Le Temps de la Nuit
Salut tout le monde ! Je profite de mon dernier jour de vacances pour vous poster ce chapitre :3 J'espère qu'il vous plaira. D'ailleurs, je sais pas si c'est le genre de truc à signaler ou quoi, mais j'ai remarqué qu'il y avait vachement plus de lectures sur le chapitre 7 que sur le chapitre 6, que j'avais posté en même temps x) Je pense que certains d'entre vous ont pas dû comprendre le déroulement de l'action du coup :') enfin voilà c'était juste comme ça x) Bonne lecture ! :)
Le repas avait été copieux et suffisant pour chacun, ce qu'Annie admirait. Une chose néanmoins l'avait incroyablement surprise à la fin du dîner : à aucun moment elle ne s'était sentie étrangère. Elle avait regardé tous les visages sans se dire qu'ils lui étaient familiers, mais en le sachant déjà. Barbara l'avait appelée « Ma Poupée », et rien ne l'avait dérangée en cela. Elle avait accepté tous les regards, toutes les paroles, tous les rires. Elle se faisait sa propre définition de la famille, et peut-être même celle de l'amour.
Pour la première fois, Annie avait le droit à son propre lit. Tabitha et Barbara partageaient leur chambre avec elle, alors que les garçons dormaient dans une autre pièce.
- Tiens, tu n'auras qu'à mettre ça pour dormir, dit Barbara en lui lançant un vieux vêtement.
Annie le déroula et découvrit un vieux t-shirt bien trop grand pour elle. Elle haussa les épaules et l'enfila. Tabitha tenait Barbara dans ses bras, la berçant d'un regard rassurant et sincère, qu'Annie envia presque, malgré elle. Elle jouait avec une mèche qui tombait sur son visage carré. Barbara avait la tête posée sur sa poitrine, et la tenait fermement par la taille.
- Tu me lis une histoire ? Demanda cette dernière avec un petit sourire attendrissant.
- Tu es sérieuse ? Rigola Tabitha.
- Oui ! Pourquoi, tu ne veux pas ?
Tabitha éclata de rire sans méchanceté.
- Il est déjà tard, et demain est une longue journée, tu dois dormir.
Barbara adopta une petite moue déçue, et se cala bien confortablement sur Tabitha. Aucune des deux n'eut l'air de remarquer la présence d'Annie, qui se faufila sous sa couette. Elle entendit le déclic de l'interrupteur et la lumière s'éteignit. Elle ne se sentit pas tomber dans les abysses du sommeil qui la guettaient depuis quelques minutes. Elle n'entendit pas non plus les premiers souffles ensommeillés de ses partageuses de chambre.
Tout était silencieux dans son esprit. Pas un cri, pas une parole, pas une pensée ou un souvenir incongru. Jusqu'à ce qu'un bruit inhabituel la réveille. Elle se leva instinctivement, les cheveux sur les yeux, et jeta un regard circulaire. Elle discerna les corps de Tabitha et Barbara l'un sur l'autre, comme elle les avait laissés. Elle sortit silencieusement du lit, et sans qu'elle ne sache pourquoi se dirigea vers la salle de bain. Elle voulut vérifier que la porte de la chambre des garçons était bien fermée, mais la porte n'existait pas. Elle était pourtant sure que la chambre se trouvait là.
Sans se tourmenter plus, elle continuait à avancer, et croisa Jérôme assis sur la table de la salle à manger, impérial, les mains posées à plat, le sourire fou. Elle se stoppa, se demandant ce qu'il faisait là, alors qu'un sentiment d'appréhension et d'angoisse envahissait rapidement tout son corps. La peur lui électrisait les membres, une peur indéchiffrable, aux arguments infondés et à la raison lointaine. Elle sentit un froid mordant et passager l'envahir, comme si on l'avait enveloppée dans une couche de marbre pur. Elle voulait se détourner, mais tout l'en empêchait. Tout, ou rien. Les deux notions étaient si étroites en cet instant.
