Le Temps de la Nuit
Blackgates. Tout comme son nom, l'endroit n'était pas accueillant. Tueurs, violeurs, assassins, cannibales, et autres criminels les plus dérangés les uns que les autres.
- Tu devrais t'y sentir comme chez toi, dit le même policier en arrivant devant les portes.
- Ça se pourrait, répondit Annie.
Ils furent accueillis par bon nombre de visages différents. Les policiers qui l'avaient accompagnée jusque là la laissèrent aux gardiens de la prison. Annie y entrait comme si elle découvrait une nouvelle maison. Elle observait tout avec un air pleinement satisfait.
- Détenue Annie Henderson, demanda le directeur de l'établissement, le sadique et chauve Carlson Grey.
Elle redressa sa colonne vertébrale, colla ses pieds, et ramena ses mains menottées à son front pour le saluer.
- Oui, chef !
- Encore une marrante, soupira le directeur.
- Je suis l'Arlequin de Gotham, dit-elle avec une once de fierté.
- Oui, on a cru entendre ça aussi. La « petite-amie » de Jérôme Valeska.
- Plus ou moins. Où est ma chambre ?
Grey se rapprocha un peu plus de la nouvelle détenue.
- Vous allez rapidement perdre votre sourire. Ici, personne ne rit. Vous le comprendrez bien vite. Votre petit visage démoniaque n'aura aucun effet ici. Les gardes n'en n'ont rien à foutre de ce que vous avez bien pu faire dans votre passé.
- Vous oubliez un détail, dit-elle à voix posée d'abord. Elle se rapprocha de lui. Je suis complètement tarée, finit-elle avec un sourire arrogant.
- Peut-être, mais il semble que vos amis policiers veulent se venger de vous. On ne met pas quelqu'un en cellule provisoire à Blackgates pour rien.
- Ils veulent que je m'habitue au pire. Dans quelques jours je suis à Arkham.
- Si vous survivez jusque là.
- J'ai déjà survécu, j'ai l'habitude, ne vous inquiétez pas.
- Ce n'est pas la rue, ici.
- Non, c'est vachement mieux en fait : des murs solides, de la compagnie, des repas réguliers, même des surveillants. Une cour d'école !
Carlson Grey se pinça les lèvres en un rictus déplaisant.
- Bon séjour entre nos murs, dans ce cas.
- Merci beaucoup, se courba-t-elle avec exagération.
- Changez là.
Après une inspection quasi-totale de son corps, Annie du enfiler des vêtements pâles sans réelles formes. Malgré le peu de temps qu'elle allait passer à Blackgates, ils semblaient la considérer comme une détenue à part entière.
Ils la firent entrer dans une grande salle où plusieurs prisonniers étaient rassemblés. Ils traversèrent l'endroit sous les regards curieux et voraces.
- Voilà ta cellule, Arlequin.
Elle sourit.
- J'adore quand vous m'appelez comme ça.
Ils laissèrent la jeune femme devant les barreaux gris. Elle rejoint la salle de repas où tout le monde semblait être regroupé, hommes et femmes, pour mesurer les dangers qu'elle pourrait encourir en les quelques heures passées ici.
- Salut poulette. On aurait besoin d'un renseignement, demanda un homme accompagné par deux autres, avec une arrogance perverse.
Elle leva sa mèche d'une main pour observer les intervenants avec intérêt.
- Ben balance, dit-elle après quelques secondes sans que personne ne parle.
- Oh... très sûre d'elle, ironisa-t-il.
Elle leva un sourcil.
- C'était tout ?
L'homme jeta un coup d'œil à ses deux acolytes.
- J'aime pas ta façon de répondre, petite. Va falloir que t'apprennes à fermer ta gueule ici. T'as cru que t'allais arriver ici et faire ce que tu veux ? C'est pas ces gardes qui gèrent cette putain de prison, c'est les prisonniers. Alors tu vas me rendre un petit service, parce que ça faisait longtemps qu'on avait pas vu de chaire fraîche.
- Tu sais, Goergy...
- Je m'appelle pas Go...
- Laisse moi finir. J'aime pas la façon dont toi tu me parle. Alors si les prisonniers gèrent cette « putain de prison », je te conseil de me laisser ma place. Parce que je suis peut-être de la chaire fraîche, mais contrairement à vous, j'ai encore toute ma force de personne libre.
Il retint un souffle violent.
