Le Temps de la Nuit
Le docteur Strange attendait Annie, tout comme il avait attendu Jérôme et le reste de ses patients intéressants. Ou qu'il pensait intéressant.
- Annie Henderson, dit-il la voix posée, qui se voulait rassurante, mais qui n'était autre que désagréable.
- Ici, ce sera Arlequin. Ou Arley.
Strange sourit à cette annonce. Le policier allait remettre Annie à sa place, mais Strange l'en empêcha.
- C'est un très joli pseudonyme, complimenta-t-il.
- Je dirais plus un nom, corrigea Annie.
- Certes, un nom, c'est cela.
- Excusez moi, est-ce qu'on va me mettre dans des machines ultras bizarres, dans lesquelles on va me torturer ? Et est-ce qu'on va me jeter de l'eau dans la gueule ? Oh, et une autre question, est-ce que vous faites des expériences supers bizarres dans vos caves, j'ai vu ça dans un film une fois, et c'était vachement glauque, et je dois dire super intéressant aussi...
- Ferme-là Henderson, intima le policier qui la tenait.
Elle se pinça les lèvres et fit tordre son cou vers lui.
- Désolée, je suis tarée, sourit-elle.
- Bien dommage que tu sois pas muette.
- Je vais désormais prendre mademoiselle Henderson en charge, coupa court Strange avec une bienveillance feinte.
- Trop aimable, sourit-elle.
Le policier lâcha Annie et des gardiens se postèrent sur ses côtés pour l'accompagner à l'intérieur de l'enceinte. Elle redressa sa colonne vertébrale, et adopta un air contenté.
- Voilà les vêtements que tu devras porter.
La jeune femme observa la robe aux grossières rayures blanches et noires.
- Dites moi que c'est une blague.
- Détrompez-vous, ma chère.
- Et ils vont bien vos patients ? Parce que putain rien qu'en voyant ça j'ai envie de chialer.
- Ne vous en faites pas, ça fait partie de la thérapie.
Elle l'observa en levant légèrement un sourcil, interrogative.
- Vous êtes encore plus taré que nous.
Strange se mit à rire.
- Je crois que c'est à moi d'en juger.
- Comment on a pu vous faire confiance ?
- J'ai un diplôme, répondit-il sans essayer de se dissimuler.
- Je vais rajouter ça dans ma liste de gens que je dois éviter.
Elle enfila la robe à contre cœur, légua toutes ses affaires au gardien et se laissa se faire diriger jusque dans l'enceinte même du bâtiment, là où tous étaient enfermés. Elle fut, bien que peu étrangement, accueillie par des exclamations, des grognements et autres bizarreries expressives.
- Bienvenue chez moi, se murmura-t-elle.
Durant une poignée de secondes, son visage se figea dans un regard de regret et de terreur. Mais il fut bien vite remplacé par une figure résolue. Elle entra pour se mélanger aux autres, en observant à peine les nouvelles têtes. Mais, assis au milieu, immobile, une allure familière retint son attention. Elle fit mine d'ignorer l'agitation autour d'elle, en évitant de se sentir menacée à chaque son. C'était un homme qui souriait bêtement en regardant un autre patient faire jongler des balles, et qui se mit à applaudir lorsque le tour fut terminé. Annie s'approcha du jongleur, prit ses balles et les jeta plus loin. Le sourire de l'homme en face d'elle s'effaça lentement pour devenir un visage déconfit et enfantin, qui venait de perdre sa distraction.
- Pourquoi avoir fait ça ? Demanda-t-il.
Elle s'assit sur le banc en face de lui, la table entre eux deux. Elle le regarda intensément de longs instants, sans que ni l'un ni l'autre ne parle. Se rendant compte qu'il restait totalement immobile, elle fit mouvoir sa main devant ses yeux. Il regarda cette dernière presque avec indifférence.
- Pingouin ? Appela-t-elle.
- Oswald, répondit-il avec frénésie, je suis Oswald. Pingouin était une mauvaise personne, je ne suis pas... plus une mauvaise personne.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Pingouin ! Réessaya-t-elle.
- Annie ? Demanda-t-il.
- C'est moi, l'Arlequin ! confirma-t-elle. Qu'est-ce qu'on t'a fais ?
- Oh, dit-il en souriant, le Docteur Strange m'a aidé, il m'a soigné, je ne suis plus méchant.
- Qu... ?