Son rythme cardiaque s'accélérait en même temps que Jérôme se levait de sa chaise pour se diriger vers elle. Il lui attrapa les poignets, et la fit tomber par terre. Terrifiée, Annie essaya de crier, mais la parole lui manquait. Elle n'était plus maîtresse d'elle-même. Elle atterrit sur le sol, et ressentit une douleur lointaine. Il se posa sur elle, la maintenant avec ses genoux. Il passa ses mains dans son dos, et la rapprocha d'elle. Leurs deux corps se confondaient désormais, malgré son effroi. Le visage de son agresseur se troubla, pour se déformer en celui d'un autre homme qu'elle avait craint, et qu'elle n'osait pas appeler son père. Jérôme revint ensuite, et plongea son visage dans son cou pour l'embrasser à plusieurs reprises, tout en caressant son corps de ses mains chaudes. Des larmes affolées coulaient le long de ses joues brûlantes. Elle n'arrivait même plus à penser. Elle restait clouée au sol, comme si un aimant la maintenait immobile. Elle savait que son souffle touchait son visage, mais elle ne le sentait pas. Elle ne sentait pas son odeur non plus. La réalité semblait s'altérer petit à petit. Elle s'effondrait maintenant, pourtant toujours au sol. Le poids de Jérôme – si l'homme au dessus d'elle était bien lui – s'allégeait. Elle se redressa subitement, inspirant de l'air à grandes gorgées. Elle mit du temps avant de réaliser qu'elle n'avait pas bougé de son lit. De la transpiration perlait sur sa peau, elle passa ses mains sur son cou, se rappelant son manque de voix. Elle se précipita dans la salle de bain pour s'asperger d'eau.
Ses cauchemars n'étaient pas ceux-là. Ils étaient violents, se déroulant au rythme des coups et des frappes. Pas ainsi. Les mains tremblantes, elle se laissa tomber sur le sol, et se traîna jusqu'à un mur en faisant le moins de bruit possible. Les minutes s'allongeaient. Elle cacha son visage dans ses mains, gémissante, épouvantée. Elle tentait de se séparer de ce mauvais rêve, mais les cauchemars ne s'en vont jamais réellement après le réveil, ils s'accrochent à l'âme et la plonge dans une incertitude qui perturbe le cœur des Hommes. Ils se nourrissent de leurs réveils préoccupés et suppliciés pour survivre. Tout cela ne se dissipa que bien longtemps après, alors que la nuit continuait d'avancer.
Annie se leva, en essayant de se paraître le plus tranquille possible, et s'enquit jusqu'à son lit pour se rendormir en ignorant les frayeurs venues des ténèbres de son cœur.
* * *
Elle fut réveillée par les voix étouffées qui provenaient de la salle à manger. En se rappelant les péripéties de la nuit, elle laissa tomber une main sur son visage en soupirant de frustration.
- Ann Henderson, tu n'es qu'une imbécile.
Elle entra dans la salle à manger, et vit que tout le monde était déjà débout, autour d'une table formidablement garnie de fruits de toutes les couleurs du monde, et de boissons chaudes ou froides qui lui laissèrent un goût imaginaire au fond de la gorge.
- Il était temps, la marmotte ! Dit Barbara en mordant dans un quartier de fraise avec sensualité.
Tout le monde était encore en pyjama. Barbara était très distinguée dans son leggins noir et sa chemise bleue nuit, Tabitha dans une chemise de nuit sombre et élégante, Jérôme dans un pyjama à bouton dissimulé par un peignoir rouge éclatant, et Greenwood dans un t-shirt qui paraissait sale. Galavan, quant à lui, portait son perpétuel costume.
- Viens t'asseoir ! Lança Tabitha avec une bonne humeur contrôlée.
- T'as peur qu'on te bouffe, ou quoi ? Questionna Greenwood, infatigablement sarcastique.
Annie ne se fit pas prier pour prendre place parmi eux, tout en ignorant le cannibale.
- Surtout que tu dois avoir faim, l'athlète, ajouta Tabitha.
