Ineffablement nous
Aziraphale arpentait les couloirs du Paradis. Ses pas résonnant sur le sol immaculé. Il était parti le cœur en miette, mais les mots du Métatron l’avaient quelque peu réconforté. À son arrivée, on lui a remis le titre officiel d’Archange Suprême... stagiaire. Il se sentit tellement heureux et fier, et il eut une brève pensée, l’envie de dire à son meilleur ami... de dire... à Crowley que...
Il ravala sa salive et secoua la tête pour essayer de chasser cette pensée intrusive, respira un grand coup, et se plongea dans les tâches administratives de la plus haute importance qu’on lui avait confiée, pendant des heures... peut-être des jours... ou semaines. Au Paradis, le temps n’existe pas réellement, on ne le ressent pas. C’est assez dépaysant, quand on a vécu des millénaires sur terre, au rythme du jour et de la nuit, et d’autant plus en Angleterre, où l’heure du thé est presque un rituel sacré, auquel Aziraphale participait assidûment.
Son travail était plutôt gratifiant, et bien que stagiaire pendant quelques années célestes, afin de voir s’il s’acclimatait correctement à ses nouvelles fonctions, il était tout de même hiérarchiquement au-dessus des autres anges et Archanges, et après ce qu’il avait vécu, cela lui apportait un certain sentiment de satisfaction. Tout le monde se montrait extrêmement poli et cordial avec lui, il se sentait parfaitement accepté. Les dossiers qu’on lui confiait étaient souvent fort intéressants, et il pouvait toujours compter sur ses subordonnés pour l’aider à accomplir sa tâche.
Progressivement, un sentiment de vide intense s’installa pourtant de plus en plus en Aziraphale. Le Paradis était pourtant parfait ? Trop parfait... chaque colonne de marbre blanc semblait identique à la précédente, chaque porte menait à un autre bureau où des anges bureaucrates compilaient des rapports sur le Bien et le Mal, jugeant les âmes avec une froide objectivité. Il pouvait pourtant, grâce à sa position d’Archange Suprême, exécuter des petits miracles – pourtant interdits pour les autres anges – afin de se rendre sa vie là-haut plus confortable, faire apparaître quand il le souhaitait thé, cookies, bonbons au miel, chocolat chaud ou encore des sushis ou une bonne côte de bœuf ; écouter sa musique préférée ; se plonger dans n’importe quel livre qui aurait pu exister depuis la création de la Terre... il pouvait tout avoir et obtenir en un claquement de doigt. Pourtant, il se sentait incomplet, vide, oppressé. Tout était trop facile et artificiel. Il se sentait de plus en plus étranger à ce monde. Il ne parvenait pas à trouver de réconfort... tout était trop parfait. Pas un petit coin de désordre, un petit brin de poussière. Pas de Crowley. L’idée le frappa comme un coup de tonnerre. Crowley lui manquait, mais aussi la Terre, l’imperfection du quotidien, l’absurdité des humains, ce chaos magnifique qu’il avait appris à aimer. Ici, même haut placé, il n’était qu’un pion de plus, un rouage dans une machinerie bien trop huilée. « Crowley trouverait tout ceci ridicule », pensa-t-il avec un faible sourire, empreint de nostalgie.
Métatron était courtois avec lui, bien sûr. Mais courtoisie ne signifiait pas chaleur. Il lui parlait de grandes missions, de desseins supérieurs, mais jamais de choix. Aziraphale n’était pas encore certain d’avoir encore le droit de penser par lui-même. Après avoir terminé son travail du moment, il se glissa dans le fauteuil confortable qu’il avait fait apparaître à son arrivée dans son bureau et ferma les yeux. Il aurait voulu entendre le bruit d’une Bentley démarrant en trombe, ou même un sarcasme murmuré à son oreille. Imaginer la voix de Crowley le fit frémir. Mais il n’y avait que le silence infini du paradis. Et dans ce silence, le bruit de ses regrets et les souvenirs de leur dernière conversation étaient assourdissants. Il passa ses doigts sur ses lèvres, soupira, et se remit à sa table. Il fallait enchaîner les dossiers pour penser à autre chose. C’était trop douloureux. Pourtant, il n’y arriva pas...
« Crowley, où es-tu ? », finit-il par lâcher.
Une larme coula de ses yeux d’Archange le long de sa joue.