Elle leva les yeux et discerna derrière les barreaux Strange lui-même, qui semblait l'attendre. Elle s'arrêta de parler immédiatement, et comprit. Tous ces gens n'étaient que les ridicules pantins de Strange, ses cobayes, et elle en faisait désormais parti. Elle sentit son cœur être transpercé par la froideur du ressentiment, comme si des stalactites venaient de lui déchirer le cœur pour le mettre en lambeaux. Elle sépara son regard du sien, et se concentra sur Pingouin devant elle.
- Qu'est-ce qu'il t'a fait ? Questionna-t-elle en serrant les dents.
Elle ne prenait pas pitié de Pingouin, s'il était là, il l'avait cherché. Mais elle voulait savoir à quoi s'attendre.
- Il m'a fait voir le vrai but d'une vie, dit-il comme si Strange avait été une véritable divinité, je ne suis plus l'horrible homme que j'étais. Je suis devenu gentil, je... j'ai... guéris.
- Pingouin...
- Oswald, la reprit-il.
- Oswald, tu n'es pas malade !
- Plus maintenant, c'est vrai.
- Tu l'étais pas avant non plus ! Tu étais le roi de Gotham, et regarde ce que tu es devenu ! Un petit toutou prêt à lécher les bottes de son maître.
- Ne dis pas ça, la corrigea-t-il avec une incroyable douceur qui restait néanmoins nerveuse.
- Je ne suis plus le même homme, Annie.
- Si tu as renoncé à ta force, je l'ai pas fait moi, alors ce sera Arlequin, Oswald.
- J'ai compris un certain nombre de chose, tu verras, il t'aidera toi aussi.
- M'aider à quoi ?
- À devenir une bonne personne.
- T'es devenu fou ou quoi ? Alors comme ça, tu as oublié ta mère ? Et Galavan ? James Gordon ? Et tout le mal que tu dois à cette putain de ville ? Tu es vraiment trop stupide pour avoir cru en toutes ces histoires.
Le sourire de Pingouin devint un spectre imprécis, et ses pupilles se mirent à tourner dans tous les sens. La thérapie de Strange semblait trouver ses failles. Annie adopta un rictus triomphant.
- Ta mère, Pingouin, Galavan l'a tué, tu te souviens ? Tu peux pas être une bonne personne, t'es juste un criminel, et tu adores ça, parce que c'est ta nature. Il faut juste que tu l'acceptes vraiment, et il ne pourra rien contre toi.
Il soutint brusquement ses tempes avec la paume de ses mains.
- Tais-toi, tais-toi, tais-toi, ne cessait-il de répéter à voix basse.
- Non, non, il te ment Pingouin, tu es le roi de Gotham, il faut que tu t'en souvienne.
- Je ne veux pas, je ne veux pas !
Elle lui attrapa les mains et les détacha de son visage. Elle fit le tour de la table et s'assit juste à côté de lui, à cheval sur le banc.
- Tu es Pingouin, t'es plus cet Oswald. Il faut que tu reprennes cette ville en main, tu penses pas que tu lui manque ? Et où est Butch ?
- Butch... Butch est un traître...
- Alors lui aussi mérite que tu reviennes.
- Non, non, non, je ne dois pas tuer, je ne dois pas penser à tuer, je suis gentil, je suis guéri, je ne suis plus un homme méchant...
Il se leva subitement au moment où les gardes se rapprochaient de lui en le voyant s'agiter. Annie s'écarta pour laisser les choses se continuer.
Pingouin s'agitait de manière incompréhensible, comme s'il était tiraillé entre deux côtés distincts. Il passa ses ongles sur ses joues maigres et les gardes s'emparèrent de lui. Il se mit à hurler. Annie en profita pour jeter un regard circulaire, et observer comment chacun réagissait, autant les gardes que les patients. Elle arborait une expression pleinement satisfaite et narquoise. Elle tomba une nouvelle fois sur Strange qui ne se préoccupait aucunement de son patient hystérique, mais qui persistait à la regarder. Elle croisa ses jambes, et lui décerna une élégante révérence. Le docteur ne bougea pas, et se contenta de lui sourire plus grandement. Ils emportèrent Pingouin, et elle comprit qu'elle aurait du mal à sortir de cette cage. Elle s'assit au même endroit, et se servit un verre d'eau qu'elle but en continuant son étude des lieux.