La curiosité anima alors les autres. Annie l'interrogea du regard, ne comprenant pas.
- Je veux parler de ta petite escapade de cette nuit, détailla-t-elle en levant un sourcil.
Annie se sentit rougir, et bu une quelques gorgées de jus d'orange pour se donner de la contenance, pendant que les regards se fixaient sur elle.
- La salle de bain est un espace réservé à la journée ? Demanda Annie sans la regarder, faisant semblant de choisir quelque chose sur la table pour finalement se servir en pancakes et en fruits.
- Ne te réveille pas en respirant aussi fort, la prochaine fois.
- J'y veillerai.
La discussion enchaîna rapidement sur autre chose, laissant Annie se perdre dans ses pensées. Elle sentit un frisson la parcourir, gênée, elle leva les yeux. Jérôme la regardait, un sourire en coin, déformant sa bouche d'un seul côté. Elle détourna les yeux, pour s'intéresser à la conversation que les autres suivaient. Elle trouvait le jeune homme inquiétant, et même intimidant. Mais Jérôme avait un autre côté, plus fascinant encore, presque séduisant.
Le regard du rouquin étaient en fait terriblement satisfait. Jérôme se sentait puissant. Avoir récupéré Annie dans la rue, n'avait pas été un acte de probable bonté, ou de compassion. Non, le jeune homme ne ressentait pas ce genre de sentiment. Ce qu'il avait vu en Annie, c'était une persévérance bestiale. Et il savait qu'il ne s'était pas trompé, car elle était là. Galavan l'avait mit en garde, à part des autres « Si cette fille tente quoi que ce soit, je t'en tiendrai responsable. Nous la tuerons, et tu ne seras plus... privilégié ». Les menaces ne l'avaient pas atteint, puisqu'il était sûr. Il voulait qu'elle devienne grande, qu'elle soit parfaitement odieuse, qu'elle soit haïssable pour être adorée en secret. Annie était sa candidate parfaite, son expérience.
Galavan se leva soudainement pour distribuer les costumes et les armes. Il confia un déguisement bleu à Jérôme et Greenwood. Annie avait enfilé les vêtements prévus depuis la veille. Jérôme entra dans la salle à manger, habillé en policier, brandissant son arme. Il courut pour monter sur une chaise :
- Au nom de la loi, je vous arrête !
- Du calme, Jérôme, dit Galavan doucement. Ce costume te va très bien, complimenta-t-il.
Jérôme sauta de la chaise et atterrit sur le sol lourdement à pieds joints pour saluer les spectateurs, comme s'il avait été sur une scène de théâtre. Le jeune homme était fier de lui, en toute circonstance, qu'elle soit à son avantage ou à son inconvénient. Rien ne semblait pouvoir lui retirer ce sourire qui était le sien. En le voyant, Annie se dit qu'il était détestable. Mais souvent, les choses détestables deviennent enviables.
- Merci, merci, gratifia Jérôme avec théâtralité.
- Les menottes servent exclusivement à ton personnage de policier, nargua Tabitha.
Barbara explosa de rire.
- Quel dommage, dit-elle en se mordant la langue entre ses molaires.
- Oui, je sais, c'est décevant, ajouta Tabitha en entrant dans son jeu.
Le groupe se sépara quelques minutes après. Jérôme, Greenwood qui portait une caméra et Annie montèrent dans la voiture de police. Barbara et Aaron prirent un autre chemin jusqu'à un autre véhicule. Plusieurs hommes armés de Galavan montèrent dans un grand van noir.
Avant d'arriver à leur auto, Annie entendit quelqu'un l'appeler discrètement. Elle regarda autour d'elle pour voir si les autres la surveillaient, mais ils étaient tous prit dans une certaine excitation.
Annie se dirigea vers la ruelle d'où venait l'appel, et croisa la silhouette de Cat, dissimulée dans l'ombre.
- Cat ! S'exclama Annie.
- Qu'est-ce que tu fous ? On devait se rejoindre chez Pingouin !
- Je suis... Je ne peux pas revenir Cat.