- Tu devrais pas jouer à ça avec des gens comme nous, pour qui tu te prends ?
Elle fit mine de réfléchir. Immédiatement, jouant sur l'effet de surprise, elle envoya son pied dans le ventre de l'homme en face d'elle pour qu'il se cogne sur un banc. Elle se dirigea vers lui sans plus attendre, et le fit se relever en l'attrapant par l'entre-jambe. Elle le contraint à se tourner avant de le pousser jusqu'à un mur pendant que les regards se tournaient vers eux. Elle lui attrapa l’œsophage à deux doigts et serra dessus pour l'intimer à s'immobiliser.
- Histoire où t'aurais pas compris : tu bouges, t'es mort. On va mettre les choses au clair, dit-elle la voix assurée afin que tout le monde soit attentif, je suis ici pour avoir tué des gens, pour avoir massacré un département de police et avoir coopéré avec des... terroristes du nom de Maniax. T'as dû en entendre parler, non ? Je suis l'Arlequin de Gotham, Annie Henderson, ça aussi t'as dû en entendre parler ? Au point où j'en suis, te tuer maintenant ou plus tard, j'en ai rien à foutre. Tu vois, les gardes sont même pas encore intervenus, tu dois pas être trop aimé. Que je te crève, ça les arrangerait peut-être. Alors je pense que c'est à toi de fermer ta gueule pour l'instant.
Du coin de l'œil, elle vit enfin les gardes s'alarmer, elle le lâcha et leva furtivement les mains pour montrer sa coopération.
Elle traversa la salle, et laissa son regard traîner en direction de la caméra de surveillance. Aller à Arkham, croupir dans cette prison, voire même y mourir, n'avait plus aucune importance. Où qu'elle serait, Annie comptait bien prouver qu'on ne la contrôlait pas. Elle aperçu le visage de Carlson Grey. Alors, tranquillement, elle passa un doigt depuis sa tempe gauche et dessina un sourire invisible jusqu'à l'autre tempe. Elle s'assit sur un banc, tout en le regardant, et attendit qu'il s'en aille.
- Tu vas t'attirer des problèmes, dit une voix dans son dos.
Qui encore, dans ce monde, avait l'envie de lui adresser la parole.
- Super, un nouvel ami, marmonna-t-elle.
- C'est toi qui vois.
- Tu veux quoi ? T'as pas vu le numéro que je viens de faire à ton pote ?
- Si justement, c'est très intéressant. Annie, c'est ça ? J'ai entendu parler de toi. Faut dire que t'es partie de rien, pour arriver au meilleur.
- Merci pour le compliment, mais j'ai besoin de personne pour l'instant. J'attends d'arriver à Arkham et rencontrer mes nouveaux compagnons timbrés.
- Valeska y a séjourné, c'est ça ?
Annie daigna se tourner vers son interlocuteur, restant froide et distante.
- Qu'est-ce que tu veux ? Me dit pas que t'es un de ces psychopathes qui vénère les Maniax ?
- Non, pas vraiment.
Il rigola faiblement.
- Je suis juste intéressé par les belles histoires, en fait, je suis une sorte d'écrivain de prison.
Annie fronça les sourcils.
- J'aurais presque préféré le psychopathe...
- Oh, mais j'ai aussi été un peu dans le crime.
Elle fit mine d'observer la prison.
- Oui, j'imagine, oui.
- C'est vrai, on doit un peu s'en douter. Enfin je veux dire, tu pourrais me raconter ton histoire, et je la mettrais sur papier, je veux dire, vraiment toute ton histoire, il y a certaines rumeurs qui courent sur toi et ce Valeska...
- J'ai compris : toi tu étais sûrement un violeur, ou un obsédé sexuel, non ? demanda-t-elle sans le laisser finir. Qu'est-ce que tu fous ici, nom d'un chien ? Pourquoi t'es pas à Arkham ?
- Oh, ria-t-il avec gêne, c'est que j'avais pas un bon avocat, je crois, et on confond souvent crime et folie, enfin je veux...
- Ta gueule, ça m'énerve, arrête de répéter chaque fois la même chose. T'sais quoi, le mieux, c'est même que t'arrête de me parler, casses-toi, vas écrire tes bouquins et invente tes propres histoires, t'es vraiment trop malsain.
- Oh, non, s'il te plaît, je veux di... excuse moi, je ferais ce que tu veux.