Rien n'était de ce fait plus fascinant qu'Arkham. Ces hommes et ces femmes aux regards perturbés, et aux allures irréelles, plus improbables les uns que les autres. Ils ne ramenèrent finalement Pingouin qu'une heure après. Il semblait dans les vapes, près à s'effondrer. Elle ne les lâcha pas des yeux, et les vit le faire entrer dans sa cellule, pour le poser dans son lit. Elle les laissa s'éloigner, et rejoint Pingouin sans faire de bruit pour le regarder se laisser mourir, allongé sur le dos.
- Oswald, fit-t-elle sans qu'il ne voit son visage.
- Qui est là ? Demanda-t-il faiblement.
- C'est le Docteur Strange, tenta-t-elle.
- Docteur Strange ?
- Oui, c'est moi, du calme Oswald... Je suis venu te poser quelques questions.
- Votre voix... elle est...
- Différente, oui, Oswald, c'est normal, ne t'en fais pas. Maintenant, écoute-moi bien Oswald, il va falloir que tu sois très attentif, et que tu répondes à mes questions, d'accord ? Tu es prêt ?
- Je le suis, dit-il avec une lenteur absolue.
- Très bien Oswald. Première question : qu'est-ce que nous t'avons fait ?
- Vous... je ne sais pas vraiment... je ne sais pas... comment dire...
- Fais-le, essaye.
- Vous m'avez mis une machine sur ma tête, et vous... êtes... entré dans ma tête.
- Comment ?
- Je ne sais pas.
- Qu'est-ce que tu as vu ?
- Toutes les choses horribles que j'ai faites... et ma mère... le sang et la mort. J'étais un homme affreux... geignit-il.
- Du calme, Oswald. Maintenant, écoute bien : qu'est-ce qu'il y a en bas ?
- Des monstres...
Annie fronça les sourcils. Strange était le fou qui régnait sur la folie, elle l'avait bien comprit. Il menait donc des expériences, dans son propre établissement.
- Tu peux te reposer maintenant, Oswald, dit-elle perdue dans ses pensées.
Elle ne pensait pas être à Arkham par hasard, ni avoir eu ce dialogue avec Strange pour le plaisir. Elle se leva brusquement pour sortir de la cellule, et faillit justement entrer dans un torse de petite taille. Elle recula instinctivement, et reconnu Strange. Ils se regardèrent longuement, Strange souriant, Annie effarouchée. Elle se mit à haïr se visage rond et dédaigneux dans la même seconde.
- Comment va notre jeune ami ? Demanda-t-il comme si de rien n'était.
Elle ne répondit pas, et se contenta d'observer son regard détestablement ingénieux.
- La thérapie fonctionne admirablement, n'est-ce pas ?
- Elle doit être efficace, confirma-t-elle. Mais Pingouin est faible.
- Pas plus que n'importe qui dans cet asile, sembla-t-il la prévenir.
La menace avait bien été comprise.
- Jamais, vous entendez, jamais vous ne me changerez. Je m'en charge toute seule, j'ai pas besoin d'un savant fou pour m'aider.
- Oh, mais je ne suis pas un savant fou. Je suis un génie, et je sais très bien que vous n'avez pas besoin de moi. Figurez-vous, très chère, que c'est moi qui ai besoin de vous.
Elle plissa légèrement les yeux dans une expression de réflexion, perplexe.
- Je suis pas intéressée.
- Vous n'avez pas besoin de l'être, je m'occupe de tout. Ce sera néanmoins à vous de décider de comment je dois m'en occuper, si vous préférez que je vous laisse me suivre, ou s'il me faudra user de la force.
- Vous devrez vous aussi décider de comment vous vous retrouverez si vous essayez de me faire quoi que ce soit. Je suis ni une patiente, ni un cobaye, j'attends juste de trouver un moyen de sortir d'ici.
Elle coupa court à la discussion subitement et s'éloigna de Strange à pas rapides.
- N'oubliez pas que je peux absolument tout vous donner !
Elle fit mine de ne pas l'entendre et se précipita dans la salle commune afin de trouver du monde. Pingouin avait été salement amoché par Strange, et il n'hésiterait pas à recommencer, sur Pingouin, et sur n'importe qui, pour parvenir à ses fins. Strange était un adversaire de taille, qu'Annie estimait cependant à sa hauteur. Elle ne manquerait pas une seule occasion pour le prouver et considérait Strange comme étant un homme mort.