- Comment ça ? Je pensais que ces mecs t'avaient tué. Tu t'es trouvée un nouveau groupe de potes ?
Cat tendit le cou pour mieux voir.
- Et des potes par très recommandables.
Annie se tourna pour regarder les visages de ceux qui l'avaient acceptée.
- Cat, je ne peux pas rester, ils vont se douter de quelque chose. Ne t'inquiète pas, je gère.
- Non, c'est eux qui gèrent. Toi tu n'es qu'un pantin.
- C'est exactement ce que tu es pour Pingouin.
- Ce que tu étais aussi. Et je peux t'assurer que Pingouin est beaucoup plus recommandable que ces gens.
- Qu'ils soient recommandables ou pas n'est pas la question.
- Tu mijotes quelque chose, devina-t-elle.
Annie la regarda suspicieusement.
- J'ai enfin la possibilité de faire payer cette ville, répondit-elle alors que son regard prenait des allures vengeresses, et je compte aller jusqu'au bout. Tu l'as dit : je n'ai pas les capacités de me venger, mais eux ont ce qu'il faut pour le faire à ma place.
- Ce sont des monstres, Ann. Ils se servent de toi, pour te grossir et t'avaler.
- Pour l'instant je grossis seulement. Je m'en irais avant qu'ils ne m'avalent.
- Dans tous les cas, tu meurs, cracha Cat. Laisses-toi le temps de tourner le dos, et ils te poignarderont. Reste de face, et ils te feront exploser la cervelle.
- Le plus tard possible, j'espère, je veux voir cette ville brûler avant moi.
- T'es complètement tarée, dit Cat déconcertée.
- Il paraît qu'on est libre, rigola Annie sans être convaincue.
- Ne les croit pas. Les monstres ne sont pas libres, Ann, ils sont prisonniers d'eux-mêmes.
Annie se contenta de hocher la tête.
- Merci pour ton aide, Cat.
- Ouais, dit cette dernière en faisant un pas en arrière, on se revoit. Jolie allure, finit-elle en passant un regard sur les vêtements et les cheveux d'Annie.
Elle se détourna d'Annie et s'enquit dans la ruelle. La jeune femme la regarda s'éloigner quelques instants, en se rappelant qu'elle devait aller commettre son premier grand coup.
Jérôme prit le volant de la voiture, dans un esprit enfantin. Il prenait tout au jeu, et cette escapade au département de police semblait l'amuser comme jamais. Assise à l'arrière, Annie avait une main posée sur son arme droite, comme si elle l'avait eut là depuis toujours, regardant paresseusement par la fenêtre. Ce qu'avait dit son amie ne l'avait pas laissée indifférente. Elle se savait entourée de monstres, mais ils ne l'effrayaient pas. Il fallait dire que les monstres, elle les côtoyait depuis l'enfance.
* * *
Barbara avait attiré Gordon à l'extérieur. Jérôme, à l'aise dans son habit, entra sans hésitation dans le GCPD, la casquette lui cachant les yeux. Lui, devait garder le chef à distance. Greenwood, elle, et les hommes armés devaient abattre les autres. Elle adopta une démarche assurée, et suivit Greenwood dans les pas de Jérôme. Ses jambes ne tremblaient pas, son regard était sauvage et affirmé. Elle attrapa ses deux armes à la ceinture, et éleva sa main droite, sans réfléchir. Le premier coup fut donné, et elle appuya sur la détente. La force de l'arme résonna dans son bras, sans qu'elle ne s'arrête pour autant. Un, deux, trois, quatre, peut-être cinq. Plus encore, au fur et à mesure que son chargeur se vidait.