- Tout ce que je veux, c'est que tu me foutes la paix. Je pense que c'est pas trop difficile. Si tu sais pas faire, je t'explique : tu prends ton corps en entier, des pieds, au cul, à la tête, et tu le ramènes très loin de moi, c'est à dire à l'autre bout de la pièce, environ... tout là-bas, dit-elle en désignant le fond de la salle du doigt.
Et c’est avec déception que l’homme s’exécuta, sous le regard écœuré d’Annie.
* * *
Annie ne se sentait pas à sa place à Blackgates. Qui aurait pu s'y sentir réellement, après tout, à part son directeur. Elle attendait d'être à Arkham, pour suivre le même parcours que Jérôme, comme l'avait innocemment soulevé l'homme qui s'était adressé à elle. Finalement, elle refaisait les mêmes erreurs que lui, mais dans le sens inverse. Ainsi, rien ne la ramenait à la raison, si ce n'était la folie elle-même.
Blackgates n'était qu'un mauvais instant de plus à passer, pour aller elle ne savait plus vraiment où. Elle avait depuis bien longtemps oublié ses buts, et négligé la cause de ses combats. Annie n'était plus que l'ombre d'elle même. De son vivant, Jérôme avait été sa faiblesse, et il continuait à l'être, même après sa mort. Une faiblesse aux allures indestructibles, et à la passion incontrôlable, à la quelle elle se refusait de croire. Elle n'était plus la même, et pourtant il lui semblait qu'elle ne pourrait pas non plus échapper à son propre être.
Ce n'est que le matin du cinquième jour, qu'un gardien interpella Annie avant que les cellules ne soient ouvertes.
- Henderson !
- Ça à pas encore sonné, dit-elle la voix ensommeillée.
- Lève ton cul jusqu'à la porte.
- Ça va être difficile, tout seul...
- Arrête de faire la maligne, dépêche toi avant que ce soit moi qui te mette debout.
- Voilà, voilà, on s'calme. Est-ce que vous faites tout ça parce que c'est le jour de mon jugement et que personne m'a mis au courant ?
- Ça se pourrait bien, ouais. Une chance pour toi de crever ailleurs qu'ici.
- Quelle chance ! Je verrai autre chose que votre visage avant de mourir.
- Je suis content de plus voir ta sale gueule, Henderson.
- Vous savez si Jim Gordon sera présent ? Demanda-t-elle en se frottant les yeux avant de se mettre devant les barreaux de sa cellule.
- Je sais pas, et j'en ai rien à foutre, Henderson.
Annie roula les yeux, et observa le gardien tourner la clef dans la serrure avec une attitude arrogante, quasi masculine.
- Très séduisant, quand vous tournez la clef avec tant de sensualité.
Le gardien retint un soupire agacé.
- Tends tes mains, Henderson.
Elle s'exécuta et il lui enfila à nouveau des menottes. La sonnerie retentit dans la prison, ordonnant à tous de se lever après leur mouvementée nuit de sommeil. Les prisonniers, se levèrent pour se poster devant leur porte. Le gardien conduit Annie pour la sortir de la prison.
- Tu t'en va déjà ? On se reverra pétasse, je vais te faire payer !
Elle tourna sa tête vers l'homme qui l'avait agressé le jour de son arrivée pour lui laisser la dernière image d'elle et de son visage souriant.
- Tu vas mettre les habits avec lesquels tu es arrivée. Puis tu monteras dans le fourgon blindé.
- À vos ordres, chef.
Elle s'empressa d'enfiler ses vêtements. Ils s'apprêtaient à sortir de l'établissement, lorsqu'elle s'arrêta brusquement pour s'adresser au garde qui l'avait accompagnée jusque là.
- Oh, une dernière chose...
Les policiers qui lui tenait les épaules se braquèrent quelques secondes avant de se détendre.
- Vous direz au directeur de ne pas perdre son merveilleux sourire, dit-elle alors que ses yeux déviaient vers la caméra de surveillance.
Elle reprit place dans le fourgon blindé qu'elle avait quitté cinq jours plus tôt.
* * *
Ils avaient décidé avec rapidité. La folie d'Annie avait été concrétisée sans difficulté. Rien de plus normal, elle faisait partie d'une bande de malades mentaux échappés d'Arkham. Ils la firent lever, sous les yeux désapprobateurs d'Harvey Dent, qui n'aurait manqué le procès pour rien au monde. De même que sous le regard vengeur de James Gordon, dont le visage exprimait une profonde fierté. Mais la porte s'ouvrit avant qu'ils n'eurent le temps de la faire sortir.