Le soir même, elle prit soin de ne pas s'endormir tout à fait dans sa cellule, surveillant ce qui pouvait arriver jusqu'à son lit. Mais il n'y eut rien d'autres que des ombres et des terreurs illusoires, qui persistaient à persécuter la jeune femme, même lorsqu'elle faisait semblant de ne pas les entendre ou les voir. Ainsi, lorsqu'elle se surprenait à cauchemarder, elle se forçait à se réveiller, pour ne plus êtres la victime de ces hallucinations nocturnes. Il lui semblait apercevoir le spectre de Strange, et le léger reflet lumineux sur ses lunettes rondes, qui rendaient son visage encore plus monstrueux, traverser la pièce comme s'ils se déplaçaient seuls.
Mais il n'y avait rien, jamais. Il avait cherché à la déstabiliser, et avait réussi avec succès. Ses paroles tournaient en boucle dans son esprit, sans s'arrêter. Des fragments de phrases, des mots, des expressions de son visage.
Malheureusement, il n'y avait pas que ses propres démons qui arrivaient à la réveiller, mais aussi ceux des autres personnes endormies, qui se réveillaient brusquement en hurlant, voyant des visages difformes, ou en entendant des voix désagréables, qui mordaient leurs âmes. Annie les entendait chacun leur tour, plus ou moins lointains, persuadés d'être observés ou suivi. Ils appelaient de l'aide, qui se résultait à des infirmiers qui chuchotaient entre eux, pour faire glisser les barreaux et maintenir les furies déchaînées.
La lumière du jour s'immisça dans la pièce, réveillant avec difficulté chacun des patients sous les ordres d'un gardien insensible qui cognait avec une matraque en plastique dur sur les barreaux de chacune des cellules.
- Allez les tarés, faut se réveiller, c'est l'heure du petit déjeuner. Habillez-vous, et rejoignez la salle commune.
Annie suivit le mouvement général, et se leva péniblement de son lit grinçant en défroissant sa robe de nuit uniformément blanche.
- Henderson, dit-il en ouvrant sa cellule, après le petit déjeuner, tu vas voir le Docteur Strange, comprit ?
Elle bailla pour toute réponse, et le gardien se posta devant elle, la surplombant de tout son corps.
- Comprit, Henderson ? Insista-t-il.
Elle le regarda de ses yeux ensommeillés en mâchant dans le vide avec arrogance.
- Comprit, gardien.
- Comprit, monsieur le gardien.
Elle adopta une grimace exagérément dubitative.
- Exécution, sale gamine de merde, avant que je te fasse disparaître.
- Comprit, monsieur le gardien, dit-elle avec une indifférence agaçante.
Le gardien se retira et Annie se rendit dans les douches pour se changer et se laver. Elle rejoignit la salle commune, et chercha Pingouin des yeux quelques secondes, son plateau repas à la main, en évitant de voir les autres patients. Celui-ci arborait un stupide sourire contenté en regardant quelqu'un parler devant lui. Elle s'assit à côté de lui, sans prendre garde aux autres. Un homme barbu qu'elle avait poussé pour s'asseoir la regarda avec confusion et interrogation. Puis, presque avec violence.
- Un problème, papy ? Demanda-t-elle avant qu'il n'ouvre la bouche.
Celui-ci se détourna pour continuer son repas.
- Annie, s'exclama Pingouin en la remarquant, tu as bien dormi ? Ce gentil homme que tu vois là, me racontait comment...
- Super, coupa-t-elle rapidement, bon, Pingouin, il va falloir que tu m'aides.
- Oswald, corrigea-t-il, que puis-je faire pour toi ?
- Non non, je veux pas Oswald, j'ai besoin de Pingouin. Le sanguinaire et persuasif Pingouin. Il faut que tu m'aides à sortir de ce merdier, sinon Strange va... va... je sais pas vraiment, mais il va pas m'inviter à prendre le thé.
- Tu veux sortir d'Arkham ? Demanda Pingouin en baissant la voix, presque indigné.
- Tu vas m'aider ?
- Mais on ne peut pas sortir d'Arkham de cette façon, il faut une autorisation... et puis, je ne veux pas partir, Strange m'aide vraiment tu sais, il est très doué dans ce qu'il fait.
- Bordel de merde Pingouin, ressaisis-toi ! Tu ressembles à un chiot qui travaille pour des caresses ! Tu vaux mieux que ça !
Elle vit un gardien les regarder, elle calma sa frénésie, et se posa.
- Okay, on mange et je te parle après, Oswald.
Ce dernier acquiesça et prit une bouchée de son petit déjeuner avec appétit, pendant qu'Annie faisait tourner la douteuse bouillie dans sa cuillère. Pingouin se leva pour laisser son plateau, et se dirigea vers les cellules, oubliant Annie qui le suivit peu après. Elle le rejoignit dans un couloir, alors qu'il était dos à elle. Elle lui attrapa les épaules, et lui fit faire demi-tour.