Les balles pénétraient le corps des policiers de la ville, sans qu'Annie ne se sente coupable. Elle se sentait invulnérable. Elle ne se sentait pas bien pour autant. Le sang giclait sur les bureaux, sur les papiers, sur les autres corps. Lorsque plus rien ne bougea, et que les hommes étaient morts ou faisaient semblant de l'être, les coups de feu cessèrent. Greenwood fit un tour dans la GCPD. Annie elle restait là, à observer ce qu'ils venaient de faire. Elle déambulait lentement entre les corps, sans leur prêter attention, comme si elle visitait. Jérôme, immobilisa Sarah Essen à une chaise. Son impuissance se lisait dans ses yeux. Annie s'approcha d'eux, Greenwood portait sa caméra sur son épaule. Il la tourna vers elle quelques secondes, lui faisant suivre ses propres mouvements. Annie descendait les escaliers silencieusement, presque nonchalamment, les deux bras pendants, les armes fermement tenues entre ses doigts. Lorsque le Capitaine Essen croisa le regard d'Annie, une profonde amertume se dessina sur son visage. Cette personne paraissait effroyablement jeune. Ses traits lui étaient pourtant inconnus.
- Pourquoi vous faites tout ça ? Demanda-t-elle, sans qu'une once de peur ne s'insinue dans sa voix.
- Pour dominer le monde... blah-blah-blah. Mais en attendant, des flics morts et une bonne promo, ça nous suffit, dit Jérôme en ajoutant un petit rire sadique. Je déconne, reprit-il avec sérieux.
- Peu importe ce que vous dites, c'est très clair : vous êtes cinglé.
Annie vira immédiatement son regard sur Jérôme. Elle le vit tourner la tête, un peu à la manière d'un hibou.
- Cinglé ? Répéta-t-il, glacial.
Il s'approcha d'elle, pour qu'elle voit son visage de plus près, semblant réellement irrité.
- Regardez-moi bien, vous voyez que je suis pas cinglé.
- Dans peu de temps, mon petit bonhomme, vous allez mourir... Et le monde continuera de tourner sans vous...
Jérôme posa son menton sur sa main, comme s'il écoutait une histoire triste, la regardant avec arrogance.
- Le monde oubliera même votre nom, continua-t-elle.
Elle vit Jérôme se redresser légèrement.
- Non, là vous avez tout faux, vielle chouette.
Il se releva entièrement, la surplombant de sa taille.
- Nous laisserons notre empreinte dans cette ville, dit-il en se rapprochant de son oreille, pour faire toucher son nez à ses cheveux frisés.
Annie écoutait attentivement ce que disait Jérôme, curieuse.
- Nous nous répandrons dans ces rues, tel un virus.
Il soufflait chaque mots, cherchant à la gêner le plus possible, pour lui montrer que c'était bel et bien lui qui dominait le reste.
- Vous savez pourquoi ?
- Parce qu'il n'y a rien de plus contagieux que le rire, dit Greenwood à sa place, la voix lourde et peu professionnelle.
Annie détourna son regard vers le cannibale qui tenait la caméra. Souriant, Jérôme lui tira immédiatement une balle, ce qui le fit tomber à terre. Annie reçu quelques gouttes de son sang, qui s'immiscèrent dans sa bouche. Elle ferma les yeux instinctivement, et tiqua discrètement. Le liquide vermeil s'étala sur ses dents, laissant dans sa bouche un goût métallique et écœurant. Elle effaça les traces qui tenaient ses lèvres fines d'un revers de la main.
- C'était ma réplique, s'excusa Jérôme.
Essen regardait dans la direction de Greenwood, comprenant qu'elle ne pourrait pas sortir vivante de cette affaire. Jérôme tuait même ceux qui étaient de son bord. Sarah Essen était condamnée dans son propre département.
- Il n'y a rien de plus contagieux que le rire, répéta Jérôme, avec beaucoup plus de talent.
Être horrible et méchant était définitivement sa vocation. Annie se surprit à admirer son jeu et ses aptitudes. Fut un temps ou voir cette scène l'aurait fait vomir. Jérôme se mit à rire, et Essen lui cracha à la figure. Il eut un mouvement de recul, sentant le cracha dans sa bouche. Annie grimaça, et tira la langue de dégoût.
- Bizarrement, j'ai bien aimé, dit Jérôme, refaites-le pour voir ?
