que Bokuto et la subtilité, ça faisait deux, voire trois. Il les avaient invités, Akaashi et lui, pour un après-midi jeux de baston. Comble du miracle, Kenma avait accepté de les rejoindre et ils se castagnaient dans la joie et la bonne humeur depuis plusieurs heures déjà.
— Arrête de spammer les Hadoken, putain ! hurla Bokuto.
— Qu'est-ce que tu veux, c'est le jeu, ma pauvre Lucette ! répliqua Kuroo.
— C'est toi aussi, là, c'est quoi la manette que tu m'as filée ? Le stick est tout mou !
— Il est très bien mon stick, c'est toi qui sais pas jouer, c'est tout !
Même lancé à fond dans son combat, Kuroo remarquait toujours ce malaise chez son ami. Et à voir le regard que lui lançait Kenma, il l'avait vu lui aussi. Un moment, Akaashi s'absenta pour répondre à un appel et Bokuto passa son temps à scruter la porte de la chambre. Il semblait sur le point de leur dire quelque chose — enfin ! — quand Akaashi refit son apparition.
— Fais pas le malin, au prochain, je prends Blanka et je te défonce ! lança Bokuto à Kuroo, comme si de rien n'était.
Décidément, quelque chose ne tournait pas rond. Kuroo lança un nouveau regard en coin à Kenma, qui lui répondit par une grimace perplexe.
— Bon, dit ce dernier en se levant, on a plus rien à manger, je vais à la supérette en bas. Quelqu'un pour m'accompagner ?
— J'arrive, répondit Akaashi, trop content d'échapper à tout ce tintamarre.
Kuroo se retint in extremis d'arborer un grand sourire satisfait. Lui qui cherchait depuis une bonne heure le moyen de séparer ces deux-là avait été coiffé au poteau en une fraction de seconde par Kenma. Ce n'était pas pour rien s'il était le cerveau de l'équipe, après tout. Kuroo attendit d'entendre la porte d'entrée claquer pour se tourner vers Bokuto.
— Bon, crache le morceau.
Il le regarda écarquiller les yeux et tenter de démentir, comme s'il ne comprenait pas ce que Kuroo voulait dire. Mais un haussement de sourcils, signifiant : « Je vois clair dans ton jeu, essaie pas de me berner » plus tard, Bokuto abandonna l'idée de se défendre.
— Je peux te faire signer un truc ? Je voulais te l'envoyer par mail mais j'avais trop peur qu'Akaashi tombe dessus.
Kuroo hocha la tête, bien qu'un peu perplexe, et Bokuto s'empara de son ordinateur portable, ouvert sur le lit. Il tapa dans le navigateur une longue adresse et le tendit à Kuroo tandis que la page s'affichait. Celui-ci eut tout d'abord du mal à comprendre ce qu'ils voyaient. Des centaines de noms s'affichaient sous un compteur, qui indiquait que soixante-quinze pour cent de l'objectif avait été atteint. Il ne percuta qu'en lisant le titre : « Soutenons la loi Murata ! ». Une pétition.
— Ils votent la loi sur le mariage pour tous dans un mois et… euh…
Bokuto se triturait les doigts, nerveux, évitant son regard, le visage rouge brique. S'il ne se doutait pas de ce qui allait suivre, Kuroo aurait songé à appeler une ambulance.
— Quand on aura fini le lycée tous les deux, j'aimerais bien pouvoir faire ma demande à Akaashi. Mais… si la loi passe pas maintenant, je pense pas qu'elle passera d'ici deux ans, alors…
Kuroo signa la pétition en un temps record. Puis, une fois les deux de Fukurodani partis, fit signer Kenma. Puis Yaku, puis Lev, puis Yamamoto et, en moins de temps qu'il avait fallu pour le dire, toute l'équipe y passa.
—
— Tiens, qu'est-ce que c'est ? demanda Hinata en pointant d'auriculaire de Hitoka.