- Tu m'as oublié, Pingouin ?
- Non, Annie, je ne peux pas te parler, je n'ai pas le droit...
- Qui te l'interdit ?
- Tu es une mauvaise, mauvaise personne...
- Et tu es comme moi, Pingouin ! Tu as donc tout oublié ? Essaya-t-elle avec une voix plus douce.
Il lui fallait un électrochoc, il fallait qu'il se souvienne, par tous les moyens. Elle prit son visage entre ses mains, en le caressant avec ses pouces lentement. Il sourit avec gêne, ne sachant que faire, tentant vainement de lever ses mains pour dégager celles d'Annie à plusieurs reprises, sans arriver à les lever plus haut que ses côtes.
- Tu veux pas me croire ? Tu préfères croire Strange ?
Elle entoura son cou avec ses bras et se rapprocha de lui.
- Annie, je crois qu'on n'a pas le droit de faire ça tu sais, c'est défendu, et...
- Pour toi c'est interdit, tu es le toutou de Strange, moi je suis toujours l'Arlequin, tu sais. Tu es sûr que Pingouin veut plus reprendre du service ?
Elle tenta de l'embrasser, mais il recula instinctivement.
- Qu'est-ce qu...
- Voyons, Pingouin, tu dois bien comprendre que je suis prête à tout pour que personne n'entre dans mon cerveau, et j'ai besoin de toi.
Elle ne le laissa pas répondre et embrassa son presque ennemi avec précipitation. Le dos de ce dernier toucha un mur alors qu'elle lui tenait toujours la tête, et qu'il n'osait pas la repousser. Elle n'arrêta que lorsqu'elle entendit des pas arriver. Elle resta pourtant proche de lui, si bien qu'elle pouvait voir les défauts dans ses iris verts et glacés. Il avait de très légères teintes bleues et marron, à peine visibles.
- En tout cas, toi, tu n'auras presque rien perdu, lui dit-elle avant que les infirmiers n'apparaissent.
- Henderson, tu nous suis, intimèrent-ils.
Elle ne fit preuve d'aucune difficulté, et se détacha de Pingouin pour suivre les infirmiers. Ils la firent sortir par la même porte que Pingouin la veille, et l’entraînèrent à déambuler dans les couloirs à un rythme soutenu. Ils arrivèrent devant une porte plus massive que les autres, sur laquelle un des infirmiers toqua sans hésiter. Une voix étouffée les autorisa à entrer.
- Docteur Strange, nous vous avons amené la patiente Henderson.
- Je vous remercie, vous pouvez disposer.
Strange était assit à un son bureau, un stylo à la main. Annie entra en évitant de regarder Strange. Ses diplômes accrochés au mur, et une décoration médiocre, il semblait décidément se complaire dans son étrange rôle.
- Asseyez-vous, Annie, je vous en prie.
Elle s'exécuta sans parler, en faisant promener ses yeux dans la pièce.
- Ne soyez pas si tendue, tenez prenez une tasse de thé, proposa-t-il en lui en servant dans une tasse raffinée.
Elle prit le thé qu'il lui tendait, et le posa devant elle.
- Je ne vous ai pas fait venir pour vous... triturer le cerveau immédiatement. Mais puisque vous avez à peu près compris ce que je vous réserve, je ne vais plus m'en cacher, n'est-ce pas ?
Comme ont l'habitude de le dire les gens idiots en faisant semblant d'être intelligents : il vaut mieux une vérité amère qu'un doux mensonge.
Annie se contenta de renifler discrètement son thé sans le regarder. Elle l'écoutait attentivement, cependant, chacune de ses paroles, chacun de ses mots envenimés. Elle posa la tasse, mit son visage à sa hauteur, et fit tinter la porcelaine avec son ongle. Strange lui ajouta un peu de lait. Elle enleva son visage, et croisa ses jambes sous la robe à rayures.
- Alors Annie, reprit-il en comprenant qu'elle n'interviendrait pas, qu'est-ce que vous avez ?
Elle le regarda intensément plusieurs secondes, comme si elle l'étudiait, et dénia se montrer intéressée.
- Je vous en prie, Docteur Strange, ne me parlez pas comme si j'étais malade.
Elle semblait tout à fait professionnelle dans ses propos, et avait adopté un air connaisseur. Elle ne le laissa pas répondre.