Essen lui répondit en lui offrant un magnifique coup de tête qui sonna Jérôme quelques instants, pendant qu'il gémissait de douleur avec majesté.
- Ça, ça va vous laisser mon empreinte, articula Essen.
Du sang coulait depuis le nez de Jérôme, qui se mit à rire. Sa voix devint plus grave et plus folle.
- Vous m'avez bien eu ! À mon tour, menaça-t-il en riant comme s'il se forçait, ne montrant aucune faiblesse ou douleur.
Jérôme était venu là pour faire peur à la ville entière, et s'en prendre à leurs derniers héros était son but. Il sortit son arme de sa ceinture, se tourna vers Annie le regard brute.
- Adieu, Capitaine Essen ! Clama-t-il en levant les bras de sorte à ce que sa voix soit entendue dans tout le département.
Il visa rapidement et tira une balle dans le ventre de la femme en face de lui, riant sans s'arrêter. Il attrapa ensuite la caméra pour s'adresser à la ville.
- Salut, Gotham City ! Nous sommes les Maniax, et je suis Jérôme, le leader de notre petit gang. Nous sommes venus délivrer un message de sagesse mais aussi d'espoir !
Ils entendirent un policier gémir à côté de lui, sans qu'il ne tarde à lui mettre une autre balle qui le fit taire.
- Certaines personnes n'ont aucune manière, reprit-il. Vous êtes tous prisonniers, ce que vous appelez lucidité, n'est que la prison de votre esprit qui vous empêche de voir que vous n'êtes que les minuscules rouages d'une gigantesque et absurde machine. Réveillez-vous ! Hurla-t-il avec férocité. Pourquoi être un rouage ? Soyez libre ! Comme nous ! Et n'oubliez pas de sourire, finit-il en tripotant la joue d'un policier mort en riant maladivement.
Des alarmes de voitures de polices retentirent à l'extérieur. Annie se retourna, et regardait Jérôme en attendant qu'il se dépêche de finir.
- On y va, c'est l'heure dit ce dernier, mais pas de panique, on reviendra très bientôt. Vérifiez que vos ceintures soient bien attachées, parce que vous n'avez encore rien vu les amis !
Il arrêta de tourner, et laissa la caméra. Il se précipita dans les escaliers, et prit le chemin de la sortie, suivit d'Annie. Accompagnés des hommes armés, ils sautèrent dans leur voiture tout en laissant leurs armes cracher ce qui leur restait de balles. Jérôme prit le volant, comme à l’allée. Tout semblait aller beaucoup trop vite pour qu'Annie puisse suivre tous les mouvements, et ils s'éloignèrent du département dans une rapidité qu'elle n'aurait pas soupçonné. Elle passa sa tête par la fenêtre pour voir s'ils étaient suivis, mais il n'y avait que le van noir de leurs complices. Elle s'y était tellement habituée, qu'elle n'entendait plus Jérôme rire. Elle tourna son visage vers lui et se mit à rire nerveusement à son tour.
- Comment j'ai été ? Incroyable, n'est-ce pas ! Demanda-t-il toujours sous l'effet de l'adrénaline qui lui incendiait les veines.
- Tu as été génial ! Ria-t-elle sans qu'elle n'ait le temps de décider quoi répondre.
- Je sais, je sais, dit-il en penchant sa tête vers elle comme un fauve.
- Maniax ! Scanda-t-elle, emportée par l'atmosphère euphorique.
- Maniax ! Hurla Jérôme à son tour.
Ils rentrèrent chez Galavan, au plus haut de l'immeuble luxueux. Les nouvelles n'avaient pas tardé à se diffuser.
- Quelle belle performance ! Félicita le milliardaire en frappant une fois dans ses mains.
Barbara et Aaron frappèrent dans leurs mains.
- Je dois avouer que j'ai eu un peu... peur, au début, dit Galavan en regardant Annie. Mais mes craintes sont désormais effacées !
- Je savais qu'elle avait du potentiel, affirma Barbara en s'approchant d'Annie. La poupée fait parti des grands, dit-elle en lui laissant un bisou sur la joue, un brin de folie faisant dévier sa voix.