Il devait bien être le dernier à l'avoir remarqué. La jeune fille portait, depuis bientôt deux semaines, une bague au petit doigt. Ce n'était pas un bijou d'une très grande valeur, un simple anneau en argent surmonté d'une pierre d'un bleu sombre. Kiyoko portait exactement la même, mais la sienne était ornée d'un oeil de tigre. Cela n'avait, bien sûr, pas échappé à la vigilance de Tanaka et Nishinoya qui l'avaient assommée de questions, sans succès.
— C'est une bague de promesse.
Devant la perplexité de Hinata, Hitoka expliqua que c'était une nouvelle mode chez les jeunes filles, qui les offraient à ceux et celles qu'elles aimaient. La pierre qui ornait la bague devait être de la même couleur que les yeux de l'autre personne et le doigt auquel on la portait en changeait la signification. A l'index, elle garantissait une amitié pour la vie. Au majeur, un lien familial indéfectible.
— Et au petit doigt ? demanda Hinata.
Les joues de Yachi se couvrirent d'une jolie couleur pivoine.
— C'est une promesse d'amour éternel.
Des étoiles plein les yeux, Hinata se tourna vers Kageyama, qui avait suivi la conversation d'une oreille distraite.
— Pas question, crétin ! répliqua-t-il immédiatement. Les bagues, c'est mauvais pour la circulation des doigts !
Devant son air déconfit, Hitoka laissa échapper un rire, mais se détourna bien vite quand Kiyoko entra dans le gymnase, en compagnie de Sugawara et Daichi.
—
Une mauvaise réception était la pire ennemie du bloqueur, Tsukkishima était bien placé pour le savoir. Ce n'était pas le tout de bien sauter, il fallait aussi revenir au sol au mieux prêt à bloquer de nouveau, mais au moins en un seul morceau. C'est pourquoi il ne put réprimer une grimace quand il vit la cheville de Futakuchi se tordre à peine le smash de Hinata repoussé. Pas qu'il appréciait ce type, mais il avait mal pour lui.
Le ballon tomba, côté Dateko, mais Futakuchi, tordu de douleur, restait prostré au sol. Les mains serrées autour de sa cheville, il grimaçait de douleur et grognait à chaque mouvement. Péniblement, il tenta de se lever, mais retomba aussitôt. Ça n'augurait rien de bon. Aone se pencha sur son coéquipier et, après un rapide examen, il échangea un signe de tête avec le coach.
— Bon, vous deux ! s'exclama ce dernier à l'adresse d'un groupe de première année sur le bord du terrain. Vous allez les remplacer pour l'instant, ça nous donnera l'occasion de vous jauger en situation de match.
Pendant que les deux remplaçants arrivaient sur le terrain, Aone passa un bras autour des épaules de Futakuchi et l'autre sous ses genoux pour le soulever et l'emmener plus loin. Aucun des membres de Dateko ne cilla devant cette curieuse vision, comme si un de leur bloqueur star portant l'autre en princesse était un spectacle quotidien pour eux — ce qui était possiblement le cas. Le match reprit à peine une minute plus tard, le temps pour les deux nouveaux de s'installer à leur place. Ils étaient moins mauvais que Tsukkishima l'aurait cru et, même s'ils ne valaient pas le vrai mur de fer de Dateko, ils se défendirent honorablement.
De l'endroit où il se trouvait, Tsukkishima avait une vue imprenable sur Aone et Futakuchi. À genou devant son coéquipier, Aone lui passa un peu de bombe de froid puis entoura sa cheville d'un strap. Entre chaque étape, ils s'échangeaient des sourires, des regards tendres et Tsukkishima aurait pu jurer qu'il avait vu Aone embrasser la jambe de Futakuchi. Un bisou magique… même Nishinoya et Asahi auraient trouvé ça cucul. La deuxième fois, par contre, aucun doute, il les vit clairement. Après un rapide coup d'oeil vers le coach, pour s'assurer qu'il ne les regardait pas, il s'échangèrent un rapide baiser. Quelque part, Tsukkishima s'en trouva rassuré. Ce n'était pas lui qui était tombé dans un groupe d'ados en rut incapable de se retenir de se tripoter pendant cinq minutes. Aucune équipe n'était épargnée par ce fléau.