- Si vous avez réussi à convaincre certains de vos patients avec toutes ces conneries, je n'en fait pas partie. Je ne suis pas une de ces stupides personnes que vous menez à la baguette, avec votre air savant, vos lunettes rondes, et ce costume fait sur mesure. J'en ai rien à foutre de ce que vous allez me faire, parce que dans tous les cas vous n'y arriverez pas. Guérissez qui vous voulez, moi j'ai besoin de rien.
- Qui a parlé de vous guérir de quoi que ce soit ? Vous pensez sûrement que je vous réserve le même sort qu'à votre pauvre ami Oswald... j'ai cru comprendre que vous essayez de lui soutirer quelques informations, d'ailleurs.
Il appuya sur un bouton de sa télécommande, et il fit apparaître un film d'elle et de Pingouin dans le couloir il y avait de cela une dizaine de minutes. Elle le regardait attentivement comme si elle le découvrait, apportant sa tasse à la bouche pour boire une gorgée de thé.
- Vous me surveillez ?
- Je surveille tout ce qui est vivant et mort dans cet établissement.
- Vous cachez des morts, alors ? Demanda-t-elle en posant sa tasse.
- C'est un autre débat, sourit-il. Dites moi, Annie, savez-vous pourquoi vous êtes là ?
- Pour satisfaire la vengeance de Gordon et de la moitié des policiers de cette ville.
- Je voudrais que vous me disiez ce que vous avez fait.
Elle sourit malicieusement, comme si le souvenir de ce qu'elle avait fait la réjouissait.
- Vous savez pourquoi je suis là, peut-être même mieux que moi. Les gens de cette ville croient que je suis folle parce que j'ai fait ce que j'ai fait.
- Vous ne pensez donc pas que vous êtes folle ?
Elle pouffa une première fois en le regardant, comme s'il avait dit une énormité. Sans arriver à plus se retenir, elle éclata de rire en étirant grand ses lèvres, faisant tomber sa tête en avant. Elle se força à s'arrêter sans pouvoir s'empêcher de sourire, ferma légèrement les yeux pour se concentrer en se massant les tempes. Elle ouvrit les yeux pour regarder à droite et à gauche et enfin les poser sur Strange.
- C'est vous le doc', Doc'.
- Certes.
- Alors, dites le moi : je suis tarée ou pas ? Je suis malade ? Est-ce que vous pensez que je vais vous mettre une balle dans la cervelle et me nourrir de votre sang ? Peut-être même que je pourrais faire exploser cet endroit ! Je pourrais faire tourner la boule à chacun de vos patients.
- Et je sais que vous en seriez capable et que vous réussiriez.
- Alors vous me laisseriez faire ?
- À vous de décider. Je pense que vous vous sentez saine d'esprit, Annie, à vous de prendre cette responsabilité. Qu'est-ce qui serait bien, et qu'est-ce qui serait mal ? Je vous laisse l'occasion de me le montrer. Vous ne terminez pas votre thé ?
- Il est dégueulasse.
- Bon, je vous rends à mes infirmiers, alors.
Il se leva de sa chaise, et se rendit jusqu'à la porte rouge suivit d'Annie. Il toqua trois fois de suite, et tendit Annie aux infirmiers qui entraient.
- Passez une bonne journée, Annie.
Ils la ramenèrent à la salle commune, avec les autres. Elle resta plantée là, devant la porte, à regarder tous ces imbéciles se balader avec leurs objets fétiches, ils ne devaient même plus savoir depuis combien de temps ils étaient là, et pourquoi ils y étaient enfermés. Ils étaient sans intérêts, et elle ne tarderait pas à le devenir aussi, si elle ne faisait rien. Sa première intuition fut de lever les yeux au mur, et de repérer les caméras de surveillance. Il y en avait partout, sur les murs de la salle commune, dans les couloirs, et même dans les cellules. Strange ne ratait rien de ses patients, il les épiait constamment. Elle prit soin d'attendre assise à sa table l'heure du repas, sans rien faire. Deux jours auparavant, elle n'aurait pas hésité, et aurait semé le chaos dans tout Arkham.
Mais Strange la dérangeait, sa voix même lui donnait la nausée. Et ce regard, perturbant, désagréable, Elle attrapa un journal et fit semblant de le feuilleter, voulant faire croire à son indifférence feinte. Elle ne savait pas si Strange était à haïr ou à admirer. Étrangement, il lui faisait penser à Galavan, incroyablement intelligent et détestablement génial.
Mais elle ne fit rien.