- Tu es très photogénique, dit Galavan en allumant la télévision, qui afficha les images du massacre.
Jérôme tenait la caméra, et on la voyait à l'arrière. Elle mit du temps avant de se reconnaître, discernant les traits d'une jeune femme confiante, l'aplomb certain, observant autour d'elle avec un dédain qu'elle ne se connaissait pas. Son attitude était insolente et indifférente.
- Vous penserez à vous laver avant de passer à table, poursuivit Galavan en désignant Jérôme et Annie.
Cette dernière redécouvrit le sang qui colorait sa peau, pour ensuite regarder le visage de Jérôme qui saignait encore depuis la racine du nez. Elle le vit se passer la langue sur les lèvres et avaler son sang, alors qu'il s'en délectait presque.
* * *
La nuit en était déjà presque à son milieu quand tout le monde s'en fut dormir. Annie était restée éveillée, enfin satisfaite. La satisfaction n'était pas la première chose qu'elle s'attendait à ressentir. Assise en tailleur sur une chaise autour de la table, à tourner une pomme verte entre ses mains, ses pensées se tournèrent vers Cat. Elle imaginait la réaction de son amie qui la voyait à la télévision, derrière Jérôme, armes à la main. Puis, elle vit sa mère, observer le poste, et reconnaître sa fille. Elle ressentit une culpabilité lui alourdit la poitrine. Qui fut bien vite chassée par une longue expiration. Tant qu'elle n'était plus chez elle, elle était libre. Elle ne savait pas si sa condition de monstre la rendait libre, comme aimait à le prétendre Galavan et les autres.
Elle se leva, abandonnait sa pomme, et se posta devant la fenêtre, cherchant quelque réconfort dans les faibles lumières de la ville.
- Les nuits sont courtes, Beauté.
Annie se retourna brusquement. Jérôme avançait vers elle. La jeune femme reprit sa contemplation, sans répondre.
- Gotham est encore plus belle la nuit que le jour. Encore plus... sombre.
Il laissa une courte pause avant de reprendre.
- Tu ne dors pas. Qu'est-ce qui te fait aussi peur ? Demanda-t-il sans qu'aucune compassion ne perle dans sa voix grave.
Jérôme n'obtint pas de réponse, Annie persistait à regarder par derrière la vitre. Elle se posait cette question chaque jour, sans arriver à y répondre. Sans vouloir y répondre. Avant, la réponse était claire : les autres, lui. Maintenant, la première chose qui l'effrayait était elle-même. Elle sentit Jérôme entourer sa taille de ses bras longs et coller son visage à l'arrière de sa tête, de sorte à ce que sa bouche frôle son oreille.
- Tu sais pourquoi on a peur de nous ? dit-il. Parce que nous sommes vrais, nous sommes vivants, nous ne sommes pas les criminels d'un vulgaire film ou d'une stupide histoire. Et pire que tout : nous ne sommes pas fous. Regarde moi Ann, la folie n'est pas ce qui anime mes yeux, mais c'est le mal et la souffrance. Les gens ont tendance à confondre les deux. Nous bouleversons les valeurs morales, et c'est ça qui leur fout la trouille. Nous ne faisons pas parti de leur société limitée et indigne, mais nous sommes libres. Ils nous haïssent, parce que nous sommes neufs : l'humanité déteste perdre ses repères. On ne se contente pas de leurs lois, on fait nos propres règles. C'est de ce visage dont ils se souviendront, celui que tu leur as montré la première fois. Et tu leur as montré le visage d'une meurtrière sans cœur. Ils ne te pardonneront jamais, et leur plus grand souhait est de te voir une nouvelle fois, encore et encore, jusqu'à ce que tu disparaisses grandiosement. Ils sont fatigués de vivre, tu es leur attraction. Ils feront semblant de te détester, mais ils vont t'adorer ! Fais en sorte à ce qu'on t'oublie jamais.