- Ann !
Une femme courait dans l'allée, sans prendre garde aux avertissements du juge qui s'égosillait. Annie se tourna en entendant son diminutif. Elle reconnut le visage inquiet de sa mère qui se précipitait vers elle, les cheveux se balançant contre ses omoplates. Elle était belle.
- C'est ma fille ! Hurla-t-elle, en ignorant les policiers qui se dirigeaient vers elle. C'est ma fille !
Elle entoura brusquement Annie de ses bras et la plaqua contre elle. Elle passa sa main dans ses cheveux. La jeune femme en eut du mal à respirer. Une sorte de culpabilité, qu'elle n'avait pas ressentie depuis ce qui lui semblait être des siècles, l'envahissait alors.
- Qu'as-tu fait ? Murmura sa mère en renforçant son étreinte.
- Tu es si belle. Ne t'en fait pas pour moi.
- Ton père, il...
- Ne fera plus rien. Il n'en a plus les capacités.
- Dis moi qu'on t'a obligée à faire tout ça, que ces gens n'étaient pas tes amis.
- Je suis... désolée.
- Tu n'es pas... ça.
Annie ne répondit pas et se contenta de se séparer de sa mère. Cette dernière secoua la tête, défaite.
- Tu étais la princesse, Annie.
Elle se revit alors assise à côté de sa mère, et entendit même sa voix lointaine raconter son unique histoire, qui changeait parfois, plus ou moins remplie d'un espoir révolu.
- Les princesses n'existent pas, répondit Annie en se rendant compte que sa mère était la dernière personne qui lui offrait encore la possibilité de ressentir des émotions positives. Je suis seulement moi, comme j'ai réussi à le devenir. Ne t'en veut pas, finit-elle.
Elle se sépara tout à fait d'elle.
Sa mère avait choisi la vie, alors qu'Annie avait choisi la destruction. Rien n'était plus paradoxal que cette relation de force. L'une ne comprenait pas l'autre. Annie avait opté pour la perpétuelle vengeance, celle qui la ferait mourir. Sa mère avait décidé de pardonner, et d'attendre sa fin, quelle qu'elle soit. Arrivé au bout, tout se terminerait de la même façon. Rien n'était plus traître que la vie elle-même. Elle prenait et donnait, prenait et ne rendait pas.
Elle ne reconnaissait pas sa fille. Cette personne n'était pas son enfant. Annie était la fille de la rue et du mal, de la vengeance et du chaos. Son existence était vide de sens, à l'image de ses actions et de ses principes. La princesse était sauvée par l'amour. Mais même ce sentiment n'était plus assez fort pour sauver Annie, à savoir s'il elle l'avait déjà réellement ressentit. Se libérer n'appartenait qu'à elle désormais.
- Je viendrai te voir, Ann !
Elle s'apprêtait à lui répondre que ce n'était pas la peine, mais elle n'eut pas le temps. Elle s'en allait au même instant pour Arkham. Elle ne voulait pas que sa mère revienne, elle ne voulait pas revoir son visage rassurant, elle ne voulait pas l'aimer à nouveau. Éviter de plonger son regard dans ses yeux d'un noir profond, et attendre de s'y noyer et d'y trouver une bouée, assez large pour qu'elle s'y accroche encore et encore. Elle refusait de se sentir à nouveau bercée par sa voix harmonieuse, parce qu'elle le savait maintenant, elle le comprenait : tout cela la rendait faible.
Salut tout le monde ! Oui, enfin, le retour de la mère de Annie :') Alors je pense que ce chapitre mérite quelques petites explications, en dehors du fait que Jérôme ne soit toujours pas de retour (ne perdons pas espoir). Je crois bien que j'ai pris un risque avec Blackgates, en fait je sais pas du tout si c'est une prison mixte. Mais j'avais besoin de mettre Annie dans un univers masculin, parce que c'est finalement contre les personnages masculins qu'elle a besoin de se dresser, après l'enfance passée aux côtés de son père. C'est face aux hommes qu'Annie à besoin de prouver sa force, en plus de son incessante quête identitaire. Et je dois aussi avouer que ce personnage m'a carrément échappé, il fait pas du tout ce que j'avais prévu à la base :') Enfin, cela dit j'espère que le chapitre vous aura plu ! :)