« Les habitants de cette ville n'ont que faire des héros, Ann, continua-t-il, ce qu'ils attendent ce sont de belles histoires. Et qu'importe qu'elles soient menées par des héros ou des monstres. Ils aiment à pleurer sur le sort des autres pour ne pas se morfondre sur le leur : c'est ça qui fait de ces gens des personnages faibles et sans intérêt. Ils s'inventent leurs propres héros, mystifiés, devant des monstres on ne peut plus réels. Nous sommes les méchants de cette ville, Ann, pour le plus grand bien de tous. S'il te restait ne serait-ce que l'ombre d'un doute, tu n'y as désormais plus droit, cette journée te l'a prouvé. Crois-y, ou n'y crois pas, mais tu as choisi d'en faire partie. Tu es parmi nous, parce que tu l'as voulu, Beauté.
Il parlait lentement, la voix imperturbable, insensible, laissant son haleine s'étaler sur son cou et dériver jusque sur sa poitrine.
- Qu'est-ce que j'aurais du faire pour y échapper ? demanda-t-elle la voix coupée.
- Mourir.
Annie se retint d'avaler sa salive, qui l'aurait trahie.
- Qu'est-ce que tu veux ? Interrogea-t-elle en se tournant, mettant leurs deux corps face à face.
Jérôme plissa très légèrement les yeux, comme s'il réfléchissait. Il passa un doigt qu'il voulait tendre sur la joue d'Annie. Elle soutint son regard perturbant, trop fou et inquiétant. Trop mort finalement, faisant parler sa névrose.
- Ne me touche pas, souffla Annie sans grande conviction, alors qu'elle aurait voulu hurler, et le repousser pour qu'il s'écrase contre la table.
Il maintint sa tête de la main gauche, et frôla ses lèvres avec les siennes, narquois. Elle s'attendait à ce qu'il l'embrasse, mais le jeune homme passa sa langue sur la moitié de sa bouche, et monta jusqu'au dessous de son oreille. Là, il s'arrêta pour prendre sa peau entre ses dents, carnassier. La seule chose sur laquelle put se concentrer Annie était la taille de Jérôme. Il était nettement plus grand qu'elle. Il devait se courber pour faire toucher leurs deux visages. Jérôme descendit et lui mordilla la peau du cou. D'un élan de son corps, il élimina l'espace qui les séparait encore. Elle lui attrapa une poignée de cheveux pour l'éloigner d'elle, mais le garçon ne bougea pas. Il enlaça sa gorge d'une main, mesurant sa force afin qu'elle se sente prise au piège, sans qu'elle ne suffoque. Elle essayait tant bien que mal de s'éloigner de lui, mais le mur derrière elle l'en empêchait. Il attrapa l'arrière de ses cuisses de ses deux mains, et la souleva en s'aidant du mur, la soutenant de ses hanches.
- Tu n'as pas le droit, dit Annie avec difficulté, en essayant de le repousser en pressant son torse.
Elle griffa le jeune homme sur la nuque, ne sachant pas où poser ses mains, remua les jambes en basculant tout son poids contre lui. Elle se sentit atterrir sur le sol. Il passa une main sur sa nuque, et la ramena à lui couverte de sang. Deux femmes l'avaient fait saigner aujourd'hui. Et la seconde fois était clairement plus jouissive que la première. Elle profita de ce court instant pour se dégager de lui et s'enfuir dans sa chambre sans se précipiter, lui offrant un dernier regard alarmé. Il ne servait à rien de courir, seulement d'allonger le pas. Il la regarda s'échapper, le regard dénué de toute humanité, tout à fait sauvage, en fait éclairé par la lueur du meurtre et de l'avilissement.
Isolée grâce à l'absence de lumière, Annie se recroquevilla sur son matelas, tremblante. Ce n'était pas de la peur, mais un sentiment bien plus fort, pourtant éloigné de celui de l'amour.
Ce qu'elle appréhendait le plus, n'était pas le fait qu'elle n'avait pas voulu que Jérôme s'empare de son corps, mais qu'elle l'avait désiré.